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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 7 janvier 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 202) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Charles Devrière prie la Chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M Schollaert, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet d’adresse en réponse au discours du trône

Discussion générale

M. de Theuxµ. - Messieurs, dans une de nos dernières séances, un honorable député de Bruxelles a proclamé dans cette Chambre, à la face du pays, que désormais le parti libéral est seul apte à gouverner la Belgique.

M. Ortsµ. - Aujourd'hui !

M. de Theuxµ. - Si ce n'est qu'aujourd'hui, c'est encore une question à examiner ; mais cette maxime a été proclamée dès 1840 dans la Revue nationale ; elle a été reproduite en 1846.

L'honorable M. Orts vient la reproduire actuellement devant vous, et je pense que l'espèce d'atténuation qu'il y apporte par le mot « aujourd'hui », ne doit pas être prise tout à fait à la lettre. La pensée bien réelle de nos adversaires est donc que désormais la Belgique ne doit être gouvernée que par le parti libéral.

Cette maxime, messieurs, a reçu l'assentiment de la majorité et aussi de MM. les ministres. Cela se conçoit ; mais vous concevrez aussi que nous ne fassions pas acte d'adhésion à cet ostracisme du parti conservateur. Cette maxime veut dire que désormais la Belgique doit subir un gouvernement de parti. Or, un gouvernement de parti est le plus détestable des gouvernements sous le rapport de la législation, sous le rapport de l’administration et sous le rapport des abus divers qui doivent perpétuer son existence.

C'est un système oppressif, illibéral, inconstitutionnel. Sous le congrès national et depuis, on a toujours tenu pour maxime que c'est la composition des Chambres qui doit servir de base à la composition des cabinets, qu'ils soient homogènes, qu'ils soient mixtes, qu'ils soient même, dans des circonstances données, des ministères de parti. La vérité est qu'il ne doit pas y avoir de système préconçu quant au gouvernement du pays.

Cependant j'admets que, dans des circonstances données, on ne tienne pas un compte absolu de la composition des Chambres ; mais alors il faut qu'il y ait nécessité de consulter le pays et qu'il y ait utilité probable à le consulter.

Un système exclusif est aussi contraire à la Constitution qu'à tous les principes du gouvernement représentatif. Ce système amène nécessairement, par la suite du temps, la désaffection et toutes ses conséquences.

On nous a parlé de 1857. Messieurs, je ne dirai que peu de mots à cet égard.

Les émeutes de 1857 n'ont pas été provoquées par la présentation de la loi sur la charité ; elles ont été provoquées par les violences des discussions. Elles n'ont pas été désapprouvées dans cette enceinte par ceux qui avaient autorité pour les apaiser. Voilà nos griefs. Ils resteront. Qu'il me soit permis d'en dire encore un mot. On a prétendu que deux membres du cabinet avaient en quelque sorte l'adhésion de la gauche ; cependant nous savons que ce cabinet n'a pas cessé d'être attaqué avec violence dès les premiers moments de son existence. Nous savons la loyauté dont ce cabinet a fait preuve en maintenant son projet, alors que l'arrêt de la cour de cassation pouvait le dispenser de le soutenir. Voilà une conduite qui aurait dû lui garantir la modération de ses adversaires ; mais non, rien n'a pu arrêter les violences. 1857 doit encore être expliqué au point de vue des élections.

Le cabinet fut formé dans le sein de la minorité ; il avait besoin de la dissolution des Chambres, elle lui fut accordée : en ce moment il y eut hésitation dans le parti conservateur, une partie considérable de ce parti voulait que par une résolution unanime les anciens membres de la majorité se retirassent de la lutte électorale et abandonnassent le cabinet aux conséquences pratiques de l'exaltation du mois de mai et des émeutes.

Plusieurs membres persistèrent dans cette opinion et renoncèrent à se présenter dans les collèges électoraux, d'autres ne se présentèrent qu'après une longue hésitation et trop tardivement pour espérer encore un succès.

De là, messieurs, plusieurs échecs considérables pour le parti conservateur, mais je ne crains pas de dire que si tous les membres de l'ancienne majorité avaient pris la résolution, comme je l'avais proposé, de se représenter devant leurs commettants, si l'ancienne majorité conservatrice n'était pas revenue entièrement, elle serait du moins revenue en nombre à peu près égal à celui du parti du gouvernement.

Indépendamment de cette indécision toujours si funeste dans les luttes électorales, indépendamment de cette retraite qui a souvent pour conséquence la nomination d'un député d'une autre opinion, il y eut en 1857 une pression tellement inouïe que le gouvernement a envoyé à Louvain l'administrateur de la sûreté publique ; on a vu promener dans la capitale un drapeau qui évidemment était un signal de désordre.

La saison hivernale, messieurs, et d'autres circonstances ont encore influé évidemment sur les pertes que nous avons essuyées alors. Quoi qu'il en soit, nous avons vu la majorité n'être pas encore satisfaite de ses triomphes. Il a fallu de plus, par un vote contradictoire, à un jour d’intervalle, commettre la faute la plus grave qu'un parti puisse commettre ; c'est-à-dire tenir pour bonne l'élection d'un député nouveau, désigné seulement par son nom de famille, parce qu'il était libéral, et annuler et décompter à un membre du parti conservateur, qui était ancien membre de la Chambre, des voix qui également ne le désignaient que sous son nom de famille.

Voilà, messieurs, des faits à jamais regrettables. (Interruption.)

Jamais, messieurs, je réponds à mes interrupteurs en masse, devant le (page 203) pays, devant la Chambre, qu'aujourd'hui on déclare que le nom de famille suffit, et que demain, pour un ancien membre de la Chambre, on déclare que le nom de famille est insuffisant.

Jamais on ne parviendra à justifier cette faute.

Depuis lors, messieurs nous avons eu trois renouvellements par moitié de cette Chambre.

A chacun de ces renouvellements, malgré la défaveur de la loi électorale pour le parti conservateur, nous avons été en progrès, et 1863 a marqué un progrès évident pour les moins clairvoyants.

MfFOµ. - Vous revendiquez Anvers ?

M. de Theuxµ. - Oui ! Nous allons parler de cela. Un membre ancien a seul échoué, et encore à une bien faible majorité et en présence d'une pression électorale des plus violentes.

Un autre membre avait renoncé à la Chambre pour solliciter le mandat de sénateur. Il a également échoué, mais cela s'explique. Lorsqu'un membre se retire d'une Chambre, il a toujours de mauvaises chances.

Quant au Sénat, deux ou trois votes ont été acquis au gouvernement à cause de la retraite de sénateurs, appartenant au parti conservateur.

Messieurs, ces assertions se justifient par un fait tout spécial à ma province.

Le comte de Renesse-Breidbach, quoique libéral, était toujours élu par les arrondissements de Tongres et de Maeseyck réunis. Il vient à décéder, et dans deux élections successives, le parti conservateur obtient une forte majorilé. Vous voyez donc bien que mes appréciations sont justes et modérées.

La minorité a grandi et la majorité a perdu.

Sans doute, messieurs, nous voyons un zèle inaccoutumé apporté au secours du ministère.

Nous voyons même et à regret, je dois le dire, de temps en temps, les orateurs avoir recours à des personnalités peu dignes d'un parlement.

Eh bien, messieurs, les circonstances ne changent rien à la situation. Elles ne peuvent faire aucune impression sur l'opinion publique.

L'opinion publique se forme de raisonnements loyaux et droits, elle ne se forme pas par des démonstrations. Anvers, nous a-t-on dit, vous flattez-vous de pouvoir jamais compter sur le concours des députés d'Anvers ? Nous répondrons à cela.

Oui, messieurs, votre ordre du jour a froissé non seulement la députation d'Anvers, mais la ville d'Anvers, mais la province d'Anvers. Que fait un gouvernement qui n'est pas animé par des rancunes ? Il promet d'examiner avec sincérité, avec impartialité, avec bienveillance les divers projets qui pourront être présentés en vue d'alléger le lourd fardeau que la loi a imposé à notre métropole commerciale. Et que l'on ne se fasse pas illusion : ce fardeau est très lourd. Car admettons que le blocus ou le siège d'Anvers doive se prolonger pendant longtemps, que les maladies viennent à décimer la garnison, cette garnison devra être renouvelée et renforcée. Par qui le sera-t-elle ? Dès lors, que l'on ne dise pas que ce sont exclusivement les Belges qui auront à diriger les canons braqués dans les citadelles.

Cette situation est sérieuse. Je regrette qu'elle doive exister. Je n'hésite pas à déclarer que si l'intérêt général ne permet pas de modifications, je ne voterai pas pour la destruction des forteresses ni pour leur changement.

Mais s'il existe un moyen quelconque d'adoucir cette position, j'y donnerai avec empressement mon assentiment.

Messieurs, vaincue par les comices électoraux parlementaires, quel est le refuge de la majorité ? Ce sont les élections communales.

Mais pourquoi ne pas encore admettre les élections provinciales ? Pourquoi aussi ne pas tenir compte, dans la composition d'un cabinet, de la presse qui se prétend peut-être le principal pouvoir des pays constitutionnels ?

A quoi arriverez-vous ? A une confusion inextricable ; à l'abolition de notre Constitution. A qui le Congrès a-t-il confié le mandat de faire gouverner le pays par ses mandataires ? Evidemment aux collèges électoraux constitutionnellement déterminés et réglés par la loi électorale pour l'élection des Chambres. En dehors de là, vous n'avez plus qu'abus et confusion. Il n'y a plus de gouvernement possible. Vous marchez droit à l'anarchie.

Et je vais plus loin ; je dis que le parti doctrinaire a perdu dans les élections communales.

Je puis citer les villes d'Anvers, de Nivelles, de Courtrai, de Termonde, dit-on ; un grand nombre de grandes communes où le parti conservateur a obtenu des succès considérables.

Il est vrai que, dans certaines élections communales, on a eu recours à un moyen. On les a annulées, espérant que par la pression des autorités communales, provinciales et gouvernementales, on influencerait les nouvelles élections dans ces communes. Eh bien, messieurs, illusion ! L'honneur de ces communes était en cause ; elles ont répondu par un nouveau verdict conforme au premier.

Et ceci, messieurs, m'amène à signaler en passant la nécessité d'une loi organique en ce qui concerne l'annulation des élections communales. C'est bien là, la première des libertés des communes.

Messieurs, le gouvernement doctrinaire est impuissant pour asservir encore le pays. Toujours et surtout à l'époque présente les opinions et les intérêts ont été et sont de plus en plus mobiles ; il est impossible de fixer ni les opinions, ni les intérêts. Je comprends, messieurs, toutes les influences d'une vaste centralisation à laquelle aboutissent toutes les institutions financières aussi bien que toutes les institutions gouvernementales ; eh bien, tout cela est encore impuissant pour assurer pendant longtemps une domination qui n'est point normale et régulière.

On ne doit d'ailleurs pas perdre de vue que les positions qui offraient tant d'appât à certains agents électoraux, sont occupées aujourd'hui et que ce zèle doit commencer à se refroidir. Je ne crains pas de dire que le clérical, ce fantôme si longtemps présenté au pays, a fait son temps.

On sait aujourd'hui, messieurs, les faits l'ont prouvé, que ce n'est qu'un prétexte pour étendre le pouvoir ministériel, que ce n'est qu'un prétexte pour beaucoup d'agents électoraux pour obtenir des emplois. Le clergé, messieurs, n'a aucun intérêt à se mêler du gouvernement, et eût-il cet intérêt, eût-il ce désir, il serait impuissant à le réaliser, en présence de notre Constitution, en présence du Parlement, en présence de la magistrature, en présence de l'innombrable armée de fonctionnaires publics, en présence même de tant d'associations, de tant de lieux publics, où tous les intérêts se discutent, en présence d'une presse aussi libre que l'est la nôtre.

Cela est impossible, aucune prétention de ce genre ne peut entrer dans une tête sainement organisée.

L'unique désir du clergé, messieurs, est de voir pratiquer sincèrement et sans contrainte le culte qu'il est obligé par état et par conviction d'enseigner aux populations, et ce désir est autant dans l'intérêt public que dans l'intérêt privé. Il ne poursuit dans cette mission aucun intérêt personnel ; il ne cherche qu'à accomplir la mission à laquelle il s'est voué.

Je sais, messieurs, qu'on lui fait un grief, c'est d'intervenir aux élections ; mais il n'y a rien à reprocher au clergé de ce qu'il exerce ses droits comme tous les autres citoyens. Le clergé sait, messieurs, que le Congrès national renfermait une fraction libérale très considérable qui lui refusait systématiquement les libertés dont il pouvait profiter alors qu'elle se les attribuait largement à elle-même. Il sait qu'il ne doit ces libertés qu'au grand parti unioniste du Congrès national.

Le clergé, messieurs, n'a point de parti pris contre tel ou tel individu, contre telle ou telle opinion, il ne désire qu'une chose, c'est la conservation des libertés constitutionnelles, et je dirai, messieurs, qu'il verrait avec plaisir que la conservation de ces libertés ne fût point en péril, qu'elle fût assurée par l'élection de membres libéraux tout aussi bien que par l'élection de membres conservateurs.

