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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 13 décembre 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidente de M. E Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 199) M. de Florisone procède à l'appel nominal à deux heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Moorµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« L'administration communale de Wyneghem demande que la concession d'un chemin de fer direct d'Anvers à Turnhout soit accordée aux sieurs Pavoux et Lambert, que cette ligne passe par Wyneghem et qu'il soit établi une station dans cette commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Les membres du conseil communal d'Oostdunkerke prient la Chambre d'accorder aux sieurs Popp et François la concession d'un chemin de fer de Bruges par Nieuport à Furnes. »

- Même renvoi.


« La dame Deladrière demande une pension comme veuve d'un décoré de la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruges demandent que le gouvernement s'oppose au départ de la dernière division de l'expédition belge pour le Mexique .»

- Même renvoi.


« Les habitants de Hingene-Eykevliet demandent que les Annales parlementaires soient traduites en langue flamande. »

« Même demande d'habitants de Bruxelles, Dieghem, Ruysbroeck et d'autres communes non dénommées. »

- Même renvoi.


« Le sieur Cuvelle demande la remise des annuités qu'il a payées du chef d'un brevet. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal d'Adinkerke demande que les pêcheurs à la Panne et dans les autres places sur la côte maritime soient dispensés de rejoindre leur régiment lorsqu'ils sont tombés au sort pour la milice. »

- Même renvoi.


« Le sieur Tines prie la Chambre d'accorder au sieur François Muller la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Alfred Godden, étudiant à Dinant, né à Londres, demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Feron présente des observations au sujet des demandes en concession de chemin de fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vanhoorebeke transmet des pièces à l'appui de sa réclamation contre la séquestration dont il a été victime. »

- Même renvoi.

Projet de loi relatif aux enquêtes parlementaires en fait de vérification de pouvoirs

Dépôt

MjTµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau : 1° un projet de loi relatif aux enquêtes parlementaires en fait de vérification de pouvoirs ;

Projet de loi relatif à la réciprocité internationale en matière de successions et de donations

Dépôt

2° un projet de loi qui modifie la loi du 20 mai 1837 et les articles726 et 912 du Code civil relatifs à la réciprocité internationale en matière de successions et de donations.

- Il est donné acte à M. le ministre de ce dépôt. Les projets de lois seront imprimés et distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Projet de loi portant le budget du département de l'intérieur pour l’exercice 1865

Discussion générale

M. Thienpont. - Messieurs, l'année dernière, à l'occasion de la discussion de ce budget, il a été dit quelques mots de l'utilité des paratonnerres, de leur établissement sur les monuments, édifices publics aussi bien que sur les constructions particulières.

Il en a été question surtout dans le but d'étendre, de développer, de propager ces appareils protecteurs.

Depuis longtemps le gouvernement faisait des efforts dans le même but. Il tâchait de faire connaître partout leur incontestable utilité. Il ne cessait de recommander leur usage par voie de conseil et d'instructions. Mais son action n'allait pas au-delà. Il n'usait que très rarement par lui-même des recommandations et des conseils qu'en cette matière il prodiguait si généreusement aux autres. Maintenant il a pris, et je l'en félicite, une position plus décidée, plus active, plus en harmonie avec ses paroles et ses instructions.

Les administrations locales et les particuliers ont répondu à l'appel du gouvernement, et le gouvernement a fini par les suivre dans la voie de progrès en se mettant résolument à l'œuvre.

Maintenant, s'il est vrai de dire que les paratonnerres se multiplient sur tous les points du pays et que jamais à aucune époque il n'en fut placé en Belgique autant que dans le courant de cette année, |il paraît vrai aussi, d'après une observation que je remarque dans le rapport de la section centrale et d'après ce que l'honorable M. Hymans nous a dit dans une séance précédente, qu'en même temps quelques détracteurs ont essayé d'en nier l'efficacité.

Cette efficacité, messieurs, a été contestée plus d'une fois, et dans le principe, lorsque les appareils étaient encore très défectueux, elle a pu l'être avec quelque apparence de raison.

Voici ce que dit à ce sujet l'instruction sur les paratonnerres adoptée par l'Académie française :

« Il y a maintenant un siècle que pour la première fois on essaya les paratonnerres ; mais leur efficacité ne pouvait pas être admise sans contradiction : les ignorants ne pouvaient pas croire que quelques baguettes de fer, ajustées d'une certaine manière, fussent capables de maîtriser la puissance de la foudre ; et parmi les savants, il se trouva aussi sur ce point bon nombre d'incrédules. De longues épreuves étaient donc nécessaires pour faire prévaloir cette vérité qui avait contre elle tout le monde, hormis Franklin et quelques physiciens d'Europe. Les contradicteurs scientifiques ne se bornaient pas à dire que les paratonnerres étaient inutiles ; ils trouvaient des raisons de croire et de faire croire au public que les paratonnerres étaient nuisibles ; que, loin d'arrêter la foudre, leur présence en pouvait déterminer l'explosion et la rendre plus funeste.

« Ainsi au lieu de rassurer les esprits, on ajoutait encore à la terreur si naturelle qu'inspire ce redoutable météore.

« Ces objections n'ont pas empêché la vérité de se faire jour, mais elles en ont retardé le développement ; elles sont bien vieilles aujourd'hui, bien timides à se montrer, cependant elles agissent encore, on les rencontre de temps à autre, sinon dans le chemin de la science, du moins dans quelques sentiers voisins. L'instruction publiée en 1823 n'a pas peu contribué à les affaiblir, non seulement à cause de l'autorité que lui donnait le suffrage de l'Académie, mais encore par les règles pratiques qu'elle indiquait et qu'elle expliquait d'une manière si claire et si précise, qu'il n'y avait plus moyen de les mal interpréter. Les ouvriers eux-mêmes avec un peu d'attention parvenaient à comprendre ce qu'ils avaient à faire, et dès lors on n'avait plus à craindre dans la pose des paratonnerres ces erreurs qui auparavant étaient assez communes et qui suffisaient pour en paralyser l'efficacité. »

Il n'est pas inutile, messieurs, de vous faire remarquer en passant que l'Académie française est unanime, que dans son sein il n'y a qu'une voix pour affirmer l'efficacité et l'utilité des paratonnerres, bien entendu lorsqu'ils ont été construits avec tous les soins convenables. Je tenais, messieurs, à vous faire cette remarque, parce que l'opinion unanime d'un corps aussi savant a une signification qui n'échappera à personne.

Dans sa statistique des coups de foudre qui ont frappé des paratonnerres ou des édifices ou des navires qui en étaient armés, M. le professeur Duprez, membre de l'Académie belge, a recueilli avec soin tous les faits venus à sa connaissance, et les conclusions qu'il en tire sont loin d'être défavorables à l'appareil.

Parmi les 168 cas de paratonnerres foudroyés, dit M. Duprez, il n'y en a que 27, c'est-à-dire environ un sixième, dans lesquels les édifices ou les navires n'ont point été préservés.

Pour la plupart des 47 cas ci-dessus, les causes de l'inefficacité des paratonnerres sont indiquées : elles sont presque toutes dues à de graves défauts de construction. Dès lors, cette inefficacité ne doit étonner personne. Aussi remarque-t-on que les paratonnerres sont d'un usage général, d'un usage populaire, dans les contrées où les orages surgissent arec plus de fréquence. On y est tellement édifié sur les services qu'ils rendent que presque toutes les constructions, même les moins importantes» en sont pourvues.

Cette observation seule, observation toute pratique, suffirait pour justifier et prouver leur utilité.

(page 200) Mais qu'il me soit permis, messieurs, de vous en donner une preuve directe en citant ici les expériences curieuses tentées par M. de Romas, il y a plus d'un siècle, et répétées plus tard par d'autres physiciens.

Je les trouve dans le petit ouvrage auquel j'ai déjà emprunté une citation tout à l'heure. Elles jettent du jour sur la manière d'agir de ces appareils.

Ces expériences consistaient à élever un cerf-volant sous un nuage orageux à la hauteur de 200 à 300 mètres.

La corde du cerf-volant, dans laquelle était entrelacé un fil métallique et qui était terminée par un cordon en soie, amenait à la surface de la terre un courant électrique si considérable que l'expérimentateur en était effrayé et qu'il eût été imprudent de s'y exposer.

Le cerf-volant avait 7 1/2 pieds de hauteur et 3 de largeur.

Au moyen de ce cerf-volant, le 7 juin 1753, vers une heure après midi, après qu'il l'eut élevé à 550 pieds de terre au moyen d'une corde de 780 pieds de long, qui faisait un angle de près de 45 degrés avec l'horizon, il tira de son conducteur des étincelles de trois pouces de longueur et trois lignes d'épaisseur, dont le craquement se fit entendre de près de deux cents pas.

En tirant ces étincelles, il sentit comme une espèce de toile d'araignée sur son visage, quoiqu'il fût à plus de trois pieds de la corde du cerf-volant ; sur quoi il ne crut pas qu'il y eût de la sûreté pour lui de rester si proche, et il cria à tous les assistants de se retirer, et lui-même s'éloigna d'environ deux pieds.

Se croyant alors en sûreté et n'ayant plus personne auprès de lui, il porta son attention sur ce qui se passait dans les nuages qui étaient immédiatement au dessus du cerf-volant ; mais il n'aperçut d'éclair ni là, ni nulle autre part, ni même le moindre bruit de tonnerre, et il ne tomba point du tout de pluie.

Le vent, qui venait de l'ouest et qui était assez fort, éleva le cerf-volant de cent pieds au moins plus haut qu'auparavant.

Ensuite jetant les yeux sur le tube de fer blanc qui était attaché à la corde du cerf-volant, et à environ trois pieds de terre, il vit trois pailles, dont une avait près d'un pied, la seconde quatre à cinq pouces, la troisième trois à quatre pouces, se lever toutes droites, et former une danse circulaire comme des marionnettes sous le tube de fer-blanc et sans se toucher l'une l'autre. Ce petit spectacle, qui réjouit beaucoup plusieurs personnes de la compagnie, dura près d'un quart d'heure ; après quoi, quelques gouttes de pluie étant tombées, il sentit encore la toile d'araignée sur son visage, et en même temps il entendit un bruit continu, semblable à celui d'un petit soufflet de forge. Ce fut un nouvel avertissement de l'accroissement de l'électricité, et dès le premier instant que M. de Romas aperçut sauter la paille, il n'osa plus tirer aucune étincelle, même avec toutes ses précautions et il pria de nouveau les spectateurs de s'éloigner encore davantage.

Immédiatement après arriva la dernière scène, et M. de Romas avoua qu'elle le fit trembler.

La plus longue paille fut attirée par le tube de fer-blanc, sur quoi il se fit trois explosions dont le bruit ressemblait fort à celui du tonnerre. Quelqu'un de la compagne le compara à l'explosion des fusées volantes, et d'autres au bruit que ferait une grande jarre de terre en se brisant contre un pavé. Il est certain qu'on l'entendit du milieu de la ville, malgré les différents bruits qui s'y faisaient.

Le feu qu'on aperçut à l'instant de l'explosion avait la figure d'un fuseau de huit pouces de long et cinq lignes de diamètre, mais la circonstance la plus étonnante et la plus amusante fut que la paille qui avait occasionné l'explosion suivit la corde du cerf-volant. Quelqu'un de la compagnie la vit, à 45 ou 50 brasses de distance, attirée et repoussée alternativement, avec cette circonstance remarquable, qu'à chaque fois qu'elle était attirée par la corde, on voyait des éclats de feu, et on entendait des craquements qui n'étaient cependant pas si éclatants que dans le moment de la première explosion.

Il faut remarquer que, depuis le temps de l'explosion jusqu'à latin des expériences, on ne vit point du tout d'éclair, et à peine entendit-on du tonnerre.

On sentit une odeur de soufre fort approchante de celle des écoulements électriques lumineux qui sortent du bout d'une barre de métal électrisée. Il parut autour de la corde un cylindre lumineux de trois à quatre pouces de diamètre ; et comme c'était pendant le jour, M. de Romas ne douta pas que, si c'eût été pendant la nuit, cette atmosphère électrique n'eût paru de 4 à 5 pieds de diamètre.

Enfin, après que les expériences furent terminées, on découvrit un trou dans le terrain, précisément sous le tuyau de fer-blanc, d'une grande profondeur et de 1/2 pouce de largeur, qui probablement fut fait par les grands éclats qui accompagnèrent les explosions.

Ces expériences remarquables finirent par la chute du cerf-volant, attendu que le vent passa tout d'un coup à l'est, et qu'il survint une pluie très abondante mêlée de grêle.

Lorsque le cerf-volant tomba, la corde s'accrocha sur un auvent, et elle ne fut pas sitôt dégagée, que celui qui la tenait éprouva un tel coup à ses mains et une telle commotion dans tout son corps, qu'il fut obligé de la lâcher, et la corde tombant sur les pieds de quelques autres personnes, leur donna aussi un coup, mais bien plus supportable.

La quantité de matière électrique que ce cerf-volant tira une autre fois des nuées est réellement étonnante. Le 28 août 1756, on en vit sortir des courants de feu de 1 pouce d'épaisseur et de 10 pieds de longueur. Cet éclat surprenant, qui aurait peut-être produit des effets aussi pernicieux qu'aucun dont il soit fait mention dans l'histoire, fut conduit avec sécurité, par la corde du cerf-volant, à un conducteur placé tout auprès, et le bruit en fut égal à celui d'un pistolet.

