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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 15 mars 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 633) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeckµ, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Pâturages prie la Chambre d'accorder la concession du chemin de fer de Frameries à Condé. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des administrateurs, industriels, négociants et cultivateurs de Thiméon prient la Chambre d'accorder aux sieurs Haus la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Charleroi et Châtelineau. »

« Même demande d'administrateurs, industriels, négociants et cultivateurs de Viesville, Fumet, Marcinelle. »

- Même renvoi.


« Des sous-officiers pensionnés demandent une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Guillaume Schroyen, cabaretier à Westcappelle, né à Neeritter (partie cédée du Limbourg), demande la grande naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« MM. Jamar et Beeckman, retenus par une indisposition, demandent un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi relatif à l’interprétation des lois après une seconde cassation

Second vote des articles

Article 2

MpVµ. - L'article 2 amendé est ainsi conçu :

« Art. 2. Si le deuxième arrêt, jugement ou décision est annulé par les mêmes motifs que ceux de la première cassation, le juge du fond, à qui l'affaire est renvoyée, se conforme à la décision de la cour de cassation sur le point de droit jugé par cette cour. »

M. Lelièvre. - Je pense qu'il suffirait de dire « le juge à qui l'affaire est renvoyée se conforme à la décision, etc. »

En effet, il est possible que le point de droit jugé par la cour de cassation ne porte que sur un simple incident du procès, une exception d'incompétence ou de nullité. Pourquoi donc parler du juge du fond, alors que l'autorité à laquelle la cause est renvoyée ne s'occupera en premier lieu que d'un simple incident dont le fondement est irrévocablement jugé par la cour de cassation ?

Il me semble plus rationnel de dire : « le juge à qui l'affaire est renvoyée, » sans qu'on voie une utilité réelle à ajouter les mots « le juge du fond. »

Pour le surplus, je voterai avec empressement le projet de loi auquel je donne mon adhésion par des motifs que la Chambre voudra bien me permettre d'insérer au Moniteur.

La loi de 1832 prescrivant qu'après une seconde cassation il y a lieu à interprétation législative, avait des inconvénients que personne ne peut méconnaître. Elle conférait d'abord au pouvoir législatif le droit de statuer sur des contestations qui sont du ressort de l'autorité judiciaire, et sous ce rapport donnait lieu à une confusion de pouvoirs contraire à l'esprit de la Constitution.

En second lieu, comme il peut arriver que sur l'interprétation d'une loi existante il y ait divergence entre les diverses branches du pouvoir législatif, le régime de la loi de 1832 pouvait avoir pour conséquence de laisser indécis un litige porté devant les tribunaux, ce qui aboutirait à un véritable déni de justice.

Il est, du reste, rationnel que ce soit le corps le plus élevé de la magistrature qui tranche irrévocablement entre les parties les questions de droit que peuvent faire naître les contestations judiciaires ; et nous ne voyons aucune utilité à déférer cette mission aux chambres législative», alors surtout que, par suite de la loi de 1848 sur les incompatibilités, les Chambres ne comptent plus dans leur sein qu'un petit nombre d'hommes spéciaux, ayant par leurs études et leur profession l'aptitude nécessaire pour apprécier des points de droit et de jurisprudence controversés.

Il ne convient pas du reste que par une interprétation s'appliquant à un ordre de choses antérieur, la législature soit appelée à régler le sort de contestations dont plusieurs ne sont pas même nées ni portées en justice.

D'un autre cota il peut y avoir certains dangers à ériger en juges des corps politiques élus sous l'influence d'idées auxquelles le pouvoir judiciaire doit rester étranger.

Au surplus sous l'empire de la loi de 1832, nous avons vu la législature saisie de l’interprétation de règlements communaux. Certes cet ordre de choses présente une anomalie qu'on ne peut laisser subsister.

Il en résulte que le pouvoir à qui l'on attribue l'interprétation de la loi parce que celle-ci est son œuvre, est cependant appelé à interpréter de simples règlements émanés des autorités communales, règlements à la rédaction desquels la législature est entièrement étrangère.

Il était donc indispensable de revenir aux vrais principes et de laisser au pouvoir judiciaire le soin de décider souverainement toutes les questions qui se rattachent aux contestations dont il est saisi.

Cet ordre de choses existant eu France en vertu de la loi du 1er avril 1837 est en harmonie complète avec la séparation des pouvoirs qui forme la base de nos institutions. Il était déjà décrété par l'article 78 de la loi du 27 ventôse an VIII. Le projet en le décrétant est conforme aux vrais principes et mérite l'assentiment de la Chambre.

MjTµ. - Je ne vois pas d'inconvénient à maintenir l'amendement tel qu'il a été adopté, puisque alors même qu'il ne s'agirait que d'un simple incident le juge ne serait pas moins le juge du fond.

M. Lelièvre. - Je crois devoir persister dans la suppression que je demande. En effet, n'cst-il pas plus rationnel de dire : Le juge du fond auquel l'affaire est renvoyée ? La raison est simple. C'est que si le point de droit jugé par la cour de cassation n'est relatif qu'à un simple incident du procès, le juge auquel la cause est renvoyée prononce d'abord sur l'incident, il ne statue pas de suite au fond. C'est donc improprement qu'on lui donne la qualification énoncée à l'article en discussion. Cette qualification est du reste sans la moindre utilité, et en effet elle n'a aucune portée et elle est inexacte dans l'hypothèse à laquelle j'ai fait allusion. Il me semble donc qu'on peut la supprimer, en laissant intacte la disposition.

MpVµ. - Insistez-vous sur votre amendement, M. Lelièvre.

M. Lelièvre. - Je crois devoir maintenir mon amendement parce qu'il me paraît plus correct que celui qui a été adopté.

MpVµ. - M. Lelièvre propose la suppression des mots : « du fond. »

M. Ortsµ. - Je crois qu'il y aurait un danger à supprimer les mots : « du fond, » surtout après le commentaire que M. Lelièvre a donné à son amendement. En effet M. Lelièvre paraît croire que lorsqu'une cassation est intervenue sur une question purement incidentielle, le juge de renvoi n'a à connaître que de cet incident. C'est une erreur. Quelle que soit la cassation, le juge auquel l'affaire est renvoyée a plénitude de juridiction sur l'incident comme sur le fond.

Au point de vue des controverses que peut soulever la compétence résultant d'un renvoi après cassation, il y aurait, à mon avis, des dangers à admettre l'amendement de M. Lelièvre. Je crois donc devoir, au nom de la commission que j'ai eu l'honneur de présider, demander le maintien de la rédaction admise au premier vote.

M. Lelièvre. - Je sais parfaitement que quand la car de cassation a jugé un point de droit relatif à un incident, l'autorité à laquelle la cause est renvoyée est saisie non seulement de l'incident, mais aussi des questions se rattachant au fond de la cause. Mais il est à remarquer que le juge statue d'abord sur l'incident. Or, quand il statue sur l'incident, on ne peut lui donner la qualification de juge du fond. Par conséquent, pour cette hypothèse au moins, la rédaction de l'article est incorrecte. Du reste, puisqu'on persiste à soutenir qu'il y aurait des inconvénients à supprimer les mots dont je demande la radiation, je n'insiste pas, bien que je persiste à croire que je suis dans le vrai.

Je ferai seulement remarquer qu'il ne faut pas écrire : « juge du fonds » comme cela est énoncé dans l'amendement distribué, mais bien « juge du fond. » C'est une erreur typographique qui doit être rectifiée.

(page 634) MpVµ. - Insistez-vous encore sur votre amendement, M. Lelièvre ?

