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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 novembre 1863

( Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. Lange, doyen d'âgeµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 5) M. de Coninckµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Jacobsµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

M. le présidentDeLangeµ fait connaître que M. Le Bailly de Tilleghem demande un congé pour cause d'indisposition.

- Ce congé est accordé.

Vérification des pouvoirs

M. le présidentLangeµ. - Les membres dont les pouvoirs ont été vérifiés hier et qui sont présents, sont invités à prêter serment.

MM. Goblet et Snoy prêtent serment.

M. Delaet prête serment en ces termes : « Il zweer de grond wet na te leven.”

MpLangeµ. - MM. Goblet, Snoy et Delaet sont proclamés membres de h Chambre des représentants.

Arrondissement de Virton

M. Verwilghen, au nom de la 6ème commission, fait rapport sur l'élection de M. Bouvier par l'arrondissement de Virton, et propose son admission comme membre de la Chambre des représentants.

- Ces conclusions sont adoptées.

M. Bouvier prête serment.

Arrondissement de Namur

M. Jacquemyns, au nom de la sixième commission, fait rapport sur l'élection de MM. Moncheur, Royer de Behr, Wasseige et de Montpellier par l'arrondissement de Namur et propose leur admission comme membres de la Chambre des représentants.

- Ces conclusions sont adoptées,

MM. Moncheur, Royer de Behr, de Montpellier et Wasseige prêtent serment.

Arrondissement de Furnes

M. Vanden Branden de Reeth, au nom de la 4ème commission, fait rapport sur l'élection de M. Desmet par l'arrondissement de Furnes et propose son admission comme membre de la Chambre des représentants.

- Ces conclusions sont adoptées.

M. Desmet prête serment.

Arrondissement d’Ostende

M. Vanden Branden de Reeth, au nom de la même commission, fait ensuite rapport sur l'élection d'Ostende et conclut à l'admission de M. Van Iseghem.

- Ces conclusions sont adoptées.

M. Van Iseghem prête serment.

Arrondissement de Bruges

M. Nothombµ. - Messieurs, organe de votre troisième commission, j'ai l'honneur de vous présenter le rapport relatif aux élections de l'arrondissement de Bruges.

Les procès-verbaux, joints au dossier, constatent que le relevé du nombre des votants et des bulletins valables a donné les résultats suivants :

Votants, 2,378

Bulletins valables, 2,367.

La majorité absolue a été fixée à 1,184.

Le recensement général des votes a donné à :

M. Soenens (Gustave), 1,205 voix.

M. de Riddere-Dujardin, Louis, 1,189 voix.

M. Visart, Amédée, 1,182 voix.

M. de Vrière, Adolphe, 1,172 voix.

M. Devaux, Paul, 1,171 voix.

M. De Clercq, Emile, 1,154 voix.

MM. Soenens, Gustave et de Riddere Dujardin, Louis, ayant obtenu plus de la moitié des suffrages, ont été immédiatement proclamés membres de la Chambre des représentants.

Il a été procédé à un scrutin de ballottage entre MM. Visart, Amédée et de Vrière, Adolphe, pour l'élection du troisième membre.

Le recensement général des votes a donné à M. Adolphe de Vrière, 1,172 voix ; à M. Amédée Visart, 1,130 voix.

M. Adolphe de Vriève ayant obtenu la pluralité des votes a été proclamé membre de la Chambre des représentants.

La commission a reconnu que les opérations ont été régulièrement faites, que les membres élus ont été dûment proclamés, sans réclamation ni contestation quelconque, ainsi que le tout est constaté par des procès-verbaux réguliers ; ces procès-verbaux mentionnent également l'annulation de trois bulletins qui sont annexés aux pièces. Depuis il a été adressé à la Chambre une réclamation signée par plusieurs électeurs de Bruges, ne portant aucune date, mais qui doit être postérieure à celle du 27 octobre dernier.

Cette requête ne contient aucun fait précis, ni particulier, ni indication de circonstances déterminées.

Cependant en présence de cette réclamation un membre de la commission a demandé l'ajournement de l'admission des représentants proclamés à Bruges et qu'entretemps la Chambre ordonnât la production de l'enquête judiciaire que l'on dit avoir été faite par les autorités judiciaires de cet arrondissement.

D'après ce membre, dès l'instant où des électeurs signalent des faits de corruption qu'ils disent être relatés dans une enquête judiciaire faite en dehors de toute passion politique, il est du devoir de la Chambre d'examiner leurs réclamations, sauf à valider l'élection si elles ne reposent pas sur une base suffisante. Si les pétitionnaires n'ont pas signalé des faits précis, c'est uniquement parce qu'ils ont pensé que l'enquête judiciaire les faisait connaître d'une manière plus exacte et plus positive.

Sans même s'occuper ici de la question de savoir si la Chambre peut ordonner cette production telle qu'elle est demandée, votre commission a écarté la demande d'ajournement par les motifs suivants :

La protestation ne précise aucun fait, elle se borne à énumérer des généralités et se réfère à une enquête judiciaire.

S'arrêter devant cette allégation serait de la part de la Chambre une sorte d'abdication de sa prérogative : l'enquête judiciaire se fait sans l'ordre de la Chambre, en dehors de son intervention, par des agents sur lesquels elle n'exerce ni ne peut exercer aucune action.

La Constitution a voulu que la représentation nationale fut complète autant que possible et le fût le plus tôt possible. Elle a pris à cet égard des précautions même minutieuses.

Ce serait méconnaître ce principe fondamental que d'écarter, sous des prétextes plus ou moins plausibles, des mandataires du corps électoral ; il n'y aurait plus ni sécurité pour l'élu ni garantie pour les électeurs.

Ce serait, on peut l'affirmer, la perturbation de notre régime politique et créer un précédent des plus dangereux. En effet, les instructions judiciaires peuvent durer longtemps ; on peut les prolonger ou les provoquer presque à volonté, on peut y entasser incidents sur incidents, et, par ce moyen, l'on pourrait indéfiniment retarder l'entrée des représentants au sein de la Chambre.

Il est facile d'apprécier jusqu'où un pareil système pourrait conduire et quel instrument de violence politique il peut mettre aux mains des partis que dirige ou aveugle la passion.

La dignité, l'indépendance du pouvoir parlementaire ne peuvent sa plier à cette subordination, et les plus graves intérêts du pays en subiraient l'inévitable atteinte.

La Chambre a sans doute le droit d'invalider une élection, mais pour l'invalider il faut des faits précis ; or la réclamation n'en articule aucun, elle se borne à renvoyer la Chambre à des documents judiciaires, et sous ce rapport les signataires se sont commodément dégagés de toute responsabilité morale en s'abritant derrière la magistrature.

En conséquence, la proposition d'ajournement a été écartée par six voix contre une, et par le même nombre de voix, votre commission vous propose l'admission des représentants élus à Bruges, lesquels réunissent, du reste, toutes les conditions prévues par la Constitution.

M. Hymans. - Messieurs, comme vous venez de l'entendre, la minorité de la commission, composée d'un seul membre, a proposé d'ajourner la validation des élections de Bruges et de demander à la Chambre d'ordonner la production de l'enquête judiciaire à laquelle les pétitionnaires se sont référés.

Cette proposition, qui a été rejetée au sein de la commission, j'ai l'honneur de la reproduire en séance publique.

L'honorable rapporteur de la commission n'a pas donné lecture de la protestation de 32 électeurs de Bruges qui demandent l'examen. Si vous connaissiez cette protestation, dont je demande la lecture, vous verriez que les pétitionnaires font allusion à une enquête judiciaire dans laquelle ont été révélés, d'après eux, des faits nombreux et des plus graves.

Je répète ici ce que j'ai dit au sein de la commission, les pétitionnaires se sont abstenus de signaler à la Chambre des faits que l'on aurait pu considérer comme des allégations dictées par la passion politique, précisément parce qu'une enquête judiciaire avait été faite en dehors de toute passion et que cette enquête judiciaire était de nature à éclairer la Chambre mieux que n'auraient pu le faire leurs assertions.