Charles, qui a fait des expériences semblables à celles de Romas, mais en bien plus grand nombre, a obtenu quelquefois des effets plus extraordinaires encore et il ne doutait pas, comme il le disait, qu'il n'eût désarmé le nuage orageux. On ne peut douter, d'après ces observations, que des paratonnerres placés sur des tours très élevées, comme celle de Strasbourg, qui a 437 pieds de hauteur, ne soutirassent une grande quantité de matière électrique des nuages orageux, et ne prévinssent même la chute du tonnerre. Il est même permis de croire que si de semblables paratonnerres étaient très multipliés sur la surface entière de la France, ils ne prévinssent aussi la formation de la grêle, qui, d'après les observations de Volta, paraît être un véritable phénomène électrique.

Messieurs, il vient d'être question de la tour de Strasbourg ; mais il suffît de rappeler en deux mots les effets des coups de foudre qui l'ont frappée, avant et après l'établissement du paratonnerre, pour en démontrer les excellentes et précieuses propriétés.

Située entre les Vosges et les montagnes de la forêt Noire, elle est exposée à de fréquents orages. De plus, son élévation, sa forme pointue, sa construction en pierres de taille dont les diverses pièces sont reliées entre elles par de très nombreuses et très puissantes brides en fer, expliquent suffisamment les dangers de sa position.

Avant 1833, époque vers laquelle, si je ne me trompe, elle fut protégée par un paratonnerre, la foudre venait fréquemment troubler son repos, souvent même plus d'une fois par année, et toujours en laissant de son passage des traces plus ou moins profondes. On peut dire, sans exagération, que les ouvriers étaient constamment occupés à réparer les dégâts qui en étaient la conséquence.

Depuis 1833, c'est le paratonnerre qui reçoit la décharge électrique et déjà il en a reçu plus d'une.

Ayant habité Strasbourg pendant une partie de l'année 1844, je puis assurer que, jusqu'à cette époque, la tour a été parfaitement préservée, qu'elle n'a eu à subir aucune réparation et je pense même qu'elle n'en a pas eu à subir jusqu'à ce jour. Ce fait me paraît assez concluant.

A mes yeux, messieurs, nier encore aujourd'hui sérieusement les propriétés utiles et efficaces d'un paratonnerre construit avec soin, est chose impossible ; ce serait nier la lumière en plein jour.

Une autre question très importante a été récemment agitée dans cette capitale. Cette question, quoique simple et très facile à résoudre, paraît avoir arrêté, on tout au moins retardé le placement de quelques appareils.

Quel est le meilleur mode de placement ?

A quel système faut-il donner la préférence ?

Telle est, messieurs, la question que l'on s'est posée.

Je dis que cette question est simple, facile à résoudre ; et en effet, théoriquement elle est résolue depuis lontiemps.

Je la trouve résolue dans ses instructions de l'Académie française, aussi bien que dans celles qui ont été publiées par M. Duprez.

Tout à l'heure, messieurs, j'aurai l'honneur de vous en convaincre par des preuves que vous apprécierez et qui, je n'en doute pas, justifieront entièrement, complètement, l'assurance avec laquelle j'aborde la question.

Pratiquement la solution n'en remonte qu'à cinq ans, époque à laquelle un forgeron intelligent de la Flandre occidentale, auquel j'avais donné toutes les instructions nécessaires, eut assez de confiance en lui-même, eut assez de courage, j'allais dire d'audace, pour oser essayer et mener à bonne fin une œuvre devant les difficultés de laquelle les constructeurs de tous les pays avaient toujours reculé.

Le premier essai de la pose d'un paratonnerre d'une pièce, sans joints ni raccords d'aucune espèce, ni sur aucun point, fut fait sur mon habitation.

Malgré les complications et des difficultés particulières de placement, (page 201) qui se rencontrent rarement ailleurs et qu'on avait ici à vaincre et à surmonter ; quoique ce fût pour la première fois que ce constructeur, déjà renommé, eût à s'occuper de paratonnerres, il s'acquitta parfaitement de sa tâche. En plaçant l'appareil et en achevant l'ouvrage dans les meilleures conditions, il prouva, dès le premier essai, qu'il avait saisi la question et que celle-ci ne dépassait nullement les limites de son intelligence.

Il y avait, en effet, a relier entre elles quatre tiges ou pointes, ayant chacune 7 mètres de hauteur, et deux conducteurs ayant un développement total de plus de 125 mètres.

Les quatre tiges et les deux conducteurs furent brasés et unis au moyen de la chaleur et du martelage de manière à ne constituer qu'une pièce unique, sans aucune solution de continuité sur aucun point.

Depuis lors, ces appareils perfectionnés se sont multipliés. On en voit dans un grand nombre de localités et plus particulièrement dans les Flandres. Les administrations les plus éclairées et les plus intelligentes du pays en ayant apprécié les incontestables avantages, ont rejeté tout appareil compliqué, fait de plusieurs pièces, d'abord, parce qu'un joint, quelque bien fait qu'il soit, est toujours un obstacle au libre écoulement du fluide électrique, et encore parce que trop souvent on voit se disloquer ces appareils, qui, ainsi, deviennent un danger, au lieu d'être une sécurité pour les édifices qui en sont munis.

Je le répète, messieurs, quelles que soient les difficultés qui se présentent dans l'exécution du travail, ces difficultés aujourd'hui sont vaincues.

La tour d'Anvers ne nous fournit-elle pas la preuve que l'élévation de la construction ne peut pas devenir un obstacle au placement de l'appareil perfectionné ?

Messieurs, je néglige les dispositions essentielles, importantes ou non propres à tous les systèmes, pour me renfermer dans la question posée plus haut et vous prouver par des citations prises aux instructions publiées par les soins de l'Académie française, et aux écrits de M. Duprez, membre distingué de l'Académie belge, que le paratonnerre d'une pièce sans aucune solution de continuité, sans joints ni raccords, a toujours été considéré comme la perfection dans l'espèce. Je ne veux prendre aucune citation ailleurs, parce que je désire, avant tout, ne pas trop abuser des moments de la Chambre, et aussi parce que je tiens à ne m'appuyer que sur des autorités que personne ne récusera, et à mon avis celles-là sont plus que suffisantes.

« Un paratonnerre, dit l'instruction de l'Académie française, est un conducteur que la matière électrique de la foudre choisit de préférence aux corps environnants pour se rendre dans le sol et s'y répandre ; c'est ordinairement une barre de fer élevée sur les édifices qu'elle doit protéger, et s'enfonçant, sans aucune solution de continuité, jusque dans l'eau ou dans la terre humide.

« Une communication aussi intime du paratonnerre avec le sol est nécessaire pour qu'il puisse y verser instantanément la matière électrique de la foudre, à mesure qu'il la reçoit, et garantir de ses atteintes les objets environnants.

« On sait, en effet, que la foudre, parvenue à la surface de la terre, n'y trouve point un conducteur suffisant, et qu'elle s'enfonce au-dessous jusqu'à ce qu'elle ait rencontré un assez grand nombre de canaux pour s'écouler complètement. Quelquefois même elle laisse des traces visibles de son passage à plus de dix mètres de profondeur. Aussi arrive-t-il, lorsqu'un paratonnerre offre quelque solution de continuité, ou qu'il n'est pas en parfaite communication avec un sol humide, que la foudre après l'avoir frappé, l'abandonne pour se porter sur quelque corps voisin, ou au moins qu'elle se partage entre eux, pour s'écouler plus rapidement dans le sol.

« La première circonstance s'est présentée, il y a quelques années, dans les environs de Paris. Il s'était opéré par accident, dans le conducteur du paratonnerre d'une maison, une séparation d'environ 55 centimètres et la foudre, après être tombée sur ta tige, perça le toit pour se porter sur une gouttière en fer-blanc.

« MM. Kurenhouse et Hopkinson dans le quatrième volume des Transactions philosophiques américaines, rapportent un exemple remarquable de la deuxième circonstance, ou de l'inconvénient qu'il y a à ne pas établir une communication parfaite entre le paratonnerre et le sol. La foudre avait frappé le paratonnerre, puisqu'elle avait fondu profondément sa pointe, et qu'il était évident, d'après l'inspection du terrain, qu'une portion avait pénétré dans le sol par le conducteur ; mais l'autre portion n'ayant pu s'écouler assez promptement par la même voie, ravagea le toit pour se porter de la tige du paratonnerre sur une gouttière en cuivre dont elle suivit la conduite, qui était alors pleine d'eau, et lui offrit par conséquent, un écoulement facile sur la surface du sol...

« On ne saurait trop prendre de précautions pour procurer à la foudre un prompt écoulement dans le sol ; car c'est principalement de cette circonstance que dépend l'efficacité des paratonnerres. Les barres de fer qui forment le conducteur présentant, en raison de leur rigidité, quelques difficultés pour leur faire suivre les contours d'un bâtiment, on a imaginé de les remplacer par des cordes métalliques qui, indépendamment de leur flexibilité, ont encore l'avantage d'éviter les raccords et de diminuer les chances de solution dé continuité.»

Remarquez, messieurs, l'importance que l'Académie attache à éviter les raccords. Seulement ces cordes métalliques ont d'autres inconvénients, et des inconvénients graves qui ne permettent pas d'en faire usage. Je n'entrerai pas dans des détails à cet égard ; je dirai seulement que l'instruction ajoute un peu plus loin :

« Néanmoins, comme il est incontestable que les barres de fer bien assemblées sont beaucoup moins destructibles, nous conseillerons de leur donner la préférence autant que l'on pourra.

« La construction des paratonnerres pour les magasins à poudre et les poudrières ne diffère pas essentiellement de celle qui a été décrite comme type pour toute espèce de bâtiment ; on doit seulement redoubler d'attention pour éviter la plus légère solution de continuité, et ne rien épargner pour établir entre la tige des paratonnerres et le sol la communication la plus intime ; toute solution de continuité donnant lieu, en effet, à une étincelle, Je pulvérin qui voltige et se dépose partout dans l'intérieur, et même à l'extérieur de ces bâtiments serait enflammé, et pourrait propager son inflammation jusqu'à la poudre...

Quoique nous ayons déjà beaucoup insisté sur la condition d'établir une communication très intime entre la tige des paratonnerres et le sol, son importance nous détermine à la rappeler encore.

Elle est telle, que, si elle n'était pas remplie, non seulement les paratonnerres perdraient beaucoup de leur efficacité, mais que même ils pourraient devenir dangereux, en appelant la foudre sur eux, quoique dans l'impuissance de la conduire dans le sol...

« Les deux règles les plus fondamentales de la construction du paratonnerre et de ses conducteurs sont :

« 1° Qu'ils aient partout une section suffisante.

« 2° Qu'ils soient continus et sans lacune depuis la pointe de la tige jusqu'au réservoir commun.

« Mais il faut bien expliquer ce que doit être cette continuité, car on peut, à la rigueur, l'entendre de deux manières :

« On peut admettre que deux pièces de métal qui se touchent forment un ensemble assez continu pour l'électricité ; on peut admettre, au contraire, que le plus souvent ce simple contact est l'équivalent d'une lacune, à cause de l'oxydation qui se produit avec le temps et des corps étrangers qui se déposent entre les surfaces.

« L'instruction de 1823 sans avoir adopté la première opinion, nous paraît n'avoir pas assez recommandé la seconde, qui, à notre avis, doit être exclusivement mise en pratique dans tout ce qui appartient au paratonnerre.

« Nous ne nierons pas, sans doute, qu'en multipliant les précautions et les soins, on ne puisse parvenir à joindre et à boulonner deux pièces de fer ou de cuivre assez étroitement pour qu'elles offrent au fluide électrique un assemblage véritablement continu ; mais quand les joints doivent se multiplier, nous craignons quelque négligence des ouvriers ; et, par dessus tout, nous craignons les altérations chimiques des surfaces, les dépôts des diverses matières étrangères, enfin les dislocations mécaniques qui se produisent aussi avec le temps et par des secousses répétées. »

En conséquence l'académie donne pour première règle de réduire autant que possible le nombre des joints sur la longueur entière du paratonnerre depuis la pointe jusqu'au réservoir commun.

Or, le sieur Carette a tellement réduit le nombre des joints qu'il n'en reste plus. Il n'en reste pas un seul, pas même là où la tige est reliée au conducteur. Avec les joints et les raccords disparaissent les inconvénients nombreux et graves qui y sont attachés, et on obtient le paratonnerre parfait, tel que depuis longtemps il avait été indiqué par les physiciens pour être sans reproche.

Car, notez-le bien, messieurs, c'est dans leurs écrits que j'ai cherché et puisé les règles et indications qui m'ont guidé dans le travail, qu'en 1859, je fis exécuter par le sieur Carette.

Vous aurez remarqué, messieurs, combien l'Académie insiste sur la recommandation essentielle de ménager les jointures, de diminuer autant que possible le nombre des joints, d'éviter les solutions de continuité, d'établir enfin la communication la plus parfaite, la plus intime, la plus (page 202) directe, la moins interrompue entre la pointe du paratonnerre et le réservoir commun.

Ce point étant d'une importance majeure, on ne saurait trop y insister.

Un paratonnerre, dit l'instruction que je viens d'avoir l'honneur de citer, doit s'en foncer sans aucune solution de continuité jusque dans l'eau ou dans la terre humide.

Une communication aussi intime du paratonnerre avec le sol est nécessaire pour qu'il puisse y verser instantanément la matière électrique de la foudre, à mesure qu'il la reçoit et garantir de ses atteintes les objets environnants.

On ne saurait trop prendre de précautions pour procurer à la foudre un prompt écoulement dans le sol ; car c'est principalement de cette circonstance que dépend l'efficacité des paratonnerres.