M. Lelièvre. - Non, M. le président.

- La discussion est close.

L'article 2 amendé est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi qui est adopté à l'unanimité des 67 membres présents. Il sera transmis au Sénat.

Ce sont :

MM. Hymans, Jacobs, Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Kervyn de Lettenhove, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Reynaert, Rodenbach, Schollaert, Tack, Tesch, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Overloop, Van Wambeke, Vilain XIIII, Vleminckx, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Carlier, Couvreur, Crombez, de Baillet-Latour, de Bast, de Borchgrave, de Brouckere, de Conninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Kerchove, Delaet, de Macar, de Mérode, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Theux, Devroede, Dewandre, Dumortier, Frère-Orban, Funck, Giroul, Grosfils et Ernest Vandenpeereboom.

Projet de loi relative à la convention internationale réglant le régime de l’accise sur les sucres

Discussion générale

MpVµ. - Le gouvernement se rallie-t-il aux propositions de la section centrale ?

MfFOµ. - Oui, M. le président.

MpVµ. - En conséquence la discussion s'ouvre sur le projet modifié par la section centrale.

M. de Kerchoveµ. - Messieurs, comme vous l'a dit l'honorable rapporteur de la section centrale, la question des sucres est très compliquée et des plus difficiles à résoudre. Nous ajouterons qu'elle a eu de fâcheux antécédents. Des discussions irritantes ont fait naître des préventions. Nous croyons que le moment est venu où tous les préjugés doivent disparaître.

Lorsque nous voyons la raffinerie belge, cette importante industrie, fermer ses usines et renvoyer ses ouvriers en conservant encore des stocks considérables, nous devons admettre qu'il existe dans la législation sur les sucres des dispositions ruineuses pour cette industrie, et nous avons pour premier devoir d'étudier sérieusement et avec une entière impartialité tous les grands intérêts qui se rattachent à la question des sucres. C'est ce que je me propose de faire devant vous, messieurs, de la manière la plus succincte possible.

La convention internationale, qui est soumise à nos délibérations, a pour but de faire disparaître l'antagonisme des législations, chaque Etat ayant établi aujourd'hui un régime de privilège en vue de protéger l'industrie nationale.

Une législation uniforme pour la France, la Belgique, la Hollande et l'Angleterre ne pouvait être acceptée qu'avec empressement par tous les intéressés. Nos industriels belges ne craignent pas la concurrence étrangère lorsqu'ils luttent à conditions égales sur los divers marchés.

Aussi, messieurs, la convention internationale dont l'élaboration avait rencontré de nombreuses difficultés a-t-elle été acceptée par la presque totalité des fabricants et des raffineurs belges.

De ce côté donc accord parfait entre le gouvernement, la section centrale et les nombreux intéressés. Mais à côté de la convention internationale qui a pour but de rendre la législation uniforme pour les parties contractantes, le gouvernement a présenté un projet de loi renfermant des dispositions qui renversent précisément cette uniformité de législation à laquelle nous tendons et ce au préjudice de nos fabricants et raffineurs belges.

Ces dispositions sont celles des articles 5 et 6 du projet de loi qui maintiennent le minimum de recettes.

Aux termes de l'article 5 de la loi du 15 mars 1856, aujourd'hui en vigueur, il faut que les sucres rapportent au trésor 6 millions de francs par an, soit 1,500,000 fr. par trimestre. Si cette dernière somme n'est pas parfaite a la fin d'un trimestre, le déficit doit être comblé par les raffineurs ou les fabricants raffineurs, sous forme d'avance au prorata des décharges de droits qui leur avaient été accordées pour dépôt en entrepôt ou pour exportation de sucre pendant le trimestre écoulé.

Pour être plus clair, nous prendrons un exemple. Supposons qu'à la fin d'un trimestre le trésor public, au lieu de recevoir quinze cent mille fraucs, n'ait reçu que douze cent mille francs, et qu'il y ait eu par conséquent un déficit de trois cent mille francs. Supposons ensuite que pendant le même trimestre deux fabricants seulement aient exporté chacun cent kilogrammes de sucre. A raison de cette exportation de cent kilogrammes de sucre, le ministre des finances, la loi du 15 mars 1856 à la main, doit faire payer à chacun de ces deux exportateurs de cent kilogrammes de sucre la somme de cent cinquante mille francs. J'ai pris, messieurs, dans l'exemple que je viens de vous exposer, une exportation si minime qu'elle est impossible, me direz-vous. Je l'ai fait à dessein pour faire comprendre combien cette législation était onéreuse pour les industriels exposés à payer, à titre d'avance, des sommes considérables à la fin de chaque trimestre et dont les exportations se trouvaient arrêtées aussi longtemps que leur compte se soldait en avance.

Aussi le gouvernement après un essai qui a duré plusieurs années convient-il, lui aussi, que ce système qui donnait lieu à de grandes complications de comptabilité occasionnait une gêne réelle aux redevables et arrêtait la marche régulière de l'industrie des sucres.

Le nouveau projet de loi aura-t-il pour effet de porter remède à cette situation déplorable ? Je ne le pense pas, messieurs, et j'espère vous faire partager ma conviction sur ce point.

Le nouveau projet de loi maintient le minimum de recettes à la somme de six millions de francs. Il faut que les sucres rapportent par an six millions de francs, soit quinze cent mille francs par trimestre. S'il y a déficit à la fin d'un trimestre, il ne sera plus comblé comme sous l'empire de la législation actuelle, par les raffineurs ou les fabricants raffineurs sous forme d'avances au prorata des décharges de droits qui leur avaient été accordées pour dépôt en entrepôt ou pour exportation de sucre pendant le trimestre écoulé, il sera comblé d'une manière qui ne nous parait pas moins onéreuse.

Chaque fois qu'il y aura déficit à la fin d'un trimestre, le gouvernement réduira le taux des décharges accordées à l'exportation ou au dépôt en entrepôt et ces réductions seront calculées à raison de 50 centimes par 100,000 fr. de déficit, c'est-à-dire que ce déficit, qui se comble aujourd'hui par des avances que les raffineurs et les fabricants raffineurs récupéraient par des prises en charge ultérieures, ce déficit sera payé définitivement et sans espoir de retour par les raffineurs et les fabricants raffineurs en ce sens que la réduction de la décharge à la sortie des sucres sera d'autant de fois 50 centimes qu'il y aura de cent mille fr. de déficit à la fin du trimestre écoulé. En d'autres termes, la décharge à la sortie qui est aujourd'hui de 45 fr. sera de 44, 43, 40 fr. peut-être, d'après les sommes perçues par le trésor, c'est-à-dire d'après la consommation du pays. Mais, messieurs, ce système ne va-t-il pas à rencontre du but que l'on veut atteindre par la convention, en ce sens qu'il mettra nos industriels belges dans l'impossibilité de soutenir la concurrence sur les marchés étrangers contre les fabricants de France, d'Angleterre et de Hollande.

On a dit que le système de minimum devait être maintenu, et que les fabricants et les raffineurs payaient à juste titre les manquants dans la recette du trésor sur le sucre, parce que les raffineurs et les fabricants-raffineurs obtiennent une plus grande quantité de sucre que celle qui était prise en charge, et qu'ils jouissaient par là d'une espèce de prime soit au raffinage, soit à la fabrication.

Cette justification du minimum, en admettant qu'elle soit fondée, disparaît dans la nouvelle législation qui est soumise à nos délibérations.

