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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 8 janvier 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 215) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Thienpont, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :

« Des propriétaires et fermiers à Wonck prient la Chambre d'étendre à l'industrie agricole les avantages accordés aux autres industries par l'arrêté royal du 10 novembre 1845 relatif aux livrets d'ouvriers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Tavigny demandent une loi qui règle le mode de sépulture. »

« Même demande d'habitants de Strainchamps. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Rochefort présente des observations au sujet des pétitions concernant le mode de sépulture. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruges prient la Chambre de prendre des mesures pour faire cesser l'intervention de la police de cette ville dans la lutte électorale. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lecompte présente des observations sur un projet de loi concernant les inhumations. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vandeker fait connaître de quelle manière on colporte dans le canton de Puers les pétitions concernant les cimetières. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Nil-St-Vincent demandent une diminution du droit d'accise sur la bière indigène. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Par dépêche du 31 décembre, M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre 120 exemplaires du troisième et dernier volume des rapports du jury belge de l'exposition universelle de Londres. »

- Distribution aux membres et dépôt à la Bibliothèque.


« M. Cumont, retenu par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet d’adresse en réponse au discours du trône

M. Baraµ. - Messieurs, l'attitude que prend en ce moment la droite est vraiment surprenante. Il s'agit de discuter la politique libérale et les actes du gouvernement. L'adresse est une occasion solennelle d'examiner les programmes des partis. La presse cléricale a attaqué avec une violence inouïe tout ce qu'a fait l'opinion libérale, toutes ses tendances, tous ses actes. Jamais à aucune époque on n'a vu une pareille violence dans son langage, et il n'y a pas longtemps, je lisais encore que la discussion de l'adresse allait être l'histoire longue des crimes du libéralisme et qu'après cette histoire, le ministère serait brisé, et n'aurait qu'à se retirer.

Voici que les débats s'ouvrent, et les honorables MM. Royer de Behr et Dechamps font des appels à la modération, à la conciliation, à la transaction. L'Europe est sur un volcan ; l'horizon est sombre, la politique libérale peut peut-être rester au pouvoir ; mais il faut des ménagements, des adoucissements.

Un pareil langage, messieurs, m'étonne, après ce qui s'est passé au congrès de Malines.

Au congrès de Malines, la situation était tout aussi sombre qu'aujourd'hui. La position de l'Europe n'était pas autre. Et que disait-on ? L'honorable président du congrès de Malines, M. de Gerlache, s'adressant probablement au parti de l'honorable M. Dechamps, disait :

« Les psychologues, ceux qui cherchent à ménager les opinions, sont la perte de leur parti. Il ne faut pas craindre de blesser les opinions. Le catholique doit tenir son drapeau haut et ferme. Il doit prendre pour devise : « Fais ce que dois, avienne que pourra. »

Or, voilà l'honorable M. Dechamps devenu plus psychologue que jamais.

Il lui faut des centres, des voltigeurs de droite à gauche et des ministères mixtes.

Et le drapeau qu'il faut tenir haut et ferme ? Et les opinions des adversaires qu'il ne faut pas ménager ? Et cette devise, ce cri de la conscience ? Fais ce que dois, avienne que pourra ?

Ah ! que Mgr. l'archevêque de Malines, en clôturant les travaux du congrès catholique, avait raison de vous dire de ne point trop vous vanter de votre œuvre. Voilà ce qu'il vous en reste, vous n'y avez pas même puisé assez de force pour venir exposer franchement votre programme, pour oser dire à la tribune nationale vos espérances et vos projets. Vous aviez promis de parler, on vous avait cuirassés pour le combat ; on vous avait dit : Point de couardise, point de défaillance, et quand vous vous trouvez en face de l'ennemi, vous reculez, vous demandez un armistice !

Eh bien, nous qui ne sommes pas des psychologues, nous qui tenons pour bon le conseil de M. de Gerlache, nous qui aimons la discussion, non seulement entre amis mais surtout avec nos adversaires, nous discuterons votre programme et nous viendrons dire au pays ce que vous voulez faire de la nation belge.

Un événement important s'est passé depuis le mois de juin : c'est la réunion du congrès catholique à Malines. Je dis que cet événement est important, messieurs, parce que vous l'avez dit vous-mêmes, parce que vous lui avez assigné une grande portée ; et je dis qu'il n'est pas possible au parti libéral de passer cet événement sous silence.

L'honorable M. Dechamps, qui y assistait, semble aujourd'hui vouloir diminuer les proportions des décisions prises au congrès de Maline ?. J'ai vu cette tendance dans une sorte de comparaison qu'il a faite entre le congrès de Malines et le congrès de Gand.

Or, messieurs, il nous importe de ne point laisser déplacer le débat. Le congrès de Gand est tout à fait différent du congrès de Malines ; il y avait, au congrès de Gand, des libéraux, des démocrates, des républicains, des socialistes et aussi, messieurs, d'excellents catholiques, des membres de la droite de cette Chambre qui ont pris part à tous les travaux de cette assemblée. Le congrès de Gand n'avait pas pour but d'arrêter un programme pour le libéralisme : c'était une libre tribune ouverte à toutes les opinions, quelles qu'elles fussent ; on n'y a pas pris de décisions ; on ne devait pas en prendre,

Toutes les idées qui ont voulu se produire s'y sont échangées pour dissiper l'erreur et faire triompher la vérité. Mais point de programme, point de décisions, point de résolutions.

A Malines, au contraire, que s'est-il passé ? Mais à Malines, monseigneur l'archevêque ouvrant les débats, a dit : « Vous êtes réunis ici pour le bien de la religion, et vous devez prendre des résolutions utiles et pratiques. ». Nous sommes donc menacés de voir les résolutions du congrès de Malines passer dans la pratique.

Ce qui est bien différent du but du congrès de Gand, ou l'on ne prenait point de résolutions.

M. de Gerlache, dans son discours d'ouverture dit :

« Sans les libertés politiques nous ne serions pas ici, et sans les atteintes portées à ces libertés politiques, nous n'aurions pas raison d'y être. »

Encore une fois, c'est un programme politique qu'on vient faire à Malines, ce sont des articles qu'on veut voter pour qu'ils servent de règle de conduite pour le parti catholique.

Et l'honorable M. Dechamps arrive ensuite disant : « Je monterai à la tribune nationale, le discours de M. de Montalembert à la main. »

Il est donc certain, incontestable que votre congrès de Malines a été chargé d'élaborer un programme politique pour le parti clérical et que c'est ce programme que vous devez exécuter s'il vous arrive de rentrer aux affaires.

Le congrès s'ouvre comme un véritable concile ; une messe d'inauguration est célébrée ; la bénédiction papale est donnée et le télégraphe tient le souverain pontife en communication avec l'assemblée ; le portrait du pape domine la salle de réunion. Je constate le fait.

- Un membre. - Celui du Roi s'y trouvait aussi.

M. Baraµ. - Le portrait du souverain pontife domine la salle de réunion, je constate le fait ; que le portrait du Roi y fût aussi, je le veux bien ; les évêques sont présents à l'assemblée, et le congrès est ouvert par M. l'archevêque de Malines.

(page 216) Un pareil spectacle est fait pour étonner, jamais il ne s'est produit, jamais on n'a vu, dans aucun pays, le clergé à la tête d'un parti politique, et ce parti accepter la direction de l'épiscopat.

L'honorable M. Dechamps se plaignait en termes amers de ce qu'on appelait son parti « parti clérical ». Mais le fait est là ! Faites-vous cause à part avec le clergé ? N'est-il pas vrai que les membres les plus éminents, les plus influents de votre parti sont les évêques ? n'est-il pas vrai qu'à un signe de leur crosse épiscopale vous ne seriez plus sur vos bancs ? Vous avez besoin de tout leur concours pour y rester.

Pourquoi donc dites-vous que vous n'êtes pas le parti clérical, lorsque vous êtes dirigés par le haut clergé ?

Imitez la franchise de votre président, M. de Gerlache, qui disait à Malines : « Les libéraux nous appellent des cléricaux, eh bien oui, nous sommes des cléricaux. » (Interruption.)

Voilà un premier point établi, c'est que l'épiscopat est à la tête de votre parti.

Le second point, c'est que je ne comprends pas les plaintes du clergé belge qui se prétend opprimé et qui a pu poser de pareils actes, tenir des assemblées ou l'on a critiqué tous les actes du gouvernement et d'un grand parti qui tient le pouvoir.

Je ne comprends pas ces plaintes, et le cardinal Wiseman avait raison de dire qu'il ne le comprenait pas, qu'il ne savait pas ce que vous vouliez.

Le congrès a été ouvert par le discours de M. de Gerlache, je ne le commenterai pas, Dieu m'en garde ; ce discours pousse à la haine, à la division ; il divise les partis en chrétiens et en antichrétiens, et par une sanglante ironie, il termine par ces mots : « Paix aux hommes de bonne volonté ! » (Interruption.)

Et comment, devant un auditoire transporté, ému, applaudissant à tout rompre, M. de Gerlache caractérisa-t-il le parti libéral, comment a-t-il parlé des absents, des hommes de notre opinion ?

« Des principes et des croyances, dit-il, les libéraux n'en ont guère. Leur but est de s'emparer du pouvoir, et dès qu'ils y sont parvenus, de se partager les places, les faveurs et les honneurs. »

Un jour l’honorable M. de Naeyer m'accusait de reprocher trop amèrement au clergé ses fautes et me disait : Est-ce ainsi que vous croyez le ramener ?

Eh bien, que dit-il du discours de M. de Gerlache ?

Et vous voulez que l'indignation ne nous vienne pas en présence d'un pareil discours prononcé par un vieillard, par le président du congrès national, par le magistrat le plus élevé du pays ; vous voulez que nous souffrions de pareils outrages sans protester ?

Si nous ne nous élevions pas contre des reproches aussi immérités, je dirais que le parti libéral aurait perdu toute dignité. Un parti n'est pas digne du pouvoir s'il souffre sans émotion les insultes de ses adversaires. (Interruption.)

N'attendez pas de moi, messieurs, que je vous fasse une étude complète du congrès de Malines, mais comme l'honorable M. Dechamps s'est appliqué à déplacer le débat, comme il n'a pas fait ressortir la différence qui existe entre l'opinion libérale et l'opinion catholique, comme l'opinion catholique prétend qu'elle va revenir au pouvoir, il est utile de faire connaître au pays son programme ; il est utile de voir si ce programme est seulement la réforme communale ; il est utile de savoir ce qu'on prépare dans l'ombre pour en doter plus tard le pays lorsqu'on sera au timon des affaires.

Eh bien, je vais prendre les résolutions du congrès de Malines et les étudier brièvement. Nous verrons alors quel est votre véritable programme.

Le pays a à choisir entre le despotisme par le clergé et la liberté, entre l'intolérance et l'égalité de tous les citoyens quelle que soit leur conviction religieuse.

Le parti catholique belge, fatigué de lutter, à bout d'expédients, est en train, malgré lui, de saper nos libertés constitutionnelles.

Oh ! vous allez vous dire insultés quand je vous prétends contraires et hostiles à la Constitution, vous qui n'avez à la bouche que le mot de liberté.

Mais quand je vous aurai montré ce qui se trouve dans votre congrès de Malines, vous verrez que j'ai raison de vous crier : Arrêtez-vous à temps !

Pour que la liberté soit le lot d'une nation, est ce qu'il suffit qu'elle soit inscrite dans une Constitution ?

L'honorable M. de Theux disait hier que le prince des orateurs, Cicéron, avait dit qu'un peuple corrompu avec de bonnes lois était un peuple servile.

Cela est parfaitement exact. Eh bien, vous cherchez à rendre nos mœurs intolérantes. Vous n'attaquez pas les articles de la Constitution, mais vous préparez le peuple pour le despotisme. Vous voulez semer l'intolérance dans la nation pour que la Constitution s'effondre d'elle-même, pour que plus tard le peuple ne soit plus capable de supporter la liberté. (Interruption.)

Et, tout d'abord, quand il s'agit de liberté civile et politique et que vous discutez pour savoir ce qui convient au tempérament du pays, qui prenez-vous pour chefs ?

Je le répète : les chefs religieux, et l'honorable M. de Montalembert ajoute que quand il professe telle ou telle opinion, même en matière de liberté civile, il émet une opinion personnelle et il se soumet en définitive à l’infaillibilité de l'Eglise.

.M. Dechamps. - Pas en politique.

M. Baraµ. - Même en matière civile et politique.

MfFOµ. - Il l'a dit.

M. Baraµ. - Cela se trouve à la fin de son discours.

Vous dites : Non. Mais, messieurs, M. de Montalembert avait attaqué toute une fraction de votre parti, et le lendemain il disait : Je ne suis pas un docteur, je suis un homme qui cherche à réaliser le possible. Or je trouve qu'il n'y a que la tolérance de possible. Je fais de la pratique, et quant à la doctrine, je m'en remets à l'infaillible autorité de l'Eglise, et tout à l'heure, M. Dechamps, quand je discuterai vos belles théories d'hier, je vous montrerai cela de plus près.

Voilà donc, messieurs un grand parti politique qui se met sous la tutelle de l'épiscopat ; de l'épiscopat qui ne voit qu'une chose, le triomphe de la foi.

