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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 15 juin 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 535) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Quenast prient la Chambre d'accorder aux sieurs de Haulleville et Wergifosse la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Saint-Vith. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de l'article 47 de la Constitution. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Evergem présentent des observations contre un changement de tracé du chemin de fer de Gand vers Terneuzen et demandent le maintien du tracé par Evergem, Cluyzen et Ertvelde. »

- Même renvoi.

M. Debaetsµ. - Messieurs, il importerait que la Chambre pût prendre dans un délai très rapproché une décision sur la pétition qui vient d'être analysée, cette pétition se rattache au chemin de fer de Gand à Terneuzen, qui doit être incessamment mis à exécution. Si la Chambre voulait ordonner un prompt rapport, ce rapport pourrait être présenté d'ici à quelques jours, et après les explications qui seront données, s'il y a lieu, par M. le ministre et les discussions qui pourront s'ensuivre, une décision pourra être prise et les travaux commencés.

Je demande donc le renvoi à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Des habitants de Wavre demandent la diminution des droits d'accises sur la bière indigène. »

« Même demande d'habitants de Boussu. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Des habitants de Bruxelles demandent la révision des artic53s 47 et S5 de la Constitution. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Huldenberg prient la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer secondaires dans la province de Brabant, projetés par l'ingénieur Splingard. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.


« Les membres de l'administration communale de Linchet prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Mayence. »

- Même dépôt.


« M. de Brouckere demande un congé. »

- Accordé.

Interpellation

M. Baraµ. - Je viens adresser une interpellation à l'honorable ministre de l'intérieur.

Dans une commune de mon arrondissement il vient de se passer un fait qui, s'il était exact, serait des plus graves. Plusieurs journaux de Tournai prétendent qu'une femme pauvre, âgée de 85 ans, s'étant noyée dans un fossé, a été enterrée dans un coin infect du cimetière ; que son cadavre a été passé par dessus une haie pour ne pas profaner le cimetière en le traversant ; qu'on a enterré le cadavre dans un endroit plein de pierres et de décombres.

Pour être complet, je dois dire que le vicaire de la commune a écrit aux journaux une lettre dans laquelle il proteste contre le fait tel que je viens de l'indiquer ; d'un autre côté, les journaux maintiennent leurs assertions et soutiennent qu'il est à la connaissance de toute la commune que l'inhumation a eu lieu dans les circonstances que je viens de rappeler.

Je ne blâme pas le clergé de ne pas donner l'absolution à une personne qu'il croit n'être pas morte dans des sentiments catholiques, de ne pas donner les derniers sacrements aux catholiques qui se sont suicidés, quoique je pense que, dans l'espèce, des circonstances militent en faveur de cette pauvre et malheureuse femme de 85 ans.

Quoiqu'il en soit le gouvernement a un grand devoir à remplir. Le décret de prairial an XII en supposant qu'il admette dans les cimetières des séparations peur les différents cultes, assure à chaque personne une sépulture décente et convenable. (Interruption.)

Si vous êtes de mon avis, vous devez applaudir à l'interpellation que je fais.

S'il est vrai que cette pauvre femme a été enterrée comme je viers de dire, si l'autorité locale a permis qu'on enterrât dans un endroit infect en passant par-dessus une haie le cadavre de cette pauvre femme, si un pareil acte d'intolérance a été commis, vous devez protester avec moi. Je prie M. le ministre de prendre des renseignements exacts et complets, et s'il en résulte que la loi a été méconnue, de prendre des mesures pour sauvegarder l’honneur des familles et la sainteté de la tombe.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je n'ai reçu aucun renseignement officiel jusqu'ici sur le fait dont l'honorable M. Bara vient d'entretenir la Chambre. Mais j'ai lu dans un journal les détails qu'il vient de faire connaître.

Je me suis empressé d'écrire au gouverneur de la province de Hainaut pour l'inviter à faire une enquête sur les faits.

Le même journal relatait un autre incident de même nature qui se serait passé dans une commune du Brabant, à Saventhem. J'ai également prescrit au gouverneur du Brabant de faire une enquête sur ces faits.

Jusqu'au jour où j'aurai reçu ces renseignements officiels, positifs, il me sera impossible non seulement de prendre des mesures, mais encore d'avoir une opinion.

M. B. Dumortier. - Messieurs, j'ai entendu parler également de l'affaire dont a parlé l'honorable M. Bara, mais d'après les renseignements que j'ai obtenus, les faits ont été énormément exagérés, je dirai même en beaucoup de choses controuvés.

Déjà, comme l'a dit l’honorable membre lui-même, le vicaire de la paroisse de Mourcourt a publié dans les journaux une lettre, dans laquelle il donne un démenti formel aux faits qui lui sont imputés bien entendu. Quant à ceux qui ne lui sont pas imputés, il ne peut pas en parler.

Je n'ai point connaissance que, dans le cimetière de ce village, il y ait un lieu infect, en quelque sorte en putréfaction.

Il y a dans tous les villages de la Belgique un endroit séparé où l'on enterre, conformément au décret de l'empire, tous ceux qui ne sont point morts dans le sein de l'Eglise.

MfFOµ. - Cela n'existe pas.

M. B. Dumortier. - Je vais vous prouver tout de suite que cela existe, c'est que nos propres enfants, quand ils ne sont pas baptisés sont enterrés là. Ce n'est donc pas un lieu des réprouvés, mais un lieu non catholique. Cet emplacement existe dans toutes les communes.

Maintenant la femme dont il s'agit s'était suicidée. Or, les lois de l'Eglise sont formelles, elles défendent de rendre les honneurs religieux aux personnes qui se sont suicidées et il faut reconnaître que ces lois servent admirablement la morale publique, car il n'y a rien de plus honteux que le suicide. Il va de soi qu'on l'ait enterrée dans le terrain réservé conformément au décret de l'empire.

Dès lors, messieurs, il n'y avait point de nécessité de venir occuper la Chambre de ces détails.

Je suis du reste heureux que M. le ministre de l'intérieur s'occupe de cette affaire et je suis persuadé que les renseignements qu'il obtiendra justifieront complètement le clergé et l'administration communale.

M. Baraµ. - Messieurs, l'honorable M. B. Dumortier ne s'est pas contenté de s'occuper de l'interpellation ; il est venu à l'avance préjuger les faits et dire qu'ils sont controuvés, et cela parce que le vicaire de Mourcourt a tout simplement écrit une lettre au journal pour démentir ces faits.

Je ne crois pas qu'une simple lettre d'un vicaire doive dispenser le gouvernement de prendre des renseignements. A cette lettre le démenti le plus formel a été donné à deux fois par les deux journaux libéraux de la localité.

Maintenant l'honorable M. Dumortier prétend que dans l'arrondissement de Tournai il y a des coins des réprouvés.

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.

M. Baraµ. - Vous avez dit qu'il y avait un coin réservé.

Je déclare, moi, qu'il n'y a pas de coin réservé dans l'arrondissement de Tournai, et que le décret n'en établit point. Le décret établit des divisions de cimetière entre les cultes, mais il n'y a pas de coin qui doive servir d'avertissement salutaire, il n'y a pas de coin où l'on doive (page 536) enterrer les personnes pour les punir de telle ou telle infraction aux lois de l'Eglise.

Au chef-lieu de l'arrondissement de Tournai, vous n'avez jamais pu obtenir l'application de ce que vous appelez le décret de l'Empire. Je demande que le gouvernement instruise.

Je m'occupe fort peu de la lettre du vicaire. Je maintiens que les faits ont été confirmés par des journaux, qu'ils ont été confirmés par des personnes honorables et qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter aux renseignements fournis par l'honorable M. Dumortier.

M. Rodenbachµ. - Il est temps de cesser ce débat. L'honorable préopinant doit être satisfait, puisque M. le ministre de l'intérieur vient de déclarer qu'il ferait une enquête.

M. Baraµ. - Pourquoi l'honorable M. Dumortier a-t-il soulevé un débat ?

M. Rodenbachµ. - Il vaut mieux ne pas perdre notre temps en débats oiseux.

Discussion générale sur la crise ministérielle

MpVµ. - La parole est continuée à M. le ministre des finances.

MfFOµ. - Messieurs, nous avons examiné hier si le programme économique de la droite expliquait suffisamment sa prétention d'occuper le pouvoir. Nous avons, je pense, démontré qu'il n'en était rien, et qu'il devait exister d'autres raisons, d'autres motifs que ceux que l'on invoquait pour expliquer l'opposition qui nous a été faite.

Voyons maintenant si l'on a réussi à nous prouver que l'avènement de la droite au pouvoir était justifié par les projets de réforme communale et électorale que l'on a annoncés.

Que vous a-t-on dit à ce sujet ? Est-on parvenu à vous démontrer qu'il y avait un motif quelconque, non pas même sérieux, mais seulement apparent, d'introduire une réforme dans la loi communale. L'examen des faits que l'on a indiqués, non pas d'une manière précise, mais d'une façon vague, générale, nous a laissé la conviction que les griefs politiques dont la droite s'est efforcée de se faire une arme contre nous, n'existaient même pas, et ne pouvaient nullement justifier la réforme dont ils sont le prétexte.

Mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur, a prouvé d'une manière invincible, par des chiffres irréfutables, que les éliminations de bourgmestres ou d'échevins étaient absolument insignifiantes, eu égard au grand nombre de nominations que nous avons été appelés à faire. Il a prouvé surtout qu'à l'époque où nos adversaires occupaient le pouvoir, ils ont, eux, non pas usé, mais abusé du droit qui était conféré au gouvernement de nommer les bourgmestres en dehors du conseil. Il vous a fait connaître, en effet, et il est bon que ce chiffre soit répété, que de 1842 à 1847, sous des ministères de la droite, 44 nominations en dehors du conseil ont été faites par ceux-là mêmes qui nous reprochent injustement de pareils actes, tandis que depuis 1847 jusqu'à ce jour, le gouvernement libéral n'a fait que très rarement usage de la même faculté.

Nous sommes donc autorisés à dire que la réforme communale n'est justifiée, ni politiquement, ni administrativement. Voyons maintenant si la réforme électorale se justifie mieux.

Messieurs, l'honorable M. Dechamps a essayé de rattacher l'une et l'autre de ces réformes au passé de la droite. Il a essayé de nous persuader que toujours, en tout temps, la droite a voulu modifier la loi communale dans le sens qu'on indique aujourd'hui, et même qu'elle a eu des velléités d'une réforme radicale de notre régime électoral.

La contre-vérité est tellement évidente que je n'ai pas besoin de m'y appesantir.

Au surplus, l'honorable membre a cherché ailleurs une justification qui lui a paru plus complète.

H vous a dit que le suffrage universel frappait à nos portes, que dans tous les pays les lois communales et électorales avaient été révisées. Il a ajouté, je cite textuellement ses paroles, il a ajouté, après avoir parcouru l'Europe entière :

« Vous serez étonnés d'apprendre que sous le rapport du mode de nomination des autorités communales, partout, excepté en France, le régime introduit ailleurs est plus libéral que chez nous ; que partout, excepté en Hollande, le cens communal est inférieur, non seulement à celui qui existe chez nous depuis 1836, mais à celui que nous voulions introduire dans la réforme communale de notre programme.

« Ce fait me paraît décisif. »

De telles paroles, comme conclusion de l'examen auquel l'honorable membre s'était livré, de telles paroles, émanées de lui, chef d'un grand parti, au moment d'arriver au pouvoir, de telles paroles ont certainement une haute gravité, et elles étaient de nature à jeter des doutes dans les esprits, et plus même que des doutes, une véritable défaveur sur la nature des institutions dont nous jouissons. L'honorable membre nous mettait au ban de l'Europe ; nous étions, selon lui, les plus arriérés parmi toutes les nations libérales et constitutionnelles.

Messieurs, je dois vous l'avouer : une longue expérience m'a appris à me défier singulièrement de la méthode historique de l'honorable M. Dechamps ; il nous a déjà donné plusieurs fois la preuve que ses assertions historiques, que ses appréciations des législations étrangères ne devaient être acceptées qu'avec la plus grande réserve, et l'un de nos amis, en empruntant une phrase de son dernier discours, a spirituellement caractérisé le système de l'honorable M. Dechamps.

Voici cette phrase : « Lord Gladstone, grand chancelier d'Angleterre, a annoncé une réforme électorale qui touche au suffrage universel. » Or, lorsque l'un vérifie les assertions de l'honorable M. Dechamps, à propos de faits qu'il est facile de vérifier, ce qui n'est certes pas une excuse en sa faveur, on constate que M. Gladstone n'est pas lord, qu'il n'est pas grand chancelier d'Angleterre, qu'il n'a pas annoncé de réforme électorale et qu'il s'est prononcé contre le suffrage universel ! (Longue interruption.) De telle sorte que chacun des mots de cette phrase de l'honorable M. Dechamps est absolument inexact !

