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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 2 décembre 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 55) (Présidence de M. Vandenpeereboom, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Thienpont, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance de vendredi, 28 novembre. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur François, instituteur à Buzenot, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la partie de l'augmentation de traitement qui lui est restée due sur l'exercice 1859. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des tanneurs, boucliers et cordonniers de Poperinghc présentent des observations contre la mise à exécution d'un contrat qui placerait le monopole de leur industrie dans une seule main. »

M. Van Renynghe demande le renvoi de cette pétition à la commission permanente de l'industrie avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Des étudiants de l'université de Louvain demandent qu'aux Pâques prochaines il y ait une session extraordinaire du jury pour les examens de gradué en lettres. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Schalkhoven demande qu'il soit porté au budget de l'intérieur un crédit spécial pour subsidier les travaux d'entretien de la voirie vicinale et que le gouvernement organise une surveillance spéciale pour cet objet. »

« Mêmes demandes des conseils communaux de Mail, Hern-Saint-Hubert, Werm, Hoelbeek, Rommershoven, Sluse, Roclenge, Beverst. »

- Renvoi à la Section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Le sieur Lepère, ancien préposé des douanes, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des patrons, contre-maîtres et ouvriers, à Bruxelles, demandent une modification à l'article 19 de la loi sur les conseils de prud'hommes pour qu'il soit procédé aux élections par groupes d'industries classés par l'arrêté d'institution. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Zepperen demandent un subside pour aider la commune à supporter les frais d'entretien et de réparation des chemins vicinaux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Franck prie la Chambre de rapporter l'arrêté du 27 prairial an IX relatif au transport des lettres et journaux. »

- Même renvoi.

« Des habitants de Saint-Nicolas demandent qu'il soit défendu aux employés des chemins de fer concédés de faire le commerce. »

- Même renvoi.


« Le sieur Charlier demande l'abolition des règlements relatifs au mariage des commis des accises et des préposés des douanes. »

- Même renvoi.


« La dame Reynaert demande que son mari, victime d'une erreur judiciaire, soit mis en liberté et réhabilité. »

- Même renvoi.


« Le sieur P. Hernalsteen, caporal congédié pour infirmités, demande une pension. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruxelles demandent la révision des articles 5, 19 et 25 de la loi électorale. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif aux fraudes électorales.


« Le conseil communal de Spalbeek présente des observations sur le projet de loi concernant les fraudes électorales. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lecompte demande que les élections aux Chambres se fassent au chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« Le sieur Landrien demande qu'avant d'être admis à siéger, les membres des deux Chambres soient obligés à prêter serment qu'ils n'ont contribué à leur élection ni directement, ni indirectement. »

- Même renvoi.


« Le sieur De Rouck propose de prescrire pour les élections le bulletin imprimé et d'interdire toute qualification qui ne serait pas nécessaire pour désigner un candidat. »

- Même renvoi.


« Les membres du tribunal de Malines présentent des observations au sujet de la classification des tribunaux de première instance, telle qu'elle est fixée par le projet de loi relatif aux traitements des membres de l'ordre judiciaire. »

M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale qui est chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'augmentation des traitements des magistrats de l'ordre judiciaire.

La pétition renferme des considérations très importantes qui ne peuvent manquer d'attirer l'attention des membres de la section centrale, et je me réserve de l'appuyer lorsque la Chambre discutera le projet de loi que cette réclamation concerne.

- La proposition de M. Vanden Branden de Reeth est mise aux voix et adoptée.


M. le président procède au tirage au sort des sections du mois de décembre.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l’exercice 1863

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, on passe aux articles.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Articles 1 à 11

« Art. 1er. Traitement du Ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 549,300. »

- Adopté.


(page 56) « Art. 3. Honoraires des avocats et des avoués du département. Frais de procédures, déboursés, amendes de cassation, etc. : fr. 76,000.

« Charges extraordinaires : fr. ,500. »

- Adopté.


« Art. 4. Frais de tournées : fr. 7,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Matériel : fr. 46,000. »

- Adopté.


« Art. 6. Traitement du graveur des monnaies et des poinçons de titre et de garantie, ainsi que du chimiste attaché à l'hôtel des Monnaies et chargé de la surveillance des travaux d'affinage : fr. 4,200. »

- Adopté.


« Art. 7. Service de la monnaie : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 8. Achat de matières et frais de fabrication de monnaies de nickel. Charge extraordinaire : fr. 1,000,000. »

- Adopté.


« Art. 9. Achat de matières et frais de fabrication de monnaies de cuivre. Charge extraordinaire : fr. 75,000. »

- Adopté.


« Art. 10. Magasin général des papiers : fr. 118,000. »

- Adopté.


« Art. 11. Documents statistiques : fr. 18,000. »

- Adopté.

Chapitre II. Administration du trésor dans les provinces

Articles 12 et 13

« Art. 10. Traitement des directeurs et agents du trésor : fr. 128,250. »

- Adopté.


« Art. 13. Frais de bureau, de commis, de loyer, etc., des directeurs et agents : fr. 30,130. »

- Adopté.

Chapitre III. Administration des contributions directes, douanes et accises

Articles 14 à et 26

« Art. 14. Surveillance générale. Traitements : fr. 281,350. »

- Adopté.


« Art. 15. Service de la conservation du cadastre. Traitements : fr. 357,200.

« Charge extraordinaire : fr. 3,900. »

- Adopté.


« Art. 16. Service des contributions directes, des accises et de la comptabilité. Traitements : fr. 1,540,550.

« Charge extraordinaire : fr. 11,200. »


« Art. 17. Service des contributions directes, des accises et de la comptabilité. Remises proportionnelles et indemnité (crédit non limitatif) : fr. 1,600,000. »

- Adopté.


« Art. 18. Service des douanes et de la recherche maritime : fr. 4,242,550.

« Charge extraordinaire : fr. 339,900. »

- Adopté.


« Art. 19. Service de la garantie des matières et ouvrages d'or et d'argent : fr. 54,750. »

- Adopté.


« Art. 20. Suppléments de traitement : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 21. Traitements temporaires des fonctionnaires et employés non placés (charge extraordinaire) : fr. 128,500. »

- Adopté.


« Art. 22. Frais de bureau et de tournées : fr. 62,600. »

- Adopté.


« Art. 23. Indemnités, primes et dépenses diverses : fr. 307,500. »

- Adopté.


« Art. 24. Police douanière : fr. 5,000. »

- Adopté.


<Art. 25. Insuffisance éventuelle du produit des préemptions. Frais d’expertise (crédit non limitatif) : fr. 2,000. »

- Adopté.


« Art. 26. Matériel : fr. 164,400. »

- Adopté.

Chapitre IV. Administration de l’enregistrement et des domaines

Articles 27 à 35

« Art. 27. Traitement du personnel de l'enregistrement et du timbre : fr. 431,040.

« Charge extraordinaire : fr. 6,000. »

- Adopté.


« Art. 28. Traitement du personnel du domaine : fr. 115,450.

« Charge extraordinaire : fr. 6,890. »

- Adopté.


« Art. 29. Traitement du personnel forestier : fr. 308,550. »

- Adopté.


« Art. 30. Remises des receveurs. Frais de perception (crédit non limitatif) : fr. 974,000. »

- Adopté.


« Art. 31. Remises des greffiers (crédit non limitatif) : fr. 42,000. »

- Adopté.


« Art. 32. Matériel : fr. 56,000. »

- Adopté.


« Art. 33. Dépenses du domaine : fr. 95,000.

« Charge extraordinaire : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 34. Frais de construction et de réparation de routes destinées à faciliter l’exploitation de propriétés de l’Etat : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Art. 35. Intérêts moratoires en matières diverses : fr. 1,500. »

- Adopté.

