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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 5 mai 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 851) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des tanneurs, à Arlon, demandent égalité de traitement pour les cuirs prussiens et les cuirs belges. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'arrangement commercial avec la Prusse.


« Des officiers pensionnés demandent une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La veuve du sieur Legrand, ancien douanier, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Linkebeek prie la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Luttre à Bruxelles, par Nivelles, Braine-l'Alleud, Waterloo, Rhode-Saint-Genèse, Linkebeek et Uccle. »

« Même demande du conseil communal d'Alsemberg. >

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de chemins de fer.


« Plusieurs étudiants de l'université de Bruxelles présentent des observations sur l’article 8 du projet de loi relatif aux fondations, et demandent que les libéralités au profit de l’enseignement supérieur soient réputées faites à l'Etat, à moins qu'il ne résulte des circonstances ou de la nature de la disposition qu'elles sont faites en faveur de la commune ou de la province. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de projet de loi


« Des habitants d'une commune non dénommée prient la Chambre de rejeter du projet de loi relatif aux fondations, les dispositions contraires aux droits des communes, en reconnaissant et affirmant leur capacité de recevoir des libéralités au profit de l'enseignement à tous les degrés. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Anschaer et Vantalin prient la Chambre de s'opposer à ce que le canon pris par les Belges à la bataille de Waterloo soit rendu au pays qui l'aurait réclamé. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Goudaillier demande que le gouvernement donne des explications sur le fait de la restitution à la France du canon français pris par les Belges à la bataille de Waterloo, si ce fait est exact. »

- Même renvoi.


« La chambre de commerce d'Arlon transmet à la Chambre deux exemplaires de son rapport pour l'année 1862. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« Par dépêche du 4 mai, M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Charles Lichtere. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Huy

M. Muller. - Messieurs, comme complément du rapport que j'ai eu l'honneur de faire samedi et qui concluait à la validité des opérations électorales qui ont eu lieu dans l'arrondissement de Huy, je dépose sur le bureau la preuve que M. Ferdinand de Macar a l'âge requis pour être membre de cette Chambre et qu'il a la qualité de Belge.

En conséquence je prie la Chambre de vouloir admettre M. de Macar à prêter serment.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.

M. de Macar prête le serment prescrit par la Constitution. Il est proclamé membre de la Chambre.

Projet de loi relatif aux fondations en faveur de l'enseignement public et au profit des boursiers

Discussion générale

M. de Theux. - Messieurs, je désire savoir de M. le ministre de la justice s'il est nanti maintenant des renseignements relatifs aux bourses accordées à certaines universités par les provinces ou les communes.

Ces renseignements ne sont pas difficiles à obtenir. Il y a longtemps que la motion a été faite. J'espère qu'il pourront être fournis.

MTJ. - Messieurs, ces renseignements me sont parvenus samedi. J'ai fait faire le tableau pour le déposer aujourd'hui sur le bureau.

Voici donc le tableau des subsides accordés par les provinces et les communes.

- Il est donné acte à M. le ministre de la justice de ce dépôt. Le tableau sera imprimé et distribué.

M. Schollaertµ. - Messieurs, j'aurais voulu ne pas prendre part encore aux débats de la Chambre. Le silence sied aux novices, et je sais combien l'inexpérience peut entraîner après elle de périls.

Mais je me dois, avant tout, à l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter et qui est trop intimement intéressé à la question qui se discute, pour que je puisse avoir l'intention ou le droit de me taire.

J'ai tout d'abord, messieurs, une déclaration à faire. Je n'apporte ici ni haine ni crainte.

Je suis persuadé dans le fond de mon âme que tous vous avez la pureté d'intentions la plus complète ; qu'il n'y a personne dans cette enceinte qui n'ait le désir bien sérieux de servir son pays. Si dans le courant de ce discours, qui sera peut-être énergique, il m'échappait une parole qui pourrait faire douter de ces sentiments, je vous en demande pardon, je la rétracte d'avance ; car bien certainement elle excéderait ma pensée.

Il me serait impossible, messieurs, d'accueillir le projet de loi proposé par le gouvernement, par divers motifs que je n'indiquerai pas tous et dont je me contenterai d'effleurer les principaux.

Le projet de loi, sans violer la liberté de l'enseignement (cette appréciation pourrait être excessive), abaisse l'enseignement libre et diminue, sous ce rapport important, les droits et les attributs de la commune

Je pense aussi, messieurs, et je m'en expliquerai tout à l'heure, que le projet du gouvernement est inévitablement appelé à supprimer dans l'avenir la source des libéralités qui coulaient si abondamment autrefois pour la civilisation et l'instruction du peuple.

Mais le projet me semble surtout regrettable au point de vue du passé, envers lequel il est manifestement injuste. Il est empreint d'un caractère rétroactif incontestable, non seulement parce qu'il prive de leurs droits les collateurs à titre d'office, mais encore et surtout parce qu'il implique une véritable expropriation, qu'il porte atteinte à une propriété privée, qu'il viole l'autorité de la chose jugée et des transactions régulièrement conclues sous la garantie et l'approbation de l'autorité ; parce qu'enfin il dispose, pour les faire entrer dans le domaine de l'Etat, non seulement de propriétés belges, mais encore de propriétés étrangères, ce qui pourrait, d'après moi, être contraire à l'honneur du pays.

Permettez-moi de justifier ces diverses appréciations. Et d'abord, y a-t-il rétroactivité dans la suppression des collateurs à titre d'office ?

Indubitablement, si ces collateurs exercent leur prérogative en vertu d'un droit civil et acquis.

Que ce droit ait un caractère civil, cela n'est plus sérieusement déniable, depuis la démonstration qui en a été faite par l'honorable M. Nothomb, démonstration dont j'affaiblirais la force et l'éclat en essayant de la reproduire.

Je me bornerai à faire remarquer qu'il est acquis aujourd'hui que la commission de 1849, ce collège respectable et savant, derrière lequel l'honorable ministre de la justice se réfugie, dans son exposé des motifs, comme derrière un rempart inexpugnable, attribuait aux collateurs un caractère civil.

L'honorable M. Orts, tout en faisant des réserves pour son opinion personnelle, n'a point contesté ce point capital.

Mais les collateurs peuvent-ils invoquer un droit acquis ? Ce point a été moins complètement traité et exige un peu plus de détail.

Oui, les collateurs à titre d'office peuvent invoquer un droit acquis, Pour s'en convaincre, il' suffit de prendre les fondations de bourses à leur origine, et de se pénétrer sérieusement des principes de la législation alors existante.

A cette époque les personnes civiles naissaient en vertu de la loi. Il y en avait de tant d'espèces différentes, que prétendre que toutes remplissaient un service public, que toutes avaient an caractère politique, que (page 881) toutes se trouvaient sous le domaine immédiat de l'Etat, ce serait affirmer une véritable ! Pour les fondations de bourses notamment, la liberté était en quelque sorte complète. On considérait ces fondations comme un acte fort simple et fort ordinaire de la vie civile. On fondait une bourse dans son testament, vous l'avez pu voir dans les annexes du projet, comme on léguait un manteau, comme on léguait un livre préféré.

Cela était permis par la loi. Ces fondations sortaient si peu du domaine civil qu'il n'était pas même nécessaire, aux termes de l'article 18 de l'édit de Marie-Thérèse, en date du 15 septembre 1753, de faire l'enregistrement ou d'obtenir l'octroi pour les dispositions d'argent ou d'effets mobiliers que l'on voulait employer à cette fin. Les fondateurs réglaient librement les conditions de leurs legs. Et un jurisconsulte, dont personne d'entre vous ne récusera l'autorité, Van Espen, disait en termes formels :

« Le fondateur peut déterminer les règles de sa fonction et prendre toutes les mesures qu'il croit utiles pour en assurer l'exécution et la conservation. »

L'Etat, comme l'a très justement fait observer l'honorable ministre de la justice, exerçait sur les fondations un droit de contrôle et de surveillance. Mais son action était simplement protectrice et tutélaire ; elle n'avait qu'un objet, celui d'assurer l'exécution entière et loyale des intentions du fondateur.

Là se bornait son droit, là finissait son devoir. Jamais le gouvernement de cette époque n'eût songé à s'attribuer une propriété dont il était le simple conservateur, ni de modifier des actes qui étaient, en quelque sorte, confiés à sa garde et à sa loyauté.

L'Etat intervenait dans les fondations de bourses par ce mouvement naturel qui porte le pouvoir social à veiller particulièrement aux intérêts qui réclament une protection plus assidue et plus efficace. Il intervenait comme il intervient de nos jours dans les affaires du mineur, de l'absent, de l'interdit ; ou si l'on veut un autre exemple, d'une nature plus particulièrement administrative, l'Etat exerçait sur les fondations un contrôle analogue à celui que vous avez organisé en votant la loi de 1850 pour l'inspection et la surveillance des établissements d'aliénés. Mais encore une fois, cette action protectrice ne pouvait avoir pour effet de dénaturer le droit, de lui enlever son caractère civil, de le faire passer dans le domaine de l'Etat, ni de conférer à celui-ci le pouvoir d'en modifier les éléments constitutifs.

Une telle modification eût paru à nos pères une usurpation et un sacrilège, et je crois pouvoir mettre mes honorables adversaires au défi d'en citer un seul exemple antérieur à la révolution française.

Bien des documents, au contraire, attestent le scrupuleux respect avec lequel nos ancêtres se conformaient à la volonté des fondateurs. Il suffit de lire la 21ème décision de Wynants pour en avoir un témoignage éclatant et manifeste.