L'honorable M. Dechamps avait jadis suivi la même méthode lorsqu'il s'est agi de la loi sur l'enseignement primaire. A cette époque, il a affirmé, et cette affirmation qui n'a pas été contredite a dû exercer une grande influence sur les délibérations de la Chambre à cette époque ; il a affirmé que l'enseignement dogmatique dans l'école était la base de toutes les législations connues. Or, il se trouve qu'à nos portes, en Hollande, on n'admet pas l'enseignement dogmatique ; il se trouve qu'en Irlande il n'y a pas d'enseignement dogmatique ; il se trouve qu'aux Etats-Unis, et dans d'autres Etats encore il n'y a pas d'enseignement dogmatique dans l'école !

L'honorable M. Dechamps a affirmé encore qu'en Angleterre et aux Etats-Unis il y a, pour les écoles, une double inspection, l'une civile et l'autre ecclésiastique, comme celles qui ont été introduites dans nos lois. Eh bien, c'est encore une fois une pure supposition, absolument réfutée par les faits.

Vous vous souvenez, messieurs, de ce qui s'est passé dans la discussion de la loi concernant les bourses d'études. On a également jugé utile d'invoquer, à cette occasion, une législation toute de fantaisie comme étant en vigueur en Angleterre. On a prétendu qu'en ce pays le législateur s'inclinait à perpétuité devant toutes les prescriptions des fondateurs. Nouvelle erreur ! Vérification faite, on a été mis à même de constater qu'un grand nombre de bills ont été portés, non seulement pour modifier des administrations de fondations, mais même pour modifier des testaments.

A-t-on été infidèle à ce procédé, dans la matière qui nous occupe ? Non sans doute. On s'est permis les assertions les plus hasardées et sur le régime communal et sur le régime électoral. Messieurs, j'ai voulu contrôler quelques-unes de ces assertions. A mon tour, j'ai voulu m'enquérir des principes inscrits dans les législations de certains pays en matière électorale. J'ai remarqué tout d'abord que, dans cet examen, il y a quelques précautions à prendre. Il ne suffit pas de rechercher, par exemple, quel est le cens électoral ; il faut voir aussi s'il n'y a pas un cens d'éligibilité ; il faut examiner enfin quelles sont les attributions des corps constitués par élection. Dire d'une manière générale : « Le cens électoral est à tel taux dans tel pays », ce n'est rien dire du tout. Je vais en donner la preuve.

En ce qui concerne les élections générales, la loi électorale en Angleterre est assez large, assez libérale : elle donne un million d'électeurs. En Belgique, la loi électorale pour les Chambres donne 100,000 électeurs, chiffre qui, eu aussi égard à la population, n'est pas aussi éloigné qu'on pourrait le penser de celui des électeurs en Angleterre.

Mais nous trouvons qu'en Angleterre, pour être élu dans les comtés, il faut ou du moins il fallait naguère justifier de 15,000 fr. de revenu foncier, et que, pour être élu dans les villes, il fallait justifier d'un revenu foncier de 7,500 fr.

On comprend que là où existent des conditions d'éligibilité, on jugerait fort mal du système, si l'on ne considérait que le cens électoral.

J'ai une autre remarque à faire à propos de l'Angleterre : c'est que lorsqu'on parle de ce pays, .on devrait tout d'abord nous dire s'il y existe quelque chose d'analogue à notre régime communal. C'est là une (page 537) question dont l’honorable M. Dechamps n'a pas jugé à propos de s'occuper, et qui pourtant a une grande importance lorsque l’on fait des comparaisons de la nature de celles auxquelles il s'est livré.

Or, en Belgique, les communes représentent véritablement un gouvernement au petit pied. Le chef de la commune est investi du service de la police ; il a le droit considérable de requérir la force armée ; la commune a dans ses attributions l'enseignement, les cultes, les travaux publies ; elle est enfin l'image du gouvernement. Mais en Angleterre, rien de semblable n'existe ; en Angleterre, la vie communale telle que nous la pratiquons ici, est une chose tout à fait inconnue.

L'honorable M. Dechamps sourit, et semble douter de ce que j'avance. Mais je puis lui citer des autorités irrécusables. Un écrivain anglais, Toulmin-Smith, et un écrivain allemand, Fischel, tous deux parfaitement compétents en ces matières, disent que depuis l'organisation des unions de paroisses et des commissions, le pouvoir communal a cessé d'exister en Angleterre, et que le self government a passé tout entier des conseils communaux au ministère de l'intérieur. En effet, ce qui existe en général dans les paroisses, se borne à l'administration du temporel des cultes et à la taxe des pauvres. Ce sont les unions de paroisses, dont la formation est encouragée par la loi, qui effacent presque partout la vie communale en Angleterre.

En outre, il y a des commissions spéciales qui ont la gestion de grands services publics, et qui sont tout à fait indépendantes des communes. Il y a des commissions pour le drainage, pour la construction et l'entretien des égouts, pour les travaux publics, pour l'hygiène et pour d'autres services publics, et toutes ces grandes commissions ont des pouvoirs très étendus pour puiser dans la bourse des citoyens anglais.

Et puis, il y a en Angleterre une institution toute spéciale à ce pays : c'est le comté : et le comté absorbe la plupart des pouvoirs qui, ailleurs, appartiennent aux communes. Ainsi, par exemple, en général, et surtout depuis la création des unions, ce qui concerne la voirie est du ressort des comtés. Or, comment est formée l'administration du comté ? Le comté est administré par le lord-lieutenant, nommé par la reine, par le shérif, nommé également par la reine, par des juges de paix nommés par le lord-lieutenant, mais qui ne peuvent exercer aucun pouvoir sans l'autorisation du lord-chancelier ; et tous ces magistrats, tenant directement leurs mandats du gouvernement, ont, comme je l'ai dit, des attributions extrêmement étendues, qui vont jusqu'à atteindre la bourse et même la liberté des citoyens.

Cependant, à part cela, messieurs, si nous voulons nous en tenir à la base électorale, admise pour les paroisses, celle à laquelle l'honorable M. Dechamps a voulu, je pense, faire allusion, je lui dirai qu'il est tombé dans une erreur que je m'explique difficilement ; il a supposé que le cens était très bas ; mais il n'y a, en réalité, que les propriétaires et les occupants de biens imposés à la taxe des pauvres qui soient appelés à voter, et encore le font-ils par un mode tout à fait spécial à l'Angleterre. Le contribuable qui est en même temps propriétaire des biens qu'il occupe a double vote. Les biens d'un revenu annuel de 50 livres ou moins donnent une voix ; ceux d'un revenu de 50 à 100 livres donnent deux voix ; de 100 à 150 livres, trois voix ; de 150 à 200 livres, quatre voix ; de 200 à 250 livres, cinq voix ; de 250 livres et plus, six voix. Est-ce là, je le demande, un mode d'élection ayant quelque analogie avec le nôtre et peut-on l'appeler démocratique dans le sens que M. Dechamps attache à ce mot ?

L'honorable M. Dechamps s'est donc parfaitement trompé en ce qui touche l'Angleterre. Il n'eût, d'ailleurs, pas été trop humiliant pour nous d'être, en matière de liberté, au-dessous de l'Angleterre. Cependant, comme vous le voyez, nous n'en sommes pas là. Mais ce qui eût été moins agréable pour notre orgueil national, c'eût été, par exemple, de ne venir qu'après la Prusse en fait de liberté communale.

L'honorable M. Dechamps nous a parlé, quant à la Prusse, d'une loi de 1850. Il y a eu, en effet, d'après les renseignements que j'ai pris, une certaine loi communale du 11 mars 1850. Mais il semble qu'il était parfaitement inutile de s'en occuper, attendu qu'elle a été abrogée par une loi subséquente du 24 mai 1855.

.M. Dechamps. - Mais ce sont là des lois de coup d'Etat qui, en Prusse, ont suspendu ou aboli les lois libérales. Est-ce l'autorité de ces lois exceptionnelles que vous invoquez ?

MfFOµ. - Les lois dont je veux parler sont en vigueur depuis dix ans. Voulez-vous que je m'occupe de lois qui n'existent pas ?

Il suffit, du reste, puisque vous faites allusion à cette loi de 1850, il suffit de faire remarquer d'abord qu'elle n'a été appliquée que dans un nombre très limité de communes ; cela résulte d'une instruction ministérielle de 1855 qui le déclare positivement ; et, en second lieu, pour juger de son caractère démocratique, il suffit de dire que, dans toutes les élections communales faites sous l'empire de cette loi et dans lesquelles le parti démocratique s'est présenté, il a été vaincu. C'est ce que vous pouvez lire dans l’Annuaire des deux mondes, année 1853-1854, page 543. Voilà mon autorité.

Quoi qu'il en soit de cette loi de 1850, nous n'avons pas à nous en occuper ; j'ai voulu constater seulement qu'elle n'était pas ce qu'a supposé l'honorable M. Dechamps. Examinons donc la législation actuelle. Elle se compose de trois lois : celle du 30 mai 1853 pour les provinces orientales, celle du 19 mars 1856 pour la Westphalie et celle du 15 mai 1856 pour les provinces rhénanes.

Ici encore, nous avons à nous occuper, non seulement du cens, mais de la composition du corps électoral, de l'élection des bourgmestres et des échevins, et des attributions des conseils. Nous avons aussi à examiner quels sont les droits que la législation réserve au gouvernement dans ces administrations communales.

Voici ce que nous trouvons dans la loi du 30 mai 1853, pour les provinces orientales :

« Le droit de bourgeoisie consiste dans le droit de participer aux élections, d'assumer des emplois non salariés de l'administration communale, et de participer à la représentation communale.

« Tout Prussien indépendant acquiert ce droit si, pendant un an, il a :

«1° ... ;

« 3° Payé les impôts communaux :

« 4° Ou bien :

« a) La propriété d'une maison dans la ville ;

« b) Une industrie indépendante exercée par lui à titre de branche principale de revenu, et que, pour les villes de plus de 10,000 âmes, il doit exercer pour son compte avec le concours d'au moins deux aides.

« c) Etre taxé pour la taxe sur les revenus dans une des classes spécifiées.

« d) Payer annuellement pour l'impôt des classes (impôt direct basé sur la fortune présumée, perçu pour l’Etat, avec adjonction de certains pour cent pour la commune) au moins 4 thalers.....ou jouir (dans les villes à octroi) d'un revenu annuel de 200 thalers dans les villes de moins de 10,000 âmes, 260 thalers dans les villes de moins de 10,000 à 50,000, 300 thalers dans les villes de plus de 50,000 âmes. »

Voilà quelles sont les conditions qu'il faut réunir pour être électeur. Elles diffèrent beaucoup assurément de celles qui vous ont été signalées par l'honorable M. Dechamps. Mais, quelles qu'elles soient, et quand même elles participeraient du suffrage universel, vous allez voir qu'il y a certaine manière de s'en servir. Elles sont en réalité très restrictives. La loi porte, en effet, que les électeurs sont divisés en trois classes, dont chacune nomme un tiers des magistrats communaux.

La première classe est composée des citoyens les plus imposés, et dont les cotisations réunies représentent le tiers des impôts payés ; la deuxième classe est formée de ceux qui sont les plus imposés après ceux de la première classe, et dont l'ensemble des cotisations forme le deuxième tiers des impôts ; enfin le reste des contribuables forme la troisième classe ; or, la première classe, qui peut se composer de trois, de deux et même d'une seule personne, nomme le tiers du conseil communal ; un autre tiers est nommé par les plus imposés ensuite, formant la deuxième classe, et le troisième tiers par le reste des électeurs ! Et voilà la législation que l'honorable M. Dechamps, dans son amour pour les réformes démocratiques, vient proposer à la Belgique comme un modèle à suivre ! (Interruption.)

Mais ce n'est pas tout : les bourgmestres, les adjoints, les échevins et tous les magistrats salariés doivent être confirmés dans leurs attributions par le Roi ou par le gouvernement provincial, selon l'importance des villes.

M. Dechamps dit que la confirmation est une simple formalité. Mais la loi prussienne porte qu'en cas de refus de la confirmation, le conseil est tenu de procéder à une nouvelle élection, et que si cette élection n'est pas encore ratifiée, le gouvernement peut faire exercer les fonctions communales par un commissaire nommé par lui et salarié par la commune. (Interruption.)

