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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 24 novembre 1864

(Annales parlementaires de Belgique, Chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 57) M. de Florisone, secrétaire, procède à l’appel nominal à deux heures et un quart. Il fait lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Humbeeckµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les président et membres du conseil communal d'Heyst réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir, à l'instar des villes d'Ostende, Blankenberghe et Chaudfontaine, une part dans les bénéfices des jeux de Spa. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.


« Le sieur Arnold Longniaux, journalier, à Grede, demande un congé illimité pour son fils Nicolas-Joseph, soldat au régiment des guides. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Verlinden, cordonnier, à Bruxelles, demande la sortie de ses enfants Claire et Marie de l'école de réforme de Beernem. »

- Même renvoi.


« Des ouvriers de Gand demandent la mise en vigueur des articles du nouveau Code pénal concernant les coalitions. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Des habitants de Gand demandent que la Chambre fasse de la réforme des articles 414, 415 et 416 du Code pénal l'objet d'une loi spéciale qui serait mise immédiatement en vigueur, qui abrogerait toute répression de la coalition comme telle et qui punirait simplement la menace et la violence lorsqu'elles viennent des ouvriers comme lorsqu'elles viennent d'autres citoyens. »

« Même demande d'habitants de Bruxelles. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Gand transmet à la Chambre 125 exemplaires de l'adresse que le conseil communal de Gand vient d'envoyer aux Chambres à l'effet de réclamer de la législature l'exécution de la loi du 25 septembre 1842 en ce qui concerne l'intervention financière de l'Etat dans les dépenses de l'instruction primaire. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


« Le collège échevinal de Mons fait hommage a la Chambre de deux exemplaires du rapport qu'il a fait à l'administration communale sur la situation de cette ville. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens pour l’exercice 1865

Discussion du tableau des crédits (I. Impôts)

Contributions directes, douanes et accises

Douanes

M. Couvreurµ. - Messieurs, il y a une conclusion à tirer du débat qui s'est déroulé hier devant cette assemblée.

Cette conclusion, c'est que les temps sont loin où lorsque l'honorable ministre des finances développât les principes qui devaient guider le gouvernement en matière douanière, il était considéré comme une espèce de révolutionnaire.

Des idées, qui jadis étaient peu en faveur dans cette Chambre, y dominent aujourd'hui, comme en a témoigné l'attitude de l'assemblée, et les dispositions du parlement ne sont qu'un écho des dispositions de l'opinion publique.

Elle est réconciliée avec les principes du libre échange, et les industriels eux-mêmes, par les organes des chambres de commerce, reconnaissent que les progrès faits par le pays sont tels, qu'on peut aujourd'hui entrer dans des voies nouvelles.

C'est à peine si nous avons encore quelques protectionnistes déguisés sous le masque de libre-échangistes avec réciprocité.

Sur quel terrain les honorables défenseurs des intérêts de la pêche se sont-ils placés pour résister à l'amendement des honorables MM. Jacquemyns et Hymans ?

Ils ont plaidé la thèse de la faiblesse de l'industrie de la pêche et de la misère de ceux qu'elle nourrit.

Si la pêche est faible, ce n'est certainement pas faute de se bien nourrir. Elle mange à tous les râteliers. Elle mange au râtelier des primes, elle mange au râtelier des droits de douane. Je crois que si elle n'est pas plus forte, c'est précisément parce qu'on la nourrit trop et qu'on ne lui laisse pas faire assez d'exercice.

Mais, nous dit l’honorable M. de Vrière, quelle presse avez-vous ? Ayez confiance dans le gouvernement, tenez compte de l'intérêt du producteur. Il s'agit d'une industrie respectable que vous menacez d'une mesure radicale ; faites une enquête, examinons si nous pouvons, sans danger pour la pêche, la priver de la protection dont elle a joui jusqu'à présent.

C'est là, messieurs, le langage qu'ont toujours tenu en toute circonstance les industries privilégiées chaque fois qu'on a voulu porter atteinte à leurs privilèges. J'aurais fort à faire si je devais les énumérer.

Rappelez-vous les doléances de nos agriculteurs, de nos maîtres de forges, de nos houilleurs, chaque fois que l'on a voulu toucher aux droits sur les céréales, aux droits sur les houilles, aux droits sur les fontes, et dans une circonstance plus récente encore, n'avez-vous pas vu dans le département du Nord en France, lorsque l'empereur a conclu le traité avec l'Angleterre, une profonde agitation ? N'y a-t-il pas eu également une demande d'enquête ?

Qu'en est-il résulté ? C'est que les industries qu'on disait condamnées à périr si le traité était mis à exécution, sont plus prospères que jamais et que l'abondance règne là où devait régner la misère.

Donc si vous voulez donner à la pêche ce qu'elle ne possède pas aujourd'hui, quelque vitalité, mettez-la aux prises avec la concurrence étrangère. Elle se fortifiera dans cette lutte. Cela est non seulement dans l’intérêt des consommateurs, c'est aussi dans l'intérêt des producteurs.

Les deux intérêts sont parfaitement solidaires. Les leçons de la science aussi bien que les leçons de l'expérience en témoignent, et ici se trouve précisément la cause de cet état de choses que signalait l'honorable député de Bruges hier lorsque j'ai eu le ton de l'interrompre, ce dont je m'excuse, lorsqu'il disait ignorer les causes de la faiblesse de cette industrie de la pêche.

La protection a précisément cela de fatal qu'à la longue elle nuit à la généralité, sans enrichir même ceux qu'elle est censée favoriser.

D'ailleurs un seul fait (je ne veux pas insister longtemps sur la question de principe) suffira pour établir combien la liberté sera favorable à cette industrie de la pêche.

Encore aujourd'hui, sur tout notre littoral, cette pêche constitue un véritable fief. Nos pêcheurs sont misérables parce qu'ils sont des serfs. Les ordonnances de Marie-Thérèse sont encore observées parmi eux.

Qu'un bateau de pêche essaye de sortir sans l'assentiment des autres pêcheurs après la grande pêche du vendredi, je plaindrais fort le patron qui aurait cette audace. Quatre ou cinq sur une centaine en obtiennent l'autorisation. Ils travaillent pour la communauté et le bénéfice se partage.

Il se partage, après des libations chez quelque cabaretier qui, la plupart du temps, est patron de bateau et intéressé dans la pêche.

Cela est-il moral ? Cela est-il régulier ? Cela est-il conforme au progrès de la civilisation, et de pareils faits n'auraient-ils pas depuis longtemps disparu, si la concurrence avait lancé contre eux le boulet du progrès ?

Vous vous êtes apitoyés sur la misère, sur le sort si rude des pêcheurs. Leur situation est misérable parce que leurs salaires sont bas et leurs salaires sont bas parce qu'il n'y a pas de concurrence ? Mais que la pêche se développe comme toutes les autres industries et la pêche donnera à ceux qui l'exercent un salaire convenable.

Mais j'admets, messieurs, que malgré la science et l'expérience, les sinistres prédictions de l'honorable député d'Ostende et les craintes de l'honorable député de Bruges se réalisent.

J'admets que cette population soit réduite à une très grande détresse.

En quoi, je vous prie, les intérêts d'une centaine de familles sont-ils plus respectables que les intérêts de ces milliers d'affamés qui ne connaissent la viande et le poisson que de nom ? Et s'il le fallait absolument, ne serait-ce pas chose plus rationnelle de demander des pensions pour ces pêcheurs jusqu'à ce qu'ils aient appris d'autres métiers, au lieu de les encourager dans une industrie qui, de votre aveu, même avec les privilèges dont elle jouit, ne leur donne pas assez pour vivre et trop pour mourir.

(page 58) Aculé dans ces retranchements, l'honorable M. Van Iseghem a présenté un amendement dont il attend merveille. Je crois qu'il s'est un peu trompé sur la valeur de l’instrument. Il croit tenir une carabine rayée et il ne tient qu'une vieille arquebuse, dont il a souvent été fait usage dans les luttes du libre échange contre la protection. Mais la lumière s'est faite aujourd'hui dans les esprits.

Les industriels que vous avez crus intéressés à votre cause sont convaincus que leur intérêt leur commande de travailler avec la liberté. Cela est si vrai, qu'il suffit de parcourir le compte rendu des chambres de commerce pour y trouver des professions excessivement libre échangistes, des demandes réitérées et très pressantes tendantes à l'abolition des droits er sur les denrées alimentaires et sur les matières premières. Il y en a même qui vont plus loin et qui demandent une abolition complète et radicale, et pour ma part, je suis convaincu que si ce n'était la question des accises et les compensations financières à trouver, le gouvernement pourrait, sans s'exposer à de très vives résistances, supprimer la douane et réaliser ainsi une réforme qui contribuerait à augmenter considérablement la richesse du pays.

Cela est si vrai, que tout récemment encore, un industriel de Gand, - je cite celui-là ; je connais un peu les industriels de Gand ; ils ont été les plus récalcitrants au mouvement libre échangiste.

Cela est si vrai, dis-je, que tout récemment encore, un industriel de Gand, qui m'a fait l'honneur de me détester très cordialement, m'a dit qu'il devait reconnaître que, depuis la dernière grande crise, crise bien autrement redoutable que celle dont il se croyait menacé par nous ; que depuis cette grande crise, ses convictions étaient complétement changées et que si nous voulions revenir à Gand pour y tenir un nouveau meeting libre-échangiste, non seulement il ne nous combattrait plus, mais il solliciterait l'honneur de combattre à côté de nous, en faveur du libre échange.

Voilà le progrès réalisé dans le camp industriel. Je suis bien convaincu que lorsque, conformément à l’engagement pris par M. le ministre des finances, nous discuterons le nouveau projet de loi sur les douanes, les membres de cette Chambre qui représentent des intérêts industriels ne croiront pas se compromettre beaucoup en votant les abaissements de tarifs, persuadés qu'ils sont d'être les organes des désirs et des véritables intérêts de leurs commettants.

Maintenant, messieurs, est-il opportun de voter l'amendement de l'honorable M. Van Iseghem ? Faut-il rejeter ces amendements, ainsi que l’amendement des honorables MM. Hymans et Jacquemyns ? ou bien, faut-il admettre ce dernier amendement, et rejeter l'autre ?