D'abord, en ce qui concerne les raffineurs : aux termes de la convention internationale (article 5), on procédera à la constatation du rendement effectif des sucres bruts de chaque classe, et autant que possible de différentes origines. Ces rendements effectifs seront admis par les quatre gouvernements. La prime disparaît donc, et il serait souverainement injuste de faire retomber plus longtemps sur les raffineurs les conséquences du déficit que le trésor pourrait éprouver dans la recette.

En ce qui concerne les fabricants, le rendement fixé aujourd'hui à 1,400 grammes par hectolitre de jus et par degré du densimètre est porté par l'article 16 de la convention à 1,475 grammes et sera élevé à 1,500 grammes, dès que la production d'une année en Belgique aura atteint 25 millions de kilogrammes. La fabrication atteindra 25 millions dès la campagne prochaine. Ce ne sera donc que pour la campagne 1865 à 1866 que le rendement sera transitoirement fixé à 1,475 grammes. Or, il est à remarquer, messieurs, que l'exposé des motifs constate que la moyenne du rendement réel en France pendant les cinq dernières années, dans les fabriques exercées, est de 1,475 grammes ; la prime disparaît donc ici également.

Si donc il y a encore déficit dans la recette, ce sera parce que le minimum est trop élevé ou parce que la consommation aura diminué. Deux faits auxquels l'industrie est parfaitement étrangère.

Cet argument, messieurs, que je considère comme péremptoire, a été (page 635) indiqué dans le rapport de la section centrale, et voici en quels termes :

« On reproche à cet article (article 6 du projet de loi) d'exercer une coercition arbitraire, en diminuant le taux de la décharge de l'accise à l'exportation, proportionnellement à la quantité de sucre de l'une ou de l'autre espèce exportée ou déposée en entrepôt pendant les quatre derniers trimestres. Si, en effet, le raffineur n'obtient pas un rendement réel plus élevé que le rendement légal ; si, d'un autre côté, le fabricant est pris en charge pour la totalité de sa production, c'est évidemment le consommateur qui est alors le seul coupable des déficits. »

Telles sont les paroles de l'honorable rapporteur, et je vous avoue qu'après les avoir lues, je m'attendais à ce qu'il allait conclure au rejet des minimums.

Il est juste d'ajouter qu'à l'occasion d'une question posée par la section centrale, l'honorable ministre des finances a donné quelques explications tendant à établir que sous l'empire de la nouvelle loi, les fabricants et raffineurs auraient encore des excédants.

En ce qui concerne les fabricants, le gouvernement connaît le rendement obtenu dans quelques fabriques qui se trouvent sur la frontière dans le rayon de la douane, et ce rendement est quelquefois supérieur à 1,500 grammes ; mais je ferai remarquer que ces fabriques se trouvent précisément dans les conditions des fabriques jadis abonnées en France ; elles sont récentes, elles cultivent des terrains vierges, ce qui est l'exception pour la fabrication belge.

De plus, le gouvernement ne tient aucun compte de la nuance du sucre ; dans les quinze cents grammes qui constituent le rendement de ces fabriques, se trouvent compris les arrière-produits qui n'atteignent guère le n°7 et auxquels l'administration, lors de la présentation à l'exportation, refuse la décharge des droits sous prétexte que ce n'est pas du sucre.

En ce qui concerne les raffineurs :

Bien que les expériences doivent donner des rendements réels, dit l'honorable ministre des finances, il s'en faut que ceux-ci puissent être appliqués d'une manière absolue. En supposant même que le système des types ne nous ménage aucun mécompte, il est à remarquer que les rendements seront fixés par classe comprenant 3 ou 4 numéros de sucre, ayant chacun des rendements différents.

Or si les raffineurs mettent exclusivement en raffinage les numéros les plus élevés de chaque classe, ils obtiendront un rendement supérieur à celui qui aura servi de base au calcul de la décharge, ce qui est parfaitement vrai ; mais il est à remarquer que le système des types n'a pas été demandé par les fabricants et raffineurs ; qu'il leur a été imposé et que si on tient à avoir un rendement réel tellement exact qu'aucune particule de sucre n'échappe au fin, rien n'empêche de demander la modification de la convention en ce sens qu'on établisse le rendement réel pour chaque numéro.

La section centrale se livre à de longs calculs pour rassurer les intéressés et leur prouver que le déficit ne se représentera plus ; mais alors pourquoi maintenir l'article 6 ? Le minimum ne peut qu'inquiéter l'industrie sans intérêt pour le trésor. Mais, dira le gouvernement, on ne peut prévoir si de nouveaux progrès ne permettront pas un jour d'obtenir à la fabrication du sucre de betterave un rendement de beaucoup supérieur à la prise en charge légale. Mais lorsque les progrès industriels auront amené la situation qu'on redoute, ne sera-t-il pas temps de prendre des mesures conservatrices des intérêts du trésor ? Faut-il, en attendant la réalisation d'un fait aussi incertain, créer des embarras à l'industrie et l'entraver dans son développement ?

Nous croyons de plus que si le projet de loi était mis en vigueur le 1er avril prochain, c'est-à-dire à une époque où toutes les fabriques de sucre de betteraves chôment, il y aura déficit dès le premier trimestre. Le frein dont parle l'honorable ministre dans son exposé des motifs, agira immédiatement. Après avoir jeté l'incertitude dans les relations commerciales, on réduira le taux des décharges accordées à l'exportation. Dans ces circonstances les avantages de la convention internationale disparaissent, son but n'est pas atteint en ce qui concerne la Belgique et l'industrie de la fabrication du sucre brut comme celle du raffinage, continuera à languir.

Je me rallierai donc à toutes les mesures qui, sans compromettre les intérêts du trésor, seront proposées pour faire sortir une de nos industries les plus importantes de l'état de gêne dans lequel elle se trouve déjà trop longtemps.

M. de Borchgraveµ. - La question dont il s'agit en ce moment est tellement difficile et compliquée ; elle est, d'autre part, tellement importante pour l'industrie de mon arrondissement, que j'ai cru nécessaire de m'éclairer sur le vote que j'avais à émettre, en consultant les intéressés eux-mêmes.

Mes commettants m'ont fourni des renseignements aussi précis que complets, qui démontrent clairement les dangers du projet de loi pour l'avenir d'une industrie si intimement liée aux intérêts agricoles.

Il me sera facile de vous prouver notamment que le chiffre de prise en charge de 1,475 et surtout celui de 1,500 grammes qui nécessairement deviendra la base de l'impôt dès l'année prochaine, ne pourront jamais être obtenus par les fabricants.

La discussion anticipée du projet de loi ne m'ayant pas permis de coordonner toutes mes notes, je crois cependant, dans l'intérêt de mes commettants, devoir communiquer à la Chambre quelques observations relatives à l'élévation de la prise en charge demandée par le projet de loi.

Examinons d'abord si réellement les excédants des fabriques de sucre sont la cause unique du déficit au trésor, comme le prétend M. le ministre des finances. Toutes les fabriques sont loin d'avoir des excédants ; il est telle fabrique de mon arrondissement qui a payé 10,000 fr. de droits de trop en une seule année sur une quantité de sucre non réalisée et faute d'avoir pu atteindre la prise en charge de 1,400 grammes. Telle autre usine a travaillé quatre ans sans avoir fait un kilogramme d'excédant ; telle autre pendant deux ans. Une dernière, qui n'existe plus aujourd'hui, n'a pas non plus atteint cette prise en charge. Je pourrais multiplier ces exemples. Je suis donc autorisé à dire que l'on n'atteint pas toujours la prise en charge de 1,400 grammes. Ou peut même affirmer, que le quart de ces usines n'atteint pas la prise en charge de 1,400 gr. ; qu'un autre quart l'atteint ; la moitié la surpassent peut-être, mais comme il faut un quart de ces excédants pour compenser le quart faisant défaut, il en résulte que seulement le quart des fabriques obtiennent des excédants. Ceux-ci ne porteront donc que sur le quart en moyenne de la production. On conçoit dès lors que, en somme, les excédants sont une faible cause du déficit, alors que la prise eu charge est de 1,400 gr. Quel sera le résultat lorsque la prise en charge sera portée à 1,475 gr. ou même à 1,500 grammes ? Ce sera un véritable désastre pour l'industrie.