Eh bien, au nom de la Constitution je proteste, je dis que la Belgique est perdue, si elle tombe aux mains d'un parti qui dépendra d'une religion exclusive.

Je dis que ce parti, forcément, naturellement, sera un parti intolérant.

Je dit que les dissidents verront leurs droits méconnus et je dis que la liberté de conscience ne sera plus qu'un vain mot ; car quand le prêtre est au pouvoir et quand le prêtre, convaincu de la vérité de tel ou tel dogme, doit gouverner, il lui est impossible de faire des distinctions ; il lui est impossible de dire : Ceci est l'erreur, je le tolérerai.

Non, il obéit à sa conscience de prêtre avant d'obéir à sa conscience de citoyen.

Vous devenez un parti clérical, messieurs, et vous n'êtes plus possible comme parti politique, vous devenez intolérants, vous finirez par rendre les mœurs intolérantes.

La liberté de concurrence, l'admettez-vous ? Mais le plus grand nombre d'entre vous la considèrent comme un véritable fléau. Qu'êtes-vous au milieu du grand parti catholique européen ? Un faible bataillon condamné, par votre parti et par la lettre de la Constitution, à maudire vos doctrines et à renier vos frères.

Voyez dans l’Europe comment le parti catholique se conduit. Mais il est toujours intolérant ; à Rome c'est la Civilta Cattolica ; à Turin c'est l’Armonia ; à Paris c'est le Monde, en Belgique même, M. Dechamps, vous êtes condamné par vos journaux les plus importants.

Vous avez vu mourir l’Universel, et aujourd'hui encore le Bien public vous dit que vous n'êtes qu'un rêveur et un utopiste ; ou bien que si c'est comme tactique que vous admettez les ménagements, alors il est de votre avis, mais que plus tard il faut la prééminence de la religion catholique.

Voilà ce que disent vos journaux en Belgique. Vous n'êtes donc qu'une exception ; la grande majorité du parti catholique européen est contre vous. Elle n'admet pas la liberté de conscience ; elle est pour l'encyclique de Grégoire XVI, et si vous n'admettez pas cette encyclique, c'est parce que vous y êtes forcés par notre Constitution, c'est parce qu'il n'y a pas moyen de vous maintenir comme parti, autrement qu'en respectant le texte constitutionnel.

Messieurs, voulez-vous la preuve que votre respect pour la liberté de conscience n'est qu'un vain mot ? Je vais vous la donner.

La première conséquence de la liberté de conscience, c'est assurément le droit de manifester ses opinions. Eh bien, des hommes confiants dans nos libertés, se réunissent en congrès, ils vont avec nos amis dans la ville de Gand échanger leurs idées ; ils parlent, ils entendent les doctrines catholiques professées par de vos amis, et le lendemain, messieurs, la lendemain que voyons-nous ? Dans un grand journal politique, dans celui qui est dirigé par un évêque, nous voyons l'articulet suivant :

« Une messe solennelle sera célébrée en l’église Saint-Jacques, demain lundi et les deux jours suivants, à sept heures du matin, en réparation des blasphèmes et des impiétés proférées aux séances du congrès des (page 217) sciences sociales qui vient de se tenir à Gand. Le saint sacrifice sera offert afin d'apaiser la colère divine et d'attirer la miséricorde de Dieu sur les paroissiens, pour qu'ils puissent conserver le précieux dépôt de la foi. »

Oh ! messieurs, ne m'accusez pas de fausses interprétations ! Le Bien public avait le droit de publier ces lignes, le clergé de Gand qui ordonnait la célébration d'une messe expiatoire en avait le droit, je ne conteste rien de tout cela, mais je dis que vous allez corrompre les mœurs et les rendre intolérantes.

Comment ! la liberté de conscience et des opinions existe, et le lendemain du jour où l'on aura fait usage de cette liberté on sera accusé d'attirer la colère divine sur toute une ville ! Comment voulez-vous que les fidèles, les gens simples ne détestent pas une Constitution qui permet d'appeler la colère divine sur une ville ? Ne croyez-vous pas qu'un jour ces hommes pleins de foi ne disent :

« Je ne veux plus de cette constitution dont l'application est un scandale. Nous tenons avons tout au salut de notre âme ; nous allons balayer tout cela, et au lieu de la tolérance et au lieu des messes expiatoires, nous voulons le bras séculier au service de la vraie religion ! »

Et ne dites pas que c'est dans un intérêt religieux qu'on célèbre de pareilles messes expiatoires, car alors on n'a pas besoin de les annoncer dans les journaux politiques. Quand des crimes affreux ont, comme à Forges, souillé pendant des années un asile de la religion et de l'enfance, est-ce qu'on a lu dans vos journaux qu'il serait célébré des messes expiatoires afin de purifier l'air et d'apaiser la colère divine ?

Oh ! non, le silence le plus profond règne après ces turpitudes. (Interruption).

Vous voyez donc bien que quand vous célébrez ces messes, que quand surtout vous les annoncez au monde, que quand vous faites croire aux citoyens que l'expression libre de la pensée humaine est un blasphème capable d'attirer la colère divine, vous agissez au point de vue politique, vous attaquez l'usage du droit constitutionnel de manifester ses opinions et vous voulez rendre les mœurs intolérantes.

Autrefois un homme qui n'était pas catholique était un paria. On le fuyait quand on ne le persécutait pas. Maintenant, messieurs, la liberté a passé sur tout cela, on se rencontre dans le monde, on fait des affaires, on se livre au plaisir sans se demander quelle est sa croyance, quelle est sa religion ; de persécuteurs et persécutés la liberté fait de sincères et loyaux amis ; eh bien, que fait le congrès de Malines ?

Il reprend l'idée ancienne, l'idée d'éloignement, l'idée de séparation, l'idée des castes à part et voici ce qu'il dit :

« Le congrès émet le vœu que partout où faire se pourra l'institution de cercles catholiques destinés à procurer à leurs membres une honnête distraction, en favorisant le développement de l'esprit d'union et de fraternité chrétienne ; et que des relations soient établies entre les cercles catholiques ou les associations analogues du pays et de l'étranger, de manière à assurer le bénéfice de ces utiles institutions à leurs membres en tous lieux et dans tous pays. »

Vous allez donc créer pour les plaisirs des catholiques, pour leurs distractions, des cercles spéciaux, partout, dans tous les centres de la Belgique et dans tous les pays ; vous êtes en train de le faire. De sorte qu'un des vôtres ne pourra faire un pas sans être certain d'être séparé des autres personnes.

Eh bien, je dis que je n'ai pas peur de vos cercles catholiques ; mais je les blâme, tout constitutionnels qu'ils sont. Car il est évident que-vous ne pouvez pas rompre les relations qui existent entre les gens de diverses opinions.

C'est un crime que de venir dire à la société catholique : Vous êtes une société à part. Catholiques, le contact du libéral est dangereux ; amusez-vous entre vous.

M. B. Dumortier. - Et que faites-vous dans vos loges de francs-maçons ?

M. Baraµ. - Les loges de francs-maçons ont un autre but que vos cercles entre catholiques.

Nos loges ne sont pas faites pour l'amusement. Les loges n'empêchent pas que les maçons ne fréquentent les cléricaux.

.Vous êtes libres de créer des associations électorales. Vos cercles catholiques ne sont pas des associations électorales. Ce sont des lieux de plaisirs, des cafés établis seulement pour les cléricaux.

C'est pour séparer les cléricaux de ceux qui ont d'autres opinions politique ; c'est pour empêcher que la jeunesse ne se corrompe au contact des libéraux, pour empêcher qu'elle n'ait d'autres idées que les nôtres, pour en faire caste à part dans la société.

Voilà comment vous préparez l'intolérance, comment vous minez les principes constitutionnels.

Ainsi, messieurs, vous avez divisé les hommes pendant la vie. Il y a plus, vous voulez les diviser après la mort. Vous voulez que la trace de ces divisions soit éternelle, qu'elle subsiste dans les cimetières, et vous prétendez que la campagne que vous faites maintenant au sujet du maintien du décret de prairial sur les cimetières vous attire les masses, que vous avez pour vous l'esprit public ! Allons donc ! Les masses ont du cœur ; elles protesteront contre vos doctrines.

Qu'est-ce que c'est que cette théorie qui vient prétendre qu'il faut séparer l'époux de l'épouse et les enfants de leurs parents ; qu'il faut jeter les uns à droite et les autres à gauche ?

Qu'est-ce que c'est que cette théorie qui donnera à un curé la liberté d'entacher d'infamie le cadavre d'un honnête homme ? (Interruption.)

Car cette séparation des cimetières n'est pas un dogme. A Paris, il n'y en a pas ; dans la province de Hainaut, il n'y en a pas. Il n'y en a pas à Tournai, il n'y en a pas à Charleroi, il n'y en a pas à Mons. Ce n'est donc pas un dogme ; c'est une prétention cléricale. C'est à titre d'avertissement ; c'est pour terroriser ; c'est comme moyen d'intimidation qu'on veut séparer les cadavres, Mgr l'évêque de Tournai l'a dit avec franchise ; il faut la séparation comme salutaire avertissement ; il faut la menace de l'exclusion du cimetière pour intimider les vivants, pour leur servir de frein pendant la vie, pour les maintenir sous la main de la religion. Voilà la vérité.

Ce n'est donc pas un dogme ; c'est une prétention cléricale. Mgr l'évêque de Tournai l'a dit, et cette théorie qui va soulever les masses, cette théorie qui a pour elle l'esprit public, savez-vous comment elle a été accueillie à Tournai, lorsque Mgr l'évêque l'a affirmée ? Il se trouvait au sein du conseil communal un frère de l'honorable M. Dumortier, le candidat qui s'est posé en concurrence avec l'honorable ministre des affaires étrangères.

Eh bien, lorsque le conseil communal de Tournai a repoussé, avec une fermeté qui l'honore, les prétentions de l'évêque, M. Dumortier est resté muet sur son banc, sachant parfaitement bien que Mgr l'évêque n'avait pas pour lui la population.

Et maintenant, allez arracher des signatures, allez colporter vos pétitions de droite et de gauche. Cela prouvera une chose ; cela prouvera votre influence et vos importunités. Mais cela ne fera jamais réviser la loi dans le sens des prétentions exorbitantes de l'épiscopal.

Ainsi, messieurs, voilà trois principes sortis du congrès de Malines ; dépendance du parti clérical, de l'autorité religieuse en matière civile et politique : séparation autant que possible des cléricaux de leurs adversaires politiques et des dissidents, pendant la vie ; séparation après la mort.

Voyons maintenant ce que veut le congrès de Malines en matière de bienfaisance et en matière d'enseignement.

On est venu, messieurs, nous lire la lettre du Roi. Mais cette lettre du Roi, ce n'est pas à nous, c'est au congrès de Malines qu'il fallait la lire. Car la loi qui a provoqué la lettre du Roi, elle est dans votre programme et elle a été maintenue au congrès de Malines.

Que dit, en effet, le congrès de Malines ?

« La liberté de la charité implique le droit de faire tous les actes nécessaires à la fondation, au développement et à la perpétuité de ses œuvres. »

Ainsi, messieurs, voilà le droit de fonder indiqué comme le corollaire, comme la conséquence naturelle de la liberté de la charité. Voilà la loi des couvents qui vous est imposée de par le congrès de Malines comme un article de votre programme.

Loin de moi, messieurs, l'idée de vous démontrer que la liberté de la charité n'a rien de commun avec la liberté de fonder ; je crois que ce débat est épuisé.

Mais vous le voyez bien, vous qui vous dites les hommes de nos libertés publiques, vous qui vous dites les hommes de la tolérance, vous qui ne réclamez que la liberté pure et simple, il vous faut des privilèges.

Passons à l’enseignement, et ici je vais rencontrer le discours de l'honorable M. Dechamps qui croit avoir triomphé des idées libérales en matière d'enseignement public.

Le principe de l'intervention de l'Etat dans l'enseignement n'est admis par l'honorable M. Dechamps que comme un principe d'une vérité transitoire, éphémère, contingente.

Le temps viendra, dit l'honorable M. Dechamps, où la liberté suffisant aux besoins de l'instruction, l'Etat ne devra plus enseigner. Donc, s'écrie l'honorable M. Dechamps, l'Etat n'a pas le droit absolu d'enseigner. C'est un utile auxiliaire de la liberté ! rien de plus. Et à l'appui de sa thèse, l'honorable M. Dechamps cite d'abord l'opinion de M. Pelletan au (page 218) congrès de Gand et celle de M. J. Simon, qui se trouveront très heureux et très étonnés sans doute, d'avoir été cités par l'honorable M. Dechamps.

Au congrès de Gand, les Belges n'ont point pris grande part à la discussion de la question de l'enseignement. Un seul libéral a parlé, je pense, c'est M. Peemans, et assurément ce n'a pas été dans le sens de l'honorable M. Dechamps.

.M. Dechamps. - M. de Molinari a aussi parlé.

M. Baraµ. - Je ne dis pas non.

.M. Dechamps. - M. Woeste aussi a parlé sur cette question à Gand.

