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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 14 janvier 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 207) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal, à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les gardes champêtres, dans le canton de Fexhe-Slins, prient la Chambre de voter une loi qui fixe le minimum de leur traitement, ou d'ordonner que la députation permanente porte d'office une augmentation de traitement au budget de la commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


» Les employés inférieurs de l'administration provinciale de Namur demandent qu'on leur accorde un minimum de traitement égal à celui des employés inférieurs des autres administrations de l'Etat. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« D'anciens employés des douanes demandent une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Christophe, ancien gendarme à cheval, congédié pour infirmités contractées au service, demande une place de garde d'une propriété nationale ou tout autre emploi de ce genre, ressortissant à l'administration de l'Etat. »

- Même renvoi.


« Le chef de bureau et les employés du commissariat de l'arrondissement de Thielt-Roulers prient la Chambre d'améliorer leur position. »

M. le Bailly de Tilleghem. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale chargée de l'examen du budget de l'intérieur pour 1863.

M. Rodenbach. - J'appuie fortement cette demande.

- Cette proposition est adoptée.


« M. le docteur Durant fait hommage à la Chambre de 5 exemplaires de son mémoire sur les conseils de discipline médicaux. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« Le sieur Koninck adresse à la Chambre 117 exemplaires de la brochure intitulée : L'Etat de Costa Rica. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, trois demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

« M. de Lexhy, obligé de s'absenter pour des affaires urgentes, demande un congé. »

- Accordé.

Projets de loi augmentant le traitement des professeurs d’université, des inspecteurs provinciaux de l’enseignement primaire, des membres des députations permanentes et des greffiers provinciaux

Dépôt

MVIµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi ayant pour objet d'augmenter le traitement des professeurs ordinaires et extraordinaires près des universités de l'Etat ; un projet de loi augmentant le traitement des inspecteurs provinciaux de l'enseignement primaire et les indemnités accordées aux inspecteurs cantonaux du même enseignement ; enfin un projet de loi ayant pour objet d'augmenter le traitement des membres des députations permanentes et des greffiers provinciaux.

Tous ces traitements, messieurs, étant fixés par la loi, il a fallu présenter de nouveaux projets de lois pour les modifier.

Si la Chambre n'y voit pas d'inconvénients, je la prierais de vouloir bien renvoyer ces projets de lois à la section centrale chargée de l'examen du budget de l'intérieur.

- Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur de ce dépôt, et le renvoi à la section centrale chargée de l'examen du budget de l'intérieur est décidé.

Projet du loi relatif aux traitements de la magistrature militaire

M. Carlier. - Messieurs, avant d'entrer dans les développement de l'amendement que j'ai déposé, je dois déclarer que si la section centrale chargée de l'examen du projet de loi en discussion avait trouvé bon d'introduire à la suite de ce projet de loi, comme à la suite de celui concernant l'augmentation des membres de l'ordre judiciaire, un article 4 déclarant que la fixation des traitements établis par cette loi serait révisée dans la loi d'organisation judiciaire, je n'aurais pas présenté cet amendement ; mais comme cela n'a pas été fait, je crois, messieurs, devoir vous soumettre les raisons qui m'ont engagé à proposer cet amendement.

Lorsque le projet de loi relatif à l'augmentation des traitements des membres de la magistrature militaire a été soumis à la section centrale, deux membres de cette section ont cru devoir y proposer un amendement et demander que le traitement de ces magistrats fût augmenté dans une proportion assez notable.

Vous connaissez tous, messieurs, les raisons qui ont été déduites devant la section centrale, et je ne crois pas devoir y revenir.

D'ailleurs, l'amendement que je vous soumets, messieurs, ne représente pas complètement celui qui a été soumis à le section centrale. Il ne le reproduit que dans la partie qui concerne MM. les auditeurs militaires.

Le motif qui m'a porté à restreindre mon amendement aux auditoriats militaires est que, rencontrant dans la loi du 22 janvier 1849, une organisation toute spéciale pour la haute cour et ne connaissant pas personnellement quelle est la nature des travaux de la haute cour et quelle est l'étendue de la besogne que ces travaux lui font incomber, je n'ai pas cru pouvoir soutenir les raisons qui ont été déduites devant la section centrale à l'appui de la partie de l'amendement qui concernait l'auditeur général et son substitut.

Je me borne donc, et je vous prie de le remarquer, à vous soumettre un amendement qui augmente de 1,000 fr. le traitement proposé pour MM. les auditeurs militaires de première et de deuxième classe.

Je crois, messieurs, que lorsque la section centrale a repoussé l'amendement dont il s'agit, elle n'a pas envisagé la question à tous les points de vue et qu'il existe certains aperçus qui, s'ils lui avaient été soumis, eussent modifié le vote qui a accueilli cet amendement.

C'est à ce point de vue que je compte me placer, et je pense que ce que j'aurai l'avantage de vous dire à ce sujet, ne sera pas complètement inutile pour modifier la première impression que vous avez semblé manifester hier sur mon amendement.

L'assimilation qui devrait être faite entre MM. les auditeurs militaires et les membres de l'ordre militaire devrait, comme en matière d'organisation judiciaire, égaler constamment le magistrat de l'ordre militaire au président du conseil de guerre devant qui ce magistrat est appelé à porter la parole. De hautes raisons de convenance ont fait admettre comme une règle générale dont ou ne s'est jamais départi, que les magistrats exerçant les fonctions de ministère public près d'un siège quelconque, qu'il soit procureur du roi, qu'il soit procureur général près la cour de cassation ou près la cour d'appel, jouit d'un traitement égal à celui du président de la juridiction vis-à-vis de laquelle il a à fonctionner. Je le répète : ce sont des raisons de haute convenance qui m'ont fait décider ainsi et qui ont fait poser cette règle générale.

Pourquoi n'en est-il pas de même à l'égard des auditeurs militaire, et pourquoi, lorsque l'auditeur militaire siège devant un conseil de guerre qui constamment est présidé par un lieutenant-colonel ou un major, le traitement de cet auditeur militaire n'est-il pas complètement assimilé au traitement de lieutenant-colonel ou tout au moins au traitement de major ?

(page 208) Vous pouvez voir par les propositions qui sont faites dans le budget de la guerre que l’on se propose de porter le traitement des majors d'infanterie à 5,500 fr., et le traitement des majors de cavalerie ou d'armes savantes à 6,500 fr. ; quant au traitement du lieutenant-colonel, il sera pour l'infanterie, de 6,500 fr., et pour la cavalerie et les armes savantes, de 7,100 fr.

Lorsque je compare à ces traitements celui que l'on propose pour les auditeurs militaires de première et de deuxième classe, je trouve qu'il y a une distance fort grande entre le traitement du président du conseil de guerre et le traitement du magistrat qui est appelé à y porter la parole comme ministère public. Cependant les raisons de convenances me semblent être les mêmes en ce qui concerne la magistrature militaire et la magistrature civile.

Il y a plus.

Dans notre siècle la considération que l'on attache à certaines fonctions se mesure malheureusement trop souvent d'après les traitements attachés à ces fonctions.

Eh bien, comment se fait-il qu'à ce point de vue le président du conseil de guerre ait sur l'auditeur une sorte de privilège que n'a pas le président d'une juridiction civile ?

Comment se fait-il que l'auditeur militaire n'aura que 6,000 francs, s'il appartient à la première classe et 5,000 francs s'il appartient à la seconde classe quand les présidents des conseils de guerre reçoivent des traitements bien plus élevés ?

Il y a là un oubli de la règle qui a été constamment suivie ailleurs.

Si j'examine, messieurs, quelle était autrefois la position des auditeurs militaires et par quelles vicissitudes ils en sont venus à devoir élever vis-à-vis de la Chambre la réclamation dont je m'occupe actuellement, je trouve que d'après l'arrêté du 25 octobre 1816, sous le gouvernement des Pays-Bas, le traitement des auditeurs militaires était, dans la province d'Anvers, de 4,656 francs, dans le Brabant, de 7,830 fr., dans les Flandres, le Hainaut, le Limbourg, la province de Namur et le Luxembourg, de 5,080 francs, et dans la province de Liège, de 4,650 francs.

Si l'on compare ces traitements avec ceux qui ont été ensuite accordés à MM. les auditeurs et même aux traitements qu'on se propose de leur accorder aujourd'hui, on doit reconnaître que les auditeurs militaires ont subi, pendant près de 20 ans, une réduction de traitement de 2,000 fr. et que maintenant encore on ne leur rend pas leur ancienne position.

Cet examen, messieurs, devient plus important encore si vous tenez compte que, de 1816 à 1830, le nombre des affaires était infiniment moindre que le nombre des affaires dont les conseils de guerre ont à connaître aujourd'hui, et que les choses nécessaires à la vie étaient beaucoup moins chères qu'elles le sont maintenant.

Eh bien, messieurs, lorsque vous accordez des augmentions à tous les fonctionnaires, à tous les employés, à tous les membres des administrations publiques quelconques, je viens constater que les auditeurs militaires non seulement n'obtiennent pas d'augmentation, mais qu'alors que le nombre des affaires ainsi que la somme des besoins ont augmenté, les traitements proposés, loin d'être une augmentation, sont encore une diminution sur la position qui était faite aux auditeurs militaires de 1816 à 1830.

L'honorable ministre des finances nous disait, messieurs, dans la séance d'hier, que les nombreuses augmentations réclamées pour certaines catégories de magistrats pourraient être pour le trésor une source de mécomptes tels que ces propositions d'augmentations pourraient aboutir au retrait du projet de loi.

Mais la proposition que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre n'est pas de nature à accroître bien considérablement les charges du trésor, puisque je demande uniquement une augmentation de 7,000 fr. par an. Et à quoi aboutit cette augmentation ? A réparer une véritable injustice, puisque depuis 1830 jusqu'aujourd'hui, à titre d'organisation provisoire, on a enlevé aux auditeurs militaires les deux tiers de leur traitement.

Maintenant, quelle est l'organisation de la magistrature militaire dans les autres Etats et n'entraîne-t-elle pas des dépenses beaucoup plus considérables que notre magistrature militaire occasionne à la Belgique ?

Le régime français, qui semble plus économique que le nôtre, aboutit cependant à une dépense infiniment plus forte.

Le nouveau régime italien, bien que fondé sur des besoins réels, donne lieu également à une dépense beaucoup plus considérable. Et pour vous en donner un aperçu, je vais vous faire connaître les traitements alloués aux différents membres de la magistrature militaire en Italie. (Suit le tableau de ces traitements, non repris dans la présente version numérisée.)

Si l'on compare cette organisation à la nôtre, si l'on compare les dépenses qu'entraîne l'une, à celles qu'occasionne l'autre, on est frappé de l'énorme différence qui les sépare ; et, certes, cette énorme différence est loin d'être comblée par le traitement de 7,000 francs que je réclame en faveur des auditeurs militaires.