Il puiserait dans cette circonstance un nouveau secours et une nouvelle force pour remplir sa mission.

Je dis donc que l'hostilité du cabinet au clergé est sans motif avouable et sérieux.

M. Dolezµ. - Je demande la parole.

M. de Theuxµ. - Je dis de plus que si elle se perpétue, ce sera au détriment de la morale et de l'ordre dont la morale est la base. Ce sera au profit de l'esprit révolutionnaire tant redouté par les monarques les plus grands, par Napoléon Ier, par Napoléon III, par tous les souverains sans exception, à tel point que Napoléon III dit que la guerre aujourd'hui doit surtout être évitée à cause de l'esprit révolutionnaire et des conséquences qui peuvent en résulter, si la révolution se mêlait à la guerre.

Voilà la situation accusée par des hommes compétents, par de grands politiques, et l'on ne tient aucun compte de cela ! On marche tête baissée ; pourvu que l'on puisse crier au clérical, rétrécir l'action du clergé, diminuer son influence sur les populations, on croit avoir sauvé le pays et avoir gagné une grande cause.

On va plus loin, et l'honorable député de Bruxelles, M. Hymans, nous disait hier qu'il ne voulait pas d'une liberté, fût-elle la plus démocratique, du moment que le clergé pourrait en profiter. (Interruption.)

- Plusieurs membres. – Il n'a pas dit cela !

(page 204) M. de Theuxµ. - Oui, il l’a dit, à propos de la réforme communale, à propos soit de l'abaissement du cens, soit du suffrage universel pour les élections communales.

Ainsi l'on admet que par cela seul que le clergé jouirait de beaucoup de popularité sur les classes inférieures de la société, celles-ci devraient être déshéritées de l'extension des droits politiques, de crainte que leurs suffrages ne fussent favorables à l'élément conservateur. Voilà la pensée nette ; inutile de recourir à des détours, à des dissimulations.

Messieurs, dans les grandes perturbations sociales, les gouvernements risquent le plus. C'est alors que les gouvernements comprennent la nécessité sociale du culte pour la civilisation.

Pour nous, messieurs, nous considérons cette nécessité comme absolue et nous en avons pour preuve la situation de l'Asie, la situation de l'Afrique, qui ont déserté le christianisme, qui ont abandonné le christianisme, qui ont favorisé la doctrine, qui se produit aujourd'hui, de la négation du Christ.

Eh bien, je le dis aujourd'hui, c'est favoriser, c'est marcher indirectement, si vous le voulez, mais peu à peu, vers un état social qui ferait déchoir l'Europe de sa puissance, de son lustre et de sa civilisation.

MjTµ. - Dites cela à M. d'Hane.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je ne fais ici aucune personnalité. Je ne désigne jamais un nom propre dans mes discours, quoique quelquefois il me serait agréable de pouvoir le faire pour mieux préciser les faits.

Mais malgré cet intérêt que je pourrais avoir dans la discussion, je m'en abstiens toujours.

Messieurs, les gouvernements catholiques même ont quelquefois fait opposition au clergé ; mais c'a toujours été dans un esprit de domination, et jamais dans un esprit de liberté. Oh ! si le clergé catholique se soumettait, comme le font les protestants et les schismatiques, aux pouvoirs politiques, je suis profondément convaincu qu'il serait largement choyé par la majorité et par le cabinet actuel. Mais, messieurs, après une expérience d'hostilité envers le clergé, envers le culte national, qu'arrive-t-il ? Les gouvernements ouvrent les yeux : ils font des concordats.

Ils ont tous passé par là, les plus forts comme les plus faibles, les gouvernements de France, de Prusse, des Pays-Bas, tous ont passé par là.

La Constitution belge, a voulu mettre un frein à la confusion des pouvoirs et à l'immixtion de la politique dans la religion ; elle a séparé nettement les pouvoirs et a rendu aux ministres du culte l'indépendance qui est de l'essence même du culte, car je ne conçois pas de culte qui dépend tantôt d'une femme, tantôt d'un homme, tantôt d'un ministre, tantôt d'un roi. Ce n'est pas là un culte, et ce n'est pas une population éclairée comme celle de la Belgique qui se soumettrait jamais à une pareille situation.

Messieurs, le Congrès national croyait avoir pourvu à tout en faisant une bonne Constitution. L'expérience vous a montré que le prince des orateurs, Cicéron, exprimait une vérité applicable encore à notre temps lorsqu'il disait : A quoi servent de bonnes lois lorsqu'elles ne sont pas loyalement exécutées ?

Le congrès catholique de Malines a aussi eu les honneurs de la discussion ; deux orateurs de la gauche en ont fait mention. Je les en remercie ; cela me fournit l'occasion d'en dire aussi quelques mots.

Le congrès catholique, attaqué à tort, par nos adversaires, a tout au contraire mis en évidence l'adhésion unanime, complète, sans aucune restriction, sans aucune réserve, à nos institutions constitutionnelles ; et ces étrangers, appelés à cette mémorable assemblée, ces hommes du premier rang appartenant à divers pays, ont également adhéré à notre système constitutionnel.

J'ose dire que pas un vœu contraire à nos institutions n'a été émis dans cette assemblée.

On nous dit : Les séances du Congrès étaient secrètes ! Messieurs, d'abord, cela n'est pas complètement exact, car je sais qu'il est des membres appartenant au parti libéral qui, ayant adhéré à ce congrès, ont pu y assister ; je ne sais pas s'ils y ont assisté.

Mais, au surplus, pourquoi n'y a-t-on pas admis indistinctement tout le monde ? Par une raison bien simple : à cause de l'insuffisance des locaux (interruption) ; à cause encore de l'impossibilité de maintenir l'ordre dans les discussions de semblables assemblées, si l'on y admettait la controverse. Le temps n'aurait d'ailleurs pas été suffisant. Mais voici votre garantie ; aucun discours, aucun rapport, prononcé ou lu dans les grandes réunions et dans les comités ne restera secret. Tous les discours, tous les rapports seront imprimés textuellement sous la seule surveillance de leurs auteurs. Pas la moindre censure, pas le moindre obstacle ne sera apporté à la publicité.

Il y a plus, l’honorable secrétaire général du congrès catholique a fait tous ses efforts pour que ces matériaux soient consignés dans deux volumes qui seront vendus au prix le plus bas possible ; et j'ose me porter garant que pas un seul membre de cette Chambre ne sera privé de ce document s'il veut bien en payer le modique prix. (Interruption.)

Il pourra le lire à l'aise, et nous en serons enchantés, car nous ne demandons pas mieux que d'être connus de nos adversaires.

Le congrès de Malines, messieurs, a eu un double but : la propagation de la vérité et la propagation des œuvres charitables. Là s'est bornée son action ; elle n'a pas été au-delà. On a voulu insinuer qui c'était une réunion ténébreuse. Mais, non, messieurs ; nous considérons, nous, que l'erreur seule engendre les ténèbres de l'esprit, et que la vérité seule domine les lumières de l'esprit.

Il est de notre devoir, en tout et partout, sans aucune exception quelconque de favoriser la diffusion de la vérité et de combattre l'erreur ; car, enfin, un catholique qui propagerait des erreurs serait un homme essentiellement coupable au cri de sa conscience et en présence de tous ses coreligionnaires.

Les œuvres charitables ! qu'ont-elles donc de blâmable ? N'ont-elles pas pour but de réparer autant que possible les inégalités de position, de remédier aux infortunes individuelles ; et n'est-ce pas là une œuvre éminemment sociale à laquelle tout homme doué de sentiments d'humanité doit applaudir ?

Et pourquoi, messieurs, cacherions-nous ce qui se passe dans nos assemblées ? Est-ce que notre culte n'a pas pour base la morale du déc-logue qui est la préservation de tous les droits, des petits comme des grands, des grands comme des petits ; qui ne permet pas qu'aucun mal soit fait à tort à qui que ce puisse être ?

Pourquoi cacherions-nous notre symbole ? Mais, messieurs, notre symbole c'est la confirmation de notre morale ! ce symbole est connu de tout l'univers.

Qu'avons-nous donc à cacher ? Il est impossible de concevoir ce que nous aurions à cacher et dans quel but. D'après les paroles mêmes du Christ : Les chrétiens doivent être des enfants de lumière, il ne peuvent pas être assimilés aux enfants de ténèbres.

Messieurs, je ne serais point entré dans ces considérations si deux discours et surtout le dernier n'avaient longuement insisté sur ces réunions du congrès catholique, réunions qui, du reste, sont autorisées en Allemagne, malgré le grand nombre d'Etats protestants qui divisent ce pays ; qui sont autorisées en Suisse quoique les protestants y soient en grande majorité, et qui s'y font avec le plus grand éclat.

Messieurs, on nous dit que la politique nouvelle, celle du cabinet actuel est la seule bonne. Nous ne partageons pas cette conviction ; nous avons une conviction toute contraire. Nous disons que c'est une politique de division, d'injustice pratique dans la collation des emplois, dans la législature, qui tend en plusieurs points à altérer le sens natif, réel de notre Constitution.

Nous pensons que la nouvelle politique a développé un mauvais esprit à ce point que si elle durait longtemps encore, elle aboutirait à des conséquences désastreuses ; j'appelle conséquences désastreuses, tout ce qui tend à diminuer les saines doctrines de morale, et cette politique, je ne l'admettrai jamais.

La seule politique à pratiquer, c'est celle qui a pour base la Constitution et les précédents posés par le congrès constituant, non seulement les précédents consacrés par des lois, mais les précédents admis dans la pratique de l'administration, dans la pratique des faits du gouvernement.

Qu'une politique ainsi basée, confiée à des hommes d'une grande intelligence politique et sociale, soit mise en pratique pendant quelque temps, nous verrons le pays applaudir à cette pratique de gouvernement ; de tels hommes mériteront la reconnaissance franche et sincère du pays.

Je dis que le pays a fait une expérience suffisante du gouvernement de parti et que son vœu intime est d'avoir un gouvernement, je ne dis pas de mixture, mais un ministère pratiquant franchement l'esprit de nos institutions et abdiquant tout esprit de parti ; un gouvernement semblable rendra au pays des services éminents et obtiendra son chaleureux assentiment.

(page 205) MaeRµ. - L'honorable M. Dechamps et l'honorable M. de Theux, après lui, ont dénoncé comme exorbitante cette prétention qu'aurait mise en avant l'opinion libérale d'être seule apte à gouverner le pays. Qu'une opinion politique ait une pareille prétention, rien à cela d'extraordinaire, on croit avoir de son côté le bon droit, la justice, les vrais principes ; ne doit-on pas tenir à ce que ces principes gouvernent le pays ?

Mais peut-on conclure de là que l'opinion libérale ait entendu revendiquer le droit d'exclure à jamais du pouvoir l'opinion contraire ? Ce serait lui prêter une véritable absurdité ; le pouvoir ne dépend pas d'une opinion, mais du pays ; le jour où le pays aura condamné l'opinion libérale, elle se retirera du pouvoir si tant que l'opposition se montre prête à l'accepter, disposition dans laquelle l'honorable M. de Theux ne se trouve pas en ce moment.

Il serait plus exact de retourner contre nos adversaires la thèse qu'ils nous attribuent. L'opinion catholique se croyant et se proclamant seule dépositaire de la vérité, gardienne et protectrice des vrais principes, l'opinion catholique dénie à l'opinion libérale le droit et la faculté d'exercer le pouvoir. Je puis le prouver historiquement et par des faits ; j'établirai en même temps ce qu'on doit attendre, pour la pacification des esprits et la stabilité du pouvoir, de ces ministères mixtes ou de coalition que l'on nous vante encore aujourd'hui.

Chaque fois que l'opinion libérale est arrivée au pouvoir, même dans ses nuances les plus modérées et avec le programme le plus modéré, l'opinion catholique a protesté, et rien n'a pu désarmer son opposition ; une guerre acharnée, une guerre préventive lui était déclarée.

L'honorable M. Dechamps est remonté dans l'histoire parlementaire, je vais le faire avec lui, au risque de lui rappeler des souvenirs qui ne lui seront pas agréables peut-être.

Pendant les premières années qui ont suivi la révolution, nous, libéraux unionistes et doctrinaires comme on nous appelait déjà, nous soutenions le ministère de M. de Theux, nous exercions même des fonctions administratives sous ce ministère.

En 1840 M. de Theux tombe du pouvoir ; il est renversé par ses propres amis ; le Roi appelle des hommes nouveaux à la tête des affaires.

Il est curieux de rappeler les hommes qui composaient le ministère de 1840 à 1841, c'étaient d'abord les deux libéraux, unionistes doctrinaires Lebeau et Rogier, puis venaient M. le procureur général Leclercq, M. Mercier, M. Liedts et le général Buzen, connu par ses sympathies pour l'opinion catholique.

A peine ce ministère avait-il vécu trois jours, à peine avait-il prononcé quatre paroles dans cette enceinte, que le parti conservateur, comme il aime à s'appeler, par l'organe du très intelligent, très éloquent, très charmant orateur, l'honorable M. Dechamps, déclara la guerre à ce cabinet, composé comme je viens de le dire ; il disait que ce cabinet jetait une irritation profonde dans le pays et conduisait la Belgique à sa perte. Il fallait donc renverser ce cabinet. Que lui reprochait-on ?