Chapitre V. Administration de la caisse générale de retraite

Articles 36 à 38

« Art. 36. Administration centrale. Traitements. Frais de route et de séjour : fr. 4,450. »

- Adopté.


« Art. 37. Administration centrale. Matériel : fr. 1,500. »

- Adopté.


« Art. 38. Remises proportionnelles et indemnités des fonctionnaires chargés de la recette et du contrôle (crédit non limitatif) : fr. 3,500. »

- Adopté.

Chapitre VI. Pensions et secours

Articles 39 et 40

« Art. 39. Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 17,500. »

- Adopté.


« Art. 40. Secours à des employés, veuves et familles d'employés qui, n'ayant pas de droits à une pension, ont néanmoins des titres à l'obtention d'un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 10,000. »

- Adopté.

Chapitre VII. Dépenses imprévues

Article 41

« Art. 41. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 8,000. »

- Adopté.

Vote de l’article unique et vote sur l’ensemble

L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :

« Le budget du ministère des finances est fixé, pour l'exercice 1863, à la somme de treize millions quatre cent soixante mille deux cent trente francs (fr. 13,460,230), conformément au tableau ci-annexé. »

Il est procédé au vote par appel nominal.

En voici le résultat :

67 membres répondent à l'appel.

66 membres répondent oui.

1, M. Van Bockel, répond non.

En conséquence, la Chambre adopte. Le projet sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui : MM. Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, Magherman, Mercier, Moreau, Orts, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Tesch, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Allard, (page 57) Ansiau, Bara, Beeckman, Coppens, Crombez, Cumont, Carlier-Dautrebande, Dechentinnes, De Fré, de Haerne, de Mérode, de Montpellier, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, Devaux, de Vrière, Dolez, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, J, Jouret, M. Jouret, Landeloos et E. Vandenpeereboom.

Projet de loi portant le budget des dotations de l’exercice 1863

Motion d’ordre

M. Allard. - Messieurs, le chapitre IV du budget des dotations est relatif au traitement des membres de la cour des comptes et du personnel des bureaux-

Le traitement des membres de la cour des comptes a été fixé par la loi. Il faudrait donc que nous fussions saisis d'un projet de loi pour augmenter ce traitement.

Je demanderai à M. le ministre des finances si le gouvernement a l'intention de présenter un projet de loi pour l'augmentation du traitement des membres de la cour des comptes ainsi qu'une proposition pour l'augmentation du traitement des fonctionnaires et employés de cette administration.

MFOFµ. - Messieurs, la cour des comptes est une émanation de la Chambre. Je crois donc que c'est à la Chambre de régler le traitement des membres de cette cour et du personnel attaché à ses bureaux.

C'est ce qui s'est fait lorsqu'on a rapporté la loi de 1848 qui avait réduit le traitement des membres de la cour des comptes ; c'est sur la proposition et par l'initiative des membres de cette Chambre, que l'ancien traitement a été rétabli. Il me semble donc que la commission de comptabilité pourrait soumettre à la Chambre une proposition dans le sens des observations de l'honorable M. Allard.

M. Allard. - Comment l'entend M. le ministre des finances ? Faudra-t-il que la commission de comptabilité prenne l'initiative d'un projet de loi ?

Ce n'est pas sur une simple proposition de la part de cette commission qu'une augmentation de traitement pourrait être votée. Il faudrait donc qu'elle saisit la Chambre d'un projet de loi. Est-ce ainsi que l'entend M. le ministre ?

M. Orts. - Je crois qu'il y a ' un moyen plus simple et plus pratique.

Le budget des dotations, comme tous les autres budgets, est renvoyé à l'examen d'une section centrale. Cette section centrale peut, par voie d'amendement, faire ce que M. Allard propose.

M. Allard. - Non ! il faut un projet de loi spécial.

MFOFµ. - Les membres de la commission de comptabilité ou les membres de la section centrale à laquelle le budget des dotations a été renvoyé, pourront, en leur nom personnel, comme membres de la Chambre, faire la proposition de loi nécessaire, car il faut une loi spéciale pour régler cet objet. Il ne peut être réglé simplement par un article du budget.

- L'incident est clos.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère de l’intérieur

Discussion générale

M. H. Dumortier. - Messieurs, je me propose de vous présenter quelques courtes observations sur l'objet à l'ordre du jour.

Depuis quelque temps, messieurs, le trésor s'impose de grands sacrifices dans l'intérêt de l'instruction primaire et je ne l'en critique pas. Je m'associe volontiers à ces marques de sympathie données à une branche de l'administration qui a une si grande importance.

Mais, il ne serait peut-être pas inutile de soulever ici quelque peu les principes qui doivent être admis en cette matière, el de dire une fois de plus à charge de qui incombent principalement les frais de l'instruction primaire.

La loi de 1842 a fait des dépenses de l'instruction primaire une charge communale. C'est là le principe fondamental de la loi.

Vous n'ignorez pas que l’article 23 de cette loi dit que les communes devront intervenir dans cette dépense pour une somme égale à 2 centimes additionnels eux contributions.

Vous n'ignorez pas non plus les contestations qui ont eu lieu sur l'interprétation de cet article. Dans ces derniers temps, le gouvernement a soutenu, et la plupart des députations permanentes se sont ralliées à ce système, que je crois bon, que les deux centimes additionnels ne constituent que le minimum de la dépense que la commune doit nécessairement voter ; que si la position financière des communes les met à même d'intervenir pour une somme plus considérable, il est de leur devoir de le faire, lorsque les besoins de l'instruction primaire requièrent ce sacrifice.

Et en effet, messieurs, cette base de 2 centimes additionnels est, selon moi, une mauvaise base d'appréciation. Car je ne vois pas la corrélation qui existe entre les centimes additionnels des contributions directes et les besoins de l'enseignement dans une commune. Si l'on s'en tenait à cette interprétation, il en résulterait des anomalies incroyables. J'ai ouvert les documents déposés sur le bureau par le gouvernement et j'ai constaté en prenant au hasard la première commune venue, que la commune de Sivry, par exemple, qui a le bonheur d'être dotée de revenus s'élevant à 60,000 fr., si l'on adoptait cette base de 2 centimes, n'interviendrait dans les dépenses de l'instruction primaire que pour 355 fr. Je me hâte de dire à son honneur qu'elle intervient pour des sommes beaucoup plus considérables.

Mais je cite ce fait pour faire voir que l'interprétation qui consiste à dire que les communes ne peuvent intervenir que pour deux centimes est tout à fait erronée, et je regrette qu'il y ait encore une ou deux députations qui semblent avoir de la peine à se ranger au système du gouvernement.

Une fois que les communes sont intervenues pour cette part, c'est alors à la province et à l'Etat à venir combler le déficit. Mais au train dont vont les choses, la position semble devoir être renversée. Je m'explique. C'est que les communes, soit qu'elles ne soient pas assez stimulées pour s'imposer des dépenses, soit qu'elles espèrent rejeter la plus grande partie de cette dépense sur les provinces et sur le gouvernement, ne font pas toujours pour cet objet les sacrifices qu'elles pourraient faire.

C'est pour ce motif que j'avais demandé que le gouvernement voulût bien communiquer à la Chambre, outre le petit exposé des motifs fort incomplet, trop incomplet, selon moi, qui nous a été communiqué, des documents beaucoup plus considérables.

Je regrette que le gouvernement n'ait pas pu nous faire imprimer un tableau général de l'intervention de toutes les communes du pays pour l'instruction primaire. Il est vrai que le travail était assez considérable, Il ne serait cependant pas nécessaire de faire imprimer en entier les tableaux qui ont été déposés. On pourrait les simplifier considérablement pour nous faire connaître ce seul point : le chiffre de l'intervention de chaque commune. Avec les renseignements qui sont consignés dans l'exposé des motifs, il est impossible de juger en pleine connaissance de cause de cette question.