(page 209) La section centrale a cru devoir présenter deux objections principales aux pétitions des auditeurs militaires et aux réclamations de ceux de nos honorables collègues qui ont proposé un amendement dans le sein de cette section, La première de ces objections a été tirée d'une pétition que les auditeurs militaires ont adressée à la Chambre en 1858. Le traitement qu'ils réclamaient par cette pétition, était, je crois, le même que celui que le projet de loi du gouvernement tend à leur allouer ; la majorité de la section centrale a pensé, dès lors, que les auditeurs militaires devaient être satisfaits puisqu'ils obtenaient ce qu'ils avaient eux-mêmes réclamé.

Eh bien, que demandait la pétition de 1858 ? Elle demandait l'assimilation au traitement de procureur du roi de deuxième et de troisième classe. Cette assimilation n'était pas complètement exacte ; en effet, les auditeurs militaires ne rencontrent pas d'avancement dans leur carrière ; ils passent d'ordinaire 20, 25, 30 années et même plus dans l'exercice de leurs fonctions sans obtenir d'augmentation de traitement, tandis que MM. les procureurs du roi de deuxième et de troisième classe obtiennent généralement les augmentations qui, d'ordinaire, sont accordées dans certaines administrations où l'avancement n'est pas fréquent et où les traitements s'augmentent avec le nombre des années de services.

Si, en 1858, les auditeurs militaires se croyaient fondés à réclamer l'assimilation aux procureurs du roi de deuxième et de troisième classe, ils sont encore aujourd'hui dans la même position ; et mon amendement ne demande pour eux que l'assimilation complète aux procureurs du roi de deuxième et de troisième classe. Il est alloué aux procureurs du roi de deuxième classe un traitement de 7,000 fr. et aux procureurs du roi de troisième classe un traitement de 6,000 fr. ; ce sont ces traitements que je demande pour MM. les auditeurs militaires.

Un second motif a été invoqué par la majorité de la section centrale pour repousser l'amendement qui lui était proposé : elle a comparé les travaux des auditeurs militaires avec ceux des procureurs du roi ; et, guidée surtout par un tableau qui lui avait été soumis par le département de la justice et où se trouvent récapitulés les travaux des parquets des différentes villes où siègent des conseils de guerre, elle a dit que si les traitements des procureurs du roi sont plus élevés, c'est que ces traitements sont appelés à rémunérer un travail beaucoup plus considérable.

Je crois, messieurs, qu'en raisonnant ainsi les honorables membres de la majorité de la section centrale ont fait erreur et qu'ils ne se sont pas rendu compte de ce que, d'une part, l'auditeur militaire fonctionne seul, tandis que, d'autre part, les procureurs du roi fonctionnent, comme je vais le démontrer, en assez nombreuse compagnie.

Je prendrai pour exemple les parquets d'Anvers et de Mons, je pourrais parler même des parquets de Bruxelles, de Liège et de Gand.

Je le répète, messieurs, l'auditeur militaire est seul ; il n'a le droit de se faire assister par l'auditeur militaire adjoint que lorsqu'il se trouve empêché, malade de maladie constatée, et avec l'autorisation du supérieur militaire de la localité où il réside. En dehors de cela, il doit agir seul et ne peut pas se faire aider par l'auditeur militaire adjoint.

Il n'a pas à son service le moindre scribe, et s'il veut avoir quelqu'un pour tenir ses écritures, c'est de son argent qu'il doit le payer. Il ne reçoit, je crois, pour tous frais de bureau que 200 francs par an, et certes ce n'est pas avec cela qu'il peut payer un commis aux écritures.

Eu est-il de même, messieurs, des procureurs du roi ? Je suppose un instant qu'il s'agisse de l'auditoriat militaire de Liège, de Gand et de Bruxelles. Là, les procureurs du roi sont assistés de 2, 3, 4 et même 5 substituts ; pour le cas où l'un d'entre eux ne pourrait pas occuper son siège, il se trouve, à côté des substituts, des juges suppléants qui viennent les remplacer.

Le procureur du roi a à sa disposition un secrétaire du parquet, qui est ordinairement docteur en droit, et qui, en cette qualité, peut très souvent aider très efficacement l'expédition des affaires.

Il est en outre assisté par deux ou trois juges d'instruction qui chacun ont à leur disposition un commis greffier. De plus, pour l'instruction des affaires qui viennent à leur parquet, ils ont encore à leur disposition les commissaires de police, les officiers de gendarmerie et tous ceux qui peuvent concourir à une instruction judiciaire quelconque.

Pour les tribunaux dont je viens de parler, il n'appartient pas aux parquets d'examiner dans toute leur étendue les affaires criminelles ; aussitôt que la première instruction est faite, l'affaire va au parquet de la cour d'appel, le procureur général la soumet à la chambre des mises en accusation, dresse les actes d'accusation et poursuit ; le parquet du tribunal d'instance est complètement débarrassé de ce soin ; j'ajoute qu'il n'a pas à s'occuper des contraventions, Au contraire l'auditeur a à s'occuper et des affaires criminelles et des contraventions, il a donc une besogne assez considérable.

Si l'on tient compte de ce qu'il est seul pour instruire toutes les affaires qui ressortissent à l'auditoriat, tandis que le procureur du roi est aidé de tous les magistrats dont je viens de faire l’énumération, on verra que le nombre d'affaires dont l'auditeur militaire seul s'occupe n'est pas moindre que celles dont le procureur du Roi et ses substituts ou assistants ont à s'occuper.

Ainsi, l'auditeur du Brabant s'est occupé, en 1860, de 233 affaires. Le procureur du roi de Bruxelles s'est occupé de 1,777 affaires, mais si on subdivise ce nombre considérable d'affaires par celui du personnel employé à l'examen et à l'instruction de ces affaires, il est évident que la besogne de l'auditeur est au moins égale à celle du procureur du roi.

Je ne demande pas l'assimilation, mais je demande qu'on alloue à l'auditeur militaire le traitement des procureurs du roi près des tribunaux de deuxième classe ; seulement, un autre motif me semble militer en faveur des observations que j'ai l'honneur de présenter, c'est que devant les tribunaux civils, les affaires peuvent se présenter sans instruction préalable ; en matière correctionnelle l'instruction écrite est presque exceptionnelle, l'affaire arrive à l'audience sur un procès-verbal ; il n'en est pas de même pour le tribunal militaire, l'auditeur est obligé de faire une procédure écrite pour la moindre affaire portée à sa connaissance et qui doit donner lieu à des poursuites de sa part.

Ainsi, pour un fait de désertion, une fois le fait constaté, s'il était soumis à la juridiction civile, sur le simple procès-verbal, le délinquant serait traduit devant le tribunal, et, séance tenante, l'affaire serait terminée. Il n'en est pas de même devant la justice militaire où la procédure écrite est de règle.

L'auditeur militaire, averti par le commandant du corps qu'un homme est en état de désertion, doit requérir d'abord l'arrestation de cet homme. Premier écrit qu'il doit faire lui-même parce qu'il n'a pas à sa disposition un secrétaire.

Sitôt qu'il est informé de l'arrestation du délinquant, il doit s'adresser au commandant militaire pour obtenir la désignation de deux officiers qui forment le conseil d'information pour examiner le délinquant.

Devant ces officiers le délinquant est interrogé sur les différents faits. On constate d'abord qu'il est bien soumis aux lois militaires ; puis qu'il a commis le délit qui lui est imputé.

Cet interrogatoire doit être écrit par l'auditeur militaire.

Par écrit encore l'auditeur militaire doit requérir le commandant de provoquer la réunion du conseil de guerre.

Devant ce conseil la procédure est encore entièrement faite par l'auditeur militaire.

Il procède aux interrogatoires. Il présente sa plaidoirie. Il doit tenir tout le plumitif de l'auditoire. Puis lorsqu'il a terminé son office de ministère public, il entre avec les juges dans la salle des délibérations, tient le plumitif et rédige le jugement d'acquittement ou de condamnation.

Ensuite s'il y a recours devant la haute cour, ou devant la cour de cassation, c'est encore à lui qu'il appartient d'écrire le pourvoi.

Personne ne l'aide ; toutes les écritures sont tenues par lui.

Voilà donc cette affaire très simple qui n'eût coûté à M. le procureur du roi que quelques instants de siège et une simple réquisition, qui donne à l'auditeur militaire au moins un quart de jour de travail.

Si donc il a un nombre moins grand d'affaires, celles qu'il traite nécessitent de sa part une besogne beaucoup plus considérable.

Je crois, messieurs, que ces raisons, sont de nature à faire admettre l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter ; il me reste peu de chose à ajouter à ce que je viens de dite.

On a dit dans la section centrale que les procureurs du roi avaient encore d'autre besogne que celle de ministère public ; qu'ainsi en matière de procédure civile ils avaient à conclure dans toutes les affaires qui concernent les mineurs.

Cela est vrai, mais pour qui fréquente les tribunaux, il est certain que ce n'est pas là un travail très difficile pour MM. les procureurs du roi.

La décision est toujours précédée de discussions, de plaidoiries qui élucident la discussion, et le procureur du roi n'a qu'à se ranger à l'avis de l'une ou de l'autre des deux parties.

Mais à côté du travail qu'ils ont comme ministère public, les auditeurs militaires doivent siéger comme rapporteurs dans les conseils d'enquête, et ils doivent encore s'occuper des affaires qui n'appartiennent pas, à proprement parler, aux conseils de guerre, mais qui constituent ce que l'on appelle les affaires disciplinaires.

Si donc les procureurs du roi rencontrent, dans les affaires civiles et les affaires concernant les mineurs, un supplément de travail, les (page 210) auditeurs militaires trouvent un accroissement de besogne dans les affaires disciplinaires et les conseils d'enquête.

L'amendement que j'ai eu l'honneur de vous soumettre, messieurs, tend à deux fins ; d'abord à faire élever de 6,000 à 7,000 francs le traitement des auditeurs militaires de première classe, et de 5,000 à 6,000 francs le traitement des auditeurs militaires de deuxième classe et ensuite à faire passer l'auditoriat de Mons de la deuxième classe, où il a figuré jusqu'aujourd'hui, à la première classe.

Je crois rencontrer dans les chiffres qui ont été publiés par la section centrale et qu'elle a obtenus de M. le ministre de la justice, des indications telles, que je ne crois pas qu'il soit possible de repousser, par une seule bonne raison, cette partie de mon amendement.

En effet, dans le relevé des affaires traitées par les différents auditoriats militaires depuis 1830, je trouve pour l'auditoriat militaire :

De Brabant, 233 affaires concernant 239 individus.

D'Anvers, 163 affaires concernant 169 individus.

De Hainaut, 217 affaires concernant 240 individus.

De Gand, 104 affaires concernant 106 individus.

De Bruges, 92 affaires concernant 97 individus.