Pour les magasins à poudre on doit redoubler d'attention, afin d'éviter la plus légère solution de continuité et ne rien épargner pour établir entre la tige du paratonnerre et le sol la communication la plus intime.

Quoique nous ayons déjà beaucoup insisté sur la condition d'établir une communication très intime entre la tige des paratonnerres et le sol, son importance nous détermine à la rappeler encore.

Elle est telle que si elle n'était pas remplie, non seulement les paratonnerres perdraient beaucoup de leur efficacité, mais que même, ils pourraient devenir dangereux, en appelant la foudre sur eux, quoique dans l'impuissance de la conduire dans le sol.

La règle essentielle dans la construction du paratonnerre et de ses conducteurs, c'est de réduire autant que possible le nombre de joints, c'est que l'appareil soit continu et sans lacune depuis la pointe de la tige jusqu'au réservoir commun.

Voilà, messieurs, les instructions de l'Académie française. Il me reste à citer M. Duprez et je finis.

M. Duprez, dans les instructions insérées au Moniteur du 2 mai 1862, après avoir cité quelques exemples pour prouver que la foudre se jette de préférence sur les objets bons conducteurs de l'électricité, comme les métaux, et que, d'un autre côté, la foudre tombe en général sur les parties les plus élevées des bâtiments, ajoute :

« On voit, parce qui précède, qu'une barre métallique s'élevant au dessus d'un édifice et descendant, sans aucune solution de continuité jusque dans l'eau ou dans des couches très humides du sol, fournit un moyen de mettre à l'abri des effets de la foudre l'édifice qui la porte.

« Une semblable barre n'est autre chose qu'un paratonnerre.

« Il est nécessaire de réduire, autant que possible, le nombre de joints sur la longueur entière des paratonnerres ; car une condition essentielle de la bonne construction de cet appareil, c'est que toutes ses parties soient intimement liées ensemble ; or, plus on multiple les joints, pins on court évidemment risque que cette condition importante ne soit remplie et plus les chances d'une résistance à l'écoulement de la foudre augmentent. On aura donc soin da faire la tige d'une seule pièce. Le conducteur le plus parfait serait celai qui consisterait en une barre de fer faite d'une seule pièce. Cette disposition ne pouvant évidemment avoir lieu, on est forcé de réunir plusieurs barres bout à bout. Ces barres doivent être réduites au plus petit nombre possible afin d'éviter la multiplicité des joints, et il faut prendre bien garde qu'elles ne présentent aucune lacune dans les endroits oh elles sont réunies. Cette condition est indispensable, et on peut admettre, pour ce qui concerne l'écoulement de la foudre, que le simple contact de deux pièces métalliques est le plus souvent l'équivalent d'une lacune, à cause de l'oxydation qui se produit arvc le temps et des corps étrangers qui se déposent entre les surfaces. »

Ainsi, d'après M. Duprez, il est nécessaire de réduire autant que possible le nombre de joints sur la longueur entière d'un paratonnerre et de faire la tige d'une seule pièce.

Le conducteur le plus parfait serait celui qui consisterait en une barre de fer également faite d'une seule pièce.

Le savant académicien n'admet les joints que parce que, à l'époque où il écrivait, il croyait encore que la disposition d'un paratonnerre d'une pièce unique ne pourrait pas avoir lieu.

Il n'admettait les raccordements que par nécessité, croyant que les constructeurs étaient forces d'y avoir recours.

Il ne les admet, du reste, qu'entourés des plus minutieuses précautions, afin d'en atténuer, d'en diminuer autant que possible les inconvénients. Ces inconvénients, toujours d'après M. Duprez, se transforment en dangers réels pour peu que ces dispositions essentielles dans l'union des diverses pièces soient négligées. Son opinion est en tout conforme aux instructions de l'Académie française. La doctrine de ces autorités scientifiques est claire et précise.

D'après cette doctrine, le constructeur n'a devant lui qu'une voie sûre» écartant tout danger et jusqu'au moindre inconvénient.

Cette voie est nettement tracée, et la prudence commande de ne pas s'en écarter.

Basée sur les lois mêmes de l'électricité, lois bien connues et bien déterminées, elles offre à la matière électrique la plus entière liberté de locomotion. Cette voie établit, entre le nuage orageux et le réservoir commun, la plus parfaite facilité de communication, et c'est bien là le but capital qu'il s'agit d'atteindre.

Par ce système, du reste, toute chance de rupture, de dislocation, de détérioration ou d'interposition de matière étrangère est complètement écartée.

Dès lors rien d'étonnant que cette heureuse disposition, disposition qui ne laisse plus rien à désirer, ait attiré depuis longtemps l'attention des physiciens les plus savants.

Dès lors rien d'étonnant que la supériorité de ce système soit hautement proclamée par les autorités les plus compétentes.

Dans les premiers temps qui suivirent l'invention de Franklin, les conducteurs à chaînons, ou consistant en un simple fil de fer, à section trop petite pour conduire l'électricité, étaient seuls en usage. Personne ne songe plus à reproduire ces appareils primitifs et souvent fautifs. Ils ont disparu et fait place à d'autres appareils mieux conditionnés et offrant plus de garantie, tels que cordes métalliques, barres de fer reliées bout à bout par des chevilles, vis, boulons, étanchons et écrous disposés d'une certaine manière.

Mais maintenant que le système sans interruption aucune est bien réellement établi, que ce système peut se voir dans cent localités différentes, maintenant que le problème sans joints, tant recommandé, est pratiquement résolu, il est plus que probable que les cordes, les chevilles, les vis, les boulons et manchons auront bientôt aussi fait leur temps.

Ces divers engins, devenus inutiles, sont parfois cause d'accidents déplorables.

Condamnés et propres désormais à être convertis en vieille ferraille, ils suivront dans l'oubli les appareils en plomb ou en laiton, la chaîne et le simple fil métallique, dont le constructeur le moins intelligent se garde bien de faire usage de nos jours.

Qu'il se construise en fer ou en cuivre rouge, l'appareil perfectionné dont il vient d'être longuement question sera, avant peu, le seul qui inspirera une entière confiance, non seulement en Belgique, où l'appareil a pris naissance, mais même au-delà de nos frontières.

Telle est, messieurs, ma conviction profonde, basée sur cette simple considération que, dans une question de cette importance, d'une importance majeure et que tout le monde comprend, l'appareil offrant la plus grande somme de garantie doit nécessairement, toujours et partout être préféré à tout autre.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée de l’année 1865

Dépôt

MgCµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi fixant le contingent de l'armée pour 1865, en vous priant d'en faire l'objet de vos prochaines délibérations.

- Il est donné acte à M. le ministre de ce dépôt.

Le projet de loi sera imprimé et distribué et renvoyé à la section centrale chargée de l'examen du budget de la guerre.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1865

Discussion générale

M. Lelièvre. - Le budget de l'intérieur me donne occasion da présenter quelques observations relativement à certaines réformes que l'intérêt public réclame impérieusement.

Les députations permanentes sont aujourd'hui investies de nombreuses attributions relatives à des matières contentieuses, notamment en ce qui concerne les patentes, la milice, la garde civique, les listes électorales, etc.

Ne pourrait-on pas introduire, à cet égard, des garanties analogues à celles existantes à l'égard des débats judiciaires ?

Des plaidoiries orales seraient de nature à réaliser un véritable progrès en donnant aux justiciables, en matière administrative, les garanties qui résultent de la publicité et de la discussion contradictoire.

C'est là un objet important que je recommande aux méditations de M. le ministre de l'intérieur, dont les vues progressives sont appréciées depuis longtemps.

J'appelle aussi l'attention du gouvernement sur les écoles moyennes de filles à établir aux frais de l'Etat.

La loi du 1er juin 1850 a laissé, sous ce rapport, une lacune qui doit disparaître. On comprend combien il importe à la civilisation de voir s'élever de semblables écoles, dont je suis loin de vouloir exclure l'enseignement religieux.

(page 203) Il est indispensable qu'il existe un enseignement de l'Etat qui crée une concurrence avec les établissements privés, dans l'intérêt des études et de la science.

Je suis convaincu que des institutions de cette nature produiront des résultats non moins satisfaisants que ceux dus à l'exécution de la loi du 1er juin 1850.

Je dois aussi signaler à la Chambre la disposition de la loi du 1er février 1844, article 10, qui permet aux tribunaux de ne pas ordonner la démolition des travaux exécutés en contravention aux lois et règlements concernant les alignements. Cette prescription est considérée généralement comme donnant lieu aux plus graves inconvénients et conférant. aux tribunaux des attributions du ressort exclusif des autorités administratives.

C'est donc là une disposition qui doit être révisée dans l'intérêt de la voirie et du progrès, si essentiel en cette matière.

Autoriser les tribunaux à laisser des constructions contraires à des prescriptions d'intérêt général, c'est consacrer une confusion de pouvoirs portant atteinte à des intérêts de premier ordre.

En terminant, je ne puis dissimuler l'étonnement que j'ai éprouvé en lisant dans le rapport de la section centrale, qu'il pouvait être question de supprimer le haras de l'Etat.

Cet établissement, pour lequel on a fait des dépenses considérables, ne peut être supprimé brusquement.

Je comprends que l'on introduise dans cette institution les réformes dont l'expérience a constaté la nécessité, mais je ne puis concevoir qu'on détruise immédiatement un établissement qui, bien dirigé, serait un véritable bienfait pour le pays.

J'appelle l'attention de la Chambre sur le rapport émané de la commission spéciale de la province de Namur, qui propose le maintien du statu quo avec certaines modifications.

Je suis, du reste, convaincu que si l'on avait organisé le haras d'une manière convenable, nul ne songerait aujourd'hui à le supprimer.

Cette mesure porterait, d'ailleurs, atteinte à un intérêt public que nous devons sauvegarder.

Si le budget de l'intérieur prononçait la suppression de l'établissement dont il s'agit, il me serait impossible de lui donner mon assentiment.

M. Julliot. - Messieurs, après avoir occupé si souvent la Chambre de mes doléances sur l'intervention exagérée de l'Etat dans les intérêts privés, je ne dois pas me taire sur la direction utile que M. le ministre de l'intérieur se dispose à imprimer à son département.

Ne rien dire à cette occasion, ce serait, de ma part, une abstention non justifiée.

Selon moi, les questions sociales ont plus d'importance que les questions purement politiques.

Je félicite donc l'honorable ministre des essais qu'il fait pour simplifier et amoindrir le rôle du gouvernement là où il n'est pas indispensable.

En présence de tout ce qui reste à faire, l'essai est timide, mais j'avoue qu'il ne faut pas brusquer les erreurs quand elles sont enracinées dans les esprits.

J'ai aussi des raisons de croire que plusieurs directeurs de ce département sont tout disposés à seconder leur chef, et je les en remercie.

On commence donc à comprendre que toute réglementation inutile est détestable, et que la liberté n'a jamais fait de mal à personne.

Le peuple belge, qui est aussi avide d'ordre que de liberté, peut faire quelques pas en avant vers le self-government sans danger.

Quand on veut réfléchir sur la marche de la société, il est facile de comprendre qu'on doit conserver l'harmonie entre l'ordre moral et l'ordre matériel et qu'à une époque où l'homme est travaillé par des idées qui vont jusqu'à l'audace, il faut qu'il renonce en même temps à se reposer sur le gouvernement pour ce qu'il veut entreprendre. Pas de liberté sans responsabilité. C'est-à-dire que quand l'individu se borne à émettre des idées sauf, par habitude, à les faire réaliser par le gouvernement, il crée un danger, car c'est affirmer le droit et nier le devoir.

Je constate donc avec satisfaction que le haras de l'Etat va disparaître, parce que l'Etat ne doit pas plus procurer des coursiers aux sportsmen qu'il ne procure des ânes aux maraîchers qui en ont besoin.

La chaux va suivre, parce que l'Etat ne doit pas plus de la chaux aux paysans de Hondelange dans le Luxembourg qu'il ne doit du guano à ceux de Pirange dans le Limbourg.

Si, dans quelques parties du Luxembourg, la culture des céréales ne couvre pas ses mises dehors, eh bien, que ces braves gens en reviennent à leur mouton que nous mangerons, et chacun restera dans son rôle. Mais qu'on ne fasse pas chauler les mauvaises terres du Luxembourg par les bons paysans du Limbourg.

M. de Moorµ. - Vous n'aurez plus d'eau.

M. Julliot. - Gardez votre eau, je ne vous la demande pas.

Messieurs, il y a encore beaucoup à simplifier. On demande aux communes force statistique inutile qui n'est lue par personne ; il y a peu de jours, on m'a demandé, comme bourgmestre, combien d'arrière-cousins avait épousé d'arrière-cousines dans ma commune.

Le tir national et la garde civique fout double emploi, c'est une garde civique volontaire et une obligatoire ; il n'en faudrait qu'une. C'est un texte à discuter un jour et je me déclare pour le système volontaire, les riflemen.

En agriculture il y a beaucoup à effacer ou à réduire.

Le crédit pour bestiaux abattus était limitatif autrefois, aujourd'hui il grossit chaque année.

Les petites expositions agricoles sont sans valeur, car nos foires et marchés sont des expositions permanentes.

Les fonds destinés aux chemins vicinaux pourraient être distribués aux provinces, il y aurait célérité et profit.

Les défrichements en Campine qui, en comptant tous les débours, ne donnent en moyenne qu'un maigre résultat, sont assez vulgarisés pour être abandonnés à l'initiative des amateurs. M. de Moor n'a-t-il compris ?