Je crois, messieurs, que lorsque 32 électeurs, que lorsque 32 citoyens honorables viennent signaler à la Chambre des faits de corruption qui, d'après eux, entachent la validité d'une élection, il est du devoir de la Chambre, dans l'intérêt de sa propre dignité, d'examiner les griefs qu'on vient lui signaler. Je crois qu'il ne nous est pas possible de ne point déférer à la demande des électeurs de Bruges, qui se bornent à nous prier d'examiner les faits de corruption qui se sont passés, et nous n'avons pas d'autres moyens de procéder à cet examen que d'ordonner la production de l'enquête judiciaire, sauf à valider l'élection, si nous trouvons que les faits produits dans l'enquête ne sont pas suffisants.

(page 6) Je propose donc à la Chambre d'ordonner la production de l'enquête judiciaire dont il est question dans la protestation des électeurs de Bruges. Je demande en même temps qu'il soit donné lecture de cette protestation.

- La Chambre décide que lecture sera faite de la protestation des électeurs de Bruges,

M. Nothombµ, rapporteur de la commission, donne lecture de ce document, qui est ainsi conçu :

« Messieurs,

« Les soussignés, électeurs à Bruges, croient de leur devoir, comme étant pour la plupart membres de l'association libérale et constitution-ntlh de l'arrondissement de Bruges, de réclamer l'annulation des élections du mois de juin dernier, en cet arrondissement, à raison des faits de corruption et autres irrégularités par lesquels ces élections ont été viciées.

« Un grand nombre d'électeurs ont protesté contre le résultat du scrutin, le jour même. Leur conviction s'est fortifiée par des faits nombreux qui sont devenus, depuis lors, de notoriété publique. Les soussignés et un grand nombre de leurs concitoyens sont persuadés qu'un large système de corruption a été pratiqué envers toute une catégorie d'électeurs qu'on croyait le plus accessibles, par leur position, à de pareilles influences.

« Cette conviction trouve sa démonstration politique dans le résultat des élections du 27 octobre dernier, élections, qui de l'aveu de tous, ont revêtu à Bruges un caractère politique incontestable. Il est avéré, en effet, que la lutte portait principalement sur le même nom qui avait été éliminé en juin, et qu'elle avait été acceptée, de part et d'autre, en quelque sorte comme une deuxième épreuve du scrutin de juin.

« En dehors de ces faits et appréciations, émanant d'électeurs et du corps électoral de Bruges tout entier, les soussignés sont persuadés que la Chambre trouvera la preuve des faits signalés dans l'instruction judiciaire faite à ce sujet, par le parquet de Bruges. Les soussignés n'entendent pas le moins du monde intervenir sur le terrain de la justice, qui aura à apprécier dans toute sa liberté s'il y a lieu de diriger des poursuites contre certaines personnes, et si les faits prouvés tombent sous l'application rigoureuse d'une loi pénale insuffisante. Telle n'est pas ici la question. Mais il apparaîtra aux yeux de tout homme intègre et non prévenu, que les faits connus ont faussé la sincérité du scrutin, par leur nombre et par leur ensemble. Les fraudes ainsi tentées ou pratiquées sur une grande échelle doivent nécessairement avoir produit des effets graves.

« Tout le monde sent le danger qu'un pareil système de corruption présenterait pour l'avenir, si les corrupteurs pouvaient non seulement compter sur l'impunité, par les lacunes de nos lois, mais s'ils voyaient encore sanctionner le résultat de leurs efforts par l'indulgence de ceux à qui incombe la mission particulière de veiller à la pureté du mandat parlementaire.

« Plus la législation pénale est aujourd'hui reconnue incomplète et défectueuse, à l'égard de la corruption électorale, plus il importe que la Chambre veille elle-même avec énergie à préserver de toute souillure, l'origine, l'honneur et la force morale de ses pouvoirs.

« Veuillez agréer, messieurs, nos sincères témoignages de respect et de dévouement.

« (Suivent les signatures.) »

M. le présidentLangeµ. - Messieurs, voici la proposition transmise au bureau par l'honorable M. Hymans :

« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner la production de l'enquête judiciaire à laquelle se réfère la protestation d'un certain nombre d'électeurs de l'arrondissement de Bruges.

« L. Hymans. »

M. le présidentLangeµ. - Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. B. Dumortier. - Il faudrait demander d'abord si la proposition est appuyée.

M. le présidentLange. - C'est juste. La proposition est-elle appuyée ?

- Plusieurs membres se lèvent.

M. le présidentLangeµ. - La proposition étant appuyée, elle est soumise à la discussion.

Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. B. Dumortier. - Je ne pensais pas, je l'avoue, qu'une proposition comme celle qui vous est faite fût même appuyée dans la Chambre ; et j'avais demandé tout à l'heure si elle était appuyée, précisément parce que je ne la croyais pas de nature à l'être.

Pas un seul lait n'est articulé par les pétitionnaires. Ils parlent de corruption ; mais ils n'articulent pas un seul fait de corruption. Il y a plus, c'est que leur pétition commence par une contre-vérité. Ils disent dans leur pétition : « Un grand nombre d'électeurs ont protesté contre le résultat du scrutin le jour même de l'élection. »

Eh bien, le procès-verbal vient donner un éclatant démenti à cette assertion, puisqu'il constate qu'aucune protestation ni réclamation n'a eu lieu. Ainsi, on commence par l'allégation d'un fait faux.

Ensuite, allègue-t-on quelque fait ? Allègue-t-on un fait quelconque de corruption ? Non ; on n'en allègue pas un seul ; et l'on vient demander à la Chambre d'annuler une élection !

- Voix à gauche. - Pas du tout.

M. B. Dumortier. - C'est ce que porte la pétition, et ici on demande à la Chambre d'ajourner une élection contre laquelle on n'articule pas un seul fait, pas un seul.

Je concevrais que, comme en Angleterre, un membre de la Chambre vînt articuler des faits de corruption et demander une enquête parlementaire sur ces faits ; mais ici l'honorable membre ne signale lui-même aucun fait de corruption, et il ne demande pas une enquête parlementaire. Que demande-t-il ? Il demande la production d'une enquête judiciaire.

Eh bien, messieurs, sans examiner jusqu'ici la question très grave que soulève l'enquête judiciaire, au point de vue constitutionnel et au point de vue des droits du parlement, je me bornerai à cette simple observation : c'est que, dans un pays où existe la division des pouvoirs, il n'est point possible qu'un pouvoir de l'Etat subordonne son action à l'action d'un autre pouvoir. (Interruption.) Tout pouvoir de l'Etat est maître dans sa sphère et ne doit pas dépendre d'un autre pouvoir de l'Etat. Tout pouvoir de l'Etat doit exercer son mandat, et il ne doit point reculer devant l'exercice de ce mandat. Si des faits de corruption existent, qu'on ait le courage de les signaler, qu'on demande une enquête parlementaire, mais qu'on la demande non pas seulement sur les élections de Bruges, mais sur toutes celles où des faits répréhensibles sont signalés. Ce n'est pas ce qu'on demande, on ne demande pas même une enquête parlementaire. Par hasard, est-ce que vous avez le droit de soumettre votre pouvoir de vérification du mandat de vos membres, qui est un pouvoir inscrit dans la Constitution, un devoir qui vous est imposé par la Constitution, est-ce que vous pouvez soumettre l'action de ce pouvoir à l'exercice d'un autre pouvoir ? Je le conteste. Il est impossible d'admettre qu'un des premiers pouvoirs politiques de l'Etat puisse être subordonné à un autre pouvoir quel qu'il soit ; le pouvoir de la Chambre est plein et entier ; l'article 34 porte : « Chaque Chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s'élèvent à ce sujet. »

Ici, aucune contestation ne s'élève, la protestation des pétitionnaires n'est pas une contestation, car les pétitionnaires ne signalent aucun fait, non plus que l'honorable membre qui appuie la pétition.

En présence d'une pareille situation, quand aucun fait de corruption n'est signalé par la pétition ou par le membre qui prend la parole pour l'appuyer, ajourner la validation d'une élection serait un acte mauvais de la part de la Chambre si elle était capable de le faire, aussi je suis convaincu qu'elle ne le fera pas.

MfFOµ. - Messieurs, je suis étonné, je l'avoue, de l'opposition si vive que soulève la demande de production de pièces qui seraient de nature à éclairer la Chambre, et à lui permettre de se prononcer en toute connaissance de cause. Je ne conçois réellement pas que l'on puisse élever une seule objection contre une proposition aussi simple, aussi raisonnable. On nous fait connaître qu'il se trouve dans un dépôt public, dans les archives de l'administration judiciaire, des documents dont ressort la preuve que les pouvoirs qu'on vérifie en ce moment n'ont pas été conférés dans des conditions telles que la Chambre puisse consciencieusement les valider ; on demande la production de ces documents, et qu'allègue-t-on pour écarter cette demande ? On nous dit : Nous ne voulons pas voir ces documents, nous ne voulons pas les examiner. Eh bien, messieurs, cela n'équivaut-il pas à dire : Nous avons peur de la publicité !