De Liège, 132 affaires concernant 155 individus.

De Luxembourg et de Namur, 90 affaires concernant 102 justiciables.

A part l’auditoriat militaire de Brabant qui a traité 233 affaires pour 239 individus, l'auditoriat de Mons vient en première ligne, il a même jugé plus de personnes que l'auditoriat militaire du Brabant, puisqu'il a traité 217 affaires concernant 240 individus tandis que l'auditoriat du Brabant n'a jugé que 239 justiciables.

Si je mets les travaux de l'auditoriat militaire de Mons en comparaison non plus avec ceux de l'auditoriat du Brabant, mais avec ceux des auditoriats d'Anvers et de Gand, je trouve que celui de Mons a traité un quart d'affaires de plus que celui d'Anvers, un tiers d'affaires de plus que celui de Liège et plus du double des affaires traitées par l'auditoriat militaire de Gand.

Ainsi les chiffres sont de 104 affaires pour Gand et de 217 pour Mons.

Eh bien, messieurs, je le demande, est-il possible vis-à-vis de cette constatation toute en chiffres qui démontre de la façon la plus complète, la plus irréfutable, l'importance des travaux de l'auditoriat militaire du Hainaut, est-il possible de le maintenir dans une classification plus basse que les auditoriats de Gand, d'Anvers ou de Liège, et de lui assigner le même rang qu'à l'auditoriat de Bruges où l'on traite 92 affaires, ou qu'à celui de Namur, où l'on ne traite que 90 affaires par an.

Je trouve, messieurs, que les chiffres parlent un langage beaucoup plus éloquent que celui que je pourrais tenir et j'attends de M. le ministre de la justice une raison qui vienne motiver la classification de l'auditoriat de Mons dans la deuxième classe et sur la même ligne que les auditoriats de Bruges et de Namur où l'on traite un nombre d'affaires qui équivaut à peine aux 4/10 des affaires qui se traitent par celui de Mons. Je crois, messieurs, que cette seconde partie de mon amendement ne peut manquer de réussir.

- L'amendement est appuyé.

M. Moncheur. - Messieurs, je viens appuyer l'amendement qui a été déposé par l'honorable M. Carlier et le compléter.

L'honorable M. Carlier a étayé cet amendement de considérations tellement fortes, il les a développées avec tant de talent et de lucidité que je ne pourrais qu'affaiblir ses arguments en cherchant à y ajouter quelque chose. Qu'il me soit permis cependant de vous faire remarquer que tout ce qui concerne les garantes que doivent obtenir les citoyens qui composent l’armée belge, doit nécessairement être favorablement accueilli par vous. Or, il est certain que l'administration de la justice est la principale peut-être des garanties que peuvent et que doivent réclamer nos frères et nos fils qui composent l'armée belge. Leur vie, leur liberté, leur honneur même peut en dépendre.

D'un autre côté, messieurs, il est certain que les auditeurs militaires sont pour ainsi dire les pivots de la justice. militaire. Les auditeurs militaires remplissent tout à la fois et les fonctions de juge d'instruction et les fonctions de procureur du roi, faisant les réquisitions, et soutenant l'accusation devant les conseils de guerre, et enfin les fonctions de greffier.

Des théoriciens peuvent blâmer peut-être la confusion de ces trois attributions, mais les faits ont prouvé que, dans l'administration de la justice militaire, cette confusion n'a aucun inconvénient et qu'elle a, au contraire, beaucoup d'avantages. Il est certain que la justice militaire est parfaitement administrée en Belgique, et que MM. les auditeurs militaires ainsi que les conseils de guerre près desquels ils siègent ont su la placer très haut dans l'opinion publique.

MM. les auditeurs militaires ont demandé, et avec raison, d'être assimilés, quant au traitement, aux procureurs du roi de deuxième et troisième classe. C'est la requête qu'ils avaient formulée à plusieurs reprises devant cette Chambre, et si, jusqu'à présent elle n'a pu être accueillie, c'est parce qu'on a ajourné toute décision sur ce point jusqu'à l'organisation complète de la justice militaire.

Mais aujourd'hui qu'un projet de loi formel est présenté par le gouvernement, il faut que la question se décide, et il s'agit de voir si le projet répond aux besoins réels des fonctionnaires si importants, dont je viens de parler, ou si ce projet ne leur inflige pas grief. Eh bien, je dis que le projet leur inflige grief et qu'il ne satisfait pas aux nécessités de la position des fonctionnaires dont il s'agit.

En effet, le projet alloue aux auditeurs militaires de première classe 6,000 fr. seulement de traitement et aux auditeurs militaires de seconde classe 5,000 fr. Ces chiffres laissent les auditeurs militaires dans une position inférieure même aux procureurs du roi près des tribunaux de troisième classe. Vous savez que les procureurs du roi près les tribunaux de troisième classe obtiennent, par le projet de loi que vous avez voté, 6,000 fr., tandis que les auditeurs militaires de seconde classe n'obtiennent que 5,000 fr.

Et cependant tous les auditeurs militaires doivent résider dans des chefs-lieux de province ; ils sont nécessairement, et par la nature même de leurs fonctions, exposés à des dépenses assez considérables ; ils ont besoin d'un certain prestige ; ils sont en contact avec les officiers supérieurs de l'armée et avec tout ce que la ville dans laquelle ils résident a de distingué. Eh bien, messieurs, on vous propose de leur donner un traitement de 1,000 fr. inférieur au traitement des procureurs du roi près les tribunaux de troisième classe et qui habitent des villes de quatrième ou cinquième ordre, telles que Furnes, Turnhout, Nivelles ou Neufchâteau,

J'espère, messieurs, que vous sentirez que cela ne peut pas être, que des fonctionnaires d'un rang aussi élevé que les auditeurs militaires, qui doivent nécessairement habiter les chefs-lieux de province, doivent avoir un traitement au moins égal à celui des procureurs du roi de deuxième et de troisième classe.

Messieurs, comme je vous l'ai dit, je n'ajouterai rien aux considérations qui ont été développées par l'honorable M. Carlier. Elles sont complètes. J'avais, comme lui, des notes sur tous les points qu'il a touchés. Mais je ne veux pas vous fatiguer par des redites. Seulement, je dois compléter l'amendement de mon honorable collègue, en ce qui concerne l’auditeur général et son substitut. Les propositions du gouvernement sont insuffisantes à leur égard. En effet, vous savez, messieurs, quelle est l'augmentation que le projet de loi en discussion donne à l'auditeur général eu égard au traitement qui lui avait été conféré dès 1831. Il lui donne une augmentation de 34 francs et quelques centimes. Ce traitement, qui était de 4,000 florins des Pays-Bas, avait été notablement diminué en 1849 ; il avait été réduit à 7,000 fr. ; mais le projet ne l'élève aujourd'hui qu'à 8,500 francs seulement.

Eh bien, vous conviendrez avec moi que ce traitement n'est nullement en rapport avec l'importance et l'élévation des fonctions d'auditeur général près la haute cour militaire. Ce haut fonctionnaire réside nécessairement dans la capitale. Il prend rang à côté du procureur général près la cour de cassation. Il étend sa juridiction sur le pays tout entier. La besogne que nécessitent et ses rapports nombreux à la haute cour, et sa correspondance avec tous les auditoriats du pays, et sa correspondance avec les ministères de la guerre et de la justice, est très considérable. Ne lui donner qu'un traitement égal à celui d'un avocat général de cour d'appel, qui n'est pas obligé de tenir le même rang, ce n'est pas faire assez.

Mû par ces considérations, je propose d'élever le traitement de l'auditeur général à 9,500 francs au lieu de 8,500 que propose le projet, et c’est me montrer, je crois, bien modéré encore en présence des traitements que nous avons adoptés pour les officiers du parquet près les tribunaux et les cours ordinaires ; en présence, par exemple, du traitement du procureur général près la cour de cassation, qui est de 16,000 fr. et de celui des procureurs généraux près les cours d'appel, qui est de 11,250 francs.

Je propose aussi d'élever à 7,000 fr. le traitement du substitut de l'auditeur général. Les considérations que je viens de faire valoir quant à l'auditeur général militent aussi, quoique dans des limites plus restreintes, eu faveur de son substitut. Au lieu de 6,500 fr. que lui alloue le projet, de loi, je propose de lui donner 7,000 francs.

M. J. Jouret, rapporteur. - Le sous-amendement que vient de présenter l'honorable M. Moncheur se rapproche quelque peu de l'amendement présenté par les membres de la section centrale qui n'ont pas réussi dans leur proposition.

L'amendement de l'honorable M. Carlier s'écarte davantage de celui (page 211) qui avait été présenté en section centrale par ces membres. L'honorable M. Carlier, sans reproduire la demande d'augmentation faite pour l'auditeur général et son substitut, propose de porter à 7,000 fr. le traitement des auditeurs de première classe et à 6,000 fr. seulement au lieu de 6,400 fr. qui était la proposition primitive faite en section centrale, le traitement des auditeurs de deuxième classe.

Messieurs, comme vous venez de l'entendre, dans les développements présentés par l'honorable M. Carlier et par l'honorable M. Moncheur, l'assimilation des auditeurs militaires aux procureurs du roi est le principal et, à dire vrai, le seul argument sérieux qui ait été produit.

Cette assimilation, a-t-on dit, a été admise de tout temps ; elle a été admise dans la première organisation de 1816, de même que dans la loi de 1834, dans la loi de 1845.

Est-il bien vrai, messieurs, que cette assimilation ait été admise d'une manière incontestable ? Dans l'organisation de 1816, on a admis l'assimilation sous le rapport du traitement ; mais sous ce rapport seulement.

Voilà la seule assimilation qui ait été admise dans l'organisation de 1815 et 1816. Quant à la loi de 1834, il est vrai que le projet de loi présenté par M. J. Lebeau, ministre de la justice à cette époque, assimilait les auditeurs militaires de première et de deuxième classe aux procureurs du roi de première et de deuxième classe ; mais l'assimilation n'a pas été admise par la section centrale.

Elle n'a pas été admise davantage par le projet de loi adopté par la Chambre qui a abaissé les traitements des auditeurs militaires au niveau de celui des procureurs du roi de deuxième et troisième classe, c'est-à-dire à 4,200 et 3,600 francs.

Ainsi, messieurs, dès la loi de 1834 l'assimilation commençait à disparaître.

A-t-elle existé davantage sous la loi de 1845 ? Il est évident que non. L'amendement présenté à cette époque par l'honorable M. de Garcia de la Vega était conçu en ces termes : « Le traitement des auditeurs militaires sera égal à celui des procureurs du roi des villes où ils résident. »

Le ministre de la justice de cette époque s'y rallia, mais « à la condition, dit-il, que les auditeurs seraient assimilés aux procureurs du roi de deuxième et troisième classe. »

Vous voyez donc, messieurs, que déjà à cette époque l'assimilation n'existait plus.