Messieurs, je ne suis certainement pas suspect. Si la chose ne dépendait que de moi, je voterais des deux mains l'amendement de l'honorable M. Van Iseghem et j'en accepterais toutes les conséquences. Mais il y a une distinction à faire entre cet amendement et l'amendement dont nous avons été primitivement saisis.

L'amendement de l'honorable M. Van Iseghem peut soulever des questions d'application ; les convictions ne sont pas si universellement formées sur les questions spéciales des matières premières comme sur la question de la liberté des denrées alimentaires. Il y a là un ensemble de mesures à examiner.

L'urgence même de cette proposition accidentelle n'est pas aussi grande que celle de l'abaissement des droits sur les denrées alimentaires.

Et, pour ma part, je n'hésiterai pas à repousser l'amendement de l'honorable M. Van Iseghem, à raison précisément de la promesse que nous a faite M. le ministre des finances, à raison surtout du succès que je désire obtenir pour l'autre amendement.

Le bienfait qui est réclamé de nous par cet amendement, ce bienfait, me semble-t-il, nous ne pouvons pas le repousser.

Je dis plus ; je dis que le gouvernement ne peut pas repousser l'amendement, qu'il ne peut pas même en demander l'ajournement, parce qu’au fond de la proposition il y a une question sociale et une question politique.

Une question sociale, c'est-à-dire une question d'alimentation. Or, ces questions, lorsqu'elles sont mûres comme celle-ci, que les convictions sont faites, qu'aucun intérêt sérieux n'est lésé et que d'innombrables intérêts attendent satisfaction, ces questions imposent leur solution et ne l'attendent pas.

Messieurs, on a parlé de négociations à ouvrir avec les villes, pour obtenir d'elles au préalable la suppression des droits de minque ; on pourrait y joindre des négociations pour provoquer la suppression des très absurdes règlements sur le colportage. Je ne méconnais pas l'influence fâcheuse exercée sur la consommation du poisson par ces mesures restrictives, mais il ne faut pas qu’elles nous arrêtent. Un mal existe, vous le reconnaissez, voulez-vous le prolonger pour le guérir ? A chaque jour suffira la peine. Donnons l'exemple, et lorsque nous, législateurs, nous aurons fait ce que nous devons faire, les villes agiront à leur tour.

Puis, il ne faut pas perdre de vue qu'à côté des populations des villes, il y a les populations des campagnes, plus pauvres, plus abandonnées encore. Devons-nous attendre, pour leur venir en aide que les minques soient abolies ? On nous reproche de les négliger. Eh bien, donnons-leur une première preuve que leur bien-être matériel ne nous intéresse pas moins que leur émancipation intellectuelle.

A côté de la question d'alimentation, il y a la question politique. Savez-vous ce qu'on dira si nous ajournons l'amendement ? Que nous maintenons le droit sur le poisson, parce que c'est une denrée cléricale ? Mieux que cela. On dira que lorsque devant cette assemblée vient s'agiter une question qui intéresse les masses, elle nous trouve sourds à leurs intérêts, que nous savons parfaitement passionner le pays pour des questions d'un ordre religieux, mais que lorsqu'il s'agit de l'alimentation populaire, aucune fibre n'est touchée en nous.

A côté de ces accusations s'en élèveront d'autres, qui ne toucheront davantage ; celles-là nous reprocheront d'avoir laissé cette arme aux mains de nos adversaires pour qu'ils déracinent le libéralisme avec les principes que le libéralisme a toujours défendus. C'est une situation que, dans l'intérêt de notre parti, nous ne devons pas accepter.

Dans un des plateaux de la balance pèse l'intérêt de masses, un million d'hommes à nourrir ; dans l'autre plateau, vous avez un intérêt nul.

Ni l'intérêt du trésor ni l'intérêt des pêcheurs n'est engagé dans la question et puisque, dans ce moment, se manifeste de toutes parts au sein du parti libéral le désir de voir marcher l’opinion libérale d’un pas plus ferme vers le progrès, n’est-ce pas une première garantie à donner que si nous sommes bien déterminés à maintenir tous les droits de l’autorité civile, à ne permettre aucun envahissement, d’autre part nous sommes non moins résolus à ne pas nous considérer comme les représentants d’une oligarchie de censitaires ; à prouver que l’intérêt des masses nous est aussi cher que l’intérêt que ceux qui nous ont envoyés dans cette enceinte.

Du reste, messieurs, que demandent les auteurs de l'amendement ? L'application d'un principe déjà déposé, en 1846, dans le pacte de l'opinion libérale et acclamé par ceux qui sont encore aujourd'hui les chefs les plus autorisés du libéralisme.

Et par qui cette demande est-elle faite ? Par deux hommes dont le dévouement au gouvernement ne peut être suspect. Assez de questions se présenteront où il sera du devoir du gouvernement de résister à la pression qu'on voudra exercer sur lui parce que, si certains principes sont vrais, on ne peut ni les réaliser tous à la fois, ni les réaliser dans toute leur étendue ; mais ici où aucun motif sérieux ne peut nous arrêter, donnons cette satisfaction aux intérêts populaires.

Il faut marcher sous peine de périr. Marchons donc, aujourd'hui plutôt que demain, marchons dans l'intérêt de notre parti, marchons dans l'intérêt de nos idées et de la gloire même de nos chefs, marchons dans l'intérêt de nos populations, et que l'ouvrier dans sa mansarde, comme le paysan dans sa chaumière apprennent par notre vote que, pouvant aider à le mieux nourrir, nous ne l'avons pas fait attendre à la table du festin.

M. Van Iseghem. - L'honorable M. Couvreur vient de nous dire que la pêche mange à tous les râteliers de l'Etat. Eh bien, messieurs la prime a été diminuée tous les ans ; elle était de 100,000 fr. et aujourd'hui elle est déjà réduite à 65,000 ou 62,000 fr. Les droits d'entrée sont aussi considérablement diminués et peu à peu l'Etat n'aura plus à venir en aide à cette malheureuse industrie.

L'honorable membre a aussi parlé d'une ordonnance de Marie-Thérèse, il a que les pêcheurs étaient encore considérés comme des serfs, et qu'aucun bateau ne partait le vendredi.

Je puis vous dire, messieurs, que les pêcheurs partent aussi bien le vendredi que tout autre jour de la semaine A Ostende on n'a jamais entendu parler de l'ordonnance de Marie-Thérèse réglant la pêche... (Interruption). Je vous dis ce que je sais c’est que les pêcheurs ne sont pas empêchés de partir le vendredi et qu'ils partent très régulièrement quand le temps le permet ; j'ajouterai que les comptes de partage ne se font nullement au cabaret et qu'au contraire ils se font d'une manière très régulière.

L'honorable membre peut aussi être convaincu que les pêcheurs d'Ostende sont loin d'être des serfs, ce sont des hommes libres, qu'on ne conduit pas comme on veut.

Je ne comprends pas pourquoi on veut toujours séparer les pêcheurs des armateurs.

(page 59) L'honorable M. Sabatier a voulu prouver hier que le droit de 4 francs par 100 kil. sur la morue représentait 20 à 25 p. c. de la valeur.

Je suis d'accord avec l'honorable membre que, dans les statistiques, le prix de la morue est fixé à 30 fr. la tonne et que la tonne pèse brut de 150 à 160 kil.

Mais dans ces 150 à 160 kil., il n'y a que 100 à 110 kil. Net de poisson. Quand on déduit le poids de la saumure et de la futaille vide, le poisson coûte 27 c. par kil. et le droit représente à peu près 15 p. c. de la valeur.

L'honorable membre nous a dit aussi que la pêche ne donnait pas de travail nationa1.

Je regrette beaucoup qu'un esprit aussi éclairé que celui de l’honorable membre ait pu se tromper ainsi et émettre une pareille opinion. Pour faire la pêche, il faut un bateau complètement équipé et armé, il y entre beaucoup de main-d'œuvre, le bois vient des forêts du pays. Vous avez les toiles à voile, les cordages qui sortent de nos ateliers de fabrication, il y a les chaînes, les ancres, les chevilles, les clous qui viennent de Charleroi, et je puis prétendre qu'il y a relativement autant de travail et de main-d'œuvre dans la construction d'un bateau de pêche que dans une houillère.

En outre, vous avez un entretien très coûteux. Tous les jours on doit réparer les bateaux, et il y a, de ce chef, une main-d'œuvre considérable.

L'honorable membre vous a aussi parlé de la minque d'Ostende. Il est vrai qu'il existe à Ostende un marché public pour le poisson. Mais personne n'est tenu de se rendre sur ce marché. Quand on arrive dans le port d'Ostende, on peut transporter directement le poisson au chemin de fer sans passer par la minque. Quand des bateaux de pêche d'Anvers abordent à Ostende en hiver, ils font transporter directement le poisson à la station. Par conséquent, la vente à la minque n'est pas obligatoire. Le droit payé à cette minque est la rémunération d'un service rendu.

Je sais qu'il y a une minque beaucoup plus onéreuse pour la pêche ; c'est la minque de Bruxelles. On est obligé de s'y rendre et la ville fait là une recette de 37,000 fr.

Ce qui serait très favorable à la pêche et ce qui augmenterait considérablement la consommation à Bruxelles, serait le colportage. Mais jamais on ne l'a pu obtenir. Cependant le colportage a lieu dans beaucoup d'autres villes et n'a jamais donné lieu aux moindres inconvénients.

Hier, on a prétendu que la pêche avait considérablement diminué et qu'elle était dans son déclin.

Messieurs, à Ostende, en 1830, nous avions environ 50 chaloupes de pêche. Je n'ai trouvé de statistique officielle à cet égard qu'à partir de 1836. En 1836, il y avait 89 chaloupes de pêche, et en 1863,167 chaloupes. Par conséquent, la pêche a plus que doublé.

Pour le tonnage, c’est la même progression. Il y avait en 1836 pour tout le royaume un tonnage de 4,774 tonneaux, et à la fin de 1863, nonobstant nos nombreuses pertes de l'hiver dernier, encore un de 9,579 tonneaux.

Messieurs, j'ai fait valoir hier un argument que je dois reproduire encore aujourd'hui. On a dit qu'avec la réduction de 4 c. par kilog., le poisson serait à un prix excessivement bas ; que ce sont ces 4 c. qui effrayent les consommateurs. Mais depuis un ou deux ans, on a réduit les droits de 14 fr. à 4 fr. ; sur la morue, le droit a été réduit de 30 fr. à 4 fr. et suppression du droit d'octroi, et cela n'a rien fait pour la consommation. Je demande si sincèrement la suppression du droit de 4 fr. exercera une influence sur la consommation.