En présence de ces résultats, n'accusons pas toujours le mauvais travail. Lorsque les betteraves sortant des silos sont germées par une année défavorable, que la saison ou la campagne soit avancée, le rendement est moindre ; que le sol contienne beaucoup de sels et surtout des chlorures la fabrication se fera mal ; que le combustible laisse à désirer, qu'il y ai un arrêt forcé par suite d'un accident quelconque, il y aura de suite perte au rendement.

Disons-le, la fabrication du sucre est tellement délicate et précaire que les plus habiles s'y trompent.

Nous disions que les fabricants ne réalisent pas tous et toujours des excédants, que ceux-là forment une vraie exception. Qu'on consulte les expériences récentes d'un grand chimiste, de M. Corenwinder, dont les remarquables travaux ne seront pas suspects. (Elles se trouvent consignées dans le Journal d'Agriculture pratique du 5 mars 1858.)

Il résulte de ses expériences, toutes confirmées par la pratique, que les densités moindres de 4° 1 donnent des produits au-dessous de la prise en charge ; qu'il faut au moins 4° 1 de densité pour arriver à la prise en charge de 1,400 grammes ; nous demanderons alors à M. le ministre quelle est la moyenne des densités obtenues pour toute la fabrication ? Et je pense pouvoir répondre que même dans les années favorables on n'obtient guère que 4° 2 dans les bonnes fabriques. Du reste, si nous consultons la statistique française, nous constatons les rendements suivants :

Campagne de 1857 à 1858, rendement moyen, 4 1/4 à 4 1/2 p. c

Campagne de 1858 à 1859, rendement moyen 5 1/2 à 6 p. c.

Campagne de 1859 à 1860, rendement moyen 4 1/2 à 5 p. c.

Ces rendements ne sont guère brillants et confirment notre dire.

En présence de ces faits, je me demande quel sera le résultat de l'augmentation de la prise en charge dans le système de la loi belge ?

Le système du ministre des finances suppose que toutes les fabriques atteignent une prise en charge de 1,540 grammes ; nous regrettons que ce ne soit pas une vérité.

En effet, M. le ministre des finances nous avoue lui-même, la statistique française en main, qu'un grand nombre de fabriques n'y atteignent que 1,473 gr., avec la supposition de beaucoup d'autres ne les faisant pas, car la loi française elle-même le reconnaît implicitement, vu qu'elle a dû prendre une disposition qui porte : que s'il y a des manquants constatés dans une fabrique, le gouvernement s'oblige à restituer 45 p. c. des droits prélevés ou la décharge jusqu'à concurrence du déficit. N'est-ce pas là encore la preuve évidente qu'un grand nombre de fabriques (page 636) n'atteignent pas même la prise en charge de 1,400 grammes, existant en France. Celles qui parviennent à faire 1,540 grammes sont dans l'exception. Au fond, toujours d'après la loi belge, le gouvernement prélèvera chez certains industriels des droits sur une matière ou produit qui n'aura pas été créée. Nous pouvons donc affirmer hautement qu'un grand nombre de fabricants ne feront pas la prise en charge de 1,475 grammes ; dès lors il est clair que la prise en charge fisée à 1,475 grammes n'est qu'une aggravation de l’impôt, nullement justifiée puisque nous savons par les déclarations antérieures du ministre que les finances sont dans un état florissant ! et je me demande pourquoi exiger 6,000,000 de fr. en minimum.

Que ferez-vous d'un excédant à cette somme et pourquoi porter la prise en charge à 1,300 grammes dès que la production atteindra 25,000,000 en Belgique ? Délai inutile puisqu'on est à la veille d'atteindre cette production. On paraît donner aux fabricants des avantages en faisant miroiter à leurs yeux cette belle et prétendue égalité, en les fascinant par cette vue, on veut leur imposer un sacrifice plus grand. Laissez-leur plutôt l'inégalité de législation et laissez-les dans leurs conditions actuelles.

Au lieu d'améliorer la position des fabricants, vous voulez au contraire l'empirer. D'après le projet de loi, l'impôt est prélevé sur une denrée imaginaire, ni produite, ni consommée, et c'est le fabricant qui payera ce déficit ; c'est donc un cadeau pur et simple, mais forcé, fait à l'Etat. Il est même impossible de dire qu'il y a là impôt puisque la matière qu'il devrait frapper fait entièrement défaut.

De cette manière avec une consommation faussement supposée et qui ne peut jamais exister, M. le ministre peut parvenir à augmenter ses recettes, mais on conçoit la monstruosité d'un pareil système, qui a encore le grand inconvénient d'exiger un minimum de recettes de 6 millions de francs chose tout aussi injuste.

N'est-ce pas dire au pays : Vous consommerez de par l'autorité et la volonté du gouvernement 13,333,333 kilog. de sucre, au moins chaque année, et, si on ne les a pas consommés avant la fin de l'année, je m'en prendrai à vous, fabricants et raffineurs, vous serez châtiés de ce chef, vous payerez, vous, les manquants au trésor !

Le ministre des finances accuse dans son discours du 7 juin 1860, lors de l'abolition des octrois, une consommation de 13,518,190 kilog.

Prélever cet impôt, messieurs, sur la base de 1,475 grammes, alors qu'il est prouvé que certains fabricants ont des manquants, c'est commettre une injustice, une iniquité.

Vous invoquez la loi française, mais sera-t-on aussi juste qu'elle ? Affranchira-t-on des droits les manquants constatés ? Adoptera-t-on une mesure semblable ? M. le ministre répondra que, n'ayant pas l'exercice, ce serait chose difficile, sinon impossible. Nous répondrons que c'est au ministre qui présente une loi d'en écarter les injustices, c'est à lui de prévoir les divers cas et de prendre des dispositions en conséquence ; d'autre part, le fabricant est-il la faute de la position qu'on lui fait par une mauvaise loi ?

C'est au législateur et surtout au ministre de ne pas frapper d'impôt une industrie de manière qu'il puisse non pas contribuer à la perte totale d'un industriel, mais seulement à un appauvrissement quelconque de sa part.

Soyons juste, cependant, et avouons qu'il peut passer à la consommation une minime partie de sucre sans avoir été soumise à l'impôt de 45 p. c., et c'est ce qui arrivera toujours avec l'abonnement pour quelques usines privilégiées. Mais à quel taux s'élève en réalité cette quantité pour la Belgique, avec une prise en charge de 1,400 gr., donc dans les conditions actuelles ? Supposons que 1/4 des fabriques n'atteigne pas 1,4(0 gr, ou la prise en charge, et nous l'avons prouvé antérieurement, que 1 /4 atteigne le chiffre légal, que la moitié le dépasse ; il arrivera qu'il n'y aura cependant qu'un quart ayant pu faire passer son excédant à la consommation, car le premier quart aura servi à compenser dans la consommation la perte provenant par le déficit du premier quart ; remarquons en sus que les droits auront déjà été perçus sur ce déficit.