On a dit : « Vous devez reconnaître au moins qu'il y a eu assimilation aux procureurs du roi de deuxième et de troisième classe, et si les auditeurs militaires avaient été portés en 1845 à 5,250 et 4,650 fr., traitement que les procureurs du roi recevaient à cette époque, ils recevraient inévitablement l'augmentation accordée actuellement aux procureurs du roi, qui est de 1,750 fr., de manière que leur traitement serait porté à 7,000 fr. pour la première classe et à 6,400 fr. pour la seconde.

Mais il me semble, messieurs, qu'il y a quelque chose à répondre à cela. S'il était vrai qu'en 1845 une augmentation quelconque eût été accordée aux auditeurs militaires, est-il bien certain que le gouvernement eût fait dans le projet de loi actuel la proposition d’augmentation si considérable qui s'y trouve ?

Cela est au moins douteux. Dans tous les cas il faut reconnaître, messieurs, que si, jusqu'à cette époque l'assimilation a été admise, elle a complètement disparu depuis la loi de 1849, qui a institué une cour militaire. En effet, messieurs, les traitements de l'auditeur militaire général et des auditeurs doivent être en rapport entre eux comme ceux des procureurs généraux et des procureurs du roi, et après la réduction faite dans cette loi du traitement de l'auditeur général à 7,000 francs, il serait bien difficile de prétendre avec raison que si, en 1845, la Chambre avait pris une résolution et avait, sans hésiter, poiré le traitement des auditeurs à 5,250 francs et 4,650 francs, elle aurait, en 1849, après que le traitement de l'auditeur général avait été réduit à 7,000 francs, gardé l'idée d'assimilation avec les procureurs du roi, et aurait maintenu leur traitement à ce taux.

On a objecté, messieurs, que la loi de 1849 a été portée sous l'empire des idées exagérées d'économie qui régnaient à cette époque.

Cela est vrai, mais ces idées d'économie n'ont aucun rapport avec ce qui concerne les auditeurs dont les traitements n'ont pas été diminués alors, sans doute parce qu'ils n'avaient pas été augmentés en 1845.

Vainement objecterait-on que la loi de 1849 ne concerne pas les auditeurs, puisque dans cette loi rien n'a été fait quant à leur traitement. Mais le traitement a été maintenu tel qu'il était auparavant, et la loi s'est occupée des auditeurs militaires à tel point que dans l'article 6 elle réduit le nombre de ces fonctionnaires à sept et elle les divise en deux classes ; la première composée de ceux qui résident dans les villes de tribunal de première classe, et la deuxième ceux qui résident dans les autres villes, mais, je le répète, rien n'a été chargé quant à leur traitement.

On a donc voulu maintenir l'écart qui existait entre les traitements de l'auditeur général et des auditeurs ; il est clair que, dès 1849, toute idée d'assimilation avec les procureurs du roi avait disparu.

Mais, messieurs, c'est surtout en comparant les fonctions respectives des procureurs du roi et des auditeurs militaires qu'on acquiert la conviction que, tant sous le rapport de l'importance de ces fonctions que sous le rapport de la responsabilité qu'elles entraînent et de l'étendue des occupations, il est impossible de maintenir aucune espèce d'assimilation.

Depuis que le rapport de la section centrale a pu être connu, on a beaucoup écrit sur cette matière, et il m'a été adressé des calculs sur cette question qui sont véritablement curieux.

Je vais faire connaître à la Chambre de quelle manière on comprend l'importance des fonctions de procureur du roi comparées à celles des auditeurs militaire au point de vue des tableaux fournis par le gouvernement, et comment on arrive à prétendre que le chiffre des affaires montant à 1,798, portées au tribunal de première instance de Bruxelles, est infiniment inférieur au chiffre des affaires expédiées par l'auditeur militaire du Brabant.

L'honorable M. Carlier reproduit ces calculs et je ne comprends véritablement pas comment un esprit sérieux comme lui a pu présenter de pareilles considérations. Voici, messieurs, ce que l'on dit dans un journal que vous devez avoir reçu comme moi :

« Que se passe-t-il dans les parquets civils ? MM. les procureurs du roi sont assistés d'un ou de plusieurs substituts et d'un secrétaire payé par l'Etat ; les informations sont confiées au juge d'instruction, ou même aux juges de paix délégués à cet effet ; et enfin les écritures sont expédiées par les greffiers et leurs nombreux commis ; ainsi le travail imposé à l'auditeur militaire seul est divisé entre cinq personnes au moins et souvent entre plus de quinze, notamment en ce qui concerne les affaires criminelles ; de telle sorte que la coopération partielle de chacun, même dans un grand nombre d'affaires, n'équivaut pas à la besogne accomplie par un seul, dans un nombre plus restreint. Les chiffres donnés dans le tableau C, joint au rapport de la section centrale, justifient notre raisonnement ; il en résulte que pendant l'année 1860 le parquet de Bruxelles a porté 1,777 affaires devant le tribunal correctionnel et 21 devant les assises, en tout 1,798 ; or, quel est le personnel qui a contribué à la poursuite, à l'instruction et à l'expédition de ces affaires ? Un procureur du roi, cinq substituts, un secrétaire, trois juges d'instruction, assistés de trois greffiers, un membre du parquet de la cour d'appel et un greffier - soit quinze : si l'on divise le nombre d'affaires par ce chiffre, on obtient 128 ; pendant cette même année, l'auditeur militaire du Brabant a poursuivi, instruit et expédié seul 233 affaires, etc. »

De manière qu'on tire de là la conclusion que l’auditeur militaire du Brabant expédie beaucoup plus d'affaires que le procureur du roi près le tribunal de première instance à Bruxelles !

En vérité, de pareilles considérations ne méritent pas d'être réfutées ; et n'ai-je pas le droit de m'étonner que l'honorable M. Carlier ait essayé de les faire valoir ? N'est-il pas évident que le chef du parquet conserve la direction et la responsabilité, conserve ce qu'il y a d'important dans le travail de ces 1,798 affaires ?

Messieurs, ces objections m'avaient été faites par un honorable magistrat militaire d'une manière sérieuse et en très bons termes.

Certes, si je n'avais pas eu uniquement pour mission de faire l'exposé très sommaire des travaux de la section centrale, si j'avais dû faire en quelque sorte un traité sur cette matière, ces observations auraient pu parfaitement trouver place dans ce traité.

Mais alors il y aurait eu d'autres réponses à faire à ces observations. J'aurais pu dire que la juridiction des auditeurs militaires est en définitive une juridiction exceptionnelle, qu'elle s'exerce sur un nombre infiniment restreint de justiciables. J'aurais pu ajouter que cette considération du petit nombre de justiciables explique parfaitement les chiffres du rapport, et établir à l'évidence que la besogne des procureurs du roi est beaucoup plus importante que celle des auditeurs militaires.

Mais, messieurs, abstraction faite de tous ces calculs et de toutes ces considérations d'assimilation, qui ne peuvent être invoquées, à mon avis, les traitements des auditeurs militaires, avec l'augmentation très considérable que leur alloue le projet de loi, ne sont-ils pas des traitements véritablement rémunérateurs ? Qui pourrait soutenir le contraire ? L'auditeur général reçoit une augmentation de 1,500 francs ; les auditeurs militaires de première classe obtiennent une augmentation de 1,800 francs ; les auditeurs de seconde classe, une augmentation de 1,400 francs.

N'est-ce que rien que 1,800 francs ? Mais c'est le traitement fixe actuel des juges de paix ; c'est deux fois le traitement fixe de ces magistrats (page 212) avant la loi de 1845. Et si l'on songe à l'augmentation demandée par l'amendement, 2,800 fr., c'est une fois 5/9 le traitement fixe actuel des juges de paix et trois fois et demie le traitement fixe de ces magistrats avant 1845. N'est-ce pas là une augmentation considérable ?

Et remarquons que l'augmentation accordée aux auditeurs militaires de première classe est plus élevée que celle qu'obtient l'auditeur général. L'augmentation que reçoivent les auditeurs militaires de seconde classe n'est que légèrement inférieure ; mais celle des auditeurs militaires de première classe est supérieure à l'augmentation que reçoit l'auditeur général.

On ne peut donc pas dire qu'il n'a pas été tenu compte, dans le projet de loi, de cette circonstance que, lors de la discussion de la loi de 1845, des scrupules de constitutionnalité ont empêché de donner aux auditeurs militaires l'augmentation de traitement à laquelle ils prétendaient avoir droit à cette époque.

Mais, je le répète, si, à cette époque, une augmentation quelconque leur avait été accordée, vous n'avez aucune raison de croire que les Chambres auraient voté alors l'augmentation considérable qui leur est allouée par le projet de loi actuel, 1,800 fr., messieurs, c'est à peu près le double du chiffre que l'honorable M. de Naeyer fixait pour le maximum de l'augmentation à accorder aux traitements qu'il appelait des traitements élevés.

Reconnaissons donc que ces augmentations sont bien suffisantes et je crois que nous ne pourrions en accorder de plus considérables, sans nous exposer au reproche fondé de prodigalité.

Messieurs, je n'ai qu'un mot à ajouter.

A diverses reprises, au sein de cette Chambre, nous avons entendu exprimer le désir de voir une partie de l'excédant de notre budget des voies et moyens s'appliquer au dégrèvement de certains impôts contre lesquels, il faut bien le reconnaître, il s'élève des réclamations fondées.

C'était, disait-on, le moyen de faire participer les contribuables aux avantages de notre bonne position financière. Si nous cédons au torrent qui paraît vouloir nous entraîner dans ce moment-ci, si nous n'agissons pas avec prudence, craignons d'être forcés peut-être de demander au pays de nouveaux sacrifices, de nouvelles contributions. Pour mon compte, je ne contribuerai pas par mon vote à mettre le pays dans cette fâcheuse situation.

- Des membres. - Aux voix !

MTJµ. - Messieurs, la Chambre semble être très pressée d'en finir ; je serai donc aussi bref que possible. L'amendement de l'honorable M. Carlier, complété par l'honorable M. Moncheur, a un double objet. Le premier, c'est d'augmenter tous les traitements dont s'occupe le projet ; le second, c'est de faire placer l'auditoriat de Mons dans la première classe.

Je vais répondre quelques mots aux raisons qu'on a fait valoir pour appuyer cette double prétention.

Dans mon opinion, ni l'honorable M. Carlier, ni l'honorable M. Moncheur n'ont examiné les véritables règles qui doivent présider à la fixation des traitements. L'honorable M. Carlier a dit : Le premier motif pour lequel vous devez élever les traitements des auditeurs militaires, c'est que, dans la magistrature civile, les officiers du parquet reçoivent toujours le même traitement que les chefs des corps judiciaires devant lesquels ils exercent leurs fonctions.