Eh bien, messieurs, parmi les éléments constitutifs d'une fondation, l'institution des collateurs occupait une place principale et essentielle. Le collateur était un véritable exécuteur testamentaire. Il continuait, en quelque sorte, la personne du fondateur, dont il était présumé, surtout quand la collation avait lieu à titre d'office, partager l'esprit, les sentiments, les affections et particulièrement la foi religieuse. Certes, un tel mandat doit être respecté et constitue, pour chaque fondation, suivant les principes tant anciens que modernes, un droit incontestablement acquis

Oh ! si le gouvernement voulait comme ses devanciers se borner à une action tutélaire et protectrice, si en respectant scrupuleusement la volonté des fondateurs, il se bornait à améliorer ou à compléter, les mesures qui doivent en assurer la parfaite exécution, loin de l'accuser, nous serions les premiers à applaudir à ses efforts et à le seconder dans la mesure de nos forces.

Que l'on n'objecte pas que la révolution française a changé l'ancien état de choses. L'honorable ministre de la justice l'a prétendu ; il a affirmé que, selon lui, les biens des fondations de bourses ont été frappés de mainmise nationale, mais il n'a pas même essayé de prouver cette thèse. La chose pourtant en eût valu la peine, car pour soutenir ce système, en dehors duquel le projet du gouvernement, comme je le démontrerai tout à l'heure, devient inacceptable pour tout le monde, l'honorable ministre aurait dû se mettre en contradiction, avec une jurisprudence imposante, constante et que les intéressés considèrent depuis longtemps comme inébranlable.

Après la tempête révolutionnaire, le gouvernement des Pays-Bas recueillit comme des épaves les restes des anciennes fondations. Ce qui distingue son action en cette matière est un caractère de grande probité et une extrême délicatesse.

Tout le système du gouvernement des Pays-Bas se résume dans ces trois pensées : restituer aux titulaires ce qui leur appartient, exécuter aussi scrupuleusement que faire se peut l'intention des fondateurs et quand il est impossible d'exécuter cette intention d'une manière complète, s'inspirer de l'équité et procéder par voie d'analogie.

Ainsi que l'a dit très heureusement mon honorable ami, M. le comte de Liedekerke, l'œuvre du roi Guillaume «st une véritable restitution in integrum. Nous nous trouvons donc aujourd'hui dans une situation presque exactement semblable à celle d'autrefois. Et il en résulte qu'on ne peut pas plus, maintenant qu'alors, contester aux collateurs d’office un droit civil et acquis, c'est-à dire un de ces droits, que la loi nouvelle ne saurait atteindre sans effet rétroactif. Qu'objecte-ou à cette thèse, qui nous semble, comme à la cour d'appel de Bruxelles et à la cour de cassation, si claire et si péremptoire ?

On a dit : Comment voulez-vous qu'il puisse être question de droits acquis, lorsqu'il s'agit d'un droit politique ?

L'honorable M. Nothomb a déjà fait remarquer qu'il ne peut pas s'agir d'un droit politique lorsqu'on parle d'un office qui, depuis 1818, a été rempli non seulement par des Belges, mais par des étrangers, et que des étrangers seraient nécessairement appelés à remplir encore, même si le projet de loi était adopté, puisque ce projet conserve indistinctement les collateurs pris dans la famille du fondateur.

Comment, d'ailleurs, dans un pays dont la Constitution supprime les ordres, pourrait-on admettre sérieusement qu'une fonction que le projet de loi rend héréditaire puisse être aux yeux du gouvernement une charge ou une dignité politique ?

En se plaçant au point de vue de l'avenir, on a ajouté qu'une personne qui n'est pas encore née, qui ne se trouve pas dans les conditions voulues par le testateur, et qui ne s'y trouvera peut-être jamais, ne peut avoir même ce qu'on appelle, en droit, une espérance.

Mais on a oublié, d'une part, que le projet du gouvernement lui-même attribue des droits de collation à ceux qui ne sont encore ni nés, ni conçus ; et, d'autre pati, le Code civil, loin d'exclure une possibilité de ce genre, reconnaît aux articles 1048 et 1049 à des enfants à naître de véritables droits successifs.

Comment, dira-t-on, si un fondateur appelle à la collation d'une bourse le bourgmestre de sa commune et le curé de sa paroisse, soutiendrez-vous que tous les bourgmestres de cette commune, tous les curés à venir ont des droits acquis ?

Non certes. Mais dans ces termes, la question est mal posée. Il va de soi qu'aucun droit acquis ne saurait actuellement reposer sur la tête des collateurs qui existeront dans un siècle, mais il est tout aussi incontestable que les collateurs qui se présenteront successivement dans l'ordre du temps, trouveront dans la fondation même un droit acquis qu'elle implique dès aujourd'hui à l'état d'expectative.

Ceci est conforme à la doctrine :

« Je pense, écrit M. Demolombe, qu'on peut dire, comme proposition générale, que lorsqu'un fait s'est accompli sous la loi ancienne, la conséquence dont ce fait a été le principe générateur, la cause efficiente et directe, forme surtout ce qu'on appelle un droit acquis. »

L'honorable M. Orts a produit quelques objections nouvelles. Il nous a dit d'abord qu'il est moralement impossible de tenir compte de certaines collations attachées à d'anciens offices, puisqu'il faudrait faire souvent les rapprochements les plus étranges pour arriver à la réalisation de quelque chose qui ressemblât encore de loin à ce qu'ont voulu les (page 882) fondateurs ; et à cet égard, se plaçant au point de vue des collateurs ecclésiastiques, l'honorable membre est entré dans certains détails que je dois rencontrer en passant.

Dans cet ordre d'idées, il vous a affirmé d'abord ce premier fait qu'un certain nombre de bourses sont actuellement à la collation d'un prélat hollandais détaché de l'Eglise catholique. C'est une erreur. L'évêque janséniste d'Utrecht n'a jamais conféré les bourses auxquelles l'honorable membre semble faire allusion. Leur collation a toujours appartenu à un prélat orthodoxe en communion avec l'Eglise. Leur collateur actuel est Mgr Jean Zwyzen, dont la résidence, officiellement reconnue par le gouvernement hollandais, est à Rysenburg, près d'Utrecht, et qui n'a rien de commun avec l'ordinaire dissident, établi dans la ville de ce nom.

Mais, continue l'honorable M. Orts, en généralisant sa pensée, l'esprit du catholicisme lui-même n'a-t-il pas changé depuis le XVIème ou le XVIIème ? Et là-dessus il nous a raconté je ne sais quelle histoire sur les luttes qui ont existé autrefois entre les ultramontains et les gallicans, les jésuites et l'université de Louvain.

J'en conviens, messieurs, dans l'église comme dans toute société humaine et vivante, il y a eu, et il y aura toujours des discussions sur des questions accessoires, que l'autorité elle-même abandonne à l'examen des fidèles ; mais au-dessus de ces discussions, qui ne touchent pas à l'essence de la doctrine planent, immuables et indestructibles, les dogmes fondamentaux de la religion.

A ce point de vue, d'ailleurs, nos adversaires suivent un système commode. Pour eux, le catholicisme varie ou reste immobile selon les besoins de la cause qu'ils défendent.

Tantôt nous sommes incapables d'aimer la liberté ou de faire un pas dans la voie du progrès, parce que la vérité que nous croyons avoir conquise nous tient stationnaires depuis dix-huit siècles ; et tantôt notre mobilité est telle que l'esprit de nos croyances n'a pu se soutenir depuis 1750 jusqu'à nos jours sans subir des modifications radicales qui le rendent méconnaissable.

Messieurs, il y a là une véritable contradiction ; et il faudrait bien, une bonne fois, vous mettre d'accord sur ce point capital.

Quant à moi, je pense que si les anciens fondateurs, ces bienfaiteurs généreux du peuple et de la jeunesse studieuse, pouvaient sortir de leur tombe et revenir parmi nous, ils n'auraient pas de peine à reconnaître ceux qui sont restés fidèles à leur pensée religieuse et qu'ils s'élèveraient avec indignation et douleur contre une postérité téméraire qui ose les traiter de momies et qui, sous prétexte qu'ils ont été dupes des préjugés et des erreurs de leur temps, se permet de réformer leur œuvre et de rajeunir leurs testaments.

De tout ce qui précède, il résulte que les collateurs à titre d'office sont en possession d'un droit acquis, fondé sur un titre civil et auquel on ne saurait porter atteinte sans donner à la loi un effet rétroactif, c'est-à-dire sans ébranler la sécurité publique.

Mais le projet entraîne des conséquences bien plus graves et bien plus regrettables encore.

J'ai affirmé, au commencement de ce discours, et je répète hardiment ici, sans incriminer l'intention de personne, que la loi nouvelle aurait pour effet nécessaire de faire entrer des propriétés particulières dans le domaine de l'Etat. En m'exprimant ainsi, j'envisage spécialement les fondations au point de vue des familles qui en ont la jouissance, c'est-à-dire de la parenté qui, dans la plupart des cas, a motive et déterminé la libéralité des fondateurs.

Pour simplifier mon argumentation, je laisse de côté les institués appelés dans un ordre secondaire ou accessoire, quoiqu'elle s'applique au fond à tous ceux que la fondation a voulu favoriser.

On pourrait comparer une bourse à une rente perpétuelle de famille, non rachetable, dont l'Etat surveille l'emploi et dont la jouissance appartient aux parents institués sous la condition de se livrer à de certaines études déterminées par l'acte de fondation.

A proprement parler, une fondation de bourse, qui attribue des droits à des individus déterminés, ne saurait être confondue avec les êtres moraux proprement dits dont a parlé l'honorable M. Orts dans son éloquent et habile discours.

Des corps tels que le clergé, l'ancienne université de Louvain, les couvents ou les hospices d'autrefois avaient cela de particulier qu'ils absorbaient, en quelque sorte, les personnes physiques dont ils se composaient sans jamais leur attribuer un droit propre ou individuel. Mais à côté de ces établissements de mainmorte proprement dits, il existait des collèges, dont les membres possédaient des droits particuliers que chacun d'eux pouvait invoquer en son nom individuel comme une part réelle de son patrimoine.

C'est à cette dernière catégorie qu'il faut ramener les fondations de bourses d'études.

Telle, au moins, semble avoir été la doctrine de l'illustre Stockmans, l'un des plus célèbres jurisconsultes de l'ancienne Belgique. (Interruption.)