L'honorable membre vous a dit aussi que la chambre de commerce d'Ostende avait demandé une réduction des droits d'entrée sur les bois de construction. La réduction que le traité avec la Suède et la Norvège nous a accordée est peu de chose, 20 p. c. du montant des droits ; le bois est une matière première, surtout pour la construction ; il faut absolument encore diminuer ce droit qui pèse sur 1'industrie de la construction ; les loyers des habitations augmentent journellement et il faut faire son possible pour rendre à aussi bon compte que possible la valeur des constructions.

On m'a dit que ma proposition de rendre libres à l'entrée les charbons, les fontes, les rails et les fils n'était pas une proposition sérieuse, que c'était une machine de guerre.

Quand on est libre échangiste, on ne doit pas admettre de demi-mesure.

Est-ce que plusieurs chambres de commerce n'ont pas demandé la libre entrée sur des matières premières en même temps que sur les denrées alimentaires ?

Hier, on m'a reproché de n'avoir pas développé suffisamment ma proposition, jo suis donc obligé d'entrer aujourd'hui dans quelques détails.

Le charbon a déjà été libre à l'entrée. Une loi du 18 décembre 1853 a permis l'entrée du charbon, et c'est par un changement introduit au tarif par une loi du mois de décembre 1857 que les droits sur les charbons ont été rétablis à 1 fr. 70 c. par tonneau, puis réduit à 1 fr. par le traité avec la France.

Quel effet cette libre entrée de 4 ans a-t-elle eu sur la vente de la houille belge ? Avons-nous entendu des doléances ? Aucune. Il n'est pas d'industrie qui soit en meilleure position que l'industrie houillère.

Depuis quelque temps on a réduit considérablement le fret par chemin de fer, ce qui permet à l’industrie houillère du pays d'envoyer ses charbons à très bas prix dans les Flandres et de soutenir la concurrence avec les charbons étrangers.

La différence qui existe entre ma proposition et celle de l'honorable M. Hymans, c'est que cette dernière n'aura aucun effet sur le prix du poisson, tandis qu'avec la mienne et pourra importer quelques cargaisons de charbons.

La valeur du charbon d'après le statistique est de 14 fr. par tonneau et le droit donc de 7 p. c. de la valeur.

C'est un produit qui sert à tous les ménages, indispensable pour ainsi dire à toutes les industries. Quelle est maintenant la comparaison entre l'importation et l’exportation ? Cette dernière a été en moyenne, les trois dernières années, de 3,054,002 tonneaux par an. Quelles sont les importations pendant la même période. Elles ont été de 79,379 tonnes, chiffre rond de 80 mille tonneaux, ce qui correspond à 2 1/2 p. c. des exportations et en outre nos houillères ont toute la consommation du pays.

L'industrie belge qui a cette position, qui n'a rien sérieusement à craindre de la concurrence, est-elle en droit de dire que le moment n'est pas venu de demander la libre entrée du produit étranger ? Maintenant, pour la fonte, on en a aussi exporté plus qu'on n'en a importé ; la moyenne des exportations a été pendant les trois dernières années de 28,951,096 kil., tandis que les importations ne se sont élevées qu'A 5,672,811 kil., donc 20 p. c. des exportations. On a exporté en moyenne par an, 42,112,761 kil. de rails et importé seulement 48,769 kil. Ces chiffres ne peuvent donner lieu a aucune discussion.

Vous voyez que ces diverses industries ne seront nullement compromises par l'adoption de l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter hier, que les honorables membres qui se targuent d'être libre-échangistes ne peuvent se refuser à adopter.

M. Thonissenµ. - La Chambre, je pense, a hâte d'en finir. Je ne dirai donc que quelques mots.

Dans la prévision que la proposition d'ajournement faite par l'honorable ministre des finances, dans la séance d'hier, pourrait ne pas être admise, je déposerai un amendement pouvant en quelque sorte servir de terme moyen entre cette proposition et celle faite par mes honorables collègues MM. Hymans et Jacquemyns. En principe, je suis parfaitement d'accord avec MM. Jacquemyns et Hymans. Je crois aussi que les droits établis à l'entrée sur le poisson étranger doivent disparaître ou du moins être réduits au taux des droits qui grèvent d'autres substances alimentaires avec lesquelles le poisson peut et doit être mis en comparaison ; mais je pense également, qu'ici, comme partout, il faut agir avec mesure, avec équité, avec modération, c'est-à-dire, en tenant compte de tous les droits et en ménageant autant que possible tous les intérêts.

Je propose donc de réduire le chiffre de fr. 13,065,000, non pas de 115,000 fr., mais seulement de 23,000 fr., formant le cinquième de l’évaluation de la somme probable que doivent rapporter les droits établis sur le poisson venant de l'étranger. On pourrait, l'année prochaine, supprimer un autre cinquième, et ainsi de suite, de manière qu'au bout de cinq ans les droits seraient complétement supprimés.

Permettez-moi maintenant, messieurs, de vous entretenir un instant des huîtres. Il me paraît que la Chambre est sous l'impression de certains bruits répandus au-dehors et qui tendant à attribuer à l'avidité, à la rapacité, aux manœuvres des négociants d'Ostende, une augmentation de prix qui n'est que la conséquence naturelle et inévitable des circonstances. Peu de mots suffiront pour le prouver.

En Angleterre, en Hollande, en France, on consomme cinq ou six qualités d'huîtres, et les prix de ces diverses qualités sont très différents.

Si l'on prend une qualité quelconque d'huîtres consommées en Angleterre, et si l'on y compare une qualité supérieure consommée en Belgique, la comparaison manque en même temps de base et de justesse. Pour agir avec équité, il faut prendre pour comparaison les mêmes qualités en Belgique et en Angleterre.

La qualité qu'on vend principalement, et même presque exclusivement en Belgique, c'est celle que nous appelions huître d'Ostende et qui, en (page 60) Angleterre, s'appelle huître native. Elle ne se pêche que dans quatre endroits, à Whitestable, à Colchester, à Burnham et à Peglesham. Or depuis quelque temps, les prix augmentent régulièrement d'année en année ; et, quand on étudie les faits avec attention, rien n'est plus simple, plus naturel.

La consommation a considérablement augmenté, et la production n'a pas suivi la même progression.

Avant l'établissement des chemins de fer, l’huître native que nous appelons huître d'Ostende était transportée jusqu'à Aix-la-Chapelle et tout au plus jusqu'à Cologne.

Elle n'allait pas au-delà ; tandis qu'aujourd'hui, grâce aux chemins de fer, l'Allemagne entière en réclame comme nous.

Jadis la Belgique seule allait s'approvisionner aux lieux de production que j'ai cités. Aujourd'hui on y vient du nord de la France, de la Hollande, de l'Allemagne entière.

Certes, si la production avait augmenté dans la proportion de la consommation, les prix ne se seraient pas élevés dans la même mesure ; mais la production, au lieu d'augmenter, a diminué. Il y a quelques bancs qui sont déjà considérablement dépeuplés et d'autres deviennent d'année en année moins productifs.

On a parlé hier de la création de bancs artificiels. Jusqu'à présent la découverte de M. Coste n'a guère produit de grands résultats. Je ne parle pas du repeuplement des fleuves ; mais, pour la culture des huîtres sur les côtes de l'Océan, M. Coste n'a donné que des espérances et, pour ma part, je suis persuadé que la création des bancs artificiels dans nos parages ne sera jamais qu'une espérance. Il doit même y avoir à cet égard au département des affaires étrangères un document très curieux. Il n'y a pas longtemps, un consul belge en Angleterre a adressé au chef de ce département une lettre fort longue, dans laquelle il dit que, si les faits continuent à se passer comme maintenant, l'huître native deviendra, avant vingt ans, une véritable curiosité en histoire naturelle.

MfFOµ. - Bien plus vite

M. Thonissenµ. - Alors nous sommes d'autant mieux d'accord.

Or, si ce fait est vrai, il ne faut plus s'étonner que le prix de l'huître native ait augmenté chez nous et en Angleterre.

Du reste voici des chiffres empruntés à un document qui remonte à la semaine dernière.

Au marché de Londres, l'huître native se vendait fr. 10,50 le cent, et, pendant la même semaine, elle se vendait à Ostende à raison de 7 fr. le cent.

Il ne faut donc parler ni d'accaparement ni de manœuvres.

Il y a une augmentation considérable de prix qui résulte d'une loi économique.

Quand la consommation augmente et que la production reste la même, ces prix augmentent partout inévitablement.

Je crois dès lors qu'il y a pour nous un devoir de traiter les négociants d'Ostende comme les autres, avec bienveillance, et, par conséquent, qu'au lieu de supprimer le droit, il vaut infiniment mieux procéder avec mesure et n'aboutir à la suppression complète des droits qu'au bout d'une période de 5 années. Telle est la véritable portée de mon amendement.

MpVµ. - Voici l'amendement de M. Thonissen :

« J'ai l'honneur de proposer à l'article douanes, au lieu du chiffre de fr. 13,063,000, celui de fr. 13,042,000, représentant une réduction de 23,000 fr., formant le cinquième de la somme à laquelle M. le ministre des finances estime le produit probable des droits d'entrée sur le poisson, etc. »

M. Hymans. - Ce n'est pas là un amendement.

MpVµ. - L'amendement est-il appuyé ?

- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.

M. Hymans (pour une motion d’ordre). - Je désire simplifier le débat. La proposition de l'honorable M. Thonissen n'est pas un amendement. Il propose de réduire d'un certain chiffre les prévisions de recettes du budget ; il devrait nous proposer par conséquent une modification dans le tarif des poissons. Cela est évident.

Moi je propose la suppression totale du droit, je n'ai pas besoin de faire autre chose ; je suis cependant obligé d'introduire un amendement au budget.

Il faut que l'honorable membre nous propose un tarif. S'il nous proposait de supprimer les prévisions de recettes pour ce qui concerne la morue, je le comprendrais, mais je me demande sur quoi porteront les réductions de recettes que l'honorable M. Thonissen nous propose.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis partager la manière de voir de l'honorable M. Hymans.

L'amendement présenté par mon honorable ami M. Thonissen est précisément dans les mêmes conditions que le premier amendement présenté par l'honorable M. Hymans.