M. Baraµ. - Je le sais, mais je parle de libéraux et je ne pense pas que M. Woeste soit un libéral.

M. Peemans donc a parlé dans le sens de l'intervention de l'Etat dans l'enseignement. M. de Molinari a parlé, si vous le voulez, dans le sens contraire ; mais qui surtout, a parlé dans ce sens ? Ce sont des orateurs français, qui sont venus faire une campagne contre l'Université de France ; et si je me trouvais en France, je serais évidemment à côté de MM. Jules Simon et Pelletan, qui réagissaient contre cette prétention qu'à l'Etat d'avoir le monopole de l'enseignement.

- Voix à gauche. - C'est cela !

M. Baraµ. - Mais ces orateurs ne se sont nullement préoccupés de la situation de l'enseignement en Belgique.

Maintenant, M. J. Simon a dit : l'Etat doit enseigner ; il a défendu le droit de l'Etat, mais en ajoutant qu'il doit préparer sa propre destitution. Eh bien, je suis complètement de l'avis de M. J. Simon.

.M. Dechamps. - Ah !

M. Baraµ. - Certainement, et j'ajoute que ni l'honorable M. de Naeyer qui vous applaudissait hier, ni vous, M. Dechamps, n'êtes de l'avis de M. J. Simon ; je vais vous le démontrer.

M. J. Simon est un philosophe, il rêve l'âge d'or des peuples et il suppose qu'un jour l'humanité sera parfaite ; il suppose que les différences de croyances religieuses disparaîtront et qu'il n'y aura plus qu'une seule religion, la religion naturelle qu'il appelle la véritable religion, la seule qui soit bonne pour les hommes. Dans le système de M. Simon qu'arrive-t-il ? C'est que la société étant devenue parfaite, non seulement l'Etat n'aura plus à intervenir en matière d'enseignement ; j'ajoute qu'il n'aura plus à intervenir davantage dans une foule d'autres matières.

Ainsi, par exemple, vous pouvez dire : l'Etat rend la justice dans la société ; mais l'Etat n'a pas le droit absolu de rendre la justice ; et si quelque jour les hommes ne se faisaient plus de tort, il ne faudrait plus ni magistrats, ni gendarmes ; de même que si nous étions dans une société parfaite, il ne faudrait plus d'armées.

Mais vous différez avec M. J. Simon sur le moment où l'Etat doit donner sa démission. M. J. Simon ajourne probablement cette démission au moment où la société sera parvenue à l'état de perfection, tandis que vous, messieurs, vous voulez la destitution de l'Etat immédiatement, vous voulez que l'Etat abdique tous ses droits à votre profit.

Vous prétendez que désormais à vous seuls doit appartenir le droit d'enseigner. Je dis, moi, que l'Etat a le pouvoir absolu d'enseigner, parce que la société sera toujours imparfaite, parce qu'il y aura toujours des différences religieuses, parce qu'il faudra un enseignement pour les pauvres, parce que la concurrence est nécessaire pour élever le niveau de l'instruction.

Comment entendez-vous la suppression graduelle des établissements publics d'instruction ? Par l'initiative individuelle qui érigera des écoles de spéculation ou des écoles fondées dans un intérêt philanthropique et religieux. Or, la spéculation est la plus détestable créatrice en matière d'enseignement.

Sans doute les intérêts religieux, les intérêts philosophiques, doivent enseigner, mais ils ne peuvent pas avoir à eux seuls tout le terrain : entra l'enseignement de la spéculation et l'enseignement des sectes, il y a une place et il y aura toujours une place pour l'enseignement public. Quand bien même vous auriez inondé le pays d'écoles ; quand bien même vous en auriez pour un grand nombre de sectes, encore faudrait-il une place pour l'enseignement de ceux qui ne partageraient pas leurs doctrines. Il faudra toujours, d'ailleurs, un enseignement public pour les pauvres, et enfin et surtout pour maintenir l'enseignement privé à un niveau convenable, pour l'empêcher de dégénérer.

On a vu, messieurs, ce qu'était l'enseignement livré à l'initiative privée.

Avant 1842 et même après, quels étaient les instituteurs primaires ? C'étaient des cabaretiers, des bouchers, des bedeaux sonnant la cloche et balayant l'église. Voulez-vous revenir à cet état de choses ?

On vous l'a dit, messieurs, si l'enseignement officiel n'existait pas, vous n'auriez pas toutes vos écoles et s'il y a plus d'élèves dans les écoles de l'Etat que dans les vôtres, c'est évidemment qu'ils les préfèrent à celles-ci.

Mais qu'est-ce que l'enseignement de l'Etat a affaire avec la liberté d'enseignement ? Ce sont là deux questions distinctes : l'enseignement de l'Etat, c'est un service public ; la liberté d'enseignement, c'est le droit d'ouvrir des écoles, d'établir des chaires.

Eh bien, prétendez-vous que vous n'avez pas cette liberté d'enseignement ? Mais qui donc vous dénie le droit d'ouvrir des écoles partout où vous le voulez, de créer partout des collèges, des universités ? Vous êtes parfaitement libres de faire, sous ce rapport, tout ce que vous voulez. Mais pour vous la liberté d'enseignement a un tout autre caractère. Vous dites : l'Etat nous fait concurrence ? Est-ce que, par hasard, la liberté d'enseignement impliquerait la nécessité de vous procurer des élèves ? Mais, messieurs, c'est là encore l'éternelle confusion entre le droit de travailler et le droit au travail.

Vous avez le droit d'enseigner, de créer des écoles ; mais vous n'avez pas le droit à des élèves. Si vous voulez avoir des élèves de l'Etat, faites mieux que l'Etat ; et si les élèves des établissements de l'Etat ne veulent pas aller chez vous, il ne peut pas nous appartenir, à nous législateurs, de vous les envoyer.

L'enseignement par l'Etat est un service public, qui laisse entière votre liberté, de même que la liberté de la charité reste entière et complète quoiqu'il y ait des hospices et des bureaux de bienfaisance.

Mais, messieurs, il y a plus, non seulement vous n'avez pas pour votre thèse l'ombre d'un argument ; mais c'est une duperie pour le parti libéral, c'est une duperie constitutionnelle.

Vous ne voulez pas que l'Etat intervienne dans l'enseignement, c'est-à-dire que vous ne voulez pas que l'Etat intervienne dans l'enseignement par ses professeurs, mais vous admettez qu'il intervienne par son argent.

Vous admettez qu'on subsidie les écoles des petits frères, les collèges épiscopaux, et qu'on donne des bourses et des collections à l'université de Louvain.

L'Etat ne peut pas enseigner, mais on va lui demander de l'argent ; si vous soutenez son incapacité, si vous dites que la liberté suffit, pourquoi frappez-vous à sa caisse pour en obtenir des subsides en faveur des établissements d'enseignement du clergé, pourquoi l'université de Louvain occupe-t-elle des locaux qui appartiennent à des administrations publiques ? Evidemment vous vous mettez en pleine contradiction avec vous-mêmes.

Votre théorie que l'enseignement de l'Etat doit disparaître en présence de la liberté, vous ne l'émettez que parce que vous savez que seuls vous pouvez remplacer l'Etat par l'organisation puissante du clergé régulier et séculier et au moyen des sommes que vous pouvez vous procurer par son influence pour entretenir vos établissements à tous les degrés. Ce que vous voulez, c'est le monopole de l'enseignement, car contre vous la concurrence privée est impossible. Et si vous avez le monopole, que deviendra la liberté de conscience ? Où les dissidents puiseront-ils l'instruction ?

Dans une école, l'enseignement ne doit pas seulement être dogmatique, mais général ; l'enseignement religieux doit pénétrer toutes les matières ; il n'est pas permis d'enseigner à part les sciences et la religion ; il faut que toutes les matières soient dominées par la religion. Si vos doctrines prévalaient, avec l'argent de l'Etat vous vous rendriez maîtres de la jeunesse, et en la pénétrant de l'esprit d'intolérance, vous nous ramèneriez par une voie détournée à la théocratie.

Ainsi donc votre programme, tel qu'il ressort du congrès de Malines, le voici :

Soumission à l'Eglise, même en matière civile et politique ;

Loi des couvents ;

Absorption en fait sinon en droit de l'instruction par les couvents et le clergé ;

Inhumation des dissidents et des prétendus dissidents dans un cimetière distinct comme salutaire avertissement aux vivants.

Voilà votre programme.

Hier, l’honorable M. Dechamps a fait entendre de magnifiques paroles sur l'union de l'Eglise et de la démocratie ; sur le triomphe de la religion par la démocratie ou la liberté.

A l'appui de sa thèse, il a cité l'autorité d'un libéral français, M. Ed. Laboulaye.

D'après ce publiciste, à en croire M. Dechamps, nous serions en Belgique en pleine oppression religieuse, nous voudrions de la liberté qui nous sert et nous ne voudrions pas de celle qui nous nuit.

Je demande à M. Dechamps s'il accepte en matière de liberté les idées (page 219) de M. Laboulaye. S'il le veut, je ne sais pas si je ne consentirai pas à le suivre.

Mais je suis convaincu d'une chose, c'est que tout à l'heure l'honorable M. Dechanips se repentira d'avoir cité M. Laboulaye.

M. Laboulaye, d'abord, prétend que l'appel comme d'abus est nécessaire ; il consent à ce que les évêques soient nommés par le chapitre des cathédrales, à condition qu'il soit permis au souverain d'exclure les hommes dangereux ; il forme le vœu que les fidèles satisfassent eux-mêmes aux besoins des cultes et que les traitements du clergé soient supprimés d'ici à dix ans. Il veut qu'on défende à l'Eglise de posséder des immeubles.

Allons, M. Dechamps, quel brave homme c'était hier que ce M. Laboulaye et quel tison d'enfer c'est aujourd'hui ! (Interruption.)

Il y a plus. M. Laboulaye, veut la liberté d'association comme en Belgique ; il veut l'enseignement de l'Etat comme en Belgique ; il veut la liberté de la presse comme en Belgique ; et, crime épouvantable ! il dit que si l'on veut ramener la vie municipale, il faut adopter la loi communale belge pour modèle et donner au pouvoir exécutif le droit de nommer et de révoquer les magistrats municipaux.

Voilà le nouveau et l'ancien programme de M. Dechamps condamnés par M. Laboulaye. (Interruption.)

Entraînés peut-être par la voix de M. Dechamps, les catholiques vont se précipiter sur les ouvrages de M. Laboulaye ; quel ravage dans les âmes !

J'engage l'honorable M. Dechamps, s'il en est temps encore, à rayer ses citations dans le Moniteur.

Après avoir examiné les autorités à l'appui, voyons le fond de la doctrine.

Il faut, dit M. Dechamps en termes pompeux l'union de l'Eglise et de la démocratie, le triomphe de l'Eglise par la démocratie et par la liberté. Très bien ! Mais qu'est-ce que cela veut dire ? En toute humilité je confesse que je n'y comprends rien. Ce sont des paroles ronflantes, de très belles phrases qui peuvent faire une belle enseigne de parti, mais derrière je ne vois rien.

Je demande d'abord ce que vous entendez par démocratie ? Ensuite par quelles mesures pratiques vous allez établir l'union de l'Eglise et de la démocratie ? Et enfin qu'est-ce que c'est pratiquement que le triomphe de l'Eglise par la démocratie ?

Vous voulez que la religion s'empare de toutes les âmes.

On ne peut pas plus le faire par la démocratie que par l'aristocratie ; c'est une affaire de persuasion : prêchez, ouvrez des écoles, montez en chaire, attaquez-vous aux âmes ; si vous voulez faire disparaître les hérésies, c'est par l'enseignement que vous le ferez ; il n'est pas besoin pour cela de l'union de la démocratie.

Il y a donc quelque chose de plus que vous voulez retirer de cette union ; ce quelque chose, c'est l'introduction de la religion dans le pouvoir ; c'est la doctrine de Sixte-Quint, c'est la doctrine professée par Pie IX dans sa lettre à Napoléon III. Je ne veux pas m'associer au congrès, si ce n'est pour protester contre les doctrines qui ne veulent pas assurer la prééminence de la religion dans les pays catholiques, prééminence qui lui est due parce que la religion catholique est la seule vraie.

Votre but est donc la théocratie !

Voilà la doctrine, mais il y a deux voies pour y parvenir, et voilà où vous commencez à différer. Votre but est le même : la théocratie ; mais vos moyens d'y arriver sont différents.

Le Monde, la Civilta cattolica, Pie IX ont d'autres moyens que vous, mais vous allez voir que vous arrivez au même résultat.

Les uns plus logiques et plus forts que vous, jugeant mieux et l'histoire et l'humanité, s'apercevant du terrain qu'on perd chaque jour disent : Il faut en revenir à imposer la religion par la loi ; il faut, si pas les bûchers et les cachots, il faut du moins que le pouvoir s'associe à la religion, fasse de la propagande pour elle, la proclame la seule vraie et oblige presque les consciences à l'accepter.

Il n'y a d'époque véritablement bonne et glorieuse dans l'histoire que les dix siècles du moyen âge, c'est à-dire l'union de l'Eglise et de l'Etat, la prééminence réelle de la religion catholique sur toutes ses rivales.

D'autres, messieurs, l'honorable M. Dechamps, veulent être plus habiles, mais ils ne parviennent qu'à être plus imprudents.