Pour voir si une commune a suffisamment contribué dans les dépenses de l'instruction primaire, il faut des éléments d'appréciation et de comparaison, il faut connaître la situation financière, approximativement au moins, de la commune, ses revenus, ses ressources, et d'un autre côté les besoins de l'enseignement primaire, et puis le chiffre pour lequel elle intervient.

C'est alors seulement que nous pouvons dire en connaissance de cause si cette commune paye assez ou ne paye pas assez. Je voudrais donc que M. le ministre trouvât le moyen de nous mettre, pour une prochaine occasion, par exemple pour la discussion de sou budget, à même de faire ces appréciations.

Messieurs, il existe une énorme différence entre les communes du pays au point de vue de la situation financière. J'ai fait autrefois des recherches sur cet objet, et j'ai constaté que la différence est énorme entre les communes de certaines provinces et celles de certaines autres provinces. Ainsi les communes rurales du Brabant ont un revenu de 188,000 francs, les communes du Luxembourg ont des revenus de 1,099,000 francs, celles de la Flandre occidentale n'ont qu'un revenu de 20,000 francs.

Cela donne par habitant : dans la Flandre occidentale 3/10 de centime, dans le Luxembourg 10 fr. 28 c, dans la province de Namur 3 fr. 5 c, dans la province de Liège 1 fr. 15 c. D'un autre côté les charges des communes, secours à distribuer aux pauvres, allocations au bureau de bienfaisance, ces charges présentent également des différences énormissimes. Je ne veux pas fatiguer la Chambre en citant des chiffres, mais j'ai pu constater que, pour couvrir leurs grandes dépenses, les communes de la Flandre occidentale, qui doivent généralement recourir à la capitation, prélèvent par tête d'habitant 2 fr. 93 c, tandis qu'on ne prélève que 11 centimes dans la province de Namur, 12 centimes dans le Luxembourg et 50 ou 60 centimes dans d'autres provinces.

J'ai voulu citer ces chiffres pour montrer combien est grande la différence qui existe entre les communes des diverses provinces au point de (page 58) vue de la situation financière et combien il serait injuste d'admettre comme règle uniforme le chiffre de 2 centimes additionnels.

Je disais tantôt, messieurs, que certaines communes peuvent et doivent faire plus qu'elles ne font pour l'instruction primaire. Il fut un temps ou les députés des Flandres venaient ici réclamer voire commisération, et je dois dire que la Chambre répondait avec générosité à leur appel ; mais nous pouvons ajouter heureusement que la situation est considérablement améliorée.

Cependant, je n'ai pas remarqué qu'il se soit produit dans les allocations pour l’enseignement primaire une augmentation proportionnelle à l’amélioration de la situation financière.

D'un autre côté, messieurs, les communes du pays tout entier, pouvant maintenant diminuer jusqu'à un certain point leurs abonnements par suite de la suppression des octrois, sont à même d'intervenir d'une manière plus large dans les dépenses de l'instruction primaire.

Enfin, messieurs, il est un abus qui se produit dans les communes : le désir immodéré de gonfler les dépenses (et les provinces usent parfois du même procédé) et de rejeter sur le budget de l'Etat une partie des frais de l’instruction primaire, qui devrait rester à leur charge, fait admettre par l’autorité communale, à l'instruction gratuite, des enfants dont les parents peuvent payer la rétribution scolaire ; tandis que parfois un assez grand nombre d'enfants réellement pauvres ne fréquentent aucune école.

Je crois pouvoir me borner à ces simples observations que la pratique de administration m'a fait constater dans différentes circonstances ; mon seul but, en les présentant, a été d'appeler sur ces différents points l'attention de M. le ministre de l'intérieur.

M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai suivi avec attention les observations présentées par l'honorable préopinant. Il est possible que dans certaines provinces les communes soient à même de s'imposer de nouveaux sacrifices pour l'instruction primaire, à raison de leurs ressources qui sont plus considérables que celles dont on dispose généralement dans les Flandres ; mais dans les Flandres, 2 p. c. doivent suffire ; je vais dire pourquoi ; il existe dans ces provinces un très grand nombre d'écoles libres.

L'honorable préopinant a parlé des abonnements, des impôts locaux, eh bien, la plupart des communes dans les Flandres étaient accablées d'impôts locaux ; l'abonnement y avait atteint un chiffre tellement exagéré que les Flandres payaient beaucoup plus de contributions de toute espèce que partout ailleurs.

J'ajouterai que les communes ne peuvent pas encore réduire leurs abonnements, parce qu'elles ont des chemins vicinaux à faire ou à entretenir ; elles étaient endettées précédemment ; mais elles ne peuvent encore rien faire de plus pour l'instruction primaire, elles le pourront peut-être plus tard.

Je suis partisan de l'instruction primaire, et surtout de l'instruction libre qui ne coûte rien à l'Etat ; personne plus que moi ne désire que l'instruction soit propagée dans nos populations. Aujourd'hui, dans la plupart des villages des Flandres, on construit de nouveaux bâtiments d'écoles qui coûtent 15,000, 20,000, 25,000 francs et plus. Eh bien, ces communes payent 2 p. c. pour les frais ordinaires de l'instruction primaire.

Il n'est pas possible de leur demander, du moins quant à présent, des allocations plus considérables. Je le sais pertinemment. Nous sommes obligés de beaucoup économiser dans nos communes.

Pour me résumer, j'adopte les principales observations faites par l'honorable préopinant, sauf les faits que j'ai cités.

M. Hymans, rapporteur. -- Messieurs, avant que la Chambre s'engage plus avant d3as la discussion, je désire poser à M. le ministre de l'intérieur une question qui est indiquée par le texte même de l'exposé des motifs.

Le crédit que la Chambre va probablement voter est un crédit supplémentaire pour l'exercice 1862. Il est dit, à la fin de l'exposé des motifs, que la plus grande partie de cette augmentation est destinée aux traitements du personnel enseignant.

Je conclus de cette déclaration faite par M. le ministre de l'intérieur que l'augmentation que nous allons voter sera acquise aux instituteurs, à partir du 1er janvier de l’exercice courant, de l'exercice 1862. Je désirerais que M. le ministre de l'intérieur s’expliquât à cet égard, parce que l'exposé des motifs ne s'énonce pas, sur ce point, d'une manière tout à fait claire. Je ne voudrais pas qu'on donnât aux instituteurs des illusions qui ne réaliseraient pas.

MVIµ. - Messieurs, pour répondre à la question posée par l'honorable M. Hymans et pour pouvoir indiquer clairement à quels besoins est destiné à satisfaire le crédit que la Chambre votera, je l'espère, il suffit de se rendre bien compte du système financier et du mode de répartition des subsides consacrés par la loi du 23 septembre 1842.

Avant la discussion du budget de l'exercice 1862 et à la suite des débats qu'il a soulevés, j'ai invité MM. les gouverneurs des provinces à vouloir bien s'enquérir d'une manière exacte de la position des instituteurs communaux, et à me faire connaître le montant des sommes nécessaires en 1862 pour suppléer à l'insuffisance des ressources locales destinées à augmenter les traitements de ces fonctionnaires ; j'ai déclaré en même temps que l'Etat interviendrait pour une part dans cette augmentation.

Les sommes demandées par MM. les gouverneurs s'élèvent ensemble à 345,163 fr. 98 c, chiffre du crédit que le gouvernement sollicite aujourd'hui. Ce crédit est donc destiné à couvrir l'insuffisance des ressources communales et provinciales ; il sera distribué en partie aux instituteurs, en partie consacré à solder d'autres dépenses relatives à l'instruction primaire ; mais le crédit de 345,163 fr. sera affecté tout entier à ce service ; les instituteurs primaires, je le répète, en profiteront nécessairement.