Vous devez faire la même chose pour la magistrature militaire ; et comme les auditeurs militaires sont appelés à porter la parole devant un conseil de guerre présidé par un lieutenant-colonel ou par un major, vous devez, dit-on, leur donner le traitement de lieutenant-colonel ou de major. Voilà l'argument.

L'honorable M. Carlier a perdu de vue que l'organisation judiciaire militaire n'est pas du tout la même que l'organisation judiciaire civile : les fonctions de procureur du roi, les fonctions de président, sont des fonctions de même ordre : le procureur du roi et le président sont l'un et l'autre des magistrats, et quoique leurs attributions diffèrent, il est cependant très possible d'établir entre elles une assimilation raisonnée.

Quant aux magistrats militaires, au contraire, comment voulez-vous établir un rapport quelconque entre un traitement de magistrat et un traitement militaire ? Est-ce que les attributions d'un lieutenant-colonel ont quelque chose de commun avec celles d'un auditeur militaire ? Veut-on suivre l'exemple de certain pays, où chaque grade de la vie civile correspond à un grade militaire et où un architecte, par exemple, a le grade de colonel ? Evidemment, cela n'est pas admissible. L'assimilation n'est possible qu'entre des positions qui offrent entre elles une certaine analogie.

On ne peut donc mettre sur la même ligne les auditeurs militaires et les procureurs du roi.

Si l'honorable M. Carlier avait examiné de plus près l'administration de la justice militaire et l'administration de la justice civile, il aurait vu combien elles sont dissemblables.

Ainsi, par exemple, est-ce qui l'auditeur militaire a le même traitement que le président de la haute cour ? Ce magistrat est aujourd'hui un délégué de la cour d'appel, et il a un traitement inférieur à celui de l'auditeur général, ce qui est tout à fait contraire à ce qui se passe dans l'administration de la justice civile. Il y a plus : le président de la haute cour militaire, qui reçoit un traitement de conseiller de cour d'appel, peut siéger au-dessus d'un lieutenant général, dont le traitement est plus du double du sien. Vous le voyez, messieurs, il y a là des raisons concluantes, et qui auraient dû frapper l'honorable M. Carlier, pour ne pas chercher à établir une assimilation tout à fait inadmissible.

Je ne parlerai pas, messieurs, du système français : je dirai seulement que la dépense n'y est pas plus élevée qu'en Belgique ; ce sont des officiers ou intendants qui remplissent les fonctions d'auditeurs, et ils reçoivent, de ce chef, des indemnités.

Quant à l'Italie, je n'en dirai rien. On ne peut, du reste, pas discuter ainsi la question de l'augmentation des traitements.

Je ne pourrais avoir égard aux chiffres que l'on a cités, que si je connaissais les traitements de tous les fonctionnaires en Italie ; si je connaissais les traitements des fonctionnaires judiciaires, militaires et administratifs. Or, ces éléments de comparaison nous font complètement défaut.

Les véritables bases de la fixation des traitements, ce sont les attributions que la fonction confère et le travail qu'elle nécessite. Il en est d'autres encore ; mais celles que je signale doivent principalement déterminer le législateur. Eh bien, quelles sont, en définitive, les attributions de la magistrature militaire ? Il ne faut pas perdre de vue que les auditeurs militaires sont des officiers du ministère public près de juridictions tout à fait exceptionnelles, qu'ils n'exercent qu'une partie des attributions de la magistrature ordinaire ; qu'ils n'ont à requérir que contre des militaires coupables de délits ou de contraventions et encore pour autant que la prévention ne comprend aucun citoyen appartenant à l'ordre civil, car dans ce cas les faits doivent être déférés à la juridiction répressive du droit commun.

Vous voulez assimiler leurs fonctions à celles des procureurs du roi, qui sont les officiers du ministère public près des juridictions ordinaires. Mais voyez les deux catégories d'attributions, elles diffèrent du tout au tout. Ainsi, en matière civile, les procureurs du roi sont obligés d'intervenir dans toutes les affaires qui intéressent l'ordre public, l'Etat, le domaine, les communes, les établissements publics, l'état civil des personnes en tutelle, les mineurs, les absents, les aliénés, etc., en un mot toutes les personnes civiles et tous les incapables.

Ils ont, de plus, la surveillance générale de tous les officiers ministériels. On a parlé de diverses affaires de discipline dans lesquelles devaient intervenir les auditeurs militaires. Mais est-ce que les procureurs du roi n'ont pas à intervenir dans toutes les affaires de discipline concernant les avoués, les notaires, les huissiers ? Et certainement le nombre en est infiniment plus considérable que celui des affaires de discipline qui peuvent se présenter dans l'armée.

En additionnant toutes les affaires des 7 auditoriats militaires du royaume, vous arriverez à un chiffre de 1,031 pour l'exercice 1861.

Eh bien, le seul tribunal de Bruxelles a eu à statuer sur 1,777 affaires correctionnelles, c'est-à-dire que pour un seul tribunal nous trouvons au-delà de 700 affaires de plus que pour les sept auditoriats militaires du royaume.

Il faut, en outre, tenir compte de la nature des affaires, et je prierai les honorables membres qui auraient des doutes sur l'énorme différence qu'elles présentent sous ce rapport, de parcourir ce tableau ; ils y verront que la justice militaire, et je m'en félicite, au point de vue de la moralité de notre armée, n'a à s'occuper, en général, que d'affaires de très minime importance : de premières désertions, de deuxièmes désertions, de vols de chambrée, de vols simples, d'abus de confiance, en un mots de délits qui ne nécessitent pas une instruction bien longue, ni bien difficile.

Si les affaires portées devant la justice militaire compensaient par leur importance relative leur infériorité numérique, je comprendrais qu'on en tirât argument en faveur de l'amendement, mais vous voyez que l'on ne peut pas même invoquer cette considération pour justifier la proposition qui vous est faite. Du reste, messieurs, il est impossible que les auditeurs militaires aient beaucoup d'affaires eu égard au nombre limité des citoyens sur lesquels s'étend leur (page 213) juridiction. Le contingent de notre armée est de 80,000 hommes ; ce qui donne en moyenne 11,000 à 12,000 justiciables par auditoriat militaire. Or, le moindre de nos arrondissements judiciaires compte à peu près autant de justiciables que les sept auditoriats militaires réunis.

La Chambre sait que le traitement actuel de l'auditeur général est de 7,000 francs, et que le gouvernement propose de le porter à 8,500 francs ; que le traitement du substitut est de 5,000 francs et que le gouvernement propose de le porter à 6,500 francs ; les auditeurs de première classe qui ont actuellement 4,200 francs, obtiendraient 6,000 francs ; ceux de seconde classe seraient portés de 3,600 francs à 5,000 francs.

L'assimilation entre le procureur du roi et l'auditeur militaire n'est admissible sous aucun rapport ; je viens de le démontrer. L'assimilation entre l'auditeur général et le procureur général l'est encore moins. Vous connaissez les attributions des uns et des autres, je me bornerai à vous rendre attentif au chiffre des affaires qui ont été déférées à la haute cour militaire.

Pour l'année 1861, ce chiffre est de 95, et pour examiner ces affaires il y a l'auditeur général et son substitut.

Je crois que le gouvernement se montre assez large en plaçant l'auditeur général sur la même ligne qu'un avocat général. Je dois dire que je n'aurais pas été jusqu'au chiffre que j'ai eu l'honneur de proposer à la Chambre, si je n'avais tenu compte que des travaux de l'auditoriat général, si je n'avais pas dû, par suite de l'augmentation des traitements inférieurs, établir une différence raisonnable et nécessaire à la hiérarchie entre les auditeurs et leur chef.

Un mot maintenant quant au changement de classe que demande l'honorable M. Carlier. La classification actuelle date de 1849. La précédente avait été établie en 1834. On avait compris dans la première classe les auditoriats qui s'y trouvent aujourd'hui, les auditoriats du Brabant, de la Flandre orientale, d'Anvers et de Liége, plus celui de la Flandre occidentale ; en 1849, la Chambre a révisé cette classification et elle a fait descendre la Flandre occidentale de la première classe dans la seconde.

Faut-il changer aujourd'hui l'œuvre du législateur de 1849 ? Là est la question. Je ne pense pas que M. Carlier nous ait donné des raisons suffisantes pour opérer le déclassement qu'il propose. La classification existante est en harmonie avec celle des tribunaux civils.

Les auditoriats militaires de première classé sont placés dans les villes où se trouvent les tribunaux de première classe. M. Carlier veut un déclassement parce que les affaires qui sont examinées à l'auditoriat du Hainaut sont plus nombreuses que celles qui se présentent à l'auditoriat de Gand, de Liège et d'Anvers. Il est vrai que le tableau fourni pour 1860 autorise l'argument de M. Carlier, mais il ne suffit pas pour donner une idée exacte de l'importance de cet auditoriat.

On a parlé d'une pétition adressée par les auditeurs militaires eux-mêmes, dans laquelle ils demandaient un traitement moindre que celui qui leur est accordé aujourd'hui : ils ont fourni un tableau qui contenait la statistique des affaires, pendant les dix dernières années ; dans ce tableau le chiffre des affaires dont a eu à s'occuper l'auditoriat de Mons n'est pas aussi favorable que celui qui est indiqué par M. Carlier. Pour les dix dernières années, la moyenne n'est que de 91 affaires, tandis que pour Anvers il a été de 213, pour le Brabant de 241, pour la Flandre orientale de 214.

Pour tous les auditoriats enfin, ce chiffre a été supérieur à celui de Mons.

Or, on ne peut prendre pour base une seule année exceptionnelle, et décréter un changement de classe par suite de cette considération ; et, d'après la statistique des dix dernières années, Mons a moins d'affaires que les auditoriats de première classe, sauf Liège.

D'ailleurs l'importance de l'auditoriat doit s'établir d'après la force de la garnison. Mons a eu une importance plus grande que celle qu'il aura désormais par suite du changement qui a été apporté dans le système de défense du pays.

Lorsque la ville de Mons sera démantelés, qu'elle n'aura plus ni les dépôts ni l'artillerie, qu'il faudra transporter ailleurs, il y aura une diminution sensible dans le nombre des affaires de l'auditoriat de cette province ; il n'y a certes pas lieu d'opérer un changement de classification sur lequel il vous faudrait revenir dans quelques années lorsque ces prévisions se seraient réalisées.

Je vous engage, messieurs, à adopter sans changements le projet de loi que j'ai eu l'honneur de vous présenter.

Discussion des articles

Tableau des traitements

MpVµ. - Nous passons au tableau.

M. Moncheur propose de porter à 9,000 fr. le traitement de l'auditeur militaire et à 7,000 fr. celui du substitut de l'auditeur général.

- Cette proposition est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.


MpVµ. - Nous passons à l'amendement de M. Carlier.

Il propose d'abord de placer l'auditoriat de Mons dans la première classe, et ensuite de fixer les traitements de la manière suivante :

« Première classe.