J'avais dans mes attributions l'instruction publique. L'instruction publique était restée sans direction, il faut le dire, pendant 5 ou 6 années. On avait autre chose à faire.

J'eus l'idée d'établir un concours entre les élèves des établissements d'instruction publique salariés par l'Etat ou par la commune.

Croirait-on, messieurs, que cette sel'e mesure administrative me valut dès lors le reproche de violateur de la Constitution ? Oui, la mesure fut signalée dans cette enceinte par l'honorable M. Dechamps et ses amis comme une violation de la Constitution.

Voilà le seul grief politique sur lequel s'étayait l'opposition d'alors. Je me trompe, il y en eut un autre plus grave encore.

Un fonctionnaire public avait eu le malheur, je crois, de susciter, sous le régime précédent, quelques procès à des fabriques d'église. Ce fonctionnaire était devenu, sous le nouveau régime, administrateur de la liste civile et secrétaire général du ministère des finances.

Il avait servi le pays dans plusieurs missions diplomatico-financières. Le Roi, sur la proposition d'un des ministres, lui accorda la croix de chevalier. Là-dessus, un cri d'indignation sur les bancs dé la droite. L'honorable M. de Theux, sortant de son calme historique, s'écria en se levant de son banc, je le vois encore : Quel scandale ! Peut-on poser des actes aussi contraires à nos institutions, à nos antécédents ?

M. de Theuxµ. – Il ne faut pas exagérer mes paroles.

MaeRµ. - Je ne rends pas votre indignation dans toute son éloquence, mais avouez que ce jour-là vous vous indignâtes.

Eh bien, messieurs, s'il m'est permis de le rappeler, voilà les deux faits sur lesquels s'appuya l'opposition. Il n'en est pas d'autres. Le reste était un procès de tendance.

On nous combattait parce que nous avions indiqué timidement, ayant pour collègue un jurisconsulte très religieux, un magistrat éminent, ancien membre du Congrès national, l'intention de défendre les prérogatives du pouvoir civil.

Dans cette Chambre il y eut un vote de défiance contre nous. Nous l'emportâmes de 10 voix. Nous allâmes au Sénat et là par une intrigue sur laquelle je ne veux pas revenir, l'œuvre commencée au sein de la Chambre fut achevée. Le cabinet libéral disparut.

Arrivent nos successeurs.

Un de nos amis, libéral comme nous, doctrinaire comme nous, de la même école, de la même époque, est mis à la tête de la nouvelle combinaison dans laquelle domine l'élément catholique. L'irritation du pays commence à diminuer. Qul'que temps après il appelle à lui l'honorable M. Dechamps qui consent à le servir comme gouverneur de province. L'irritation diminue de plus en plus. Un an après, tout allait si bien que le ministère de l'honorable M. Nothomb se disloqua pour ainsi dire de lui-même.

M. Nothomb, auquel on a rendu hier un hommage auquel je m'associe en grande partie, M. Nothomb ne donna pas sa démission, il donna la démission à ses collègues. Il en renvoya deux et il appela à lui l'honorable gouverneur du Luxembourg.

Dès lors, messieurs, tout fut pour le mieux.

La Belgique commença à jouir d'un ciel pur et sans nuage. L'ordre partout, le calme partout, la meilleure entente entre tous les citoyens, la satisfaction générale.

Comment se fait-il, messieurs, qu'avec ce régime de l'âge d'or que vous avait procuré l'application du beau système du gouvernement mixte, comment se fait il que, deux ans après, le nouveau ministère tombe lui-même en dissolution ? Cette fois-ci l'honorable M. Nothomb se retire ; l'honorable M. Dechamps l'a proclamé hier, il se retire honorablement, ayant encore avec lui une majorité numérique et laissant à ses successeurs l'exemple d'un ministre qui n'hésite pas à quitter le pouvoir devant des nécessités politiques.

C'est très bien. Nous louons tous avec M. Dechamps l'honorable M. Nothomb de cette conduite. Mais que faisait l'honorable M. Dechamps alors que l'honorable M. Nothomb se retirait ? L'honorable M. Dechamps restait. Je ne sais pas si cette conduite est aussi héroïque que celle de M. Nothomb, mais M. Dechamps, qui nous parlait hier ici de dignité, donna une leçon d'habileté à son maître. (Interruption.)

Vous avez négligé cette période de l'histoire, elle est pourtant fort intéressante.

M. Coomans. - Ce sont des vieilleries que tout cela, et nous avons mieux à faire.

MaeRµ. – Nous sommes, messieurs, en 1845.

Vers la fin du ministère de MM. Nothomb et Dechamps, un de nos amis, un libéral très prononcé, plein de verve, de talent et d'esprit, avait jeté dans le public une brochure des plus agréables à lire, non pas pour tout le monde, mais une brochure à la fois très littéraire et très politique. Cet ami s'égayait fort sur le compte de plusieurs des meilleurs amis de M. Dechamps. Il se permettait même des sorties assez vives contre l'Eglise dont l'esprit, disait-il, était d'abîmer tout.

Je vous engage, messieurs, quand vous voudrez passer un moment agréable, à relire cette brochure.

Eh bien, que fait l'honorable M. Dechamps ? Après avoir laissé partir M. Nothomb, il s'associe parfaitement à M. Vande Weyer, l'auteur de la brochure,

.M. Dechamps. - Pourquoi pas ?

MaeRµ. - Sans doute vous êtes toujours dans votre système de ministère mixte, mais vous n'y serez plus longtemps ; attendez. Le voilà donc associé à un ministre philosophe, il ne s'en cache pas, c'est un philosophe, un philosophe tolérant, constitutionnel, un patriote, ancien membre du Congrès et du gouvernement provisoire, pour lequel nous professons tous la plus grande estime.

Le ministère de l’honorable M. Vande Weyer dura un an. Grâce à l'efficacité de ce beau système des ministères mixtes, il ne fit rien qu'une loi sur la chasse. Mais quand il fallut faire quelque chose de plus (page 206) sérieux, quand l'honorable M. Van de Weyer, en homme d’esprit et de cœur qu'il est, voulut s'occuper d'affaires gouvernementales, et demanda à ses collègues de présenter une loi d'enseignement moyen qui, aux termes de la Constitution, garantît les droits de l’Etat, voilà que la discorde éclate, voilà que l'on ne veut pas s'associer à l'honorable M. Van de Weyer, et voilà une nouvelle dissolution du ministère, un an après sa naissance.

J'ai fait tort à l’honorable M. Dechamps ; j'ai oublié une circonstance de sa carrière ministérielle. Je signalais son opiniâtreté à rester ministre. C’est injuste, il acquitté le ministère pendant trois jours, à l’époque où l’honorable M. Nothomb, voulant aussi faire preuve d’impartialité pour les deux partis, suivant la maxime que l’on professe, mais que l’on ne pratique pas, M. Nothomb demanda un jour à la Chambre la nomination des jurys universitaires par le gouvernement. Là-dessus, l’honorable M. Dechamps eut la magnanimité de se retirer du cabinet. Mais par un accord qui ne tarda pas à se rétablir entre M. Nothomb et la droite, M. Nothomb recula devant cette velléité libérale, et immédiatement l’honorable M. Dechamps reprit sa place.

Messieurs, que la Chambre ne pense pas que je veuille m'amuser ici à faire des personnalités. En dehors de la question personnelle, il y a un principe en jeu. L'honorable M. Dechamps est d'ailleurs un homme important dans son parti et à juste titre ; c'est un homme qui exerce une grande influence et je suis convaincu que son parti se porte solidaire de ce que dit, de ce que fait l'honorable M. Dechamps.

M. Coomans. - Pas du tout ! (Interruption.) Nous repoussons la solidarité ; nous sommes libres !

MaeRµ. - Je serais fâché de faire éclater un dissentiment entre vous. Je veux élargir le débat et faire comprendre que ce n'est pas à l'honorable M. Dechamps personnellement que je m'adresse,

M. Thonissenµ. - Chacun est libre chez nous ; chacun jouit d'une liberté entière.

MfFOµ. - Vous votez librement comme un seul homme.

M. Thonissenµ. - Ne le faites-vous pas ?

MaeRµ. - Messieurs, c'est le système que j'expose ; c'est le système que l'on continue de préconiser que je combats par des faits.

Nous voici donc arrivés à la fin du nouveau ministère mixte, ministère de conciliation, de centre, comme on voudra l'appeler. M. Van de Weyer se retire, accompagné de son collègue, M. d'Hoffschmidt.

Nous arrivons cette fois à un ministère de parti dans la pure acception du mot.

Dans une discussion sous le ministère de M. Van de Weyer, il arriva à M. Malou, partisan aussi des ministères mixtes, de faire cette déclaration spirituelle : Je suis tellement l'ennemi des ministères homogènes ou de parti, que s'il se présentait un jour un ministère composé de six Malou, je serais le premier à le combattre ! Et l'honorable M. Dechamps appuyait M. Malou.

Et, deux mois après, forcé sans doute par les circonstances, l'honorable M. Dechamps et l'honorable M. Malou formaient un ministère de parti, sans aucune espèce de mélange libéral.

L'honorable M. Dechamps abandonna alors complètement cette doctrine qu'il vient encore réveiller aujourd'hui, comme si elle ne devait pas être enterrée depuis longtemps, comme si les faits n'en avaient pas fait complètement justice.

Messieurs, en présence de pareils antécédents, est-on bien venu à soutenir une pareille thèse et à prendre vis-à-vis du cabinet actuel les allures de M. Dechamps ? Avant-hier il a voulu nous administrer une leçon de dignité, ii a donné à entendre, ou plutôt il a dit en termes voilés, avec beaucoup d'apprêt, que le ministère se rendrait méprisable...

.M. Dechamps. - Non ! non !

MaeRµ. - Vous avez cité une phrase de l'honorable M. Devaux que vous avez blâmée, mais au fond nous avons parfaitement compris ce que vous vouliez dire.

.M. Dechamps. - Je n'ai pas l’habitude de déguiser ma pensée.

MaeRµ. – Vous avez dit que notre dignité nous imposait le devoir d'abandonner le pouvoir.

.M. Dechamps. - Je n'ai pas parlé de mépris.

M. de Moorµ. - Vous avez parlé du pouvoir sans dignité.

MaeRµ. – Eh bien, je dis à l'honorable M. Dechamps dont j'apprécie beaucoup le talent, dont je prise la conversation pleine d'agréments et les manières très aimables, je lui dis qu’il m’est impossible, quant à moi, de recevoir de lui des leçons de dignité.

Quand le moment, messieurs, sera venu, quand nous recevrons un avertissement de retraite, non pas de nos adversaires, mais de nos propres amis, quand nous serons abandonnés par le pays, alors il y aura lieu de songer à la retraite.

Pour le moment, nous ne pouvons pas encore faire à l'opposition ce plaisir-là.

Et d'ailleurs, messieurs, nous quitterions aujourd'hui nos places, qui donc viendrait nous remplacer ? L'honorable chef de la droite, le chef incontesté de la droite, il n'y aura pas, j'espère, de protestation sur ce point, l'honorable M. de Theux nous a dit l'autre jour que, quant à lui, il ne voulait plus du pouvoir.

Je ne sais pas si l'honorable M. Dechamps n'a pas donné à entendre la même chose.

.M. Dechamps. - Je n'ai nulle envie du pouvoir.

MaeRµ. - L'honorable M. Dechamps n'en a pas envie. L'envie peut venir. Mais enfin je suppose à nos adversaires, avec l'envie, le courage nécessaire, parce qu'il en faut, dit-on, dans les circonstances actuelles, pour accepter le fardeau du pouvoir.

L'opposition a-t-elle la majorité ? La nôtre n'est pas grande, nous le confessons ; mais la majorité de l'opposition, où est-elle ?

Et quand on aura retranché de ses rangs les cinq membres auxquels elle veut bien donner aujourd'hui ce que nous appellerons de l'eau bénite de cour, mais dont elle ne pourra satisfaire les exigences, quand ces cinq membres-là se tourneront contre elle, où trouvera-t-elle l'appoint qui lui manque déjà aujourd'hui ?

Ces messieurs de l'opposition disent qu'ils ne veulent pas du pouvoir, je l'admets, mais quand ils disent qu'ils n'en ont pas envie, je ne le crois pas et j'en ai une preuve manifeste : nous avons, en effet, aujourd'hui le programme d'un futur ministère ; on nous a annoncé la politique nouvelle dont on veut gratifier le pays.

L'honorable M. Dechamps nous a donné l'article fondamental de ce programme, le candidat de l'opposition à la vice-présidence, un représentant d'Anvers, allié conditionnel de la droite, ont fourni leur contingent à ce même programme ; je me permettrai d'appeler l'attention de la Chambre et du pays sur ce programme ; s'il n'est pas encore complet, il s'élargira encore. Car il paraît que déjà on met à l'épreuve, pour la rédaction du programme, le beau système du suffrage universel demandé pour la commune : Tout le monde concourt à ce programme sauf, je crois, un honorable membre qui n'a pas été consulté sur la question de la peine de mort, mais chacun apporte sa pierre à l'édifice.