La même chose a lieu en cas de refus de procéder à de nouvelles élections, ou en cas de persistance du conseil dans son premier choix. Cette administration du commissaire continue jusqu'à ce que le conseil ait nommé une personne qui obtienne l'agréation du gouvernement.

Dans la loi pour les provinces rhénanes, les dispositions sont à peu près les mêmes : si la confirmation est refusée, le conseil procède à une nouvelle élection, et si cette nouvelle élection n'obtient pas l'assentiment (page 358) du gouvernement, celui-ci a le droit de nommer un commissaire pour un terme qui ne peut excéder douze ans !

Et c'est sous l'influence d'un pareil exemple que l'honorable M. Dechamps dénonce nos institutions communales comme peu libérales, et nous engage à aller puiser ailleurs des enseignements en cette matière ? (Interruption.)

Maintenant, quelles sont les attributions de ces magistrats nommés dans les conditions que je viens d'indiquer ? Ils s'occupent des affaires purement locales ; la loi porte : Le bourgmestre doit en outre, en exécution des lois, se charger du maintien de la police locale, des fonctions d'officier de police judiciaire, de faire l'office du ministère public quand l’administration de la police n'est pas confiée à des commissaires royaux.

On sait qu'en Prusse ce sont des fonctionnaires royaux qui sont généralement investis des attributions d'officier de police dans les diverses localités. Mais ce n'est pas assez encore : le roi a le droit de dissoudre le conseil communal, et, jusqu'aux élections nouvelles auxquelles on doit procéder endéans les six mois, toutes les fonctions sont remplies par des commissaires nommés par le gouvernement et salariés par les communes !

Nous avions donc raison de nous défier des renseignements portés à cette tribune par l'honorable M. Dechamps. Conçoit-on qu'un grand parti vienne avec une telle légèreté, une légèreté que j'appellerai coupable, dénoncer les institutions de son pays comme n'étant pas suffisamment libérales, et en donner comme preuve des législations étrangères que l'on n'a pas pris la peine d'étudier ! Ne pourrais-je pas, à mon tour, emprunter le vocabulaire de l'honorable M. Dechamps, répondant à une interruption de M. de Renesse, et dire que c'est là une insulte aux institutions dont nous jouissons ?

Messieurs, je dois dire ici que je n'entends porter aucun jugement sur les lois dont je viens de parler ; je ne veux pas le moins du monde critiquer les législations étrangères ; je suis incompétent pour examiner si celle dont je viens de rappeler les principales dispositions convient ou non au peuple prussien.

La seule chose qu'il importe pour nous de savoir et de constater, est celle-ci : Est-il vrai que la législation dont nous jouissons soit placée au dernier degré parmi les législations libérales, et les exemples que l'on cite de peuples traités plus libéralement sous ce rapport, justifient-ils les critiques, toutes récentes d'ailleurs, dont notre régime communal et électoral est l'objet de la part du parti conservateur ?

Je maintiens, quant à moi, que nous avons, en matière communale, l'une des législations les plus libérales, si ce n'est la plus libérale de l'Europe entière.

Messieurs, quelle est donc l'explication de l'étrange attitude de la droite provoquant en cette matière des réformes qui n'ont pas, jusqu'à ce jour, préoccupé l'opinion publique ? Je n'y puis voir, quant à moi, que les efforts d'un parti au désespoir. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - C'est cela. (Interruption.)

MfFOµ. - Ne vous méprenez pas sur ma pensée. Je ne dis pas cela pour en triompher et pour m’en réjouir, je dis cela pour le regretter et le déplorer.

Vous êtes sur une pente que je considère comme dangereuse, comme fatale. Vous avez rompu tout d'un coup avec vos traditions. Vous avez la prétention, et, je le dirai, à certains égards légitime, de représenter principalement les idées d'ordre et de conservation. Vous n'étiez pas seuls assurément à défendre ces idées ; mais par l'ensemble de vos principes, c'est là surtout ce que vous prétendez représenter.

Or, que voyons-nous depuis quelque temps ? Dans votre impatience du pouvoir, ou dans votre désespoir de ne point l'occuper, si vous voulez, on vous a vus tout à coup faire alliance avec les meetings d'Anvers.

M. Delaetµ. - Ils sauveront la liberté en Belgique.

M. de Moorµ. - Allons donc !

M. Bouvierµ. - Elle existait avant vous.

M. Delaetµ. - Vous l'auriez tuée sans les meetings. (Interruption.)

MfFOµ. - Messieurs, vous avez longtemps hésité, vous vous êtes longtemps associés à notre opposition, vous vous êtes longtemps associés à notre résistance aux exigences d'Anvers. Vous saviez parfaitement quelle était à cet égard la répulsion de l'opinion publique. On se disait, avec infiniment de raison, que de grands sacrifices avaient été faits par le pays pour donner satisfaction à une ville importante, et l'on était profondément blessé de voir cette espèce de duplicité qui, pour une question d'indemnité de servitudes, soulevait la question des citadelles, agitait les populations, jetait la terreur dans leur sein et faisait supposer aux esprits crédules que cette ville était menacée par le gouvernement.

Il vous répugnait de vous associer à des actes qui ont été extrêmement graves et qui ont un instant menacé d'aller jusqu'à la révolte.

On n'a point, dit-on, cassé de vitres, ni porté atteinte à la propriété dans la ville d'Anvers, Non ! Mais on a posé à Anvers un acte beaucoup plus grave, dans lequel, il est vrai, on n'a pas persisté : on a déclaré que la loi n'y serait pas exécutée ! On a refusé d'envoyer des représentants au Sénat, de concourir à une élection qui était commandée par la loi.

M. Delaetµ. - Nous en avions le droit.

MfFOµ. - Non ! Vous n'en aviez pas le droit. Vous n'aviez pas le droit de suspendre l'exécution des lois.

M. Coomans. - Vos amis l'ont fait.

MfFOµ. - J'ai blâmé quels qu'ils fussent ceux qui ont pris part à de pareils actes. Ils ont eu tort ! Qu'ils fussent à gauche ou à droite. Au surplus nous avons prouvé, je pense, que nous savions résister même à nos amis lorsqu'ils siégeaient à côté de nous !

Je dis, messieurs, qu'en descendant dans vos consciences, vous nous approuviez de résister aux prétentions de l'agitation anversoise. Mais l'esprit du mal vous a tentés. Vous avez recherché le profit qu'il pouvait y avoir à pactiser avec ces désordres, et vous avez succombé à la tentation. Je dis que c'est une grande faute de votre part, et qu'elle est peut-être irréparable.

Voilà, messieurs, pour l'esprit d'ordre.

Qu'avez-vous fait de l'esprit de conservation ?

L'état de l'opinion dans les villes vous irrite et vous blesse. Vous voulez vaincre cette opinion à tout prix.

Une première fois vous avez commis cette faute, pour essayer d'avoir raison de l'esprit des grands centres de population, de tenter le fractionnement des collèges électoraux. Vous avez rêvé depuis le vote au canton, le vote à la commune, dont hier encore on nous faisait une menace.

En principe, abstraction faite de la pensée qui vous inspire, j'admets que tout cela soit discutable ; on pourrait examiner cette question du fractionnement, et cette question du vote, soit au canton, soit à la commune. Mais ces modifications sont détestables, lorsqu'elles ne sont que des moyens artificieux employés pour chercher à reconquérir le pouvoir.

Vous avez rêvé autre chose encore. Vous avez rêvé le moyen de supprimer des électeurs dans les villes. Vous avez agité la question de savoir si, sous prétexte de faire des réformes économiques et financières, on ne pourrait pas arriver à supprimer l'impôt des patentes. (Interruption.) Vous n'avez pas osé produire ces idées ailleurs que dans le journal où ont vu le jour pour la première fois les prétendues réformes dont nous nous occupons ; mais vous avez agité la question de savoir si l'on ne pourrait pas supprimer une certaine catégorie d'électeurs des villes.

On nous a en quelque sorte fait entendre que ce n'était là qu'une espèce de représailles ; on a prétendu que nous avions attribué par circulaire le droit électoral à des débitants de boissons ; puis, lorsque l'erreur dans laquelle on se trouvait à propos de cette circulaire tout imaginaire, a été reconnue, on a affirmé que la mesure avait été prise par une loi de budget.

Messieurs, cette seconde assertion n'est pas plus exacte que la première. La question de savoir si l'impôt direct qui était perçu et qui continue à être perçu pour le débit des boissons distillées, devrait être compté pour le cens électoral, a été résolue par une loi du 19 mai 1849, et par conséquent non point par circulaire, non point par le vote du budget, non point d'une manière subreptice, mais de la manière la plus claire, la plus ostensible et, ce que vous ignorez peut-être, à peu près à l'unanimité des membres de cette Chambre qui ont eu à se prononcer sur cette loi.

M. B. Dumortier. - Sans loi. Cette loi n'a jamais été votée.

M. Rodenbachµ. - N'importe ! C'est une loi détestable.

MfFOµ. - Je ne sais pas ce que veut dire l'honorable M. Dumortier lorsqu'il vous dit : Sans loi ! Voici ce qui s'est passé : Il existait une loi de 1838 qui avait décidé que l'impôt dont il s'agit ne compterait pas pour la formation du cens. Lorsque nous avons modifié cette loi en 1849, nous n'avons pas reproduit cette disposition restrictive de la loi de 1838, et nous en avons dit les motifs dans l'exposé : « Le projet ne reproduit pas la disposition qui fait l'objet du deuxième paragraphe de l'article premier de la loi de 1838. L'impôt qu'il s'agit d'établir est un impôt direct, et conséquemment, aux termes de l'article 47 de la Constitution, il doit être compté pour établir le cens électoral. »

Quelqu'un a-t-il proposé de reproduire dans la loi de 1849 l'exception (page 539) qui avait été introduite dans la loi de 1838 ? Ni l'honorable M. Dumortier ni personne n'a fait une semblable proposition, et la loi a été votée par 59 voix contre 5 et 3 abstentions.

Parmi ceux qui l'ont votée, nous trouvons MM. de Mérode, Jacques, Julliot, Rodenbach, Vilain XIIII, Coomans, de Haerne, de Decker, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, enfin presque toute la Chambre sauf cinq membres qui étaient MM. Faignart, Vermeire, Allard, Ansiau et de Brouckere. (Interruption.)

M. Rodenbachµ. - Malgré que nous l'ayons votée, c'est une détestable loi.

MfFOµ. - Et vous voulez abaisser le cens ?

M. Rodenbachµ. - Ce n'est pas la même chose.

MfFOµ. - Comment ? ce n'est pas la même chose ! Vous voulez créer de nouveaux électeurs ! et pourquoi donc excluriez-vous ces électeurs qui payent le cens ?

M. Rodenbachµ. - C'est un privilège pour les cabaretiers. (Interruption.)

MfFOµ. - Enfin, messieurs, le privilège de payer l'impôt ! Au Sénat, la loi a été votée, je pense, à peu près à l'unanimité.

Ainsi donc, il n'y avait pas de question agitée de ce chef en 1849. C'est de commun accord que l'on est revenu à l'application vraie de la Constitution. Il est impossible de nier en effet que cette taxe est une taxe directe, et que par conséquent elle tombe sous l'application de l'article 47 de la Constitution.

M. de Naeyer. - C'est un impôt indirect en réalité et direct pour la forme seulement.

MfFOµ. - N'importe. J'aurais conçu vos objections, lorsque vous étiez conservateurs, lorsque vous critiquiez l'abaissement électoral de 1848. Mais aujourd'hui, que vous voulez l'abaissement du cens actuel, vous voulez frapper d'incapacité ceux dont vous réclamez l'impôt. Evidemment vous êtes inconséquents.

M. de Naeyer. - Nous demandons l'égalité.

MfFOµ. - Comment, nous manquons donc aux règles de l'égalité ?

M. de Naeyer. - Evidemment ; c'est un privilège.

M. Mullerµ. - C'est un impôt direct.

M. de Naeyer. - Il ne représente pas une fortune, il n'est pas direct dans le sens de la Constitution.

M. B. Dumortier. - C'est un impôt d'exception, et des impôts d'exception ne peuvent servir pour faire des électeurs.

MfFOµ. - Vous voyez donc qu'il y a dans vos esprits des idées bien contradictoires ! La patente, c'est là ce qui vous gêne. Aussi il faudrait la supprimer.