Effrayés des progrès de la liberté, voyant le flot monter, comme dit M. de Montalembert, ils s'écrient : Il faut nous y jeter. Si nous voulons résister à la démocratie, la démocratie nous engloutira. Il faut que nous dominions la démocratie, il faut que nous la faisions tourner à notre profit. Que de régimes sont tombés, que de choses ont vécu ! En bien, nous, système clérical, nous subsistons après 19 siècles, comme au premier jour. Nous n'avons pas changé.

Eh bien, laissez faire la démocratie, elle balayera les trônes, elle balayera la Constitution. Nous crierons avec elle et lorsque les démocrates ne sauront plus à qui se fier, la démocratie tombera dans les bras du catholicisme, du parti clérical et nous profiterons de la situation en hommes politiques. Nous aurons alors la théocratie.

Moi, de Montalembert, je suis fils des croisés, je ne suis pas démocrate, je le déclare, mais néanmoins je me rallie à la démocratie et quand, tous les systèmes politiques renversés, nous serons les maîtres, je dirai que nous avons conquis le pouvoir par la liberté.

Mais vous êtes encore dans l'erreur. Votre mot « démocratie » n'est pas le vrai terme. C'est démagogie qu'il faut dire.

Est-ce que par hasard vous pouvez opposer quelque chose au peuple ? Avez-vous une seule liberté à lui donner ? Voyez Rome, l'Espagne, l'Autriche.

Monseigneur Dupanloup l'a dit, 1789 s'est fait contre vous, malgré vous. Vous avez à donner au peuple des couvents, le denier de Saint-Pierre, vous avez à l'enrôler pour Rome. Vous ne pouvez donc pas avoir le peuple pour vous.

Mais savez-vous ce que vous voulez ? Vous n'avez plus avec vous les classes supérieures de la société ni la bourgeoisie.

Tout ce qui pense, tout ce qui est instruit tourne le dos non pas à votre religion mais à votre système politique.

Alors que faites-vous ? Au nom de la religion, vous voulez aller frapper à la porte des ignorants et les griser de fanatisme.

Ce qu'il vous faut, ce n'est pas le peuple instruit, émancipé de l'ignorance ; c'est la clientèle romaine, les serfs du moyen âge, le prolétariat moderne. Quand vous aurez donné au peuple le vote à la commune, plus tard, affriandé, il vous demandera le renversement de la Constitution pour pouvoir élire à la Chambre ; il vous demandera bien autre chose encore.

Vous voulez donc faire cause commune avec la démagogie ? Eh bien, vous succomberez par la démagogie. Il se trouvera des hommes qui diront au peuple : Voyez, mes frères, vous êtes malheureux, vous êtes pauvres, il y a des riches, il y a des inégalités, il y a des couvents où règne le luxe, il y a des églises où il y a des richesses inutiles, pillez et emparez-vous du pouvoir ! Et alors, vous aussi, vous tomberez par votre propre faute pour avoir fait alliance avec l’ignorance, pour avoir fait alliance avec les couches inférieures et mauvaises de la société dans le but de renverser des pouvoirs basés sur la liberté, sur l'état de la civilisation, et sur l'intelligence des besoins de la société actuelle. (Interruption.)

Voilà ce qui arrivera si vous écoutez les conseils qu'on vous donne imprudemment.

- Une voix à droite. - Ce ne sont pas les vôtres que nous écouterons.

M. Baraµ. - Je sais fort bien que vous n'écouterez pas les miens ; cependant, je crois que vous ne demanderez pas le suffrage universel à la commune, parce que j'ai plus de confiance que vous ne le croyez dans votre patriotisme et dans votre amour de l'ordre et de la liberté.

Vous ne demanderez pas le suffrage universel à la commune avant que le peuple soit émancipé par l'instruction, et alors nous le demanderons et vous ne le demanderez plus.

Si vous le faisiez, vous auriez bouleversé par la démagogie vos conseils communaux, et vous aurez bientôt renversé votre belle Constitution.

Si vous le faisiez, sous des apparences conservatrices, vous seriez devenus des révolutionnaires dans un intérêt religieux. (Interruption.)

Voilà, messieurs, quelles sont les doctrines de l'honorable M. Dechamps.

Je m'arrête, car cela nous mène bien loin de ce que nous devions discuter, mais M. Dechamps a provoqué ce débat.

Le débat véritable, c'est le congrès de Malines, c'est votre programme.

Comment, vous parti, vous vous êtes d'abord appelé parti catholique, puis parti conservateur et maintenant vous vous appellerez le parti communal, le parti démocratique peut-être.

Pourquoi ces changements de costume ? Pourquoi ces oripeaux nouveaux ?

Vous voyez bien que vous vous sentez impossibles.il n'y a pas assez de paravents pour vous cacher, il n'y a pas assez de voiles pour vous mettre à couvert.

Vous sentez que vous êtes impopulaires, vous sentez que la nation est contre vous.

Ah ! sans doute, vous êtes parvenus, en profitant des malheurs de l'opinion libérale, a vous donner une force factice par la réunion de toutes (page 220) les opposition en une seule, et maintenant vous venez dire : Donnez-nous le pouvoir.

Les fortifications d'Anvers, vous les avez exploitées habilement, et messieurs, j'ai vu avec une grande douleur, avec un profond chagrin quelques-uns de nos amis d'Anvers oublier que le triomphe des principes libéraux doit être mis au-dessus de tout, et qu'il n'y a pas de griefs si fondés qu'on les croie qui puissent faire abandonner le drapeau de la grande cause libérale ; mais le temps nous ramènera ces amis. Un jour, et ce sera votre châtiment, ils viendront vous dire : Vous nous avez dupés, et il ne nous reste que l'amer regret d'avoir combattu les hommes avec lesquels nous marchions.

Ce sera votre châtiment et il ne se fera pas attendre. Anvers reconnaîtra que le libéralisme peut bien plus pour sa grandeur, sa prospérité et sa sécurité, qu'une alliance momentanée avec le parti clérical.

Le libéralisme se maintiendra, je l'espère, malgré les circonstances difficiles que nous traversons.

Le ministère, j'en suis convaincu pour ma part, a la confiance du pays, et s'il marche dans la voie ferme qu'il indique et comme il a marché, il a la confiance du libéralisme tout entier ; il réalisera toutes ses promesses, et s'il doit tomber, qu'il tombe le drapeau à la main, entouré de l'estime de ses amis, l'honneur entier. Alors, vous, messieurs de la droite, vous pourrez venir prendre sa place. Mais vous y viendrez la crainte au cœur, au milieu des appréhensions du pays et sans confiance dans l'avenir.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je demande pardon à la Chambre de prendre la parole pour la troisième fois. Mais comme je me trouve dans la même position que l'honorable M. Dechamps, en ce sens que plusieurs orateurs se sont occupés de moi tout spécialement, je crois que je puis faire un appel à la justice et à l'impartialité de la Chambre, en lui demandant de pouvoir donner quelques explications et de réfuter quelques assertions de mes adversaires.

Lorsque la députation d'Anvers est entrée à la Chambre ou du moins lorsque au 9 juin dernier cette députation fut élue à une majorité de 1,200 voix, parmi lesquelles se trouvaient une grande quantité de ces amis dont vient de parler l'honorable M. Bara, le ministère, dans l'intérêt du parti doctrinaire et de son existence, chercha à faire croire à tout le pays, à l'aide de ses agents et de ses organes, que les meetings d'Anvers étaient une honte pour la Belgique et que les représentants qui en étaient sortis étaient non seulement indignes de représenter la métropole commerciale, mais indignes aussi de remplacer leurs devanciers.

Grand a été l'étonnement lorsque arrivés dans cette Chambre, le ministère a vu qu'il s'était fait certaines illusions.

Mais là ne se sont pas bornés ses efforts, une autre tactique a succédé à la première. Elle consistait, une fois assis sur ces bancs, à nous irriter, à nous pousser à bout par des attaques odieuses et par des injures afin que notre indignation se faisant jour violemment, le gouvernement pût dire à la nation : « Vous voyez bien que je ne vous ai pas trompée ; vous voyez que ces hommes ne sont pas dignes de représenter le pays. »

Heureusement que nous avons su déjouer cette tactique, et je crois que c'est une justice que le pays rendra à la députation d'Anvers, qu'elle a, dans tout ce qu'elle a dit à la Chambre, maintenu les formes les plus parlementaires et qu'elle a répondu avec dignité aux attaques et aux injures dont elle n'a cessé d'être l'objet.

Mais ces attaques et ces injures, croyez-vous donc qu'elles nous touchent ? Croyez-vous donc qu'elles viennent droit à vous ? Non, messieurs, non ; elles nous passent par-dessus la tête, et vont frapper en plein visage ce que des ministres constitutionnels devraient toujours respecter, c'est-à-dire le corps électoral.

C'est le corps électoral d'Anvers qui reçoit les outrages que le ministère fait aux membres de sa députation. C'est le corps électoral d'Anvers qui a été insulté par les paroles ces honorables membres qui nous ont injuriés dans cette enceinte, et c'est le corps électoral qui toujours, à Anvers, se souviendra d'une pareille conduite, d'une pareille injustice.

Il s'en souviendra et il a un moyen bien simple de consacrer ce souvenir. Il l'a déjà prouvé au 9 juin, au 27 octobre, et il le prouvera à l'avenir ; car, soyez persuadés que plus jamais le parti doctrinaire n'aura de succès à Anvers. Je crois pouvoir dire que le travail qui ea fait depuis plusieurs années dans cet arrondissement sera couronné de succès, et qu'à Anvers, comme je l'ai déjà dit, prendra racine le seul et vrai libéralisme compatible avec notre libre Constitution, la liberté en tout et pour tous.

Messieurs, l'honorable M. De Fré a énormément parlé des meetings, il a énormément parlé de moi. (Interruption.)

M. Hymans. - Il y a trois semaines de cela.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je le remercie des attaques qu'il a dirigées contre les meetings. Elles ont prouvé que le meeting a eu raison et qu'il a cette force et cette vitalité inébranlables que l'honorable M. De Fré voudrait lui dénier.

L'honorable M. De Fré, ne sachant pas trop comment il pourrait les attaquer directement, a trouvé plus commode de me prendre à partie. Qu'il me soit permis de faire remarquer ici que les membres qui m'ont pris pour but de leurs accusations ont suivi encore la même tactique que l'on a employée à mon égard à Anvers.

Là et ici l'on s'est dit : Nous ne pouvons pas déclarer que le meeting est mauvais en soi, puisqu'il constitue un droit constitutionnel. Eh bien, nous allons chercher, en flétrissant certains noms, à flétrir en même temps toute une population.

Voilà ce qu'on a fait à Anvers et voilà ce que l'honorable M. De Fré a voulu faire dans cette enceinte.

M. De Fré aurait bien désiré pouvoir m'attribuer les quelques paroles inconsidérées, malheureuses même si vous voulez, qu'ont prononcées certains orateurs dans les meetings tenus sous ma présidence ; il aurait bien voulu laisser croire que j'avais insulté le Roi.

Eh bien, j'ai répondu à M. De Fré que non seulement dans toutes ces occasions j'ai protesté et vivement protesté ; j'ajouterai que dans bien d'autres circonstances, ce sont les amis mêmes du ministère qui ont insulté S. M. (Interruption.)

Ah ! messieurs, permettez ; un jour la vérité luira ; elle ne restera pas indéfiniment sous le boisseau, et quand on saura dans le pays dans quelle position s'est trouvée la population anversoise, et quelle pression inouïe le ministère a exercée sur elle, on appréciera sa persistance, son énergie et alors aussi sonnera l'heure de la réparation.

Je prétends, messieurs, que ce sont vos propres amis qui ont été jusqu'à attaquer la personne royale. Permettez-moi de le prouver. Je vais vous lire ce qu'a écrit un homme que M. le ministre des affaires étrangères connaît parfaitement. Je ne citerai pas son nom. Ce que je dirai suffira pour que M. le ministre des affaires étrangères, ainsi que ses collègues, sachent de qui je veux parler.

Il existait il y a un an à Anvers un journal l'Avenir, journal ministériel. (Interruption.)

MpVµ. - M. d'Hane, l'incident d'Anvers a été clos par le vote de l'ordre du jour ; veuillez-vous renfermer dans la discussion de l'adresse.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - J'ai été attaqué, j'ai le droit de me défendre.

M. de Renesse. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Comme l'a fort bien dit notre honorable président, l'incident d'Anvers a été terminé par le vote de l'ordre du jour ; on ne peut pas, à chaque instant, la remettre en discussion.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je prie l'honorable M. de Renesse de remarquer que je ne m'occupe pas de la question d'Anvers.

Il existait un journal à Anvers, nommé l'Avenir. (Interruption.)

M. Coomans. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Gobletµ. - Je demande aussi la parole pour un rappel au règlement.

M. Coomans. - Je dois faire observer à la Chambre que l'honorable M. d'Hane n'en est qu'à la première partie d'une phrase et qu'aucun de nous ne sait probablement ce qu'il va dire (Interruption.) Moi je ne le sais pas. Dans tous les cas, je m'étonne qu'on l'interrompe sans cesse sous prétexte qu'il va s'occuper de la question d'Anvers, dont tout le monde s'est occupé depuis la reprise de la discussion générale. (Interruption.)