Je m'attache à la pierre fondamentale posée par l'honorable M. Dechamps qui, probablement, sera l'un des grands architectes.

L'honorable M. Dechamps nous notifie qu'il proposera ce qu'il appelle la réforme communale. La réforme communale ! avec le suffrage universel à la commune, proposé par un autre de ses amis.

En quoi consiste la réforme communale de M. Dechamps ? Entend-il que tous les magistrats communaux, bourgmestres et échevins, seront nommés par les électeurs ? Il ne s'explique pas là-dessus. Dans les rangs de la droite, il est des membres qui veulent faire nommer les bourgmestres et les échevins par les électeurs ; d'autres se contenteront de les faire nommer par le conseil communal. Le premier système est plus franc, plus démocratique, plus radical.

Lorsque nous avons entendu parler, par l'honorable M. Dechamps et ses amis, de la révision de la loi communale, il y a eu une espèce de frémissement sur nos bancs ; nous nous sommes dit : Songerait-on encore à réformer cette législation dans un sens réactionnaire ? Mais quelle n'a pas été notre surprise lorsque nous avons vu qu'il ne s'agissait pas de réformer la loi communale dans un sens despotique, comme l'ont fait l'honorable M. Dechamps et ses amis en 1842, mais de la réformer dans un sens ultra-radical !

N'est-il pas étonnant, en effet, de voir l'honorable M. Dechamps, dans le même discours où il se montrait effrayé du progrès de la démocratie en Europe, nous annoncer qu'il proposerait l'intronisation dans les élections communales de la démocratie, sans doute avec le suffrage universel, flanqué de cet auxiliaire historique qu'on nous a vanté hier, le meeting. Eh bien, ce n'est pas nous que le projet de M. Dechamps doit effrayer : c'est par notre opinion que le droit électoral a été étendu dans les limites de la Constitution ; mais le système présente une lacune.

Il existe dans la commune une autre autorité que l'autorité civile, une (page 207) autre autorité qui exerce une grande influence. Il y a l'autorité religieuse. Il y a le curé, le desservant, le vicaire, les conseils de fabrique. Ah ! vous voulez le suffrage universel, vous voulez l'émancipation complète de la commune de tout lien avec les pouvoirs supérieurs ; accordez donc aux bons habitants des campagnes le droit de nommer leurs curés, leurs desservants, leurs conseils de fabrique, comme vous voulez qu'ils nomment leurs bourgmestres et leurs échevins. (Interruption.)

- Un membre. - C'est la doctrine primitive de l'Eglise.

MaeRµ. - Dans votre système, cette réforme me paraît indispensable et vous allez voir qu'elle serait très logique.

- Un membre. - Et la Constitution !

MaeRµ. – La Constitution n'a pas dit qui nomme les curés. (Interruption.)

Les traditions de l'Eglise, ne le niez pas, sont conformes à ce système.

L'élection, on l'a dit et on en a fait honneur à l'Eglise, l'élection est d'origine ecclésiastique.

- Un membre. - Cela ne nous regarde pas.

MaeRµ. - Cela regarde la centralisation contre laquelle on se récrie. Vous décentralisez la nomination du bourgmestre par le Roi, je décentralise la nomination des curés par les évêques.

- Un membre. - En violant la Constitution.

MaeRµ. - Je soutiens que la Constitution ne fait pas obstacle à ce que le clergé soit nommé par les paroissiens. (Interruption) Il ne s'agit pas de l'Etat. (Interruption)

Je savais bien que j'allais soulever des murmures, comme je suis convaincu que demain la presse conservatrice annoncera que le ministre des affaires étrangères a eu l'audace de proposer la nomination des curés par les paroissiens, si même il n'a pas déposé un projet de loi.

M. de Haerne. - C'est là un culte abstrait, ce n'est plus le culte catholique.

MaeRµ. - Il est encore des pays où les paroissiens nomment leurs prêtres.

M. de Haerne. - Cela a été fait par concordat.

MaeRµ. - Le concordat est aboli pour la Belgique ; voulez-vous l'exécuter seulement dans les parties qui vous conviennent ? (Interruption.)

MpVµ. - N'interrompez pas. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

MaeRµ. - Je prie l'honorable M. de Theux de vouloir bien faire un peu la police de la droite comme il faisait hier celle de la gauche.

M. de Theuxµ. - Je n'ai pas prononcé une seule parole.

MaeRµ. - L'idée que je mets en avant, je ne l'ai pas profondément mûrie ; elle ne m'a été suggérée que par celle de l'honorable M. Dechamps, qui est venu nous prendre à l'improviste et qui paraîtra certainement tout aussi extraordinaire. Expliquons la corrélation des deux idées.

Les électeurs nommeront directement le bourgmestre et !es échevins. Il en est qui seront assez mal appris pour choisir précisément le bourgmestre et les échevins qui déplaisent le plus au curé. Ces fonctionnaires seront parfaitement indépendants ; ils ne rendront pas de compte à l'autorité supérieure, ils s'amuseront à vexer le curé. (Interruption.)

- Un membre. - Cela ne nous regarde pas.

MaeRµ. - N'est-on pas venu hier nous dire que pour faire cesser les tristes divisions qui règnent dans les communes, il fallait que le pouvoir centralisateur retirât sa main et abandonnât le choix des magistrats municipaux aux habitants ; qu'il était temps que le bourgmestre cessât d'être un agent, un instrument politique, pour rester l'homme exclusif de la commune.

Vous voulez, au moyen du bourgmestre électif, faire cesser l'agitation, les divisions politiques au sein des communes. Eh bien, je dis que votre système ne fera rien cesser, mais qu'au contraire, appliqué isolément, il entretiendra des divisions plus grandes au sein des communes.

Il en serait autrement si les fonctionnaires de l'ordre ecclésiastique tenaient leur mandat des mêmes électeurs que le bourgmestre. Le curé et le bourgmestre tenant leur mandat des mêmes électeurs seraient, on doit le supposer, animés du même esprit et se traiteraient alors comme des alliés appartenant au même parti.

De là, au lieu de l'antagonisme la concorde et la paix.

Messieurs, on nous représente toujours comme des ennemis du clergé. Dans les élections, un grand nombre de pauvres prêtres des campagnes qui ne nous ont jamais vus, qui ne nous connaissent que par les seuls journaux qu'on leur impose (en vertu, sans doute, de la liberté de la presse), croient que nous conspirons leur ruine.

L'occasion se présente de leur faire voir que les libéraux sont leurs amis, que les libéraux prennent garde à leur situation toute précaire et cherchent à les émanciper du même coup que les bourgmestres et les échevins.

Comment ! vous ne voulez plus que le gouvernement central ait son représentant au sein d'une commune, représentant dont la fonction est cependant de protéger les faibles et les petits contre les vexations des forts, vous admettez, d'autre part, que le représentant de l'autorité ecclésiastique soit un agent politique ; vous avez dit que c'était son devoir, l'honorable M. de Theux l'a proclamé ; et si cet ecclésiastique, agent politique, manque aux prescriptions électorales qui lui sont imposées, alors même qu'il remplit consciencieusement ses devoirs religieux, n'est-il pas exposé à la disgrâce de son évêque ?

N'a-t-on pas vu des ecclésiastiques qui ont été déplacés, d'autres qui n'ont pas reçu de promotions parce qu'ils s'étaient montrés non pas hostiles, mais seulement tièdes dans une élection ?

Eh bien, si vous voulez l'indépendance des magistrats municipaux civils, veuillez aussi l'indépendance de ceux que j'appellerai les magistrats municipaux ecclésiastiques.

Mais, messieurs, nous ne nous faisons pas illusion. Lorsque vous déclarez une guerre acharnée à ce que vous appelez la centralisation, ce que vous faites, c'est déclarer la guerre au pouvoir civil. Vous cherchez à le détruire autant que vous le pouvez ; vous lui coupez moralement la tête comme Etat ; vous voulez lui couper bras et jambes dans la province et dans la commune de manière qu'il ne puisse plus marcher, et lorsque vous aurez réduit le pouvoir central, le pouvoir civil à ce bel état d'eunuque, il y a un autre pouvoir qui restera debout avec son organisation complète, avec son organisation inflexible. Pour lui pas d'entraves, pas de contrôle, pas de responsabilité ; c'est le pur despotisme ; c'est l'obéissance passive, c'est le sic volo sic jubeo. (Interruption.)

- Plusieurs membres. : Oui ! oui !

MaeRµ. – Qui le niera ?

Comment ! Ce pouvoir central, auquel chaque jour vous jetez la pierre, ne pourra pas destituer un bourgmestre si ce n'est pour inconduite notoire ou pour négligence grave ; si ce bourgmestre se montre violemment, ouvertement hostile au gouvernement dans les élections, s'il use de son influence comme bourgmestre afin de combattre le représentant qui soutient le gouvernement, et si le gouvernement ne lui donne pas un nouveau mandat, le voilà traîné dans la boue, signalé comme un despote, comme un violateur de tous les droits, comme un violateur de la Constitution ; mais qu'un ecclésiastique s'avise de signer une circulaire où l'on recommandera un candidat libéral, soutiendrez-vous qu'immédiatement cet ecclésiastique ne sera pas frappé de disgrâce ? Sera-t-il, oui ou non, disgracié ? Osera-t-il signer une pareille recommandation ? Il n'y a pas un seul de vous qui répondra qu'il le ferait impunément. A qui aura-t-il recours ? Où est pour lui la publicité ? à qui la responsabilité ? à qui ses chefs doivent-ils compte ? A personne. Et nous, pouvoir civil, lorsque nous posons l'acte le plus minime, nous avons cent juges pour un, nous avons à rendre compte devant la presse, devant la Chambre, devant le Sénat, de tous nos actes.

On dit que le pouvoir de l'Etat envahit tout, centralise tout, qu'il a à sa disposition des places et des faveurs. Mais est-ce que le pouvoir de l'Eglise, dans l'ordre administratif seul, n'a pas tout cela à sa disposition ? Si le pouvoir civil a des juges de paix, des bourgmestres et des échevins, le pouvoir ecclésiastique a des doyens, des curés, des vicaires, des sacristains, des organistes...

M. Thonissenµ. - Et des enfants de chœur.

MaeRµ. - Il a son organisation bien autrement forte que la nôtres, organisation dans laquelle tout s'exécute par la volonté supérieure sans opposition et, en tous cas, sans responsabilité.

Je parle de l'Eglise au point de vue administratif ; je laisse de côté son influence, au point de vue moral. Mais elle a mille moyens d'influence, d'attraction ou d'intimidation qui échappent au pouvoir civil, et je dis qu'il faut que l'opinion libérale ait autant de force qu'elle en possède en elle-même pour pouvoir résister à la guerre que lui fait l'Eglise dans les élections.

(page 208) Je me suis, messieurs, un peu étendu sur cette première partie du programme de la politique nouvelle qu'on nous annonce.

Je passe à l'article 2 : Abolition de la peine de mort. Mais je ne sais pas si l'opposition est d'accord sur cet article ; je doute, par exemple, que l'honorable M. B. Dumortier soit, sur ce point, de l'avis de l'honorable M. Royer de Behr. Mais l’opinion libérale n'est pas très alarmée, je pense, de voir poser cette question.

- Voix à gauche. - Certainement non !

MaeRµ. - L'abolition de la peine de mort n'est pas une invention du parti catholique ; elle a été préconisée par tous les philosophes.

Messieurs, j'ai placé la réforme communale en tête du programme de la politique nouvelle. J'aurais dû le faire précéder peut-être d'un autre article très important.

Nous avons, mes collègues et moi, dix à douze années, plus ou moins, de service ministériel. Aux yeux de l'opposition, ces dix années ont été consacrées à jeter dans le pays la division, l'irritation, la désaffection par les mesures les moins libérales, les plus attentatoires à la liberté, par un nombre considérable de mauvaises lois, y compris celle qui portait une atteinte si grave à la propriété, la loi sur les successions.

Pour mettre nos adversaires plus à l'aise, je passerai rapidement sur la première période de notre ministère, sur celle de 1847 à 1852. Un ministère catholique est venu à son tour ; qu'a-t-il fait de toutes ces lois et de ces mesures liberticides et funestes au pays ? Il n'en a retiré aucune. De toutes ces mesures déplorables, il n'en a supprimé aucune. Cela déjà nous rassurer un peu sur ce que nous avons fait de 1857 à 1863.

Depuis six ans, nous avons continué, paraît-il, d'accomplir des actes contraires à l'intérêt public, violentant les consciences, violentant la Constitution.

Qu'est-ce que la politique nouvelle ferait de ces actes ? Voudrait-elle, pourrait-elle les maintenir, et jeter un voile indulgent sur nos fautes ? Mais, messieurs, cela n'est pas possible : l'opposition ne serait pas sérieuse, l'opposition manquerait de loyauté, il faut bien le dire, si, après avoir combattu d'une manière si énergique les mesures du ministère et les lois fatales qu'on lui reproche d'avoir proposées, il ne considérait pas comme son premier devoir de modifier tontes ces mesures, de refaire toutes ces lois.