M. de Naeyer. - Du tout.

MfFOµ. - Cela a été agité ; on s'est demandé même si la suppression de la patente était contraire, oui ou non, à la Constitution. Mais on a reconnu que, pour le moment, il était sans doute prudent de s'abstenir ; et je cite cela pour montrer l'esprit qui vous dirige. Ce qui vous anime, c'est la pensée persévérante, qui n'existe pas d'aujourd'hui, mais que vous avez souvent essayé de produire, c'est la pensée persévérante d'étouffer l'esprit des villes. Grandes et petites, elles sont toutes opposées à vos prétentions ; grandes et petites, toutes vous combattent. Voilà la véritable situation. (Interruption.) Je ne puis que constater les faits tels qu'ils existent. Quand, plus tard, un changement se sera manifesté, et que vous pourrez revendiquer pour vous l'opinion des villes, grandes et petites, j'avouerai que l'opinion a changé. Mais nous sommes obligés de reconnaître que, depuis trente ans, cet esprit ne s'est pas modifié. Il a toujours été contraire à l'esprit clérical.

M. Coomans. - Il n'y a pas de villes ; il n'y a que des communes en Belgique.

MfFOµ. - Je dirai les communes, pour être agréable à l'honorable M. Coomans.

M. Guilleryµ. - La loi distingue entre les villes et les communes.

M. Bouvierµ. - On supprime la loi communale.

MfFOµ. - Et qu'est-ce qui vous désespère ? C'est d'être minorité depuis longtemps. Vos orateurs, vos publicistes, vos historiens, entretiennent dans vos rangs des illusions dangereuses. On vous représente comme des victimes injustement sacrifiées. Tout vous est sujet de plaintes et de récriminations. Dans les libéraux au pouvoir, vous ne voyez que des usurpateurs. On vous fait je ne sais quelle histoire parlementaire, dans laquelle on vous représente comme possédant une majorité perpétuelle, une majorité qu'on exclut violemment du pouvoir.

Je ne sais pas si l'impartialité est une vertu politique, mais ce que je sais parfaitement, c'est que ceux qui expriment de pareilles opinions ne possèdent pas cette vertu.

La majorité dont vous parlez, mais je me crois autorisé à dire qu'elle n'a jamais existé. (Interruption.) La majorité catholique dont vous parlez n'a presque jamais existé réellement. (Nouvelle interruption.)

Et parce que ce fait est constaté à une certaine époque, parce que l'on vous dit : Il faut vous résigner au rôle de minorité, vous protestez, vous criez que l'on veut vous frapper d'ostracisme !

Mais, messieurs, c'est un simple fait que l'on constate. On n'a pas la puissance de faire que vous soyez minorité, de vous réduire à l'état de minorité. C'est un fait que l'on constate, et ce fait est l'œuvre du corps électoral.

Et d'ailleurs, cette prétendue majorité dont on parle avec tant de complaisance, je le répète, elle n'a presque jamais existé.

En effet, vous voyez arriver en 1840, par exemple, un ministère libéral très violemment attaqué, et nonobstant ces attaques, il obtient incontinent 10 voix de majorité dans la Chambre, et cela sans dissolution. La présence au pouvoir des ministres libéraux fait constater en leur faveur une majorité de 10 voix.

Oh ! dit l'honorable M. Thonissen, c'est grâce à l'appoint des fonctionnaires ? Mais lorsque l'honorable M. de Theux était aussi au pouvoir, sans dissolution, et qu'il trouvait, à son tour, cette majorité de 10 voix, est ce que les fonctionnaires avaient disparu ?

M. Thonissenµ. - Il y en avait six de moins.

MfFOµ. - Il y en avait six de moins ! Eh bien soit ! Mais il y en avait toujours assez pour faire la majorité.

Vous rêvez donc un état de choses, vous annoncez un état de choses complètement idéal, fantastique, absolument contraire aux faits. Jamais il n'y a eu dans cette Chambre de majorité catholique, dans le sens que vous indiquez et avec les conséquences que vous prétendez en déduire.

M. B. Dumortier. - C'est une grave erreur. Vous n'avez jamais examiné l'état du pays.

MfFOµ. - Aussi, messieurs, les cabinets qui se succédèrent après 1840, que représentaient-ils ? Etaient-ils appuyés par une majorité réelle ? Mais certainement non ! La majorité se formait d'éléments divers. Les ministres, à vrai dire, n'avaient pas de majorité, et en supposant le contraire, que l'honorable M. Thonissen me permette de le lui dire, il a fait encore une appréciation historique très inexacte.

Nous avons vu au pouvoir, en ce temps-là, un homme d'un rare talent assurément. Il avait entrepris une tâche bien difficile, celle de pratiquer cette politique mixte dont on a tant et si souvent parlé. Qu'a-t-il pu faire pendant un assez long ministère ? Deux lois seulement : la loi sur l'enseignement, qui était le gage de son avènement au pouvoir, et la loi des droits différentiels. Hors de là, je ne pense pas que l'on puisse citer un acte un peu important qu'il ait fait décréter.

Ce ministère n'avait la majorité que pour ne rien faire. Ainsi, l'on constate le mauvais état des finances, on fait des propositions de lois, on va aux voix, et les quatre ministres se lèvent seuls pour appuyer leurs propres propositions. Où était donc la majorité dont parlait M. Thonissen ? Mais la situation empire ; les circonstances deviennent tellement graves que le ministère est obligé de faire de nouvelles propositions, et il parvient à réunir 17 voix en leur faveur ! Le ministre de la guerre est renversé sur son budget.

Ce ministère veut proposer la loi du jury d'examen, mais la prétendue majorité dont vous parlez, cette majorité de 25 voix que vous lui attribuez, où donc était-elle ? On dit au ministre : Ce n'est pas ce projet-là qu'il nous faut ; c'est un autre projet. Dans une autre circonstance, il propose la nomination du bourgmestre en dehors du conseil ; mais il ne peut pas faire admettre sa proposition telle qu'il l'avait présentée, et on lui dit : Voici ce qu'il faut faire. C'était la loi du fractionnement, qui n'était pas du tout proposée par le ministère.

M. Thonissenµ. – Il n'avait pas une majorité obéissante, une majorité servile, mais il avait une majorité. (Interruption.)

MfFOµ. - Messieurs, je pense que les mots injurieux ne servent de rien dans une pareille (page 540) discussion. Qu'est-ce que vous entendez par ce mot blessant : « majorité servile » ?

M. Thonissenµ. - Je ne fais aucune application ; je parle du passé.

M. Bouvierµ. - Allons donc, c'est de la fausse bonhommie !

MfFOµ. - C'est donc tout simplement une injure qui n'a pas de sens, car on peut vous répondre par la « minorité servile », minorité qui ne se sépare jamais, qui vote toujours comme un seul homme.

Lorsque, dans un Etat constitutionnel, les partis existent, c'est un devoir pour les membres de ces partis de marcher d'accord, de se faire mutuellement des sacrifices sur des questions secondaires, afin d'atteindre le grand but poursuivi par le parti tout entier. C'est ce que vous avez fait, c'est ce que nous avons fait nous-mêmes. Il serait impossible de gouverner sans ces conditions.

Les partis se mettent d'accord sur les grands principe, et comme il y a toujours des divisions entre les hommes, ils sont obligés de se faire des concessions mutuelles, aussi bien ceux qui gouvernent que ceux qui les appuient, afin d'arriver aux grands résultats que l'on poursuit en commun.

Mais on suppose une majorité fantastique, une majorité catholique persécutée, poursuivie, sacrifiée, injustement dépouillée du pouvoir.

Je conçois parfaitement que l'on entretienne sur ce point de vaines illusions, que l'on nourrisse de chimériques prétentions ; mais voyons cependant la situation actuelle ; vous vous dites presque majorité ; vous balancez la majorité ! Mais à quel prix ? je vous le demande ! A moins que vous ne revendiquiez les événements d'Anvers comme votre œuvre, et que vous ne prouviez que cette agitation a eu lieu uniquement dans un intérêt de parti, dans l'intérêt du parti catholique, vous ne pouvez pas prétendre que vous avez aujourd'hui même la forte minorité que vous indiquez. Cette minorité serait beaucoup moindre. Et si vous n'aviez pas exploité le coton à Gand, aux dernières élections...

M, Kervyn de Volkaersbekeµ. - Faites la dissolution.

MfFOµ. - Je ne prétends pas que Gand ne changera jamais d'opinion ; je constate seulement les faits, et je dis que, évidemment, à l'époque dont je parle, si vous n'aviez pas jeté l'inquiétude dans les esprits, si vous n'aviez pas alarmé les intérêts industriels à Gand, vous n'y auriez pas obtenu le succès partiel que vous y avez remporté. (Interruption.)

Permettez-moi de dire toute ma pensée et de vous éclairer vous-mêmes sur la situation, car il est important, pour vous comme pour nous, que vous ne vous fassiez pas d'illusions, que vous ne vous prétendiez pas victimes, que vous ne prétendiez pas être des gens dépossédés injustement du pouvoir. Je constate que vous avez été rarement majorité, que vous l'avez été très exceptionnellement et avec l'appoint des fonctionnaires publics. Et aujourd'hui encore, vous avez tort de vous plaindre de la situation que nous constatons. (Interruption.) Messieurs, je vois à ces réclamations que l'on se méprend sur ma pensée. Ce n'est pas le moins du monde pour amoindrir votre opinion que je parle ainsi, c'est en conscience que je constate les faits ; et, si vous le voulez, je vous dirai que jamais à aucune époque depuis 1830, vous n'avez été aussi forts dans cette Chambre que vous l'êtes aujourd'hui. Je suis donc bien loin de prétendre que votre puissance ait décliné ; mais, remarquez-le bien, si vous avez cette puissance que je constate, vous la devez à ces alliés impérieux dont je parlais l'autre jour, et vous la devez surtout à la pression la plus épouvantable qui ait jamais été exercée dans ce pays sur les consciences, à la surexcitation d'un fanatisme qui n'avait pas apparu jusqu'à présent en Belgique ! Voilà précisément ce qui fait de votre triomphe un véritable danger. (Interruption.)

Messieurs, cette considération que je viens d'indiquer, j'y ai été amené par des interruptions. J'ajoute : Pouvez-vous, lorsque les passions sont aussi excitées qu'elles l'ont été par vos alliés, par votre presse, lorsque partout en Belgique, et surtout à l'étranger, on parle de l'oppression des consciences, de persécution religieuse, pouvez-vous arriver au pouvoir avec le programme économique dont vous nous avez entretenus ? Lorsque vous avez permis qu'on fanatisât les populations, lorsque vous avez dénoncé les libéraux comme portant atteinte aux libertés des catholiques, pouvez-vous arriver simplement au pouvoir avec un programme de réformes douanières et de vaines réformes électorales ? Mais avouez donc, messieurs, que cela n'est pas sérieux, et convenez que le lendemain du jour de votre avènement, vous seriez tenus à chercher à accomplir votre véritable programme. C'est là une conséquence nécessaire de tous vos antécédents.

Vous nous dites aujourd'hui : « Nous voulons débarrasser le terrain politique des questions religieuses qui y ont été introduites. » Voilà quelle est votre nouvelle prétention.

Les questions religieuses !... Mais quelles sont donc les questions religieuses qui s'agitent en Belgique ? Est-ce que nous nous occupons de dogmes, de rites ? Les questions religieuses l Mais je ne connais pas de questions religieuses, agitées jusqu'à présent, que nos honorables adversaires n'aient pas eux-mêmes soulevées ! (Interruption.)

L'honorable M. Kervyn de Lettenhove paraît en douter ; il paraît protester contre mes paroles ; l'honorable membre se trompe, et c'est ce que je vais lui démontrer. Voyons quelles sont ces questions ?

La première question, la question capitale, c'est celle de l'enseignement. Que demandaient les libéraux en fait d'enseignement ? Ils demandaient que, conformément aux prescriptions de la Constitution, un enseignement public fût organisé par la loi. Si c'est là votre question religieuse, voilà en regard la prétention légitime du parti libéral.

Etant au pouvoir, qu'avez-vous fait cependant pour obéir à cette prescription formelle de la Constitution ? Vous avez mis sous le séquestre les projets de loi préparés pour organiser l'enseignement public ; vous avez, pendant douze ans, opposé une fin de non-recevoir à la discussion de loi de l'enseignement primaire. Il a fallu l'avènement des libéraux au pouvoir pour obtenir la loi de l'enseignement moyen.

Le jour où vous avez dû céder sur la question de l'organisation de l'enseignement par la loi, alors une prétention purement cléricale a été soulevée. cette prétention est celle-ci : Il n'y aura pas d'enseignement public, si le clergé ne participe pas à la nomination des professeurs. Cette prétention n'a pas été abandonnée ; elle a été maintenue jusqu'en 1850, et elle est reproduite jusqu'aujourd'hui sous cette formule : « Homogénéité du corps enseignant. »

Voilà la prétention que vous défendez.