L'honorable M. Hymans s'est aperçu qu'il ne suffisait pas de porter une modification au tableau des recettes, il fallait aussi apporter une modification à la loi.

Eh bien, c'est ce que fera mon honorable ami. Nous ne discutons pas la loi en ce moment ; nous discutons le tableau ; nous n'avons à voter qu'une chose ; c'est le chiffre, et l'amendement de mon honorable ami est complètement recevable. Si la Chambre l'accepte, il y aura à modifier le texte de la loi.

M. Hymans. - Sur quelle base ?

M. Dumortier. - Sur la base de la réduction pour un cinquième des droits actuels.

M. Hymans. - C'est impossible.

M. Dumortier. - C'est aussi possible de dire que les droits seront réduits d'un cinquième que de dire que les droits seront supprimés. C'est là un argument qui n'est pas de bon aloi.

Je dis que l'amendement est recevable ; ce qui est demandé pour le tout peut être demandé pour un cinquième.

M. Hymans. - L'honorable M. Dumortier a tort de croire que mes observations sont dictées par une intention malveillante à l'égard de l'amendement de l'honorable M. Thonissen. Car si mon amendement n'est pas adopté, je serai heureux de me rallier au sien ; mais pour cela je tiens à savoir ce que cet amendement signifie.

L'esprit des deux amendements n'est pas du tout le même. Je demande la suppression complète des droits ; je n'ai aucune espèce de tarification à proposer. Mais l'honorable M. Thonissen demande la réduction d'un cinquième. Sur quoi portera cette réduction ?

M. Dumortier. - Sur le cinquième des droits.

M. Hymans. - Sera-ce une réduction d'un cinquième sur tous les articles du tarif ?

M. Dumortier. - C'est clair.

M. Thonissenµ. - L'observation de l'honorable M. Hymans est fondée. Ma rédaction est incomplète. Je propose d'ajouter à la fin ces mots : « qui sont réduits d'un cinquième ».

M. Hymans. - Pour chaque article ?

M. Thonissenµ. - Pour chaque article.

M. de Vrièreµ. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Messieurs, tout à l'heure l'honorable M. Couvreur a qualifié ses adversaires de protectionnistes déguisés ; comme je suis l'un de ces adversaires, je tiens à ce qu'on sache que je n'accepte nullement cette qualification. Je me suis exprimé hier en des termes tels, que personne n'a pu un instant se méprendre sur mes opinions libérales en matière d'impôts frappant les aliments. J'ai dit, en termes formels, en commençant mon discours, que j'étais, en principe, hostile à toute espèce de droits sur les denrées alimentaires. Il est vrai que j'ai dit ceci :

Que notre infériorité en matière de pêche ne résultait pas nécessairement de l'existence d'un droit protecteur, attendu que des pays qui avaient aussi des droits protecteurs sur les mêmes denrées, avaient une pêche très prospère ; et j'ai été comme exemple la France. Mais je n'ai nullement parlé ni de l'infériorité de notre pêche ni de la malheureuse situation des classes qui se livrent à la pêche, pour défendre les droits protecteurs ; j’ai seulement voulu faire ressortir les motifs pour lesquels il convenait de ne pas procéder à la légère.

L'honorable M. Couvreur n'admet pas que la situation misérable du producteur doive émouvoir le législateur ; il croit qu'il faut s'occuper exclusivement du consommateur.

Je ne puis me rallier d'une manière absolue à cette opinion. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - Ce n'est pas là un fait personnel.

M. de Vrièreµ. - J'explique ce que j'ai dit hier pour démontrer que je suis resté d'accord avec mes principes économiques.

M. Delaetµ. - On ne nous laissera pas le temps de parler. Nous sommes inscrits et quand notre tour viendra, l'on demandera la clôture.

M. de Vrièreµ. - On m'a qualifié de protectionniste déguisé, et je veux rappeler à la Chambre que je n'ai fait autre chose que de demander que la question fût soumise à un examen préalable, comme le sont toutes les lois d'impôt que nous votons.... (Interruption.) Le producteur est un citoyen tout aussi respectable que le consommateur, et toutes les fois qu'il a été pris des mesures de douane relativement à une industrie, quelconque, la situation du producteur a été pris en considération.

(page 61) M. Coomans. - Non.

M. de Vrièreµ. - Je vais vous le prouver immédiatement. Je ne vous cirerai qu'un fait, parce que je sais que la Chambre est impatiente d'en finir.

Que mes honorables contradicteurs veuillent bien me dire pourquoi, lorsque nous avons fait nos traités avec la France et l'Angleterre, on a échelonné les diminutions de droit sur les fils de coton. (Interruption.)

MpVµ. - Vous rentrez dans le fonds.

M. Couvreurµ. - Je demande la parole.

M. de Vrièreµ. - C'est évidemment parce que nous prenions en considération le sort du producteur ; sinon nous aurions dégrevé intégralement dès la première année.

Messieurs, je n'ai parlé de tout cela qu'afin de faire voir à la Chambre qu'il y avait là des questions graves qui n'étaient pas suffisamment étudiées et j'ai demandé qu'on agît dans cette circonstance avec toute la prudence qui doit présider à la confection des lois, que cette proposition passât par l'examen des sections. (Nouvelles interruptions.)

MpVµ. - Ce n'est pas là un fait personnel.

M. Couvreurµ. - Je demande la parole pour un fait personnel. (Interruption.)

MpVµ. - N'insistez pas.

M. Couvreurµ. - Je dois insister.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Delaetµ. - Je la demande aussi. Je voterai pour l'amendement de M. Hymans, et, comme député d'Anvers, je veux dire pourquoi.

MpVµ. - Vous êtes inscrit.

M. Couvreurµ. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire. Je tiens à déclarer qu'en faisant allusion aux protectionnistes déguisés, ma pensée n'a pas le moins du monde voulu toucher l'honorable M. de Vrière.

J'ajouterai que la seule partie du discours de l'honorable M. de Vrière à laquelle j'ai entendu répondre, ce sont les circonstances atténuantes plaidées par lui.

MpVµ. - La parole est à M. Le Hardy. Il y a encore sept orateurs inscrits.

- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. de Naeyer. - Je ne crois pas qu'on puisse mettre la clôture aux voix, puisque la parole avait déjà été accordée à M. Le Hardy.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'ai demandé la parole non pas sur l'amendement, mais sur l'article « douanes ». Je demande à pouvoir parler sur l'article lorsque la discussion sur l'amendement sera terminée.

M. Delaetµ. - J'ai l'intention de voter en faveur de l'amendement des honorables MM. Hymans et Jacquemyns ; comme j'appartiens à une ville maritime qui est port de pêche aussi bien qu'Ostende et Blankenberghe, je désire expliquer mon vote et insister sur ce point que l'intérêt de l'alimentation doit l'emporter sur l'intérêt de la pêche.

Je ne demande que dix minutes d'attention et j'espère que la Chambre ne me les refusera pas, après avoir entendu M. de Vrière qui n'avait demandé la parole que pour un fait personnel.

MfFOµ. - Je serai très bref.

MpVµ. - Sur la clôture ?

MfFOµ. - Non, M. le président ; je parle en vertu de mon droit.

Messieurs, je suis fâché de devoir résister à l'impatience de la Chambre. On comprend, je pense, que le ministre des finances doit bien avoir quelque chose à dire, quand il s'agit du budget des voies et moyens et du tarif des douanes.

Messieurs, l'adoption de l'amendement qui vous a été proposé incidemment, à propos du budget des voies et moyens, constituerait un précédent fâcheux, dans une matière aussi grave. Les improvisations législatives sont, en général, très mauvaises, très défectueuses. Il est incontestable que, sous forme d'amendement, c'est une véritable proposition de loi que l'on vous convie à voter. Or, le règlement de la Chambre entoure l'examen des propositions qui lui sont soumises de toutes sortes de garanties, pour éviter les surprises et pour ne pas exposer la législature à prendre des résolutions qui n'auraient pas subi l'épreuve d'une étude suffisante.

S'il s'agit des projets émanant du gouvernement, ils ne vous sont soumis qu'après un examen complet, qu'après avoir fait l'objet d'une véritable enquête administrative ; ces projets sont ensuite imprimés, distribués et renvoyés aux sections, qui ne peuvent s'en occuper que trois jours après leur dépôt. Lorsque les sections se sont prononcées, la section centrale les examine à son tour et, par l'organe de son rapporteur, elle fait connaître à la Chambre son opinion et celle des sections sur la mesure qui a été proposée. C'est seulement après ce travail préparatoire, destiné à élucider toutes les questions qui se rattachent à l'objet principal, que s'ouvre la discussion publique, et alors certainement la Chambre peut se prononcer en pleine connaissance de cause.

Il en est également ainsi pour les propositions émanant de l'initiative des membres de la Chambre. La lecture préalable doit en être autorisée avant même que la Chambre puisse délibérer sur la prise en considération ; il y a ensuite renvoi aux sections, rapport de la section centrale, et ce n'est encore une fois qu'à la suite de tous ces préliminaires que la Chambre statue sur la disposition.

- Un membre. - C'est connu.

MfFOµ. - C'est parfaitement connu, je le sais fort bien ; mais il est bon de le rappeler, pour faire remarquer dans quelle voie l'on veut entraîner la Chambre.

On présente des amendements au budget des voies et moyens, amendements qui mettent en question le tarif des douanes, qui compromettent des recettes très importantes, et l'on voudrait faire voter de pareilles mesures comme ne constituant que de simples amendements, alors que, quant au fond même de la question, je le dis sans hésiter, la plupart des membres de la Chambre ne connaissent même pas les faits sur lesquels on prétend qu'ils se prononcent.

M. Bouvierµ. - C'est vrai. (Interruption.)

MfFOµ. - Je demande qui connaît la tarification des différentes espèces de poissons, et qui peut indiquer le produit des droits afférents à chaque catégorie ? (Interruption.)

Eh bien je demande qu'on me dise quel est le produit de ces divers articles du tarif ? Qui le sait ? Personne.

M. de Naeyer. - Il n'y a qu'à ouvrir la statistique.

MfFOµ. - Il y a eu des modifications depuis la statistique. Et d'ailleurs qui a consulté qui a eu le temps de consulter la statistique ? J'en appelle à la bonne foi de la Chambre : cet examen n'a pas eu lieu, et vous voyez donc bien que vous allez vous prononcer sur des faits que vous ne connaissez pas.