Aucun orateur n'a pris la parole depuis le vote de l'ordre du jour, sans parlr de la question d'Anvers.

D'un autre côté, l'honorable M. d'Hane se trouve dans une situation spéciale ; il a été outragé, violemment outragé, et en outrageant l'honorable M. d Hane, on nous a outragés tous, on a outragé toute la Chambre. L'honneur de chacun de nos collègues touche l'honneur de l'assemblée.

En supposant donc que l’espèce de fin de non-recevoir qu'on vient d'opposer à l'honorable M. d'Hane fût fondée, ou qu'elle pût être opposée à d'autres orateurs, elle ne peut pas l'être à celui qui est en état de défense. Elle ne peut pas l'être à un député insulté, injustement insulté.

On a, l'autre jour, cité plusieurs journaux, pourquoi ne serait-il pas permis à M. d'Hane de parler d'un journal d'Anvers ? C'est la seule chose que je vienne d'entendre, c'est qu'il s'agit d'un journal d'Anvers, d'un journal patronné par des ministériels. (Interruption.)

(page 221) Maintenant l'honorable M. d’Hane est bien dans la question puisqu’il veut démontrer que les prétendues insultes adressées à Sa Majesté l’ont été surtout par un ami de la gauche. Or, comme la gauche nous a accusés d'avoir des insulteurs coupables de lèse-majesté dans nos rangs, il est bien naturel qu'on accorde la liberté de la parole à M. d'Hane, comme on l'a respectée en faveur de nous tous. (Interruption.) Veut-on mettre Anvers à l’index ?... Laissez donc l'orateur s'expliquer ; cela n'est que libéral et juste.

M. Gobletµ. - Messieurs, moins que personne je ne voudrais nulle part, pas plus dans cette enceinte qu'ailleurs, empêcher la défense devant une attaque quelconque. Mais il faut, en définitive, que nos travaux s'accomplissent ; il faut que nous donnions au pays le spectacle d'une Chambre qui s'occupe d'autre chose que d'une querelle vidée pour le moment. (Interruption.) Je sais bien qu'elle n'est pis vidée définitivement, qu'elle reviendra ; mais croyez-vous que le pays s'intéresse beaucoup à la question spéciale d'Anvers ou aux questions personnelles qu'on veut renouveler constamment ? Je prétends que M. d'Hane répond maintenant à un discours prononcé par M. De Fré il y a trois semaines, et à de prétendues injures qui lui auraient été adressées par le ministère dans la même discussion close depuis plus de quinze jours.

Je dis donc avec raison que cet incident est vidé et que si chaque fois qu'on émet une opinion sur Anvers à quelque point de vue que ce soit, chaque fois qu'on dira un mot de votre alliance momentanée avec les catholiques, alliance que je ne discute pas maintenant, si chaque fois que l'on prononce le mot « meeting» il faut reprendre la question d'Anvers toute entière, le pays finira par trouver non seulement que nous ne faisons rien, mais que nous devenons ridicules.

J'adjure la Chambre de poursuivre ses travaux.

MpVµ. - La parole est continuée à M. d liane. Je l'invite à rentrer dans la discussion de l'adresse.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je me permettrai de dire à l'honorable M. Goblet que je ne le comprends pas. L'honorable M. Goblet est un homme d'honneur, et je ne conçois pas qu'il dise qu'il ne faut pas s'occuper de questions personnelles, quand on répond à des outrages. Que ferait-il à ma place ? Je le lui demande ?

J'aurais pu demander la parole pour un fait personnel, au moment même de l'attaque, c'est vrai, mais je n'ai pas voulu qu'une question personnifie primât la discussion générale de l'adresse, et j'ai voulu me réserver pour ce moment-ci, parce que, personne n'étant plus inscrit, cette discussion est sur le point de se terminer.

A la veille des élections de 1857, a paru à Anvers une petite feuille intitulée la Lanterne magique ; cette feuille était rédigée par un homme parfaitement connu du ministère et dévoué à ses intérêts. Permettez-moi, messieurs, de vous citer un article publié par ce journal, au commencement du mouvement d'Anvers, c'est-à-dire en 1861.

Voici cet article :

« La Lanterne magique, écrit électoral que tous les habitants d'Anvers et des environs se rappellent, vient de faire sa réapparition à propos de l'immense question des servitudes militaires.

« La Lanterne magique verra le jour pendant quelques semaines et disparaîtra avec les circonstances qui l'ont fait renaître.

« Nous voulons donner à nos lecteurs une idée du caractère de cet écrit.

« Sire, dit-il, permettez à un Manneken, qui vous considère comme le père du peuple, de vous parler le cœur sur la langue.

« Sire, les mesures violentes exécutées autour d'Anvers, le dommage causé aux propriétaires, sont mis en grande partie sur le compte de Votre Majesté.

« D'après la Constitution, Sire, Votre Majesté n'est pas responsable, et les ministres du Roi doivent répondre de tous les actes du gouvernement.

« Tous les hommes d'Etat savent cela, Sire, ainsi que tous ceux qui s'occupent de politique ; mais allez me faire comprendre cela aux habitants de la campagne !

« Avec leur bon sens-, les gens de la campagne ne cessent de dire : « Le Roi est le maître ; il est plus haut placé que les ministres ; tout doit plier devant lui ; et lorsqu'on élève autour d'Anvers de nouveaux remparts, de nouveaux forts, de nouvelles citadelles, c'est que le Roi le veut. »

« Des personnes qui, comme moi, Sire, ont dévoré bien des livres, ont beau dire qu'un Roi constitutionnel n'a jamais à répondre devant le pays que ce n'est pas lui qui fait, que ce sont ses ministres ; tout cela n'y fait rien, on me regarde de travers, on se moque ouvertement de moi et on continue à dire : « Le Roi est le maître, et s’il ne le voulût pas, cela ne se ferait pas. »

« La conséquence de tout cela, Sire, consiste en ceci : c’est que si, par suite de la construction des forts et des citadelles, les propriétés avoisinantes sont frappées des servitudes militaires et si leur valeur diminue, les intéressés disent tout simplement et tout net que c’est la faute de Votre Majesté.

« Nous avons beau chanter sur tous les tons que cela n'est pas, impossible d'arracher cette conviction de la tête des campagnards, et quand Votre Majesté vient visiter les travaux et les forts, on fait parfois de ces observations que le Manneken aime mieux ne pas dire à Votre Majesté.

« Eh bien, Sire, à la place de Votre Majesté, moi je ne voudrais pas cette tache sur mon règne ; je ferais cesser ces murmures ; je ferais justice.

« Il n'est, on effet, pas si difficile aux ministres de Votre Majesté de réunir quelques millions ; après tout, ils ne doivent pas les prendre dans leurs poches à eux, n'est-ce pas ?

« Quand il s'est agi de faire des fortifications nouvelles, les cinquante millions ont été trouvés à l'instant ; lorsqu'il a fallu de nouveaux canons, les quinze millions ont été mis dans la caisse du gouvernement comme par un coup de baguette. » (Interruptions.)

M. Allard. - Vous nous en faites voir de toutes les couleurs avec votre Lanterne magique. (Nouvelles interruptions.)

MpVµ. - M. d'Hane, veuillez vous renfermer dans la discussion de l'adresse.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - J'aurais fini, M. le président, si l'on m'avait laissé parler.

« Serait-il donc si difficile, Sire, de réunir l'argent nécessaire pour réparer le dommage que l'on cause eux propriétés qui entourent la ville d'Anvers et les forts détachés ?

« Si j'étais à la place de Votre Majesté, Sire, je ne voudrais pas devoir un centime à personne ; je ferais payer à tout le monde ce qui lui est dû en justice ; je voudrais regagner l'amour des populations : je ne voudrais pas surtout, Sire, qu'au jour de ma mort un père ou une mère pût dire à ses enfants : « Ne pleurez pas, mes enfants, si on n'avait pas construit des forts autour d'Anvers, vous seriez des enfants fortunés ; ne pleurez pas, car si le Roi l’eût voulu, nous ne serions pas ruinés. »

C'est un ami du ministère qui a écrit cela ; c'est un homme qui s'est promené souvent avec des ministres ; on n'osera pas dire le contraire ; mais un homme dont la conduite et les antécédents n'étaient pas faits pour lui donner accès dans les ministères, où il a cependant ses grandes et ses petites entrées. (Interruption.)

MpVµ. - Veuillez vous renfermer maintenant dans la discussion de l'adresse.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - M. De Fré m'a accusé.

MpVµ. - M. De Fré n'a plus parlé depuis l'ordre du jour ; c'était avant qu'il fallait lui répondre.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - M. Hymans a reproduit ces accusations avant-hier. J'ai donc le droit d'y répondre.

MpVµ. - M. d'Hane, vous avez répondu au fait personnel ; rentrez dans la discussion.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Il y a un autre fait personnel. On a beaucoup parlé d'une brochure au sujet de laquelle je serais heureux de pouvoir m'expliquer. Je ne craindrai pas de dire la vérité, parce que la vérité ne coûte qu'à ceux qui ont des reproches à se faire.

Messieurs, dans cette fameuse brochure, la seule à laquelle j'aie jamais coopéré, il y a deux points différents ; un côté politique et un côté religieux.

Je ne m'occuperai pas du second, parce que je ne reconnais à personne, ni dans cette Chambre, ni ailleurs, le droit de me faire un crime de croire ou de ne pas croire, parce que je veux que la liberté que vous invoquez si souvent sur vos bancs et dont on pourrait se défier lorsqu'on voit le parti doctrinaire à l'œuvre, me serve à dénier hier la divinité du Christ, si je le veux, et à croire aujourd'hui à la divinité du Christ, si je le veux encore. (Interruption.)

M. Ch. Lebeauµ. - C'est une conversion.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je ne m'occuperai dore pas du côté religieux ; il n'a rien à voir dans cette discussion ; mais je touche au côté politique.

Effectivement, cette brochure qui a paru, je crois, en 1857, vers l'époque des élections, est très radicale ; elle peut contenir des attaques assez vives contre le clergé. Mais qu'est-ce que cela prouve et pourquoi venir aujourd'hui, surtout vous libéraux, attaquer cette brochure publiée en 1857 ?

(page 222) Je ne nie pas ma coopération à cet écrit ; il était même à cette époque l’expression d'une partie de mes idées, Quoiqu'il porte un pseudonyme, quelques exemplaires peuvent être revêtus d'un cachet qui porte mon nom, et qui me sert à marquer tous mes livres indistinctement. C'est là ce qui aura donné à M. De Fré l'argument principal de son discours.

M. Ortsµ. - Vous me l'avez apportée vous-même.

M. d Hane-Steenhuyseµ. - Je ne le nie pas. Cette brochure retraçait une partie des idées que j'avais à cette époque.

Mais on a dit qu'elle m'avait rendu célèbre, qu'elle avait été répandue dans tout le pays. Je vais vous donner, messieurs, quelques détails à ce sujet, et vous verrez que, comme collaborateur d'un livre dont j'ai payé l'impression de mes deniers, je n'ai pas été très heureux. Il en avait été imprimé 2,000 exemplaires. Je les ai envoyés à Bruxelles, à M. Perichon, libraire, et au bout de quatre mots, il me les a renvoyés tous, à l'exception d'une soixantaine qui avaient été distribués. Ils ont servi depuis à allumer mon feu.

Voilà ce qu'est cette brochure qui avait fait sensation dans le pays. Personne ne la connaissait avant qu'il fallût prouver que la députation d'Anvers avait fait avec la droite un pacte, un marché.

Il est d'autres personnes, messieurs, qui, avec des brochures aussi ont eu plus de succès que moi ; je me rappelle certains publicités, très connus ayant une réputation universelle qui, à une autre époque, avaient d'autres idées que celles qu'ils professent aujourd'hui et qui annonçaient même qu’ils étaient prêts à suivre pieds nus jusqu'aux extrémités de la terre des hommes qu'ils renient aujourd'hui. (Interruption.)

Pourquoi, messieurs, a-t-on cité cette brochure ? Je l'ai déjà dit, mais je ne saurais trop le répéter, c'est parce qu'on voulait absolument dire au pays qu'un des députes d'Anvers, auteur de cette brochure, siège aujourd'hui sur les bancs de droite, lorsqu'il devrait être assis à gauche.

- Voix à gauche. - C'est cela.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Eh bien, ce député d'Anvers n'ira jamais s'asseoir sur les bancs de la gauche aussi longtemps que la politique doctrinaire y régnera en souveraine maîtresse.

MaeRµ. - Restez où vous êtes ; nous ne vous ambitionnons pas.

MpVµ. - M. d'Hane, je vous invite à rentrer dans la discussion de l'adresse.

M. Bouvierµ. - Il met de l'adresse à l'éviter. (Interruption.)

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je pense, messieurs, que l'affaire de cette brochure est une question vidée ; elle importe peu d'ailleurs aux intérêts généraux du pays.

J'ai dit ce que j'en pensais et je crois l'avoir fait en termes tels qu'on me dispensera désormais d'en parler encore.