Or, si vous disiez : « Nous voulons avoir des écoles à nous ; nous permettons que l'Etat organise purement et simplement ses écoles à lui, » je ne le trouverais pas mauvais. Mais, vous faisant les défenseurs d'une prétention purement cléricale, vous venez dire : « Nous réglerons nos écoles à nous comme nous l'entendons, sans aucun contrôle (ce qui est très légitime) ; mais celles que vous érigez, nous entendons les diriger avec vous. » (Interruption.) Oh ! c'est parfaitement exact ! Vous voulez remettre la direction de ces écoles au clergé. Voilà la prétention que vous avez manifestée, voilà la prétention que nous avons toujours combattue et que nous continuerons à combattre.

Les écoles publiques une fois créées et organisées, malgré vous, les professeurs ont été dénoncés dans les mandements épiscopaux. Vous vous êtes associés aux exigences des évêques. Y renoncez-vous aujourd'hui ? N'a-t-il pas été déclaré que l'enseignement supérieur ne pouvait jamais être contraire à aucun dogme de l'Eglise catholique ?

Si vous pouviez être contraints à envoyer vos enfants dans les écoles qui vous répugnent...

M. de Mérode. - Cela viendra.

MfFOµ. - Cela ne viendra jamais, M. de Mérode. Jamais les libéraux ne failliront à leurs principes qui veulent en toutes choses la liberté et la tolérance.

Donc, que vous ayez vos écoles, c'est très bien ; personne de vous n'est contraint d'entrer dans les écoles organisées par l'Etat ; mais aussi, laissez faire l'Etat, et ne vous faites pas exclusivement les représentants des évêques dans cette question. (Interruption.)

Les catholiques contribuent dans les dépenses de ces écoles, dites-vous ? Sans doute ; mais les libéraux contribuent aussi dans toutes les dépenses du culte ; la plus grande intervention de l'Etat en Belgique, est celle qui existe en faveur des cultes ; et si les écoles dont vous avez parlé hier subsistent et prospèrent, ce n'est pas uniquement, il est utile que le pays le sache, uniquement à vos propres sacrifices que cette situation est due. Une foule de ces écoles subsistent grâce aux subsides communaux, et grâce à l'intervention de l'Etat. Il n'est pas jusqu'à l'université catholique qui ne prenne sa part au budget...

M. Delcourµ. - Sous quel rapport ?

MfFOµ. - Je vais vous le dire. Sous le rapport de ses locaux, de ses collections et de sa bibliothèque, qui sont ou des propriétés de la commune ou des propriétés de l'Etat, et pour lesquels vous devriez vous imposer des sacrifices immenses si vous n'en aviez pas la jouissance. De sorte que, pour les établissements même qui se présentent sous les plus grandes apparences de la liberté, vous ne pouvez nier l'intervention de l'Etat.

Une autre question nous a divisés ; c'est l'établissement de la personnalité civile des corporations. On a essayé de l'obtenir par des moyens indirects, par des arrêtés royaux. Mais les tribunaux ont déclaré ces actes inconstitutionnels. On a essayé alors de l'imposer par une loi ! Est ce nous qui avons provoqué cette loi ?

M, Nothombµ. – Certainement.

(page 541) MfFOµ. - La loi a été imposée le jour où l'honorable M. de Decker a refusé d'obéir à des mandements épiscopaux ; ce jour-là, on a, à titre de menace, demandé dans cette Chambre la mise à l'ordre du jour du projet de loi qui dormait dans les cartons...

M. Nothombµ. - Profonde erreur vingt fois réfutée !

MfFOµ. - Ce sont là, messieurs, toutes prétentions purement cléricales ; ce sont les prétentions des corporations religieuses à obtenir certains privilèges, sous prétexte de libertés ; ces prétentions, vous les avez produites, vous les avez encouragées et soutenues, tandis que nous, libéraux, nous demandons simplement le maintien de la législation qui date de 60 ans en Belgique.

Messieurs, il n'y avait pas encore, paraît-il, assez d'agitation dans le pays ; on a inventé un nouveau moyen pour l'augmenter ; on a exhumé la funèbre question des cimetières. Qui donc a soulevé cette question ? Qui donc a fait de l'agitation à l'aide de cette question ? Exclusivement vous. (Interruption.) C'est donc nous qui faisons pétitionner ? C'est donc nous qui avons apporté cette question à la tribune ? Non, messieurs, non ! C'est vous qui faites de l'agitation, malgré cet esprit d'ordre et de conservation que vous revendiquez comme un monopole pour votre parti, c'est vous qui vous servez de cette question pour tourmenter les personnes crédules, la partie la moins éclairée des populations, les femmes, les vieillards, les enfants, et tout cela dans un intérêt purement clérical !

Vous venez soulever aujourd'hui dans le parlement une question qui a existé de tout temps et que vos propres amis ont jugé prudent de ne pas agiter, et surtout de ne pas décider. Les griefs que vous nous imputez, sous ce rapport, vous deviez, si vous aviez été impartiaux, les imputer d'abord à vos propres amis, qui, lorsqu'ils étaient au pouvoir, ont agi absolument comme nous l'avons fait nous-mêmes.

Messieurs, on parlait tout à l'heure des cimetières de Tournai. Eh bien, je vais vous démontrer, à ce propos, que toute l'agitation qu'on fait aujourd'hui a pour objet une question qui existe depuis bien longtemps déjà ; cela vous prouvera aussi qu'on l'agite aujourd'hui exclusivement dans un intérêt de parti, et, je le répète, dans un intérêt purement clérical.

En 1836, le conseil communal de Tournai voulut agrandir le cimetière de la ville. M. l'évêque fut consulté sur cette question, et voici ce qu'il répondit :

« Je regrette de n'avoir pu répondre plus tôt à votre lettre du 28 janvier, relative à un projet qu'a conçu l'administration de la ville d'agrandir le cimetière commun de Saint-Mard ; néanmoins la cause de ce retard a été entièrement indépendante de ma volonté. Les difficultés qui se sont présentées aussitôt à mon esprit pour s'opposer à ce projet, m'ont paru assez sérieuses pour m'engager à suspendre ma réponse et à examiner avec attention la question qui m'était adressée.

« Je l'ai fait, mais mes efforts n'ont point obtenu le résultat que j'en attendais. Alors, je me suis décidé à vous communiquer les difficultés qui m'arrêtent, en conservant l'espoir de trouver dans votre sagesse le moyen d'éclaircir mes doutes et de dissiper mes inquiétudes.

« Je conviens, messieurs, que l'agrandissement du cimetière, entrepris dans la vue de pouvoir faire des concessions partielles aux familles, est un bien en soi, et les motifs qui viennent à l'appui de ce dessein, auraient emporté mon adhésion, sans réserve aucune, s'ils n'étaient point combattus par des motifs contraires et même fort solides. N'allons-nous pas voir notre cimetière offrir, comme celui de Père-Lachaise, par exemple, un mélange scandaleux de professions de christianisme et de professions d'athéisme et d'impiété ? Au moins devons-nous nous attendre d'y voir des emblèmes du paganisme, des pierres sépulcrales avec des inscriptions mondaines et des éloges d'hommes qui ont vécu sans foi, sans religion et souvent sans mœurs ? Y aura-t-il un terrain réservé pour ceux qui ne meurent pas dans la communion de l'Eglise catholique, ou qui sont privés par elle de la sépulture sainte et solennelle, comme aussi un lieu pour enterrer les enfants morts sans le baptême ?

« Voilà, messieurs, des difficultés qui m'inspirent de justes craintes ; ces craintes augmentent encore à la vue de cet esprit d'irréligion qui règne aujourd'hui et de ce mépris formel des lois de l'Eglise et de ses ministres.

« J'espère toutefois que vous parviendrez à les dissiper.

« Recevez, messieurs, l'assurance de ma considération distinguée.

« (Signé) Gaspard, évêque de Tournai. »

M. l'évêque de Tournai, ne pouvant pas obtenir satisfaction de la part du collège échevinal, s'adressa le 10 juillet 1836 à M. le gouverneur du Hainaut. Il reproduit dans sa lettre des observations que je crois intéressant de vous communiquer encore :

« M. le gouverneur,

« Placé entre mon devoir et le désir d'obliger, j'ai hésité longtemps à prendre un parti sur le projet d'agrandissement du cimetière du faubourg Saint-Martin, formé par la régence de la ville de Tournai. C'est ce qui a été la cause du retard que j'ai apporté à vous faire parvenir mon avis sur cette affaire.

« Je désirerais vivement, d'un côté, faire chose agréable à la régence de Tournai en donnant mon assentiment à ce projet et, d'un autre côté, je crains par ma sanction de poser un antécédent qui produirait dans la suite de funestes résultats. Dans l'ordre actuel des choses, établir un nouveau cimetière dans la vue de faire des concessions de terrains pour y construire des caveaux, des mausolées, ce serait s'exposer à voir ajouter les scandales du cimetière du Père Lachaise aux désordres et aux violences dont nous avons déjà à gémir.

« Cette crainte me paraît d'autant plus fondée, que l'on affecte de mépriser aujourd'hui la discipline de l'Eglise et de ne plus garder aucune mesure à cet égard.

« Combien d'exemples scandaleux de ce genre n'avons-nous pas eu à déplorer de fois depuis quelques semaines dans le diocèse ! Je veux parler des scènes affligeantes qui ont eu lieu tout récemment encore à Ath, à Leuze et à Antoing, au sujet du refus de sépulture que les lois ecclésiastiques vous refusent impérieusement en pareil cas, et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que les administrations communales, qui devraient se contenter de faire de la bonne police, sont bien loin de demeurer étrangères à ces sortes de désordres. Ce choc des autorités spirituelle et civile est bien propre à les affaiblir l'une et l'autre en les désunissant et à démoraliser le peuple.

« Je crois donc, en ma qualité de chef spirituel du diocèse, de ne pouvoir prêter la main aux projets du genre, de celui qui est ici proposé, aussi longtemps qu'on n'aura pas opposé une barrière à ces violences, qui portent une atteinte directe à la liberté des cultes et qu'il n'y aura point de garantie pour le maintien de l'ordre et la libre exécution des lois de l'Eglise en cette matière ; du reste, les deux cimetières de la ville suffisent, eu égard à la population.

« Il y aurait peut être moyen de parer aux inconvénients signalés plus haut, en substituant, par exemple, les fabriques d'église aux administrations communales dans les endroits où l'on voudrait acquérir des cimetières destinés à la construction des caveaux et mausolées. A Tournai, la fabrique de la cathédrale ou de toute autre église de la ville pourrait faire elle-même l'acquisition dont il s'agit, et se chargerait de faire aussi elle-même les concessions de terrain pour la même fin, à des conditions raisonnables.

« Par cette combinaison on aurait l'espoir que ce saint lieu ne deviendrait plus si souvent un théâtre de scandales et de désordres.

« J'abandonne cette proposition à votre sagesse et à vos méditations et il me serait agréable de connaître votre opinion et votre avis à cet égard.

« (Signé) X. Gaspard, évêque de Tournai. »

Ainsi, messieurs, toutes les prétentions annoncées comme nouvelles et surgissant aujourd'hui uniquement, assure-t-on, à cause de ce qui s'est passé à Uccle ; tout cela était parfaitement connu, tout cela était parfaitement indiqué dès 1836, et les scandales, si scandales il y a, existaient parfaitement dès cette époque.

Qu'a fait cependant l'honorable M. de Theux, ministre de l'intérieur, lorsque ces réclamations se sont produites ? L'honorable M. de Theux a-t-il donné aux fabriques le droit d'acquérir des cimetières ? a-t-il refusé ce droit à la commune ? a-t-il tout au moins prescrit d'établir, dans le cimetière à créer, les divisions que réclamait M. l'évêque de Tournai ? Nullement, messieurs ; voici ce que fit l'honorable M. de Theux :

« Par arrêté royal du 30 mai 1837, la ville de Tournai a été autorisée à acquérir de la fabrique de l'église de Saint-Piat un terrain destiné à l'agrandissement du cimetière du faubourg Saint-Martin. »

Voilà, messieurs, comment cette question était entendue à cette époque, sous le ministère de l'honorable M. de Theux.

Et voilà que cette question est présentée aujourd'hui comme un prétendu grief à charge de l'opinion libérale !