Voilà, à vrai dire, le premier article de votre programme ; on n'en a rien dit jusqu'ici ; je suppose bien que cela doit être entré dans la pensée des auteurs du programme. Je leur signale, dans tous les cas, cette lacune, qui me paraît essentielle.

Maintenant, il y a un autre article du programme qui nous a également causé la plus agréable surprise : il y a la liberté de la presse. Nous ne savons pas trop ce qu'on peut demander pour la presse ; mais enfin on veut proclamer la liberté de la presse, c'est une habile invention.

Soit, seulement je me permettrai, si, je peux avoir un peu voix au chapitre, de proposer un amendement.

La liberté de la presse, telle qu'on l'entend au nouveau programme, c'est sans doute la liberté d'écrire tout ce qu'on veut impunément. Mais ceci ne suffit pas : il ne suffit pas d'écrire, il faut lire ; vous êtes des amis des lumières ; vous devez donc vouloir qu'on puisse lire aussi impunément qu'on peut écrire. Vous réservez-vous d'obtenir l'autorisation nécessaire pour que chaque citoyen belge puisse lire impunément tout ce qu'il voudrait... (Interruption.) Si vous faites cela, nous l’irons dire... ou plutôt nous n'irons pas le dire à Rome. (Nouvelle interruption.)

Votre programme pour la liberté de la presse comporte probablement aussi la liberté de propager, de faire circuler les écrits ; on ne jettera donc plus, comme aujourd'hui, l'embargo sur certains livres et sur certains journaux, qui deviendront accessibles à tous les lecteurs.

Messieurs, nous attendrons avec impatience la réalisation de cette grande réforme.

Nous nous sommes contentés, nous libéraux, de supprimer le timbre des journaux, d'abaisser les frais de transport, de faciliter les abonnements. Mais nous n'avons pas reconnu le besoin urgent pour la presse d'être plus libre qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Je passe maintenant à un autre article du programme sur lequel je dois appeler l'attention de ses auteurs et de leurs auxiliaires éventuels.

J'entends parler de ce qu'on appelle le mouvement d'Anvers. (Interruption.) On a proclamé le grand mérite, la haute valeur politique des meetings ; on les a signalés comme une des belles traditions de l'histoire de la Belgique, et tout cela avec la complète adhésion de la droite. De ces meetings il est sorti autre chose que des mots et des députés : il est sorti des formules très nettes et très absolues.

Il nous faut la démolition des citadelles du Nord et du Sud ! s'écrient les députés d'Anvers, élus à cette condition qu'ils ont acceptée. Je suppose qu'à aucun prix, ils ne voudraient se contenter de simples promesses d'examen non suivies d'effet. Il y aura donc quelque chose de sérieux à faire ; si rien ne se faisait, on s’exposerait à passer pour traître à Anvers. Il y a là une très grande difficulté.

Mais il y a autre chose encore que les citadelles à démolir ; il y a des indemnités pour servitudes, c'est le point de départ du mouvement. Nous avons parmi nous comme représentants d'Anvers le président d'honneur et le président du meeting des servitudes.

Que demandait ce meeting ? Il demandât de l'argent pour indemniser ceux qui souffrent des servitudes nouvelles ; le gouvernement ne voulant pas disposer des caisses de l'Etat pour satisfaire à ces intérêts personnels, s'est laissé condamner par les électeurs d'Anvers. C'était une question d'argent et rien autre chose.

M. Delaetµ. - C'était une question de justice.

MaeRµ. - Cette question de justice se résolvait en définitive en argent, et si le gouvernement avait eu l'impudeur de tirer du trésor les millions qu'on lui demandait, mes anciens collègues et moi nous serions encore représentants d'Anvers et vous qui m'interrompez, vous ne seriez pas ici ! (Interruption.) Nous savons comment les choses se sont passées ; nous avons résisté ; je ne m'en repens pas ; dans des circonstances pareilles, j'agirais encore de même.

Mais vous qui applaudissez aux paroles des représentants de ce mouvement d'Anvers et de ses exigences, que ferez-vous si vous arrivez au pouvoir ? Ouvrirez-vous le trésor pour indemniser les propriétaires des nouveaux terrains frappés de servitudes ? Répondez.

Nous vous attendons à cette parte du programme. Vous aurez peut-être du temps pour y songer.

Je raisonne dans l'hypothèse de votre prochaine entrée au pouvoir, mais il ne vous est pas encore ouvert. Vous le voyez en perspective ; vous faites tout ce que vous pouvez pour nous faire sortir : mais nous ne sommes pas encore dehors ; nous n'en sortirons pas sur votre ordre ou sur votre invitation, nous attendrons des juges plus impartiaux et plus compétents. Cependant ne dites pas, si le pouvoir est vacant, que vous n'êtes pas prêts à le prendre.

Il ne vous est pas permis de renverser le gouvernement sans le remplacer ; la loyauté, les règles parlementaires s'y opposent. Vous, conservateurs quand même, si vous démolissez un ministère sans avoir la volonté ou la force d'en constituer un autre, ne vous appelez plus parti conservateur, mais parti anarchique. Vous serez bien nommés. (Interruption.)

En finissant donc, je dirai en deux mots aux chefs de l'opposition ; Soyez loyaux, soyez sérieux.

Quant au parti catholique quant au clergé en particulier, je répéterai ces paroles si sages et si vraies qu'a fait retentir au sein du congrès de Malines un évêque étranger, témoin du sort exceptionnel du clergé sur cette terre promise de Belgique, de la liberté illimitée dont il jouit, de l'éclat dont est entourée la religion, du respect qui est accordé au prêtre dans sa mission religieuse, cet évêque anglais, jugeant les choses impartialement et de haut, disait au clergé : De quoi vous plaignez-vous ? Vous êtes libres, vous jouissez d'avantages qui ne vous sont accordés nulle part dans le monde ; soyez contents, restez tranquilles.

C'est aussi ce que je me permettrai de dire à tous les hommes modérés du parti catholique : Vous n'avez rien à gagner à tous ces combats sans but et sans fin : restez tranquille*.

.M. Dechamps. - Comme plus de la moitié du discours de M. le ministre des affaires étrangères a été consacrée à ma biographie politique, n'aurais-je pas le droit de demander la parole pour un fait personnel ?

- Plusieurs voix. - Non !

- Voix plus nombreuses. - Parlez ! parlez !

.M. Dechamps. - Messieurs, dans le discours que j'ai prononcé dans une séance précédente, j'espère que vous me rendrez cette justice, j'avais examiné la politique du ministère, la situation du pays, les difficultés qui entouraient le pouvoir et l'opposition, dans des termes mesurés, évitant avec un soin extrême de faire intervenir des noms propres et des questions personnelles.

J'avais, dans ce discours, cherché à établir, en rappelant les antécédents des ministères antérieurs, que la conduite du ministère actuel en apparence inexplicable, restant au pouvoir avec une insuffisante majorité, trouvait son explication dans la prétention affichée depuis longtemps par les chefs de l'opinion libérale, que la prépondérance et le pouvoir lui appartenait et que l'opinion conservatrice devait se résigner au rôle de minorité. (Interruption.)

(page 209) Je comprends que le droit de chaque opinion est d'aspirer au pouvoir, que chaque opinion peut prétendre qu'elle présidera mieux aux affaires publiques que ses adversaires. Ce n'est pas cette prétention que j'ai appelée inouïe et que j'ai signalée et combattue.

Mais voici ce que j'ai voulu établir, c'est que lorsque nous étions une imposante majorité, pendant la période de 1841 à 1847, lorsque l'opinion conservatrice comptait une majorité de 30 à 40 voix, on nous déniait le droit d'être au pouvoir. L'opposition nous disait : Résignez le pouvoir, devancez les arrêts du corps électoral, vous n'avez pas l'opinion avec vous.

Ce que j'ai combattu, c'est cette prétention de nier vos échecs électoraux, de les attribuer à des causes illégitimes, de nous dire à nous quand nous succombons : C'est sous l'opinion que vous succombez, et quand nous triomphons de soutenir que c'est à l'aide de la corruption. Ceci n'est plus du gouvernement représentatif.

J'ai rappelé les paroles de l'honorable M. Devaux qui a donné la formule de cette prétention extra-constitutionnelle, et qui a déclaré que l'intérêt du pays voulait que la prépondérance appartînt à l'opinion libérale et que l'opinion conservatrice se résignât dans l'avenir au rôle de minorité.

M, le ministre des affaires étrangères, voulant faire à son tour de l'histoire rétrospective, vous a dit qu'il allait vous démontrer, renversant la thèse que j'avais soutenue, que c'était au contraire l'opinion conservatrice qui avait refusé obstinément à l'opinion libérale le droit d'occuper le pouvoir.

Je m'apprêtais à écouter attentivement cette thèse qui me paraissait difficile à appuyer de preuves, mais je me suis vite aperçu que M. le ministre des affaires étrangères, au lieu de faire l'histoire des partis, n'avait voulu faire que ma biographie politique, qui n'a rien à faire, je pense, dans ce débat.

Il a raconté à la Chambre, qui le savait du reste, je pense, comment j'étais entré au ministère, comment j'y étais resté, comment j'en étais sorti.

Je ne vois pas en quoi tout ceci concerne le discours du Trône, le programme de l'adresse et la politique ministérielle, qui est en jeu et non ma personne, à laquelle M. Rogier donne une importance qui pourrait flatter mon amour-propre, maïs que je ne puis admettre. (Interruption.)

Je vais reprendre cette histoire à mon tour, et montrer que l'honorable M. Rogier, en s'occupant beaucoup de moi, a beaucoup oublié les faits.

En 1840, l'honorable comte de Theux était à la tête d'un ministère qui recevait l'appui de l'honorable M. Rogier et de ses amis, et qui était à la tête d'une majorité considérable.

Il est tombé sur un incident, l'incident Vandersmissen, en dehors de toute question politique.

Eh bien, messieurs, n'est-ce pas une chose anomale, au point de vue des idées représentatives, de voir, avec une majorité conservatrice aussi considérable à la tête de laquelle se trouvait l'honorable comte de Theux, le lendemain, sans dissolution, sans changement de majorité, un ministère homogène libéral prétendre à gouverner le pays avec cette même majorité ?

Malgré cela, messieurs, je déclare que la majorité conservatrice était loin de vouloir renverser le ministère. Puisque souvent cet incident est cité, permettez-moi de rappeler un fait qui peut servir à le mettre mieux en lumière, et j'appelle en témoignage tous mes amis de la droite qui se trouvaient à la Chambre à cette époque.

A la veille de la discussion du budget des travaux publics, qui a été l'occasion du débat politique qui s'est engagé alors, nous avions eu, nous, une grande réunion chez notre regretté collègue, M. le baron de Sécus, et il y avait été décidé que l'on n'attaquerait pas politiquement le ministère et que l’on ne voterait pas contre le budget des travaux publics.

Voilà la décision qui avait été prise. Le lendemain, la discussion s'ouvre. Un membre de la députation de Tournai, M. Doignon, usant de son initiative personnelle, attaque le ministère sur le terrain politique.

J'étais inscrit après M. Doignon pour m'occuper exclusivement de l'arrêté relatif au concours sur l'enseignement moyen, je pense, question toute spéciale et qui n'avait pas un caractère politique.

L'honorable M. Rogier s'est levé, et en répondant à l'honorable M. Doignon, il a élevé à l'instant même le débat à la hauteur d'un débat politique provoquant la droite à le suivre sur ce terrain.

C'est donc M. Rogier qui a rendu impossible ainsi l'accomplissement de la décision prise la veille, de ne pas faire de la discussion du budget un débat politique.

J'ai répondu au ministre avec une grande modération, tâchant de ne pas donner au débat une trop grande proportion ; mais le ministre était décidé à la lutte, et M. Lebeau, ministre des affaires étrangères, fit, en me répondant, un discours politique qui ne permettait plus ni le silence ni l'abstention.

Le ministère de 1840, composé d'hommes capables et modérés et que nous aurions désiré pouvoir appuyer, s'est donc réellement jeté dans des coups qu'on ne voulait pas lui porter.

L'honorable M. Rogier a oublié une chose qui est cependant de l'histoire, c'est que ce n'était pas pour une question de concours entre les établissements moyens, ni pour une mesquine question de personnes que l'opposition s'est formée en 1840 contre le ministère. Tout le monde sait que l’homme considérable qui avait présidé à la formation même du ministère, l'honorable M. Devaux, publiait à cette époque une revue politique importante, dans laquelle il avait exposé le programme du ministère.

Pour la première fois depuis 1830 le drapeau des ministères homogènes et des ministères de parti fut levé.

De là est née notre opposition ; elle n'a pas d'autre cause. Nous aurions certainement soutenu par prédilection un ministère qui, par si composition, offrait des garanties de modération ; mais nous devions combattre un programme nouveau arboré par M. Devaux et que MM. Rogier et Lebeau refusèrent de désavouer.

Le ministère de M. Nothomb se forma.