Le trésor n'aura donc rien à réclamer de ce déficit à la fabrication, mais bien la consommation privée d'une quotité de sucre, supposé lui être passé. Or, quel sera le taux de ce 1/4 soustrait à la consommation ? Supposons une densité moyenne de 4/2 dixièmes en moyenne fabrication, une chaudière capacité nette 12 hect., et nous aurons un excédant de 2 p.c. à raison d'une prise en charge de 1,400 grammes. Or pour 70 fabriques faisant en moyenne, non compris les excédants du 1/4 supposé, environ 3t00,000 kil. sucre, il serait donc passé à la consommation 102, 000 kil. de sucre, avec une perte de droits pour l'Etat n'atteignant pas 46,000 francs.

Nous pouvions donc dire avec raison que les excédants à la fabrication n'étaient pas la cause du déficit au trésor. Un simple rapprochement de chiffres ferait voir le résultat de la prise en charge à 1,475 grammes et à 1,500 grammes. Cependant l'augmentation de prise en charge avec non-restitution de manquants comblera évidemment le déficit, mais je vous ai dit tantôt à quel prix et dans quelles conditions, en se basant sur une production et une consommation fictives. Le système employé par M. le ministre pour éviter le déficit constitue donc un moyen injuste, il est vicieux et pèche par sa base même. Le ministre supposa toujours une fabrication à l'âge d'or. C'est de la théorie pure, c'est de la supposition même, or c'est dangereux ; je crois, au contraire, avoir pris les choses dans leur côté réel et pratique, aussi, suis-je convaincu d'être resté dans le vrai.

(page 643) M. de Conninckµ. - Messieurs, je ne voterai pas le projet de loi destiné à régler le régime du droit d'accise sur le sucre parce qu'il met les fabricants belges dans une condition d'infériorité vis-à vis de ceux des pays contractants, condition qui doit nécessairement amener la ruine de l'industrie des sucres en Belgique.

Pour établir le régime des sucres sur des bases uniformes dans les quatre pays contractants, comme il est dit dans l'exposé des motifs, il faut évidemment qu'il n'y ait pas de différence entre le tarif de décharge et les droits d'accise.

Cependant l'article 2 dut projet de loi fixe l'accise sur les n°10, 11 et 12 à 48 fr. par 100 kilogrammes et par l'article 4 la décharge de l'accise à l'exportation est fixée pour ces mêmes n°10, 11 et 12 à 43 fr. seulement ; ce qui fait une augmentation de 2 fr. du prix de revient, ou plus de 4 p. c. ; donc prime contre le fabricant belge sur les marches étrangers. ...

Il faut aussi qu'on ne mette pas l'industrie belge dans une condition d'infériorité en maintenant, par les articles 5 et 6 du projet de loi, le système de minimum de recette qui ne peut plus se justifier aujourd'hui ; de l’aveu même de M. le ministre des finances, le rendement de 1,500 grammes ne pourra en moyenne être dépassé.

Ou bien, comme le présume l'honorable ministre des finances dans son exposé des motifs, les modifications apportées à la législation en vigueur auront pour effet d'augmenter le produit de l'accise et la recette dépassera le chiffre de six millions de francs, et alors le maintien du minimum est inutile ; ou bien le minimum ne sera pas atteint par la consommation effective du sucre en Belgique et dans ce cas il est injuste d'en rendre responsables les fabricants de sucre.

Les deux causes qui peuvent produire un déficit de recette, les excédants de rendements obtenus au raffinage et les excédants sur les prises en charge à la fabrication, ne sont plus à craindre. En effet le projet de loi doit fixer lui-même le rendement réel des raffineries d'après des expériences à faire et la fabrication ne peut pas atteindre en moyenne, et à beaucoup près, selon moi et de l'aveu de tous les fabricants, la prise en charge de sucre, fixée à 1,500 grammes par la convention.

Les fabricants de sucre de betterave ne demandent ni prime, ni faveur, ni privilège, mais le droit commun.

En leur imposant une prise en charge, qu'ils ne peuvent atteindre en année moyenne - dans mon district, elles ne produisent même pas, année moyenne, 14 hectogrammes de sucre, par hectolitre de jus et par degré du densimètre -vous aurez pour résultat funeste les désastreuses conséquences que l'élévation du minimum à six millions a eues en tuant l'industrie du raffinage.

La prospérité et les progrès de l'agriculture sont cependant si étroitement liés à la fabrication des sucres de betterave que l'adoption du projet de loi qui est soumis à nos délibérations aura pour effet de frapper l'agriculture dans sa source la plus féconde de prospérité.

Et en effet, messieurs, les matières premières de cette industrie nationale sont les produits directs de l'agriculture et leur assurent un placement avantageux et en outre les résidus délaissés par la fabrication de sucre produisent une grande quantité de nourriture pour le bétail.

Elle fournit aussi un travail largement rétribué aux ouvriers campagnards et répand ainsi le bien-être moral et matériel dans les campagnes ; comme vous ne l'ignorez pas, messieurs, les fabriques de sucre y exigent un grand nombre de bras pendant le premier et le quatrième trimestre de chaque année ; précisément pendant l'hiver, alors que les travaux des champs sont suspendus.

Ne craignez-vous pas, messieurs, en aggravant la position du fabricant, de compromettre en partie quelques-uns de ces heureux résultats ?

Ne redoutez-vous pas de voir exporter une partie des matières premières de la fabrication au profit de l'industrie similaire de l'étranger ?

Les intérêts de la fabrication du sucre indigène méritent d'attirer aussi 1'attention de tous ceux qui éprouvent une véritable sollicitude pour les classes ouvrières.

En effet, par l'immense quantité d'aliments propres à l'engraissement et à l'élève du bétail qu'elle produit, il est peu d'industries qui soient plus à même de donner au peuple ce qui n'est aujourd'hui qu'à la portée des riches : une alimentation saine et complète, en diminuant le prix de la viande de boucherie.

La situation déplorable dans laquelle se trouve l'industrie des sucres en Belgique lèse gravement les intérêts de l'agriculture ; il est urgent d'y porter un remède prompt et efficace.

Il n'y a qu'une fabrique de sucre de betterave dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, mais je connais trop les services qu'elle y rend à l'agriculture pour que je ne me croie pas obligé de rejeter un projet de loi qui doit ruiner complétement cette industrie en Belgique.

(page 636) M. Dumortier. - Je demande pardon à la Chambre si, dans ce que j'aurai l'honneur de lui dire, il y aura peut-être un peu de décousu dans mes paroles ; je ne m'attendais pas à voir une question aussi ardue, aussi compliquée, venir aujourd'hui à l'ordre du jour et il est difficile d'être bref, quand on n'a pas eu le temps de se préparer.

J'aurai à examiner divers points de cette question si compliquée et je viens réclamer toute votre indulgence.

D'abord, ainsi que vous l'a dit avec beaucoup de raison l'honorable M. de Kerchove, si la convention s'était bornée à rendre égales les conditions de production et de fabrication dans les divers pays contractants, ce serait un bienfait et un bienfait considérable pour la Belgique. Ainsi qu'il vous l'a dit avec raison, les industriels belges sont assez forts de leur talent, de leur mérite, de leur activité, pour ne pas craindre la concurrence de l'étranger.

Il en résulte que tout ce qui dans la convention établit une égalité parfaite entre la Belgique et l'étranger, ne peut qu'avoir notre approbation.

Mais là ne se borne pas la convention.