Un crédit de même importance sera demandé au budget de 1863 ; je fais même une réserve pour l'avenir, car il n'est pas certain que cette augmentation sera suffisante. S'il est reconnu en effet que la création d'écoles nouvelles, l'amélioration de la position des instituteurs ou d'autres branches du service nécessitent l'allocation de crédits plus considérable, je n'hésiterai pas à faire en ce sens une proposition à la Chambre, soit vers la fin de cette session, soit au commencement de la session prochaine.

M. Hymans, rapporteur. - Je remercie l'honorable ministre de l'intérieur de la déclaration qu'il a faite. Il est donc bien entendu que la part du crédit destinée à augmenter les traitements des instituteurs primaires leurs est acquise à partir du 1er janvier 1862.

MVIµ. - Certainement.

M. Hymans, rapporteur. - C'est tout ce que je désirais savoir ; et je voterai avec grand plaisir tous les crédits qui nous seront demandés pour améliorer la position pécuniaire des instituteurs communaux.

M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, je demande la parole uniquement pour rappeler à la Chambre une décision qu'elle a prise dans une séance antérieure. Lorsque l'ordre du jour a appelé la discussion du rapport de la commission qui avait examiné la pétition concernant le travail des enfants dans les manufactures, la Chambre a voulu, avant de procéder à cette discussion, attendre les explications de M. le ministre de l'intérieur.

Des explications ont été fournies par ce haut fonctionnaire, et il a été décidé, dans la même séance, que la discussion du rapport sur la pétition serait jointe à celle du crédit supplémentaire demandé pour le service de l'instruction primaire. Je rappelle ce fait au souvenir de la Chambre, afin que ceux de nos honorables collègues qui ont des idées à nous soumettre sur cette grave question, saisissent l'occasion qui leur en est offerte.

M. Sabatier. - Messieurs, lorsque j'ai demandé, il y a quelques jours, que la Chambre remît la discussion sur la question du travail des enfants dans tous les chantiers d'industrie au moment où l'on en arriverait soit au budget de l'intérieur à l'article « instruction primaire, » soit au projet que nous discutons aujourd'hui, j'ai fait valoir cette considération qu'il y avait un rapport intime entre l'âge auquel on devrait raisonnablement admettre les enfants dans l'industrie, le nombre d'heures pendant lesquelles on les retient quotidiennement au travail et la possibilité de leur donner l'instruction.

Il est de fait qu'une loi intervenant sur la matière et ayant pour conséquence de laisser désœuvrés des enfants que l'atelier repousse, serait beaucoup plus nuisible qu'utile. Loi deux choses sont donc inséparables, l'une est et doit être résolue par l'autre.

J'avais d'autant plus raison de m'exprimer de la sorte que les explications que vous a données l'honorable ministre de l'intérieur sur la question, soulevée par la pétition de Marchienne-au-Pont, expriment la même pensée, sont dirigées vers la même idée, et j'ajouterai que nous sommes l'un et l'autre on parfaite communauté d'idées avec l'honorable M. Van Humbeeck qui a fait, à propos de cette pétition de Marchienne, un excellent rapport.

Voici du reste comment on peut, me semble-t-il, résumer ces explications :

1° Les divergences d'opinions et les contradictions qui se sont manifestées dans la question du travail des enfants, sont telles, que la nécessite immédiate d'une loi est au moins douteuse ;

(page 59) 2° Dans aucun pays, à l’exception de ceux où l’instruction est obligatoire, on n'a pu combiner la question du travail et celle de l'instruction d'une manière utile ;

3° Attendons, en tout cas, que l’instruction primaire soit développée dans les moyens de la donner, précisément parce que les deux questions, travail et instruction, sont étroitement liées.

Comme vous le voyez, messieurs, la morale de ces explications est celle-ci : Occupons-nous sans relâche de l'instruction primaire ; et je dois dire que sous ce rapport le gouvernement met de la bonne volonté, et que j'ai entendu avec plaisir l'honorable ministre de l'intérieur déclarer en réponse à une interpellation que vient de lui faire M. Hymans, que si le crédit en discussion n'était pas encore suffisant, il en demanderait un nouveau avant la fin de la session.

Notre point de départ est donc le même, mais j'ajouterai que les progrès qu'ont réalisés beaucoup d'industries et, que d'autres réaliseront à leur tour, viendront puissamment en aide à la solution de la question et que c'est là, peut-être, que réside le remède le plus efficace, à la condition qu'il soit combiné avec l'instruction primaire, dût-elle être obligatoire.

Quant aux effets que j'attends des progrès réalisés et à réaliser dans l'industrie, je dirai comment, en cette matière, toutes les idées s'enchaînent :

1° Le progrès en industrie doit permettre de produire beaucoup en peu de temps, et doit amener infailliblement la limitation du nombre d'heures de travail quotidien et la hausse des salaires ; sans cela, il n'y aurait pas de progrès.

2° cette limitation rend seule possible l'instruction, et quand je parle de limitation ce n'est certes pas pour faire allusion à ce que le cercle commercial de Gand nous demandait naguère, c'est-à-dire 12 heures pour les jeunes gens de 12 à 18 ans.

Elle ne constitue pas un progrès social, attendu que 12 heures de travail représentent 14 heures de présence à l'atelier, et qu'à cette condition-là il y a impossibilité de se rendre à l'école, soit pour apprendre, soit pour ne pas désapprendre.

Je dis donc que les progrès de l'industrie, la haussa des salaires, l'instruction et la moralisation de la classe ouvrière se confondent dans une seule et même question. Ce sont, en quelque sorte, les quatre termes d'une proportion ayant entre eux des rapports inséparables et directs.

Evidemment cette théorie, qui consiste à mettre toute sa confiance dans les progrès de l'industrie stimulés par la liberté, n'est pas applicable partout et toujours, ce n'est pas une panacée universelle ; mais vous verrez, messieurs, qu'elle s'applique à la grande masse de nos populations ouvrières et surtout à la partie de ces populations au nom desquelles le Cercle commercial de Gand s’est adressé à nous et qui réclame si instamment une réforme,

Ne croyez pas, messieurs, que si je n'ai pas une foi bien grande dans la réglementation officielle, légale, du travail des enfants, je veuille indirectement défendre des abus qui se commettraient dans l'arrondissement dont j'ai l'honneur d'être l'un des représentants, ou échapper à la discussion sur la pétition de Marchienne. Loin de là, et je puis dire déjà que le bassin de Charleroi est tout à fait désintéressé dans la question ; je vais le prouver.

Une pétition nous a été adressée vers la fin de la dernière session par le conseil communal et d'autres habitants de Marchienne-au-Pont, demandant de prendre des mesures législatives pour la réglementation du travail des enfants.

Les pétitionnaires attirent particulièrement notre attention sur l'industrie houillère et. en somme pensent qu'il convient de fixer à 13 ans l'âge auquel les enfants pourraient descendre dans les mines, de limiter le nombre d'heures de travail et enfin, pour le cas où l'on doive employer simultanément le travail des hommes et des femmes, que l'on sépare complètement les sexes.

Messieurs, je rends un très sincère hommage aux sentiments qui ont dicté la démarche des pétitionnaires. Rien de plus digne de fixer l'attention de la Chambre sur cette importante question du travail des femmes et des enfants ; des enfants surtout, dont on a dît avec raison que, n'ayant pas leur libre arbitre, ils devaient être protégé, au besoin par une loi. La santé publique et la morale sont intéressées ici, et sans doute le problème qu'on nous convie de résoudre est d'intérêt social au premier chef.