L'honorable M. Rogier m'a reproché d'y être entré. Pourquoi n'y pouvais-je pas entrer ?

Messieurs, l'honorable M. Nothomb et moi nous nous étions rms d'accord sur une grande question politique qui alors divisait le pays et agitait les Chambres, la question de l'enseignement primaire.

Je ne serais jamais entré dans le ministère sans que cet accord fût établi. J'y suis donc entré avec mes convictions, la tête haute et sans manquer, à coup sûr, à ma dignité.

L'honorable M. Rogier a rappelé un incident cité avec complaisance bien des fois déjà ; j'y ai répondu cent fois de mon côté. J'y reviens.

On m'a fait le reproche, dans la question des jurys universitaires, d'avoir donné ma démission par suite d'un dissentiment entre mes collègues et moi, et d'être rentré au ministère, après que la question qui avait motivé ma retraite fut résolue.

Voyons ce que vaut ce reproche. Je m'étais retiré par suite de ce dissentiment, sans arrière-pensée, et si mon opinion n'eût pas triomphé, je ne serais pas rentré au ministère.

Dans la discussion l'opinion que j'avais défendue a prévalu et mes collègues se rallièrent à une transaction. Je pouvais donc honorablement rentrer dans le ministère.

Mais puisqu'on me rappelle ce souvenir, permettez-moi aussi d'en rappeler un autre.

Votre honorable collègue M. le ministre des finances est sorti, lui aussi, un jour du ministère parce qu'il avait échoué sur la question de l'or, question à ses yeux assez importante pour motiver sa démission. Il est rentré quelque temps après au ministère, non pas, comme moi, après avoir vu son opinion personnelle prévaloir, mais après l'avoir vue vaincue.

MfFOµ. - Du tout ; admise par mes collègues ; nous étions d'accord.

.M. Dechamps. - Oui, mais rejetée par la Chambre. Pourquoi vous êtes-vous retiré, et pourquoi êtes-vous rentré sans avoir exigé le retrait de la loi qui avait motivé votre sortie ?

La différence entre nous est donc grande ; je suis rentré dans le ministère après que mon opinion eut triomphé ; vous êtes rentré au pouvoir sans avoir exigé ou obtenu le retrait de la loi qui avait été l'occasion de votre retraite.

Incident pour incident, j'aime mieux le mien que le vôtre.

Messieurs, je vous demande pardon, je suis désolé de devoir me disculper aussi longuement, lorsqu'on devrait discuter devant le pays, et le ministère et sa politique.

MaeRµ. - Vous nous donnez des leçons de dignité.

.M. Dechamps. - Tout à l'heure j'y viendrai, prenez patience.

L'honorable M. Rogier a rappelé que lorsque M. Nothomb s'était retiré, comme je l'ai rappelé moi-même, à la tête d'une majorité de plus de 30 voix, j'étais resté dans le ministère et que je me suis trouvé à côté d'un homme politique dont il a fait l'éloge mérite, l'honorable M. Van de Weyer, philosophe et libéral, a-t-il dit.

Mais l'honorable M. Rogier a oublié un fait important. Il s'était chargé (page 210) de prouver que la droite a toujours mis obstacle à l'entrée du libéralisme au pouvoir ; je vais lui rappeler que c'est lui seul qui a élevé cet obstacle, à cette époque.

L'honorable M. Rogier, après la retraite de M. Nothomb, fut appelé par le Roi pour former un ministère. Il exigea de la royauté un blanc seing pour dissoudre les Chambres à l’heure et à l’occasion que lui-même choisirait. M. Van de Weyer lui en a fait, à cette tribune, un reproche en termes énergiques ; c'était l'abdication du pouvoir royal entre ses mains ; M. Van de Weyer déclara qu'il considérait cette prétention comme inconstitutionnelle. Je suis venu de Londres, a-t-il dit, pour cela ; je suis venu pour empêcher que la prérogative royale ne fût violée. (Interruption)

Ainsi, l'honorable M. Rogier avait tort de dire que nous avions mis obstacle à l'entrée de l'opinion libérale aux affaires. Il a été appelé ; ce n'est pas nous qui avons été cause qu'il a mis à son acceptation une condition impossible, c'est lui-même.

C'est donc le refus de l’honorable M. Rogier qui força M. Van de Weyer d'entrer au ministère et qui nous força d'y rester.

Mais il y avait aussi au-dessus des questions de noms propres, des questions de principes que nous devions avoir le courage de défendre.

Oui, nous défendions le principe des ministères de transaction ; et aussi longtemps qu'il y avait pour maintenir le principe dans la Chambre des majorités de 20 et 30 voix, c'eût été un manque de courage, une lâcheté politique, que d'abandonner une pareille position.

Mais l'honorable ministre des affaires étrangères m'arrête ici. Vous qui aviez défendu, dit-il, les ministères mixtes, vous êtes entré dans le ministère qu'il a appelé des six Malou.

C'est un mot qu'il a emprunté à l'honorable M. H. de Brouckere.

MaeRµ. - A .M. Malou lui-même.

.M. Dechamps. - C'était M. H. de Brouckere qui avait trouvé ce mot et que mon ami M. Malou a relevé.

M. Mullerµ. - Non.

.M. Dechamps. - Qu'importe ce détail ? L'honorable M. Rogier a oublié ici encore un fait important. Il fut une seconde fois appelé par la Couronne qui fit appel à son concours. Mais M. Rogier persista à réclamer une seconde fois, à priori, une dissolution que M. Vande Weyer a appelée inconstitutionnelle. M. Delfosse fut appelé à son tour ; on épuisa tous les efforts pour faire accepter le pouvoir par l'opinion libérale : l'opinion libérale refusa.

C'est après le refus décisif du libéralisme d'entrer aux affaires que nous avons été forcés par vous-mêmes de prendre ce pouvoir dont personne ne voulait.

Voilà la vérité.

L'honorable M. Rogier vient de nous rappeler ce mot de ministère des six Malou. Mais nous étions dans cette position de choisir entre un ministère de six Malou ou un ministère de six Rogier. Eh bien, nous avons préféré le ministère des six Malou.

Vous le voyez, messieurs, toute la démonstration promise par M. le ministre des affaires étrangères... (interruption) croule par sa base ; il n'en rien.

Messieurs, l'honorable ministre des affaires étrangères a dit, pour justifier sa longue attaque personnelle, que j'avais voulu lui donner des leçons de dignité. Il a même cité un mot que j'aurais prononcé, le mot « mépris » que j'avais emprunté à M. Devaux, en laissant supposer que j'aurais eu l'intention de vouloir lui adresser un pareil reproche.

J'ai voulu rappeler, messieurs, et j'en avais le droit, que lorsque nous étions majorité et pouvoir en 1843, l'opposition nous abreuvait d'accusations injustes, violentes, passionnées que j'ai reproduites.

Mais j'ai eu soin de dire, à l'instant même, que je n'avais nul besoin de relever ces accusations que j'appelais moi-même injustes et violentes, pour les retourner contre mes adversaires ; et j'ajoutais que l'explication de votre conduite, je pouvais la donner sans accuser votre caractère ; que si vous restiez au pouvoir dans des conditions où les ministères précédents s'étaient tous retirés, c'était par suite de cette prétention dont j'ai parlé et qui est élevée par vous à la hauteur d'une théorie politique, que la prépondérance et le pouvoir vous appartiennent. Mais je n'ai pas voulu vous donner une leçon de dignité et surtout me servir d'expressions qui pouvaient avoir le moindre caractère de mépris ou pour vos personnes ou pour le pouvoir.

Après s'être longuement occupé de ma personne, l'honorable ministre s'est occupé de ce qu'il a appelé le nouveau programme.

Il nous a parlé de la réforme communale. Il a dit que la gauche libérale se réjouissait de voir qu'au lieu de songer encore à fortifier le pouvoir central, c'était la liberté que nous prétendions étendre ; mais à l’instant même il s'est mis à attaquer dans son principe cette réforme communale, en ce qui concerne la nomination des bourgmestres et des échevins par le conseil communal ou par les électeurs.

Sans doute, messieurs, je comprends que la nomination des bourgmestres et des échevins par le gouvernement fût une chose utile, lorsque le gouvernement ne prétendait pas être un parti. Je comprends parfaitement que lorsque le pouvoir était un pouvoir modérateur entre les partis, sans prétendre en représenter aucun exclusivement, on pouvait donnera ce pouvoir, sans inconvénient, des attributions qui s'exerçaient au profit de tous, et non au seul profil d'un parti.

Mais ce système n'existe plus ; depuis de longues années, le système des gouvernements de parti a triomphé.

Or, messieurs, sous un tel gouvernement qui regarde, M. Orts nous l’a déclaré hautement l'autre jour, la transaction comme une abdication de son principe, les nominations communales qui devaient rester administratives, sont nécessairement devenues politiques, et jettent le trouble et la perturbation dans les administrations communales.

MaeRµ. - Vous avez fait de la politique de parti plus que nous.

.M. Dechamps. - C'est là une vieille accusation cent fois repoussée.

Messieurs, à propos de cette réforme communale annoncée, qui paraît beaucoup gêner l'honorable ministre des affaires étrangères, il nous a dit une chose que j'avoue ne pas avoir pu comprendre. J'ai cherché à saisir le sens et l'à-propos des paroles de M. le ministre des affaires étrangères et j'avoue que je n'y suis point parvenu.

Il nous a dit. : Si vous voulez faire nommer par le conseil communal ou par les électeurs, le bourgmestre et les échevins, pourquoi ne faites-vous pas élire également le curé par le peuple, comme cela existait dans l'Eglise primitive ? Je croyais qu'il existait dans la Constitution un article 16, où il est dit que l'Etat n'a pas le droit d'intervenir dans la nomination des ministres des cultes. J'ai interrompu M. le ministre des affaires étrangères, pour lui faire remarquer que les nominations des curés ne nous regardaient pas, et je ne puis saisir la portée de l'interpellation quelque peu bizarre que l'honorable membre nous a adressée.

Lorsqu'il s'agit de la nomination de curés ou de la nomination de dignitaires de l'ordre maçonnique, par exemple, nous n'avons pas le droit d'intervenir ; cela regarde les cultes, d'un côté, les associations philosophiques de l'autre, mais nous n'avons rien à y voir. Que veut donc dire M. le ministre des affaires étrangères ? De quel droit proposerions-nous une mesure quelconque relative à la nomination des curés ? Je ne vous comprends pas.

MaeRµ. – Me permettez-vous de vous l'expliquer ?

.M. Dechamps. - Volontiers.

MaeRµ. – Je n'ai pas demandé pour l'Etat la nomination des ministres des cultes ; j'ai dit que, par analogie, les mêmes électeurs qui nommeraient directement les bourgmestres et les échevins, devraient nommer aussi les membres du clergé afin qu'il y eût harmonie complète entre les deux autorités préposées à la commune. (Interruption.) Les évêques peuvent faire ces propositions. Vous vous entendrez à cet égard avec eux.

.M. Dechamps. - M. le ministre des affaires étrangères le reconnaît donc, cette question ne regarde ni la Chambre, ni le gouvernement. C'est une question qui concerne l’Eglise. Si nous étions en concile, nous pourrions la discuter, mais elle ne peut pas être discutée ici. (Interruption.)

L'honorable M. Rogier, après avoir discuté ce qu'il appelle notre réforme communale, compose un programme plus vaste, à l'aide de tous les discours prononcés sur nos bancs ; il les traduit en articles et les réunit en faisceaux.

Je ferai ici une remarque ; nous sommes un parti certainement, un parti homogène, en communauté générale d'opinion, mais chacun, parmi nous, reste parfaitement libre de son opinion personnelle et nous n'avons pas de conseils de guerre dans lesquels on impose à tous une discipline et un joug que personne, parmi nous, n'accepterait.

M. Royer de Behr ne m'a pas communiqué son discours et je ne lui ai pas soumis le mien ; nous ne sommes pas solidaires, à ce point, les un des autres.

Nous avons des principes communs, mais sur certaines mesures ou certaines questions, nous pouvons nous diviser. Je ne suis responsable que de mes paroles, comme mes amis politiques ne sont responsables que des leurs.

L'honorable M. Rogier, après avoir combattu la réforme communale nous a parlé de ce qu'il a appelé la partie négative de ce programme et dont nous n'avions pas parlé.

Vous avez, nous a-t-il dit, blâmé beaucoup de lois, que nous avons (page 211) présentées, vous les avez attaquées comme mauvaises, comme funestes pour l'avenir du pays ; vous avez été au pouvoir en 1830 et vous n'avez retiré aucune de ces lois ; si vous revenez au pouvoir, vous minorité, les retireriez-vous ?

Je pourrais répondre par une fin de non-recevoir très légitime, en disant à l'honorable ministre que, comme nous ne sommes pas au pouvoir, nous avons le droit de ne pas répondre à cette question. Je me permettrai cependant de lui faire une réponse : Est-ce que vous avez retiré, vous, toutes les lois que vous avez combattues avec énergie comme mauvaises, comme inconstitutionnelles même ; les avez-vous retirées ?

- Des membres. - Lesquelles ?