Oui, messieurs, ce nom qui vous fait sourire est une de nos gloires nationales, et celui qui l'a porté mériterait de ne point être oublié dans ce mouvement patriotique qui nous porte aujourd'hui à élever des statues à tous nos grands hommes.

Voici comment s'exprime Stockmans : « Si quelqu'un a institué héritiers les pauvres d'une certaine ville ou d'une certaine paroisse, ou s'il a légué à sa parenté des annuités alimentaires, pour subvenir aux frais de leurs études par une fondation dans quelque collège académique, on peut soutenir avec probabilité qu'il n'a pas institué une mainmorte, ni une corporation, ni un collège proprement dit, mais des particuliers appelés suivant un certain ordre, ce qui constitue une grande différence, comme le montre la loi 20 Dig. de rebus dubiis. »

Ainsi, d'après la doctrine de Stockmans, ce ne serait pas la fondation seulement qui posséderait comme personne civile l'objet de la libéralité, mais cet objet appartiendrait comme un droit particulier, dans la mesure voulue par le testateur, à tous ceux qui sont appelés à en jouir dans l'ordre des temps.

Or, messieurs, ceci est de la plus haute importance et jette une vive lumière sur les termes des actes de fondation qui nous ont été communiqués dans le cahier d'annexes que le gouvernement a fait distribuer à la Chambre.

Que voyons-nous là ?

Les testateurs disposent-ils dans l'intérêt de l'instruction publique, entendent-ils affecter à un service public l'objet de leurs libéralités, veulent-ils distraire de leurs patrimoines, enlever à leurs familles, mettre à la disposition de l’Etat les capitaux ou les biens légués ? Il suffit, messieurs, de la lecture la plus superficielle pour se persuader que ces magistrats, ces chanoines, ces dames pieuses qui fondent des bourses, loin de partir d'une pensée d'exhérédation, d'aliénation ou de distraction, tiennent scrupuleusement à ce que leurs libéralités deviennent un apanage de leurs familles, un droit patrimonial et inaliénable.

Ils partagent la jouissance de ce droit souvent par la plus minutieuse et la plus équitable répartition entre les diverses catégories de leurs parents légitimes, ils déterminent avec un soin religieux l'ordre de succession ou de préférence qu'ils entendent établir. Les uns justifient ces préférences par l'origine des biens dont ils disposent, d'autres poussent la délicatesse jusqu'à gratifier sans distinction de sexe tous les membres de leurs familles, et ménagent alternativement aux garçons la faculté de se livrer à l'étude, aux filles le moyen de se procurer ou une existence honorable ou -ne pieuse retraite.

D'autres, à ce qu'on assure, stipulent expressément des clauses de retour en faveur de leur parenté pour le cas où leur volonté ne pourrait plus être mise à exécution.

Nul ne soupçonne qu'un jour l'Etat pourra prétendre des droits aux biens donnés ou légués. Tous agissent dans la persuasion la plus profonde qu'ils créent une propriété privée, qu'ils disposent d'une propriété privée. Les lois et les principes, les doctrines du temps légitiment et justifient cette persuasion et cette confiance. Pour attacher au domaine public la propriété des bourses il faudrait donc véritablement sortir de l'essence des fondations, de l'intention des fondateurs, des éléments qui les constituent ; il faudrait fermer les yeux sur la loi de leur origine et mettre à la disposition souveraine du gouvernement ce qui doit rester à la famille ; cette conséquence me paraît inadmissible, et à moins de prouver qu'il a été expressément et arbitrairement dérogé aux principes anciens par la législation subséquente, à moins d'établir que les bourses, propriétés particulières dans l'origine, ont été nationalisées et incarcérées dans la suite, il faut bien continuer à les envisager comme des propriétés particulières à l'égard desquelles la mission de l'Etat se trouve (page 883) accomplie lorsqu'il a exercé son droit de contrôle et de surveillance. Or, nous l'avons déjà dît, jamais les biens des fondations n'ont été nationalisés ; cela résulte des nombreux arrêts que nous avons cités tout à l'heure et parmi lesquels il importe de signaler particulièrement l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 26 juin 1839, qui décide la question in terminis.

Par cet arrêt, il a été jugé que la bourse fondée par Natalis Dubois constitue une propriété privée, une propriété particulière.

La cour emploie les termes dont je me sers ici et dont la signification ne saurait être sérieusement débattue tant elle est claire et péremptoire. Or, messieurs, veuillez bien le remarquer, la fondation Dubois ne présente aucun caractère particulier, comme vous pouvez vous en assurer en ouvrant l'état officiel des fondations publié par le gouvernement en 1846. Le fondateur institue en premier ordre, les descendants de ses grands-pères et grands-mères ; en deuxième ordre, les habitants du pays de Stavelot, de Luxembourg et de Liège, partie outre-meuse vers Luxembourg, C’est là, je le répète, une institution fort ordinaire, les principes qui lui sont applicables doivent l'être aux neuf dixièmes au moins de nos anciennes fondations. Et pourtant la cour n'hésite pas ; placée au point de vue qui nous occupe ; elle déclare sans réserve et sans périphrases que la bourse Dubois constitue une propriété privée.

M. Bara, rapporteurµ. - Pour les institués probablement ?

M. Wasseigeµ. - Lisez l'arrêt.

M. Schollaertµ. - Vous examinerez l'arrêt, et j'ai assez de confiance dans votre intelligence et dans votre loyauté pour être persuadé que vous serez le premier à reconnaître avec moi qu'il ne s'agit là ni d'institués ni de collateurs, mais simplement de savoir à qui appartient la bourse, si elle a été nationalisée ou si elle est restée dans le domaine privé.

En somme, si j'insiste sur l'arrêt de 1839, c'est uniquement parce que la cour s'y est servie de termes dont la clarté me semble décisive en qualifiant de propriété privée la valeur en litige.

Quant au principe, il a été admis par de nombreuses décisions judiciaires et se trouve implicitement reconnu par tous les arrêts qui ont constaté que les fondations de bourses ont échappé à la mainmise nationale. Ainsi, aux termes de la loi sainement comprise, dans la pensée des fondateurs clairement manifestée et suivant une jurisprudence qui semble devenue inébranlable, les biens appartenant à ces fondations sont, on ne saurait trop le répéter, des propriétés privées, particulières, de véritables apanages de famille.

Eh bien, messieurs, je soutiens que le projet de loi qui vous est présenté tend à enlever aux bourses ce caractère si bien établi. Par l'adoption de ce projet, les bourses deviendraient des propriétés de l'Etat, elles sortiraient du patrimoine des familles pour entrer dans le domaine public. C'est par nous qu'elles seraient nationalisées pour la première fois. Si je parviens à prouver cela, messieurs, j'aurai prouvé deux choses : d'abord, qu'on nous propose une mesure rétroactive du caractère le plus funeste, et en second lieu, qu'en suivant le gouvernement dans la voie où il est engagé, nous ferions ce que le roi des Pays-Bas aurait condamné, ce que l'Empire n'a pas voulu faire et ce que la Convention n'a pas fait.

Pour atténuer de telles conséquences on a beau dire que le projet de loi ne repousse pas les institués, que tous ceux qui sont appelés aujourd'hui à jouir d'une bourse, en jouiront à l'avenir. Je reconnais volontiers que le projet ne porte pas aux institués un préjudice actuel, et que si la loi était mise à exécution ses premiers effets n'auraient rien de bien grave, ni de bien effrayant aux yeux du vulgaire.

Mais comme jurisconsulte, tout au moins comme docteur en droit, j'aime à aller au fond des choses, et j’espère vous démontrer que, malgré les apparences contraires, il y a un véritable transport de propriétés d'un chef à un autre sans cause juridique et légitime.

Messieurs, le droit de propriété est une chose auguste et sacrée, si sacrée et si auguste que vous-mêmes qui êtes revêtus d'une puissance en quelque sorte souveraine pour faire et défaire les lois, vous ne pouvez, tout législateurs que vous êtes, toucher à la propriété.

Le pouvoir constituant a senti que la propriété devait être élevée au-dessus de toutes les majorités politiques, il l'a placée en dehors des atteintes des Chambres législatives. La Chambre des représentants, le Sénat et le Roi réunis sont impuissants à enlever un pouce de terre au dernier des citoyens sans se conformer à l'article 11 de la Constitution.

Eh bien, messieurs, si le projet de loi est adopté, les biens des fondations seront complètement, naturellement sous l'autorité du pouvoir législatif. Du moment que, en vertu de la loi nouvelle, les commissions provinciales seront saisies des anciennes bourses comme des nouvelles, du moment qu'elles en auront l'acceptation, la gestion, la collation en vertu d'une délégation de l'Etat, il appartiendra au gouvernement, comme l'a d'ailleurs reconnu l'honorable M. Bara, de venir vous demander le changement, la modification et jusqu'à la suppression de ce qui existe, si l'utilité publique venait à l'exiger. Si vous déclarez, messieurs, que les biens des fondations sortent du domaine privé, conséquence que le projet implique, cette suppression, aujourd'hui impossible grâce à la garantie constitutionnelle, pourra être faite, dépendra du bon plaisir de la première majorité qui trouvera convenable de la décréter. Là est le danger, le danger que je signale au pays, parce qu'il touche au droit le plus sacré, la propriété, et au pacte le plus élevé, la Constitution.

Messieurs, je vous en conjure, soyons circonspects, ne touchons pas. à ce droit redoutable. Les principes qui constituent la propriété et qui la maintiennent forment dans leur ensemble un arc de voûte dont il est impossible de distraire la moindre pierre sans mettre l'arc entier en mouvement et sans vous exposer, ô imprudents ! à être ensevelis vous-mêmes sous ses ruines.

Mais il faut établir que le projet du gouvernement fait réellement entrer les biens des fondations de bourses dans le domaine de l'Etat.