Messieurs, ces articles de recette, on les traite avec une espèce de dédain de millionnaires. Il ne s'agit, dit-on, que de 100,000 fr. ; qu'est-ce que l00,000 fr. ? Eh bien, je vais vous le faire comprendre : nous avons environ 263 articles à notre tarif de douane, et savez-vous combien il y en a dont le produit est supérieur à 100,000 fr... ? Il y en a 30 ; tous les autres donnent des droits inférieurs à 100,000 francs.

Et d'ailleurs, le produit de l'impôt sur les poissons est-il illégitime ? Est-ce en réalité quelque chose d'inique, d'inhumain, comme on ne craint pas de le dire ? On nous parle d'alimentation populaire à propos de poisson dans ce pays-ci !

M. Delaetµ. - Sans doute.

MfFOµ. - Mais la consommation du poisson est extrêmement restreinte en Belgique.

M. Delaetµ. - Je dirai tout à l'heure pourquoi.

MfFOµ. - Nous allons voir ce que c'est que le poisson au point de vue de l'alimentation populaire. Commençons par les huîtres.

M. Delaetµ. - Allez toujours !

MpVµ. - M. Delaet veuillez ne pas interrompre.

MfFOµ. - C'est le premier article du tarif dont nous nous occupons, et c'est celui qui a donné lieu aux réclamations en faveur de la suppression des droits.

Un amateur d'huîtres s'est dit un jour : « Mais les huîtres sont exclusivement chères ! C'est regrettable, car les huîtres sont un excellent déjeuner. D'où provient leur cherté ? Oh ! cela ne peut être attribué qu’à la coalition des propriétaires de parcs à Ostende. »

Eh bien, le point de départ de ce mouvement est faux, complètement faux. Comme vient de le dire l'honorable M. Thonissen, le prix des huîtres a renchéri partout d'une manière extraordinaire ; car, quoi qu'on en ait dit, le prix n'est pas plus élevé en Belgique qu'il ne l'est à Londres. Mais ce renchérissement, ainsi que l'a également très bien expliqué l'honorable M. Thonissen, provient de ce que la consommation s'est accrue tandis que la reproduction, au lieu de s'étendre dans une égale proportion, n'est pas même demeurée stationnaire, et qu'elle l'est, au (page 62) contraire, considérablement réduite. Voilà la véritable cause du haut prix des huîtres, et les droits de douane ni les parcs d'Ostende n'y sont absolument pour rien.

Lorsque le gouvernement a constaté ce renchérissement et ces plaintes dans les populations, il a procédé à une enquête ; il a recherché ce qui avait pu produire ce fait assez extraordinaire du renchérissement considérable et subit du prix des huîtres. J'ai sous les yeux le dossier de cette enquête. Il en résulte que, par une sorte de maladie, par un accident quelconque, par une absence de fécondation du frai, la production des huîtres dites natives s'est trouvée réduite dans des proportions extrêmement notables. Comme conséquence toute naturelle, les prix se sont immédiatement élevés ; l'augmentation atteint même 100 p. c.

Comme l'a dit l'honorable M. Thonissen, il existe au département des affaires étrangères un rapport émanant de l'un de nos consuls en Angleterre, qui déclare que les huîtres natives y sont actuellement très rares, que l'année prochaine elles y seront plus rares encore, et qu'elles deviendront peut-être dans un an des curiosités qu'on ne pourra pas voir partout.

Si vous voulez consulter cette enquête, vous y trouverez des renseignements concernant le prix des huîtres sur les divers marchés de l'Angleterre où l'on vend cette denrée ; vous trouverez que les huîtres qui se vendaient, à certaine époque, à raison d'une livre 18 shillings, par exemple, se vendent aujourd’hui jusqu'à quatre livres le boisseau.

Ce n'est pas que je prétende que la législation actuelle, qui accorde un droit protecteur aux propriétaires de parcs aux huîtres, soit une législation parfaite et qui doit être maintenue ; loin de là. Cette législation doit disparaître. J'aurais voulu seulement, et tel était l'objet de ma motion d'ajournement, que la Chambre prît le temps d examiner la question de la tarification des huîtres et de tous les poissons en général.

Cet article a une importance plus grande qu'on ne semble le croire, au point de vue des recettes du trésor. Si l'on applique aux quantités importées en 1863 les droits mis en vigueur au 1er janvier 1864, on trouve que l'on perçoit :

Sur les homards et sur les huîtres, 14,000 à 15,000 francs ;

Sur le poisson fin, sur les saumons, sur les turbots et autres poissons de ce genre, 34,000 francs, à raison de 4 francs par 100 kilogrammes ;

Sur la morue, également à raison de 4 francs par 100 kilog., 2,200 francs. ;

Sur les harengs, pour l'importation d'environ 4,400,000 kilogrammes, 44,250 francs, raison d'un franc par 100 kilogrammes.

Est-ce là, quant aux harengs, qui sont réellement les poissons consommés par les classes nombreuses, un droit qui peut exercer la moindre influence sur la consommation ? Un centime par kilog. de hareng, alors que le kilogramme contient 10 à 12 pièces, et que la pièce vaut 10 à 12 centimes ! Faut-il donc, sans aucune espèce d'examen, rayer d'un trait de plume 44,250 francs de nos recettes ? Je demande si cela est raisonnable ? Les droits, qui peuvent peser sur la consommation, qui sont de nature à la restreindre, il faut sans doute les abaisser ; mais un droit aussi modéré, et produisant, sans aucun inconvénient, cette somme de 44,250 fr., c'est-à-dire près de la moitié du revenu total, ce droit doit être évidemment maintenu.

Le stockfish produit 7,200 fr. ; les plies séchées produisent 9,500 fr. ; les autres poissons, frais, secs, salés et fumés, 2,800 francs.

Voilà les éléments dont se compose le chiffre d'environ 115,000 fr. qui a été renseigné à la section centrale.

N'oubliez pas, messieurs, que notre tarif comporte des droits sur une foule d'objets qui sont de première nécessité tout au moins au même titre que les poissons ; ces droits vous les maintenez et vous faites bien de les maintenir, parce qu'il y a encore quelque chose de supérieur à des réductions d'impôts : ce sont de bonnes finances, sans lesquelles on ne fait rien. Vous avez des droits sur le sel, sur les cafés, sur la viande, sur les grains et sur les farines qui entrent dans le pays ; vous avez un droit sur la bière même. Et lorsque l’on reconnaît la nécessité de maintenir toutes ces taxes, l'on fera disparaître les droits sur de véritables denrées de luxe, sur les huîtres, les homards, le poisson fin et même sur le hareng ? Je n'hésite pas à dire qu'en agissant de la sorte, vous prendriez une mesure qui ne pourrait se justifier, qui ne serait ni juste ni morale.

Les défenseurs de l'intérêt populaire ont fait appel à ce mobile ; eh bien, que dirait-on au-dehors, si un pareil système était admis ? On dirait qu'en Belgique les riches se sont occupés de faire des tarifs dans lesquels ils ont supprimé les droits sur l'entrée des huîtres, des homards, des saumons et des turbots, tout en maintenant les droits qui frappent les matières de première nécessité tels que le sel, le café, etc. Voilà ce que l’on dira ; voilà ce qui sera exploité, et avec raison, contre la moralité de votre tarif (Interruption.)

Il me semble qu'il y a quelque chose qui révolte les sentiments honnêtes, lorsque l'on maintient les droits sur les articles que je viens d'indiquer, et que l'on prétend les faire disparaître sur les seuls articles qui peuvent être considérés comme denrées de luxe, sur les huîtres, sur les homards ; sur les saumons et sur les turbots. Cela n’est pas soutenable.

Je crois donc que ces droits ne peuvent être supprimés ; mais je suis d'avis cependant qu'il y a lieu de les réduire, et je répète que si l'on avait attendu les propositions que j'ai annoncées à la Chambre, on les aurait jugées de nature à donner satisfaction à tous les intérêts ; l'on eût ainsi procédé, comme on l'a fait à l'égard de diverses autres industries, avec prudence et modération.

Le seul intérêt véritablement industriel qu'on puisse trouver dans cette affaire est la pêche de la morue.

Eh bien, la protection que je veux faire disparaître du tarif, la protection qui était très considérable, qui était énorme autrefois, a été successivement abaissée. Elle est aujourd'hui réduite à un chiffre très minime. Il faut encore, selon moi, l'abaisser, mais il faut l'abaisser successivement.

Voici le tarif que je me proposais de soumettre à la Chambre dans le projet de loi qui lui est annoncé, et qui viendra dans un temps très court. Ce tarif, je crois, aurait été inattaquable.

Les droits d'entrée sur les poissons sont modifiés comme il suit :

« Homards et huîtres, 1 fr. par 100 kil. »

Comme il y a environ 3,000 huîtres d'Ostende dans 100 kil, vous voyez que ce droit n'est pas énorme.

- Un membre. - Et la suppression de la protection pour les parcs ?

MfFOµ. - Certainement. Il y aurait un droit unique d'un franc par 100 kil., sans distinction de provenance.

« Morue et poisson frais, 3 fr., et au 1er juillet 1866, 1 fr. les 100 kilog. »

Je dis que, dars ces conditions, l'on aura un tarif raisonnable et qui sera en harmonie avec les autres dispositions douanières. On arrive, pour la morue, a un droit qui n'est que de 4 1/2 p. c. Je pense que, dans ces conditions, la nouvelle tarification des poissons eût été parfaitement acceptable ; on aurait ainsi conservé, dans l'ensemble du tarif, une harmonie qu'il importe de ne pas détruire.

M. Hymans. - Vous pourriez, M. le ministre, présenter votre proposition comme amendement.

MfFOµ. - Je crains ce précédent ; je crois que ce serait un système extrêmement dangereux, et une foule d'autres intérêts auraient à s'en alarmer.

Cependant, pour le cas où l'ajournement qui, je pense, est le parti le plus raisonnable à prendre par la Chambre, ne serait pas admis, je dépose en mon nom un amendement dans le sens des dispositions que je viens de faire connaître.

MfVµ. - Fait-on une nouvelle demande de clôture ?

- Plusieurs membres : Oui ! oui !

- D'autres membres. - Non ! non !