J'espère encore que la droite, après un instant de réflexion, ne persistera pas à repousser la proposition de l'honorable M. Hymans.

Quelles sont les objections que l'on a formulées contre cette simple demande de produire une enquête qui est toute faite ? D'abord on dit que la réclamation qui vous est soumise ne précise aucun fait, n'indique aucun acte positif de corruption ; par conséquent, ajoute-t-on, il n'y a pas lieu de s'arrêter à une pareille protestation. - Mais la protestation indique à la Chambre le moyen de s'assurer si l’élection de Bruges a été, oui ou non, entachée de corruption ; elle fait connaître qu'il y a eu, sur les faits qu'elle affirme d'une manière générale, une enquête judiciaire, et que les pièces de cette enquête démontrent l'existence d'actes de corruption électorale.

M. Van Overloopµ. - Qui peut savoir cela ? L'instruction judiciaire est secrète, le juge d'instruction aurait manqué à son devoir s'il avait révélé les faits qu'elle contient.

MfFOµ. - Mais permettez donc ! Supposez-vous que, dans cette enquête, il n'y a eu ni plaignants, ni témoins ? Est-ce que les plaignants ou les témoins qui ont dû déposer sur les faits auxquels on fait allusion, ne peuvent pas, en s’adressant à la Chambre, se référer à l'enquête dans laquelle ils ont été entendus ? Vous voyez donc qu'il n'est nullement nécessaire de supposer tout gratuitement que des indiscrétions ont été commises par le juge d'instruction.

Mais, messieurs, je vais plus loin, et je dis que la Chambre n'avait pas besoin, pour être saisie du litige, d'une réclamation émanant d'une partie du corps électoral ; tout membre de cette assemblée a le droit de se lever et de dire : J'ai appris par révélation, par mes relations, par la presse, qu'une plainte en corruption électorale a été déposée, qu'une instruction judiciaire a eu lieu, et qu'il en résulte que le mandat de tels représentant est vicié dans son essence. Sans rien apprécier, sans rien préjuger, je demande la production de cette enquête, au vu de laquelle la Chambre statuera comme elle le croira juste et équitable. - Aurait-on quelque raison plausible à opposer à une si juste demande ? Pourrait-on contester que chacun de nous a le droit de la faire ?

Que dit-on en second lieu ?

La Chambre ne peut pas abdiquer devant un autre pouvoir ; la Chambre, en vertu de la Constitution, est seule chargée de la vérification des pouvoirs de ses membres.

Mais, messieurs, est-ce que par hasard la proposition qui vous est soumise impliquerait une pareille conséquence ? Est-ce que son adoption aurait pour effet de transférer au pouvoir judiciaire le droit de valider les pouvoirs des membres de la Chambre ? En aucune façon, bien certainement ! La Chambre, uniquement dans le but de s'éclairer, demande à prendre connaissance de certains documents. Elle n'abdique assurément par ce fait aucun de ses droits, aucune de ses prérogatives. Elle statuera dans sa pleine liberté, après avoir examiné les actes incriminés. Mats il serait inconcevable que la Chambre sous ce singulier prétexte de sauvegarder sa dignité, qui n'est en rien compromise, refusât de s'assurer si les faits qui lui sont dénoncés ont ou non quelque gravité.

Enfin, l'on prétend encore qu'il y aurait beaucoup de danger à admettre un pareil précédent, parce qu'on fait des enquêtes judiciaires sur la plainte de simples particuliers, et que ces enquêtes peuvent s'obtenir assez facilement ; que l'on pourrait par ce moyen soulever des incidents à propos d'élections que l'on aurait quelque intérêt à faire annuler, traîner ces incidents en longueur, et suspendre ainsi indéfiniment la vérification des pouvoirs des élus.

Qu'on me permette de le dire, messieurs, cette supposition n'a rien de sérieux. Si la Chambre était obligée de subordonner sa décision aux incidents et aux lenteurs d'une instruction judiciaire, on aurait parfaitement raison. Mais, de même que la Chambre peut décider aujourd'hui qu'elle ne veut pas voir les pièces de l'enquête relative à l'élection de Bruges, de même elle pourrait décider qu'elle n'entend pas s'arrêter devant les lenteurs d'une enquête judiciaire et passer outre à la validation des pouvoirs de ses membres.

Messieurs, l'opposition qui se produit en ce moment sur une motion de cette nature est d'autant plus extraordinaire, que lorsqu'il s'est agi de la proposition d'enquête parlementaire au sujet des élections de Louvain, les honorables membres qui font aujourd'hui de l'opposition à la production des pièces de l'enquête de Bruges, disaient : Oh ! s'il y avait eu une enquête judiciaire, la Chambre pourrait s'éclairer ! Les pétitionnaires nous parlent de faits de corruption ; mais cela n'a pas assez de gravité pour que nous nous y arrêtions. Si ces faits existent réellement, s'il y a eu des délits, il faut qu'on les dénonce à l'autorité judiciaire ; ils auront alors un caractère de gravité suffisant, et ils nous offriront une présomption telle que nous pourrons ordonner l'enquête parlementaire.

Aujourd'hui que, peut-être pour échapper à cette objection, les pétitionnaires se sont adressés à l'autorité judiciaire, on veut écarter la proposition, sous prétexte que ce serait porter atteinte à l’honneur et à la dignité de la Chambre.

Messieurs, on prend en ceci une position qui paraît assez compromettante.

Quand nous parlons de corruption électorale et d'enquête parlementaire, on nous répond qu'il faudrait une enquête judiciaire ; et quand il y a une enquête judiciaire qui permet d'apprécier les faits et leur degré de gravité, on nous objecte qu'il est de la dignité et de l'honneur de la Chambre de ne pas consulter cette enquête. Mais, dès lors, on voudrait donc assurer l'impunité aux faits blâmables qui se produiraient dans les élections !

Je suis bien convaincu, pour ma part, que ce n'est pas là ce que la Chambre entend, et qu'elle ne suivra pas la droite sur le terrain où celle-ci veut l'entraîner.

Il est au contraire du plus haut intérêt, précisément pour l'honneur et pour la dignité de la Chambre, que le mandat conféré à chacun de ses membres ne puisse être suspecté.

La Chambre ne peut se refuser à prendre connaissance d'une enquêta qui, si elle ne lui apprend rien, si elle ne révèle pas des faits de nature à faire annuler l'élection, lui permettra cependant d'émettre un vote impartial et consciencieux, et de valider comme il convient les pouvoirs dont l'examen lui est déféré.

M. de Theuxµ. - Messieurs les élections ont eu lieu au mois de juin. L'autorité judiciaire a pu être saisie immédiatement, puisque, dit-on, les faits de corruption ont été articulés dès le jour même ou le lendemain des élections.

Cette enquête, faite par l'autorité judiciaire, n'a conduit à aucun acte judiciaire. Il n'y a pas de jugement ; il n'y a pas de mise en accusation. C'est donc une simple enquête judiciaire et c'est cette enquête que l'on veut nous opposer pour retarder la vérification des pouvoirs et l'admission d'un de nos collègues.

Que veut-on ? On nous convie à discuter dans cette enceinte un dossier incomplet, de sa nature même secret ; tant que l'instruction judiciaire n'est pas complète, n'a pas été déférée à la chambre du conseil ou à la chambre des mises en accusation suivant les circonstances, ce sont des documents incomplets et qui ne tombent pas dans la publicité.

Qu'arrivera-t-il, si l'on nous produit ce document judiciaire ? C'est que nous aurons le droit évidemment de discuter la conduite de l'autorité judiciaire, de discuter tout ce qui s'est passé. (Interruption.) C'est là, et je vous défie de le contester, la confusion la plus complète des attributions judiciaires et des attributions parlementaires.