Cette preuve, messieurs, est facile à faire ; l'honorable ministre de la justice, dans son expose de motifs, affirme dans les termes les plus explicites que les bourses appartiennent à l'Etat, qu'elles ont été partagées par Guillaume entre les diverses universités du ci-devant royaume des Pays-Bas. Il a cette conviction qui est en contradiction avec la jurisprudence de la cour d'appel de Bruxelles et de la cour suprême, mais enfin cette conviction est la sienne et je la crois très sincère. Mais n'est-il pas d'autre part évident, messieurs, qu'en partant de ces prémisses, tout le système de l'honorable ministre de la justice et toute l'économie de la loi nouvelle doivent traiter les fondations anciennes comme choses qui se trouvent à la disposition absolue du gouvernement ? C'est en effet ce qui arrive. C'est aux commissions provinciales organisées pour l'acceptation, la gestion et la collation des nouvelles bourses que le régime des anciennes fondations est transmis, est confié.

A ce point de vue, pour l'honorable ministre de la justice, il n'y aura aucune différence, quant à la possession légale, entre les établissements du passé et ceux de l'avenir.

Les uns et les autres sont traités et logiquement traités comme choses appartenant au domaine public. Le projet fait donc bien réellement passer à ce domaine ce qui appartenait, si nos prétentions sont justifiées, au domaine privé des familles. Il en résulte que, grâce à l'erreur involontaire de l'honorable ministre de la justice, les biens des fondations sont frappés pour la première fois de mainmise nationale, que le projet implique une véritable expropriation et qu'en fait l'article 11 de la Constitution est manifestement violé.

Mais le projet de loi présente d'autres inconvénients que je crois utile de signaler à la Chambre et au pays.

Ce n'est pas seulement parce qu'il dépossède les collateurs d'office, ni parce qu'il fait passer au domaine public ce qui appartient au domaine privé que mon esprit s'inquiète et s'insurge, c'est parce que le projet me semble injuste envers l'étranger, c'est parce qu'il réagit contre la chose jugée, l'autorité des transactions, les promesses des arrangements diplomatiques, toutes choses que le gouvernement a l'obligation, sinon légale, au moins morale, de maintenir et de respecter.

Permettez-moi, messieurs, dans cet ordre d'idées, de vous parler d'abord de la ville de Louvain, dont les intérêts me sont particulièrement confiés et qu'il est de mon devoir de soutenir et de défendre avant tout. J'établirai tout à l'heure le droit de l'enseignement catholique, mais en dehors des considérations que cette question soulève, la ville de Louvain a acquis aux fondations de bourses, eu vertu d'une transaction qui a toute l'autorité de la chose jugée, des droits spéciaux et incontestables.

Chacun sait, messieurs, que les fondations anciennes sont aujourd'hui créancières de la ville de Louvain de rentes considérables. Dans le principe la ville se crut dispensée de ces obligations, mais après de longues procédures où elle succomba constamment, ses représentants, très bien conseillés, à mon avis, renoncèrent à une vaine résistance et crurent devoir transiger, sous la stipulation formelle qu'en exécution des arrêtés 26 décembre 1818 et du 2 décembre 1823, les collateurs exécuteraient, (page 884) autant que faire se pourrait, la volonté des fondateurs tant sous le rapport des conditions requises pour avoir droit à la bourse, que relativement aux lieux d'études. Cette transaction, dont j'ai une copie entre les mains, ne pouvait, suivant l'intention des parties, avoir d'autre but que de faire profiter la ville de Louvain des intérêts payés par elle, en faisant servir ces intérêts autant que possible à des boursiers qui auraient fait leurs études, sans sortir de l'intention des fondateurs, dans le sein même de la commune.

Cette condition, sans laquelle l'arrangement aujourd'hui existant n'aurait peut-être pas eu lieu, s’appliquait à une somme annuelle de plus de 29,000 francs, si mes informations sont exactes. Elle fut approuvée avec la transaction dont elle constitue une condition essentielle par un arrêté royal, en date du 14 avril 1853, et cette transaction parfaitement légale, conclue et arrêtée après l'accomplissement de toutes les formalités prescrites, est contresignée par un homme que nous estimons tous et que la gauche doit honorer d'une sympathie particulière, par M. Ch. Faider, aujourd'hui premier avocat général à la cour de cassation et alors ministre de la justice. (Voir aux annexes, pièce I.)

Je vous le demande, messieurs, serait-il juste et convenable d'attribuer à la loi qui vous est proposée un effet rétroactif dont le résultat inévitable serait de priver une commune belge du bénéfice d'une stipulation qui lui est légalement acquise et dont le gouvernement s'est en quelque sorte porté garant lui-même en lui donnant son approbation ?

Il y a un autre point, messieurs, que je recommande à votre loyauté et à vos consciences. Les bourses qui sont, comme je l'ai prouvé tout à l'heure, du domaine privé, n'appartiennent pas toutes à la Belgique. Plus d'une nation étrangère peut y prétendre sa part. Pendant les guerres de religion, lorsque l'enseignement catholique ne pouvait être donné ni en Angleterre, ni en Prusse, ni en Hollande, de nombreuses boutses furent fondées par les catholiques étrangers auprès de l'ancienne université de Louvain, dont l'orthodoxie et la science jouissaient d'une renommée universelle.

Ces bourses continuent à être conférées par des collateurs étrangers, institués pour la plupart à titre d'offices ecclésiastiques et servent aujourd’hui comme jadis à l'entretien d'un nombre considérable de jeunes gens.

Suivant les recherches qu'il m'a été possible de faire, il existe 90 bourses étrangères, représentant un revenu annuel de 45,305 fr. 99 c.

Ces bourses se répartissent dans les proportions suivantes : pour la Hollande 17,485, pour l'Irlande 7,007 58, pour l'Angleterre 13,052, pour la Prusse 1,098 38, pour la Savoie 813 04 et pour le grand-duché de Luxembourg 5,849 99.

Nous le demandons à la loyauté de la Chambre : parmi les nations que nous venons d'énumérer, y en a-t-il une seule qui ait pu penser que les libéralités faites par un de ses nationaux sous la législation antérieure à la Révolution française, dans un but religieux et privé, dussent passer sous le pouvoir et dans le domaine de l'Etat belge ? Aucune assurément n'a eu ce soupçon, car on peut affirmer hardiment que s'il avait existé à une époque où les envahissements de la réforme menaçaient de se propager par toute l'Europe, pas une bourse n'aurait été fondée.

Les précautions que prennent les fondateurs prouvent d'ailleurs à la dernière évidence, la justesse de cette observation.

N'est-il pas présumable, en présence de ces faits, que les nations étrangères se contenteront difficilement des dispositions de la loi nouvelle ? Ne doit-on pas supposer qu'elles élèveront des réclamations légitimes contre un système qui fait passer ce qui leur appartient dans le domaine de l'Etat belge ? Cela n'est-il pas d'autant plus à craindre, qu'il y a des précédents à invoquer pour faire appréhender, sous ce rapport, leur juste susceptibilité ?

Lorsque en 1857 la Chambre discutait un amendement présenté par l'honorable ministre des finances, comme un prélude au projet qui vous est soumis aujourd'hui, l'honorable M. Malou signala le fait suivant qui mérite de vous être rappelé et dont j'ai extrait textuellement l'exposé des Annales parlementaires du 7 février :

« Séance du 7 février 1857, Annales parlementaires, p. 712. (Discours de J. Malou.),

« Vers 1831, disait l'honorable membre, il s'est passé un fait assez singulier, assez significatif. Il y avait à Liège une fondation intitulée : Couvent des jésuites anglais : et le gouvernement avait pris un arrêté relatif à cette fondation. Or, il s'est trouvé que les jésuites anglais, reconnus par Pacte de fondation, n'étaient pas satisfaits de la décision du gouvernement et que des démarches diplomatiques très actives ont été faites par le gouvernement britannique, dans l'intérêt des jésuites anglais, pour lesquels cette fondation constituait un droit de propriété.

« Le gouvernement britannique soutenait que le gouvernement belge n'avait pas le droit de modifier ou d'organiser d'une autre manière la fondation des jésuites anglais, attendu qu'elle constituait un droit privé, et il ajoutait que la reine était bien résolue à faire respecter ce droit ; de là nous pourrions subir des embarras diplomatiques auxquels on n'a peut» être point suffisamment songé. »

Je ne prétends pas, messieurs, qu'il soit impossible au gouvernement d'aplanir par la voie diplomatique les difficultés et les embarras que son projet peut créer au point de vue des nations étrangères. Il est trop sage, trop prévoyant pour ne pas avoir prévu et assuré la solution avant de s'y exposer. Mais je présume, avec la certitude de ne pas être démenti par l'avenir, que si ces embarras sont aplanis, ce ne sera qu'au prix de sacrifices considérables et au détriment des études qui se font actuellement en Belgique.

Indépendamment du droit qui compète aux nations étrangères en général, il en est avec lesquelles il a été conclu des arrangements internationaux dont l'accomplissement deviendrait impossible si le projet était voté. Je ne citerai qu'un fait qui m'est parfaitement connu. II existe une convention arrêtée entre le gouvernement Grand-Ducal et l'Etat belge, dont la substance se trouve formulée dans la lettre suivante adressée par l'honorable M. Liedts, gouverneur du Brabant, à M. C.-J. Staes, administrateur-receveur de fondations de bourses à Louvain. M. Liedts s'exprime comme suit ;

« Bruxelles, le 19 juin 1850,

« Monsieur.

« J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que par suite de négociations relatives à certaines bourses d'études (annexées aux divers collèges de l'ancienne université de Louvain) qui intéressent les jeunes gens nés dans le grand-duché de Luxembourg, l'arrangement suivant est intervenu entre le gouvernement belge et le gouvernement grand-ducal.

« 1° Fondation Millius. Trois des 15 bourses seront dorénavant conférées sur la désignation du gouvernement grand-ducal, savoir : A. Deux de celles que l'arrêté ministériel du 27 février 1820 laisse à la collation des Etats de Luxembourg. B. Une de celles que ledit arrêté laisse à la collation des proviseurs sur désignation du département de l'instruction publique (aujourd'hui départements de la justice et de l'intérieur), ces trois bourses sont réservées à des jeunes gens du grand-duché actuel.