Les universités de l'Etat.. (Interruption.) Cela paraît agacer des nerfs, qui vont avoir, dit-on, les bourses d'études de Louvain, nous permettront de supprimer les bourses de l'Etat payées en majeure partie par la classe qui n'a pas accès aux universités. Ce sera de la bonne démocratie qui contrarie, il est vrai, l'oligarchie bourgeoise qui ne manque pas de défenseurs dans cette enceinte.

La peinture murale tient-elle ce qu'elle promettait quand on l’a essayée ?

Quand on fait des lois sur la médecine, on consulte une des parties intéressées, les médecins ; ne ferait-on pas bien aussi de consulter la partie adverse, les malades, pour être bien renseigné ? Car il me semble que leurs intérêts ne sont pas complètement identiques.

Les jeux de Spa impriment une tache sur l'honnêteté belge, il faut que cette tache disparaisse.

Bref, j'engage l'honorable ministre de l'intérieur à poursuivre le principe salutaire qu'il a inauguré, et le pays recueillera les bons grains qu'il aura semés.

Aussi je m'attends à de nouvelles propositions au prochain budget.

J'espère encore que MM. les chefs des autres départements imiteront leur collègue, car je lis au Moniteur que, pour qu'une personne puisse s'installer dans un hospice contre une pension à convenir, il faut un arrêté royal. C'est trop fort !

Maintenant, messieurs, permettez-moi d'être franc : le ministre ne peut pas tout faire, nous devons l'aider en nous déshabituant d'une manie que je vais qualifier comme elle le mérite.

Nous faisons des lois contre la mendicité. Quand un pauvre diable mendie, il est appréhendé par un gendarme et quand nous, autant que nous sommes, nous nous livrons au même exercice dans les bureaux du gouvernement au profit des communes, des sociétés de musique ou d'individus, on nous tire le chapeau en nous présentant un fauteuil. Cette inégalité devant la loi me choque, et notre rôle est humiliant ; ce sont deux hommes en présence qui s'aplatissent, ce système arme le gouvernement d'un pouvoir factice qu'il ne devrait pas avoir.

Ce n'est pas en continuant les subsides aux mêmes chiffres qu'on développera l'initiative des communes et des associations volontaires.

Quand les subsides feront défaut, on ne fera que du travail utile, tandis qu'aujourd'hui la commune demande parfois des subsides peu utiles et s'arrange de manière à ne rien débourser du sien.

L'impôt est fourni par toutes les communes et fait retour à ces dernières sous forme de subsides, mais en faisant le tour du monde bureaucratique, il est réduit de 20 p. c. Or, quand telle commune a fourni 20 fr., on lui en restitue 15 sous forme de subside ; elle se croit très favorisée et se lient pour l'obligée du gouvernement.

Messieurs, soyons donc moins solliciteurs et tâchons de réduire les impôts qui pèsent plus particulièrement et lourdement sur les classes laborieuses. Voilà une politique à inaugurer.

J'engage encore l’honorable ministre de l'intérieur à entrer largement dans cette voie et à faire enseigner dans nos écoles qu'avec rien on ne fait rien, que l'homme est responsable, qu'il doit demander la vie à son travail et à sa conduite sans compter sur le travail des autres.

Avec cet enseignement vous ferez des hommes de vos gamins libéraux et cléricaux.

Messieurs, d'après le principe admis sur la propriété, il est défendu de lever plus d'impôt qu'il n'en faut pour maintenir l'ordre social. Nous spolions donc le contribuable d'une somme assez ronde pour (page 204) mêler l'Etat à une foule d'affaires qui ne le regardent pas comme gouvernement.

Après la suppression de l'octroi, la Belgique réclame la suppression de la douane, parce que, dit-elle, l'intervention du gouvernement à la frontière est insupportable. Comment alors prouver qu'à l'intérieur cette intervention soit bonne ? Cela ne se peut ce serait soutenir le blanc et le noir.

Le grand moyen et le seul pour supprimer la douane, c'est de supprimer nos dépenses de fantaisie ; c'est de réduire nos budgets aux dépenses obligatoires et d'en élaguer tout ce qui peut l'être.

Notre budget ressemble au catalogue d'un bazar assez varié pour que chaque Belge y trouve quelque chose qui l'amuse ou l'intéresse. Vous fournissez des poupées aux enfants pour qu'ils ne fassent pas de tapage : voilà la politique des uns et des autres. Néanmoins je voterai ce catalogue en attendant mieux.

M. Giroulµ. - Messieurs, peu de lois organiques ont donné lieu à des discussions plus vives et plus passionnées que celles qui ont précédé le vote de la loi du 23 septembre 1842, organisant l'enseignement primaire dans notre pays. Cela s'explique aisément ; cette loi est appelée à régler un intérêt social d'une importance toute particulière, l'instruction du peuple. Toutes les grandes questions qui peuvent diviser las partis et marquer leurs tendances, viennent s'agiter autour de cette œuvre législative.

Aussi, messieurs, la loi du 23 septembre 1842, plus que toute autre partie de notre législation peut-être, est par sa nature appelée à marquer d'une manière plus tranchée, plus nette et plus saisissante, l'opposition des doctrines des deux partis qui se disputent la prépondérance dans notre pays.

Aux grands principes de liberté de conscience, de liberté des cultes, d'égalité des citoyens devant la loi, de séparation de l'Eglise et de l'Etat, d'indépendance réelle du pouvoir civil, de nécessité sociale pour l'Etat d'organiser un enseignement à tous les degrés, proclamés par l'opinion libérale, nos adversaires politiques répondent nécessité d'un enseignement dogmatique, religion d'Etat déguisée sous le nom de religion de la majorité, intervention du clergé à titre d'autorité, censure ecclésiastique, concours obligatoire et légal du prêtre à l'école, soumission absolue de l'Etat envers l'autorité religieuse, abdication de l'Etat et des communes en matière d'enseignement au profit de l'enseignement privé, partout où celui-ci se trouve plus ou moins organisé.

Des dispositions législatives qui mettent en présence des principes aussi opposés, qui entraînent la solution de questions politiques et sociales aussi importantes, aussi fondamentales que celles que je viens d'énumérer, devaient nécessairement attirer sur leur existence, sur leurs résultats et sur l'influence découlant de leur application, l'attention de tous ceux qui se préoccupent de l'avenir de notre nationalité, du développement de nos institutions et du maintien de nos libertés.

Aussi, messieurs, depuis le jour où l'œuvre des législateurs de 1842 a été inscrite au rang de nos lois organiques, l'opinion publique a été tenue en éveil et n'a cessé de protester contre une grande partie des dispositions qu'elle contient.

La loi de 1842 a été adoptée par la législature de l'époque à la presque unanimité ; et cependant, malgré cette circonstance bien rare dans nos annales parlementaires, je suis le premier à le reconnaître, jamais la majorité de l'opinion publique n'a voulu accepter comme définitive cette loi réactionnaire ; plus de 22 ans se sont écoulés depuis son application et chaque jour la nation manifeste, avec plus d'unanimité, avec plus dé persistance et plus d'énergie, sa volonté d'arriver à la révision de cette partie de notre législation, pour la mettre en harmonie avec les prescriptions de notre pacte fondamental, avec les libertés qui servent de base à notre droit public et sont de l'essence des sociétés modernes.

Un regard rétrospectif jeté rapidement sur les faits qui se sont passés pendant ces vingt dernières années, suffira, je pense, pour démontrer la vérité de mon allégation.

Quelques années à peine après le vote de la loi dont nous nous occupons en ce moment, en 1846, l'opinion libérale, cette opinion libérale à laquelle depuis plus de 17 ans la nation a confié avec une énergique persévérance le soin de veiller à ses destinées ; en 1846, l'opinion libérale, frappée des excès de la réaction, toute puissante à cette époque, résolut de s'organiser pour sauver le pays de la pente fatale où l'entraînaient le gouvernement et la majorité des Chambres.

A cette époque, l'application de la loi avait ouvert les yeux à tous les libéraux ; ceux mêmes qui, en 1842, dans un excès de confiance, avaient consenti à voter la loi étaient complètement désabusés.

Le congrès libéral formula son programme, expression véritable des vœux et des sentiments de la grande majorité de l'opinion publique.

Parmi les réformes signalées comme nécessaires, la révision de la loi de 1842 figure en première ligne ; en effet, le congrès libéral, invoquant le principe de notre Constitution qui proclame la séparation de l'Eglise et de l'Etat, considéra l'intervention du prêtre à titre d'autorité dans l'école comme contraire à ce principe de notre droit constitutionnel.

La presse libérale tout entière, sans distinction de nuances, se faisant l'écho du sentiment public, n'a cessé depuis vingt ans de signaler les vices de notre loi sur l'enseignement primaire. Il en est de même des associations libérales.

Mais on me dira peut-être que le congrès libéral, que la presse et les associations politiques dont je parlais tout à l'heure sont dominés par l'esprit de parti et qu'ils jugent la loi de 1842 sous l'empire des passions que cet esprit de parti fait naître ; on me dira aussi peut-être qu'on ne peut voir dans ces manifestations, malgré leur ensemble et leur unanimité, l'expression du sentiment de l'opinion publique.

Cette objection me paraît peu sérieuse ; mais elle doit tomber devant les autorités que je vais invoquer et qui viennent confirmer les appréciations unanimes que je viens de citer.

Ici, il ne s'agit plus de simples citoyens ; j'invoque le témoignage d'autorités légalement constituées, délibérant avec calme, ne se préoccupant que de l'intérêt public et ne pouvant être accusées de se laisser guider dans leurs délibérations par les passions de l'esprit de parti.

En 1861, le conseil communal de Liège, qui, en 1842 déjà, pendant la discussion de la loi, avait adressé une pétition aux Chambres législatives pour demander le rejet des dispositions principales de cette loi, le conseil communal de Liège, préoccupé des vices de cette législation, vota à l'unanimité, après une longue et intéressante discussion, une adresse à la Chambre formulant le vœu de voir réviser aussitôt que possible notre législation sur l'enseignement primaire.

Au mois d'octobre de la même année, le conseil communal de Huy exprima le même vœu ; cette motion fut votée par l'unanimité du conseil moins un.

Ce n'est pas tout.

Les conseils provinciaux de trois provinces importantes : Liège, Hainaut et Brabant, après des discussions approfondies, ont également soumis aux Chambres le vœu de voir réviser aussitôt que possible la partie de législation dont nous nous occupons.

Le conseil provincial de Liège s'en est occupé deux fois en 1861 et en 1863 ; la demande de révision a été chaque fois votée à la presque unanimité.

Je suis heureux, quant à moi, d'avoir contribué à ces deux votes au sein de cette assemblée. Mon opinion n'a pas changé depuis ; aujourd'hui comme alors, je considère notre loi sur l'enseignement primaire comme faisant tache dans notre législation.

Le conseil provincial du Brabant a formulé le même vœu en 1863 et celui du Hainaut en 1861. Que signifie cet ensemble de demandes, tendantes à réviser cette loi ? Ces réclamations sont-elles fondées, les vices que l'on reproche à la loi de i 842 existent-ils réellement ? C'est ce que nous allons examiner.

L'esprit qui a présidé à la confection de cette loi organique se révèle par sa date ; 1842, c'est l'année où la réaction triomphante se croyait tout permis, c'est l'année du fractionnement des collèges électoraux, et de la mutilation de nos libertés communales par la faculté accordée au Roi de nommer les bourgmestres en dehors du conseil sans la garantie de l'avis conforme des députations permanentes.

Rappeler ces deux faits significatifs c'est caractériser la politique qui dominait alors. Les évêques étaient tout puissants, et nous allons voir que la loi de 1842 reflète dans presque toutes ses dispositions l'influence prépondérante de l'épiscopat à cette époque de notre histoire parlementaire.

Un rapide examen des principales dispositions de la loi de 1842 suffira pour le démontrer. Aux termes de l'article 6, l'instruction primaire comprend nécessairement l'enseignement de la religion et de la morale ; ces article s'exprime comme suit :

« Art. 6. L'instruction primaire comprend nécessairement l'enseignement de la religion et de la morale, la lecture, l'écriture, le système légal des poids et mesures, les éléments du calcul, et, suivant les besoins des localités, es éléments de la langue française, flamande ou allemande.

« L'enseignement de la religion et de la morale est donné sous la direction des ministres du culte professé par la majorité des élèves de l'école.

« Les enfants qui n'appartiennent pas à la communion religieuse en majorité dans l'école, seront dispensés d'assister à cet enseignement.»

Il en résulte la création d'une véritable religion d'Etat au profit du (page 205) culte de la majorité des élèves, c'est-à-dire en fait au profit du culte catholique.

Les articles 7, 8 et 9 s'expriment comme suit :

« Art. 7. La surveillance des écoles, quant à l'instruction et à l'administration, sera exercée par l'autorité communale, d'après la disposition de la loi du 30 mars 1836, et par les inspecteurs, d'après les prescriptions du titre suivant.

« Quant à l'enseignement de la religion et de la morale, la surveillance sera exercée par les délégués des chefs des cultes.

« Les ministres des cultes et les délégués du chef du culte auront, en tout temps, le droit d'inspecter l'école.

« L'un de ces délégués pourra assister aux réunions cantonales, dont il est parlé à l'article 14, et diriger ces réunions sous le rapport de l'instruction morale et religieuse.

« L'évêque diocésain et les consistoires des cultes rétribués par l'Etat pourront se faire représenter, auprès de la commission centrale d'instruction, par un délégué qui n'aura que voix consultative.