Voyons ce qui s'est produit dans une autre circonstance, lors des élections de Louvain, circonstance que je rappelle à regret, parce que j'ai toujours déploré l'institution de la commission d'enquête et l'annulation des élections qui n'était pas fondée sur un motif légal ; je l'ai déplorée à un autre point de vue, c'est que l'annulation de l'élection des députés de Louvain a été peut-être cause du vote sur l'une des questions les plus importantes dont la législature ait été saisie : celle des fortifications d'Anvers. Si les députés de Louvain eussent été présents, il est très douteux que ce projet eût été admis.

Voilà la conséquence.

Voulez-vous d'autres conséquences ? Chaque fois qu'une élection déplaira à un ministère (je ne parle pas des hommes actuellement au pouvoir, ils varient comme les députés), tous les actes qui auront été posés dans une circonstance pourront être invoqués comme des précédents dans une autre circonstance par le parti dominant. Or, s'il se produit un précédent abusif, chaque fois qu'une élection aura déplu, le ministre qui doit décider sur la suite à donner à des plaintes qui conduisent à un procès politique, pourra ordonner l'instruction de l'affaire, s'il s'agit d'adversaires. Mais que des demandes pareilles soient faites contre des amis du cabinet, oh ! alors on trouvera beaucoup de difficultés ; les plaintes ne seront pas fondées, et qui sait s'il ne se trouvera pas, dans la magistrature, des hommes faibles qui comprendront qu'il est de leur intérêt de ménager le pouvoir dominant ? (Interruption.)

C'est ainsi, messieurs, qu'en matière de police, depuis trente ans que la Belgique est indépendante, nous avons vu des agents de la police municipale et autres rester muets, rester aveugles, quand il s'agissait de contrarier leurs chefs ou le gouvernement, et se montrer au contraire très vigilants lorsqu'il s'agissait d'adversaires politiques.

Les choses en sont arrivées à tel point que, dans la ville de Louvain, lors de l'élection de 1857 plusieurs électeurs ont subi des violences et même antérieurement.

- Un membre : Les stockslagers !

M. de Theuxµ. - Messieurs, puisqu'on parle des stockslagers, je dirai que c'est un service éminent que l'honorable M. Van Bockel a rendu. En citoyen libre et indépendant, il n'a pas consenti à ce que son arrondissement fût opprimé. Il a voulu qu'il y eût au moins des témoins, des gens qui pussent constater les violences que l'on voulait exercer à l'égard des électeurs de Louvain.

Je parle, messieurs, de mesures de police et je me rappelle qu'à une élection d'Anvers, il y a quelques années, on avait averti les (page 8) campagnards qu'il y avait le plus grand danger pour eux à se rendre aux élections, parce que la population d'Anvers était exaltée pour les candidats libéraux. Beaucoup d'électeurs ruraux ne se sont pas rendus à l'élection, qui s'est faite sous la domination de la ville.

Voilà les abus qui sont à craindre pour une minorité politique.

Or, messieurs, notez bien ceci : Vous êtes majorité aujourd'hui ; vous pouvez annuler toutes les élections qui ne vous conviennent pas, cela est certain. Mais aussi c'est sous votre responsabilité morale ; et puis, c'est sous cette autre responsabilité : soit que votre parti se divise et qu'une fraction devienne majorité et ne veuille plus de la partie dominante du parti libéral, soit qu'une autre opinion vienne à triompher dans l'élection, tous les précédents mauvais pourront être maintenus et suivis. Et qu'en résultera-l-il ? La déconsidération du pouvoir parlementaire.

Voilà la réflexion la plus grave.

Il ne suffit pas de voter ici des lois à la majorité de 2, 3, 4 ou 10 voix ; mais il faut en outre jouir dans le pays de cette considération morale qu'on ne peut se donner que par des actes loyaux et une conduite loyale.

Messieurs, je suis étonné que des hommes qui se disant libéraux constitutionnels, cherchent ainsi à poser dés actes qui doivent déconsidérer le libéralisme, en même temps qu'ils doivent affaiblir nos institutions représentatives et constitutionnelles.

Messieurs, on a vu dans divers pays, et je pourrais citer la République batave, des partis abuser de leur pouvoir. Qu'en est-il résulté ? C'est qu'un jour les stathouders sont devenus omnipotents, et la République n'a plus existé que de nom.

Les abus de pouvoir sont des actes qui frappent les institutions à leur base, surtout quand ces actes sont des mesures qui peuvent affecter la sincérité de la représentation nationale.

Voyons, messieurs, ce qui s'est passé dans l'enquête de Louvain ? On dit ici que l'on articule, dans la pétition de Bruges, des faits précis. Je le nie de la manière la plus formelle.

Dans l'élection de Louvain, au contraire, que se passait-il ? On disait, dans la pétition à la Chambre, que des sommes de 5 à 10 francs avaient été données à des électeurs. On nous signalait, dans les pétitions, les électeurs qui avaient reçu ces sommes et les personnes qui les avaient données. Le fait n'était pas dénié ; le fait était reconnu vrai ; mais on disait : C'est un usage introduit dans l'arrondissement de Louvain, parce que, dans certaines circonstances, il y a eu accaparement des moyens de transport, parce que, dans d'autres circonstances, les aubergistes ont produit des comptes tellement exagérés qu'ils rendaient l'élection par trop onéreuse. On a donc trouvé de part et d'autre beaucoup plus simple de donner le dégrèvement modique de 5 à 10 fr. à l'électeur.

Le fait n'était pas illégal. Cependant la Chambre a ordonné une enquête, et en présence des faits reconnus vrais dans l'enquête, elle a annulé l'élection.

Cette décision était illégale ; je l'ai toujours dit et je le maintiens. Cependant j'ai compris que cet abus de pouvoir avait en vue de prévoir les dangers qui pouvaient résulter de cette pratique, parce que, au lieu de donner 5 à 10 fr. on aurait pu en donner 15 à 20, et plus tard davantage.

J'aurais donc voulu qu'une loi défendît les prestations en argent, mais je n'aurais pas voulu l'annulation des élections pour un fait qui n'était ni illégal ni immoral.

Mais ici on n'articule en aucune manière qu'une telle personne a reçu de l'argent pour voter d'une manière déterminée, que telle autre en a donné dans ce but. Ce sont des articulations vagues qu'on peut faire à propos de toute élection ; du moment qu'on aura intérêt à jeter de la déconsidération sur une élection, du moment que l'on aura intérêt à ajourner l'admission d'un membre, on aura recours à des moyens semblables.

Mais, messieurs, si vous trouvez que les faits sont suffisants, n'allez pas vous soumettre aveuglément à une simple instruction judiciaire. Mais si dans la pétition à la Chambre il y avait des faits articulés, qu'on dise les sommes qui ont été payées, les personnes qui les ont perçues, les personnes qui les ont données ; qu'on fasse une enquête parlementaire, et alors la Chambre ne sera pas subordonnée à la magistrature, mais la commission d'enquête parlementaire pourra requérir des commissions rogatoires et tout se fera sous le pouvoir constitutionnel et essentiel de la Chambre, tout se fera avec le contrôle d'une discussion contradictoire.

Ainsi lors de l'enquête de Louvain, il y avait dans la commission des représentants de la minorité et tous les membres de la Chambre avaient le droit d’assister à l’enquête. Il y avait des garanties de toute espèce. Mais ici on nous engage à discuter tous les actes de l'autorité judiciaire, alors que ces actes ne peuvent rien nous apprendre. Voilà où vous arrivez : vous abdiquez vos pouvoirs et vous pourrez critiquer les actes de la magistrature. Les seuls pouvoirs compétents pour critiquer les tribunaux c'est le barreau et ce sont les juridictions supérieures, mais dans aucun cas ce ne peut être la Chambre.

Messieurs, je dis que les élections doivent être validées chaque fois qu'il n'est pas articulé des faits susceptibles d'une prompte vérification ; je désire pour l'honneur de la majorité qu'elle se prononce en ce sens, dût-elle même gagner un membre et un membre éminent par le vote contraire, ce résultat serait payé trop cher. Il n'y a pas d'individualité qui puisse équivaloir à l'honneur de la représentation nationale.

M. H. de Brouckereµ. - Je commencerai par faire remarquer que l'honneur de la Chambre n'est nullement intéressé dans la discussion actuelle.

On cherche à donner à la proposition qui nous est soumise, une portée qui n’est nullement dans les intentions de son honorable auteur et qu'elle n'a pas en réalité.