« 2° Fondations Bertrand-Fontaine et Natalis-Dubois, annexées au collège dit du Saint-Esprit. Les jeunes gens du grand-duché actuel concourront à l'avenir à la jouissance de ces bourses dans la proportion suivante : A ; Pour un tiers dans la fondation Bertrand-Fontaine, et B, pour un quart dans celle de Natalis Dubois.

« 3° Fondation Ruither et Damen, annexée au collège d'Arras. Les jeunes gens de la ville de Luxembourg concourront dorénavant à la jouissance desdites bourses dans la proportion de quatre bourses et ce sur l'indication des autorités grand-ducales.

« Je vous prie, monsieur, de vouloir bien communiquer le contenu de la présente à MM. les proviseurs et collateurs que la chose intéresse.

« A cette occasion, je crois devoir vous faire connaître que la finale de la dépêche que M. le ministre de la justice vous a adressée le 17 octobre 1849, sous le n°5679, devient sans objet.

« Le gouverneur, « (Signé) Liedts. »

Il est évident, messieurs, que si le vote du projet de loi entraîne la suppression des collateurs à titre d'office, la transaction dont parlait l'honorable M. Liedts deviendra inexécutable, à moins, et la chose me semble impossible, que le gouvernement n'accorde à un Etat voisin des droits plus étendus que n'en auront les Belges eux-mêmes.

Je me résume, messieurs, et j'affirme que le projet de loi prive les collateurs à titre d'office d'un droit acquis ; qu'il fait passer une propriété privée dans le domaine de l'Etat ; qu'en procédant ainsi il méconnaît et lèse à la fois les droits du pays et les droits de l'étranger ; qu'il compromet l'exécution de l'arrangement conclu avec le gouvernement grand-ducal ; en un mot, qu'il s'engage dans une série inextricable d'actes arbitraires et funestes.

Ne serait-il pas politique, honorable, prudent, pour échapper à tant de sérieuses difficultés, pour imposer silence à tant de susceptibilités (page 885) délicates et fondées, de modifier le projet en discussion et de faire ce qui a été décrété par la loi sur les fondations charitables, par la majorité du Sénat et par l'unanimité de la Chambre, en dépouillant le projet du caractère qui le rend particulièrement odieux par un amendement qui ferait respecter le passé et qui empêcherait tout effet rétroactif ?

Il me paraît impossible qu'après y avoir mûrement réfléchi, nous ne finissions pas par nous mettre d'accord sur ce point, alors que nos cours de justice, y compris la cour de cassation, si savantes, si impartiales et si désintéressées dans la question, ont considéré le titre de collateur comme un titre civil, et les biens des fondations comme une propriété privée.

Respectons le passé, messieurs, et ne nous exposons pas au regret d'avoir imposé au pays des sacrifices vis-à-vis de l'étranger.

Maintenant, messieurs, y avait-il pour la présentation du projet de loi une de ces causes impérieuses devant lesquelles un gouvernement est excusable de céder et qui, si elles ne le justifient point dans le droit strict, peuvent lui valoir, du moins, devant l'histoire, un bill d'indemnité ? Non, messieurs, à mon avis, cette cause n'existe pas, et je vais tâcher de le démontrer.

Si depuis 1818 il y avait eu dans la collation des bourses de véritables abus, n'est-il pas évident pour tous ceux qui sont initiés aux détails du régime actuel, que des réclamations nombreuses auraient été faites ?

La législation sur les fondations de bourses d'études contient toutes les mesures et toutes les garanties qu'un législateur probe, honnête, a pu imaginer pour exercer l'action tutélaire qui lui incombe.

Chaque fondation a son administrateur et son collateur, qui sont placés sous la surveillance des proviseurs. Elle doit rendre un compte annuel, appuyé des pièces justificatives, à la députation permanente.

Comment pourriez-vous penser que, si des abus réels avaient existé, les députations permanentes, si indépendantes dans ce pays, n'eussent pas fait entendre les plus vives réclamations ? Comment pourriez-vous admettre que l'œil vigilant du gouvernement n'eût pas pénétré le désordre, et ne l'eût pas réprimé ?

A un autre point de vue, si on avait été injuste envers les institués, si les institués n'avaient pas été traités selon le titre de la fondation, croyez-vous que depuis 1818 jusqu'aujourd'hui, ils se seraient tus ? que nul d'entre eux n'aurait eu assez d'énergie ou de protection pour élever la voix ?

Mais remarquez-le, messieurs, d'après la législation du roi Guillaume, tous les recours leur étaient ouverts, ils pouvaient s'adresser au ministre et saisir par l'intermédiaire de ce haut fonctionnaire, sans frais et sans formalités, le comité consultatif établi au département de la justice et composé des magistrats les plus savants et les plus graves.

Ce n'est pas tout : Si la décision toute provisoire du ministre de la justice ou du comité consultatif ne les satisfaisait point, ils pouvaient s'adresser aux tribunaux pour la défense et le maintien de leurs droits.

Cependant, nul des institués, que je sache, ne l'a fait ; et ce silence même, depuis 1818 jusqu'en 1863, n'est-il pas le plus magnifique témoignage de la régularité, de l'honnêteté et de l'impartialité qui ont régné dans l'administration des fondations de bourses ?

Messieurs, il y a un moyen de s'assurer si véritablement les anciens collateurs ont démérité, si, comme on l'a prétendu dans cette Chambre, ils ont manqué à leur devoir et pratiqué eux-mêmes, au profit d'un établissement préféré, la spoliation dont les accusent leurs adversaires.

Ce moyen est bien simple, que le gouvernement produise, s'il le juge convenable, pour une période déterminée, l'état nominatif des jeunes gens auxquels des bourses ont été conférées par des collateurs à titre d'office. Cette révision ne saurait manquer de jeter sur la question une vive lumière. Cependant, loin de la craindre, je la désire et la provoque. Il y a à Louvain plusieurs collateurs à titre d'office et j'ose affirmer, en leur nom, que tous sont prêts à se soumettre à l'examen le plus rigoureux.

Jamais réclamation ne s'est élevée contre eux, et ils sont sûrs d'avoir, en toute circonstance, légalement et consciencieusement agi.

Cela seul ne prouve-t-il pas, messieurs, le peu de fondement des reproches qu'on a articulés contre un système qui est appliqué en notre pays depuis plus de quarante ans.

Cependant parmi les innombrables collations faites depuis 1818, l'honorable M. De Fré a cru pouvoir en signaler une qui aurait eu lieu en violation de l'acte de fondation. D'après l'honorable membre, la bourse Serdans aurait été conférée à un étudiant originaire d'Hoogstraeten, tandis qu'elle n'aurait pu, d'après lui, être attribuée suivant l'acte de fondation qu'aux parents du fondateur et, à leur défaut, aux habitants de son lieu de naissance.

C'eût été, messieurs, une tache bien légère, qu'une telle infraction, au bout d'un aussi long laps de temps. Mais cette infraction unique, nous n'avons pas même à la reconnaître puisqu'il suffit d'ouvrir l'état officiel des fondations dressés en 1846, pour savoir qu’à défaut des institués déterminément appelés, il appartient aux collateurs de conférer à leur choix cette bourse à tous autres.

Ainsi le seul reproche qui ait été élevé pendant la discussion repose sur une erreur manifeste. Les collateurs de la bourse Sanders ne sont pas sortis de leur mandat, ils ont simplement appliqué un principe que j'ai entendu vanter sur les bancs de la gauche et qui est généralement juste, savoir que les bourses devraient être toujours conférées.

Mais il est temps d'aborder loyalement les deux grandes objections qui se sont produites ici contre l’ancien état de choses.

Nos honorables adversaires ont reconnu que les réclamations ont été peu nombreuses, mais d'après eux ce fait n'a rien de surprenant. « Quel est l'étudiant, nous demandent-ils, qui a assez d'énergie pour s'adresser à l'autorité, assez de ressources pour recourir aux tribunaux ? N'argumentez pas du silence de ceux qui auraient eu des griefs à élever. Ce qui prouve que votre régime est vicieux, c'est que l'université catholique de Louvain absorbe sans titre ni droits toutes ou presque toutes les bourses. Ce privilège qu'un établissement doit, non à la loi, mais à la complaisance ou à la connivence des collateurs à titre d'office ecclésiastique accuse à lui seul les vices du système et réclame une prompte réparation. »

Les honorables membres d laà gauche ont cru signaler les causes de cet abus si considérable à leurs yeux. A les en croire, cet abus dérive, d'une part, de ce que l'université catholique se croit politiquement et légalement héritière de l'ancienne université de Louvain, et, d'autre part, de ce que les collateurs à titre d'office sont des prêtres qui se laissent guider par leur conscience sacerdotale, et qui, sans intention coupable pourtant, sont inévitablement entraînés à favoriser un établissement religieux qui leur est cher au détriment d'autres établissements laïques et rivaux.

Tel est, je pense, dans toute sa force, le double grief qui est formulé pour la justification du projet de loi. Je vais y répondre.,

D'abord, messieurs, l'université de Louvain absorbe réellement toutes les libéralités dont on lui reproche la jouissance ? Ce serait une grave erreur que de le croire. Je pense même que les bourses dont jouissent les étudiants de Louvain continueraient à leur être conférées pour la plus notable partie, même si la loi était votée, tant leurs titres sont clairs et irrécusables.

Mais ce qu'ils touchent aujourd'hui n'absorbe ni le tout, ni la moitié, ni le quart des anciennes fondations.

Comme député de Louvain, spécialement intéressé dans la question, j'ai eu la patience de faire sur l'état officiel de 1846 un petit travail statistique que je crois convenable de vous soumettre.