Je vous le répète donc, c'est vous, vous seuls, qui avez soulevé toutes les questions que vous appelez religieuses (interruption), toutes sans ()page 542) exception ! Vous avez soulevé toutes les questions religieuses qui agitent si profondément le pays, qui le divisent et le troublent. Il vous appartient d'y renoncer ; et quand vous aurez renoncé à vos prétentions cléricales en matière d'enseignement ; quand vous aurez renoncé à vos présentions cléricales en matière de cimetières, quand vous aurez fait cela, messieurs, alors la paix pourra renaître dans le pays.

M. B. Dumortier. - Pour être tout à fait exact, il faudrait dire que le cimetière de Tournai est le seul en Belgique qui appartienne à la ville.

MfFOµ. - Mais vous ne connaissez pas les faits.

M. B. Dumortier. - Je les connais comme ma poche. (Interruption) Le cimetière de Tournai est la propriété de la ville. Partout ailleurs, les cimetières appartiennent aux fabriques d'église.

MfFOµ. - Vous êtes dans l'erreur ; et, au surplus, la question de propriété n'a que faire ici.

Messieurs, est-il permis de croire que vous renoncerez à ces prétentions ? Est-il permis de croire que, parvenus au pouvoir, vous pourrez vous abstenir de vous occuper de ces questions ?

Mais, messieurs, pourquoi alors, je vous le demande, je vous le demande pour la seconde fois, car vous ne m'avez pas répondu, pourquoi alors avez-vous convoqué le congrès de Malines, et pourquoi y avez-vous formulé toutes les prétentions que vous soutenez comme hommes politiques ? Ah ! vous croyez qu'il suffit, pour calmer le pays, de venir nous dire : Nous nous occupons de science, nous sommes à la recherche de la vérité sociale, de l'idéal, c'est de science que nous nous occupons.

Voyons : Vous placez à la tête de ce congrès un homme politique et qui a renoncé à la défense de vos intérêts pour se réfugier dans les honneurs lucratifs de la première position judiciaire du pays, et qui occupe ses loisirs à réhabiliter la mémoire du duc d'Albe et de Philippe II !

- Voix à droite. - Oh ! oh !

- Voix à gauche. - Oui ! oui ! c'est vrai !

MfFOµ. - Vous placez à la tête du congrès de Malines un vieillard passionné, qui traduit à la barre de cette assemblée...

M. de Theuxµ. - Je voudrais qu'il y eût beaucoup d'hommes aussi honorables en Belgique.

MfFOµ. - Sans doute ! Mais s'il était moins passionné, il ne serait pas moins honorable. (Interruption.)

M. Rodenbachµ. - Le premier historien du pays.

MfFOµ. - Cet homme honorable...

M. de Theuxµ. - Oui.

MfFOµ. - Cet homme honorable, mais passionné...

M. de Theuxµ. - Non !

- Voix à gauche. - Si ! Si !

MfFOµ. - Cet homme honorable, mais passionné, traduit à la barre du congrès de Malines, dans un langage compromettant pour sa dignité, le parti libéral tout entier ; il ose faire allusion à notre avènement au pouvoir en parlant des journées de mai-novembre, ramassant ainsi l'ignoble injure qui traîne dans votre presse ; cet homme que vous placez à la tête de votre assemblée et qui insulte le gouvernement du pays, quelle est sa première parole ? « Il nous faut des couvents ! » (Interruption.) Mais ce n'est pas dans le sens que nous attachons aujourd'hui en Belgique à ce mot de couvent, car nous, libéraux, nous entendons par là l'association non privilégiée ; mais il vous dit, dans la note qui accompagne son discours, que ce n'est pas là ce qu'il veut : Votre législation actuelle est insuffisante, dit-il ; elle autorise les corporations, mais elle ne leur donne pas les moyens de vivre, Il faut donc une autre législation que celle que nous avons, il faut donner la personnification civile aux associations, et les constituer dans de telles conditions qu'elles puissent vivre. Prétentions que nous avons combattues depuis 1830 !

Et après cela, on viendra dire au pays : Nous sommes à la recherche de la vérité pure, de l'idéal ! nous faisons de la science, nous ne faisons pas de politique ! (Interruption.)

Messieurs, avant de terminer, je veux répondre à un reproche qui nous a été fait plusieurs fois dans cette Chambre et qui a été répété hier encore. On a dit que les libéraux voulaient frapper les catholiques d'ostracisme ! Quelle injustice et j'oserai dire quelle absurdité !

Si l'on ne pouvait être libéral et catholique ou catholique et libéral, quel singulier spectacle présenterait le pays ? Les catholiques seraient seuls envoyés pour siéger à droite ; à gauche il n'y aurait pas de catholiques. Quelle serait la conséquence d'une pareille situation ? Que dans le pays légal, tout au moins, la majorité appartiendrait à ceux qui ne seraient pas catholiques. (Interruption.)

Tous les électeurs des villes ne seraient pas catholiques, les électeurs des conseils provinciaux ne seraient pas catholiques !

M. de Naeyer. - Voilà quelles seraient les conséquences logiques de votre doctrine.

MfFOµ. - Cela résulte, au contraire, de ce que vous voulez démontrer.

M. de Naeyer. - De ce que nous repoussons.

MfFOµ. - Cela ne résulte pas de ce que nous soutenons, mais de la thèse que vous défendez vous-mêmes. Vous dites que les catholiques sont exclus des fonctions publiques, qu'ils sont frappés d'ostracisme !

M. de Naeyer. - Votre conduite mène à cela.

MfFOµ. - Nullement ! Ce sont vos doctrines et vos prétentions qui conduisent à la conséquence que je viens d’énoncer. Pour prétendre que les catholiques sont frappés d'ostracisme, il faudrait dire que les électeurs libéraux, les élus libéraux, les choix en général faits par ces libéraux, ne comprennent que des individus qui ne sont pas catholiques ! Une pareille assertion énoncée en Belgique est une véritable absurdité. (Interruption.)

- Plusieurs voix à gauche. - N'interrompez donc pas. On ne vous a pas interrompu.

MfFOµ. - Je comprends les interruptions, et je les accepte. Elles sont quelquefois nécessaires ; elles servent à expliquer la pensée.

Je dis donc que le reproche formulé contre nous manque de justice et de vérité, qu'il n'est pas vrai, comme on l'a affirmé et imprimé. Si cela était vrai, il faudrait reconnaître que ceux qui ne sont pas catholiques sont dans le pays légal en majorité. (Interruption.)

Cela signifie que vous confondez les doctrines religieuses avec les doctrines politiques. Vous voulez qu'on ne puisse pas être libéral et catholique.

M. de Naeyer. - Ce sont vos prétentions.

MfFOµ. - Je soutiens le contraire, je soutiens qu'on peut être catholique et libéral, comme je soutiens qu'on peut être libéral et catholique, et cela prouve que votre thèse est fausse, que vos reproches ne sont pas fondés, qu'ils manquent de vérité.

On pourrait dire tel catholique libéral a été nommé, on l'a choisi parce qu'il était libéral quoique catholique. Vous ne pouvez pas prétendre qu'il a été choisi parce qu'il n'était pas catholique.

M. de Naeyer. - Vous ne m'avez pas compris.

MfFOµ. - J'ai au contraire très bien compris !

Vous avez dit encore : « Vous avez déclaré que la présence au pouvoir des catholiques, dans la situation actuelle, serait un danger pour le pays. Il y a là contradiction, car vous nous avez sommés de prendre le pouvoir. »

Oh ! certes, il y aurait contradiction si l'abandon du pouvoir de notre part était un fait volontaire. Mais cet abandon est forcé ; nous ne cédons qu'à vos efforts, qui rendent pour nous l'exercice du pouvoir impossible. C'est pourquoi nous vous disons : Prenez le gouvernement, mais votre présence au pouvoir est un danger. Nous cédons à un fait, mais nous constatons les conséquences de ce fait ; nos appréciations, nous les maintenons. Ce danger où est-il ? S'il y avait dans ce pays un parti radical considérable, influent, qui serait notre allié, qui menacerait le pays de bouleversement, qui prétendrait apporter dans ses lois organiques des réformes de la plus haute gravité, s'il s'associait à notre politique, à tous nos actes, nous voyant avec un pareil appui, que diriez-vous ? Ne diriez-vous pas : Il y a là un véritable danger pour le pays ? Est-ce que les discours de vos orateurs les plus éloquents, les plus écoutés n'ont pas été longtemps bâtis sur ce thème : Il y a derrière vous des hommes qui vous poussent, des radicaux, avec lesquels vous serez obligés de compter, et qui compromettront la sécurité et le bonheur du pays !

Et aujourd'hui, nous ne serions pas autorisés à signaler au pays le danger qui résulterait de votre présence au pouvoir, quand il y a là, derrière vous, de votre propre aveu, et je dis moi, un parti plus puissant que vous, qui vous domine, un parti opposé à nos institutions, un parti qui attaque ces institutions dans leur essence, un parti qui va jusqu'à inspirer des doutes aux libéraux catholiques, jusqu'à faire naître dans (page 543) leur âme des scrupules sur la validité du serment qu'ils ont prêté à la Constitution. (Interruption).

Messieurs, l'interruption m'étonne. M. l'archevêque de Malines, le primat de la Belgique, a été invité par des hommes qui sans doute éprouvaient les mêmes alarmes que moi, à faire entendre sa voix dans cette circonstance.

« Vous m'avez fait observer, dit-il, que cette publication est devenue urgente ; on cherche, en effet, à alarmer de nouveau les consciences au sujet du serment de la Constitution, eu prétendant que le vénérable pontife Grégoire XVI en a condamné les articles qui concernent la liberté des cultes et de la presse ; on va même jusqu'à blâmer le Congrès national d'avoir accordé ces libertés, et à imputer aux catholiques de n'avoir accepté ces libertés que comme des concessions transitoires, et d'être prêts à en provoquer la suppression, dès que les circonstances le permettront. »

Ai-je donc été seul à signaler les dangers de cette situation, et cette voix autorisée, la récuserez-vous aussi ?

.M. Dechamps. - Et c'est ce prélat que vous placez à la tête de cette conspiration !

MfFOµ. - Je n'ai point jusqu'à présent prononcé son nom. (Interruption.) Au surplus, je vous ai rendu hommage. Ne croyez pas que je cherche des adversaires sur cette question.

Je ne partage pas assurément la manière de voir et l'interprétation de la Constitution qui se trouve dans la lettre de Mgr l'archevêque de Malines. Je ne puis pas croire que la Constitution ne consacre pas la garantie de la liberté de conscience ; mais en lisant cette lettre, en constatant les efforts qu'il a faits pour rattacher les catholiques à la Constitution, mon esprit se refuse à la controverse, et je le remercie de ce qu'il a fait. (Interruption.)

Oui, mais il s'adressait comme vous, comme moi, avec plus d'autorité que vous, avec plus d'autorité que moi, à ceux qui mettent en péril les principes fondamentaux de la Constitution....

M. Coomans. - Où sont-ils ?

MfFOµ. - Je vous ai dit qu'il existait dans le pays un élément étranger, considérable...

- Voix nombreuses à droite. - Non ! non !

M. De Fré. - Vous l'avez craint.

MfFOµ. - ... qui fanatise les populations, qui soulève des passions religieuses qui n'avaient existé dans le pays à aucune époque, et qui s'y révèlent aujourd'hui, qui parle d'oppression des consciences, de persécution religieuse, qui suscite toutes ces questions que vous avez le tort de venir défendre ici à votre tour. C’est à ce parti que Mgr le cardinal répondait peut-être en disant avec plus de vérité et je n’en remercie encore :

« Malgré nos dissensions politiques, notre belle patrie jouit d'une grande prospérité. La religion, l'agriculture, le commerce, l'industrie, les sciences et les arts ont fait d'étonnants progrès depuis notre émancipation. »

M. Coomans. - Cela est clair.

MfFOµ. - Il est donc clair que la religion a fait des progrès depuis notre émancipation, bien qu'elle soit persécutée et opprimée de toutes les manières.

M. Wasseigeµ. - Peut-être à cause de cela. (Interruption.)

MfFOµ. - L'honorable M. Wasseige est peut-être un des martyrs de la foi. Je suis heureux de constater que, pour un martyr, il ne se porte pas trop mal.

Messieurs, nous faisons dans ce pays une grande expérience. Sur ce petit coin de terre qui semble avoir reçu depuis 30 ans toutes les bénédictions du ciel, qui a été libre, heureux et prospère, on soulève aujourd'hui des questions bien dangereuses. Des ennemis, de vrais ennemis de la liberté, s'attaquent incessamment aux principes essentiels de notre Constitution et les présentent au peuple comme la source des plus grands maux. Nous avons à les combattre, et pour toute punition, nous ferons régner pour eux la liberté qu'ils maudissent tous les jours !