M. Delaetµ. - Je réclame mon tour de parole plus que jamais, maintenant que M. le ministre a parlé.

M. Coomans. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Notre honorable président vient de nous demander si la Chambre insistait sur la demande de clôture. Or, je dois faire observer qu'avant que l’honorable ministre des finances prît la parole, j'avais demandé à l'honorable président si la demande de clôture était retirée, à quoi M. le président a répondu par l'affirmative. (Interruption.)

MpVµ. - Non ! je ie pouvais dire cela sans consulter la Chambre.

M. Coomans. - J'ai trouvé cette réponse juste. Si vous ne l'avez pas faite, vous avez eu tort, vous deviez me la faire. Car il ne peut dépendre de la volonté d'un ministre de parler seul. Comment ! dorénavant il suffira que dix membres demandent la clôture pour imposer le silence aux membres inscrits !

Un ministre viendra prononcer tout un discours après la proposition de clôture, et quand ce discours aura été prononcé, dix nombres insisteront sur la demande de clôture ! C'est le système des monologues ministériels.

Je déclare que, conformément à tous les précédents de la Chambre, les ministres sont soumis au règlement comme nous, Or, comme M. le (page 63) ministre des finances ne s'est pas borné à parler sur la clôture, ce dont je le loue, ce dont je le remercie, comme il a discuté le fond, je crois que la demande de clôture a été retirée.

J'avoue qu'il est libre à la Chambre de poser de nouveau la demande de clôture. Mais alors, je fais remarquer que ce'a n'est pas juste. Quand vous permettez à un ministre, malgré la demande de clôture, de prononcer tout un discours, il faut autoriser la réplique et je maintiens mon tour de parole.

MpVµ. - J'allais précisément demander si l'on maintenait la demande de clôture. (Oui ! oui !)

- La demande de clôture est maintenue.

MpVµ. - J'allais consulter la Chambre sur la demande de clôture ; mais je voulais ajouter qu'il est dans les habitudes constantes de la Chambre de ne pas prononcer la clôture après qu'un ministre a parlé. Il n'est pas dans les précédents de la Chambre qu'un ministre parle le dernier.

J'invite les honorables membres de la gauche à ne pas insister sur la demande de clôture ; ne perdons pas inutilement notre temps. (Adhésion.)

La Chambre est-elle d'avis de continuer la discussion ? (Oui ! oui !)

La parole est à M. Le Hardy de Beaulieu.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je demande la parole sur l'article « douane » pour faire cette déclaration :

Je n'ai pas pris part à la discussion des articles du budget des voies et moyens, non parce que je n'avais pas d'observations, et nombreuses probablement, à faire ; mais parce que je pense qu'après avoir perdu la session dernière, notre principal devoir, cette année, est de remettre le char de l'Etat sur sa voie, c'est-à-dire de voter les budgets avant l'ouverture de l'exercice prochain, en présence surtout de la promesse faite par M. le ministre des finances de nous soumettre en temps utile les budgets de l'année 1866, de manière à pouvoir les discuter à fond.

Lorsque le budget des voies et moyens sera présenté l'année prochaine, je me propose de discuter l'article « douane » et de l'examiner dans tous ses détails.

Je tiens donc à déclarer que je voterai, cette année, l'article en discussion, comme le budget des voies et moyens tout entier, mais en me réservant, dans la session prochaine, de le soumettre à une analyse complète.

Mon vote n'implique donc pas un assentiment sur le fond des questions qui nous sont soumises ; il implique seulement que je désire voir nos travaux reprendre leur cours régulier, sauf à remettre la discussion des questions de principes comme de toutes les autres à l'année prochaine.

M. Delaetµ. - Messieurs, je parle devant une Chambre fatiguée, je serai aussi bref que possible, et cependant après le discours que vient de prononcer M. le ministre des finances, il y aurait peut-être à entrer dans un autre débat, relatif à la question de savoir si la Chambre veut se laisser contester le droit d'amendement ; il s'est attaché à prouver que nous étions hors d'état d'étudier une question en dehors de la tutelle du gouvernement en connaissance de cause. J'admets que le gouvernement est mieux à même que nous de connaître les chiffres et les faits ; aussi suis-je surpris qu'un homme qui devrait savoir ce qui se passe en Belgique l'ignore au point de dire que, chez nous, le poisson n'est pas un aliment populaire.

II est possible que dans la partie que M. le ministre connaît le mieux et peut-être affectionne le plus, le poisson n'entre pas pour une grande part dans l'alimentation.

A côté des chiffres actuels qui vous donnent raison il y a un fait premier que vous auriez dû rechercher et que vous auriez trouvé, c'est qu'antérieurement, la part du poisson dans l'alimentation publique était plus forte et qu'elle a beaucoup diminué.

Avant 1830, quand on ne songeait pas à protéger la pêche d'Ostende et de Blankenberghe, tout le monde à Anvers mangeait du poisson frais, depuis le plus riche négociant jusqu'au plus pauvre ouvtier. Ils en mangeaient les premiers jours de la semaine parce que ces jours-là il est moins cher que le vendredi et le samedi.

« Vous ne connaissez pas le chiffre des droits que je proposerai, nous dit le ministre ; c'est un secret que j'ai gardé. » Mais ne fussent-ils qu'un simple droit de balance, je n'en voudrais pas, car ce dont je ne veux pas, ce sont les formalités douanières, formalités qui en quelques heures diminuent de 50 p. c. la valeur du poisson ; voilà ce dont je ne veux pas, et quand vous aurez supprimé tout droit et toute formalité, vous obtiendrez un abaissement du prix du poisson de 50 ou 75 p. c.

La loi sur la pêche, qui, comme toutes les lois protectrices, est entourée d'entraves, de prescriptions de toute nature, veut que le patron fournisse la preuve que le navire s'est rendu directement du port d'armement au lieu de pêche et est revenu sans aborder dans un pays étranger. Mais on ne dît pas qu’il ne peut pas courir des bordées dans la mer du Nord, ou jeter l'ancre à l'entrée de l'Escaut et y attendre ses jours de mer pour toucher sa prime.

Jamais Ostende et Anvers n'ont eu des bateaux en nombre suffisant pour fournir le marché. Malgré cela, ils s'entendent pour n’arriver pas tous à la fois ; ils attendent que le marché soit dégarni, en courant des bordées dans la mer du Nord, où l'on ne fait pas toujours naufrage quoi qu'en dise M. Van Iseghem, et quand ce malheur arrive, tout le monde intervient pour secourir les naufragés.

On a parlé de poisson de luxe... (Interruption.)

Je m'étonne qu'après avoir écouté avec tant d'attention les chiffres que vous présente le ministre, vous n'écoutiez plus les faits intéressants que ses statistiques ne renseignent pas. Voici ce qui a lieu en Hollande : la plie, la raie, la flotte, le hareng frais ne sont pas réputés poissons mangeables, on n'oserait pas les servir sur une table d'hôtel ; on vous en sert en Belgique.

Le poisson réputé immonde en Hollande est qualifié de luxe en Belgique. Les huîtres, dit-on, sont chères partout ; je ne parle de cet intéressant bivalve que pour le remercier d'avoir provoqué cette discussion. Autrefois, il n'existait aucun ménage à Ostende qui ne mangeât des huîtres. Mettez un droit différentiel de 12 p. c. sur les moules, vous en ferez un poisson de luxe. La moule était à un prix excessivement bas il y a deux ans, aujourd’hui elle est plus chère, on en exporte de grandes quantités vers la France et vers l’Allemagne. Si elle se mettait en parc, la moule se dédaignée aujourd’hui deviendrait un poisson de luxe.

L'anguille fumée, qui est un poisson de luxe chez nous, est dédaignée en Hollande !

Apiès cette belle déclaration que vous ne voulez pas abolir le droit sur le poisson de luxe, quand il en existe sur le sel, le pain, le beurre, vous proposez un droit sur la morue triple de celui sur les huîtres ; la morue payera plus de 4 p. c. et les huîtres un franc les 3,000 !

Voilà votre façon de faire de la démocratie dans les phrases et le contraire dans les faits.

Messieurs, on a dit que le droit sur la pêche faisait vivre la pêche, on a dit d'autre part que la pêche déclinait. Je le crois bien. Le droit protecteur n'équivaut pas aujourd'hui à toutes les conditions onéreuses établies par la loi et il est dans l'intérêt des pêcheurs eux-mêmes de faire abolir ce droit et le plus tôt possible.

Si Anvers n'a pas un plus grand nombre de bateaux de pêche, c'est qu'il y a un droit protecteur, une loi de précaution, une loi d'entrave. Anvers aurait plus de bateaux de pêche si l'industrie était libre. Je crois que ce serait la même chose pour Ostende et pour Blankenberghe.

En Angleterre, l'entrée du poisson est libre, quelle que soit sa provenance, sa qualité, sa nature. Eh bien, en Angleterre on a importé en 1862 pour 376.561 liv. de poisson, ce qui n’a pas empêché la même Angleterre d’exporter pour 623,570 liv. Dans ce chiffre figurent 34,000 liv., pour les huîtres, dont 20,700 liv. pour la Belgique.

Nous discutons à la fois des droits différentiels et des droits protecteurs.

Quant aux droits différentiels, je crois que la Chambre tout entière est d'accord qu'ils doivent disparaître. Restent donc les droits protecteurs ; pour ne pas abuser des moments de la Chambre, je ne les combattrai que par une phrase de l'honorable M. de Vrière. Il a dit que les producteurs étaient aussi respectables que les consommateurs. Eh bien, messieurs, soit ! Du jour où l'on accordera aux consommateurs des droits différentiels et des primes, je me joindrai à l'honorable membre pour les réclamer en faveur des producteurs. Je les mets sur la même ligne et je n'accorde aujourd'hui de faveur à personne.

M. Coomans. - Messieurs, d'abord je constate qu'il ne peut entrer dans les intentions de la Chambre de prononcer la clôture sur les autres points qui se rattachent à l'article « douanes ». Si la Chambre prononce la clôture, ce ne sera que sur l'article « poisson ».

MpVµ. - On ne peut prévoir ce que décidera la Chambre.

M. Coomans. - J'interprète de cette manière la demande de clôture, afin que je ne sois pas obligé, dès à présent, d'exposer les quelques observations d'une autre nature que j'à à soumettre à la Chambre sur l'article « douane ».