L'état entier comprend 781 bourses. Parmi les collateurs de ces bourses, il est bon de le remarquer en passant, il y a 64 étrangers.

121 bourses sont exclusivement affectées à l'étude de la théologie et représentent ensemble un revenu de 46,866 fr. 7 c.

263 bourses sont affectées à la théologie, à la philosophie et aux lettres et représentent un revenu de 96,028 fr. 21 c.

Enfin 126 bourses sont affectées à la théologie et aux autres sciences.

La théologie a donc un droit absolu ou partage à 510 bourses. Elle continuera à profiter de la somme que ce droit représente ; oui, que la loi soit votée ou non, cette somme est acquise à l'enseignement théologique normal et supérieur. Nous sommes d'accord sur ce point. Et qu'on veuille bien y faire attention, si la théologie est traitée avec équité, sa part sera grande dans les bourses dont elle jouit concurremment avec la philosophie et les autres sciences, puisque ces. études préparatoires sont fréquemment considérées, dans les actes de fondation, comme un simple acheminement aux études ecclésiastiques.

Eh bien, messieurs, toute cette part de la théologie, cette part si considérable échappe à l'université de Louvain, elle n'en touche pas une obole au profit de son enseignement profane ; les facultés de théologie seules en profitent. Cela est et demeurera légal, cela est nécessaire parce que telle a été la volonté des fondateurs.

Continuons sérieusement notre examen, messieurs, et vous verrez (page 886) s'évanouir le fantôme que l'on a évoqué. L'université jouit d'un fonds considérable, j'en conviens ; mais ce fonds ne s'élève pas à un chiffre bien effrayant lorsqu'on décompose celui-ci, les actes de fondation à la main.

Pour le démontrer, je veux examiner rapidement devant vous un compte du receveur des fondations annexées aux anciens collèges de Louvain et qui se rapporte à l'exercice de 1860-61. Ce compte est une pièce officielle dont une expédition originale doit reposer au greffe de la province, peut-être même au ministère de la justice. Mais je dois le faire remarquer, la recette du receveur de Louvain est loin de s'appliquer à la totalité des bourses. J'aurais voulu opérer sur les chiffres qui nous ont été fournis par l'honorable ministre de la justice et qui embrassent toutes les anciennes fondations ; mais j'ai dû renoncer à satisfaire ce désir, parce qu'il m'a été impossible de connaître, au point de vue des besoins de ma thèse, les éléments divers dont ces chiffres sont composés. Les résultats que je vais obtenir, j'aime à le répéter, messieurs, pour éviter toute confusion, seront donc simplement relatifs et nullement absolus, comme ils l'eussent été si j'avais pu me servir utilement de la statistique du gouvernement. Ainsi au lieu de vous dire ce que les élèves qui fréquentent l'université de Louvain touchent annuellement, je pourrai simplement vous indiquer quelle est la part de ces élèves dans la recette des fondations annexées aux anciens collèges universitaires.

La recette totale pour 1860 a été de 138,724 88

Sans parler des capitalisations, droits de recette, frais prévus, imprévus, répartitions et réserves dont le compte, approuvé par la députation permanente, contient l’enonciation précise et détaillée. J'observe que la répartition du chiffre ci-dessus énoncé a eu lieu de la manière suivante :

1° Pour la théologie, y compris la faculté établie près l'université de Louvain, 45,831

2° Pour les humanités, 8,677 93

3° Pour les universités de Bruxelles, Gand, Liège, réunies 7,156

4° Pour l'université de Louvain 24,914 08

Ce dernier chiffre n'est pas élevé ; cependant à le prendre numériquement, il pourrait avoir pour quelques-uns d'entre vous un caractère étrange, puisqu'il semble en résulter pour l'université de Louvain une véritable part léonine, quand on compare sa jouissance à celle des autres universités. Mais l'injustice n'est qu'apparente, et on ne saurait en matière de fondation partir d'un principe plus radicalement faux et erroné que celui qui chercherait l'équité dans une répartition arithmétiquement égale de toutes les bourses entre tous les établissements d'enseignement supérieur. Il faut tenir compte en cette matière de la volonté des fondateurs, et en partant de là tout change d'aspect. Cela est incontestable pour l'université de Louvain.

Je viens de dire que la part de cette université s'élève à 24,914 08.

Mais il est à observer que les familles des fondateurs établies à Louvain, et les Louvanistes appelés par privilège absorbent à eux seuls, 6,737 94

Les étudiants étrangers touchent donc une somme de 18,171 14

Mais comme d'après l'état de M. C. J. Staes, les quatre universités réunies reçoivent ensemble la somme de fr. 25,327, Louvain aurait à prétendre dans cette somme, sur le pied d'une répartition égale, celle de 6,331, 78 ; d'où il suit qu'en dernière analyse son université ne reçoit hors part qu'une somme annuelle de 10,000 à 12,000 francs.

En fixant ce chiffre je fais, comme on voit, abstraction de ce qui est touché par les Louvanistes d'origine, qui continueront, à titre de légataires favorisés, à jouir des bourses qui leur sont conférées, et a en jouir dans la ville de Louvain. Il n'est pas présumable, en effet, qu'un jeune homme qui reçoit un secours de 200 à 400 fr. voudra en ajouter 1,500 à 2,000 à la première somme pour fixer si résidence au siège d'une autre université.

Voyons maintenant, messieurs, si le préciput de 10,000 à 12,000 fr. dont je viens de parler est reçu sans titre, à la suite d'une compression illégale et grâce à une connivence qu'on n'a pas hésité ici à qualifier de véritable spoliation.

On connaît en général très peu dans le pays la question des bourses, et ce que je vais en dire pourra éclairer même certains journaux catholiques qui ne cessent de parler à leurs lecteurs des « fondations de l’université. »

L'université catholique est-elle héritière de l'ancienne université de Louvain ?

Elle ne le prétend pas, et elle ne l'a jamais prétendu.

L'ancienne université de. Louvain n'était pas une université de l'Etat dans le sens moderne de ce mot. C'était une université nationale, s'appuyant d'une part, sur l'autorité religieuse et, de l'autre, sur l'autorité politique, mais vivant de sa propre vie, se recrutant dans son propre sein, ayant ses privilèges, ses lois et sa juridiction spéciale, et accomplissant sous la protection plutôt que sous la dépendance de l'Etat la glorieuse mission qu'elle s'était imposée de refléter la pensée religieuse et scientifique du pays.

C'est ainsi, messieurs, que pendant quatre siècles, l'université ne cessa de produire des grands hommes et de rendre d'immenses services. Si elle avait pu échapper à la tourmente révolutionnaire, si nos conquérants, qu'on a ici appelés nos pères, avaient respecté cette illustre et vénérable école ; savez-vous, messieurs, ce que serait aujourd'hui l'ancienne université de Louvain ? Elle serait l'Oxford de la Belgique. Oxford, messieurs, dont on ne saurait parler irrévérencieusement en Angleterre sans se rendre coupable, aux yeux du pays tout entier, du crime de lèse-gloire nationale.

Autour de l'ancienne université venaient se grouper des fondations dont son enseignement avait été le motif, mais qui restaient indépendantes d'elle, séparées d'elle et auxquelles elle n'était liée par aucune confusion de patrimoines. Ces fondations, que l'on pourrait comparer aux demeures qui entourent un château, aux tentes qui environnent un temple, étaient des établissements particuliers, vivant aussi de leur propre vie autour de l'université dont elles étaient si radicalement séparées, qu'il existe des actes où la défense de communiquer )e compte de certaines bourses à l'autorité universitaire est expressément formulée. Qui ne sait d'ailleurs que, pour presque toutes les fondations, Louvain c'est pas un lieu d'études exclusivement désigné, que cet illustre nom se trouve fréquemment accolé à celui de l'école de Douai, et que, prévoyant certaines éventualités, les fondateurs autorisent les boursiers à faire leurs études dans toute autre université catholique et fameuse même à l'étranger.

Cette séparation sur laquelle j'insiste résulte tout aussi clairement de la législation française et spécialement de la loi de messidor an V, et du décret du 4 brumaire an VI qui, s'appuyant sur la distinction que je veux mettre en lumière, ordonnent la « remise » aux agents du domaine de tout ce qui formait la propriété de l'université de Louvain et qui confient à l'administration municipale la gestion de tout ce qui dépendait de la fondation des bourses. (Arrêt de la cour de cassation du 26 janvier 1850 et surtout le réquisitoire de M. l'avocat général Delebecque dont il est précédé. Pasic. Année 1850, page 182.)

Ainsi l'ancienne université elle-même n'était pas propriétaire des bourses ; celles-ci appartenaient, comme aujourd'hui, au patrimoine des familles, et lors même que l'université actuelle serait l'héritière de sa catholique et glorieuse devancière, cet héritage ne saurait lai donner un droit que l'antique université elle-même ne possédait pas.

Non, messieurs, comme sa sœur, l'université libre de Bruxelles, l'université catholique n'a pas d'aïeux. Elle est issue spontanément de la Constitution et de la liberté, et si elle a hérité quelque chose de l'ancienne université brabançonne, c'est son esprit et cet héritage, vous ne le lui contesterez pas.

L'université de Louvain reconnaît que pas plus que Liège, pas plus que Gand, pas plus que Bruxelles, elle n'a droit aux bourses à cause de la résidence où elle se trouve établie ; ces bourses sont, à ses yeux, des propriétés particulières, elle ne s'immisce ni dans leur administration ni dans leur partage et, pour tout dire en un mot, pas un de ses professeurs, pas un membre de son sénat académique, n’intervient, à ce titre, dans la collation d'une bourse quelconque.

(page 887) Voilà la vérité, toute la vérité.

Mais s'il en est ainsi, comment, dira-t-on, comment se fait-il que Louvain soit si notoirement, si particulièrement favorisé ?

Je viens de prouver que la préférence est loin d'être aussi grande qu'on le pense, mais fût-elle plus minime encore, Il est bon, il est nécessaire de la justifier et de l'expliquer.