« Les évêques et les consistoires feront connaître, tous les ans, au ministre de l'intérieur, qui en donnera avis aux administrations communales et provinciales, ainsi qu'aux autorités scolaires de chaque ressort, le personnel et l'organisation de cette inspection ecclésiastique.

« Art. 8. Tous les ans, au mois d'octobre, chacun des évêques diocésains et les consistoires pour les écoles appartenant aux autres confessions, communiqueront au ministre de l'intérieur un rapport détaillé sur la manière dont l'enseignement de la morale et de la religion est donné dans les écoles soumises au régime de la présente loi.

« Art. 9. Les livres destinés à l'enseignement primaire dans les écoles soumises au régime d'inspection établi par la présente loi, sont examinés par la commission centrale et approuvés par le gouvernement, à l'exception des livres employés exclusivement pour l'enseignement de la morale et de la religion, lesquels sont approuvés par les chefs des cultes seuls.

« Les livres de lecture employés en même temps à l'enseignement de la religion et de la morale sont soumis à l'approbation commune du gouvernement e t des chefs des cultes. »

Il résulté de l'ensemble de ces dispositions que la plupart des grands principes consacrés par notre Constitution n'existent plus pour les instituteurs. Nous avons vu que l'article 6 créait une véritable religion d'Etat, les dispositions dont je viens de parler vont plus loin ; l'instituteur devra faire abnégation de ses convictions religieuses pour enseigner un culte positif, souvent contraire à ses croyances ; l'instituteur devra aussi forcément prendre part, malgré lui peut-être, aux cérémonies d'un culte positif, car il se trouve sans la dépendance absolue de l'inspection ecclésiastique et de la censure épiscopale.

Cette situation arrive forcément à violer le principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Pour pouvoir être instituteur, il faudra être catholique romain. Les dissidents et les non croyants seront exclus de ces fonctions ; et ce fait, messieurs, n'est pas purement hypothétique, il s'est réalisé au sein d'une de nos grandes villes il y a quelques années ; le rapport fait, en 1861, par M. Hénaux, échevin de l'instruction publique au conseil communal de Liège, nous en fournit un exemple frappant. L'administration communale de cette ville, ayant à pourvoir à une place vacante d'institutrice dans une de ses écoles, mit au concours l'obtention de cette place ; une jeune institutrice, aussi remarquable par son instruction que recommandable par son honorabilité, obtint le premier prix ; elle réunissait toutes les conditions voulues pour être nommées, elle offrait toutes les garanties désirables à l'administration communale ; mais elle avait le malheur d'être protestante : devant cet obstacle, l'édilité liégeoise dut renoncer à sa nomination ; on ne pouvait en effet demander à une protestante d'enseigner à ses élèves les préceptes du catéchisme et les dogmes de la religion romaine.

Le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'est pas mieux respecté ; en effet, le prêtre intervient à l'école à titre d'autorité ; on crée en faveur du clergé une véritable censure sur les livres employés à l'école ; on va plus loin, on soumet au bon plaisir du clergé l'existence même de l'école communale, à laquelle il peut ôter son caractère légal en se retirant sous le moindre prétexte. En effet, l’article 26 de la loi s’exprime comme suit :

« Art. 26. Aucune école ne pourra obtenir ou Conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l'Etat, si l'autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime d'inspection établi par la présente loi.

« Les infractions aux dispositions légales sont constatées, soit par les inspecteurs civils, soit par les inspecteurs ecclésiastiques. Elles sont portées à la connaissance du gouvernement par les rapports dont il est parlé aux articles 8 et 18.

« Si ces rapports signalent des abus dans une école, le ministre de l'intérieur en informe l'administration dirigeant l'école, et use des moyens propres à amener l'exécution de la loi.

« Lorsque les abus sont constatés par le gouvernement et reconnus par lui constituer la non-exécution de l'une des conditions essentielles de la loi, et que l'autorité dirigeant l'école se refuse à les faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l'Etat seront retirés par un arrêté royal motivé et inséré au Moniteur. »

Je sais bien que la loi laisse au gouvernement le soin de reconnaître s'il y a abus et s'il y a lieu de retirer les subsides accordés par le gouvernement et la province. Mais je suppose cette situation, je suppose qu'un ministre du culte, ayant le caractère légal que lui attribue la loi de 1842, vienne dire que l'instituteur donne dans l'école un enseignement contraire aux préceptes de la religion, qu'il vienne dire que, par l'ensemble de sa conduite, par ses habitudes, par sa manière d'enseigner, il détruit l'effet que le prêtre chercha à obtenir par son enseignement et par son inspection.

Eh bien, de deux choses l'une : ou les faits seront fondés, et alors l'école cessera d'exister. M. le ministre de l'intérieur devra exécuter la loi.

Ou ces faits ne seront pas fondés. Mais le prêtre les soutiendra, les prétendra fondés. Il refusera de reparaître à l'école, il se mettra en insurrection ouverte contre l'instituteur laïque.et alors qu'arrivera-t-il ? Il arrivera que la loi ne sera plus exécutée, qu'il y aura conflit et qu’en vertu de cet article 26, un ministre quelque peu complaisant (car cette loi est d’une élasticité très grande dans son mode d'interprétation) viendra dire : Je constate qu'il y a abus ; le rapport du prêtre, qui est le mieux à même d'apprécier s'il y a abus, le dit ; je ferme l'école.

Je sais très bien que ce danger est peu à craindre avec le ministre qui dirige actuellement le département de l'intérieur. Mais je parle au point de vue de l'exécution absolue de la loi, et non au point de vue de l'exécution momentanée qui peut lui être donnée.

Telle est très en abrégé (car vous comprenez qua je ne puis que retracer à grands traits les vices de la législation qui nous occupe ; les développements seraient trop longs, si je devais analyser toutes ses dispositions) ; telle est l'organisation de l'école communale d'après la loi de 1842.

Ainsi vous avez un instituteur laïque, nommé par l'autorité communale, agréé par le gouvernement, soumis à une double inspection, l'inspection civile et l'inspection religieuse ; vous avez cet instituteur laïque obligé d'enseigner un culte positif, et, par voie de conséquence, de participer aux cérémonies d'un culte positif.

Car je pose en fait que si un instituteur osait s'abstenir de paraître au prône, de paraître à l'église le dimanche, il serait signalé comme un mauvais instituteur et désigné comme animé d'un mauvais esprit et comme pouvant détruire l'effet de l'enseignement religieux que le prêtre a le droit, à titre d'autorité, de faire respecter dans l'école.

Je dis que l'instituteur devra forcément, quelles que soient ses croyances et ses convictions, participer d'une manière ostensible à un culte positif.

Ensuite il ne pourra faire usage que de livres approuvés par le prêtre pour l'enseignement de la lecture, de la morale et de la religion. Il devra ensuite se soumettre à toutes les formalités, à toutes les exigences de l'inspection ecclésiastique sous peine d'entrer en conflit et de voir son école perdre son caractère légal.

Voilà l'école communale organisée. Vous voyez sur quelles bases elle existe. Vous voyez quelle large part le clergé, l'autorité ecclésiastique, l'épiscopat s'y est réservée.

Eh bien, cette école, on ne l'admet que comme exception. On ne l'admet, dans l'interprétation de nos adversaires politiques, que comme destinée à suppléer à l'enseignement privé. Car cette école est laïque, cette école nous offre certaines garanties ; il y a, comme je le disais tout à l'heure, la nomination de l'instituteur par l'administration communale ; Il y a la double inspection civile, l'inspecteur cantonal et l’inspecteur provincial ; il y a la garantie de capacité résultant de ce qu'un diplôme est exigé pour pouvoir être nommé aux fonctions d'instituteur. C'est un instituteur laïque vivant de la vie de famille, appelé tous les jours à remplir ses devoirs sociaux et, par conséquent, vivant de notre vie moderne, de la civilisation moderne. Eh bien, malgré la part si large accordée au clergé, ces écoles, nos adversaires ne les admettent que comme une exception ; la règle, c'est l'école de l’article 2 ou l’école de l'article 3, c'est-à-dire l'enseignement purement privé dans les communes où cet enseignement est organisé, on bien l’enseignement privé avec l'inspection, dans les (page 206) communes où l'enseignement privé doit recourir à la caisse communale, en d’autres termes l'école purement privée et l'école adoptée et subsidiée.

Eh bien, messieurs, je dis qu'une loi qui renferme dans ses dispositions de pareils principes, qui consacre une pareille situation, je dis en toute sincérité qu'une semblable loi doit disparaître de notre législation ; il faut qu'elle soit révisée, conformément à l'esprit de notre droit public.

Je l'ai dit tout à l'heure, cette réforme figure depuis longtemps dans le programme de l'opinion libérale.

Quelques-uns de nos amis de la gauche croient que le moment n'est pas encore venu de réaliser cette réforme. En effet, nous lisons ce qui suit dans la réponse de M. le ministre de l'intérieur à la demande qui lui a été adressée à cet égard par la section centrale :

« Le gouvernement saisira-t-il la législature d'un projet de loi révisant la loi de 1842, relativement à l'intervention, à titre d'autorité, des ministres des cultes dans les écoles primaires ?

« Réponse. - Il a été plusieurs fois constaté que la majorité se trouve divisée sur cette question, et par conséquent il est inopportun de s'en occuper. »

Cette réforme donc, au point de vue de quelques-uns de nos amis politiques, est inopportune, et cette situation est constatée, comme je l'ai dit, dans la réponse de M. le ministre de l'intérieur.

Je ne partage pas la manière de voir à laquelle je viens de faire allusion, car je crois qu'il est toujours opportun, toujours nécessaire de réviser une semblable loi ; je ne partage pas, dis-je, cette manière de voir, mais je la respecte, et il n'entre pas dans ma pensée de soumettre à la Chambre un projet immédiat de révision de la loi de 1842 sur l'enseignement primaire.

Au surplus j'ai un autre motif pour retarder toute motion quelconque à cet égard, c'est que je pense comme Emile de Girardin le disait, il n'y a pas longtemps, avec tant de raison : « En matière de réformes, c'est une erreur de croire qu'il suffit d'effleurer toutes les questions à la fois pour pouvoir les résoudre ; le meilleur moyen de finir avec le temps par les résoudra toutes, c'est d'adopter l'ordre successif pour les examiner. »

Aussi avant d'aborder l'examen de la loi sur l'enseignement primaire, nous avons à nous occuper d'une bonne loi sur les fraudes électorales, loi dont nous sommes saisis ; nous avons surtout à nous occuper de réviser d'une manière conforme à notre Constitution, d'une manière conforme à l'économie générale de nos lois organiques, toutes les dispositions qui concernent le temporel des cultes, révision réclamée avec instance depuis 25 ans par l'opinion publique.

Nous sommes saisis de deux projets de loi importants à cet égard ; je dois constater que ces deux projets nous occuperont suffisamment dans le courant de la session actuelle.

Je me résigne par conséquent à attendre que le moment soit venu où l'opinion libérale pourra, avec chance de succès, aborder la réforme de la loi organique de l'enseignement primaire. Cette réforme, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, se réalisera à son heure, j'en ai la ferme conviction. Mais ce que je tiens à constater aujourd'hui, c'est que l'opinion libérale ne subit cette loi qu'à titre provisoire, qu'elle entend ne l'accepter qu'avec ce caractère, et que son intention est bien d'en maintenir la révision en tête de son programme.

Cela dit, et en acceptant encore comme une triste nécessité l'existence de la loi actuelle pendant un certain temps, j'aborde l'examen de quelques points administratifs sur lesquels j'appellerai l'attention de M. le ministre de l'intérieur.

Selon moi, un des points les plus importants, non pas tant par les résultats généraux qui sont réalisés dans le pays, mais au point de vue des principes, c'est l'interprétation à donner à l'article 2.

Je commence par constater que l'honorable ministre de l'intérieur a fait beaucoup pour l'instruction primaire depuis qu'il est à la tête de son département ; c'est surtout au point de vue administratif qu'il a introduit d'importantes améliorations dans l'application de la loi qui existe sur cette matière ; il a donné une grande impulsion à tous ceux qui s'occupent de cette branche de l'enseignement ; je reconnais qu'il est animé de meilleures intentions à cet égard. Il a, de plus, pris l'initiative d'une excellente mesure que je ne puis assez approuver : il a, l'année dernière, provoqué une enquête dans tout le pays, sur les résultats produits pendant vingt ans par l'application de la loi organique de 1842. Je suis persuadé que les résultats qu'il aura obtenus par ses recherches seront de nature à nous éclairer et à amener de nouveaux progrès au point de vue administratif et au point de vue de l'exécution de la loi dont il s'agit.

Je regrette, sous ce rapport, de ne pas avoir le résultat de cette enquête, Bien qu'il nous l'eût fait espérer, M, le ministre de l'intérieur n'a pas satisfait à la demande que je lui avais faite, de communiquer l'enquête à la Chambre ; nous aurions pu l'examiner et la contrôler, y puiser les lumières nécessaires pour la solution de toutes les questions qui se rattachent à l'enseignement primaire.

En constatant donc les excellentes intentions de M. le ministre de l'intérieur, en reconnaissant qu'en principe je suis d'accord avec lui, j'arrive à l'examen de l'article 2 de la loi du 23 septembre 1842. Cet article est ainsi conçu :

« Art. 2. Lorsque dans une localité il est suffisamment pourvu aux besoins de l’enseignement primaire par les écoles privées, la commune peut être dispensée de l'obligation d'établir elle-même une école. »

Que signifie cet article ? est-ce un article principe ? ou bien est-ce une simple exception à l'article premier ?