.M. Dechamps. - Votre collègue, M. le ministre des finances, assis à côté de vous, a proposé la réforme de la loi sur l'enseignement primaire ; il s'est trouvé, pour la réclamer, à la tête, si je ne me trompe, d'une minorité de 7 ou 12 voix.

MfFOµ. - C'est une erreur.

.M. Dechamps. - Je pourrais me tromper, puisque je n'étais nullement préparé à prendre une seconde fois la parole dans ce débat, et je n'ai pu vérifier l'exactitude de ce fait ; mais je ne crois nullement être dans l'erreur. En tout cas, M. le ministre des finances ne le niera pas, est l’adversaire du principe de la loi.

MfFOµ. - Certainement !

.M. Dechamps. - Vous êtes donc l'adversaire de cette loi importante ; vous regardez le principe qui en est la base, comme dangereux et peut-être inconstitutionnel, vous avez été, pendant dix ans, ministre, et vous n'avez pas retiré cette loi.

. Vous avez combattu, et ici vous avez fait une proposition formelle, vous avez combattu la convention d'Anvers, transaction intervenue sur la question d'enseignement moyen. Avez-vous aboli la convention d'Anvers ?

Vous avez défendu, en ce qui concerne le jury universitaire, un système que vous considérez comme le seul libéral et le seul conforme à la liberté d'enseignement, et, pour la seule fois, je pense, mon opinion s'est rapprochée de la vôtre ; mais enfin vous avez un système sur les jurys universitaires, qui est tout à fait opposé au système qui a prévalu. Pourquoi, encore une fois, n'avez-vous pas retiré la loi que vous avez ainsi condamnée ?

L'honorable ministre des finances a combattu avec une grande énergie la loi sur l'or, à laquelle il attachait une telle importance, qu'il s'est retiré du cabinet par suite du vote de la Chambre.

Il est rentré aux affaires et il n'a pas retiré cette loi qui avait motivé sa démission.

Vous le voyez, messieurs, la demande que M. le ministre des affaires étrangères nous a faite, en croyant nous embarrasser, je la lui fais à mon tour.

Vous dites que vous ne les avez pas retirées parce que, pour les retirer il fallait une majorité et que cette majorité vous ne l'aviez pas ; vous pourriez ajouter qu'avant de retirer des lois qui sont devenues des faits, il faut consulter cotte prudence qui est la loi des gouvernements.

Eh bien, nous vous faisons te même réponse : quand nous pourrons retirer légitimement, avec opportunité, celles de vos lois qui violent le plus nos principes, nous le ferons, mais après avoir pris conseil de la prudence ; nous étudierons aussi les possibilités parlementaires et politiques, comme vous l'avez fait vous-mêmes, Après cela, et en attendant, nous ferons, comme vous nous l'avez appris, de la jurisprudence.

M. Allard. - Et quand démolirez-vous les citadelles d'Anvers ?

M. Coomans. - Lorsque le pays le voudra, et le plus tôt possible.

MpVµ. - Messieurs, pas de colloques. La parole est continuée à M. Dechamps.

.M. Dechamps. - Messieurs, je n'avais pas l'intention de prendre encore la parole dans la discussion générale. Mais puisque vous avez eu la bienveillance de me l'accorder, je vous demande la permission de répondre quelques mots à un point tout spécial des discours de l'honorable M. Orts et de l'honorable M. Hymans.

Je veux parler du paragraphe du projet d'adresse relatif à la question de l'enseignement. C'est le paragraphe, comme l'a dit lui-même l'honorable rapporteur, le plus important et le plus politique.

J'avais fait remarquer que les termes du projet d'adresse, où l'on allait jusqu'à appeler l'intervention du gouvernement en matière d'enseignement une intervention sainte, étaient employés pour la première fois ; que je ne les avais jamais lus dans les écrits, ni trouvés dans les paroles des partisans les plus décidés de la centralisation.

M. Orts, rapporteurµ. - Ce sont à peu près les expressions du rapport de Condorcet à l'assemblée nationale.

.M. Dechamps. - C'était effectivement aussi l'époque de la centralisation excessive.

Mais l'honorable M. Orts a dit qu'il fallait bien s'exprimer ainsi parce qu'en regard du programme du congrès de Malines, le libéralisme avait besoin de déployer plus large son drapeau, afin que le pays ne se méprît pas sur ses couleurs.

Eh bien, messieurs, quelles sont nos opinions, quelles sont nos doctrines en matière d'intervention de l'Etat dans l'enseignement ?

En principe absolu, en théorie pure, et je crois que nous serons à peu près d'accord, nous sommes opposés à l'intervention de l'Etat en matière d'enseignement. Nous n’admettons pas que l’Etat enseigne comme souverain, en vertu d’un droit inhérent au pouvoir.

M. Orts, rapporteurµ. - C'est pour cela que je repousse l'instruction obligatoire,

.M. Dechamps. - Vous admettez donc qu'il n'enseigne qu'en vertu d'une nécessité sociale ?

M. Ortsµ. - Et qu'il le doit.

.M. Dechamps. - Qu'il le doit aussi longtemps que cette nécessité existe.

M. Mullerµ. - Elle existera toujours.

.M. Dechamps. - Voilà la question, et c'est ici que nous nous séparons.

Il me paraît clair que cette nécessité sociale n'existe que lorsque la liberté fait défaut, se récuse ou est insuffisante.

En principe donc, l’intervention de l'Etat n'est pas un droit, et dans des pays à base démocratique, il n'est pas plus possible d'y soutenir l'intervention de l'Etat en matière d'enseignement, en théorie pure, qu'en matière religieuse, en matière de presse, en matière d'industrie ou de travail.

Vous ne voulez pas d'Eglise d'Etat, vous ne voulez pas d'une presse d'Etat, vous ne pouvez pas vouloir plus d'un enseignement de l'Etat, c'est-à-dire d'une doctrine d'Etat.

C'est donc en vertu d'une nécessité sociale que l'Etat enseigne ; et cette nécessité nous l'admettons comme vous, mais d'une manière relative ; nous disons que lorsque cette nécessité diminue ou si elle vient un jour à disparaître, l'intervention de l'Etat doit diminuer et devra un jour disparaître.

Voilà notre principe.

Notre principe c'est que l'Etat est l'allié, l'associé, l'auxiliaire de la liberté, mais qu'il ne doit jamais être son concurrent et son rival jaloux.

L'Etat peut intervenir pour suppléer à l'insuffisance de la liberté, mais il ne doit pas intervenir pour lui faire une concurrence écrasante qui, au lieu d'exciter l'émulation décourage, la liberté et la détruit.

C'est là notre principe, le principe du congrès de Malines.

Mais, messieurs, ce principe est partagé par beaucoup de libres penseurs et beaucoup de libéraux. Ainsi, un jour que j'exposais cette doctrine à la tribune en la développant plus que je ne le fais aujourd'hui, l'honorable M. Guillery, que je combattais, m'a dit : Je reconnais que l'Etat enseignant est une exception au principe et que son intervention ne peut être que subsidiaire ; il ajoutait que cette exception était nécessaire dans l'état social où nous sommes, parce que, l'instruction étant une nécessité sociale, la liberté ne suffit pas ; il faut que l'Etat vienne à son secours et l'aide à remplir ce grand devoir.

Au point de vue des principes, nous ne sommes donc pas, l'honorable M. Guillery et nous, en profond dissentiment, ; seulement, dans les limites de cette action du pouvoir, nous différons avec lui.

Mais ce principe, il est ancien en Belgique Il est écrit dans l'exposé des motifs présenté par l'honorable M. Rogier en 1854 ; il y est dit en toutes lettres que l'Etat ne doit intervenir que pour suppléer à l'insuffisance de la liberté.

Dans le rapport que j'ai présenté à la Chambre en 1842, sur cette loi qui a été adoptée par les deux Chambres presque tout entières, ce principe est aussi nettement formulé, et notre dissentiment avec le ministère actuel sur l'application de la loi de 1842 réside précisément en cela. Nous disons que les articles 1, 2 et 3 de la loi de 1842 signifient que lorsque les institutions libres suffisent dans une commune aux besoins de la population, cette commune peut être dispensée d'avoir une école de l'Etat et qu'alors l'Etat n'a pas le droit d'intervenir.

C'est le dissentiment qui nous sépare ; nous l'avons longuement discuté, et je rappelle que ce principe n'est donc pas nouveau.

Mais, messieurs, il n'y a pas eu que le congrès de Malines, il y a eu aussi le congrès des libres penseurs de Gand, et à ce congrès la question fondamentale qui a été agitée est précisément celle de l'intervention de l'Etat en matière d'enseignement.

(page 212) Eh bien, j'attire votre attention sérieuse sur ce point ; au congrès de Gand, il y avait, comme à Malines, des adversaires absolus du droit d'intervention de l'Etat en matière d'enseignement.

M. Hymans. - Des Français. Ils ne sont pas sur le même terrain.

.M. Dechamps. - Comment, des Français ! Il y avait aussi des Belges qui y ont soutenu cette doctrine, parmi lesquels je cite M. Woeste et M. Molinari.

Mais s'il est un pays où la doctrine de la liberté d'enseignement la plus entière doit être professée, ce n'est pas la France, c'est la Belgique.

Je dis donc qu'à Gand cette question a été sérieusement discutée. Il y avait parmi les adversaires absolus de l'intervention de l'Etat M. Pelletan, M. André, M. Rousselle, M. le pasteur protestant de Pressencé et M. Molinari.

Mais ce n'est pas leur autorité que je veux invoquer, c'est celle des orateurs qui ont défendu à Gand les droits de l'Etat dans l'enseignement.

Deux orateurs de renom ont soutenu ce principe au congrès de Gand, c'est M. Pascal Duprat, c'est surtout M. Jules Simon, dont vous ne récuserez pas, à coup sûr, l'autorité. Toute la presse libérale a applaudi à ses discours.

M. Pascal Duprat qui veut d'un fort enseignement public, pour combattre l'enseignement catholique de l'Eglise, a cependant reconnu que dans un Etat social normal, celui probablement où la libre pensée gouvernera, « l'Etat ne pourrait entrer dans l'enseignement qu'en usurpateur. »

M. Jules Simon n'a pas hésité à admettre que l’instruction publique ne pouvait pas être considérée comme un service public.

M. Hymans. - Cela ne s'applique pas du tout à notre pays.

.M. Dechamps. - Comment ! mais si les principes de liberté s'appliquent à un pays dans le monde, c'est, à coup sûr, à la Belgique.

M. Hymans. - Au congrès de Gand, les orateurs français soutenaient que l'enseignement de la commune était la liberté d'enseignement protestant contre l'Etat.

M. de Naeyer. - Non ! non !

M. Hymans. - Je l'ai entendu ; c'est imprimé tout au long.

.M. Dechamps. - Je crois, M. Hymans, que vous auriez pu vous abstenir de m'interrompre pour produire une pareille observation. Un orateur a pu dire cela, mais ceci est à côté de la question que je traite.

M. Hymans. - Tout le monde l'a dit.

.M. Dechamps. - La pensée que je rappelais est celle de l'homme le plus éminent qui ait parlé au congrès de Gand, M. J. Simon, pour les opinions de qui vous devriez avoir plus de respect que moi-même. Eh bien, vous allez voir que le congrès de Malines est d'accord avec M. J. Simon, le défenseur de l'enseignement de l'Etat au congrès de Gand.

Il a soutenu : 1° que cet enseignement était une exception au principe (c'est aussi l'opinion de l'honorable M. Guillery) ; que l'enseignement de l'Etat constitue une situation transitoire et il a fini par ce mot qui résumait toute sa pensée : « L'Etat doit préparer sa destitution. »

- Voix à droite. - C'est cela !

M. de Naeyer. - Et voilà ce qui a été applaudi.

.M. Dechamps. - Maintenant, messieurs, voici le développement que M. J. Simon a donné à sa pensée qui est encore exactement la même. « Quand on demande, a-t-il dit, si l'instruction est un service de l'Etat, il faut distinguer. Je crois que l'Etat est obligé de donner l'instruction quand elle ne peut être donnée que par lui. L’Etat ne doit intervenir qu'après tout le monde... »

M. Hymans. - Où avez-vous puisé cette citation ?

.M. Dechamps. - Dans un discours prononcé par M. J. Simon, sur la même question, au Congrès de Bruxelles.

M. Hymans. - Ah ! ah !

.M. Dechamps. - Mais y a-t-il donc deux J. Simon, et son opinion au Congrès de Bruxelles n'est-elle pas la sienne ?

M. Hymans. - Vous parliez du congrès de Gand ; or, le compte rendu de ses travaux n'est pas encore imprimé.

.M. Dechamps. - La même question a été discutée dans les deux congrès. Je continue la citation :

« Ce que j'admire le plus dans la loi de M. Guizot, c'est qu'elle n'appelle le département qu'après la commune, et l'Etat qu'après le département. Faisons comme elle et mieux qu'elle, s'il est possible. Réveillons l'énergie individuelle, provoquons des fondations comme en Angleterre, où les universités ont une vie propre, et par conséquent une ample liberté. A défaut de fondations particulières, nous avons l'action des communes. Les communes sont l'avenir de la liberté. »

M. Baraµ. - Très bien !

.M. Dechamps. - Comment, très bien !