D'où vient donc cette préférence qu'on a traitée d'inique, d'injuste, d'illégale ?

Elle procède de raisons nombreuses.

Il y a d'abord certaines bourses qui obligent les collateurs de préférer autant que possible, non point l'université, mais la localité même de Louvain. (Interruption.)

Lisez les titres. C'est la meilleure preuve. On n'est pas entré dans l'esprit des anciennes fondations, parce que les actes constitutifs n'ont pas été suffisamment étudiés.

M. dc Theuxµ. - Cela a été décidé par d'éminents jurisconsultes.

MTJµ. - Vous avez décidé le contraire.

M. de Theux. - Pas du tout, je répondrai à cela.

M. Schollaertµ. - Je dis qu'il est incontestable, pour les hommes désintéressés qui les consulteraient, que certains actes donnent la préférence non à l'université, mais à la ville de Louvain.

Parmi les causes de préférence, je pourrais signaler le choix des familles, qui, dans un pays catholique comme le nôtre, doit constituer pour l'enseignement religieux en général un avantage très influent et très majeur. Mais j'aime mieux revenir à cette transaction, dont je parlais tout à l'heure et qui a été approuvée par un arrêté royal, n'ayant guère que deux ans de date, et signé par l'honorable M. Faider.

Si les collateurs ont suivi, dans la mesure voulue, cette transaction, en tenant compte du lieu d'étude, au point de vue de la ville de Louvain, quel reproche a-t-on à leur faire ? Sachez, messieurs, que la commune de Louvain paye aux fondations une somme annuelle de plus de 29,000 francs, et que cette somme n'est payée qu'en exécution d'un contrat dont les clauses doivent être respectées ; d'une transaction qui aurait pu ne pas être consentie par la ville, et celle-ci avait prévu la présentation du projet qui est soumis, en ce moment, à vos délibérations.

II me reste, messieurs, un dernier point à traiter.

Est-il vrai que les collateurs à titre d'offices ecclésiastiques céderaient à une influence illégitime, si par exemple dans des circonstances d'ailleurs égales, ils préféraient, entre plusieurs candidats, celui qui aurait l'intention de suivre un établissement catholique ? ou bien, messieurs, ces collateurs ne sont-ils pas fréquemment obligés, en honneur et en conscience, de céder à ce sentiment que vous qualifiez de coupable connivence, et qui n'es àa mes yeux qu'un désir honorable de respecter la pieuse intention des fondateurs ?

Je vais répondre à cette question avec une entière franchise. J'avoue même qu'en la traitant, je ne serai pas de l'avis de tous les honorables membres de la droite ; je suis moins concessif, plus rigoureux que quelques-uns de mes amis.

A. mon avis, messieurs, une idée qui n'est pas entièrement exacte, a fait singulièrement dévier la discussion.

On a prétendu, sans distinguer le passé de l'avenir, que le boursier doit toujours être libre dans le choix de l'établissement.

Je ne conteste pas ce principe pour l'avenir, et je voterai pour l'amendement de l'honorable M. Orts, s'il est présenté de telle manière que l'avenir seul reste en cause.

Mais ma conscience me défend d'admettre que ce principe puisse toujours rigoureusement et honorablement être appliqué au passé. Pour moi, messieurs, il est dans cette matière une maxime qui doit diriger les collateurs et qui domine toutes les autres règles.

Cette maxime dirigera aussi les hommes honnêtes que vous appellerez à siéger dans vos commissions provinciales. Ce qui doit être suivi avant tout et scrupuleusement observé, comme le disait le roi Guillaume, c'est la volonté des fondateurs.

Il faut, messieurs, exécuter les testaments, et en partant de ce principe, je voudrais qu'on me dise sous quel prétexte, lorsqu'il a été stipulé dans un acte de fondation en termes clairs, précis, impératifs, que la libéralité devra être employée à propager l'enseignement catholique, vous dérogeriez à cette prescription.

Pourquoi serait-il moins satisfait à cette clause qu'à celle par laquelle des fondateurs imposent l'enseignement catholique par excellence, c'est-à-dire, l'étude exclusive de la théologie ?

Transportons-nous, messieurs, pour un moment en Angleterre, dans ce libre, loyal et glorieux pays où l'action politique sait respecter le sentiment religieux sous quelque forme qu'il se présente, et demandons-nous ce qui arriverait, si un fondateur attache à la grande et antique université d'Oxford avait ordonné, dans son testament, de n'affecter le produit de ses libéralités qu'à des boursiers qui consentiraient à faire leurs études dans un établissement voué aux doctrines anglicanes.

Allons plus loin et supposons qu'un fondateur dissident ait préféré, pour ceux qu'il entend favoriser, l'enseignement méthodiste presbytérien, que pensez-vous que serait le sentiment de la nation anglaise si par une interprétation beaucoup trop large, si par une violation manifeste de l'esprit du testament, l'Etat ou des collateurs quelconques s'arrogeaient le droit, malgré les prescriptions formelles que je suppose, d'envoyer les boursiers dans une école catholique, juive ou rationaliste ? Messieurs, je le proclame à l'honneur de ce libre pays, l'Angleterre tout entière se lèverait contre un pareil système et en considérerait l'application comme une violation manifeste d'une des choses les plus respectables et les plus sacrées, la volonté d'un bienfaiteur.

Et qu'on ne m'oppose pas l'esprit des arrêtés de 1818 et 1823 ! Qu'a voulu le roi Guillaume ? Il a scrupuleusement recueilli, comme je le disais tout à l'heure, les épaves que la révolution avait laissées après elle. Guillaume, toute son œuvre le prouve, a entendu restituer aux bourses leur première destination. C'est pour cela qu'il a rétabli les titulaires dans la plénitude de leur droit ancien, c'est pour cela qu'il a restitué aux facultés de théologie et aux séminaires les fondations destinées à la propagation des sciences sacrées.

S'il a partagé les autres bourses, celles nommément qui sont affectées aux études profanes, entre les universités de l'Etat, ce n'est pas qu'il ait voulu déroger à son principe fondamental ni attribuer au domaine public ce qui appartient au domaine privé, mais par la raison simple et péremptoire qu'il n'y avait pas à cette époque d'autres établissements d'enseignement supérieur.

Et qu'a fait à son tour le gouvernement belge, lorsque, grâce à l'article 17 de la Constitution, la liberté de l'enseignement a pris place dans notre droit public ?

Le gouvernement belge, messieurs, a voulu étendre aux établissements libres un droit qui ne pouvait appartenir avant son avènement qu'aux universités de l'Etat. Il a voulu que dans la suite tout établissement que soutiendrait, qu'approuverait, que rechercherait la conscience nationale pût profiter des legs anciens. Et ainsi, messieurs, il n'a pas diminué mais élargi la sphère des collateurs, et leur a fourni le moyen de suivre de plus près l'intention des fondateurs.

La liberté du boursier ! mais ne comprenez-vous donc pas que la liberté de l'enseignement a été proclamée beaucoup plus pour celui qui enseigne que pour celui qui reçoit l'instruction ? Ne sentez-vous point qu'il s'agit moins, dans la liberté de l'enseignement, du droit de suivre que de donner des leçons ?

Ces morts, messieurs, qu'on a si dédaigneusement traités dans le rapport de la section centrale, enseignent du fond de leurs tombes comme les grands écrivains, réduits en poussière depuis des siècles, enseignent du haut de leurs livres.

Et quand ils veulent donner à un enseignement religieux, et ne veulent donner qu'à lui, lorsque cela est incontestable pour tout esprit intelligent, pour toute conscience honnête et juste, leurs voix ne méritent-elles pas d'être entendues et obéies dans un pays loyal comme la Belgique ?

Messieurs, je vais avoir l'honneur de mettre sous vos yeux quelques actes de fondation dont il doit lumineusement résulter que, si vous aviez été à la place des collateurs ecclésiastiques, vous eussiez agi comme eux par un sentiment de probité.

Je pourrais en apporter ici par centaines où respire l'esprit de la plus fervente piété, où l'on débute par des invocations religieuses d'une singulière ardeur, par lesquelles des prières quotidiennes sont imposées à la conscience du boursier, où éclate enfin, dans son expression la plus pure, l'esprit du prosélytisme catholique ; mais je me suis borné a en choisir deux qui méritent de vous être particulièrement soumis.

Voici d'abord un acte de fondation, datant du 5 mars 1710 et émané de M. le chanoine de Tramazure qui avait l'honneur d'appartenir à l'une des familles notables de cette capitale.

Les premiers mots de cet acte sont les suivants :

« A la plus grande gloire de Dieu et pour l'exaltation de notre mère la sainte Eglise. » Et ces mots suffisent pour jeter sur l'intention de M. de Tramazure un vif et indiscutable éclat.

Après ce début, M. de Tramazure fonde quatre ou cinq bourses pour la théologie et la philosophie. Il affecte ses libéralités aux membres de sa (page 888) famille et tâchant d’être aussi scrupuleusement juste que possible, tan envers ses parents paternels qu’envers ceux de la ligne maternelle.

Enfin, après avoir désigné les personnes qu'il entend favoriser à défaut de celles-rc, M. de Tramazure termine sa disposition par la clause suivante :

« Et si d'aventure il se présenterait des étudiants qui auraient achevé leurs cours de théologie, et qu'ils désirassent, pour la gloire de Dieu et du saint Evangile, se produire pour aller prêcher dans les pays étrangers et infidelles et à y planter l'étendart de la croix au prix de leur sang comme ont autrefois fait plusieurs de mes chers parents, en ce cas je consent et ordonne que mes cits intendants, proviseurs, exécuteurs de ma dite fondation, pourront leurs compter et avancer une année de bourse pour faire le voyage de Rome, et là se présenter au collège des missionnaires pour se disposer et se faire approuver idoines à apprendre les langues, les méthodes, et vertus nécessaires à un aussi grand et important sujet. »

Messieurs, je vous le demande, à vous qui êtes des hommes d'honneur, que feriez-vous en présence d'une pareille disposition dont la religion est à la fois le but et la cause déterminante* ? Y a-t-il quelqu'un parmi vous qui ayant à conférer les bourses instituées par M. de Trama-ure, voudrait ne pas se préoccuper des intentions chrétiennes du fondateur et consentir par exemple à ce qu'un boursier profitât de ces saintes libéralités dans un de ces établissements, comme il pourrait en exister un jour, et dont on verrait sortir non pas les apôtres et les martyrs que le fondateur appelle, mais des persécuteurs ?