La Chambre a souvent prouvé qu'elle le comprenait ainsi. Elle a voulu en diverses circonstances s'éclairer sur cette question, notamment lorsqu'elle a ordonné l’impression du rapport que nous a fait il y a trois ans l'honorable M. de Boe, et récemment encore, elle n'a pas attendu que l'honorable M. Van Humbeeck eût produit son travail ; elle en a aussi ordonné l'impression par avance afin de posséder des éléments de discussion.

C'est précisément à cause de l'intérêt que je suis certain de rencontrer ici que je crois pouvoir entrer dans quelques détails au sujet de la pétition qui nous occupe ; et d'abord je dirai que je suis heureux d'avoir à rectifier quelques appréciations des pétitionnaires.

Ils désirent évidemment que la question du travail reçoive une solution dans le pays entier, mais ils se convaincront, j'espère, que l'exemple qui leur a servi de thème n'est pas celui qui devrait fixer plus particulièrement notre attention.

Le conseil communal de Marchienne a été amené, dit-il, à s'adresser aux Chambres, parce qu'on a pu constater, aux derniers conseils de milice, que, dans plusieurs communes de l'arrondissement de Charleroi, la croissance s'est arrêtée avant l'âge ; la jeunesse semble étiolée et il craint que la faculté laissée aux enfants de descendre dans les mines, dès l'âge de 10 ans, ne compromette la santé et n'abâtardisse la race, au point de rendre la plupart des conscrits ignares et impropres au service.

Je reconnais que des enfants et î 10. ans se font délivrer un livret, mais l'erreur des pétitionnaires est de croire que nécessairement ces jeunes enfants descendent dans les mines. La vérité est que dans les travaux de fond des charbonnages on n'admet pas d'enfants ayant moins de 12 ans. Depuis longtemps déjà l'administration des mines, si soigneuse de tout ce qui peut améliorer les conditions de. travail des ouvriers, s'est entendue officieusement avec les exploitants à ce sujet. Du reste, pour être vrai, je dirai aussi qu'avant 12 ans les enfants ne peuvent rendre aucun service dans les travaux des mines et que la mesure dont je parle a été prise sans de grands efforts.

Si quelque exception pouvait être citée, elle ne concernerait que des enfants très forts, très bien constitués et auxquels on ne pourrait raisonnablement refuser l'accès des mines.

Mais, dira-t-on, que fait-on des enfants qui ont pris un livret à 10 ou 11 ans ? Ceux-là, messieurs, sont employés au ramassage des pierres dans le charbon.

Ce n'est pas un travail sérieux qu'on leur impose, ils le font pour ainsi dire en jouant. Ils sont à la tâche, mais dans la quantité de besogne qu'ils font, et ceux qui demandent à aller une ou deux heures à l'école sont autorisas à s'y rendre.

Quant à la limitation du nombre d'heures de travail, elle varie dans le Hainaut de 8 à 10 effectives ce qui exige 10 ou 12 heures de présence dans les travaux, Nous sommes donc loin d'avoir à réclamer, comme l'a fait l'industrie textile pour que le nombre d'heures soit réduit à 12 effectives ou 14 de présence à l'atelier, nous n'avons rien à envier aux autres provinces, du moins sous ce rapport.

J'arrive à ce que demandent les pétitionnaires sous le rapport de la séparation des sexes et me vois forcé d'entrer dans quelques explications techniques.

Lorsqu'un puits est creusé, on dirige une espèce de tunnel vers la veine, c'est la galerie de traînage ; c'est vers cette galerie que doivent être amenés les petits waggons de charbon, traînés ensuite, généralement du moins, par des chevaux.

Dans quelques parties des travaux où l'on ne peut employer les chevaux au traînage on prend des femmes ; mais il est à remarquer qu'elles ont une tâche toute différente de celle des hommes.

Elles sont occupées dans les parties des travaux les plus fréquentées, et sont constamment sous les yeux des surveillants. Elles n'ont de relations avec les ouvriers que quand elles viennent au travail ou quand elles s'en retournent. Il est certaines occupations pour lesquelles les femmes ont plus d'aptitude que les hommes. On les utilise spécialement pour accrocher les petits waggons, serrer les freins sur les plans inclinés automoteurs, élever au moyen de mannes les terres provenant du coupage des voies, pour effectuer le remblai des tranchées exploitées. Elles font aussi le service des treuils, servant à l'enfoncement des turquins ou des puits.

Je conçois que l'on exprime le désir de ne plus voir descendre les femmes dans les travaux des mines ; mais hélas ! il y en a, dans le bassin de Charleroi seul, 4,400 sur 30,000 ouvriers, et il serait aussi difficile de leur donner de l'occupation en dehors des mines que de les remplacer par des hommes Quant aux faits immoraux que l'on pourrait craindre de voir commettre par la classe des ouvriers industriels et plus spécialement par les ouvriers des mines, je dirai simplement que la statistique des enfants naturels prouve que dans les campagnes, dans les pays purement agricoles, c'est-à-dire là où semblent devoir régner toutes les vertus, le nombre en est tout aussi grand que dans les pays d'industrie.

Je vous avouerai, messieurs, que lorsque j'ai eu connaissance de ce que disait la pétition de Marchienne des résultats fâcheux des derniers (page 60) recensement de la milice, j'ai voulu faire une comparaison avec ceux obtenus ailleurs. J’ai donc ouvert les renseignements statistiques que nous remet chaque année le département de l'intérieur, et voici ce que, fort heureusement pour le Hainaut, j'ai trouvé :

En 1860 il n'y a pas eu un seul milicien de notre province exempté définitivement pour défaut de taille.

Quant à ceux exemptés provisoirement pour défaut de taille, la proportion pour le Hainaut est de 5 1/2 p. c. tandis que dans la Flandre orientale elle est de 11 1/2 p. c. ; dans la Flandre occidentale de 9 p. c. ainsi que dans la province de Liège, de Brabant et d'Anvers.

Les difformités ou infirmités ont donné lieu aux exemptions définitives suivantes :

Hainaut 3 1/2 p. c. ; Flandre occidentale, 7 1/2 p. c. ; Province d'Anvers, 6 p. c. ; Brabant, 6 p. c. ; Flandre orientale, 6 p. c. et province de Liège 4 1/2 p. c.

Enfin pour les malades ou infirmes des exemptions d'un an ont été accordées ;

Dans le Hainant, à 2 p. c. des miliciens inscrits ; dans la province d’Anvers, à 4 1/2 p. c. ; dans le Brabant, à 4 1/2 ; dans la Flandre occidentale, à 7 p. c. ; dans la Flandre orientale, à 4 1/2 p. c., et dans la province de Liège, à 2 3/4 p. c.

Il me semble que nous ne sommes pas trop mal partagés et que les craintes que l'on pourrait manifester à l'égard de la santé de nos classes laborieuses ne sont pas fondées.

Pour épuiser le sujet, je dois entretenir la Chambre des conditions de salaires faites aux ouvriers des houillères du Hainaut, et les comparer avec les chiffres correspondants des provinces de Namur et de Liège.

Les ouvriers du fond ont dans le Hainaut une moyenne de 3 francs 23 centimes par jour. Dans la province de Liège, 2 fr. 49 c., et dans la province de Namur, 2 fr. 84 c. Les femmes touchent respectivement pour les travaux du fond : 1 fr. 96 c, 1 fr. 47 c, et 1 fr. 42 c.

Je n'entrerai pas dans plus de détails, dans la crainte d'abuser des moments de la Chambre. Je tiens seulement à faire remarquer que dans toutes les industries, ou à peu près, du Hainaut, les salaires sont très élevés et que l'on s'en félicite.