La question que nous avons à décider est toute simple, et c'est à tort que l'on a invoqué l'exemple des élections de Louvain. Alors il s'agissait de savoir si l'on ordonnerait une enquête parlementaire sur ces élections et si par là on ajournerait indéfiniment l'entrée dans cette Chambre de quatre de nos honorables collègues. Aujourd'hui de quoi s'agit-il ? A la suite des élections qui ont eu lieu à Bruges, une enquête judiciaire a été ouverte sur ces élections. Il y a dons au moins présomption, cela est évident, il y a présomption que dans ces élections il s'est passé des faits qui n'étaient pas irréprochables. (Interruption.) Je dis que cette présomption existe.

- Des membres. - Non ! non !

M. H. de Brouckereµ. - Je sais bien que vous n'êtes pas de mon avis ; vous pouvez dire non à chaque phrase. Si vous étiez de mon avis, je ne parlerais pas.

Je répète donc et je demande qu'on me laisse répéter tranquillement que selon moi, et non pas selon les membres de la droite... (Interruption.) Permettez-moi de le dire, messieurs, nous commençons notre session aujourd'hui. Si nous allons nous mettre sur le pied d'interrompre constamment les orateurs, nous aurons des discussions extrêmement fatigantes et fort orageuses. Je sais bien que les membres de la droite ne sont pas de notre opinion, il est inutile qu'ils nous interrompent pour nous le dire.

Maintenant je demande qu'on me laisse continuer et je répète que quand l'autorité judiciaire se livre à une enquête sur des élections, c'est qu'il y a une certaine présomption que dans ces élections il s'est passé des faits qui n'étaient pas irréprochables. Eh bien, si cette présomption existe, n'est-il pas tout naturel que la Chambre cherche à s'éclairer afin d'être certaine que ces présomptions ne sont pas justifiées.

Il y a eu une enquête judiciaire ; à la suite de cette enquête judiciaire, est intervenue, si je ne me trompe, une ordonnance de non-lieu. (Interruption.)

- Un membre. - Il n'y a pas eu d'ordonnance de non-lieu !

- Un autre membre. - Si.

M. H. de Brouckereµ. - Permettez.

- Un membre. - Nous permettons.

M. H. de Brouckereµ. - On me permet, c'est-à-dire jusqu'à un certain point ; car en fait on prouve le contraire.

Je disais : il paraît, car j'ai lieu de le croire, il parait qu'il y a eu une ordonnance de non-lieu. C'est, au surplus, ce que vous devez désirer .Vous ne désirez pas, je suppose, qu'il y ait condamnation pour fraude.

Eh bien, il paraît qu'il y a eu une ordonnance de non-lieu ; mais qu'est-ce que cette ordonnance de non-lieu a pu décider ? Elle a pu décider uniquement que les faits constatés par l'enquête ne sont pas punissables d'après la loi pénale, mais est-il résulté de l'enquête que ces faits ne sont point répréhensibles, qu'ils ne sont point de nature à entacher et même à vicier les élections ? Non. Le pouvoir judiciaire n'est point compétent pour décider une pareille question.

Eh bien, que demande le membre qui composait à lui seul la minorité ? Il nous dit, messieurs : il y a eu une enquête judiciaire à la suite des élections de Bruges ; avant de me prononcer sur ces élections je voudrais bien connaître l'enquête. Quoi de plus simple ? Quoi de plus naturel ? Quel inconvénient y a-t-il à ce que nous demandions à voir cette enquête ? Il n'y a pas à cela le moindre inconvénient.

Ah ! s'il s'agissait, comme on semble vouloir le faire comprendre, s'il s'agissait d'ordonner une enquête, j'y penserais moi-même à deux fois et je déclare que si l'on proposait aujourd'hui d'ordonner une enquête sur les élections de Bruges, je voterais contre. Vous savez d'ailleurs, (page 9) messieurs, que je n'ai pas voté pour l'enquête sur les élections de Louvain ; je suis donc bien impartial, et c'est avec la même impartialité qu'aujourd'hui je vote pour la proposition de l'honorable M. Hymans. Je viens d'expliquer pourquoi, mais j'ai encore quelques explications à ajouter.

L'honorable M. de Theux vous dit : Comment ! vous allez ordonner de produire devant la Chambre une enquête judiciaire. Mais vous ne voyez donc pas que vous allez subordonner un pouvoir à un autre. Je voudrais bien savoir quel est le pouvoir que nous allons subordonner à un autre pouvoir ? Nous laissons au pouvoir judiciaire toute la plénitude de ses attributions mais agirions-nous de notre côté dans la plénitude des attributions que la Constitution nous a données si nous décidions que nous ne pouvons pas annuler les élections par cela seul que l'autorité judiciaire a déclaré que l'instruction n'avait pas révélé des faits punissables 2

L'autorité judiciaire a agi dans le cercle de ses attributions ; laissez-nous agir dans le cercle des nôtres. Savez-vous quels sont ceux qui subordonnent un pouvoir à l’autre ? ce sont ceux qui ne veulent pas de la production de l'enquête judiciaire, car voici le raisonnement qu'ils font : « Lorsque l'autorité judiciaire a trouvé qu'il ne s'est rien passé de blâmable dans l'élection de Bruges, nous devons trouver la même chose. »

Eh bien, je dis, moi, que ceux qui produisent un pareil argument sont précisément ceux qui veulent subordonner le pouvoir de la Chambre au pouvoir de l'autorité judiciaire, tandis que nous voulons que chaque pouvoir agisse librement et en restant indépendant l'un de l'autre.

« Mais, dit l'honorable M. de Theux, vous allez cependant être entraînés au moins à blâmer la conduite de l'autorité judiciaire, si vous n'êtes pas d'accord avec elle. »

En aucune manière, car notre examen portera sur un tout autre point que celui dont l'autorité judiciaire s'est occupée. Il ne s'agit pas pour nous de savoir si un ou plusieurs des faits constatés par l'enquête judiciaire tombent sous l'application du Code pénal ; c'est la seule chose que l'autorité judiciaire a eu à examiner ; nous, au contraire, nous tâchons de nous éclairer, seulement au point de vue de savoir si, dans l'élection de Bruges, il ne s'est pas passé aucun fait de nature à vicier l'élection.

Messieurs, je crois avoir justifié le vote que j’émettrai ; c'était là mon but principal. Maintenant quel sera la résultat du vote qui ordonnerait la production de l'enquête judiciaire ? Premièrement, pour les honorables membres qui ont été à Bruges proclamés membres de la Chambre un retard d'une couple de jours. Il s'agira de demander aujourd'hui même qu'on transmette au bureau de la Chambre l'enquête judiciaire, et le rapport pourrait être fait samedi. Ce serait donc un retard d'une bien courte durée. Trois membres de la Chambre se verront ajournés deux fois 24 heures ; parmi ces trois membres, il en est deux qui appartiennent à l'opinion libérale ; un seul appartient à la droite. Ce ne serait donc pas à la droite, me semble-t-il, à déplorer les fatales conséquences de la décision qui retarderait de deux fois 24 heure l'entrée des élus de Bruges dans cette Chambre.

Je le répète, la question qui nous est soumise est extrêmement simple ; elle n'a, en aucune manière, à aucun point de vue, l'importance qu'on veut lui donner. Quant à moi, je voterai la proposition de l'honorable M. Hymans sans la moindre crainte et sans la moindre hésitation.

M. Nothomb, rapporteurµ - Messieurs, je puis être d'accord avec l'honorable M. de Brouckere, quand.il dit que la proposition de l'honorable M. Hymans est très simple. Cela est vrai ; mais elle est aussi très grave ; et là je cesse d'être d'accord avec l'honorable membre.

La commission a signalé le danger qu'il y a au fond du système qu'on veut introduire, et ce danger... (Interruption.)

Je prie M. le ministre des affaires étrangères de ne pas m'interrompre ; je n'interromps personne. L'honorable M. de Brouckere vient de réclamer de tous de la modération, de l'attention, tout au moins du silence ; eh bien, accordez moi, sinon votre attention, du moins votre silence.