Voici un second acte qui exprime, sous une autre forme, des sentiments analogues.

Le testament que j'ai en mains est celui d'une pieuse dame d'Anvers, Mlle Sophie Van Brunhere. Il a été reçu par acte public, le 12 septembre 1653, et voici une clause sur laquelle j'appelle toute votre attention :

« S'il arrivait que la religion catholique, romaine cessât de pouvoir être exercée publiquement à Louvain, les boursiers seraient obligés de continuer leurs études à la plus proche université catholique, soit à Cologne, soit à Douai et que si dans la suite, la religion catholique romaine venait à être rétablie à Louvain, les boursiers devraient retourner à Louvain. »

Encore une fois, que peut faire un collateur consciencieux placé en présence d'une telle disposition ? L'enseignement catholique n'est-il pas retourné à Louvain comme le prévoyait la testatrice ? Et ne serait-ce pas ouvertement violer la volonté de celle-ci que de permettre à un boursier de jouir de ses libéralités à Gand ou à Bruxelles ?

A ces considérations, messieurs, il n'y a rien de sérieux à objecter. C'est avec regret que j'ai lu, dans le rapport de l'honorable M. Bara, gemment on voudrait essayer d'y répondre.

Si le fondateur vivait de nos jours, nous dit-on, il serait le premier à supprimer sa condition. Devons-nous être plus scrupuleux que lui, devons-nous persister dans ce que lui a conseillé l'erreur ou l'ignorance... faut-il respecter la volonté même absurde, même nuisible de ceux qui depuis des siècles reposent dans la tombe ?... Mais les morts n'ont rien à redouter du projet de loi... La loi fait ce qu'ils ne peuvent plus faire, on rajeunit leur œuvre, on la met en harmonie avec les progrès de la civilisation.

Qu'est-ce à dire ? et que signifie ce langage pour un esprit un peu clairvoyant et habitué à lire à travers la lettre ? Que les hommes vénérables et pieux, dont je viens de lire les actes, seraient, s'ils pouvaient revenir dans le monde, les premiers à vous remercier ! Ils serait ni heureux de vous voir réparer les fautes qu'ils ont commises involontairement dans un siècle d'ignorance, et considéreraient comme un service rendu à leur mémoire la complaisance que vous mettez à « rajeunir » leur testament ? En vérité, le mot est joli et mérite de devenir historique.

Je comprends votre pensée. En nous parlant d'anciennes idées évanouies devant le progrès de la raison humaine et en rapprochant cette insinuation de l'enseignement catholique que recommandent les fondateurs, vous voulez faire entendre, et nul ne s'y trompera, que leur doctrine est aussi morte qu'eux-mêmes.

Mais moi qui suis religieusement attaché au catholicisme, je proteste contre cette injure que ne mérite pas la religion de la majorité des Belges.

Non ! non, l'esprit de l'Eglise n'est pas mort. Il vit et il vivra plus longuement que ceux qui le méconnaissent.

Regardez en bas, que voyez-vous ? D'immenses multitudes à côté desquelles vous ne représentez qu'une infime minorité, une infime exception... Ces multitudes prient, se confessent, communient. Elles font, dans nos jours de solennité, déborder nos cathédrales qui ne suffisent pas à les contenir puisque vous êtes obligés de bâtir sans cesse de nouvelles églises et d'élargir les anciennes. Parlez ; est-ce un mort que cette foule ? Non, ce n'est pas un mort... Cette foule est la Belgique.

Regardez en haut. Entrez, avec moi, dans cette assemblée, la plus célèbre et la plus intelligente du monde... Nous sommes à l'Académie française... Quels sont les hommes assis sur ces bancs ? C'est Lacordaire, c'est de Montalembert, c'est Dupanloup, c'est de Broglie... ce sont dix autres illustrations chrétiennes. Encore une fois, est-ce le souffle de la mort qui les y a portés ?....

M. Crombezµ. - L'Académie française est maintenant la congrégation de l’Index.

M. Schollaertµ. - Il ne s'agit pas de la congrégation de l'Index. Mais je suis heureux que vous m'appeliez sur le terrain de Rome. Là siège une puissance morale sans rivale dans le monde... Songez donc à ce qui s'y passait il y a un an à peine. Un pape y règne. Un vieillard, menacé par des sujets égarés, gardés par une armée étrangère, n'ayant d'autre force que la sainteté de son droit et la sérénité de sa conscience, ce pontife fait un signe et à ce signe deux cents pontifes, vieillards comme lui, accourent de tous les coins de l'univers et l'environnent comme aux jours de Nicée, comme aux plus beaux siècles de l'Eglise. Il leur propose son symbole et tous communient avec lui dans cette foi que vous croyez morte, et tous disent : Oui, oui, nous sommes avec vous.

A cette affirmation le monde tressaille et les plus impatients comprennent que l'heure d'en finir avec une telle puissance n'a pas sonné, qu'il faut la tolérer encore, qu'en levant la main, sa main débile, ce pape vient de faire ce que ne sauraient faire après lui, ni les écoles, ni les partis, ni ceux qui se croient les maîtres de la terre. (Interruption.)

Et si je me trompais, messieurs, si nous sommes des mourants en réalité, s'il ne nous reste à passer parmi vous que les derniers jours d'une vie qui va s'éteindre, soyez grands, laissez-nous mourir tranquilles et fidèles... Ce sera une faible récompense pour la civilisation que le christianisme a répandue en Europe. N'étendez pas trop tôt, comme des héritiers impatients et ingrats, la main vers notre patrimoine.

Si vous êtes la vie, vous devez être la fécondité, fondez comme nous ; faites couler, au nom de vos principes, la double source de la bienfaisance et de la lumière. Sans partager vos espérances, j'applaudirai à vos efforts, car mon âme est sympathique à toutes les entreprises généreuses.

(page 889) Il y a dans le rapport de l'honorable M, Bara une pensée que je ne saurais assez approuver :

« L'institution des bourses d'études, dit l'honorable membre, répond à un besoin, à une nécessité sociale, au même titre que l'enseignement public, et doit, comme ce dernier, constituer un service public. La société aurait bien vite perdu ce caractère démocratique qui fait sa force, si le peuple et la bourgeoisie n'avaient le moyen de s'élever par l'instruction, si les connaissances devaient être exclusivement le patrimoine des riches, et si tout ce qu'il y a d'intelligences dans les classes inférieures était condamné à l'inaction. Les bourses d'études ont pour but de réaliser, dans la mesure du possible, l'égalité de tous quant aux moyens de s'instruire et de procurer à la patrie le plus grand nombre d'hommes intelligents et éclairés. Cela suffit pour démontrer que la personnification civile accordée aux bourses d'études est justifiée par l'intérêt même de la société.

On ne saurait mieux dire, messieurs, ni être plus vrai. Mais cette pensée si démocratique et si juste ne devrait-elle pas nous animer de la plus filiale reconnaissance envers les anciens fondateurs, ne devrait-elle pas nous rendre respectueux pour leurs œuvres et nous empêcher de contrarier les désirs qui s'élèvent encore de leurs tombeaux ?

Ce sont eux, messieurs, qui depuis quatre siècles ont fait couler sur le peuple belge le flot de la science. C'est à eux que la bourgeoisie, dont je suis un enfant, doit en grande partie la haute situation qui lui est acquise dans la société moderne.

Ne les méprisons pas, tâchons de nous élever à la hauteur de leur générosité.

Et que faisons-nous ? Une loi qui, loin de répondre au vœu de l'honorable rapporteur de la section centrale, tarira la source que les anciens fondateurs avaient ouverte ; désormais pas un écu ne sera donné ni à des universités qui vivent de l'impôt, ni à des boursiers qui choisiront eux-mêmes l'enseignement qu'ils entendent recevoir.

Quand l'homme a l'espoir de perpétuer ses idées ou ses affections, je comprends qu'il fonde. Je comprends que l'honorable M. Verhaegen ait été généreux pour des principes qui étaient les siens et envers un établissement qu'il croyait bon, utile au progrès de l'humanité, et auquel il avait attaché son nom.

Mais croyez-vous que l'honorable M. Verhaegen eût légué cent mille francs à la commune de Bruxelles, s'il avait pu appréhender qu'un jour sa libéralité aurait pu profiter à l'université catholique dont il repoussait les doctrines ?

Je comprends qu'un homme religieux, animé de l'esprit des anciens fondateurs, fonde comme eux pour le maintien et la propagation de principes qu'il considère comme vrais, comme sacrés... Mais ne sentez-vous pas qu'un donateur animé de ces sentiments renoncerait à toute libéralité, si en descendant dans la tombe, il pouvait avoir la pensée qu'un jour son bienfait profiterait à un enseignement que sa conscience réprouve ?

Il est clair que tout homme convaincu, quelle que soit d'ailleurs son opinion, reculerait devant de semblables éventualités.

J'ai donc le droit de prétendre que le projet de loi empêchera la création de bourses nouvelles et que si ces bourses répondent réellement, comme on l'a affirmé, « à un besoin, à une nécessité sociale », l'Etat seul devra remplir, au moyen de l'impôt, ce qu'en d'autres temps, on obtenait si aisément et si noblement de la charité volontaire, c'est là mon dernier grief contre le gouvernement ; et je voterai, moi, contre la loi parce qu'elle est injuste envers le passé et qu'elle sera stérile dans l'avenir.

(page 851) - La suite de la discussion est remise à demain à 1 heure.

La séance est levée à 4 heures et demie.