MpVµ. - La parole est à M. Van Humbeeck.

M. Van Humbeeckµ. - Je ferai observer qu'il serait plus convenable de donner maintenant la parole à' un orateur de la droite.

MpVµ. - Il est de la jurisprudence de la Chambre que quand un ministre prend la parole, il n'interrompt pas l'ordre d'inscription des orateurs. On a toujours procédé ainsi. La parole est donc à M. Van Humbeeck.

M. Pirmez. - Je dois faire observer à M. le président que si les deux orateurs étaient d'accord, il n'y aurait aucun inconvénient à ce qu'un orateur de la droite fût entendu avant M. Van Humbeeck.

MpVµ. - Si M. Schollaert veut parler maintenant, je lui accorderai la parole.

M. Schollaertµ. - Je suis à la disposition de la Chambre.

(page 549) MpVµ. - La parole est à M. Schollaert.

M. Schollaertµ. - Messieurs, appelé à parler après le grand et énergique orateur que vous venez d'entendre, je n'ai jamais senti aussi cruellement qu'en ce moment mon insuffisance et ma faiblesse.

Aussi dans un tel cas, où il m'est complètement impossible de lutter à armes égales, votre indulgence, messieurs, devient pour moi une espèce de justice.

Je ne parlerai ni du programme de l'honorable M. Dechamps, ni de la crise ministérielle ; mais je veux traiter avec modération et franchise la question religieuse que ces débats solennels ont soulevée.

A l'exemple de l'honorable M. Orts, dont je tâcherai d'imiter l'exquise convenance et dont je désespère d'atteindre la parfaite lucidité, je prie la Chambre de bien vouloir me permettre de reprendre les choses d'un peu haut.

Depuis 25 ans je ne cesse de prétendre que le premier intérêt des hommes religieux dans ce pays et dans tous les pays constitutionnels, est d'affirmer hautement, constamment, loyalement, leur amour pour la liberté.

La liberté, et spécialement la liberté religieuse, est d'origine évangélique et chrétienne. Aucun penseur sérieux ne contestera cela. Dans le temps, comme dans l'espace, on n'en trouve aucun germe sérieux en dehors du christianisme.

Les anciens, ces aristocrates possesseurs d'esclaves, n'en avaient pas même l'idée. Le christianisme, en faisant grandir dans l'âme humaine l'idée de la justice et le respect du droit, prépare depuis dix-huit siècles l'avènement de la liberté.

La liberté a eu de tout temps, dans le sein de l'Eglise, des confesseurs et des défenseurs. D'illustres docteurs, de glorieux évêques catholiques, Lactance, Tertullien, saint Augustin, saint Hilaire, saint Martin de Tours, saint Anselme et vingt autres ont compris et proclamé presque dès les exordes de l'Eglise les droits de la conscience et la dignité de l'esprit humain.

Dans l'ordre laïque, Henri IV leur rendit hommage par la publication de l'édit de Nantes ; Guillaume le Taciturne essaya plus d'une fois d'en accréditer le respect.

Mais ces grandes âmes, suivant l'expression d'un illustre écrivain, sont éparses et solitaires dans l'histoire.

Pendant des siècles les hommes, sans distinction de culte ou de nationalité, trouvèrent fort simple de mettre la force au service de l'idée, de faire intervenir la violence dans des luttes purement morales, comme l’ultima ratio des argumentants !

C'est là, messieurs, un fait général, une erreur cruelle, mais commune à tout le passé !

Pour taxer le catholicisme d'intolérance, on a parlé de la Saint-Barthélemy ; mais sans vouloir irriter ces débats ni m'appesantir sur des faits qu'il est bon de laisser enfouis dans la nuit sanglante du passé, je ferai observer que l'on tomberait dans une erreur étrange, si l’on croyait que les grands réformateurs du XVIème siècle prêchaient et défendaient la liberté de conscience.

D'après les écrivains les plus compétents, suivant les protestants eux-mêmes, Luther, Calvin, Henri VIII étaient d'impitoyables persécuteurs ; aussi impitoyables que d'autres ennemis de l'Eglise dont le souvenir nous touche da plus près et qu'il est permis d'appeler les bourreaux de la terreur française.

Oui, comme science (car c'est une science), comme formule de justice pratique et sociale, la liberté est la plus précieuse et l'une des plus récentes conquêtes de l'esprit moderne.

Il semble dans la destinée du genre humain d'être conduit aux grandes découvertes, qui font son salut et sa gloire, par le double stimulant de la nécessité et de la souffrance. La nécessité d'échapper à une situation intolérable est la cause réelle de la plupart de nos progrès.

C'est par cette loi et en suivant la voie douloureuse dont je viens de parler, que les hommes, après des siècles de persécution, finirent par s'apercevoir que les bûchers comme les guillotines, quelle que soit la main qui les allume ou les dresse, ne prouvent rien, absolument rien, sinon la férocité des bourreaux et le courage des victimes !

De cette pensée l'esprit moderne tira deux principes pratiques. Il déclara l'incompétence absolue de la force en matière spirituelle et proclama la nécessité d'établir une profonde distinction entre la société civile et les sociétés religieuses.

C'est par ce double principe que la liberté pénétra dans l'esprit de l'homme et en prit possession à jamais ; et sans vouloir préjuger la marche de 1 histoire, je pense, pour ma part, que l'homme ne perdra pas plus désormais la notion salutaire de la liberté que la démonstration du carré de l'hypoténuse. Il y a, dans l'ordre moral comme dans l’ordre scientifique, des conquêtes inadmissibles.

En 1831 la Belgique fit entrer la liberté dans son immortelle Constitution.

Elle la voulut en tout et pour tous !

Tous ses enfants, juifs, protestants, catholiques, libres penseurs, acceptèrent sans réserve le doit nouveau et promirent de s'y maintenir réciproquement, à travers toutes les éventualités et toutes les vicissitudes de l'avenir !

Quoiqu'on en ait dit, les catholiques pouvaient en conscience, c'est-à-dire sans toucher ni à l'unité ni à l'infaillibilité spirituelle de leur Eglise et de son chef, ni à aucun dogme religieux, accepter un contrat politique d'accord avec leurs intérêts les plus chers et uniquement créé pour régler des droits et des rapports civils entre eux et leurs compatriotes dissidents.

« Au point de vue religieux, leur adhésion, pour me servir des expressions d'un publiciste célèbre, consistait uniquement à reconnaître la séparation de la vie civile et de la vie religieuse ; l'autorité de l'esprit seul sur l'esprit, et le droit de la conscience humaine à n'être pas gouvernée dans ses rapports avec Dieu, par des décrets et des châtiments humains. »

Aussi personne, à cette époque, n'avait le moindre doute sur leur complète sincérité. Au Congrès national, tous les partis, au contraire, s'unissaient dans un même enthousiasme pour la glorification du grand acte qui venait d'être conclu et qui devait être désormais le fondement de toutes nos institutions.

Si, à cette époque, on était venu dire au congrès que ces catholiques, si ardents à introduire les plus larges libertés constitutionnelles, devaient être accueillis avec réserve et défiance ; que leur foi religieuse était une cause de suspicion légitime et que leur soumission au chef de l'Eglise ôtait, malgré eux, toute valeur à leurs protestations et toute garantie à leurs promesses, enfin qu'entre leurs mains nos institutions libérales auraient couru d'incontestables périls ; si l'on était venu dire au Congrès que dans les conditions d'infériorité et d'asservissement où se trouvent les catholiques, le pouvoir ne pouvait être confié avec sécurité qu'à des intelligences affranchies de toute autorité religieuse ; ou, ce qui revient au même, ne pourrait être remis avec avantage qu'à des rationalistes ou à des libres penseurs, savez-vous, messieurs, ce que le Congrès aurait répondu ?

M. Rodenbachµ. - Il aurait sifflé.

M. Schollaertµ. - Non, messieurs, ii n’aurait pas sifflé, mais les catholiques du Congrès se seraient levés et auraient dit aux hommes inquiets et troublés qui leur auraient tenu ce langage :

Remettez-vous ; nous sommes ici en majorité formidable, nous pourrions introduire dans le pacte constitutionnel telle réserve que nous jugerions a propos et telle restriction que pourrait nous commander notre conscience ; mais nous ne voulons pas, au jour où nous sommes victorieux... (Interruption.) C'est un fait incontestable. (Nouvelle interruption.) Aujourd'hui que nous sommes majorité, nous voulons largement et spontanément vous accorder toutes les libertés que vous réclamez, afin que vous reconnaissiez notre amour pour elles, et que vous nous les laissiez, dans la plénitude où vous les aurez reçues, le jour où vous serer les plus forts et nous les plus faibles !

(page 550) Trente-trois années ont passé sur le Congrès national. Or, je vous le demande, messieurs, y a-t-il quelqu'un ici qui puisse affirmer en conscience que, depuis ces trente-trois ans, la Constitution ait été sérieusement, réellement violée ? Oh ! j’ai lui cette affirmation dans les journaux qui manquent généralement d’impartialité, mais l’histoire ne la répétera pas. L’histoire reconnaîtra, pour notre gloire commune, qu’autant qu’une chose peut être respectée par des hommes, la Constitution a été respectée par nous et par vous. (Interruption.)

Qu'on me montre donc une de ces violations flagrantes qui permettent à un pays de se diviser en deux camps implacables !

Pour moi, je n'en connais pas, et je crois, avec le vénérable primat de la Belgique, dont M. le ministre des finances invoquait hier le grave et consciencieux témoignage que, malgré nos dissensions politiques, la Constitution n'a pas cessé un seul instant d'être pour la Belgique la source respectée d'une grande prospérité religieuse, morale et matérielle. Nous nous calomnierions devant l'étranger en laissant croire qu'il y a, dans ce pays, des citoyens qui méditent la destruction de l'œuvre de 1830. (Interruption.)

Permettez, messieurs, je veux constater que les catholiques, les membres de la droite, ceux qu'on nomme le parti clérical, et vous venez d'applaudir à mes paroles, n'ont pas touché à la Constitution, que jamais ils n'ont exprimé le regret de l'avoir votée, ni le désir de la voir disparaître, et c'est dans ces circonstances, après trente-trois années d'expérience de la prît du pays et de dévouement de notre part, qu'on entend pour la première fois affirmer dans cette Chambre que nous, fidèles à toutes nos promesses, nous qui avons défendu en toute occasion vos libertés comme les nôtres, ne saurions entrer aux affaires sans devenir un danger pour la Belgique !

Eh bien, je le dis devant le pays, ce reproche n'est pas mérité !

S'il était vrai que la religion catholique nous rendît impossibles. (Interruption.) Ne vous récriez pas, messieurs, cette pensée a été produite dans la Chambre, non seulement par l'honorable ministre des finances qui l'a tournée contre nous avec une implacable habileté, mais à quatre ou cinq reprises, par d'autres honorables orateurs de la gauche ; et comme catholique, comme homme religieux, comme citoyen belge, je proteste contre cette prétention, qui frapperait de suspicion et d'ostracisme, la nation presque tout entière. (Interruption.)

Je répète, messieurs, que s'il était vrai, comme l'a prétendu notamment l'honorable M. De Fré, qui s'est montré très explicite à cet égard, que notre qualité de catholiques, soumis à un chef étranger, nous rendît nécessairement hostiles à la liberté et incapables de prendre part au gouvernement de notre pays, sans danger pour la chose publique, ce n'est pas la droite seulement qui serait frappée d'ostracisme : Non ! l'incapacité s'étendrait à tous les catholiques qui siègent sur vos bancs, à tous les catholiques belges, que dis-je ! à tous les catholiques du monde, qui ont le bonheur d'habiter une libre patrie !

Les églises deviendraient pour leurs fidèles des causes d'incapacité politique, et votre prétention, formulée dans le seul but d'agiter le pays, aurait pour dernier terme cette conséquence énorme, monstrueuse, de mettre doctrinalement, dans une certaine mesure, la chrétienté tout entière hors la loi.

M. Baraµ. - Nous disons qu'on ne peut pas être clérical et constitutionnel. Voilà ce que nous soutenons.

M. Schollaertµ. - On a soutenu que l'orthodoxie catholique est incompatible avec l'orthodoxie libérale.

- Un membre. - C'est M. Veuillot qui a dit cela.

M. Schollaertµ. - J'admire le talent et je respecte les convictions de M. Veuillot ; mais M. Veuillot est un homme isolé. Le clergé français...

MfFOµ. - Il a forcé Mgr Sibour à retirer les censures que ce prélat avait lancées contre lui.