Je constate d'abord qu'à cet égard il y a divergence complète d'appréciation entre nos adversaires politiques et M. le ministre de l'intérieur. Cette question a été examinée il y a deux ans, en 1862, lors de la discussion du budget de l'intérieur ; l'honorable ministre de l'intérieur a établi, selon moi, les vrais principes en cette matière. Après avoir examiné s'il existait, à ce que prétendait l'honorable M. Wasseige, plus de deux catégories d'écoles, après avoir démontré qu'il n'en existe que deux, M. le ministre de l'intérieur s'exprimait ainsi dans la séance du 21 février 1862 :

« En règle générale, chaque commune doit avoir son école communale ; par exception une commune peut être autorisée à adopter une école privée, mais il ne faut admettre l'exception que lorsqu'on ne peut appliquer la règle.

« Je ne crains pas d'affirmer ce principe, parce que je le crois le seul vrai, le seul dicté par les intérêts de l'instruction primaire et le seul conforme à la loi.

« On semble contester ce principe, on n'admet pas que l'école communale soit la règle. Les communes, dit-on, peuvent aussi bien adopter une école privée que créer une école communale, et ce, parce que dans l'article premier où l'on parle d'une école primaire en général, le mot communal ne se trouve pas.

« Messieurs, cet argument n'en est pas un.

« Je vous le demande, que veut dire l'article premier lorsqu'on le rapproche des articles 2 et 3 ? Si sous le nom d'école primaire était comprise aussi l'école adoptée, que signifierait l'article 3 ? Pourrait-on dire que la commune qui doit avoir une école soit communale, soit adoptée, a besoin d'une autorisation pour adopter une école privée ?

Ainsi donc, messieurs, d'après M. le ministre de l'intérieur, et je suis parfaitement d'accord avec lui, la règle c'est que chaque commune en Belgique est obligée d'avoir une école primaire communale ; elle ne peut être dispensée de cette obligation que lorsqu'il y a impossibilité absolue pour elle de posséder une école, lorsque ses ressources sont insuffisantes, lorsque, en un mot, elle se trouve devant une impossibilité matérielle.

Or, je constate, d'après des renseignements que M. le ministre de l'intérieur a bien voulu communiquer à la Chambre, je constate que, dans notre pays, il y a encore 32 écoles privées soumises à une inspection annuelle (article 2 de la loi), 2 pour les garçons, 22 pour les filles et 8 pour les deux sexes. On compte en outre 620 écoles adoptées, 45 pour les garçons, 378 pour les filles et 197 pour les deux sexes.

Le personnel enseignant des écoles privées se compose de trois instituteurs ou institutrices laïques et de 76 instituteurs ou institutrices appartenant à des corporations religieuses ; dans les écoles adoptées, il y a 1,460 instituteurs ou institutrices, dont 345 instituteurs ou institutrices laïques et 1,115 instituteurs ou institutrices appartenant aux corporations religieuses.

Ainsi donc, l'exception à la règle consacrée par l'article premier existe pour 32 écoles privées soumises au régime de l'article 2, et pour 620 écoles soumises au régime des écoles subsidiées.

Eh bien, je dis que ce sont 652 écoles qui doivent, selon moi, disparaître insensiblement, à commencer par les écoles privées de l'article 2.

En effet, messieurs, si nous adoptons le principe de M. le ministre de l'intérieur, qui est le principe vrai, je le proclame, que dans chaque commune il doit y avoir une école communale, nous devons déduire les conséquences de ce principe et dire que la première exception posée à la règle de l'article premier doit être celle prévue par l'article 3 relatif à des écoles qui offrent encore certaines garanties. Mais quant à l'exception prévue à l'article 2, elle ne doit être admise que dans des cas d'absolue nécessité, parce que les écoles dont il y est question n'offrent aucune espèce de garantie au pouvoir central ni au pouvoir communal, pour l'accomplissement de la mission sociale qui est dévolue à l'Etat de donner l'instruction primaire.

Messieurs, sur le point de savoir dans quelles circonstances l'école (page 207) privée peut exister, c'est-à-dire dans quelles circonstances l'Etat peut renoncer à sa mission qui est de premier ordre, le point de savoir, dis-je, dans quelles circonstances cet article est applicable a été prévu par quelqu'un que mes adversaires politiques reconnaîtront être bon juge, j'en suis certain, par l'honorable M. Nothomb lui-même dans la discussion de la loi de 1842.

On objectait à l'honorable M. Nothomb le danger de cet article 2. On lui disait ; Mais l'Etat fait abnégation de son intervention, il n'a ni le droit de contrôle, ni le droit de nomination, ni le droit d'inspection. - Je le démontrerai tout à l'heure. - L'Etat n'a aucune espèce de garantie, il renonce à sa mission sociale en matière d'enseignement. Et l'honorable M. Nothomb répondait que l'application de l'article 2 serait excessivement rare, qu'elle n'aurait lieu que dans des cas tout à fait particuliers qu'il indiquait comme vous allez le voir.

Dans la séance du 4 août 1842, il s'exprimait comme suit :

« L'article 2 ne proclame pas un principe. L'article 2 proclame, admet, reconnaît les conséquences d'un principe constitutionnel, qui est la liberté d'enseignement. »

< Nous sommes, dans un village, cent pères de famille ; les cent pères de famille, qui constituent tout le village, se réunissent, fondent une école, ne s'adressent ni à la commune, ni à la province, ni à l'Etat ; ils s'entendent avec un instituteur à qui ils fournissent le local et la rétribution individuellement, directement. Je demande pourquoi on établirait encore une école communale. »

Vous voyez donc, messieurs, que, selon l'honorable M. Nothomb, l'application de l'article 2 ne pouvait se produire que dans le cas que voici, lorsque, par exemple, dans un village, les différents chefs de famille s'entendent, se réunissent, choisissent entre eux un instituteur, le rétribuent directement et, cela fait, lui envoient leurs enfants et pourvoient, en même temps, aux nécessités de l'enseignement des enfants pauvres. Dans cette seule circonstance, selon l'honorable M. Nothomb, l'article 2 pouvait être appliqué.

Je dis qu'en fait il n'en est pas ainsi. Je dis qu'il existe des communes où l'article 2 a été appliqué dans des circonstances où les communes devaient avoir leur école communale. Je regrette que, sous ce rapport, les renseignements communiqués par l'honorable ministre de l'intérieur ne soient pas satisfaisants. J'avais demandé à connaître les communes où il existe des écoles privées pour pouvoir apprécier chaque cas en particulier.

Dans l'impossibilité de pouvoir apprécier tous ces cas, j'en citerai deux relatifs à la province de Liège et qui me font supposer qu'il en est de même dans d'autres communes.

Dans la commune de Mont près de Liège, commune de 1,900 habitants, ayant des ressources, ayant plus de ressources qu'il n'en faut à coup sûr pour créer une école communale, l'enseignement public n'existe pas. L'enseignement est donné par une simple école privée, école que le curé doit donner, qu'il ne donne pas lui-même, qu'il fait donner par un délégué choisi par lui. C'est une fondation, une bourse, ou une somme déterminée créée pour la fondation de cette école.

Jusqu'en 1860 ou 1861, jamais aucune inspection n'avait lieu dans cette école. Aucune espèce de constatation n'avait lieu. On ne savait ni qui enseignait, ni comment on enseignait, ni quelles matières on enseignait.

En 1861, on commence à faire l'inspection exigée par l'article 4 de la loi de 1842, inspection dont parle M. le ministre dans les renseignements qu’il nous transmet, mais qu'il ne faut pas confondre avec l'inspection prévue par la loi pour les écoles communales et prévue également pour les écoles subsidiées et adoptées. Les mêmes faits se sont produits dans la commune d'Elixem.

L'inspection pour les écoles adoptées porte sur la manière dont l'enseignement est donné, sur les matières enseignées, sur la capacité plus ou moins grande de l'instituteur. Pour les écoles privées vous n'avez pas ce droit.

La seule inspection possible, la seule qui se fasse pour ces écoles est celle-ci. Chaque année le fonctionnaire désigné à cet effet, je pense que c'est l'inspecteur provincial ou l'inspecteur cantonal, se rend dans l'école et va constater une seule chose, la seule qu'il ait le droit de constater, il va constater s'il est pourvu suffisamment à l'enseignement des pauvres.

Cela fait, il ne lui est pas permis de rechercher quelle espèce d'enseignement on donne dans l'établissement ni qui donne cet enseignement.

Je dis que nous sommes arrivés à une époque où les idées se sont suffisamment élucidées de part et d'autre pour que chacun apprécie les obligations qui lui incombent et pour déclarer qu'il ne peut plus y avoir en Belgique que deux catégories d'écoles, celle de l'article premier qui est la règle et celle de l'article 3 qui est l'exception, pour arriver insensiblement à la consécration complète de l'article premier.

Messieurs, je crois en avoir dit assez sur ce point et je soumets également à M. le ministre quelques observations sur une autre partie de l'enseignement primaire susceptible aussi, selon moi, d'amélioration.

II résulte des renseignements qui nous sont fournis que presque tout l'enseignement des filles se trouve actuellement soumis à des écoles patronnées, à des écoles adoptées et à des écoles subsidiées. Il en résulte en second lieu que l'enseignement des filles est donné tout entier par des corporations religieuses.

Il n'entre pas dans ma pensée de dénigrer les établissements privés ; je veux bien admettre et reconnaître qu'ils rendent des services à l'enseignement ; je veux bien admettre et reconnaître que l'enseignement qu'on y donne est plus ou moins convenable.

Ce n'est pas à ce point de vue que je me place, je me place au point de vue du principe de l'article premier de la loi de 1842, et je dis que cette loi, a exigé de la part des communes et de l'Etat, non-seulement l'organisation d'un enseignement primaire pour les garçons, mais aussi l'organisation d'un enseignement primaire complet pour les filles.

J'ajoute que la mission sociale de l'Etat est aussi importante, est aussi nécessaire en matière d'enseignement et d'éducation des femmes qu'en matière d'enseignement et d'éducation des hommes.

M. Dumortier. - Pour former la femme libre.

M. Giroulµ. - Il ne s'agit pas ici de femme libre. Je dis qu'en matière d'enseignement l'Etat a une mission double. L'Etat, par son enseignement, forme des hommes libres, des hommes honnêtes, l'honorable M. Dumortier voudra bien me concéder cela. Eh bien, je crois que la femme n'est pas d'une nature inférieure à celle de l'homme, qu'elle est aussi propre que lui à recevoir un enseignement approprié à la position qu'elle doit occuper dans la société, et que l'Etat est aussi apte à donner un enseignement honnête et moral aux femmes qu'aux hommes, mais un enseignement qui aura l'avantage d'offrir des garanties et d'être conforme à l'esprit de notre siècle et de nos institutions.

J'appelle donc l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la nécessité de développer autant que possible l'enseignement des femmes, et pour y arriver, je pense qu'il est une mesure exessivement utile que M. le ministre de l'intérieur pourrait prendre immédiatement ; ce serait de créer des écoles normales pour les filles comme il en existe pour les garçons. En ce moment les seuls établissements, dans la province de Liège du moins que je connais, où l'enseignement est donné en vue de créer des institutrices laïques, sont un établissement privé qui existe à Liège et un établissement privé qui existe à Visé. Mais ces établissements privés ne sont pas organisés exclusivement en vue de créer des institutrices. L'enseignement normal n'y existe qu'à l'état accessoire. Ces établissements sont subsidiés par l'Etat.

Je voudrais que l'Etat fît plus. Je voudrais qu'il fît pour les filles ce qu'il fait pour les garçons. Je voudrais voir créer des écoles normales appartenant exclusivement à l'Etat et exclusivement destinées à former une pépinière d'institutrice honnêtes et très morales ; lesquelles pourraient à leur tour se répandre dans les communes et y donner un enseignement honnête et très moral.

Telles sont les quelques observations que j'avais à présenter à M. le ministre de l'intérieur.

Je connais trop sa sollicitude pour l'instruction du peuple et son désir d'améliorer autant que possible, en présence de la législation qui existe, l'enseignement primaire dans notre pays pour craindre un seul instant qu'elles ne soient pas accueillies avec bienveillance.

M. Bricoultµ. - Messieurs, je lis dans les annexes au budget du ministère de l'intérieur que les crédits des articles 54, 55 et 56 concernant le haras n'ont subi aucune modification au projet de budget de 1865.

Les résultats de l'enquête administrative étant de nature à faire comprendre que le haras peut disparaître sans inconvénient, j'en demande, pour ma part, la suppression immédiate. Je n'ai pas, pour cela, la prétention de discuter devant cette Chambre une question de la science hippique. Je me bornerai à exposer les motifs qui militent en faveur de cette suppression et tout d'abord je me permettrai de contester les calculs de M, l'inspecteur des haras :

« Nous pouvons marcher la tête haute, dit-il, et dire au pays : Vous nous faites une avance annuelle de 140,000 fr. (chiffre rond), car ce n'est qu'une avance, mais nous vous remboursons le capital avec des intérêts dont se contenteraient les plus exigeants. Je vais le démontrer en faisant quelques chiffres, avec preuve d'une excessive modération, car je crois que tous ceux qui ont étudié consciencieusement la question trouveront mes calculs trop bas de deux cinquièmes au moins à notre détriment.

« Il est nécessaire que j'établisse comme point de départ que dans la statistique de production en Angleterre, il est admis que sur cent juments données à l'étalon, soixante-treize produits sont livrés au commerce.

(page 208) « Je ne prends comme base de mes calculs que 66 p. c. ou deux tiers.

« Nos étalons saillissent annuellement 1,800 juments, donc nous livrons au commerce 1,200 chevaux, que je porte à la modique somme de 300 francs, soit 360,000 fr.