Dans les moments de crise même, les salaires ne baissent pas parce que cette situation fâcheuse n'atteint pas les quantités, elle n'atteint que les prix de vente. C'est la conséquence inévitable de la concurrence étrangère ; plus nous souffrons, plus nous cherchons à produire, et le progrès industriel, qui fait notre force et notre sécurité, amène la réglementation spontanée des heures de travail.

Le salaire total moyen est, pour le bassin de Charleroi, de 750 francs ; il comprend tous les ouvriers indistinctement, hommes, femmes et enfants. Je doute qu'on en puisse citer autant pour d'autres industries où l'on emploie également un certain nombre de jeunes gens de 12 à 18 ans.

D'où est provenue cette bonne situation pour nos populations des mines ; elle est due à ce que les moyens de transport nous permettent d'expédier au loin nos produits et à l'accès facile que leur accordent la France et la Hollande sous le rapport du droit de douane.

,e dois cependant, bien à regret, ajouter que l'industrie des mines se développerait davantage dans le bassin de Charleroi, si le gouvernement, par une anomalie sans nom comme sans excuse, ne l'entravait par des tarifs différentiels, tant sur les canaux que sur les chemins de fer au détriment tout spécial des consommateurs de la hausse plus grande encore du salaire et des intérêts des exploitants. Nous aurons à revenir sur ce sujet incessamment, à propos du budget des voies et moyens ou de celui des travaux publics.

Dans le Hainaut donc, se résout cette question de la possibilité de recevoir l'instruction. Reste à résoudre celle de la donner d'une manière convenable. Sous ce rapport, je l'avoue, quels que soient les efforts des industriels, les sacrifices qu'ils font, l'aide que nous recevons même des caisses de prévoyance, il reste beaucoup à faire, et c'est là que commence le devoir du gouvernement et des communes.

Messieurs, je vais envisager maintenant ce double problème du travail industriel et de l'instruction d'une manière plus générale en prenant pour point de départ la requête que nous a adressée, il y a trois ans, le Cercle commercial et industriel de Gand. Je suis tout à fait dans la question, puisque je défends cette idée que si l'on n'arrive pas à limiter spontanément le nombre d'heures de travail au-dessous de ce qui a été demandé, nous n'aurons pas fait un pas vers l’instruction.

Le gouvernement a été amené à reprendre l'étude de la question du travail dans les manufactures à propos même de la pétition dont je parle, et c'est en suite d'un excellent rapport que fit alors l'honorable M. de Boe qu'un avant-projet de loi fui soumis à l’examen des chambres de commerce et des députations permanentes du pays.

Pour faire apprécier les observations que j'ai à présenter à ce sujet il convient, me paraît-il, de rappeler ce que disait le Cercle commercial de Gand, du moins en substance : Des abus se commettent ; nous admettons des enfants trop jeunes dans les ateliers ; nous les faisons travailler un trop grand nombre d'heures ; donnez-nous des armes contre nous-mêmes afin que nous réprimions ces abus et que nous soyons tous placés sur le même pied.

C'est la concurrence qui nous entraîne malgré nous, etc., etc., etc.

Pour mettre le plus de suite dans mes idées, je crois bon, pour n'avoir pas à revenir à l'avant-projet de loi, d'expliquer pourquoi il est si difficile de trouver une formule, en cette matière, qui satisfasse tous les intérêts.

Il s'agissait d'abord de fixer l'âge auquel on pourrait désormais admettre les enfants. Presque toutes les autorités consultées semblaient opter pour 12 ans ; mais je vous demanderai, messieurs, si sérieusement on peut prétendre que, dans tous les cas et dans toutes les industries, il soit indispensable à la santé des enfants de ne pas les admettre au travail avant cet âge. Viendra-t-on soutenir que dans l'exemple que j'ai cité du ramassage des pierres dans le charbon, il faille priver les parents du salaire que peuvent réaliser sans efforts, en jouant, pour ainsi dire, des petites filles et des petits garçons de 10 et 11 ans ? Evidemment non.

Mais de quel droit peut-on empêcher des enfants de gagner un salaire si utile, si nécessaire dans bien des ménages, sans autre raison qu'une réglementation qui convient aux uns et ne concerne pas les autres ?

Dans les industries diverses auxquelles on se livre en Belgique, je pourrais citer bien des cas où la loi serait injuste, arbitraire, sans profit pour personne, inutile même au point de vue de l'instruction, attendu que pour de jeunes enfants les industriels peuvent spontanément limiter considérablement le nombre d'heures de travail sans que cela jette le trouble dans l’atelier et en permettant au moins de cette manière l'accès de l'école.

On nous propose de limiter à 12 heures le travail effectif pour des jeunes gens de 12 à 18 ans. Mais ce n'est pas là un progrès social. Jamais on ne décorera de ce nom une mesure qui oblige ces jeunes gens à faire acte de présence à l'atelier pendant 14 heures. Pour remplir cette condition qu'on présente comme un progrès social et que j'appelle inhumaine, les enfants doivent se lever à 5 heures et ne rentrent généralement chez eux, le soir, qu'à 9 heures. Comment dès lors leur donner de l'instruction ou empêcher qu'ils n'oublient en très peu de temps ce qu'ils ont appris ?

La question du nombre d'heures, comme celle de l'âge, a donné lieu à pour ainsi dire autant de législations qu'il y a de pays. Rien d'absolu conséquemment en cette matière, et nous devons attendre des secours ailleurs que dans une loi pour la résoudre.

Le travail du dimanche, ou plutôt le repos du dimanche est-il applicable en tout et partout ? Pas davantage, et l'on peut citer bon nombre d'industries qui ne chôment pas. Celles qui chôment même le dimanche, ont besoin de ce jour pour des réparations urgentes, le nettoyage des chaudières, l'entretien des outils, des métiers. Et si l'on n'opérait pas ce nettoyage, cet entretien le dimanche, il faudrait, bon gré, malgré, le, faire le lundi, au détriment de la classe ouvrière surtout.

Quant à la réglementation des heures de travail par les administrations communales, elle est tout bonnement impossible parce qu'il arrive souvent que, dans une famille, les enfants et les parents ne travaillent pas dans la même usine et dans la même commune. En somme, je ne crois donc pas possible d'édicter immédiatement une loi, et j'arrive au moment de mon discours où je dois entrer dans le développement de la thèse que j'ai indiquée en commençant.

Je dis que les abus que le Cercle commercial de Gand a lui-même signalés disparaîtront un peu à la fois par le seul effet du progrès industriel, stimulé par une plus grande liberté commerciale et que cette anomalie, qui consiste à prétendre que c'est la concurrence que se font entre eux les fabricants, qui les entraîne à prolonger outre mesure le nombre d'heures de travail, disparaîtra tout d'abord. Ce motif donné par Gand semble au premier aspect si extraordinaire, il donne aux principes du libre échange un si flagrant démenti, que je prie la Chambre de me prêter un moment de sérieuse attention, pour que je puisse lui exposer d'où vient cette anomalie apparente.

Je crois d'autant plus devoir entrer dans des explications à ce sujet que j'ai retrouvé cette même idée des conséquences de la concurrence, dans une lettre adressée, il y a trois jours, par M. Audiganne au journal l'Indépendance pour féliciter l'auteur des articles que nous y avons lus sur la question du travail des enfants dans les manufactures.

(page 61) Voici ce que dit cet économiste en parlant des causes qui ont amené le plus ou moins de succès de la loi française de 1841 : « La concurrence industrielle rendait tout mauvais exemple essentiellement contagieux. »

C'est que, messieurs, la concurrence est de deux sortes et peut produire des effets diamétralement opposés.