Messieurs, au fond de cette proposition si simple mais si grosse de conséquences, il y a, comme je l'ai dit et comme l'honorable M. de Theux l'a répété et comme l'a reconnu lui-même l'honorable M. de Brouckere, possibilité, comme manœuvre de parti, d'empêcher les élus du corps électoral d'arriver à leurs sièges ; il suffirait de faire faire une instruction judiciaire ; il suffirait donc de l'intervention d'un juge d'instruction ou d'un procureur du roi pour qu'au nom de cette enquête judiciaire, on eût le droit de dire : Tels ou tels élus seront ajournés pour un temps plus ou moins long ; il y aurait là pouvoir donné à la moitié de la Chambre plus un d'empêcher l'autre moitié moins un de venir siéger dans cette enceinte. Voilà ce qu’il y a au fond de ce système, et voilà pourquoi nous le combattons.

L'honorable M. de Brouckere serait lui-même effrayé d'un ajournement à long terme, puisqu'il comprend très bien où cela mènerait. « Aussi, dit-il, il ne s'agira que d'une couple de jours. Qu'est-ce que ce retard-là ? »

Mais, messieurs, ce sont les précédents qu'il faut craindre. Aujourd'hui, vous aurez pris une décision dans une circonstance où il ne s'agit que d'un retard de quelques jours ; demain, ce pourra être un retard de quinze jours, de deux mois, de trois mois ; ce pourra être un ajournement indéfini.

Je ne veux pas soulever ici, en ce moment, la question de savoir s'il appartient à la Chambre d'ordonner la production d'un dossier judiciaire, question fort délicate et sur laquelle je fais mes réserves ; car si nous devons nous montrer soucieux des prérogatives parlementaires, il faut aussi respecter celles des autres pouvoirs publics, et je ne sais vraiment pas où vous puisez le droit de dessaisir l'autorité judiciaire d'une enquête qui peut n'être pas terminée. Mais je ne veux pas m'arrêter sur ce point et je prends la situation en fait. Je suppose qu'il y a eu, ainsi qu'on l'a dit, une ordonnance de non-lieu rendue à Bruges.

Cela revient à dire que la police n'a rien découvert de répréhensible : une ordonnance de non-lieu signifie qu'il n'y a rien qui puisse tomber sous l'application de la loi pénale. Pourquoi donc demander la production de ce dossier qui ne nous apprendra rien, si ce n'est que les magistrats de la chambre du conseil ont déclaré qu'il n'y a eu rien de coupable dans les faits dénoncés ?

Maintenant, supposons que l'enquête n'est pas terminée, qu'elle n'est qu'à l'état préliminaire, qu'aucune décision n'est intervenue. Si vous la faites produire, vous dessaisissez les magistrats instructeurs, vous arrêtez le cours de la justice, vous suspendez l'action publique. Ce droit, vous ne l'avez pas. Ou bien vous devriez attendre que la procédure ait passé par toute la filière judiciaire : chambre du conseil, chambre des mises en accusation, tribunal, cours d’appel, cour de cassation. Vous voyez donc bien que votre système vous conduit inévitablement, fatalement, à un ajournement prolongé ou indéfini. Vous viciez nos institutions dans leur base essentielle. C’est un grand, un sérieux danger. Veuillez-y réfléchir de sang-froid. Pour nous d’abord, pour vous ensuite - la politique a ses retours. – Notre devoir est de vous prévenir.

M. de Ridderµ. - Dans la position spéciale où se trouvent les députés de Bruges, je crois devoir motiver mon vote.

Messieurs, il s'agit pour le moment d'éclairer la Chambre, sans préjudice aucun sur la question du fond. Dès l’instant que surgit le moindre doute sur la sincérité du vote qui m'appelle dans cette Chambre, je crois devoir appuyer toute proposition faite dans le but de lever ce doute. Je voterai donc, sans craindre de manquer aux convenances, la demande de communication qui est faite.

M. Soenensµ. - Messieurs, mon intention était de ne pas prendra part à ce débat : je me croyais trop nouveau dans cette assemblée pour me permettre de demander la parole le premier jour ; mais après les paroles que vient de prononcer mon honorable collègue, M. de Ridder, je dois, à mon tour, déclarer à la Chambre pourquoi je voterai, comme je veux voter.

Messieurs, du côté de la droite, la question a été posée sur le terrain de la dignité politique, sur le terrain des prérogatives parlementaires. Et c'est parce que la question se pose naturellement sur le terrain des prérogatives parlementaires, que nous croyons devoir faire tous nos efforts pour repousser la proposition de l'honorable M. Hymans.

Nous tous les premiers, nous n'entendons pas siéger ici comme des députés dont le mandat serait vicié...

- Des membres à gauche. - Eh bien, votez avec nous.

M. Soenensµ. - Et cependant je ne voterai pas avec vous, à côté de cette question de dignité personnelle, il y a une question de principe que je ne veux pas oublier : une grande question celle de l'indépendance du Parlement ! - Je ne voterai pas avec vous parce que je ne veux pas, en mettant le pied dans cette Chambre, oublier ses prérogatives, et voter comme si je n'avais pas la moindre notion de ce que réclame le maintien de sa dignité !

En effet, la question qui nous occupe, c'est la question de la séparation des pouvoirs, base même de notre Constitution.

Notre Constitution ne proclame pas explicitement le principe de la séparation des pouvoirs ; mais toute l'organisation politique qu'elle a créée, n'est que le développement de ce principe ; les lois politiques fondamentales que la révolution française nous a léguées out substitué à l'aucun état de choses les principes démocratiques qui règnent dans nos constitutions modernes. C’est par l'indépendance réciproque du pouvoir judiciaire, du pouvoir législatif, et du pouvoir exécutif, que les peuples (page 10) constitutionnels se sauvent des despotismes : et on vous a déjà démontré avec raison tout à l'heure, que le despotisme des partis politiques résulterait du système que nous combattons.

Et qu'est-ce que l'acte qu'on vous demande, sinon une immixtion du pouvoir législatif dans le domaine du pouvoir judiciaire ? (Interruption.) Et je vous demande ce qui arriverait si, par hasard, le pouvoir judiciaire refusait de faire droit à votre demande ?

Pour moi, messieurs, je demande que l'on discute, avant tout, la question de savoir s'il est permis à la Chambre d'ordonner au pouvoir judiciaire la communication d'un dossier.

Or ici, de deux choses l'une : ou bien le dossier se rapporte à une affaire dont l'instruction n'est pas terminée, et dans ce cas l'instruction doit rester secrète et personne n'a le droit de demander au parquet de s’en dessaisir ; ou bien il s'agit d'un dossier concernant une affaire terminée par une ordonnance de non-lieu et alors encore il est de principe que le dossier reste secret.

Et à ce propos la Chambre me permettra de rappeler ici un fait que j'ai signalé tout à l'heure au sein de la section dont je faisais partie, et qui avait à s'occuper de l'affaire de Dinant.

J'invoquais ce fait qu'ayant eu à plaider l'année dernière à Bruges avec M. Rolin, nous avions demandé communication du dossier d'une affaire terminée par une ordonnance de non-lieu, dont nous avions grand intérêt à connaître l'instruction.

Eh bien, messieurs, cette demande a été repoussée par le parquet. (Interruption.)

- Un membre. - Vous n'êtes pas la Chambre.

M. Soenensµ. - A la bonne heure ; la même objection m'a été faite au sein de la section ; eh bien je vous demande où vous puisez le droit pour la Chambre de réclamer du pouvoir judiciaire un document qu'il a le droit de refuser. (Interruption.) Discutez cette question, messieurs, mais au moins ne passez pas à pieds joints sur une question de dignité : Car notre dignité nous commande de ne pas porter atteinte aux lois fondamentales de notre pays.

S'il ne s'agissait pas exclusivement d'une question de principes politiques, je ne croirais pas devoir, autrement que comme l'honorable M. de Ridder, prendre part au vote auquel elle sera soumise ; je ne voudrais pas qu'on pût me dire pendant quatre années : Vous devriez rougir d'avoir consenti à vous asseoir sur ces bancs sans avoir voulu que la Chambre vérifiât vos pouvoirs. Non, messieurs, je ne veux pas d'un tel reproche ; je demande que l'on vérifie mes pouvoirs, mais je ne veux pas que cette vérification se fasse pas un autre pouvoir que la Chambre même ; du moins je me garderai bien de donner dans un pareil panneau. (Interruption.)