L'article 16 de cet acte international vient régler le droit d'accise dans la Belgique et dans la Belgique seule. Cet article soustrait le droit d'accise sur les sucres à l'examen du Parlement belge pour le transporter à une conférence, composée des représentants des puissances étrangères. Ce n'est plus la Chambre des représentants, ce n'est plus le Sénat qui examinera ce qui convient au pays pour le mieux de ses intérêts et de ses habitants ; c'est une conférence composée des représentants de l'Angleterre, de la France, des Pays-Bas et de la Belgique, qui vient se substituer au pouvoir législatif pour régler le régime intérieur de notre pays.

Cependant le principe fondamental de la convention est que chaque Etat reste libre de son régime intérieur ; voilà la base première de la convention. Je me demande donc comment il se fait, alors, que la base première de la convention est que chaque Etat reste maître de son régime intérieur, comment il se fait qu'à l'article 16 de cette convention, la France, l'Angleterre et la Hollande viennent stipuler les droits d'accise, c'est-à-dire les impôts de la Belgique, et de la Belgique seule.

J'avoue que je n'y comprends rien ; je ne puis concevoir comment le gouvernement a pu soustraire un régime d'accise, un régime purement intérieur, au parlement belge pour le transporter à une conférence de souverains étrangers.

Je ne comprends pas notre régime politique en ce sens ; je n'admets pas qu'il puisse en être ainsi. Ce n'est pas là la Constitution, qui veut que les impôts soient votés par les Chambres. Ainsi la loi ne sera plus chez nous l'expression de la volonté du peuple belge ; elle sera l'expression de la volonté du peuple français, de peuple anglais et du peuple néerlandais représentés par leurs souverains.

Que vois-je dans l'article 16 de la convention ? Que dans les fabriques de sucre abonnées (et veuillez remarquer qu'il n'est plus de fabriques de sucre abonnées que dans la seule Belgique), que dans les fabriques de sucre abonnées, la prise en charge sera portée immédiatement à 1,475 grammes ; et que quand la production se sera élevée en Belgique à 25 millions de kilogrammes, cette même prise en charge sera portée à 1,500 grammes. Or, personne ne peut croire que les gouvernements de France, d'Angleterre et de Hollande soumettront leur régime intérieur à une élévation d'impôt, du chef d'une augmentation de production de 2 millions de kil. en Belgique.

Jamais la France, l'Angleterre et les Pays-Bas n'auraient consenti à ce que leur droit d'accise fût modifié par le fait seul qu'en Belgique on produit en sucre deux millions de kilogrammes de plus.

C'est donc pour la Belgique seule qu'existe l'article 16 de la convention. Encore une fois, c'est enlever au parlement belge sa première prérogative, le droit d'établir les impôts. Par là, nous ne sommes plus une assemblée délibérante, votant les impôts de notre pays ; nous sommes uniquement appelés à sanctionner un impôt qui a été voté par des souverains (page 637) étrangers. J'avoue que je ne comprends pas comment ce système peut s'allier avec notre Constitution et avec les droits du parlement belge.

Après cela, je me demande : Quel rapport y a-t-il entre la quotité d'un impôt et le chiffre plus ou moins élevé de la production de la matière qui sert de base à cet impôt ?

Est-il entré dans la pensée de qui que ce soit de dire que quand on aura fabriqué un million d'hectolitres de bière de plus, l'impôt sera augmenté, que la prise en charge sera augmentée ? Est-ce que vous entendez dire que quand les distilleries, qni sont également soumises à l'accise, auront produit plus de genièvre, la prise en charge sera augmentée ?

Autre chose est la quotité prescrite par la loi et autre chose est la quantité produite.

Ce sont deux idées qui n'ont aucune espèce de connexité. Comment une augmentation de production peut-elle amener une augmentation d'impôt ?

Voilà un système que je n'ai jamais vu dans aucun pays du monde, un système que, j'en suis convaincu, la Chambre aurait repoussé à toutes voix s'il n'était pas dans le traité, et que nous sommes appelés à voter de par la France, de par l'Angleterre et de par la Hollande.

J'avoue que ce sont là des choses qui me passent. Je ne puis pas comprendre encore une fois comment, dans un traité international, on vient établir un impôt d'accise sur le peuple belge, et sur le peuple belge seul ; comment la Chambre des représentants, gardienne des intérêts du pays, chargée par la Constitution de veiller à ces intérêts et de voter chaque année les impôts, peut être privée par un traité du droit de voter les impôts dans son intérieur, elle seule, alors que les autres puissances ne sont pas même liées par une pareille disposition.

La prise en charge qui est aujourd'hui de 1,400 grammes, sera donc, d'après le traité, que vous êtes appelés à ratifier par l'article premier, élevée à 1,475 grammes, et le jour où la Belgique produira 25 millions de kilog. de sucres, elle sera portée à 1,500 grammes.

Messieurs, veuillez d'abord remarquer une chose : c'est qu'autant vaudrait dire que la prise en charge sera de 1,500 grammes. L'honorable M. de Kerchove, qui le premier à pris la parole dans cette discussion, vous l'a dit avec raison, dès l'an prochain, les 25 millions seront produits et la prise en charge de 1,500 grammes sera faite.

En effet, la production du sucre comme de toute espèce de denrée provenant de la culture, ne dépend pas de l'action de l'homme ; elle dépend de la température, de l'action de la Providence.

Si une année est bonne pour la culture et que l'hectare de betterave, au lieu de rapporter 40,000 kil., en rapporte 50,000, il est évident que la production augmentera et qu'elle dépassera certainement le chiffre de 25 millions. II en résulte que dès la campagne qui va s'ouvrir, les 25 millions de kil. seront atteints, c'est-à-dire que la prise en charge de 1,500 grammes sera exigible par le trésor.

Il suffit, pour s'en convaincre, de se reporter à la situation actuelle. Depuis deux ans, les températures très ardues que nous avons eues pendant l'été ont empêché le développement de la betterave et malgré cela on a fabriqué 21 millions, 22 millions, 23 millions de sucre.

Mais arrive une température favorable, une température douce, la bonne saison, la terre va rapporter un plus grand nombre de kil. de betteraves ; au lieu de 40,000 kil. par hectare, vous en aurez 50,000 ; et dès le premier coup, vous dépassez le chiffre de 25 millions.

Ainsi, les fabricants seront punis quand la Providence aura donné une bonne année.

Quand le grain rapportera plus d'hectolitres, quand le seigle rapportera plus d'hectolitres, quand la terre produira plus de betteraves, punition pour le fabricant de sucre.

Voilà, messieurs, le projet de loi. Vous voyez dès l'abord si la justice a présidé à sa rédaction.

Mais la fabrication peut-elle supporter en Belgique cette prise en charge de 1,500 grammes ? Messieurs, ma conviction est profonde qu'avec la prise en charge de 1,500 grammes, bien entendu dans les conditions dans lesquelles la loi a été établie, c'est-à-dire en année moyenne, vous ferez subir à tous les fabricants de sucre une perte énorme, une perte qui ira, chaque année, de 20,000 à 50,000 francs, par fabrique au minimum.

Messieurs, dans l'exposé des motifs, M. le ministre des finances nous a donné des chiffres. Il vous dit qu'en moyenne le rendement en France dans les fabriques exercées était de 1,473 grammes, et dans les fabriques abonnées, de 1,542 grammes, et, partant de cette donnée, il veut établir en Belgique une moyenne, pour la prise en charge, bon an, mal an, de 1,500 grammes.