« Après le remboursement fait du capital d'avance de 140,000 fr., il reste comme bénéfice 220,000 fr. ou 157 p. c. d'intérêts du capital avancé.

« J'ai dit que mes calculs étaient de 2/5 au-dessous de la réalité et conséquemment tout à notre avantage, parce que je suis convaincu que nous vendons annuellement pour plus de 600,000 fr, de chevaux croisés en les prenant à 500 fr., ce qui est encore un chiffre bien modéré. »

Si la Chambre prenait ces calculs au sérieux, je suis persuadé que M. l'inspecteur du haras rirait longtemps.

En supposant que les étalons saillissent annuellement 1,800 juments, ce qui est loin d'être exact, et que nous livrions au commerce 1,200 chevaux, voici comment on devrait procéder pour établir la perte que fait chaque année le pays à l'endroit du haras. En donnant à chaque cheval croisé qui a atteint l'âge de 3 ans la valeur de 500 fr. que lui attribue M. l'inspecteur du haras, on trouve pour 1,200 chevaux une somme de 600,000 francs.

Or, un poulain coûte en moyenne à l'éleveur en tenant compte d'un surcroît de frais occasionnés pour l'alimentation de la mère, 75 c. par jour, soit 725 fr. jusqu'à l'âge de 3 ans, ou 225 fr. de déficit, et les 1,200 chevaux livrés au commerce constituent par conséquent une perte réelle de 270,000 fr. Ce chiffre ajouté aux 146,700 fr. qui forment le montant des crédits alloués au budget élèvent à 416,700 fr. la lettre de change tirée chaque année sur le trésor et sur le pays ; et comme il arrive que la plupart des éleveurs doivent conserver les croisés jusqu'à l'âge de 4, 5 et 6 ans, le chiffre que je viens d'indiquer peut être considéré comme le minimum de la perte annuelle, si toutefois nous livrons, comme le prétend M. l'inspecteur des haras, 1,200 chevaux au commerce.

C'est principalement parce que le croisé ne rend aucun service jusqu'à l'âge de 3 ans, qu'il occasionne à l'éleveur une perte considérable. S'il le faisait travailler sérieusement avant cette époque, il entraverait son développement pour l'usage du luxe et compromettrai son avenir.

Les poulains, provenant de nos races indigènes, étant au contraire, employés aux travaux de l'agriculture à partir de l'âge de 18 mois, et le cultivateur pouvant toujours les vendre quand il le désire, et à un prix supérieur à celui qu'on obtient du croisé, il en résulte qu'il y a bénéfice à élever des poulains appartenant à la race de grosse taille. Ces bénéfices sont d'autant plus grands, que l'éleveur a apporté plus de soins et plus d'intelligence dans l'amélioration de la race par la race.

A quelque point de vue que l'on se place, soit au point de vue de l'amélioration de la race, soit au point de vue de l'économie et de l'utilité agricole, l'instruction du haras est mauvaise. C'est ce qu'ont parfaitement démontré, lors de la discussion qui a eu lieu dans cette Chambre à propos de cette institution en 1853-1854, plusieurs honorables membres qui y siègent encore à l'heure qu'il est et notons même MM. Mascart, De Naeyer et Julliot.

Depuis longtemps la plupart des éleveurs ont reconnu la faute qu'ils avaient commise en s'adonnant au croisement. C'est pourquoi ils l'on complètement abandonné. Ainsi, messieurs, si le haras est maintenu, il sera dorénavant destiné à servir d'amusement à quelques gentlemen qui élèvent par plaisir ou par fantaisie et qui peuvent très bien se procurer cette satisfaction avec leurs propres ressources.

Nous n'avons pas de besoins, pour notre année comme la France et l'Angleterre. La comparaison que l'on a essayé d'établir entre la Belgique et les deux nations, à propos des haras, ne supporte pas l'examen.

Il y a, dans la réponse qu'a faite à la circulaire de M. le ministre de l'intérieur l'honorable directeur du haras, un passage qui peut faire comprendre à la Chambre combien serait laborieuse et ruineuse l'institution du haras si le gouvernement voulait continuer à la protéger. « C'est une affaire de longue haleine, M. le ministre, que la création ou la transformation d'une race ou sous-race de chevaux et ce n'est guère qu'après un demi-siècle, et lorsque l'on a travaillé dans les meilleures conditions et sans faire un faux pas, que l’on commence à reconnaître la constance et la fixité dans la nouvelle famille ». Ceci revient à dire qu'il faudra plusieurs millions pour former une race de chevaux pour les générations futures.

Les races doivent être appropriées au climat et aux besoins des nations, et tous les sujets élevés loin des frontières du pays qui leur est propre s'abâtardissent, C'est ainsi que si un poulain arabe était transporté sur notre sol pour y être nourri et élevé comme on élève les poulains indigènes, le type de sa race disparaîtrait insensiblement ; il en est de même pour toutes les races étrangères.

Si le gouvernement veut favoriser véritablement l'agriculture, il doit supprimer les crédits affectés au haras et augmenter ceux qui sont relatifs à la voirie vicinale.

M. de Moorµ. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole dans la discussion générale ; mais l'honorable M. Julliot m'a fait sentir le besoin de rompre le silence. L'honorable membre, dans ce style original qui distingue ses discours d'économiste, nous a parlé du Luxembourg, de ses mauvaises terres, de la chaux, que sais-je encore ? et il a fini par nous renvoyer à nos moutons ; en faisant au Luxembourg l'honneur insigne de lui promettre que le Limbourg consentirait à manger nos jambons et nos moutons nourris du serpolet de nos bruyères. Mille grâces mon honorable collègue, pour votre offre gastronomique !

Mais ce que je n'accepte pas, c'est votre verdict de profond économiste, d'implacable décentralisateur.

En effet, l'honorable M. Julliot nous dit, qu'on ne fasse pas chauler les mauvaises terres du Luxembourg par les bons paysans du Limbourg. Vraiment, l'honorable membre, qu'il me permette de le lui dire, a-t-il bien le droit de s'exprimer ainsi ?

Maintenant que le canal qui traverse le Limbourg, donne de l'eau gratuitement et pour toujours aux propriétaires riverains, l'honorable M. Julliot s'écrie : Abandonnez tout à l'industrie privée, nous ne voulons pas de l'intervention de l'Etat.

Eh bien ! M. Julliot, vous n'êtes ni généreux, ni même juste, vous êtes, permettez-moi de vous le dire, un économiste égoïste. L'eau que le canal déverse sur les terrains des riverains, y est amenée par un canal construit aux frais de l'Etat, des contribuables, par conséquent. Les Luxembourgeois s'en sont-ils plaints, autrement que pour faire appel à votre esprit de justice ? Jamais. Si nous n'avons pas de canaux comme en Campine et dans le Limbourg, canaux dont les eaux puissent fertiliser certains de nos terrains, nous avons obtenu le crédit de chaux grâce au dévouement éclairé que l'honorable M. Rogier a toujours porté à l'agriculture et tout particulièrement à celle du Luxembourg. Cet encouragement, les trois provinces intéressées en jouissent encore aujourd'hui grâce à l'esprit de justice distributive de la Chambre, qui a toujours pensé que l'intérêt de l'alimentation publique était aussi engagé dans cette question.

En effet, messieurs, cet encouragement n'a pas seulement servi aux cultivateurs, mais au pays tout entier. Si la culture a été augmentée, nos cultivateurs ont élevé plus de bétail, récolté plus de céréales et nous avons sur les marchés du pays déversé et de la viande et des denrées alimentaires.

Si l'honorable député de Tongres parlait du Luxembourg avec l'autorité d'un homme qui l'a visité, étudié, ses paroles pourraient avoir certaine créance, mais il en parle comme un aveugle des couleurs.

Si vous aviez, mon honorable collègue, parcouru le Luxembourg avant l'allocation du crédit de la chaux et si vous le visitiez aujourd'hui, vous viendriez avec nous déclarer que l'agriculture s'est développée d'une façon prodigieuse, à tel point que des landes arides considérables ont été transformées non en mauvaises terres, mais en très bonnes terres ; et si vous consentiez à visiter notre pays, vous reconnaîtriez l'exactitude de ce que je vous dis et vous ne nous traiteriez pas avec ce superbe dédain.

M. Bouvierµ. - Et tout cela à prix réduit. (Interruption.)

M. de Moorµ. - Du reste, la conduite de l'honorable M. Julliot trouve des imitateurs.

L'honorable M. de Naeyer, lui aussi, est un ardent décentralisateur, il voudrait voir l'intervention de l'Etat disparaître, et cependant grand a dû être l'étonnement de la Chambre lorsqu'elle a entendu l'honorable membre venir demander, à propos de la discussion du budget des travaux publics, que le gouvernement fasse sans retard exécuter au canal de la Dendre les travaux nécessaires pour que l'eau soit distribuée gratuitement aux riverains.

Eh bien, messieurs, on fera un travail d'irrigation pour les riverains de la Dendre, qui coûtera et pour l'exécution et pour l'entretien.

Quant au Luxembourg, haro ! Les non-interventionnistes veulent que le Luxembourg soit traité en paria. Nous protestons avec nos honorables collègues du Luxembourg, MM. Bouvier et Orban, contre le procédé décentralisateur, je le veux bien, mais fort peu équitable de M. le ministre de l’intérieur, qui, j'aime à le croire, ne sera pas suivi en cette circonstance par ses collègues du cabinet qui ont défendu, à différentes époques, avec énergie le crédit de la chaux que d'un trait de plume peu libéral, on cherche à faire disparaître.

(page 209) Si, comme je l'espère, la proportion que je dépose est appuyée, je prie la Chambre de vouloir bien considérer les observations que je viens de présenter comme les développements à l'amendement signé par mes honorables collègues, MM. Orban et Bouvier.

« Nous avons l'honneur de proposer à la Chambre de rétablir au budget de l'intérieur le crédit de 30,000 francs pour distribution de chaux à prix réduit, aux cultivateurs des communes des provinces de Liège, du Luxembourg et de Namur, qui en jouissent actuellement.

« Ed. de Moor, Bouvier-Evenpoel, Léon Orban. »

MpVµ. - Le bureau avait reçu un autre amendement qui est ainsi conçu :

« Nous proposons à la Chambre d'ajouter à l'article 61 du budget de l'intérieur, un littéra ainsi conçu :

« Subside pour la distribution de la chaux à prix réduit aux cultivateurs de la zone ardennaise : 30,000 francs.

« Emile Van Hoorde, Thibaut. »

M. Van Hoordeµ. - Messieurs, les deux amendements sont identiques. Cependant je tiens à développer celui que j'ai présenté avec l'honorable M. Thibaut, par cette raison qu'il a la priorité.

Nous l'avons proposé parce qu'il nous semble que la Chambre tomberait dans une véritable contradiction, à quelques semaines d'intervalle, si elle adoptait la réduction qui est inscrite à l'article 61 du budget, et qui entraîne la suppression totale du crédit affecté actuellement à la distribution delà chaux à prix réduit aux cultivateurs de la zone ardennaise.

Quand il était question de la suppression totale des droits d'entrée sur le poisson, l'honorable ministre des finances s'exprimait ainsi : « La protection est aujourd'hui réduite à un chiffre très minime ; il faut encore, selon moi, l'abaisser, mais il faut l'abaisser successivement. » Cette idée était appuyée par l'honorable M. Thonissen, dont voici les paroles :

« Je crois que les droits établis à l'entrée sur le poisson doivent disparaître, mais je pense également qu'ici, comme partout, il faut agir avec mesure, avec équité, avec modération, c'est-à-dire, en tenant compte de tous les droits, et en ménageant autant que possible tous les intérêts. »

Elle l'était encore par l'honorable baron de Vrière dans les termes suivants :

« Tout en me déclarant hostile à toute espèce de droits pesant sur les denrées alimentaires, je me déclare hostile aussi à toute mesure radicale.... Lorsqu'il s'agit de prendre une mesure qui, dans une limite quelconque, peut avoir une influence sur les conditions dans lesquelles s'est exercée une industrie du pays, si humble qu'elle puisse être, nous devons agir avec prudence et avec maturité. »

La Chambre a sanctionné cette manière de voir en écartant l'amendement de MM. Hymans et Jacquemyns.

Huit jours après, il est question des encouragements à la pêche maritime et des subsides accordés à ses caisses de prévoyance.

L'honorable M. Goblet rappelle : « Que la Chambre a rejeté, il y a six mois, la proposition d'enlever aux pêcheurs d'une manière absolue et tout d’un coup la prime qui leur est accordée ; qu’elle a admis le principe d’une réduction annuelle, d emanière à arriver sans secousse à la suppression totale de cette prime. »

La réduction de 10,000 fr., admise alors, paraît même déjà trop forte à l'honorable ministre des affaires étrangères. « Il l'a combattue, il l'a vue avec peine s'introduire dans le budget, parce qu'il s'agit d'une classe d'artisans digne d'un grand intérêt, et de localités qui ne sont pas ici en force pour se défendre. »

Enfin, l'honorable M. Hymans, l'adversaire déclaré de l'intervention de l'Etat en matière dépêche, en sollicite-t-il la suppression totale immédiate ? Non. Il conclut, en demandant un rapport général et complet sur cette industrie. « Faisons une enquête, dit-il, votons la prime cette année, puisqu'on nous accuse de vouloir la mort des pécheurs, si nous leur enlevons leur pension de quatre centimes par jour. »

La Chambre se rallie de nouveau à cette proposition ; elle persiste dans la voie qu'elle a suivie dans la question des droits protecteurs et la veille encore dans la question des jeux de Spa, seule rationnelle du reste, consistant à examiner avant de résoudre, et à ne pas porter brusquement l'application des principes jusqu'à leurs dernières conséquences.