Messieurs, l’honorable ministre des affaires étrangères a parlé hier des élections au point de vue des partis à Anvers et il a dit que, s'il l'avait voulu, il lui eût suffi d'imposer au trésor un sacrifice de deux millions pour conserver son mandat de représentant d'Anvers.

J'en demande pardon à M. le ministre, mais cette appréciation, je ne saurais l'admettre et je vais lui dire pourquoi.

C'est que depuis longtemps la faveur publique s'éloignait peu à peu de M. le ministre des affaires étrangères ; c'est que, depuis 1857 déjà, au sein même de l'association libérale, une très grande fraction de ses membres lui était hostile ; c'est que dès 1859, si M. le bourgmestre d'Anvers de cette époque n'avait pas mis en quelque sorte comme prix de son acceptation l'admission de M. le ministre des affaires étrangères, celui-ci n'aurait plus réussi à se faire agréer par le corps électoral. J'ai la certitude que M, le ministre des affaires étrangères ne contestera pas ce que je dis.

J'ajoute, messieurs, que le corps électoral d'Anvers, quoi qu'on en dise, est parfaitement logique : il ne veut plus de la politique doctrinaire ; il ne veut plus de la personnification qui soit l'expression de cette politique ; il veut des gens qui prennent à cœur les intérêts généraux du pays et non pas seulement les intérêts du ministère.

MaeRµ. - Il les a maintenant.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je le prouve.

Voulez-vous connaître la tolérance et les idées de liberté de l'association libérale ministérielle d’Anvers ? Elle dit à ses membres : Vous suivrez la ligne de conduite que je vous indiquerai ; les intérêts du ministère dominent tout ; périsse Anvers plutôt que le ministère !

C'est parce que moi et d'autres nous n'avons pas voulu subir ce joug qu'elle s'est scindée. (Interruption.)

- Voix àgauche. - Encore toujours la question d'Anvers ! Quand donc cela finira-t-il ?

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Cela ne finira pas, Je dois vous en parler encore pour vous dire que toutes les injures qui pourraient m'être adressées à ce sujet me laisseront parfaitement indifférent dans cette enceinte ; mais que je saurai les relever et me faire respecter au-dehors.

Je déclare encore une fois que je ne suis entré dans cette Chambre qu'animé des intentions les plus pures ; je ne suis asservi à aucun parti politique, et je ne veux que le bien du pays.

Libre je suis entré dans cette Chambre et libre j'entends y rester. Quant à mes pensées intimes, à mes croyances, à mon honneur personnel, je saurai les défendre au péril de ma vie.

- Voix à gauche. - Oh ! oh !

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Oui, je les défendrai ; pensez-vous donc que le danger m'effraye ?

L'honorable M. Hymans m'a fait hier un piédestal que je n'ambitionnais certes pas. Il a dit que bientôt je prétendrais avoir sauvé la Belgique.

Le corps électoral d'Anvers, je le sais, a été trop bon, trop bienveillant pour moi, et je sais parfaitement aussi qu'il eût pu trouver des mandataires plus aptes que moi à le défendre.

Mais l'expérience que j'ai acquise des hommes et des choses, dans mes voyages ; les quelques services que j'ai pu rendre déjà à la province et à la commune d'Anvers, et surtout mon dévouement inaltérable à la grande cause anversoise, lui ont paru suffisants pour justifier à ses yeux la confiance dont il voulait bien m'honorer.

Cette noble cause anversoise, qui acquiert d'autant plus de vitalité qu'on fait plus d'efforts pour l'écraser, trouvera toujours en moi un défendeur qui ne cessera de combattre que lorsque toute justice lui aura été rendue.

M. de Conninckµ. - Messieurs, l'honorable M. Orts nous à dit que le moment était venu, pour la gauche, de déployer largement son drapeau, afin que le pays pût en distinguer les couleurs. Nous aussi, messieurs, nous croyons le moment favorable de montrer une fois de plus à la Belgique entière la couleur du drapeau qui nous guide. Je dis la couleur, notre drapeau n'en a qu'une, celle de la liberté.

Les amis de la vraie liberté, de la liberté sincère sont tous dans nos rangs. Vous, les partisans du gouvernement basé sur l'anéantissement des volontés individuelles, vous êtes les ennemis de la liberté.

Je vais vous le prouver.

La division des Belges en catholiques et libéraux n'a plus aucun sens aujourd'hui.

Par rapport à leur cause, les hommes ne se divisent vraiment qu'en deux catégories : d'un côté, vous avez ceux qui, ayant une opinion quelconque, désirent obtenir pour elle le droit de l'exposer, de la propager par la persuasion ; appelez-les cléricaux ou démocrates, ce sont les amis de la liberté. De l'autre côté sont tous ceux qui, ayant un drapeau quelconque, ne combattent en réalité que dans le désir d'arriver, par la liberté ou autrement, à faire de leur opinion l'arbitre exclusif des destinées de la Belgique. Appelez-les libéraux ou républicains ; ce sont les ennemis de la liberté, votre discipline même le prouve.

Notre drapeau n'a qu'une couleur, celle de la liberté.

Mais comme toute couleur, elle a ses nuances, et ces nuances vous en trouverez dans nos rangs ; elles prouvent, mieux que toute protestation notre indépendance. '

La droite, nous a dit l'honorable M. Orts, a souvent forcé les ministres choisis dans ses rangs à remettre leurs portefeuilles au Roi ; c'est une preuve de plus que la discipline est inconnue parmi nous, et que la liberté a toujours été notre unique but, même malgré nos intérêts. (Interruption.)

Ah ! si la droite avait été disciplinée, dominée et absorbée comme la gauche l'est par l'honorable ministre des finances, vous n'auriez pas eu si souvent occasion de gouverner non pas, malgré nos vœux, mais contre nous.

En réalité, avouez que vous n'êtes nullement disposés à vous contenter du régime de la liberté. Vous avez en vue quelque chose de moins libéral encore que l'absolutisme des majorités numériques. Votre but est de fonder, en dépit de toutes les résistances, la domination d'un certain système, d'un ordre de choses déterminé, que vous avez conçu comme le seul régime rationnel et légitime.

Votre conduite est la négation de la liberté.

Le régime de la liberté, c'est l'absence de toute domination exclusive, de celle des majorités comme de celle d'un individu.

Notre programme, c'est la liberté en tout et pour tous, le progrès continu et gradué.

Ce que je demande et le pays avec moi, soyez-en bien persuadés, c'est l'élection directe des bourgmestres et des échevins par les électeurs, (page 223) (interruption) ou par les conseils communaux, pour avoir à la tête de la commune les représentants des électeurs, et non des (un mot illisible) ministériels.

Le suffrage universel pour la commune et la province. L’amélioration du sort des classes laborieuses par l’instruction et la réduction des impôts qui pèsent sur l’alimentation publique, notamment sur le sel et la bière.

L'application sincère des articles de la Constitution sur la liberté de la presse (article 14) et sur l'usage des langues (article 23).

Abolition de la conscription, remplacée par le recrutement volontaire.

Et enfin la diminution des dépenses et des charges militaires.

J'ajouterai la démolition des citadelles d'Anvers, à moins qu'une enquête impartiale et sincère ne vienne démontrer l'absolue nécessité de les maintenir dans l'intérêt du pays et de la défense nationale.

- Voix à gaucle. - « A moins que » est de trop.

M. de Conninckµ. - Oui, messieurs, je préfère, dans l'intérêt du pays et de la défense nationale, tendre une main amie à la courageuse population anversoise, que j'admire, au maintien de quelques murailles en briques, dont le pays mécontent cherche vainement la nécessité. (Interruption.)

MpVµ. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits dans la discussion générale.

La discussion générale est close.

Discussion des paragraphes

Paragraphes 1 à 3

« Sire,

« Les témoignages d'affection et de dévouement dont Votre Majesté a été l'objet sont l'expression sincère et juste de la reconnaissance publique. »

- Adopté.


« La Chambre aime à constater une fois de plus que les gouvernements étrangers donnent au Roi des Belges des marques incessantes de sympathie et de confiance. »

- Adopté.


« Neutre, mais bienveillante pour tous, libre et laborieuse, la Belgique a droit à l'estime de l'Europe. »

- Adopté.

Paragraphe 4

« L'abolition du péage de l'Escaut satisfait de légitimes et séculaires aspirations. Une dynastie nationale restitue à nos provinces indépendantes ce qu'avait laissé perdre l’insouciante domination de maîtres étrangers. Une conquête pacifique fortifie et complète notre union fraternelle avec un peuple voisin et ami. Elle consacre le triomphe définitif des principes de liberté dans le droit public des Etats maritimes. »

M. Delaet. — Messieurs, si, dans le discours du Trône et le projet d'adresse, on s'était borné à applaudir au rachat du péage de l'Escaut comme à une mesure financière favorable au commerce et à la navigation, je me serais gardé de prendre la parole, je me serais associé de cœur à ces félicitations. Certes, ni moi, ni aucun habitant d'Anvers, nous ne nous serions inscris en faux contre cette prétention, nous n'aurions refusé de ratifier cet éloge.

Mais c'est encore un trait caractéristique de la politique doctrinaire que cette exagération de toutes choses, cette habileté qu'elle apporte à transformer un simple acte de bonne administration en un fait d'une haute portée politique, devant faire époque dans l'histoire du pays.

Une opération essentiellement financière, la capitalisation d'une rente au moyen de fonds fournis pour les deux tiers par l'étranger, opération très habile, je le veux bien, a été transformée en une grande mesure économique et politique.

Je regrette que le paragraphe de l'adresse qui se discute en ce moment, ait été produit dans le débit aujourd'hui. Demain j'aurais été armé de toutes pièces, j'aurais pu citer, textes en mains, l'opinion de beaucoup d'honorables membres de cette assemblée et surtout celle de M. le ministre des affaires étrangères, pour prouver que jamais le péage de l'Escaut n'a été considéré comme un tribut honteux, le mot est dans le rapport de 1839. On dit dans ce rapport que l'Escaut est libre, que le péage de fl. 1-50, loin d’infirmer cette liberté, l'affirme ; que c'est le payement, peut-être un peu cher, mais enfin le simple payement de services rendus par la Hollande pour l'entretien du fleuve et de la concession du droit de pêche accordé à la Belgique dans les eaux hollandaises. Voilà comment la mesure a été considérée quand il s'est agi de faire adopter le traité des 24 articles.

Aujourd'hui on prétend que l'Escaut n'était pas libre. L'Escaut n'était pas libre ! Et depuis trente-trois ans, nous ne nous sommes pas ressentis des entraves dont on prétend l'avoir délivré !

Je ne crois pas que les Belges soient si habitués à l'esclavage, qu'ils puissent porter des chaînes pendant si longtemps sans même sans apercevoir.

Cette mesure financière, bonne d’ailleurs, je l’ai déjà dit, a eu le tort grave de la mettre au débit d’Anvers. On a voulu entreprendre d’organiser de tête, de faire du bruit et d’étouffer sous ce bruit la grande voix de la cité qui demandait en vain une sécurité solennellement promise et garantie.

Mais Anvers a dit : Peu importe un peu plus de liberté financière à l'embouchure du fleuve quand, dans la rade même, toute sécurité est compromise.

Voilà pourquoi dans tout Anvers il n'y a pas eu 40 maisons habitées par des Anversois où l'on ait allumé un lampion. L'illumination, cette illumination dont on a fait tant de bruit à l'intérieur, a été à Anvers invisible à l’œil nu ; pour la rendre resplendissante et générale, il a fallu le télescope complaisant des journaux ministériels.

On veut inscrire, ai je dit, cette mesure au débit d'Anvers et nous reprocher notre éternelle ingratitude. (Interruption.)

Mais l'ingratitude anversoise ne se discute pas. Pour vous, messieurs, elle est de tradition, elle constitue un article de foi ! C'est donc au débit d'Anvers que vous mettez cette mesure... (Interruption.)

Vous riez ! Riez tant qu'il vous plaira ; vos rires ne sont pas un argument. Vous vous servez là, je vous en préviens, d'une arme qui ne m'atteint pas. Habitué à parler devant cinq à six mille personnes, je ne me laisserai pas déconcerter par une cinquantaine d'interrupteurs, si haut qu'ils puissent crier.

Riez, riez ; mais que ceux qui rient viennent donc rire, ici à mon banc, et nous verrons ! (Interruption.)

Je dis donc qu'on met cette mesure au débit d'Anvers et pourtant c'est au crédit d'Anvers qu'il la faudrait mettre ; car c'est Anvers qui l'a payée de sa prospérité et de la perte de son transit. Quand, en 1853 et 1854, la Hollande supprima le droit de tonnage et réduisit le droit de pilotage sur la Meuse, Anvers, par l'organe de sa chambre de commerce, a réclamé des avantages équivalents pour l'Escaut.

Quant au droit de tonnage, il y avait justice à lui accorder sa demande ; quant au droit de pilotage, il y avait droit strict et formel. Pourtant on nous a dit non ; on verrait dans quelque temps ; il y avait une grave mesure à prendre ; il fallait attendre ; plus tard on nous donnerait satisfaction. Puis quand on n'a plus pu y tenir, on a dit à la ville : Prêchez d'exemple.