Ainsi, pour que le fabricant ne paye pas indûment des droits au trésor public, il faudra qu'il obtienne, année moyenne, 1,500 grammes de sucre par degré du densimètre et par hectolitre de jus.

Or, voici, messieurs, ce que l'honorable M. Frère disait à ce sujet dans l'exposé des motifs du projet de loi sur l'abolition des octrois, présenté en 1860, c'est-à-dire il y a cinq ans à peine :

« Pendant les bonnes années, les fabricants atteignent généralement et dépassent même un rendement de 1,500 grammes de sucre par hectolitre de jus de betterave et par chaque degré du densimètre. »

Vous le voyez, messieurs, d'après M. le ministre des finances lui-même le chiffre de 1,500 grammes est seulement produit « pendant les bonnes années, » dans les années d'exception qu'on appelle « providentielles » ; mais à côté de ces bonnes années, de ces années providentielles viennent les années ordinaires et même les mauvaises années.

M. Bouvierµ. - Les années calamiteuses.

M. Dumortier. - Les années calamiteuses. Or, messieurs, permettez-moi de vous dire deux mots de l'abonnement.

Il existe deux modes pour la fabrication du sucre : l'un est l'exercice, par lequel toutes les quantités produites sont appréciées par les employées et où l'impôt est payé sur le sucre fabriqué. Mais comme cet impôt donnait lieu à beaucoup de perturbations, on a imaginé le système d'abonnement, système qui existe en Angleterre et qui existe cher nous pour les distilleries et pour les brasseries.

Ce système consiste en un rendement présumé, en une moyenne de rendement, c'est ce qu'on appelle l'abonnement. Eh bien, messieurs, vous avez comme le dit M. le ministre des finances, vous avez de bonnes années dans lesquelles on obtient 1,500 grammes, mais vous avez aussi de mauvaises années dans lesquelles on n'obtient que 1,300 grammes et même moins de 1,250 grammes. Dans les bonnes années le fabricant fait un bénéfice ; il ne paye pas le droit sur toute la quantité produite, mais dans les mauvaises années il paye un droit pour des quantités qu'il n'a point produites, et cela vient compenser ce qu'il a payé en moins dans les bonnes années.

C'est une cote mal taillée, un forfait entre le gouvernement et les fabricants, forfait en vertu duquel les fabricants récupèrent dans les bonnes années ce qu'ils ont perdu dans les mauvaises.

Voilà, messieurs, le système de l'abonnement. Mais quand M. le miniistre viendra dire : En telle année j'ai constaté dans telle fabrique tel excédant, je dis : C'est possible, mais si le fabricant n'avait pas un excédant dans les bonnes années, comment pourrait-il marcher dans les mauvaises, lorsqu'il a payé au gouvernement des droits sur des sucres qu'il n'a pas produits ? Et remarquez que les mauvaises années ne sont pas rares.

Voyons à cet égard ce qui s'est passé en France, ce sera pour moi un précieux enseignement. J'ai là, sous la main, l'enquête qui a précédé le projet de loi français. En France, en 1858, la fabrication avait été tellement désastreuse que le gouvernement s'est vu obligé de prendre un décret pour réduire la prise en charge de 1,400 grammes à 1,500 grammes pour toute la France. Dans les parties les moins favorisées du pays, comme dans le département du Nord, la prise en charge n'avait été que de 1,250 grammes.

Ainsi les fabricants belges qui ne sont séparés du département du Nord que par la frontière - car ils habitent le même sol, et il y en a dont l'usine n'est qu'à une demi-lieue d'une usine française - les fabricants, belges, qui n'avaient pu produire que 1,250 grammes, ont payé les droits pour 1,400, c'est-à-dire qu'ils ont payé au trésor des droits sur des sucres qu'ils n'avaient pas fabriqués.

Que peut-on leur reprocher dès lors si l'excédant d'une bonne année est venu compenser l'avance qu'ils avaient faite alors au trésor public ? Voyons maintenant ce qui s'est passé en 1860 ? En 1860 parut un décret impérial encore en vigueur et portant ce qui suit :

« A partir de l'ouverture de la campagne 1850-1860, les manquants constatés dans la fabrication des sucres indigènes sur le minimum légal de la prise en charge (1,400 gr.), pourront être affranchis, par une décision du ministre des finances, des droits auxquels ils sont assujettis. »

Voici donc un décret impérial non plus pour exempter une seule année, mais pour dire qu'à l'avenir, quand on ne sera pas pris en charge pour 1,400 grammes, le ministre des finances aura le droit, par simple résolution ministérielle, de diminuer dans chaque fabrique de la quantité qui n'aura pas été produite,

Certes, le gouvernement n'aurait pas pris une pareille mesure s'il n'y avait eu un malaise véritable auquel il fallait pourvoir. Ce décret montre jusqu'à l'évidence que la prise en charge de 1,400 grammes est loin d'avoir été atteinte. Cela est arrivé deux années de suite.

(page 638) En Belgique, les fabricants ont alors payé pour 1,400 grammes ; ils ont réclamé ; et M. le ministre des finances leur a répondu : Messieurs, vous vivez sous le régime de l'abonnement, c'est une cote mal taillée, un forfait ; si vous perdez une année, vous gagnerez l'autre. Aujourd'hui, ce n'est plus de cela qu'il s'agit. Toutes les années seront bonnes dorénavant. Non seulement elles seront bonnes, mais elles seront excellentes, providentielles. On imposera à toutes les années sans exception, la cote des bonnes années qui sont excessivement rares.

En France la même chose se présente pour la troisième fois en 1864, mais là il n'y avait plus de mesure à prendre, puisqu'il y a un décret impérial qui accorde définitivement au ministre le droit de réduire la prise en charge dans la proportion du manquement constaté, quant aux fabriques soumises à l'exercice.

Mais le système de l'abonnement facultatif qui existait en France venait d'être supprimé. Un certain nombre de fabricants 60 ou 62 (c'est M. le rapporteur de la section centrale qui a eu l'obligeance de nous fournir ces renseignements), 60 ou 62 fabricants adressent une réclamation à M. le ministre, dans laquelle ils déclarent qu'il y a dans des fabriques de sucre des manquants de 40,000 à 50,000 kilogrammes sur la prise en charge de l'abonnement à 1,425 grammes, et ils en concluent qu'il a dû y avoir un déficit de 1,500,000 kilogrammes sur ces 61 fabriques.

Je me borne à constater que nous avons la preuve officielle que, dans un intervalle de 7 années, nous avons eu pendant 3 années des déficits considérables sur le taux de la prise en charge.

S'il y a eu des excédants pendant les 4 autres années, ils ont servi de compensations aux pertes considérables subies dans les mauvaises années. J'ai souvent entendu des fabricants me dire que dans beaucoup d'années ils avaient payé 20,000, 30,000, 40,000 francs de droits pour des sucres qu'ils n'avaient pas obtenus.

Vous leur reprocherez, vous leur imputerez à grief, vous qualifierez même de prime, cette restitution qui leur est faite par le trésor des pertes qu'ils ont subies en payant des droits pour une quantité de sucres qu'ils n'avaient pas obtenue.

Eh bien, je dis que cela n'est pas juste.

Le système d'abonnement pour les sucreries comme pour les distilleries, pour les brasseries, est une cote mal taillée et beaucoup plus sérieuse pour les sucreries que pour les autres industries, parce que là c'est la température qui décide si l'on aura ou si l'on n'aura pas des betteraves donnant un excédant.