Ah ! messieurs, je n'ai pas l'habitude des débats parlementaires, mais vous comprenez que je parle sous l'empire d'une excitation que je ne puis dominer. Je ne m'attendais pas à être mis en cause par l'honorable M. de Ridder. (Interruption.) Oh ! bien indirectement sans doute ; mais il n'est pas moins vrai que son observation ne me permettait pas de garder le silence, et vous comprenez, je le répète, qu'il me soit difficile de surmonter l'émotion que j'éprouve.

Que la Chambre me permette une autre observation. Ce qui m'étonne c'est que les signataires de la pièce que vous avez entendu lire aient osé la signer.

Les pétitionnaires, messieurs, ne sont pas des hommes qui ignorent les lois, ce ne sont pas des hommes qui ignorent nos principes constitutionnels ; ils savent parfaitement que le droit de pétition est inscrit dans la Constitution et qu'en vertu de ce droit il leur était permis de signaler à la Chambre les faits qu'ils connaissaient. Ces faits, ils les connaissaient, et ce qui le prouve, c'est l'allusion qu'ils y font dans leur requête ; sans cela cette requête n'aurait plus aucun sens. Mais aucun des pétitionnaires n'a voulu assumer sur lui la responsabilité d'une dénonciation explicite et voilà pourquoi ils ont abrité leur responsabilité derrière l'autorité judiciaire.

Mais, messieurs, si une demande ainsi introduite pouvait être accueillie, il appartiendrait au premier particulier venu de tenir en suspens la vérification des pouvoirs des membres de la législature.

En présence de ces considérations, il ne m'est pas permis, messieurs, quelque désir que j'éprouve de voir la Chambre prendre connaissance du dossier dont il s'agit, il ne m'est pas possible, dis-je, de voter dans le même sens que l'honorable M. de Ridder.

Je désire que les faits soient connus, mais je désire aussi que l'enquête soit faite d'une manière complète, afin que la Chambre ne subisse pas le préjugé sous le coup duquel elle serait placée si ses investigations ne portaient que sur le dossier de cette affaire.

En effet, messieurs,l1a Chambre se prononcerait d'après quoi ? D'après un dossier qui a été formé exclusivement sous la direction imprimée aux investigations de la magistrature par les pétitionnaires eux-mêmes. Or, que sont les plaignants ? Ce sont des adversaires politiques ; il n'y en a pas un autre. Eh bien, quand vous aurez parcouru une semblable enquête, n'emporterez-vous pas de l'examen de ce dernier un préjugé contre nous ; et convient-il que vous vous prononciez sous l'empire d'une telle influence ?

Non, messieurs, il faut que, dans votre indépendance, vous déclariez qu'il y a lieu, si c'est votre avis, d'ordonner une enquête parlementaire ; mais il ne faut pas commencer par une enquête judiciaire.

J'en ai dit assez, je pense, pour justifier mon vote, qui sera diamétralement opposé à celui de l'honorable M. de Ridder.

M. B. Dumortier. - La question que nous avons à examiner en ce moment, messieurs, n'est pas unique dans cette vérification des pouvoirs. Tout à l'heure, vous aurez à examiner l'élection de Dinant, à propos de laquelle a surgi également une protestation qui se borne, comme celle-ci, à se référer à une enquête judiciaire. C'est donc un système que l'on organise contre la droite.

- Voix à droite. - C'est cela. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - Et ce système, je le signale au pays. (Nouvelle interruption.) Quelle est, messieurs, la véritable cause de ce débat ? Cette cause, et il n'y en a pas d'autre, c'est que M. Rogier n'a pas été élu à Dinant, c'est que M. Devaux n'a pas été réélu à Bruges.

- Voix à droite. - Voilà !

M. B. Dumortier. - Et voilà pourquoi on veut faire un enquête ; voilà pourquoi on veut traîner sur la claie d'honorables membres sortis victorieux de la dernière lutte électorale.

Je dis qu'un pareil acte serait un scandale parlementaire ; je dis que si un tel acte s'accomplissait il n'y aurait plus une justice égale pour tous.

Encore une fois, que voulez-vous ? User d'un droit ? Faites-le. Demandez une enquête parlementaire et je serai le premier à l'appuyer et j'aurai peut-être alors à faire des révélations bien cruelles pour plusieurs d'entre vous.

Mais ce n'est point là ce que nous demandons : vous voulez vous abriter derrière une prétendue enquête judiciaire ; enquête, vous l'avouez vous-mêmes, qui s'est terminée par une ordonnance de non-lieu. Et c'est en présence de pareils faits, c'est après que l'enquête judiciaire a prouvé qu'aucun fait blâmable n'avait eu lieu, que vous voulez empêcher les nouveaux élus de Bruges de siéger dans cette enceinte. (Interruption.) Je dis que ce serait un fait sans précédent dans nos annales parlementaires.

Messieurs, qu'allez-vous faire ? Je vais vous le dire : Vous allez transmettre à l'autorité judiciaire le droit de vérifier les pouvoirs de vos membres. Eh bien, je dis que cette faculté, vous ne l'avez pas ; vous n'avez pas le droit de déléguer vos pouvoirs pas plus à l'autorité judiciaire qu'à aucune autre. Il y a bien plus, messieurs, ce sera, non pas même le pouvoir judiciaire, mais un ministre qui vérifiera nos pouvoirs ; ce sera lui qui viendra dire : il y a lieu d'indaguer sur telle ou telle élection.

Voilà quelle serait la conséquence fatale, inévitable de la doctrine qu'on cherche à faire prévaloir.

Vous le savez, messieurs, et l'honorable comte de Theux vient encore de le rappeler, aucun procès politique ne peut avoir lieu sans l'autorisation du ministre de la justice. Ce sera donc le ministre de la justice qui ordonnera une enquête, qui s'emparera du dossier pour voir ce que l'enquête a révélé ; ce sera donc lui, en réalité, qui vérifiera nos pouvoirs ; et cette belle prérogative que vous assure l'article 37 de notre règlement, ce droit que vous avez de vérifier vous-mêmes les pouvoirs des membres de cette Chambre, tout cela vous devrez l’abdiquer au profit d'un ministre !

Déclarez donc, vous qui vous dites libéraux, que votre libéralisme consiste à donner aux ministres la vérification des pouvoirs de vos membres, d'examiner le mandat des députés.

Déclarez que quand un député arrive dans cette enceinte porté par l'opinion contraire à la vôtre, on demandera communication d’une enquête judiciaire préparée contre lui ; que, quand un ministre sera écarté par les électeurs, on fera une enquête contre le compétiteur élu.

Voilà la portée de ce qu'on vous propose.

Je demande à la Chambre de réunir dans un seul vote les deux pétitions connexes dont il s'agit, afin que le pays sache si nous avons deux justices dans le pays, l'une pour le cas où un ministre ou un haut agent du pouvoir est écarté par les électeurs et un autre quand il s'agit de candidats du commun des martyrs.

- La discussion est close.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal ! l'appel nominal !

(page 11) M. le présidentLangeµ. - Je vais mettre aux voix, par appel nominal la proposition de M. Hymans, qui est ainsi conçue :

« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner la production de l’enquête judiciaire à laquelle se réfère la protestation d'un certain nombre d'électeurs de Bruges. »

- Il est procédé à l'appel nominal.

En voici le résultat ;

Nombre des votants, 106.

Majorité, 54.

Ont répondu oui, 57.

Ont répondu non, 49.

En conséquence, la proposition de M. Hymans est adoptée.

Ont répondu oui : MM. Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Crombez, Cumont, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerckhove, De Lexhy, de Macar, de Moor. de Paul, de Renesse, de Ridder, de Ronge, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, C. Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau et Lange.

Ont répondu non : MM. Coomans, Coppens, Debaets, Dechamps, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delaet, Delcour, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de Te Lokeren, Desmet, de Terbecq, de Theux, d'Hane-Steenhuyse, Dubois, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Hayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Magherman, Moncheur, Nothomb Rodenbach, Boyer de Behr, Schollaert, Snoy, Soenens, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen et Wasseige.

Arrondissement de Courtrai

M. Nélis, au nom de la 4ème commission, fait le rapport sur les élections de l'arrondissement de Courtrai.

Ont été élus : MM. Tack, de Haerne et H. Dumortier.

Les opérations ont été trouvées régulières, aucune réclamation n'a été produite, les élus faisaient partie de la Chambre, ils n'avaient pas à justifier des conditions d'éligibilité ; en conséquence la commission propose leur admission.

- Ces conclusions sont adoptées.

MM. Tack, de Haerne et Henri Dumortier, présents à la séance, prêtant serment.