Dans les pays où dominent les idées protectionnistes, les progrès en industrie sont nuls ou à peu près. Au contraire, là où fleurit la liberté commerciale, l'industrie se développe sous l'influence bienfaisante de la lutte avec l'étranger.

La concurrence se produit donc sur le marché intérieur ou en dehors du pays.

Dans le premier cas, la consommation étant restreinte au pays même par l'excès de la protection, il s'ensuit que si quelques fabricants, par exemple, absorbent d'importantes commandes, les autres producteurs doivent restreindre leur fabrication, toujours parce qu'ils manquent de débouchés à l'extérieur, et dès lors, il y a dans quelques établissements surcroît de travail et dans d'autres il y a pénurie. Qu'en résulte-t-il ? C'est que l'on retient une partie des ouvriers outre mesure au travail pour l'exécution des commandes, et qu'ils ne peuvent pas s'y refuser, parce que la totalité du travail est restreinte et que les ouvriers qui ne montreraient pas toute la bonne volonté possible en seraient punis, et l'on conçoit qu'un pareil état de choses ne soit pas favorable aux salaires.

Dans le second cas, il y a pour l'industriel obligation de faire des progrès. Ce ne sont plus les commandes qui font défaut, c'est la possibilité de les exécuter. Un vaste marché s'ouvre, mais avec lutte ; l'outillage est amélioré, la production se développe et la main-d'œuvre, au lieu d'être offerte, est demandée. Quelle est dès lors la première expression, le premier effet de cette situation ? C'est de présenter aux ouvriers de meilleures conditions de travail. Ici la concurrence change de face, elle s'adresse au salaire et l'augmente ; elle diminue le nombre d'heures de travail au heu de le prolonger ; l'aisance pour l'ouvrier succède à la misère, il se nourrit plus convenablement et en devenant plus robuste, il produit davantage, apporte son contingent aux améliorations et alors seulement commence pour les ouvriers de tout âge la possibilité de s'instruire.

Tout cela est-il le produit de mon imagination ? Non, messieurs et les preuves ne me font pas défaut.

L'industrie qui jusque dans ces derniers temps a été la plus protégée, l'industrie du coton, n'est-elle pas celle qui réclame une loi sur la réglementation du travail, et dira-t-on qu'elle rétribuait convenablement ses ouvriers ?

Des ateliers de construction ont été montés, il y a quelques années déjà, dans les environs de Charleroi, près de Marchienne, par la compagnie du Nord. D'autres ateliers existent non loin de là. Que fait la compagnie du Nord pour attirer à elle les ouvriers ? Elle a réduit le nombre d'heures de travail à 10 et dans ces 10 heures on produit tout autant qu'en 11 heures auparavant. Evidemment, l'effet du progrès sur la possibilité de recevoir l'instruction, est ici évident ; la limitation des heures de travail résout la difficulté !

Un honorable membre de cette Chambre pourra affirmer ce fait, qu'en 58 heures des tisserands produisent, en ce moment, tout autant qu'en 72 heures, il y a six mois. Nouvelle preuve qu'on prolonge sans profit ni pour le maître, ni pour l'ouvrier, le nombre d'heures de travail.

Le rapport fait au Cercle commercial de Gand sur la question qui nous occupe reconnaît du reste qu'il y a avantage à ne pas dépasser un certain nombre d'heures de travail. Il cite à l'appui de la thèse ce qui se pratique en Angleterre, et je vais le faire à mon tour. A ceux donc qui pourraient douter du bien-être qui doit résulter pour l'ouvrier de la libre concurrence, à ceux qui n'admettent pas que le progrès en industrie a pour effet de hausser les salaires tout en diminuant le nombre d'heures de travail quotidien, je conseillerai de recourir à l'enquête qui s'est ouverte en France en 1860 pour juger des conséquences du traité conclu entre ce pays et l'Angleterre.

Cette enquête, que l'on ajustement nommée une haute cour industrielle et dans laquelle sont venus déposer les plus grands industriels d'Angleterre, de France, de l'Allemagne, de Suisse et de Belgique : cette enquête, dis-je, est pleine d'enseignements.

Les industriels pressés de questions ont reconnu que l'on produisait plus en Angleterre en 58 heures par semaine qu'ici en 72 heures. Ils ont reconnu que les salaires étaient plus élevés en Angleterre que partout ailleurs et que cependant, grâce aux progrès réalisés dans ce pays, chaque unité de production coûtait moins.

Ainsi donc, messieurs, vous le voyez, le progrès amène la hausse des salaires, un travail moins prolongé, la possibilité de s'instruire et sur ce dernier point il a été constaté que depuis l'ouverture des écoles du soir en Angleterre un nombre considérable d'ouvriers recherchent l'instruction. Pourquoi n'en serait-il pas de même en Belgique ?

Eh bien, supposons-le ; admettons que les heureux effets du progrès industriel se réalisent chez nous, je devrais dire, continuent de se réaliser, car l'honorable M. Orts l'a prouvé dans la discussion du traité avec l'Angleterre, à mesure que la douane a abaissé ses barrières, l'industrie s'est remarquablement développée, supposons que le gouvernement et les communes fassent en sorte que l'instruction soit possible, que des écoles nouvelles s'ouvrent, que l'on ait de bons instituteurs en nombre suffisant, qu'arrivera-t-il ? Les ouvriers recevant de l'instruction comprendront que leur intérêt est intimement lié à celui du maître, ils acqueront des idées d'ordre, d'économie, ils songeront à l'épargne ; le sentiment de la propriété se développera chez eux, enfin ils sentiront leur force et leur utilité, et en contribuant par cela même aux progrès de l'industrie, Ils verront leur salaire augmenter sans cesse.

Nous n'assisterons plus alors à ce désolant spectacle d'ouvriers en temps de crise ou d'émeute cherchant à briser l'outil qui les fait vivre, se coalisant pour empêcher l'introduction de métiers perfectionnés. On comprendra alors ces deux grandes, vérités économiques, la protection tue le salaire, la perfection des outils, amenée par la libre concurrence, développe l'industrie, ouvre des débouches nouveaux, permet par cela même l'emploi de plus de bras et augmente le bien-être de la classe ouvrière.

Je sais que cette instruction que j'invoque est bien loin d'être assez répandue, je reconnais qu'il faudra beaucoup de temps encore pour que mes aspirations deviennent la réalité. Il n'est que trop vrai que les ouvriers ne sont pas encore préparés à recevoir de gros salaires, ils ne croient pas encore à la continuité de la situation nouvelle qui s'est créée pour eux. Ils dépensent souvent au cabaret cet argent qui leur vient parfois si facilement ; mais c'est précisément pour cela qu'il est du devoir du gouvernement et des communes de faire les sacrifices les plus larges en faveur de l'instruction primaire.

Celle-ci doit d'abord être possible ; elle doit ensuite être attrayante, pour me servir de l'expression dont se servait l'honorable M. Rogier en 1859 lorsque survint à la Chambre la discussion sur une pétition de Saint-Josse-ten-Noode demandant d'inscrire dans la loi le principe de l'instruction obligatoire.

Je termine ici, messieurs, mes observations et je me résume.

J'ai tâché de démontrer que, mieux qu'une loi, le progrès industriel, stimulé par la concurrence aiderait puissamment à la solution de ce difficile problème du travail combiné avec l'instruction. J'ai, je pense, prouvé en tout cas, que fixer à 12 heures le travail quotidien des jeunes gens de 12 à 18 ans, ne réalisait pas un progrès social et ne résolvait nullement la question de l’instruction inséparable de celle du travail. Que les industries qui reconnaissent que des abus se commettent quant au nombre d'heures de travail en rapport avec l'âge des enfants aient le courage de les réprimer.