M. Schollaertµ. - M. Veuillot est pour les catholiques une grande leçon. Il a craint la liberté de la presse ; et il a été la première victime de sa crainte. A peine un pouvoir conforme à ses théories avait-il pris en France les rênes du pouvoir que M. Veuillot vit supprimer son journal et briser sa plume.

J'espère que de tels désagréments serviront d'avertissement à tous ceux qui pourraient penser comme lui, en Belgique ou ailleurs...

Il ne fait pas d'ailleurs nous jeter ainsi des noms propres à la tête. Dans un pays où chacun est libre de ses opinions et ne répond que de ses actes, il n'est pas juste d'imaginer, dans un intérêt de parti ou de polémique, des solidarités qui n’existent pas... Je pourrais, à cet égard, exercer de faciles représailles. N’avez-vous donc pas dans vos rangs des hommes très distingués, ayant des convictions très fermes, et qui ne sont pas du tout sympathiques à nos principes constitutionnels ? Je ne veux les désigner que de loin, parce que je désire écarter toute question de personne qui pourrait jeter de l'irritation dans ces débats.

Je reprends mon discours et je ne fais aucune difficulté de reconnaître que la pensée que je viens de combattre n'est pas celle de tous mes honorables adversaires.

Il en est, et beaucoup, auxquels je ne pourrais l'attribuer sans commettre une injustice, et puisqu'on a parlé ici de plusieurs catégories de catholiques, permettez-moi de faire à mon tour une distinction parmi les libéraux.

Il y a pour moi un parti libéral qui aime sincèrement la liberté, mais qui, pour des causes que je n'ai en ce moment ni à rechercher ni à peser et pour lesquelles d'ailleurs ils ne relèvent que de leur conscience, veillent avec une défiance extrême autour du pouvoir civil, qu'ils croient menacé par les empiétements de l'Eglise. Ce parti renferme des hommes religieux. Je crois qu'il se trompe dans ses appréhensions, mais je le respecte et je l'honore.

Il y a un autre parti moins nombreux, mais plus remuant, qui prend, lui aussi, le titre de libéral, mais chez lequel la haine de l'Eglise l'emporte sur l'amour de la liberté !

Ce sont les accusations de cette fraction irréligieuse du libéralisme qui troublent profondément le pays, parce qu'elles tendent à frapper d'une incapacité injustifiée et inacceptable une partie tout au moins très considérable, très respectable de la nation.

Dans son premier et éloquent discours, l'honorable ministre des finances s'est longtemps occupé de ce que j'appelle le côté noir de la question religieuse. Dans des intentions que je crois pures, M. le ministre a en quelque sorte fait revivre devant nous ces scènes auxquelles on était habitué dans les mauvais jours de la restauration, où M. Isambert livrait au spectre noir des assauts quotidiens et où M. Dupin déversait à flots sur les jésuites sa bile gallicane et sa verve gauloise ; je suis surpris qu'il n'ait pas été question de cette fameuse épée dont la poignée est à Rome et la pointe partout.

Il existe, a dit l'honorable M. Frère, une corporation puissante, respectable, mais qui poursuit, avec une opiniâtreté sans rivale, à travers des vicissitudes et des désastres sans fin, un but qui est incompatible avec les plus précieuses conquêtes de l'esprit nouveau. Les jésuites ne veulent ni de la liberté d'opinion, ni de la liberté de conscience, ni de la liberté de la presse ! Leur but est de restaurer l'influence sociale de la papauté. Tous les catholiques ne les suivent pas ; M. le ministre a même daigné reconnaître que les opinions qu'il leur attribue ne sont celles d'aucun de nous, mais il a ajouté que les jésuites ont la puissance, qu'ils possèdent la plupart des sièges épiscopaux et que Rome est pour eux ! Grâce à cette influence, ils dominent jusqu'aux catholiques qui voudraient leur résister, mais qui restent fatalement soumis aux décrets de l’Eglise. Aux yeux de l'honorable ministre, il suffit de cet état de choses pour que la présence de la droite aux affaires soit, dans les circonstances présentes, un danger pour le pays.

Messieurs, je veux examiner ce qu'une pareille accusation peut avoir de fondé et de grave ; et je le ferai, j'espère, sans passion.

D'abord, je ne prétends pas me constituer ici en apologiste officiel de la compagnie de Jésus. Je n'ai pas à juger son histoire, ni à apprécier son caractère. Je dirai seulement que j'ai passé quatre années de ma vie dans un collège de jésuites ; que j'y ai trouvé des hommes savants, laborieux, se levant à 4 heures du matin, se couchant à 11 heures du soir...

M. Bouvierµ. - Nous aussi.

M. Schollaertµ. - On nous a parlé des palais qu'ils habitent, et on a qualifié ces palais d'asiles de la fainéantise.

M. Baraµ. - Vous ne savez pas lire et vous ne savez pas entendre.

M. Schollaertµ. - Je n'ai pas sous les yeux les Annales parlementaires ; et je ne saurais rapporter littéralement ce qu'elles contiennent, mais j'indique le sens, la substance de la pensée que, vous avez exprimée ici ; tout le monde l'a bien entendu...

M. Baraµ. - Je ne change jamais d'opinion.

M. Schollaertµ. - Si c'est une attaque que vous lancez contre moi, vous avez tort. J'ai toujours aimé la religion, et j'ai toujours défendu la liberté. Ma faute a été d'avoir eu trop de confiance dans certaines personnes qui me le font aujourd'hui chèrement expier.

Mais devant Dieu et devant mon pays, je suis fier d'avoir eu l'âme assez haute pour ne pas être resté enchaîné à ce que je ne crains pas d'avouer comme une erreur de mon passé.

M. Bouvierµ. - Vous avez tourné casaque ! (Interruption.)

- Voix à droite. - C'est ignoble.

M. Schollaertµ. - Je dis, messieurs, que j'ai trouvé dans le (page 551) collège où j'ai passé quatre années de ma vie, - et il en est peut-être parmi vous qui pourraient l'attester aussi, - des hommes éclairés, doux, laborieux qui se levaient à quatre heures du matin, ne se couchaient que tard dans la nuit et consacraient tout leur temps, avec un dévouement et un zèle admirables, à nous inculquer le goût des bonnes et l'amour des belles choses.

Je n'ai à me vanter d'aucun mérite, mais le peu de talent et le peu de vertu que je puis posséder, je le dois à ces maîtres dont le souvenir attendrissait Voltaire et auxquels Lamartine a consacré des vers immortels. Ils ont formé mon esprit et mon cœur, et je suis heureux, dans un moment où ils sont cruellement attaqués, de leur rappeler, du haut de cette tribune, qu'ils ont conservé des élèves reconnaissants.

Mais ce devoir rempli, je répète que je ne viens pas ici me constituer le défenseur en titre de la compagnie de Jésus. Si les jésuites se rendent coupables d'actes indignes, de captations, que les tribunaux les jugent ! Plus on est élevé par le caractère, plus on mérite les rigueurs de la justice quand on manque au devoir ! Je demande seulement qu'on ne les condamne pas parce qu'ils sont jésuites, et qu'on attende, pour les condamner, que la justice les ait reconnus coupables !

Permettez-moi, messieurs, de revenir à la thèse de M. le ministre des finances ; et de me demander si les doctrines qu'il lui a plu de prêter aux jésuites, sont réellement celles que leur ordre professe.

Il me semble que, dans un débat où il s'agit d'examiner les périls que le jésuitisme peut créer à la Belgique, il faut d'abord se préoccuper des jésuites belges ! Cela me semble rigoureusement commandé par la logique et par la justice.

Or, messieurs, l'honorable M. Dechamps vous a fait connaître quelles sont sur nos libertés politiques, et en général sur notre Constitution, les idées d'un jésuite belge qui a été mon condisciple et dont je puis attester la science, la franchise et l'honorabilité.

Permettez-moi de vous le demander : Croyez-vous qu'il soit possible d'adhérer aux principes de la Constitution avec plus de netteté et de franchise que ne l'a fait le père De Buck dans le mémoire dont mon honorable ami vous a lu un fragment ?

Eh bien, dans la chaleur de l'improvisation, M. Dechamps a oublié d'insister sur ce point qui doit être nécessairement relevé dans une discussion où il s'agit d'apprécier les doctrines des jésuites en matière politique, c'est que le mémoire que le père De Buck a envoyé au congrès de Malines a été écrit sous sa responsabilité personnelle, je le reconnais, mais en acquit d'une invitation de ses supérieurs et avec l'intime conviction (ce sont les paroles de l'auteur) que, tout en exposant ses propres opinions, il se rendait l'interprète fidèle de tous ou de presque tous les religieux belges !

Et quels sont les jésuites auxquels s'est arrêtée la pensée de M. le ministre des finances ? Ce sont des religieux étrangers, trois, quatre prêtres italiens, qui ne connaissent ni nos mœurs, ni notre pays, ni notre histoire, ni les engagements politiques que nous avons contractés, ni le degré de civilisation où nous sommes parvenus ; trois ou quatre prêtres qui n'ont probablement aucune espèce de relation ni avec les hommes d'Etat ni avec l'épiscopat belges ! qui écrivent à quatre cents lieues de nous dans une langue étrangère et qui sont si peu les organes officiels de l'Eglise qu'il ne sont pas même d'accord avec leurs confrères de Belgique puisque, s'il faut en croire le P. De Buck, la plupart des religieux belges défendent d'autres doctrines.

Que diriez-vous si, pour apprécier le libéralisme belge, je m'emparais à l'étranger d'une revue ou d'un journal rédigé par des hommes respectables, si vous le voulez, mais qui ne connaîtraient ni vos sentiments, ni vos doctrines, et si, armé de ces documents, je venais vous les présenter comme l'expression de vos principes ? Oh ! vous m'opposeriez un suprême dédain et, en vérité, je ne mériterais pas un meilleur accueil.

Quoique je me sois beaucoup occupé de la question religieuse, je ne connais la Civilta cattolica que de nom. J'ignore donc jusqu'à quel point les doctrines que lui impute le Journal de Bruxelles doivent lui être attribuées, mais je n'hésite pas à déclarer que si l'honorable ministre des finances nous a donné de ces doctrines une analyse exacte, il n'y a pas à hésiter entre les opinions du père De Buck et le système du journal italien, qui répugnerait, dans ce cas, non seulement à notre droit public, mais à la loyauté du peuple belge ! Je répète toutefois que, n'ayant pas lu la Civilta, il m'est impossible de la juger.

J'ai parlé des doctrines politiques des jésuites ; souffrez maintenant que je vous entretienne, en quelques mots, de leur influence.

Est-il vrai, messieurs, que la papauté est dominée par la célèbre compagnie, qui a arrêté, s'il faut en croire nos adversaires,1'élan libéral de Pie IX quand il fut arrivé au suprême pontificat ?

Ici encore, puisqu'il y a deux sortes de jésuites, des jésuites libéraux et des jésuites absolutistes, il faudrait dire par lesquels des deux Sa Sainteté est dominée.

Est-ce par les jésuites que leurs opinions philosophiques attachent à la Civiltà ?

Est-ce par ceux qui professent en Belgique nos idées constitutionnelles et les vôtres ?

Messieurs, puisque les évêques belges sont d'après vous, comme le pape, sous cette étrange domination, j'incline à croire que celle-ci est exercée par les jésuites constitutionnels. Chaque fois en effet que les primats de la Belgique ont eu à s'exprimer sur notre Constitution, ils en ont parlé dans les mêmes termes que le père De Buck, c'est-à-dire pour la défendre et pour la glorifier.

En 1830 le prince-archevêque de Méan écrivait au congrès national la pensée de l'épiscopat sur le régime qu'on allait inaugurer. Voici les vœux qu'il exprimait. Ces vœux sont remarquables, messieurs ; ils datent de loin et n'ont pas varié depuis :

« En vous exposant les besoins et les droits des catholiques, je n'entends demander pour eux aucun privilège ; une parfaite liberté avec toutes ses conséquences, tel est l'unique objet de leurs vœux ; tel est l'avantage qu'ils veulent partager avec leurs concitoyens. »

Messieurs, je n'ai pas à revenir sur les citations qui vous ont été faites par l'honorable M. Dechamps, pour établir que le vénérable successeur de Mgr de Méan, amené à s'expliquer, à son tour, sur le même objet, ne se borne pas à confirmer la doctrine de son devancier, mais n'hésite pas à proclamer du haut de son autorité, qui est une des plus élevées de l'Eglise, que pour les catholiques ce n'est pas seulement un droit d'aimer la Constitution, mais un devoir de l'observer et de la défendre.

(page 543) - La séance est levée.