« Auditeurs militaires d'Anvers, Bruxelles, Gand, Liège et Mons, au lieu de 6,000 francs, 7,000 francs.

« Seconde classe.

« Auditeurs militaires d'autres résidences, au lieu de 5,000 fr., 6,000 fr. »

- Ces propositions sont successivement mises aux voix ; elles ne sont pas adoptées.


« (Projet du gouvernement)

« § 1. Cour militaire.

« Auditeur général : fr. 8,500. »

- Adopté.

« Substitut de l'auditeur général : fr. 6,500. »

- Adopté.

« § 2. Conseils de guerre. Première classe.

« Auditeurs militaires d'Anvers, Bruxelles, Gand et Liége : fr. 6,000. »

- Adopté.

« Seconde classe.

« Auditeurs militaires d'autres résidences : fr. 5,000. »

- Adopté.

Article premier

« Article 1er. Les traitements de l'auditeur général et du substitut de l'auditeur général près la cour militaire, ainsi que des auditeurs militaires près les conseils de guerre, sont fixés conformément au tableau joint à la présente loi. »

- Adopté.


« Art. 2. L'augmentation résultant de la présente loi prendra cours, pour les deux premiers quarts, au 1er janvier 1863, pour le troisième quart, au 1er janvier 1864 et pour le dernier quart, au 1er janvier 1865.

MTJµ. - Je propose de remplacer l'article 2 du projet par la disposition que la Chambre a adoptée hier, dans le projet de loi sur la magistrature civile et de dire : « La loi du budget déterminera la quotité annuelle de l'augmentation résultant de l’article 1er, » au lieu de dire : « L'augmentation prendra cours, pour les deux premiers quarts, au 1er janvier 1863, et pour le troisième quart, au 1er janvier 1864. » Ce sera la loi du budget qui déterminera l'augmentation.

MpVµ. - Messieurs, voici le texte de l'article proposé par M. le ministre de la justice : -

« La loi du budget déterminera la quotité annuelle de l'augmentation résultant de l'article premier. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

82 membres y prennent part.

78 membres répondent oui.

4 membres répondent non.

En conséquence, la Chambre adopte ; le projet de loi sera renvoyé au Sénat.

Ont répondu oui : MM. Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Wasseige, Allard, Ansiau, Bara, Braconier, Ch. Carlier, Coppens, Crombez, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Brouckere, de Gottal, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Moor, de Muelenaere, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, H. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, Magherman, Mercier, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop et Vervoort.

(page 214) Ont répondu non : MM. de Man d'Attenrode, de Naeyer, B. Dumortier et Vander Donckt.


MpVµ. - Messieurs, nous passons maintenant à la discussion du budget des affaires étrangères.

- Plusieurs membres. - A demain !

- D'autres. - Non ! discutons le budget.

M. Guilleryµ. - Messieurs, il y a à l'ordre du jour, sous le n°44, un petit projet de loi, crédit d'un million au département de l'intérieur. Il me semble que nous pourrions le voter aujourd'hui.

MRAEµ. - On pourrait ouvrir aujourd'hui la discussion générale du budget des affaires étrangères. S'il y a des orateurs inscrits, on pourrait les entendre et je pourrais être mis ainsi à même de répondre demain à des observations importantes.

- La Chambre décide qu'elle ouvrira immédiatement la discussion du budget des affaires étrangères.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères pour l’exercice 1863

Discussion générale

M. H. Dumortier. - Messieurs, nous avons voté divers traités de commerce dans le sens de la liberté commerciale. Ces traités, je les ai votés et je n'ai rien à retrancher de ce que je puis avoir dit ou voté en ces circonstances.,

Mais il n'en est pas moins vrai, messieurs, qu'en mettant notre industrie et notre commerce en lutte avec des rivaux puissants, nous avons imposé à plusieurs de nos grandes industries une rude épreuve, et qu'en votant ces traités nous avons aussi dû prendre l'engagement de faire tout ce qui serait possible pour que cette lutte à outrance pût se produire dans les conditions les plus acceptables.

Certes les Chambres belges ne sont pas sans s'occuper des intérêts précieux et sacrés de cette classe de la nation, mais plus que jamais nous devons, comme on le fait en Angleterre depuis très longtemps, nous occuper de certaines questions qui concernent la vie à bon marché de l'ouvrier, d'institutions telles que caisses d'épargnes, caisses de secours mutuels, des questions d'hygiène qui se rattachent à la vie de l'ouvrier et par-dessus tout des questions d'enseignement primaire.

Vient en second lieu une question qui se rattache à un autre ordre d'idées, la question du transport qui a fait également en Angleterre l'objet des préoccupations constantes de tous les ministères depuis de longues années. Mais ce sera surtout dans la discussion du budget des travaux publics que nous aurons à nous occuper de cet objet.

Un troisième ordre de questions qui peut nous occuper dans ce moment-ci, c'est le perfectionnement de notre législation commerciale.

Messieurs, le travail de révision de notre Code de commerce se trouve entre les mains d'une commission depuis l'année 1855.

J'espère que ce travail est près d'être terminé et que, dans tous les cas M. le ministre des affaires étrangères voudra bien nous donner quelques explications à cet égard.

Cette commission n'avait d'ailleurs à s'occuper que des deux premiers livres du code de commerce, le troisième livre, qui comprend les faillites, ayant déjà été révisé.

Le titre sur lequel j'appelle plus spécialement l'attention du gouvernement c'est le titre 3, livre premier qui se rapporte aux sociétés.

Les Anglais, en ce qui concerne cette spécialité, ont depuis longtemps des institutions que nous n'avons pas ici et que l'on n'avait pas encore récemment en France.

Notre code de commerce ne règle que trois espèces de sociétés : la société en nom collectif, la société anonyme et la société en commandite.

Il est du devoir du gouvernement de mettre à l'étude différentes questions dont les solutions sont en quelque sorte les corollaires de ces actes que nous avons posés.

Parmi ces questions j'en signalerai deux ou trois.

C'est d'abord la question de l'amélioration des conditions de l'ouvrier.

La société en nom collectif est celle où tous les sociétaires sont personnellement responsables. La société anonyme, celle où l'on n'est responsable que pour sa mise, moyennant que le gouvernement intervienne pour examiner préalablement les conditions dans lesquelles la société se fonde.

Enfin vient un genre de société mixte, la société en commandite, où nous trouvons les gérants, qui sont responsables, tandis que les bailleurs de fonds, les commanditaires, n'ont pas de responsabilité au-delà de leur mise de fonds.

Ce genre de société a ses avantages et ses inconvénients comme les deux autres. Mais c'est surtout ici que des difficultés se sont produites, et c'est surtout dans ce genre de sociétés qu'existent des difficultés qu'on devrait faire disparaître pour faciliter le développement de nos industries.

Si, dans la société en commandite, le commanditaire s'abstient complètement de poser des actes de gestion, son intelligence, son travail, ne profitent pas à la société.

Mais si, pour être utile aux affaires de la société, il pose des actes qui sont interprétés comme des actes de gestion, alors il devient personnellement responsable, et c'est là le grand écueil, c'est la difficulté qu'il faudrait faire disparaître, que les Anglais et les Français après eux ont fait disparaître et que je voudrais également voir écarter par notre législation.

Ces sociétés en commandite, bien organisées, constituent une des créatons les plus fécondes pour le commerce et l'industrie ; c'est une puissance très grande. C'est l'union du travail et de l'intelligence à la puissance des capitaux.

Depuis assez longtemps, il existe en Angleterre un genre de sociétés en commandite à part et que nous ne possédons pas en Belgique. Ces sociétés portent le nom de société à responsabilité limitée. C'est une variété des sociétés en commandite.

Il est de notre devoir d'introduire également chez nous, et sans retard, ce genre de société qui a déjà été, je crois, admis en France.

MTJµ. - Il n'est pas admis en France. Il y a un projet ; mais il n'a jamais été discuté.

M. H. Dumortier. - Je pense que M. le ministre verse dans une véritable erreur. Le projet a été tellement examiné, que j'ai ici le rapport de la section du corps législatif ou du conseil d'Etat, ce qui me prouve que si ce projet n'est pas encore voté, il a du moins fait l'objet des plus sérieuses études du gouvernement français, et qu'il ne tardera pas à être converti en loi.

D'ailleurs, cela est devenu une nécessité en France comme en Belgique, parce que le traité de commerce entre la France et l'Angleterre, fait sur les mêmes bases que celui entre la Belgique et l'Angleterre, porte que le traité accorde à toutes les compagnies et associations commerciales ou financières constituées ou autorisées, suivant les lois particulières à l'un des deux pays, la faculté d'exercer tous leurs droits et d'ester en justice devant les tribunaux, soit pour intenter une action, soit pour y défendre, dans toute l'étendue des États et possessions de l'autre puissance, sans autre condition que de se conformer aux lois desdits Etats et possessions.

D'un autre côté, messieurs, j'ai lu, il y a quelque temps, dans le Moniteur belge, que cette réciprocité, pour ce qui concerne les opérations commerciales entre l'Angleterre et la Belgique, était établie entre ces deux pays par une convention du 15 novembre 1862. Or, voici l'anomalie qui se présente : c'est que les Anglais possédant ce genre de société, nous les autorisons à user de cette arme pour nous faire concurrence en Belgique. Mais nous n'avons pas en la précaution de nous placer préalablement dans les mêmes conditions sous ce rapport.

Je crois que l'honorable ministre des affaires étrangères comprendra l'importance que présente cette question et que, dans un délai aussi rapproché que possible, il voudra bien déposer un projet de loi sur cet objet.

M. de Boe. - Messieurs, la question sur laquelle je désire appeler l'attention du gouvernement et de la Chambre est relative aux incapacités dont certains étrangers sont frappés en Belgique, et dont les Belges sont frappés dans certains pays étrangers quant au droit d'acquérir par voie de succession, de disposer ou d'acquérir par voie de donation entre-vifs et de testament.

Le Code civil distingue, au point de vue de la jouissance des droits civils en général, les étrangers en deux classes. Ceux qui ont obtenu du Roi l'autorisation d'établir leur domicile en Belgique et qui y résident effectivement. Ces étrangers sont, quant à la jouissance des droits civils, assimilés complètement aux Belges.

Ce n'est pas de cette classe d'étrangers que je viens m'occuper ; elle est peu nombreuse.

Les étrangers qui n'ont pas obtenu du Roi l'autorisation d'établir leur domicile en Belgique ou qui n'y résident pas effectivement, sont, en principe, d'après l'article 11, privés de la jouissance des droits civils ; ils ne jouissent que de ceux qui sont accordés aux Belges par la législation de la nation à laquelle ces étrangers appartiennent ; encore faut-il que la réciprocité que suppose cet article soit une réciprocité diplomatique, c'est-à-dire constatée par des traités.