En 1860, l'administration communale a donc diminué les droits de quai, les droits de port, tout ce qui relève d'elle. Qu'a fait alors le gouvernement ? A-t-il immédiatement donné à la ville l'autorisation de mettre ces mesures à exécution ? A-t-il approuvé la décision de la ville ?

Non. II a tenu la décision dans ses cartons jusqu'en 1863. Il y avait là une contre-valeur de plus à offrir aux Etats appelés à payer leur part du prix de rachat.

La ville d'Anvers a encore fait un grand sacrifice aux convenances du trèsor. Elle a payé le rachat de la perte de son transit, au profit de Rotterdam. Elle ne s'en plaint point, au moins elle ne récrimine pas. Elle veut bien apporter sa part de sacrifices, sa large part ; mais elle ne veut pas qu'on inscrive à son débit ce qui doit figurer à son crédit.

On parle d'affranchissement. Mais c'est asservissement de l'Escaut qu'il faudrait dire. (Interruption.)

Vous avez renoncé à votre droit de souveraineté sur l’Escaut.

Je ne suis pas partisan des droits différentiels, seulement je ne voudrais pas vendre mon droit d'aînesse pour un plat de lentilles, je ne voudrais pas renoncer au droit de frapper d'un péage la pratique d'un fleuve, renoncer virtuellement, par traité, contre argent comptant, à mon droit de souveraineté.

Ne pas faire usage d'un droit et aliéner ce droit, vendre ce droit, ce sont là choses profondément distinctes. Et cependant pour racheter une rente, c'est la souveraineté que vous avez vendue.

Il eût donc été très convenable que, pour ce rachat, cette opération financière, vous fussiez plus modestes et dans ce cas on vous eût applaudis.

Aussi la conscience publique devait protester et elle l'a fait.

M. Allard. - Je crois bien ! Anvers proteste contre tout.

M. Delaetµ. - M. Bara, tout à l'heure, a parlé d'oripeaux.

M. Baraµ. - Je n'ai pas parlé d'oripeaux à propos d'Anvers.

M. Delaetµ. - Non, mais vous avez parlé d'oripeaux à propos de politique.

Eh bien, quand la question aura été débarrassée des oripeaux (page 224) officiels, dont on s’est tant donné de peines pour l’affubler, le grand mot « affranchissement de l’Escaut », appliqué à un simple rachat de péage, fera faire au pays ce que vous avez essayé de faire tout à l’heure, il le fera rire.

- Plusieurs voix à gauche. - Ne répondez pas !

MaeRµ. - Je n'y ai pas pensé un instant.

- Le paragraphe 4 est adopté.

Paragraphe 5

« Les facilités nouvelles destinées à accroître nos relations commerciales avec les marchés extérieurs, sont le complément logique de ce glorieux affranchissement. »

M. B. Dumortier. - Je voudrais bien qu'on me dise quelles sont les facilités que le ministre a offertes au commerce, car quand on parle au Roi et quand on parle au pays il fait savoir ce que l'un dit.

J'ai beaucoup cherché les facilités nouvelles dont on parle et je déclare que je n'ai pu les trouver nulle part.

Je demanderai une explication sur ce paragraphe à l'honorable rapporteur ou à M. le ministre.

M. Coomans. - Une grande facilité commerciale que l'on pourrait offrir à la Belgique, à Anvers notamment, serait celle qui a été décrétée par la Chambre : la construction d'un chemin de fer direct d'Anvers à Düsseldorf.

Cette nécessité devient plus urgente d'heure en heure, attendu que chacun sait en Belgique que la lutte est établie entre Anvers et Rotterdam.

Cet excellent chemin de fer a été décrété par la Chambre, il a même figuré au Moniteur. Je désirerais savoir où en est la réalisation de cette voie ferrée.

MaeRµ. - Messieurs, M. le ministre des travaux publics répondra sans doute à l'honorable M. Coomans. Je répondrai moi exclusivement à l'honorable M. Dumortier.

L'honorable M. Dumortier dit qu'il ne voit pas en quoi consistent les mesures qui ont concouru à rendre les relations commerciales plus faciles.

L'honorable membre manque complètement de mémoire. Je suis surpris qu'il ne connaisse pas les mesures qui ont été prises à la suite de la suppression du péage de l'Escaut.

Le droit de tonnage qui pesait sur la navigation et qui rapportait au trèsor plus d'un million a été entièrement aboli. Voilà bien une facilité, je crois.

Le droit de pilotage a été réduit notablement, seconde facilité.

Les droits de ville ont été réduits aussi dans une certaine proportion. Troisième facilité.

Voilà les obstacles financiers qui pesaient sur la navigation et qui ont disparu. M. Dumortier est-il satisfait ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Messieurs, la Chambre se rappelle qu'elle a voté en effet le chemin de fer direct d'Anvers à Düsseldorf.

Ce chemin de fer, messieurs, doit passer par le territoire néerlandais ; il ne peut donc se construire qu'avec l'assentiment du gouvernement néerlandais.

M. Coomans. - C'est pour cela que je me suis adressé à M. le ministre des affaires étrangères.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Parfaitement. Je vais vous fournir l'explication que vous désirez. Nous avons donné information de la mesure législative prise ici au gouvernement néerlandais et au bout de quelque temps celui-ci a fait une réponse dilatoire.

Mon collègue M. le ministre des affaires étrangères m'a fait parvenir cette réponse et j'ai fait préparer pour réfuter les observations présentées par le gouvernement néerlandais une note développée que j'ai transmise à mon collègue des affaires étrangères, attendu que c'est par son intermédiaire que la négociation doit se poursuivre.

C'est une sorte de mémoire résumant tous les points que cette affaire soulève, établissant le droit de la Belgique de passer par le territoire néerlandais, car je pense qu'elle a ce droit, et de plus l'équité de la demande de la Belgique en ce qui concerne le tracé.

L'affaire en est là, messieurs ; les négociations se continuent à La Haye par notre agent diplomatique, et nous attendons une nouvelle réponse du gouvernement néerlandais.

J'estime, messieurs, que nous pouvons avoir confiance dans la bonne réussite finale de cette affaire.

J'estime que cette réussite n'est qu'une question de temps et de patience. Tous les efforts de notre diplomatie doivent tendre à hâter une solution qui, je le répète, ne semble pouvoir être que favorable.

M. de Theuxµ. - Messieurs, quand le gouvernement néerlandais se montrait dans le principe peu disposé à faciliter ses relations avec la Belgique par les voies ferrées, depuis ses dispositions se sont grandement modifiées. C’est lorsqu’il a concédé le chemin de fer dans la direction de Hasselt.

Depuis lors, le gouvernement belge a concédé de son côté un chemin de fer qui facilitait les relations de Hasselt avec Anvers et Bruxelles.

Ce n'est pas la seule concession que le gouvernement des Pays-Bas ait faite. Il a autorisé la construction d'un chemin de fer de Liège à Maestricht se mettant en relation avec ses propres lignes.

Je ne puis donc douter, quant à moi, que cet esprit large qui a présidé aux deux concessions dont je viens de parler, ne s'étende au chemin de fer d'Anvers dans la direction de...

Le gouvernement néerlandais est trop ami, je pense, de tout ce qui peut favoriser le commerce, pour qu'il s'arrête strictement au passage par le canton de Saltors, désignée par le traité, et qu'il ne conseille pas la direction de Ruremonde.

J'espère donc que, par les soins du Gouvernement, on arrivera à une solution sur cet important projet.

M. Coomans. - Messieurs, je prends acte de la déclaration que vient de faire M. le ministre des affaires étrangères. Je n'ajoute qu'un mot, c'est que nous avons été unanimes avec le gouvernement pour maintenir note droit de passage à travers le Limbourg néerlandais.

- Le paragraphe 5 est adopté.

Paragraphes 6 à 11

« Les efforts intelligents de nos travailleurs sauront féconder de tels avantages par le développement continu de l'agriculture, du commerce et de l'industrie. »

- Adopté.


« Il est doux pour la Chambre de penser, avec Votre Majesté, qu'après des épreuves courageusement supportées, et auxquelles une abondante récolte est venue apporter un premier soulagement, nos populations laborieuses peuvent espérer une ère de prospérité, récompense méritée de leur patience et de leur activité. »

- Adopté.


« L'influence bienfaisante de la libre concurrence se manifestera avec une énergie nouvelle, grâce aux réformes libérales de nos tarifs douaniers, grâce à la multiplication de moyens de transport rapides et plus économiques. »

- Adopté.


« La situation satisfaisante du Trésor permettra l'accomplissement de ce progrès, comme elle a permis de poser un grand acte de justice vis-à-vis des employés de l'Etat, de la magistrature, de l'armée et du clergé. »

- Adopté.


« Une révision de nos codes conçue dans la pensée d'offrir plus d'air et plus d'espace à la libre expansion de l'activité individuelle sera favorablement accueillie. »

-Adopté.


« La Chambre étudiera, avec le soin que réclame un pareil intérêt, le projet de Code rural et les principes destinés à former la base d'une organisation judiciaire nouvelle. »

- Adopté.

Paragraphe 12

« Affranchir l'action de nos communes dans le règlement de leurs intérêts propres, c'est continuer des traditions nationales qui ont fait de tous temps la force et l'honneur du pays. Simplifier et accélérer la marche des affaires communales, c'est rendre aussi l'exercice du pouvoir central pus facile et plus populaire. »

M. de Theuxµ. - J'approuve ce paragraphe. Mais à cette occasion je rappelle que M. le ministre de la justice a promis à 'a Chambre des représentants et au Sénat une loi complète sur les enquêtes parlementaires relatives à la vérification des pouvoirs.

Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur qu'il veuille bien prendre aussi l'engagement vis-à-vis de la Chambre de présenter une loi organique relativement aux enquêtes à faire quant à la vérification des pouvoir tant pour les conseils provinciaux que pour les conseils communaux.

M. de Mérode. - Et surtout pour les conseils communaux.

M. de Theuxµ. - C'est ici, messieurs, une nécessité de premier ordre. Il n'y a plus de liberté communale, si le système qui a été mis en action depuis quelques années continue et se développe.

Je demande que cette matière soit réglée par une loi précise. J'espère que M. le ministre de l'intérieur n'hésitera pas à faire la promesse que je réclame.

25

(page 225) M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je ne me refuse pas à examiner la question que vient de poser l'honorable comte de Theux, mais je ferai remarquer que cette question est soulevée pour la première fois dans cette enceinte et qu'elle exige un examen très sérieux.

Parfois, sous l'impression de certains faits., l'on demande la modification d'une législation qui existe depuis longtemps sans avoir donné lieu à la moindre réclamation. Il faut, je pense, se défier un peu de ces mouvements précipités, de ces impressions de circonstance.

Si je prenais aujourd'hui l'engagement de proposer un projet de loi pour régler les enquêtes et tout ce qui concerne la vérification des pouvoirs des membres des conseils provinciaux et des conseils communaux, je m'exposerais à prendre un engagement qui pourrait être de nature à restreindre les attributions des corps respectables nommés par élection et à qui la législation actuelle donne la mission de vérifier les pouvoirs des conseillers de la province et des communes.

Je ne dis pas qu'il n'y a rien à faire ; je consens à examiner, mais je refuse catégoriquement de prendre, quant à présent, l'engagement de présenter à la Chambre le projet de loi réclamé par l'honorable comte de Theux.

M. B. Dumortier. - J'appuie de tous mes moyens la motion qui est faite par mon honorable ami M. le comte de Theux.

L'honorable ministre de l’intérieur répond à mon honorable ami que la question est nouvelle. Mais si la question, qu'a posée mon honorable ami, est nouvelle, c'est que les abus sont nouveaux ; c'est que ce n'est que depuis très peu de temps que nous sommes entrés dans un système diamétralement opposé à celui qui existait autrefois.

Rappelez vous, messieurs, qu'il y a quelques années, lorsque dans une commune du Brabant, à Thollembeek, la députation permanente annula les élections après le délai prescrit par la loi, des réclamations très fortes de la gauche et de la droite s'élevèrent contre une pareille prétention de la députation permanente. Des hommes animés du seul sentiment de la dignité communale, de la liberté communale, protestèrent dans cette enceinte, et renvoyèrent au ministère une pétition qui demandait le redressement d'un pareil système.

Eh bien, ce renvoi qui avait été fait par les deux opinions n'a amené aucun résultat.

Les faits qui devaient être discutés n'ont jamais été soumis au parlement.

MaeRµ. - C'est encore une erreur de l'honorable M. Dumortier. Il y a eu un rapport déposé, imprimé et distribué.

M. B. Dumortier. - Je dis que le rapport devait être discuté.

MaeRµ. - C'est votre faute, s'il ne l'a pas été.

M. B. Dumortier. - Ce que je dis n'est donc pas une erreur ; c'est la vérité. Le rapport n'a pas été discuté par le Parlement.

MaeRµ. - Il y a deux ans qu'il est déposé.

M. B. Dumortier. - Mais laissez donc, M. le ministre. Si je me trompe, vous me répondrez ; mais quand je dis la vérité, ayez le courage de l'entendre.

Je dis que le rapport qui devait être discuté ne l'a pas été ; que la discussion que la Chambre avait promise sur cette question si grave, n'a pas eu lieu.