Messieurs, après les nombreux, justes et décisifs développements qu'a reçus la proposition de loi déposée, je crois pouvoir renoncer au discours que j'avais l'intention de prononcer. Je ferai remarquer cependant qu'il est impossible que nous votions immédiatement sur la proposition de l'honorable ministre des finances, (page 64) attendu qu'elle constitue un amendement très compliqué qui doit être soumis à une discussion contradictoire.

Je propose donc de renvoyer l'amendement de l'honorable M. Frère à la section centrale qui en fera l'objet d'un rapport. A peine ai-je besoin de motiver l'avis que je donne à la Chambre attendu que l'honorable ministre des finances constate lui-même que la Chambre n'avait pas été saisie des données dont nous devions nous entourer à ce sujet. Pour ma part, j'ai une conviction parfaitement arrêtée, parfaitement justifiée par les faits et les chiffres à mon point de vue, mais enfin il est quelques membres qui croient ne pas avoir assez étudié la question ; ils feront bien d'attendre le rapport de la section centrale. Cette réserve faite, je renonce à la parole.

M. de Naeyer. - Messieurs, je pense que la mesure la plus sage à prendre dans ce moment, ce serait de renvoyer l'amendement de M. le ministre des finances à l'examen de la section centrale. Cet amendement fait partie de la discussion et il n'est guère possible de le discuter, puisqu'il nous est à peine connu.

MfFOµ. - J'ai proposé un amendement pour le cas où l'ajournement ne serait pas admis par la Chambre. Je m'en suis ainsi exprimé.

M. de Naeyer. - L'amendement est présenté où il ne l'est pas. S'il est présent, il fait partie de la discussion et dès lors nous devons l'examiner.

MpVµ. - Si l'ajournement est prononcé, tous les amendements tombent par conséquent.

M. de Naeyer. - C'est juste ; mais pour pouvoir se prononcer en pleine connaissance de cause sur l'ajournement, il serait bon d'apprécier la portée de l'amendement, car s'il est reconnu acceptable par la majorité, l'ajournement devient inutile. Pourquoi ajourner une question qui peut être décidée dès maintenant ? Toutefois, si l'on veut continuer la discussion, j'aurai quelques observations à présenter à l’encontre de celles développées par l'honorable ministre des finances, et sous ce rapport je maintiens mon tour de parole.

MpVµ. - Puisque vous avez la parole, parlez.

M. de Naeyer. - Je discuterai donc la question. Je suis, quant à moi, décidé à voter de grand cœur la proposition des honorables MM. Hymans et Jacquemyns et j'ai la conviction intime de poser ainsi un acte juste, utile et je dirai même un acte commandé par des motifs d'humanité.

Messieurs, pour moi il est évident qu'au fond l'honorable ministre des finances est sympathique à la mesure qui est proposée et j'ai à cet égard pour garants les antécédents de l'honorable ministre lui-même.

II y a 9 ans, je crois, j'ai eu l'honneur de faire partie de la majorité d'une section centrale qui proposa à la Chambre la libre entrée des poissons. Cette proposition n'a pas été adoptée et cela s'explique facilement : à l'époque dont je parle, le vent était à là protection douanière, il n'était pas à la liberté commerciale.

Cependant dans cette circonstance-là, je me rappelle avec bonheur que l'honorable M. Frère a donné son assentiment à notre proposition. Il voulait, comme nous, la libre entrée du poisson. C'était alors, je le sais bien, une mesure provisoire, mais le provisoire, en pareille matière est l'acheminement naturel vers le définitif, et d'ailleurs si ce que l'honorable ministre nous dit aujourd'hui quant à l'influence insignifiante de l'abolition des droits avait le moindre fondement, cela s'appliquerait également à la mesure provisoire dont je viens de parler et qui reçut l'adhésion de l'honorable M. Frère.

Vers le commencement de 1856 ou vers le commencement de 1857 le gouvernement nous proposa de rétablir des droits d’entrée sur les denrées alimentaires, ce qui a été fait par la loi du 5 février 1857, la crise alimentaire avait cessé alors, et il s’agissait de régler une sitation devenue normale.

Eh bien, dans cette circonstance encore, j'ai eu le bonheur de me trouver d'accord avec l'honorable M. Frère, pour combattre les propositions du gouvernement au moins en ce qui concerne les grains étrangers, les poissons n'étaient pas en cause, attendu que les droits sur cette denrée n'avaient pas été aboli.

Maintenant je reconnais que l'honorable M. Frère, étant devenu ministre, n'a pas proposé la suppression de la mesure qu'il avait combattue dans les rangs de l'opposition ; je ne lui en fais pas un reproche, car les droits d'entrée sur les denrées alimentaires valent au trésor un produit annuel de deux millions.

Je comprends parfaitement qu'on ne soit pas très disposé à entamer des recettes de cette importance.

Les finances de l'Etat, il faut le reconnaître, sont une grande chose. C'est la force qui doit imprimer le mouvement à tous les rouages du gouvernement ; il faut savoir, au besoin, se soumettre sous ce rapport à des nécessités même cruelles.

Ainsi j'ai très souvent attaqué, dans cette enceinte, l'impôt sur le sel, qui me répugne souverainement et cependant je dois reconnaître qu'il serait impossible de demander la suppression immédiate de cet impôt, quelque injuste, quelque inique même qu'il soit. Mais j'ai déclaré et je déclare de nouveau que je ne voterai pas le budget des voies et moyens, aussi longtemps que le gouvernement n'aura pas mis la main à l'œuvre pour arriver, dans un délai moral, à la suppression totale de ce mauvais impôt. En résumé, il faut y regarder à deux fois quand il s'agit d'enlever des millions au trésor public ; mais ici toute la discussion porte sur une somme de 115 mille francs qui, de l'aveu de tout le monde, ne peut troubler en rien l'équilibre de nos budgets, et voilà pourquoi l'opposition de l'honorable ministre me paraît inexplicable, en présence des antécédents que je viens de rappeler.

L'honorable ministre des finances a cherché à concentrer en quelque sorte la discussion sur les huîtres, les homards, les saumons et les turbots qui sont loin d'être des objets de consommation pour les classes inférieures de la population. La tactique peut être habile, mais il est très facile de la déjouer.

D'abord tout le monde, y compris l'honorable M. Van Iseghem, est d’accord pour supprimer les droits différentiels quant aux huîtres et aux homards.

Dès lors, il n'y a plus même l'ombre d'une industrie nationale qui soit en cause. Au contraire, si industrie il y avait, elle serait intéressée à la suppression des droits, devenus uniformes et grevant un objet qu'elle devrait considérer comme sa matière première.

Il n'y a donc plus ici en cause que l'intérêt fiscal. Eh bien, cet intérêt se réduit à des proportions bien faibles. Savez-vous ce que produisent au trésor les huîtres et les homards dont on a tant parlé, parce que, disait-on, c'est un aliment de luxe, un aliment aristocratique ? Cela a produit en 1863, 13 à 14 mille francs ; ajoutez-y les droits perçus sur les turbots et les saumons et vous aurez un total de moins de 16 mille francs ; or, je vous demande si, dans l'état actuel de nos finances, il y a là un intérêt assez puissant, assez sérieux pour gêner, entraver, tracasser une industrie, un commerce qui mérite nos vives sympathies, parce que, même en important, si vous voulez, des objets de luxe, il contribue utilement à l'alimentation du pays.

D'ailleurs, on n'a rien répondu à l'argument si logique présenté par l'honorable M. Jacquemyns, qui vous a prouvé que les huîtres ne sont pas essentiellement un aliment aristocratique et que, dans des moments donnés, elles pourraient devenir un élément démocratique, si notre mauvaise législation, notre législation inhumaine n'y formait pas obstacle.

Il y a plus, messieurs, et je dis que cette distinction entre les aliments démocratiques et les aliments aristocratiques est tout bonnement un préjugé, un préjugé appartenant au même ordre d'idées que la fameuse guerre entre le capital et le salaire. Je vais vous le prouver.

Il y a une solidarité intime entre toutes les substances alimentaires d'un pays ; elles forment une seule masse qu'il importe de grossir autant que possible, parce que plus elle est volumineuse, plus ceux qui doivent y prendre part se trouvent à l'aise, moins ils se gênent mutuellement.

Ainsi, je dirai que, dans l'intérêt des classes inférieures, il importe que les denrées consommées par les classes supérieures soient aussi abondantes que possible, parce que les classes riches laissent ainsi à la disposition des classes inférieures une plus grande quantité d'objets consommés par celles-ci, et cette abondance nécessairement amène naturellement un abaissement de prix. Voilà la vérité économique que le simple bon sens nous révèle et je défis qu'on la détruise.

Messieurs, je crois que l'honorable M. Hymans a prouvé que la mesure qu'il nous propose est bonne, et j'ajouterai que l'honorable M. Jacquemyns, puisant ses documents dans le domaine de la science, qui lui est familier, nous a démontré à la dernière évidence que cette mesure est excellente. Eh bien, quand il s'agit d'une mesure bonne, d'une mesure excellente, je ne veux pas d'ajournement.

Permettez-moi encore une ou deux considérations ; je tâcherai de les abréger autant que possible.

Je crois, et j'insiste beaucoup sur ce point, qu'on ne saurait assez se convaincre de l'extrême importance du poisson au point de vue de l'alimentation du pays et aussi au point de vue de notre agriculture. Vous allez me comprendre.

On a souvent signalé ce qu'il y a de défectueux dans le régime alimentaire de nos populations ouvrières ; le mal auquel il s'agit de remédier consiste en ce que les substances consommées par ces populations contiennent trop peu d'azote.

(page 65) Eh bien, le poisson est sous ce rapport le correctif par excellence ; il faut peut-être mieux que la viande qui, dans tous les cas, au prix qu'elle coûte aujourd'hui, n'est plus guère accessible aux populations inférieures, au moins dans nos Flandres ; le poisson est très riche en azote, et c'est ainsi qu'à raison de son prix et de sa composition intime, il est destiné providentiellement à compléter l'alimentation des classes inférieures de la société.

Sous ce rapport, au lieu d'entraver son importation dans le pays, il faudrait au contraire la favoriser de toutes les manières, non seulement en supprimant les droits de douane, mais en faisant tomber en même temps toute espèce d'entrave, et c'est un point qui a été parfaitement mis en lumière par l'honorable M. Delaet.