Or, je le demande à l'honorable ministre des finances, à l'honorable ministre des affaires étrangères, à tous les honorables membres dont je viens de rapporter les paroles, ne serait-ce pas la plus flagrante et la plus monstrueuse des contradictions, si ce que le gouvernement a proposé hier, ce que la Chambre a admis hier, venait à être condamné aujourd'hui par l'adoption pure et simple de l'article 61 du projet de budget ?

Vous avez déclaré à plusieurs reprises déjà, dans le cours de cette session qui vient de commencer, que l'Etat ne peut pas cesser d'emblée et sans transition les mesures qu'il a prises dans l'intérêt général, spécialement lorsqu'elles touchent aux intérêts particuliers de certaines classes d'individus, ou de certaines localités, qu'elles soient ou non en force ici pour défendre !

Et maintenant qu'il s'agit des populations les plus pauvres de la Belgique, vous iriez leur enlever brusquement le crédit dont elles jouissent, sans vous inquiéter des avantages qu'il produit ni des conséquences que cette suppression immédiate pourrait avoir ; et cela au nom d'un principe devenu vrai tout à coup, à savoir que l'intervention de l'Etat est toujours mauvaise, même là où les efforts individuels sont insuffisants ! En vérité, ce serait vous donner à vous-mêmes un brevet d'inconséquence et de partialité,

Je sais bien que l'honorable ministre de l'intérieur va me répondre que la question a été examinée, et qu'il me renverra aux développements des annexes. Qu'il me permette donc de lui prouver que les raisons qui s'y trouvent ne sont pas concluantes, ni même tout à fait exactes, et qu'elles ne justifient en aucune manière la mesure qu'il nous propose, contrairement à tous les précédents et à toutes les déclarations faites dans cette Chambre à toutes les époques, par les adversaires aussi bien que par les partisans du crédit dont il s'agit,

M. le ministre nous dit d'abord :

« Le but que l'on a eu en vue par cette mesure est complètement atteint : l'action bienfaisante de la chaux sur le terrain ardennais est connue de tous les cultivateurs. »

Messieurs, ceux d'entre vous qui ont assisté aux discussions si vives, quelquefois passionnées, qui ont eu lieu relativement à la distribution de la chaux à prix réduit, doivent se rappeler que tel n'a jamais été le véritable but de la mesure, et ils reconnaîtront, j'espère, qu'il y a déjà ici une première erreur.

Aurait-elle été maintenue de 1847 à 1854, aurait-elle été rétablie en 1858, si elle n'avait pas eu une autre raison d'être ? Il faudrait avoir bien mauvaise opinion de l'intelligence du cultivateur ardennais, pour soutenir cela. Cependant son esprit pratique est des plus remarquables. Il sait parfaitement que la chaux est un excellent amendement, il le sait depuis longtemps, il l'a appris il y a 16 ou 18 ans, et il n'a jamais perdu de vue ni contesté son efficacité. Si la mesure a été conservée si longtemps, ce n'est pas parce qu'on craignait de lui voir oublier ce mode de culture : il y a des choses qui ne s'oublient pas. Mais elle a été conservée, parce que le Luxembourg a le droit de dire, comme s'exprimait jadis M. le ministre de la justice :

« Vous donnez une prime à l'industrie linière, une prime au commerce, vous avez créé un canal qui coûte des millions pour fertiliser la Campine ; pourquoi suis-je mis à l'index ? Pourquoi ne prendrais-je pas à mon tour ma part de prime ? »

Parce qu'il a le droit de dire aussi, comme s'exprimait encore l'honorable M. Tesch :

« Tant que nous nous trouvons, sous le rapport des voies de commucation dans une position exceptionnelle, la justice exige qu'on maintienne également certains avantages à la province, fussent-ils exceptionnels. »

Et ne croyez pas qu'il restait isolé dans cet ordre d'idées avec ses collègues de la députation du Luxembourg.

M. Le ministre des affaires étrangères s'y plaçait également, et avec lui la majorité de la Chambre. Voici les paroles qu'il prononçait le 12 mars 1853 : « Le Luxembourg n'a pas été, quoi qu'on en dise, traité aussi libéralement que d'autres parties du pays ; et nous devons faire des sacrifices exceptionnels pour lui aussi longtemps qu'il ne jouira pas des voies de communication qui lui sont promises, »

Ce crédit pour la délivrance de la chaux dont le maintien avait été reconnu indispensable en 1853, après une discussion approfondie, dans laquelle l'honorable M. Julliot avait déjà développé tous les arguments qu'il vient de nous opposer, ce crédit disparaît du budget l'année suivante. Le ministre de l'intérieur, M. Piercot, qui l'avait défendu énergiquement, déclare que son opinion n'a pas changé, mais qu'en présence de l'opposition qui s'est manifestée, il croit devoir laisser à la Chambre elle-même l’initiative d'une nouvelle proposition.

Cette déclaration jette le découragement parmi les partisans de l'allocation, et elle reste abandonnée jusqu'en 158 au grand détriment de (page 210) l'agriculture du Luxembourg, et du pays tout entier, car ce qui touche à l'alimentation publique est incontestablement d'intérêt général. En 1858 elle reprend sa place au budget, restreinte, il est vrai, dans des limites plus étroites, mais là n'est pas la question.

II s'agit de savoir pourquoi elle l'a reprise. Est-ce pour apprendre encore, ou pour rappeler aux cultivateurs luxembourgeois que la chaux leur est utile ? :

La nécessité de cette nouvelle démonstration n'est mentionnée nulle part.

Lisez le rapport de la section centrale. Vous verrez dans la réponse de M. Rogier à la demande de renseignements adressée au gouvernement, que la mesure est rétablie à titre d'encouragement et de compensation. Le ministre constate que la brusque suppression de cet encouragement, de cet appât offert par le gouvernement a arrêté les progrès considérables qu'avait faits la culture des terrains de l'Ardenne pendant les années où le gouvernement avait favorisé l'usage de la chaux. Il constate en outre qu'il est juste de traiter l'Ardenne comme on traite la Campine : que celle-ci reçoit gratuitement l'eau d'arrosage, qu'il est équitable que celle-là ait de son côté des facilités pour se procurer la chaux, attendu que si l'eau est un élément puissant de fertilité pour les bruyères sablonneuses, la chaux est l'amendement indispensable des terrains schisteux.

La section centrale ajoute que les bruyères défrichées et fertilisées entrant dans le commerce procurent au trésor des recettes en rapport avec leur valeur nouvelle, et que le gouvernement récupère ainsi les dépenses qu'il s'impose.

Telles sont les seules raisons du rétablissement de l'allocation. Or, messieurs, ces raisons subsistent encore tout entières. Chaque année, la commission provinciale d'agriculture du Luxembourg rappelle la nécessité de l'encouragement. Elle inscrit chaque année la continuation de la délivrance de la chaux à prix réduit pour l'amendement du sol en tête des vœux qu'elle émet en vue d'arriver à faire réaliser des progrès à l'agriculture dans la province.

La chambre de commerce d'Arlon appuyait encore très fortement ce vœu l'année dernière. Cette année elle est moins explicite, il est vrai, mais elle s'explique toutefois de manière à prouver que d'après elle le second motif invoqué en 1858, le motif d'équité, est toujours debout. « Nous ne pourrons renoncer, dit-elle, à l'intervention de l'Etat qu'à une condition : c'est qu'elle cesse partout. Aussi longtemps que nous aurons au budget de l'intérieur un crédit de 188,748 francs pour écoles et ateliers d'apprentissage, écoles manufacturières à celui des affaires étrangères, 48,800 francs pour encouragements au commerce, sans qu'il en revienne un centime au Luxembourg, nous serons en droit de réclamer d'autres faveurs.

Ainsi, il reste établi que l'intervention de l'Etat en faveur des agriculteurs ardennais est utile, et qu'il blesserait les règles de la justice distributive en la leur retirant. Une seule des raisons qu'on a produites, non pour rétablir le crédit en 1858 (je vous ai donné connaissance de toutes les raisons mises en avant par l'honorable M. Rogier à cette époque), mais anciennement pour le conserver, ne subsiste plus dans toute son intégrité, et ici je rencontre le second argument de l'annexe, qui est ainsi conçu :

« Les cultivateurs peuvent au moyen des communications rapides et faciles dont ils disposent aujourd'hui, s'approvisionner de cet amendement, sans être astreints à des frais de transport trop onéreux. »

Autrefois, on disait : Attendez que l'établissement des chemins de fer ait asssuré au Luxembourg les avantages dont jouissent les autres provinces ! Alors on pourra revenir sur ses pas.

Depuis lors, le chemin de fer du Luxembourg a été mis en exploitation, mais veuillez remarquer qu'une seule ligne est exploitée. Or, peut-on soutenir qu'une province possède les avantages dont jouissent les autres ; provinces qui, toutes, ont un réseau presque complet quand une seule voie ferrée traverse son territoire qui constitue la sixième partie du pays ? Peut-on dire que les communications y sont rapides et économiques ? Elles le deviendront sans doute un jour, quand la ligne de l'Ourthe et le réseau Forcade seront exécutés. Mais en attendant, pour le plus grand nombre des localités qui ont à se pourvoir de chaux, elles restent ce qu'elles étaient auparavant ; ni plus rapides, le transport de dix à quinze hectolitres exigeant encore souvent l'emploi de deux à trois journées, ni plus économiques, le transport par routes coûtant six fois plus que le transport par chemin de fer.

D'ailleurs, je serais impardonnable si j'insistais plus longtemps sur cette démonstration : le gouvernement lui-même a pris soin de la faire ; la conduite qu'il a tenue répond sans réplique à l'objection qu'on croirait pouvoir tirer de l'établissement du chemin de fer du Luxembourg. Le crédit dont on veut aujourd'hui la disparition, il l'a proposé en 1858, or, 1858 est précisément l'année de la mise en exploitation de la ligne jusqu'à Arlon. Il l'a maintenu pendant les six années qui l'ont suivie sans que cette exploitation ait été un seul jour interrompue. Cela prouve bien qu'à ses yeux comme aux nôtres, elle ne constitue encore que la réalisation partielle de l'hypothèse prévue.

Deux mots sur le dernier argument. « La dépense est trop faible pour être maintenue ; six mille cultivateurs se partageant une somme de trente mille francs, le bénéfice n'est que cinq francs par tête. »

Cet argument n'en est pas un : il résout la question par la question même. La dépense n'est pas forte, c'est vrai, mais en résulte-t-il qu'elle est inefficace ? Faut-il poser en principe qu'une dépense doit être élevée pour être bonne ? Quand on rencontre par extraordinaire une dépense produisant au centuple, faut-il se hâter de la faire disparaître ? Pourquoi ? Serait-ce parce qu'elle porte ombrage à tant de dépenses considérables qui ne produisent que peu de chose ou rien du tout, comme les dépenses militaires au-delà d'un certain chiffre ? Messieurs, on vous prouve, les renseignements des hommes compétents vous démontrent qu'ici le chiffre, quoique minime, a des résultats magnifiques.

N'est-ce pas une dérision que de leur répondre : N'importe ! il n'est pas assez fort pour être maintenu ? Et cependant c'est le ministère actuel qui l'a proposé et qui l'a conservé pendant longtemps. Il a voulu faire et en réalité il a fait une chose très sérieuse en agissant ainsi, et aujourd'hui que l'expérience a démontré que son plan était excellent, malgré les craintes qu'on avait exprimées à cet égard, c'est lui-même qui vient nous dire : « Ce crédit n'est pas sérieux ! »

Messieurs, ce qui n'est pas sérieux, c'est un pareil raisonnement. Il n'est pas sérieux, et encore une fois il n'est pas logique. Vous vous êtes déclarés les ennemis de toutes les mesures radicales, et rien n'autorise une exception au détriment du Luxembourg.

Les adversaires les plus acharnés du crédit ne vous en demandaient pas autant. Ecoutez ce que disait l'un d'eux en terminant un discours dans lequel il l'avait vivement attaqué :

« Messieurs, je ne suis pas de ceux qui, lorsqu'on a accordé des encouragements à une industrie, veulent les supprimer d'emblée. Le ministère de 1848, après avoir encouragé pendant deux ans les industries linière et cotonnière des Flandres, a jugé convenable de supprimer complètement la prime de sortie. Je crois qu'en agissant ainsi le gouvernement a commis une faute. Aussi s'il venait aujourd'hui nous proposer de ne plus distribuer du tout de chaux à prix réduit, je combattrais son opinion ; j'appuierais le vote d'un crédit, pour que les encouragements accordés jusqu'ici soient pendant quelque temps diminués graduellement avant d'arriver à leur suppression. »

C'est là tout ce que vous pourriez accorder aux adversaires actuels de la mesure ; c'est pourquoi j'espère que M. le ministre de l'intérieur ne s'opposera pas à l'adoption de l'amendement que mon honorable ami M. Thibaut et moi, nous vous avons proposé, parfaitement d'accord, sur ce point, avec mes honorables collègues du Luxembourg qui ont suivi notre exemple.

Cette adoption aurait le double avantage de ne pas blesser les intérêts des cultivateurs ardennais, et de laisser intacte votre réputation de logique qui serait fortement entamée si vous vous déjugiez à trois semaines d'intervalle.

- La suite de la discussion générale du budget de l'intérieur est renvoyée à demain.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.