Au lieu que les observations qui avaient été faites au sein du parlement et qui avaient un cachet d'importance extrême, vinssent signaler un temps d'arrêt à ce que j'appelle, et ici j'use de mon droit, les abus de pouvoir des députations permanentes, nous voyons ces abus de pouvoir s'étendre tous les jours, s'accroître incessamment et devenir un véritable fléau pour le corps électoral.

Dans la province que j'ai l'honneur de représenter, quatre villes ont vu leurs élections annulées par des arrêts de la députation permanente ; quatre villes ont vu des enquêtes faites à huis clos, sans entendre personne, sans la communication aux prévenus des griefs articulés contre eux ; enquêtes au moyen desquelles on annulait des élections et que le lendemain le peuple, dans sa vengeance, stigmatisait par un vote solennel.

Je suis dans mon droit quand je m'exprime ainsi et d'autant plus dans mon droit que j'ai pour moi le corps électoral, que j'ai pour moi la voix du peuple qui vient protester contre les actes de la députation permanente.

Eh bien, que se passe-t-il ? On fonde l'annulation des élections sur des faits démentis le lendemain, en plein conseil communal par les personnes qui en avaient été l’objet.

Je dis que c’est là un abus scandaleux et que s’il est commis par un corps émanant de l’élection populaire, il y a quelque chose au-dessus de ce corps, c’est l’élection populaire elle-même, qui vient protester contre ces faits.

Je dis que la loi communale a fixé un délai fatal et que si les élections ne sont pas annulées dans ce délai, elles ne peuvent plus l'être.

Il ne peut pas être permis, comme on l'a fait à Courtrai, par exemple, de prendre un arrêt interlocutoire qui n’existe pas dans la loi pour éluder la loi elle-même. C'est là un abus, et peu importe qu'il ait été commis par un agent ministériel ou par un corps électif, c'est toujours un abus, et il faut le faire cesser.

Je ne doute pas que l'honorable ministre de l'intérieur, lorsqu'il aura mûrement examiné la question, ne reconnaisse que si c'est la première fois que cette question est soulevée à la Chambre, c'est que c'est aussi la première fois qu'un abus aussi scandaleux est signalé.

MaeRµ. - Je ne crois pas que l'élection de Thollembeek soit à l’ordre du jour. On a fait, en effet, grand bruit dans cette enceinte d'une décision prise par la députation permanente du Brabant sur les élections de Thollembeek. L'honorable M. de Theux demanda un rapport ; je déposai ce rapport, il fut imprimé et on fixa même le jour de la discussion, mats ce jour-là l'honorable M. de Theux, qui avait paru pressé d'aborder la discussion, se trouva absent, et depuis lors je n'ai plus entendu parler de l'élection de Thollembeek.

Je ferai observer à la Chambre que la question a été examinée par une commission composée de jurisconsultes parfaitement impartiaux, et qui n'ont pas jugé aussi sévèrement que l'honorable M. Dumortier la décision de la députation.

Je pense, messieurs, que les députations, qui sont des corps électifs et qui n'ont pas de représentants dans cette enceinte, devraient être un peu plus respectés. On parle toujours du grand respect que l'on professe pour les électeurs ; mais on devrait reporter un peu de ce respect sur des corps électifs où l'on ne peut pas trouver, quoi qu'on fasse, la main du gouvernement. Je proteste, pour ma part, contre la manière brutale dont on traite ici les députations permanentes.

M. Wasseigeµ. - Le gouvernement ne les ménage pas toujours non plus.

MaeRµ. - Quand le gouvernement critique les actes d'une députation il ne se sert pas d'un langage pareil à celui qu'on a employé ici.

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas attaqué les personnes ; j'ai critiqué les actes.

MaeRµ. - J'ai le droit de dire que vous avez traité les députations avec beaucoup de violence et d'une manière parfaitement injuste.

Maintenant, messieurs, quand on voudra discuter le rapport que j'ai déposé il y a deux ans, le gouvernement est prêt ; mais ce n'est pas dans la discussion de l'adresse que cette affaire peut trouver sa place.

M. de Theuxµ. - Il est très vrai, messieurs, que l'honorable ministre des affaires étrangères, alors ministre de l'intérieur a communiqué à la Chambre un rapport sur les élections de Thollembeek. Il est encore vrai que j'avais demandé ce rapport pour que nous pussions apprécier les motifs sur lesquels on se fondait pour annuler des élections communales après l'expiration du délai fixé par la loi. Plusieurs commentateurs de la loi communale et plusieurs députations permanentes croient que, le délai d'un mois expiré, l'élection est valide ; quant à moi, j'ai lu très attentivement le rapport déposé par l'honorable M. Rogier et, malgré ce rapport, je suis demeuré convaincu que, ce délai expiré, le droit de la députation vient à cesser.

Du reste, messieurs, ceci est un point spécial qui ne touche en rien à ce que j'ai dit de la nécessité d'une loi sur le droit d'annuler les élections communales ou provinciales. M. le ministre dit qu'il hésite encore, que c'est une question grave, mais il ne devrait pas hésiter en présence de ce qu'a fait la Chambre.

La Constitution donne à la Chambre le droit de vérifier les pouvoirs de ses membres. Longtemps on s'est borné à discuter les faits signalés de part et d'autre dans cette Chambre, quelquefois même on demandait une instruction administrative ; mais depuis lors des élections de Louvain, on a commencé à comprendre l'importance de la matière et on a exigé des garanties ; c'est alors qu'on a fait la loi sur l'enquête de Louvain. On a vu fonctionner cette loi et on a vu qu'elle était insuffisante.

La Chambre et le gouvernement lui-même l'ont reconnu et des (page 226) modifications ont été adoptées ; récemment au Sénat, on a signalé encore d’importantes lacunes et on a demandé une loi plus complète. M. le ministre de la justice s’est engagé à compléter la loi actuelle.

Mais, messieurs, si une loi organique est nécessaire pour les enquêtes parlementaires. une pareille loi est bien plus nécessaire encore quand il s'agit d'élections communales parce que là la garantie de la discussion publique, qui existe pour les élections générales, fait complètement défaut.

Voici, messieurs, ce qui peut se passer, car enfin l'esprit de parti est possible et si les abus n'étaient pas possibles, on ne ferait aucune loi. C'est à cause des abus possibles qu'il y a une quantité de lois qui ont pour objet de régler des formalités et de donner des garanties aux citoyens.

Eh bien, il n'existe aucune loi sur la vérification des pouvoirs des conseillers communaux et des conseillers provinciaux. Je suppose qu'un parti vaincu, soutenu par une députation permanente, formule une plainte ; cette plainte est examine à huis clos, la partie plaignante est tenue au courant des dispositions de la députation ; on lui donne le temps de préparer l'élection future, et quand tout est prêt, arrive tout à coup l'annulation et les élections nouvelles sont fixées à bref délai ; on peut ainsi surprendre le corps électoral et obtenir un résultat inconstitutionnel.

Je dis que je m'étonne que M. le ministre de l'intérieur n'ait pas compris lui-même instantanément la nécessité d'une loi et qu'il hésite à prendre un engagement à cet égard.

J'espère que, réflexion faite, il n'hésitera plus et que nous serons saisis prochainement d'un projet de loi sur cette matière extrêmement importante.

M. de Haerne. - Messieurs, je comprends jusqu'à un certain point que M. le ministre de l’intérieur demande à réfléchir sur la question qui vient d'être soulevée. Il a allégué un motif que j'ai très bien compris, lorsqu'il a dit qu'il craignait de limiter l'action d'un corps électif. Ce principe je l'admets ; c'est un principe libéral, il faut le respecter.

Messieurs, l'honorable M. Dumortier a fait remarquer avec beaucoup de vérité et de justice qu'il s'agissait, d'un autre côté, de corps électifs qu'il faut faire respecter, et si un conflit éclate entre ces deux éléments démocratiques, il faut bien tracer des règles pour amener la conciliation et sauvegarder la liberté.

Je ferai remarquer que l'action de la députation permanente, corps indirectement élu, en ce qui concerne la vérification des pouvoirs des conseils communaux, est déjà limitée par la loi. La députation permanente ne peut, en vertu de la loi, procéder d'une matière tout à fait arbitraire ; une limite lui est imposée ; c'est que les arrêtés d'annulation doivent être motivés.

Eh bien, je voudrais étendre un peu plus loin non pas la limitation des pouvoirs de la députation permanente, mais la régularisation de ces pouvoirs à l'égard de corps élus directement.

Messieurs, y a-t-il quelque chose de plus étrange, de plus révoltant que de voir une enquête faite à huis clos, dans laquelle on accuse certaines personnes sans les appeler, qui est suivie d'une annulation basée sur les accusations portées contre ces personnes que l'on n'a pas voulu entendre, et qui, le lendemain, protestent énergiquement ? Il y a évidemment là quelque chose de tellement révoltant qu'il faut y mettre ordre.

Mais il y a en outre là une véritable violation de la loi.

L'honorable ministre des affaires étrangères nous parle d'un rapport qui a été élaboré par une commission d’hommes très compétents, relativement à l'annulation des élections de Thollembeek.

J'ai lu ce rapport ; mais je dis que je ne conçois pas comment il est possible d'interpréter autrement la loi, si ce n'est que lorsque le terme fatal est expiré, les élections doivent être validées.

La loi a donc, à propos des élections de Courtrai, été violée et cette annulation, faite sans enquête contradictoire, est vraiment scandaleuse.

Je demande que M. le ministre de l'intérieur réfléchisse aux moyens d'empêcher que ces abus ne se reproduisent et j'espère qu'après y avoir réfléchi, il nous apportera une loi sur la matière.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je n'aurais plus demandé la parole ; mais l'honorable préopinant vient de dire que la députation permanente de la Flandre occidentale a violé d'une manière scandaleuse...

M. de Haerne. - Non, j’ai dit que la loi avait été violée et que les accusations se sont produites d’une manière scandaleuse.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Si je vous, ai mal compris ou si vous rétractez vos paroles, je n'ai rien à dire.

M. de Haerne. - Je me suis peut-être expliqué d'une manière incomplète ; mais je déclare que mon intention n'a pas été de porter atteinte à la considération de la députation permanente.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'avais cru comprendre que l'honorable membre avait dit que la loi avait été violée d'une manière scandaleuse. Mais si la loi avait été violée, elle ne pouvait l'être que par la députation permanente.

Je ne puis laisser articuler ce reproche grave. La députation permanente, corps indépendant, a agi dans la plénitude des droits que lui donne la loi.

M. de Haerne. - Je respecte les intentions, mais je ne respecte pas le fait. Le fait est scandaleux.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je respecte aussi vos intentions, mais je ne puis admettre avec vous que la loi ait été violée d'une manière scandaleuse par la députation, je ne puis laisser dire cela sans protester.

Je dis que la députation permanente de la Flandre occidentale a usé de son droit.

- Un membre. - A abusé.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La députation permanente de la Flandre occidentale a usé de son droit d'examiner ; elle a pu apprécier les faits de telle manière ou de telle autre, mais celui qui use de son droit ne nuit à personne.

La députation permanente pouvait annuler les élections, dont parle l'honorable M. de Haerne, sans faire d'enquête. Elle pouvait se tenir satisfaite des renseignements qu'elle avait obtenus d'autre part.

Ce qui s'est passé dans la Flandre occidentale et ce qu'on attaque aujourd'hui, s'est passé dans toutes les autres provinces. Dans toutes, des élections communales ont été annulées, et c'est peut-être la députation permanente de la Flandre occidentale qui a, si ma mémoire est fidèle, annulé le moins d'élections communales.

M. Wasseigeµ. - Mais les plus grosses.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Probablement parce que c'était là qu'il y avait les plus gros abus.

M. B. Dumortier. - Les élections l'ont prouvé.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Les élections ont prouvé que la majorité est restée la même, et voilà tout !

Je disais qu'il y a des provinces où les annulations sont fréquentes, là bien des élections sont annulées sans enquête aucune, après une instruction faite à huis clos et cependant vous ne réclamez pas !

Je le répète, messieurs, sans vouloir me prononcer d'une manière définitive, et sans prétendre qu'il n'y ait rien à faire pour régler le droit d'enquête, je persiste à croire qu'il ne faut toucher qu'avec prudence à nos lois organiques, et aux prérogatives d'un corps constitué respectable, qui tient ses prérogatives de la loi, et cela, parce que des députations viennent de poser un acte que quelques-uns d'entre vous n'approuvent pas et dont ls se plaignent pour la première fois.

J'examinerai, mais je ne puis prendre l'engagement de présenter un projet de loi.

M. de Theuxµ. - Je ne prétends pas que la députation de la Flandre occidentale ait violé un texte positif de loi, sauf quant aux délais. Là nous ne sommes pas d'accord. Je conviens que, dans l'instruction, la loi a laissé une grande latitude. Mais plus la latitude est grande, plus le corps qui porte une sentence doit suivre les règles de l’équité naturelle. Or, le droit naturel prescrit, lorsqu'il s'agit d'annuler un acte, lorsqu'il s'agit d'entacher l'honneur de tel citoyen, d'entendre le pour et le contre. Il faut une instruction contradictoire. Il n'y a personne qui oserait soutenir qu'agir autrement, c'est violer les principes de l'équité naturelle.

- Le paragraphe 12 est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à cinq heures et quart.