Vous avez beau épiloguer sur l'exiguïté du droit. Ce n'est pas seulement là que réside le mal, c'est encore, c'est surtout peut-être, dans les formalités, dans les tracasseries, dans les pertes de temps inséparables de tout régime douanier ; voilà ce qu'il faut faire disparaître, d'autant plus que vous n'êtes arrêté ici par aucune considération financière de quelque importance ; car l'intérêt du fisc, qui seul vous a fait établir des droits d'importation sur les denrées alimentaires en général, se réduit, en ce qui concerne les poissons, à des proportions pour ainsi dire insignifiantes eu égard à la situation actuelle de nos finances. Il importe encore d'augmenter de toutes les manières l'importation du poisson dans le pays, parce que les déchets du poisson sont un des meilleurs, un des engrais les plus puissants connus. Eh bien, que faisons-nous dans notre tarif des douanes ? Nous déclarons libre l'entrée des engrais en général. N'y a-t-il pas une espèce de barbarie à vouloir qu'un de ces engrais soit imposé, pourquoi ? Parce qu'il se combine avec une autre substance qui est éminemment propre à servir à l'alimentation de nos populations ? Cela n'est-il pas absurde au plus haut degré ? N'est-ce pas une contradiction entachée de barbarie ? Remarquez, d'ailleurs, qu'en employant les déchets d'autres aliments pour fertiliser la terre, vous ne faites que restituer en partie au sol ce que vous lui avez enlevé. Mais quand ce sont des déchets de poissons, c'est la mer qui sert à fertiliser la terre. Voilà un ordre providentiel admirable que nous devrions certes nous abstenir de troubler dans un intérêt fiscal véritablement mesquin.

L'honorable M. de Vrière nous a invités à user d'une grande prudence, d'une grande modération. L'honorable membre voudrait en quelque sorte que nous prissions pour règle de conduite de ne voir dans ces questions que par les yeux du gouvernement. Il me semble que ce serait amoindrir notre rôle, et il m'est impossible d'être gouvernemental à ce point ; il a parlé d'un examen plus approfondi, d'une espèce d'enquête ; on a déjà répondu avec raison que c'est là un moyen dilatoire qui commence à être usé à force d'avoir été employé.

Mais je me demande quels sont, après tout, les points à éclaircir dans le nouvel examen qu'on provoque ? Il n'y a ici que deux questions possibles : d'un côté, l'intérêt fiscal, de l'autre, la protection douanière.

L'intérêt fiscal, mais quoique l'honorable ministre suppose que nous soyons ignorants à cet égard, nous le connaissons parfaitement ; on n'a qu'à consulter les statistiques qui sont publiées annuellement. Personne ne soutiendra qu'il soit ici d'une grande importance. A ce point de vue, il n'y a aucune comparaison à établir avec les droits qui grèvent les substances alimentaires en général, parce que là vous êtes en présence d'un intérêt considérable pour le trésor, d'une recette de plus de 2 millions de francs. Ici vous avez 115,000 francs. Ce n'est pas là ce qui doit arrêter la réalisation d'une mesure commandée par le grand et puissant intérêt de l'alimentation du pays.

L'intérêt fiscal donc est peu ou rien. Mais vient la protection douanière ; eh bien, la protection douanière, est-ce là une question neuve ? Est-ce qu'il n'y a pas eu une masse d'enquêtes à cet égard, et, à la suite de ces enquêtes, est-ce que l'opinion publique n'en est pas venue à condamner ce système à une immense majorité ? Aussi, aujourd'hui, quand on parle de réforme douanière, que veut-on ? On veut précisément dépouiller la douane de tout caractère protecteur pour en faire un instrument purement fiscal, autant que possible, et même on ne se contente plus de cela : il y a beaucoup de personnes, et je suis du nombre, qui croient que nous devons arriver un jour à la suppression totale de notre appareil douanier, abus d'un autre âge, s'il en fût jamais, parce qu'en réalité ce n'est qu'à cette condition que la liberté commerciale sera une vérité et produira tous les bienfaits qu'elle est appelée à produire.

Oh ! sans doute cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, mais nous avons pleine confiance dans l'avenir, d'autant que nous avons avec nous la jeunesse énergique, la jeunesse intelligente et assez prudente pour se préserver d'une vieillesse prématurée, car dans l'ordre des idées il y a aussi des vieillesses prématurées.

Aussi je n'hésite pas à déclarer hautement que le gouvernement commettrait une grande faute s'il ne se préoccupait pas dès à présent des moyens d'arriver un jour à la suppression complète des douanes.

La question présente certainement de grandes difficultés, mais je n'admets pas qu'il faille l'écarter par une prétendue impossibilité absolue.

Revenons-en à la protection douanière que l'on voudrait invoquer dans cette circonstance. Eh bien je comprendrais cela jusqu'à un certain point s'il s'agissait d'une industrie qui pût dire au pays : Je suis à même de satisfaire à tous vos besoins, j'ai même un excédant de production que le marché intérieur ne saurait absorber. Mais bon Dieu ! est-ce que la pêche nationale se trouve dans une telle position, n'est-il pas reconnu, avéré que cette industrie est insuffisante, incapable, impuissante pour subvenir même à une faible partie des besoins du pays, et cependant on réclame pour elle la protection douanière qui bientôt aura fait son temps pour toutes les industries ; mais en réalité cela revient à réclamer en faveur de la pèche prétenduement nationale le sacrifice des intérêts du pays et de ses intérêts les plus vivaces, les plus précieux, les plus sacrés même, car c'est l'alimentation de nos populations qui se trouve en cause. Eh bien, quant à moi, je n'ai pas besoin d'une enquête pour refuser énergiquement un pareil sacrifice.

Messieurs, j'adopterai l'amendement des honorables MM. Hymans et Jacquemyns ; cependant si l'on veut que la question soit examinée de nouveau par la section centrale, eu égard surtout à la nouvelle proposition faite par le gouvernement, je ne m'y oppose en aucune manière. Si la Chambre ne se croit pas suffisamment éclairée, rien de plus naturel que de recourir de nouveau aux lumières de la section centrale, mais dans l'intérêt même des travaux de la Chambre, je m'oppose à l'ajournement d'une question qui peut être parfaitement éclaircie à l'occasion du budget des voies et moyens.

MfFOµ. - Messieurs, je ne veux pas réfuter le discours que vous venez d'entendre. J'aurais beaucoup de choses à dire, cependant, contre certaines doctrines économiques émises par l'honorable M. de Naeyer. Je ne prends la parole que pour faire remarquer à l'honorable membre qu'il est mal servi par ses souvenirs lorsqu'il essaye de me mettre en contradiction avec moi-même. Je n'ai pas mémoire d'avoir jamais soutenu ure autre opinion que celle que je dépends aujourd'hui, mais j'ai plusieurs fois proposé, comme ministre, la suspension des droits de douanes sur les denrées alimentaires en temps de crise.

M. de Naeyer. - En 1857 il n'y avait plus de crise, on était dans l'état normal.

MfFOµ. - Je pense que les souvenirs de l'honorable membre ne sont pas exacts. J'ai proposé plusieurs fois, comme ministre, des droits modérés sur les denrées alimentaires. Ainsi pour l'entrée des céréales, le gouvernement a proposé un droit modique, qui a été admis etq ui subsiste encore actuellement. Je suis donc parfaitement conséquent, lorsque je maintiens un droit, également très modéré, sur une autre denrée alimentaire.

MpVµ. - Il y a encore plusieurs orateurs inscrits, je propose à la Chambre de voter d'abord sur l'ajournement proposé par M. le ministre des finances. Si cette proposition est adoptée, tous les amendements tombent. Si, au contraire, elle est repoussée, la Chambre aura à statuer sur les amendements, soit en votant immédiatement, soit en les renvoyant à la section centrale. Mais, après les débats prolongés qui ont eu lieu, je crois que le mieux serait de voter maintenant sur l'ajournement.

M. Dumortier. - Messieurs, je suis un de ceux qui ont demandé à parler sur le projet et j'aurais grand désir de prendre la parole, d'autant plus que vous venez d'entendre successivement trois orateurs qui ont appuyé la proposition. Mon intention était de la combattre. Cependant je ne veux pas arrêter le vote de la Chambre sur l'ajournement, que j'appuierai, mais si l'ajournement n'était pas admis, je me réserve mon tour de parole.

M. Gobletµ. - Voter l'ajournement, c'est voter la fin de cette discussion. Je demanderai à M. le ministre des finances si la proposition dont il nous a entretenus hier sera faite immédiatement et si cette proposition, ayant été adoptée avant la fin de l'année, sera exécutable à partir du 1er janvier 1865.

MfFOµ. - Messieurs, il pourrait y avoir ici une méprise. Je n'ai point parlé d'un projet de loi spécial sur les poissons ; il s'agit d'un projet de loi complémentaire de notre réforme douanière, annoncé déjà par le gouvernement, et qui aura pour objet de rendre d'application générale les réductions de droits introduites par les récents traités. Ce projet comprend quelques autres modifications peu importantes, et, parmi elles, il s'en trouve une qui (page 66) concerne l'article « poisson ». L'intention du gouvernement est de déposer ce projet de loi dans un bref délai ; il n'est pas encore examiné complètement par mon département, mais il sera présenté, dans tous les cas, avant le 1er janvier prochain.

- La proposition d'ajournement est mise aux voix par appel nominal et adoptée par 53 voix contre 40.

Ont voté l'adoption : MM. Allard, Ansiau, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Crombez, de Baillet-Latour, G. de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, de Mérode, de Moor, de Rongé, de Terbecq, de Theux, de Vrière, Devroede, Dolez, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Grosfils, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Pirmez, Rogier, Tesch, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Nienwenhuyse, Warocqué et E. Vaudenpeereboom.

Ont voté le rejet : MM. Beeckman, Coomans, Couvreur, de Conninck, de Haeme, Delaet, Delcourt, de Liedekrike, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere te Lokeren, Dewandre, de Woelmont, d'Hane-Steenhuyse, Funck, Giroul, Goblet, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Laubry, Magherman, Nothomb, Reyraert Rodenbach, Sabatier, Thibaut, Van Humbeeck, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx et Wasseige.

- La suite de la discussion sur l'article « douanes » est remise à demain.

Projet de loi portant règlement définitif du budget de l’exercice 1860

Dépôt

MfFOµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi portant règlement définitif du budget de l'exercice 1860.'

- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué.

La séance est levée à 4 1/2 heures.