Les progrès en industrie amèneront spontanément la limitation des heures de travail. Ces progrès déjà sont beaucoup plus avancés que ceux de l’instruction.

Les autorités que la chose concerne sont donc en retard ; développons sans relâche l'instruction ; rendons-la possible d'abord, attrayante ensuite et si ces deux conditions ne suffisent pas, nous verrons s'il y a lieu plus tard de la rendre obligatoire.

M. Rodenbach. - Messieurs, le discours de l'honorable préopinant est très remarquable, et je pense que vous serez tous d'avis qu'il est frappé au coin d'un véritable talent. Cependant, messieurs, il me semble que, dans la statistique, l'honorable membre a commis quelques erreurs, et il me sera facile d'expliquer pourquoi les ouvriers anglais sont supérieurs aux ouvriers belges sous le rapport du travail.

L'honorable membre a parlé de la Flandre occidentale. Je veux bien admettre qu’il y ait dans cette province plus de miliciens réformés que dans l'arrondissement de Charleroi ; mais, messieurs, cela provient surtout de la différence des salaires : ce sont les bons salaires qui donnent les bons aliments et les bons aliments donnent la santé. Le pays de Charleroi, nous le savons tous, est un des pays les plus riches peut-être de l'Europe, et c'est, à coup sûr, l'arrondissement le plus riche de la Belgique. Ce n'est que depuis trente ans qu'on y trouve des millionnaires arrivés là comme par enchantement.

Je dis donc que quand on gagne 3 francs et plus par jour, comme nous l'a dit l'honorable préopinant, cette situation est très favorable, comparée à celle de l'ouvrier de la Flandre occidentale. Je puis affirmer que dans cette province, où il y a le plus de miliciens réformés, la moyenne du salaire ne s'élève pas à plus d'un franc.

Il est une époque, qui n'est pas éloignée de nous, ou l'on mourait de (page 62) faim dans les Flandres, Les populations qui ont vécu dans ces temps de misère affreuse, ne jouissent pas encore d'une force physique égale à celle dont vient de parler l'honorable député de Charleroi.

L'honorable préopinant a invoqué la statistique. Eh bien, l'ouvrier anglais fait beaucoup plus de travail que l'ouvrier belge. Mais pourquoi ? Parce qu'il est infiniment mieux nourri. Dans les Flandres, l'ouvrier mange très peu de pain et guère de viande ; il est réduit presque exclusivement à la pomme de terre, et avec la pomme de terre seule, l'homme ne peut pas vivre ou ne peut vivre que très misérablement. Ce n'est pas mon opinion seule, mais celle de savants célèbres tels que Magendie et autres docteurs, profondément versés dans la matière.

Si j'ai bonne mémoire, en Belgique, la moyenne de la consommation de la viande n'est que de 10 kilogrammes par an ; en France, elle est de 20 ; en Angleterre, de 70 ; aux Etats-Unis, elle est même de 120 ; cette statistique, si mes souvenirs sont fidèles, a été produite dans les colonnes de l'Indépendance. J'ai lieu de croire qu'elle est exacte.

Eh bien, messieurs, il faut convenir que l'ouvrier qui mange de la viande peut faire beaucoup plus de travail que l'ouvrier flamand dont l'ordinaire est presque toujours la pomme de terre.

Est-il étonnant, après cela, que parmi nos ouvriers flamands, réduits à une semblable alimentation, on trouve des individus étiolés et rachitiques ?

Nous ne devons pas même aller chercher nos exemples dans les Flandres. Prenons la capitale du pays. Dans le bas de la ville, on trouve autant da conscrits réformés que dans les Flandres. Bruxelles est réputé une ville très salubre. Eh bien, la statistique nous apprend que, dans le haut de la ville, il meurt par an un individu sur 43, tandis que dans le bas de la ville, il meurt un individu sur 30 ; pourquoi cette différence ? Parce que le bas de la ville est insalubre, parce qu'il est traversé par la Senne, qui n'est pas saine.

Messieurs, les autres détails statistiques dans lesquels l'honorable membre est entré, s'appliquent aux capitales, aux grands centres de population. Je sais que partout il y a beaucoup moins d'enfants naturels à la campagne que dans les villes. En Belgique, dans les communes rurales, Il y a approximativement un enfant naturel sur 16, tandis qu'à Bruxelles il y en a 1 sur 8 ; à Londres, sur une population de 2 millions et demi, vous avez 1 enfant naturel sur 3 ; à Paris, 1 sur 4 ; à Saint-Pétersbourg, 1 sur 5 ; mais dans les campagnes, je le répète, vous n'en avez qu'un sur 16.

Je me bornerai à ces observations ; il m'est impossible de répondre, pour le moment, à toutes les parties du long et remarquable discours prononcé par l'honorable membre. Je n’ai pas pu tenir note de tous les chiffres qu'il a donnés, de toutes les assertions qu'il a émises. Mais je crois cependant avoir rencontré les arguments principaux de l'honorable membre, et d'autres orateurs se lèveront sans doute pour lui répondre.

M. Coppensµ. - Messieurs, vous ne vous attendez pas sans doute à un discours de ma part, en réponse au discours complet qu'à l'occasion d'un crédit supplémentaire proposé par le gouvernement pour le service de l'instruction primaire, l'honorable M. Sabatier vient de prononcer sur la théorie de la protection et de la liberté du commerce et des conséquences qu'il en déduit en faveur de ce dernier système.

Je pense que pas un de nous ne s'attendait à voir se relever une discussion sur cette grave question.

Je me bornerai donc à rencontrer quelques faits.

Le salaire que l'industrie gantoise donne à ses ouvriers équivaut au moins à celui que l'industrie charbonnière de Charleroi donne aux siens.

Du fait de 45 heures de travail, avancé par l'honorable membre, je tire la conséquence que nos ouvriers gantois pourraient même excéder le salaire des ouvriers charbonniers de Charleroi en travaillant aussi activement que dans le moment actuel, alors que les circonstances permettraient de les occuper 72 heures par semaine.

Je constate que le travail qu'on a fait chez moi en 40 ou en 45 heures est bien plus considérable par heure que celui qui est produit par heure dans le système de 72 heures par semaine.

J'ai donc le droit de dire que l'industrie gantoise paye ses ouvriers, en temps normal, aussi bien que l'industrie charbonnière de Charleroi, quand l'ouvrier industriel veut mettre à profit les heures complémentaires à parfaire la semaine, dans la mesure de sa production actuelle.

Le Cercle commercial et industriel de Gand a pris l'initiative pour provoquer une disposition législative, tendante à fixer à limiter les heures de travail dans les usines et dans les manufactures, et à l'âge d'admission des enfants.

J'ai la conviction que si nos ouvriers avaient une meilleure éducation, ils nous fourniraient, par un travail actif de dix à onze heures par jour, une quantité mieux faite et au moins aussi forte, que celle qu'ils ont produits jusqu'à ce moment en y mettant deux heures par jour de plus.

Nous aussi, messieurs, nous avons constaté maintes fois qu'un travail quotidien de treize à quatorze heures est une chose inhumaine et tout à fait inutile.

Voilà, messieurs, ce que j'avais à répondre à l'honorable M. Sabatier. Ne m'attendant pas à une pareille discussion à propos du projet de loi qui nous est soumis, vous comprenez que je ne m'y étais point préparé et que je doive me borner pour ce moment à ces quelques considérations générales.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. le président. - Je dois faire remarquer à la Chambre que demain les sections se réunirent pour examiner le budget de la guerre et qu'il y a également réunion de deux sections centrales. A quelle heure la Chambre veut-elle se réunir demain ?

- Voix nombreuses. - A trois heures.

- Cette heure est adoptée.

La séance est levée à 4 1/2 heures.