M. Baraµ. - Certainement. J'expliquerai cela demain.

.M. Dechamps. - Fort bien ; mais je vais résumer cette citation pour que vous y répondiez demain.

Voici, en deux mots, l'opinion de M. J. Simon : l'intervention de l'Etat, n'est nécessaire que quand la liberté se récuse.

M. Baraµ. - Parfaitement !

.M. Dechamps. - Par conséquent, l'Etat ne peut intervenir que pour suppléer à l'insuffisance de la liberté : l'Etat doit préparer sa destitution.

M. Baraµ. - D'accord !

.M. Dechamps. - Si vous êtes d'accord avec M. J. Simon, avec moi, et avec le congrès de Malines qui n'a pas dit autre chose, vous n'êtes pas d'accord avec la commission de l'adresse qui affirme précisément le contraire,

La commission déclare « que le succès de l'action privée n'autorise nullement l'Etat à abdiquer sa mission sociale. Il lui impose au contraire une obligation d'honneur, celle de faire plus et mieux chaque jour dans cette voie où l’on ne saurait trop faire. »

Voilà le principe posé par l'adresse : pour lui, l'enseignement dans les mains de l'Etat est donc, non pas un besoin transitoire, mais une nécessité permanente.

L'Etat n'intervient pas pour suppléer à l'action privée, quand la liberté se récuse ou est insuffisante, mais son intervention s'étend et s'accroît à mesure que la liberté progresse et porte plus de fruits.

La commission d'adresse professe donc un principe repoussé non seulement par nous, catholiques, non seulement par la démocratie ou l'économie politique qui, par les organes de MM. Pellelan et Molinari, au congrès de Gand, combattaient cette théorie d'une manière absolue, maïs par des hommes qui, comme M. J. Simon, avaient accepté, à ce congrès de libres penseurs, la mission d'y défendre l'intervention de l'Etat dans l'enseignement.

L'honorable M. Hymans a prononcé hier une phrase qui résume parfaitement la doctrine de nos adversaires ; il a dit : « Je ne veux pas plus de la domination de l’Eglise par la liberté... »

M. Hymans. - Par la démocratie.

.M. Dechamps. - Par la liberté, par la démocratie, par le suffrage universel, que je n'en veux par le despotisme.

M. Hymans. - J'ai dit que je n'en voulais pas plus par la démocratie que par le despotisme.

.M. Dechamps. - Vous avez dit : Par la liberté, la démocratie et le suffrage universel.

M. Hymans. - Mais non, ce serait absurde.

M. Coomans. - Vous l'avez dit.

M. B. Dumortier. - D'ailleurs, c'est la même chose !

.M. Dechamps. - En effet, la démocratie libérale ou la liberté, c'est bien la même chose. Voilà bien la formule de l'opinion doctrinaire que je combats. Mais ce que je ne puis pas comprendre, c'est l’alliance de ces deux mots qui me paraissent parfaitement contradictoires : domination par la liberté, j'avoue que je ne comprends pas cela. Je comprends la domination par l'Etat, par la loi, par une force quelconque qui s'impose ; mais la liberté amenant la domination, voilà ce qui est inintelligible.

Mais peut-être est-ce là un mot qui couvre votre véritable pensée. Votre pensée est celle ci : par domination, à l'aide de la liberté ou de la démocratie, vous voulez parler de l'influence légitime, des conquêtes libres que l’Eglise, par la liberté, peut exercer ou faire sur les esprits, les convictions et les consciences. C'est cette influence libre que vous appelez domination, c'est l'usage même de la liberté que vous condamnez et dont vous avez peur. Vous avez peur de la liberté d'enseignement qui peut profiter au clergé et aux catholiques ; vous avez peur de la liberté de la charité fondée ; vous demandez l'aide et l'intervention de l'Etat pour lutter contre les résultats de ces libertés que vous craignez et dont vous ne voulez pas.

M. Hymans. - Je le crois bien.

.M. Dechamps. - Quel sens a donc pour vous le mot « domination » si ce n'est l'influence que l’Eglise peut acquérir par l'usage de la liberté ?

C'est donc toujours à la formule de l'absolutisme que vous arrivez : garder pour soi la liberté qui sert, combattre la liberté dont les adversaires peuvent profiter, c'est-à-dire ne pas croire à la liberté. Nous assistons, au dix-neuvième siècle, à une lutte immense engagée entre les deux doctrines qui se disputent l'avenir, le christianisme et ce qu'on appelle la libre-pensée ou la négation religieuse. Nous vous avons (page 213) demandé ici, en Belgique, la liberté complète pour ce combat, dans la sphère des doctrines, de la presse et de l'enseignement ; nous pensions l'avoir fondée en 1830 ; mais vous ne vous croyez pas assez forts pour lutter, à armes égales, avec les catholiques, sur le terrain de la liberté. L'organisation catholique est trop puissante, a-t-on dit au congrès de Gand ; nous, les libres-penseurs, nous sommes encore trop divisés, nous sommes une poussière désagrégée. Nous avons donc besoin de l'Etat, et nous appellerons cette protection de l'Etat, cette alliance entre l'Etat et la libre pensée, dans l'enseignement, nous l'appellerons indépendance du pouvoir civil. Dans la lutte de doctrines engagée, il nous faut l'Etat avec nous, les gros budgets de l'instruction publique et de la bienfaisance publique payés, en grande partie, avec l'argent des catholiques. Voilà la jolie liberté que vous voulez nous faire !

J'ai ici une remarque à faire. Vous avez, vous nos adversaires, parlé souvent avec blâme et indignation des doctrines professées par une école catholique, par l'école du journal le Monde, de l'ancien Univers. Je n'ai pas examiner ici les doctrines politiques et sociales de cette école que je combats avec vous.

Mais ce que je veux vous dire, c'est qu'au fond votre doctrine est absolument la même, à cette différence près, que la doctrine du Monde est plus libérale que la vôtre.

En quoi consiste cette doctrine ? Je la résume ainsi : L'Etat doit sa protection à la vérité et au bien, il doit combattre l'erreur et le mal. Le bras séculier doit son appui et son intervention pour soutenir l'Eglise, dans son éternel combat contre les erreurs et les passions humaines.

On peut tolérer les cultes dissidents, mais on ne peut pas les protéger et les admettre à l'égalité. Intervention de l'Etat en faveur d'une église d'Etat, l'église catholique, tolérance pour les autres.

Que dites-vous autre chose ? L'école du Monde veut une Eglise d'Etat, au profit du catholicisme, comme vous voulez un vaste enseignement de l'Etat au profit des libres penseurs, on l'a hautement proclamé au Congrès de Gand ; l'école du Monde veut une alliance étroite entre l'Eglise et l'Etat, en n'admettant qu'une tolérance en dehors ; vous voulez une alliance entre l'Etat et la libre pensée, pour vous aider de ce concours dans votre lutte contre l'Eglise que vous appelez l'erreur et le mal ?

Où est, je vous prie, la différence entre vos doctrines ? II y en a une, et elle n'est pas en votre faveur : L'école de l'Univers ne veut appliquer son principe que pour l'époque idéale où l'unité de croyance sera rétablie, c'est-à-dire dans un siècle ou deux ; elle admet que dans la société moderne, où l'unité de croyance est fractionnée, la liberté est le droit commun.

Vous, au contraire, ce n'est pas dans l'avenir que vous reléguez l'application de vos doctrines en faveur de l'Etat enseignant, vous les appliquez au présent et votre libéralisme me paraît plus menaçant, à coup sûr, que celui que vous reprochez à M. Veuillot.

Tout cela n'est nullement la liberté, c'est toujours la liberté pour soi, dans la sphère où elle vous profite, dans la presse, et non pour ses adversaires, dans la sphère où elle vous nuit, l'enseignement.

Permettez-moi, à ce propos, une citation moins sérieuse en apparence, mais bien vraie, d'un écrivain éminent, dont M. Hymans a fait récemment un éloge très mérité dans un de ses écrits, qui est considéré comme le chef de ce qu'on appelle, en France, la démocratie libérale. (Interruption.)

Oui, au congrès de Malines, plusieurs ont parlé avec sympathie de ce qu'on appelait la démocratie libérale, celle qui veut donner la liberté à l'Eglise comme à tout le monde, mais qu'on n'a pas confondue avec la démocratie révolutionnaire ou césarienne.

Cet homme, c'est M. Ed. Laboulaye, qu'on considère comme l'un des représentants les plus distingués de l'école libérale dont l'illustre M. de Tocqueville fut le chef.

M. Hymans. - M. de Tocqueville était un doctrinaire !

.M. Dechamps. - Jamais ! il était catholique et libéral, comme le comte de Montalembert.

Voici une page humoristique, spirituelle, mais en même temps profondément juste que j'emprunte à l'un des écrits de cet écrivain.

Elle pourrait servir de réponse complète au discours de M. Hymans, si elle ne renfermait pas quelques expressions que je me garderai bien d'appliquer à mon honorable collègue.

M. Laboulaye, après avoir été en Amérique, et y avoir puisé ses opinions libérales, retourne en France ; une conversation s'engage entre un interlocuteur doctrinaire et lui. Je lis :

« Vous êtes libéral ? dit M. Laboulaye.

« - Libéral et franc-maçon, jusqu'à la mort... Depuis 40 ans, mon Credo politique n'a pas varié d'un iota. Vive notre immortelle révolution... et les glorieux principes de 89 !...

« - Qu'entendez-vous par liberté ? lui demandai-je.

« Voisin, dit-il, voilà une question qui prouve combien vous avez la tête saine. Il y a une foule de niais qui crient liberté, liberté ! sans savoir le piège que leur tendent le fanatisme et l'aristocratie. Je ne veux pas de ces fausses libertés qui ne sont que le privilège de la richesse et de la superstition. Patriote, ami des lumières, je ne veux pas d'une liberté religieuse qui ne profiterait qu'aux calotins. (Ici on dirait les cléricaux.) Il faut museler les prêtres pour que le peuple soit libre. Je ne veux pas d'une liberté d'association qui servirait aux capucins ; je ne veux pas qu'au nom de la charité on corrompe le pauvre avec des aumônes politiques.... Je ne veux pas d'une liberté d'éducation qui livrerait nos enfants aux Jésuites... Je ne veux pas d'une liberté départementale qui reconstituerait le fédéralisme provincial ; je ne veux pas d'une liberté communale qui ressusciterait le despotisme du seigneur et du curé, et ferait de nous des serfs et des vilains. Mieux vaut la main de l'Etat que ces droits anarchiques dont abuseraient des gens remuants, des aristocrates, des fanatiques et des cafards. Je suis pour le peuple, vive l'égalité !

« Je regardais avec terreur cet honnête Béotien... (Messieurs, je n'ai pas besoin de dire que ces expressions ne s'appliquent ici à personne ; c'est du fond que je veux m'occuper. Je continue la citation. )

« Penser, me disais-je tout bas, qu'avant mon voyage en Amérique, j'en étais à ce degré d'imbécillité ! Moi aussi je mettais mon patriotisme dans l'égalité de la servitude ; moi aussi je faisais consister la liberté publique dans la destruction de toutes les libertés particulières, comme, si après cet anéantissement, il restait autre chose que le brutal mécanisme de l'administration.

« - Eh Bien, voisin, dit mon interlocuteur, surpris de mon silence, que pensez-vous de mes principes ? Suis je un homme du siècle, suis-je un patriote et un Français de vieille roche ? Ne sont-ce pas là les doctrines que vous avez toujours défendues ?

« - Vous dites vrai, répondis-je ; mais en faisant l'énumération de toutes les libertés dont nous avons peur, je ne vois pas trop celles qui nous restent. »

Messieurs, je dis à l'honorable M. Hymans....

- Une voix. - Cela a été écrit pour la France.

.M. Dechamps. - C'est pour tout le monde ; les doctrines libérales ne sont-elles plus de mise en Belgique ?

Eh bien, M. Hymans, votre phrase que je citais tout à l'heure résume parfaitement la doctrine de l'interlocuteur de M. Leboulaye, sauf l'esprit que vous sauriez y mettre ; vous dites aussi : la liberté favorisant la domination de l'Eglise, c'est-à-dire son influence légitime sur les consciences, j'en ai peur et je n'en veux pas ; la démocratie avec laquelle on a fait alliance à Malines, qui pourrait donner aux catholiques un appui dans les masses, j'en ai peur et je n'en veux pas.

Le suffrage universel dont je ne veux pas plus que vous, d'une manière générale, mais dont je n'ai pas peur, surtout dans la commune, vous n'en voulez pas parce qu'il pourrait peut-être profiter aux catholiques.

Qu'est-ce que cette peur sinon celle de tous ceux qui craignent la liberté pour leurs adversaires et se la réservent pour eux-mêmes. Quand vous aurez, je ne dis pas détruit, la Constitution est là pour l'empêcher, mais restreint ces libertés qui profitent aux catholiques, je demanderai, à mon tour, que restera-t-il ? Il restera le principe de tous les absolutistes, des centralisateurs et des doctrinaires, qui sera votre drapeau.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.