Faisant application de cette disposition au droit de succéder, l'article 726 portait une disposition qui a été modifiée plus tard par la loi du 20 mai 1837, ainsi conçue. C'est par la lecture de cette loi, très courte, que je (page 215) termine les citations indispensables pour vous mettre à même de comprendre le thème que je compte développer devant vous.

« Art. 1er. L'étranger est admis à succéder aux biens que son parent, étranger ou Belge, possède dans le territoire du royaume, dans les cas et de la manière dont un Belge succède à son patent possédant des biens dans le pays de cet étranger.

« Les mêmes règles sont observées pour la capacité de disposer ou de recevoir, par donation entre-vifs, ou par testament.

« Art. 2. Cette réciprocité sera constatée, soit par les traités conclus entre les deux pays, soit par la production des lois ou des actes propres à en établir l'existence. »

Ainsi, messieurs, cette loi dispose qu'à défaut de réciprocité, les étrangers sont incapables de succéder, incapables d'acquérir ou de recevoir par donation entre-vifs, ou par testament, des biens situés en Belgique.

La plupart des pays civilisés, presque tous les pays de l'Europe, ont admis de nos jours les Belges à la jouissance de ces droits, et par voie de réciprocité, les nationaux de ces divers pays sont admis à la jouissance des mêmes droits, en Belgique. Il est cependant, au nombre des Etats civilisés, trois gouvernements qui n'ont pas accordé ces droits aux Belges, et aux sujets desquels ces mêmes droits sont en conséquence refusés en Belgique.

Ces Etats sont la Porte, l'Angleterre et certains comtés de la Confédération américaine du Nord.

Toutefois dans ces divers pays, et notamment en Angleterre, les étrangers ne sont pas déclarés d'une manière absolue incapables de succéder, d'acquérir ou de disposer ; ils sont simplement déclarés incapables d'exercer ces droits quant à des biens immobiliers. Le principe d'exclusion, en Angleterre, diffère d'une manière notable du principe d'exclusion en Belgique ; il provient en Angleterre de la législation qui régit la propriété foncière.

La propriété en Angleterre est encore tout imprégnée des idées féodales. Le souverain, en Angleterre, est censé propriétaire de tous les biens immeubles du royaume. Le propriétaire foncier, le propriétaire réel est une espèce de feudataire qui est tenu à des devoirs, qui est tenu de prêter serment d'allégeance envers la reine. C'est au moins là le droit tel qu'il est expliqué dans les auteurs anglais les plus accrédités. Blackstone et Stephens, ceux que l'on consulte le plus souvent pour l'étude de ces sortes de questions. Ces devoirs, ce serment sont considérés comme incompatibles avec la qualité d'étranger.

Telle est, en deux mots, la raison pour laquelle les étrangers sont déclarés, en Angleterre, incapables de posséder des immeubles. Par voie de conséquence, ils sont déclarés incapables de succéder à des biens immobiliers, de les acquérir ou d'en disposer par voie de donation ou de testament en Belgique.

Je dis, messieurs. que cette incapacité repose uniquement sur la législation qui régit la propriété foncière en Angleterre. J'ai la profonde conviction que le jour où l'Angleterre modifiera cette vieille législation sur la propriété foncière, et elle a fait un premier pas dans cette voie, le jour où elle autorisera l'étranger à posséder des biens immeubles, elle l'autorisera, par voie de conséquence, à acquérir ou à en disposer par toutes les voies de droit ouvertes aux sujets de la Grande-Bretagne. Le principe, ai-je ajouté, sur lequel repose la législation belge, diffère du principe anglais. En effet, le principe belge n'est autre que celui des représailles.

A ne consulter que les principes juridiques tels que les conçoit toute personne imbue des idées larges de la civilisation moderne, un homme, à quelque nationalité qu'il appartienne, doit jouir de tous les droits civils ; il doit par conséquent jouir de tous les modes d'acquérir ou de transmettre la propriété. Telle est l'idée que nous avons de cette question, en dehors de toute considération, juridique positive. Nous déclarons l'étranger incapable d'exercer certains droits de propriété, afin d'arriver à déterminer les gouvernements étrangers à accorder ces mêmes droits aux Belges. Tel est le but de la réciprocité.

Ce système est mauvais, parce que d'abord il est illogique. Si le système était bon, nous devrions le généraliser. Les Anglais déclarent les Belges incapables de posséder des immeubles en Angleterre : pour être logiques, nous devrions déclarer les Anglais incapables de posséder des immeubles en Belgique.

Nous ne le faisons pas, et si quelqu'un émettait cette idée, elle soulèverait une protestation à peu près générale. Tout le monde sait les immenses services que les capitaux anglais ont rendus à la Belgique, capitaux qui très souvent ont été placés en biens immeubles.

Les représailles sont mauvaises en temps de guerre ; toutefois l'état de guerre les justifie, à de certains égards, par les passions surexcitées, par le but de la guerre qui est de faire à l'ennemi le plus de mal possible, les principes que la fin justifie les moyens ne prévalant que trop, les armées sont en campagne pour tuer et pour détruire.

Il se manifeste aujourd'hui un mouvement très marqué pour la disparition de ces usages barbares ; on commence à protester contre tout acte de violence qui s'attaque à la propriété privée, on proteste contre le droit d'embargo, contre la course, contre le blocus ; on veut que la guerre ne soit qu'une lutte d'armées et non une spoliation des individus.

Eh bien, messieurs, le système qui est encore en vigueur en Belgique n'est pas autre chose qu'un système de représailles en temps de paix. Il y a en Europe des gouvernements qui refusent d'admettre les Belges au droit de succéder, au droit d'acquérir par voie de donation ou par voie de testament ; pour amener ces gouvernements à se montrer plus larges à l'égard des Belges, nous frappons leurs sujets, qui, la plupart du temps, n'en peuvent, mais nous les excluons de droits en quelque sorte naturels dont la notion est révélée à tout homme par le bon sens et la bienveillance internationale, qui est l'aspiration de ce siècle et dont la réalisation sera le grand œuvre de l'avenir.

Je vais plus loin et je dis que nous nous frappons nous-mêmes. En effet, d'après la législation actuelle, un Belge se trouve dans l'impossibilité de disposer de sa propriété immobilière en faveur d'un Anglais, des citoyens de certains comtés des Etats-Unis, d'un sujet de la Porte Ottomane, soit par voie de donation entre-vifs, soit par testament, c'est-à-dire que nous paralysons entre nos propres mains l'exercice du droit de propriété. Nous allons jusqu'à frapper nos propres enfants.

Ici, messieurs, la législation présente vraiment quelque chose d'étrange, d'odieux et de barbare. Vous connaissez tous les dispositions du code civil qui déclarent en quelque sorte que deux époux ne peuvent appartenir à des nationalités différentes ; la femme belge qui épouse un étranger suit la condition de son mari et la femme étrangère qui épouse un Belge devient belge.

Je ne critique pas le moins du monde la disposition de la loi qui déclare que la femme étrangère qui épouse un Belge, devient Belge ; si la législation étrangère conserve à cette femme sa nationalité première et tous les droits qui en découlent, celle-ci acquiert de plus tous les avantages attaches à la nationalité belge. Je ne puis qu'en féliciter le législateur de mon pays.

Je n'en dirai pas autant de la disposition en vertu de laquelle la femme belge qui épouse un étranger devient étrangère. Les auteurs qui ont écrit sur le droit civil émettent assez généralement l'opinion que c'est à titre de punition, de déchéance qu'elle perd sa nationalité primitive. Pourquoi cette rigueur ? Pourquoi la femme belge qui épouse un étranger perd-elle sa qualité de belge, pourquoi devient-elle étrangère ? comment se fait-il qu'il y ait incompatibilité entre deux nationalités différentes dans le mariage ? Pour quels motifs la loi civile se montre-t-elle en ceci plus intolérante que la loi religieuse pour l'union entre deux personnes professant des cultes différents ?

Il n'est pas un prêtre catholique ni un ministre protestant qui ne consente à bénir l'union entre catholiques et protestants. Comment se fait-il que la loi civile déclare incompatible l'existence dans le mariage de deux individus appartenant à des nationalités différentes ? C'est une chose dont je ne me suis jamais rendu compte et que je signale en passant.

Messieurs, lorsqu'on combine ces dispositions avec la loi du 20 mai 1837 dont j'ai donné lecture tout à l'heure, on arrive à des conséquences absurdes.

Une femme belge épouse un Anglais ; en vertu du système de réciprocité déposé dans la loi du 20 mai 1837, cette femme devient incapable de recueillir la succession des immeubles de son père. Si cette femme possède des immeubles en Belgique, elle devient incapable, en vertu de la même loi, incapable de disposer de ces immeubles par donation entre-vifs ou par testament.

C'est-à-dire que nous frappons une femme belge devenue étrangère malgré sa volonté, d'une incapacité analogue à celle de la mort civile, mort civile que les membres du Congrès national ont trouvée tellement odieuse qu'ils ont cru devoir interdire à jamais à toutes les législatures à venir de la rétablir.

Je ne crée pas, messieurs, des hypothèses à plaisir, je ne m'égare pas dans le champ infini des suppositions. Voici des faits, faits sur lesquels je n'ai pas de notions bien précises, mais dont on m'a affirmé l'existence d'une manière pertinente, et sur lesquels MM. les ministres des affaires étrangères et de la justice doivent avoir des renseignements certains.

Un Anglais est venu s'établir en Belgique ; cet homme a placé sa fortune en propriétés immobilières dans une province qui, plus que toute (page 216) autre avait besoin de l'afflux des capitaux étrangers, dans le Luxembourg ; cet homme a demandé en Belgique la naturalisation et l'a obtenue.

Ses deux filles mineures ont profité de la disposition de l'article 4 ou 5 de la loi de 1835, et à l'époque de leur majorité, elles ont réclamé la qualité de Belge qui avait été conférée à leur père. Postérieurement elles se sont mariées à des Anglais, et elles sont en conséquence devenues incapables de succéder en Belgique à la fortune immobilière de leur père qui n'a que l'alternative de voir ses enfants déshérités en Belgique ou de réaliser sa fortune immobilière et d'aller chercher ailleurs une terre plus hospitalière. Cette terre il la trouvera.

Alors que l’Angleterre, par respect pour son vieux droit, maintient une législation surannée, selon nous, alors que la Belgique exerce un système de réciprocité, de représailles, de rétorsion, condamné par toutes les idées modernes, un pays voisin est entré dans une voie plus large, plus généreuse et après 40 années d'expérience, la ligne de conduite qu'il a cru devoir suivre, n'a soulevé ni regrets, ni récriminations. Ce pays, c'est la France.

Déjà, sous l'ancien régime, la France avait conclu une foule de traités abolissant, par voie de réciprocité, le droit d'aubaine.