Arrondissement de Dinant

M. Royer de Behr, rapporteurµ. - La sixième section m'a chargé de vous faire rapport sur l'élection de Dinant ; je viens, messieurs, m'acquitter de cette mission.

Le nombre des votants était de 1,309.

La majorité absolue a donc été fixée à 655 suffrages.

M. Thibaut a obtenu 758 suffrages.

M. de Liedekerke, 749 suffrages.

M. Rogier, 592 suffrages.

M. Lovau, 508 suffrages.

En conséquence, MM. Thibaut et de Liedekerke ont été proclamés membres de la Chambre des représentants.

Une réclamation a été jointe au dossier contre cette élection. Elle porte trois signatures.

Les signataires s'expriment ainsi :

« Messieurs,

« Les soussignés prennent la liberté de vous exposer, avec respect, qu'ils ont déposé, au parquet du tribunal de Dinant, une dénonciation relative à certains faits de corruption dans les élections du 9 juin dernier.

« Les soussignés ignorent quel est le résultat de l'enquête qui a dû être faite en suite de leur dénonciation, mais en admettant même que les faits qu'ils ont signalés ne puissent donner lieu à des condamnations par les tribunaux de répression, il peut se faire cependant qu'ils soient de nature à éclairer la Chambre sur la sincérité des élections de Dinant.

« Les soussignés vous supplient donc, messieurs, de vouloir bien ordonner le dépôt sur le bureau de la Chambre de l'enquête judiciaire pendant la vérification des pouvoirs.

« Convaincus que ces élections manquent de sincérité, nous avons l'espoir que la Chambre en prononcera l'annulation.

« Les soussignés ont l'honneur d'être, avec le plus profond respect, messieurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs.

« (Suivent les signatures.) »

Il résulte de cette pièce que les signataires avaient connaissance des faits qui ont servi de base à la dénonciation adressée au parquet. Ils pouvaient donc relater ces faits en s'adressant à la Chambre, puisque c'est eux-mêmes qui ont envoyé la dénonciation au parquet de Dinant. Mais ils n'en ont rien fait.

La majorité de votre commission a donc pensé qu'il n'y avait pas lieu d'admettre la prétention des trois électeurs dinantais, ceux-ci n'ayant pas saisi la Chambre comme ils pouvaient et devaient la saisir.

La voie nouvelle dans laquelle on s'engagerait par le procédé indiqué par les réclamants, conduirait à la violation des principes constitutionnels, de la séparation des pouvoirs. Le secret de l'instruction préliminaire en matière criminelle répressive est absolu, le pouvoir judiciaire ne peut pas subir de la part du pouvoir législatif l'ordre de se dessaisir, et si cela est vrai, un conflit pourrait surgir.

Enfin, il résulterait de la marche sollicitée par les réclamants la possibilité que des membres de cette Chambre, régulièrement élus, seraient écartés au moyen d'une plainte aussi longtemps que durerait l'instruction de cette plainte. La minorité de votre 6ème commission a soutenu que le secret de cette instruction préliminaire en matière répressive n'est pas aussi absolu que l'a prétendu la majorité, que si ce secret existe vis-à-vis des particuliers, il n'en est peut-être pas de même vis-à-vis de la Chambre. Malgré ces observations, la commission a l'honneur de vous proposer, à la majorité de quatre voix contre deux, d'admettre immédiatement MM. de Liedekerke et Thibaut à la prestation de serment.

M. Moreau. - Dans la sixième commission, j'ai fait partie de la minorité avec l'honorable M. Jacquemyns. La question à examiner était la même, à peu de chose près, que celle que la Chambre vient de décider ; en conséquence nous avons l'honneur de demander communication de l'enquête judiciaire à laquelle ont donné lieu les élections de Dinant. Pour le moment, je n'entrerai pas dans de plus longs développements pour ne pas abuser des moments de la Chambre.

M. le présidentLangeµ. - Voilà la proposition de MM. Moreau et Jacquemyns :

« Nous proposons à la Chambre de demander communication de l'enquête judiciaire concernant les élections de Dinant. »

M. B. Dumortier. - Messieurs, je vous disais tout à l'heure qu'une question semblable à la première allait se présenter. Elle se présente, en effet, avec des circonstances un peu différentes, il est vrai. Mes honorables amis, MM. Thibaut et de Liedekerke, ont été élus avec une majorité de plus de 100 voix, et c'est en présence d'une telle majorité qu'on vient chercher à entraver la validation de leurs pouvoirs !

Messieurs, quel serait le résultat de ce système ? Le voici ! C'est qu'en définitive un procureur du roi ou un autre agent de l'autorité judiciaire peut entraver les prérogatives parlementaires.

S'il y avait des faits passibles d'une condamnation, comme nous le disions dans l'élection de Louvain, je comprendrais qu'on agît de la sorte ; mais quand il y a d'une part un arrêt de non-lieu et quand d'autre part ce sont trois personnes qui viennent dire : II y a des abus, et nous vous demandons d'annuler l'élection, c'est par trop fort !

Quel que soit le résultat du vote, je ferai toujours la demande formelle qu'aux enquêtes dont on parle soient jointes les plaintes qui ont été faites, car si les pétitionnaires se cachent, s'ils n'ont point le courage de signaler ouvertement des faits qu'ils connaissent, si tant est qu'ils les connaissent, ce qui est fort douteux pour moi, je veux voir les plaintes qui ont été adressées au parquet et les faits sur lesquels repose l'enquête.

Il est donc indispensable que le dossier soit complet, et je demande que les plaintes y soient jointes.

M. Allard. - Tout le monde est d'accord à cet égard.

M. B. Dumortier. - Quant à moi, je crois inutile d'ajouter que je voterai contre. Il est incroyable que trois personnes viennent ainsi arrêter la validation des pouvoirs de deux anciens membres de la Chambre et cela parce qu'elles ont fait une dénonciation.

- Il est procédé à l'appel nominal sur la proposition.

106 membres y prennent part.

56 répondent oui.

50 répondent non.

En conséquence la proposition est adoptée.

Ont répondu oui : MM. Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Crombez, Cumont, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerckhove, De Lexhy, de Macar, de Moor, de Paul, de Renesse, de Ridder, de Rongé, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Ch. Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Mascart, Moreau, Mouton, (page 12) Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Tesch, Alp. Vandenpeereboom, Ern. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau et Lange.

Ont répondu non : MM. Coomans, Coppens, Debaets, Dechamps, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, Desmet, de Terbecq, de Theux, d'Hane-Steenhuyse, Dubois, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Hayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Magherman, Moncheur, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Soenens, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen et Wasseige.

MpLangeµ. - Le premier objet à l'ordre du jour est le rapport sur les élections de Bastogne. Ce rapport est-il prêt ?

M. Frison, rapporteurµ. - La 5ème commission n'a pas encore fait l'examen du dossier relatif à cette élection. Elle pourra probablement présenter son rapport demain.

M. Pirmez. - Je demanderai que l'on réclame immédiatement, à Dinant et à Bruges, les enquêtes dont il s'agit. Le bureau pourrait, ce me semble, faire le nécessaire à cet effet.

- Une voix : Ce n'est pas la Chambre qui doit réclamer ces pièces.

M. Pirmez. - Il m'est assez indifférent de savoir qui les réclamera, mais je demande qu'on les réclame dès aujourd'hui.

M. B. Dumortier. - Je crois qu'il sera plus simple d'envoyer une dépêche place Royale, car j'entends dire que les enquêtes sont arrivées.

M. Tesch, ministre de la justiceµ. - Je crois aussi qu'il vaut mieux d'adresser une dépêche place Royale, comme dit M. Dumortier, non pour le motif que vient d'indiquer l'honorable membre, car aucun des dossiers n'est à Bruxelles, mais je pense qu'il faut s'adresser à lui pour qu'il réclame les pièces des différents parquets, et je les transmettrai immédiatement à la Chambre. C'est, je crois, la marche la plus simple et la seule régulière.

M. B. Dumortier. - Je ne vois pas alors pourquoi on ne pourrait pas demander les dossiers directement.

MpLangeµ. - Il reste encore le rapport de la première commission sur les élections de Gand.

M. Thonissenµ. - La commission n'a pas été convoquée.

MpLangeµ. - Elle sera convoquée pour demain.

- L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à 4 heures et un quart.