Puisque je prononce ce mot, je crois devoir indiquer les diverses acceptions sous lesquels il est pris, acceptions que l'on confond assez fréquemment.

Le droit d'aubaine a trois significations : dans le sens le plus général du mot, c'est la législation qui règle la capacité ou plutôt l'incapacité des étrangers ; le droit d'aubaine, dans cette acception, est analogue au droit de naufrage ; l'aubain est traité en ennemi, sa condition est celle du serf.

Le droit d'aubaine, dans une acception plus restreinte, c'est le droit qu'a l'Etat de prendre les biens laissés par un étranger à son décès. C'est le droit dont s'est spirituellement moqué l'auteur du Voyage sentimental, Sterne.

Ce droit se réduisait souvent à une espèce de prélèvement sur la succession et de là vient que ce droit a été appelé droit d'aubaine ou de détraction.

Enfin, dans une troisième acception, le droit d'aubaine s'entend des incapacités dont je veux vous parler.

La France avait, par une foule de traités, aboli à la fois le droit d'aubaine dans la seconde acception et le droit d'aubaine dans la troisième acception de ce mot.

Le droit général qui assimilait l'étranger au serf avait disparu avec le moyen âge.

Sous l'impulsion des financiers et des économistes qui dirigèrent les affaires en France sous le règne de Louis XVI, des idées plus généreuses prévalurent. Déjà Necker, lors de son premier ministère, avait songé à assimiler les étrangers aux Français, et cela sans exiger aucune réciprocité. La question fut mise à l'étude, et le 18 janvier 1787, sous l'administration de M. de Vergennes, le roi émit des lettres patentes en vertu desquelles les Anglais, mais les Anglais seulement, étaient admis à une assimilation complète avec les Français, quant aux modes de succession et de transmission des biens mobiliers ou immobiliers.

Les gouvernants de cette époque voulaient relever le crédit de la France, snu agriculture, son industrie et son commerce par l'afflux des capitaux étrangers.

Il eût été complètement impossible de déterminer les Anglais, c'est-à-dire les capitalistes par excellence du temps, à placer leurs capitaux dans l'agriculture française, si on les eût déclarés incapables de transmettre à leurs héritiers les immeubles qu'ils auraient acquis en France.

Toutefois, M. de Vergennes étudiait la question soulevée par Necker, à savoir l'assimilation complète de tous les étrangers aux Français. Mais les événements qui surgirent, la révolution et des affaires plus importantes détournèrent momentanément l'attention du gouvernement de cette grave question.

L'assemblée constituante devait nécessairement s'en occuper et s'en occupa. Le 8 août 1790, elle abolit le droit d'aubaine dans la seconde acception du mot.

Le 8 avril 1791, elle alla plus loin, et elle abolit purement et simplement les incapacités dont je viens de parler, c'est-à-dire qu'elle assimila complètement les étrangers aux Français sans exiger aucune réciprocité. Toute différence était effacée. Un étranger établi ou non en France y disposait, y acquérait par voie de succession, de donation et de testament, tout comme un Français.

On a dit que l'assemblée constituante s'était laissé égarer par les illusions de son imagination et les entraînements de son cœur, qu'elle avait espéré que les nations étrangères ne manqueraient pas de la suivre dans la voie généreuse où elle était entrée, mais que d'amères déceptions avaient suivi le décret qu'elle avait rendu en cette matière.

Messieurs, je ne veux pas amoindrir le sentiment élevé qui a guidé l'assemblée constituante, lorsqu'elle a rendu le décret dont il s'agit. Mais je dois faire observer que les illusions et les entraînements dont on parle étaient alors généraux, que l'œuvre tout entière de l'assemblée constituante était en quelque sorte entourée de ces illusions.

Comme le fait remarquer avec justesse un écrivain moderne, enlevé trop tôt aux lettres, à la science et à la politique, M. de Tocqueville : « La Révolution française marcha un peu comme une religion ; elle en eut la foi et l'esprit de propagande. »

Eh bien, messieurs, le décret dont je parle n'eut peut-être pas ce caractère ; il ne fut pas une œuvre d'entraînement, comme certains décrets de l'assemblée constituant ; il avait été longuement élaboré ; comme je l'ai dit tout à l'heure, dès sa première administration, Necker, s'en était occupé ; il avait fait l'objet des délibérations du conseil du Roi ; il avait donc subi une préparation de près de 10 ans.

Ce département avait prévu que les Français continueraient à se trouver frappés d'incapacité à l'étranger, il n'avait tenu nul compte de cette considération et avait passé outre.

Quoi qu'il en soit, le grief dont j'ai parlé, à savoir que les nations étrangères n'avaient pas imité la France, fut soulevé sous le régime du consulat. A cette époque, on trouva fort mauvaise l'assimilation pure et simple décrétée par la Constituante, et l'on pensa qu'il fallait rétablir la réciprocité et même la réciprocité diplomatique, c'est-à-dire la réciprocité constatée, garantie par des traités. Une tout autre raison fut assignée à ce changement de système. Le premier consul, dont l'influence était prépondérante dans le conseil d'Etat, désirait vivement entrer en contact plus intime avec les puissances de l'Europe, il cherchait à multiplier les occasions de traiter avec elles et trouvait dans l'établissement de la réciprocité diplomatique un excellent motif de nouer des relations plus assidues entre le gouvernement nouveau de la France et les gouvernements anciens de l'Europe.

Quoi qu'il en soit, je me demande quel devrait être l'effet de cette disposition nouvelle. Lorsqu'elle fut adoptée, au mois de mars 1803, on était à la veille de la rupture de la paix d'Amiens, c'est-à-dire d'une guerre avec l'Angleterre, qui devait être inévitablement une guerre continentale.

Par la disposition qu'on venait d'adopter, en vertu de ce principe que les traités tombent par l'état de guerre, tous les étrangers avec les gouvernements desquels la France était en guerre se trouvaient frappés de l'incapacité de succéder, d'acquérir ou de posséder par voie de donation entre-vifs ou par testament. C'était une véritable machine de guerre, prélude des embargos, des emprisonnements, du blocus continental, à l'aide desquels on espérait atteindre les gouvernements en frappant leurs sujets dans leur liberté, dans leurs propriétés, dans leur commerce, dans leur industrie ; c'était, en un mot, une mesure odieuse.

M. Treilhard, dans son Exposé des motifs du titre de la jouissance et de la privation des droits civils, en date du 25 février 1803, prétendait, il est vrai, soutenir la question au point de vue général de la réciprocité ; il disait qu'elle était analogue à celle des droits de douane :

« Le régime des douanes, dit-il, a aussi été jugé sévèrement par des hommes graves, qui désiraient la chute de toutes les barrières : en conclura-t-on qu'un peuple seul ferait un grand acte de sagesse, en supprimant tout à coup et absolument le régime des douanes ? Et n'est-il pas, au contraire, plus convenable d'engager les autres nations à nous faciliter l'usage des productions de leur sol qui peuvent nous être utiles, par la libre communication que nous pouvons leur donner des productions françaises dont elles auront besoin ? »

Cette disposition, messieurs, ne passa pas, toutefois, sans protestation. Il y eut protestation de l 'part de la commission du tribunat, cette protestation devait renaître plus vive, à la chute de l'empire. Dès 1818 déjà M. le duc de Lévis fit à la chambre des pairs une proposition ainsi conçue :

« Le Roi sera supplié de proposer une loi portant abolition du droit d'aubaine et de détraction. »

Je crois que la chambre des pairs, pas plus que la chambre des députés n'avait alors l'initiative des projets de loi et que telle est la raison de cette disposition dont la forme peut nous paraître étrange. Elle fut adoptée par les deux Chambres.

En 1819, le garde des sceaux, M. de Serre, soumit à la chambre des pairs un projet de loi ainsi conçu, qui devint la loi du 14 juillet 1819 :

« 1. Les articles 726 et 912 du Code civil sont abrogés ; en conséquence les étrangers auront le droit de succéder, de disposer et de recevoir, de la même manière que les Français dans toute l’étendue du royaume.

« 2. Dans le cas de partage d'une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, ceux-ci prélevaient sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils s(page 217) seraient exclus à quelque titre que ce soit en vertu des lois et coutumes locales.

On ne céda à aucun entraînement. M. de Serre le déclare très nettement dans son exposé des motifs : « Ce n'est pas par générosité que nous voulons effacer des différences relatives aux successions ou aux transmissions de biens, c'est par calcul. »

Ce fut l'œuvré d'un gouvernement intelligent ayant foi dans le droit, ayant foi dans le progrès.

Et en effet, messieurs, quelle influence cette législation nouvelle si large, si libérale devait-elle exercer sur les droits dont elle parle, sur les droits des Français à l'étranger, de succéder, d'acquérir ou de transmettre par voie de donation entre-vifs ou par testament ? Elle ne fut en rien fâcheuse. Depuis 1819, les Français jouissent à l'étranger, quant aux droits dont je parle, de la même législation que les Belges, qui ont maintenu chez eux le système de la réciprocité.

Le système des représailles ne nous a pas donné plus de résultats, que nous a procuré le système de l'assimilation pure et simple.

Il y a, toutefois, une différence. Les sujets de la Sublime Porte, dont le gouvernement ne brille pas en général par les idées de progrès ; les sujets anglais, qui sont soumis à une législation qu'ils voudraient bien modifier, si l'aristocratie anglaise qui peuple la chambre des lords et dont les cadets occupent les trois quarts des sièges de la chambre des communes, consentait à mettre le droit territorial anglais en harmonie avec les besoins modernes ; les sujets américains, qui vivent sous le même droit territorial que l'Angleterre depuis qu'il y a été transporté au-delà de l'Atlantique par les émigrants du XVIIème siècle, les sujets de ces différentes nations sont admis à acquérir ou à disposer de biens immeubles en France comme les Français.

Voilà la différence qui existe entre la France et la Belgique.

Je vous laisse à décider de quel côté de la frontière est le bon sens, l'esprit de progrès et d'humanité.

Messieurs, pour terminer en deux mots, je prierai M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien faire ses efforts, et autant que cela est possible, de s'adjoindre aux autres nations pour exercer une influence diplomatique sur les gouvernements anglais, américain et ottoman pour qu'ils se hâtent de modifier le principe de leur législation territoriale.

Mais en attendant, je prie le gouvernement de vouloir bien saisir la Chambre d'un projet de loi qui abroge purement et simplement les incapacités dont je viens de parler.

Ces incapacités, je le répète, ce sont pas en harmonie avec les idées qu'on se forme, de nos jours, des droits des divers membres de la famille humaine, à quelque religion, à quelque nationalité, à quelque race qu'ils appartiennent. Ces incapacités ne sont autre chose qu'un dernier vestige du droit d'aubaine, droit que Montesquieu, il y a plus d'un siècle, flétrissait du nom de droit barbare et insensé.

- La séance est levée à 5 heures.