Au commencement de la fabrication, aucun fabricant ne peut dire quelles seront les conditions de sa fabrication. Ce n'est que lorsque la fabrication est en train qu'il peut reconnaître si elle lui donnera des pertes ou des bénéfices. Toutes les fois qu'après une année de sécheresse vous avez des pluies en septembre, les betteraves qui étaient arrivées à maturité rentrent en végétation et par ce fait la partie de sucre cristallisable qui se trouvait contenue dans la betterave s'y décompose et devient du sucre incristallisable.

Ce sucre pesant au densimètre comme le sucre cristallisable est pris en charge et il en résulte pour le fabricant un déficit certain.

Autre chose : nécessairement on ne peut laisser les betteraves dans les champs ; il faut les abriter de la gelée, les récolter, les mettre en silos, les placer dans des magasins de réserve. Eh bien, si dans ces silos ou dans ces magasins de réserve, la température est un peu douce, s'il ne gèle pas en décembre, la betterave entre en végétation ; vous trouvez parfois ainsi des betteraves avec des feuilles de 1 1/2 pied ; dans ces conditions une partie du sucre est devenue incristallisable et il en résulte un déficit considérable dans la fabrication.

Le système d'abonnement est donc un système de forfait dans lequel le fabricant est autorisé par la loi à récupérer dans les bonnes années les sommes qu'il a versées indûment au trésor public, dans les mauvaises années.

Je vous ai démontré que dans un intervalle de 7 années trois années ont été telles que l'on a eu des prises en charge de 1,500 grammes.

L'honorable M. Frère viendra vous dire que les fabriques qui sont dans le rayon de la douane ont fourni des chiffres plus considérables de sucre et ont eu des excédants et on argumentera de cette circonstance pour établir un impôt élevé.

Mais il est évident que tout fabricant de sucre de betterave cherche à arriver à sa prise en charge afin de ne pas payer un droit indûment. Qe'enrésulte-t-il ?

C'est que pour ne pas perdre 45 fr. par 100 kilogr. de sucre qui lui manquera, il produit du sucre fortement mélangé de mélasse. Mais est-ce que par hasard la mélasse est imposée ? Non. Je conçois que dans les sucres exotiques on impose les sirops, le sirop étant une matière consommable.

Mais il n'en est pas de même de la mélasse. Il n'est personne de nous qui n'ait eu l'occasion de voir du sucre de betterave. Ce sucre a une odeur tellement repoussante qu'il est impossible d'en faire usage avant le raffinage par l'odeur infecte que répand la mélasse. La mélasse qui en est le résidu est véritablement fétide, elle est inconsommable. On l'emploie dans les distilleries pour faire de l'alcool, mais là elle paye un droit à la distillation, de manière que si l'on adoptait le système de M. le ministre des finances, la mélasse payerait deux fois le droit, une fois comme sucre, une fois comme alcool.

Eh bien, en France, toutes les mélasses qui sont employées dans les distilleries sont dégrevées de 5 p. c. et comme on fabrique 50 kil. de mélasse sur 100 kilogrammes de sucre, il en résulte que cette dégrevation de droit correspond à une remise de 272 p. c. sur celui de la prise en charge.

Les fabricants cherchent à arriver à la plus grande production possible, oui, mais la loi le leur a permis. Dans les années où les fabriques donnent réellement 1,450, 1,460, 1,470 hectogrammes, comme en Belgique, on ne fait pas des sucres purs, mais des sucres imprégnés de mélasse. Ici se présente la question de savoir ce que la loi entend par un hectogramme de sucre. Est-ce un hectogramme quelle que soit la qualité ? Examinons cette question, qui détermine la prise en charge.

D'après la loi présentée en 1842 ou 1843 par M. Smits, qu'a-t-on fait pour établir le droit par hectogramme ? On a fait trois classes, trois types. Tous les sucres devaient être ramenés au premier type, lequel en France était égal non au n 14, mais au n°16.

Il n'y a, en effet, que le sucre qui puisse être imposé à un droit de consommation, la mélasse ne peut pas l'être, car le droit de consommation ne peut frapper les matières non consommables.

Mais quand l'honorable ministre des finances exagère ainsi les quantités produites dans la fabrication, il se garde bien de ramener tout cela au n°16. Comme vous l'a dit l'honorable M. de Kerchove, il prend les quantités produites sans tenir compte de la qualité.

Ces chiffres sont donc impossibles.

Je dis qu'il n'y a pas moyen d'établir en Belgique un droit reposant sur 15 hectogrammes, comme le propose le traité, lorsque la fabrication belge aura atteint 25 millions.

Mais ce n'est pas tout. Vous venez d'entendre mes honorables amis. Vous avez entendu l'honorable comte de Borchgrave qui, dans son remarquable discours, vous déclare que dans son district les fabriques de betteraves, et vous savez qu'il, y en a beaucoup dans cette contrée, ne savent pas atteindre, année moyenne, une production en sucre de 1,400 grammes.

Vous avez entendu mon honorable ami M. De Conninck vous dire que la fabrique de Dixmude ne sait pas atteindre, année moyenne, 1,400 grammes.

J'ai eu l'honneur de voir, ces jours derniers, un fabricant du district de mon honorable ami. Il m'a montré les comptes extraits de ses livres, il en résultait de la manière la plus évidente qu'il ne pouvait, année moyenne, atteindre les 1,400 grammes. Et vous voulez établir vos droits sur un rendement de 1,500 grammes ! mais que ferez-vous en établissant votre impôt sur un rendement de 1,500 grammes, alors que ces fabricants ne savent pas même pas produire 1,400 grammes année moyenne ? Vous n'avez plus établi un droit d'accise, vous avez établi un impôt forcé sur les fabriques de sucre.

Je sais très bien qu'en France il y a une contrée, et il en est de même dans les steppes de la Russie, oh la betterave produit davantage. Je sais fort bien que les sucreries françaises établies dans la Picardie, dans l'Ile-de-France, dans toute cette contrée qui environne Paris et même plus au midi, fournissent des rendements plus considérables, et c'est à ces fabriques que M. le ministre des finances fait allusion, lorsqu'il dit dans son exposé des motifs qu'en France le rendement....

MfFOµ. - Le rendement moyen.

M. Dumortier. - ... le rendement des fabriques abonnées....

MfFOµ. - De toutes les fabriques.

M. Dumortier. - Non ! non ! Je vais décomposer vos deux chiffres.

Je commence par les fabriques abonnées, celles qui en France produisent 1542 grammes en moyenne, d'après votre exposé des motifs, et je vais compléter ce que vous avez énoncé en en donnant l'explication.

(page 639) Messieurs, je dois le dire, j'ai été très surpris quand j'ai vu ce chiffre de 1,542 grammes dans l'exposé des motifs.

J'avoue que je ne pouvais pas croire qu'en France surtout où tous les sucres doivent être frappés au type, puisque c'est le sucre blanc, c’est-à-dire le sucre consommable, il fût possible que l'on atteignît en moyenne 1,542 grammes.

Je connais un peu cette industrie, je l'ai défendue depuis longtemps, je ne pouvais m'expliquer cette énonciation de l'exposé des motifs du projet de loi.

Mais l'enquête française faite sur les sucres m'a éclairé sur le fait et j'ai tout de suite compris ce chiffre ; je vous en donnerai l'explication que ne vous donne pas M. le ministre des finances. Oui, en France, les fabriques abonnées ont obtenu 1,542 grammes, mais dans quelle situation ?

Toutes ces fabriques abonnées sont situées dans le cœur de la France, dans des terrains dont le sous-sol est de craie, c'est à-dire dans des terrains où toute l'humidité surabondante est absorbée par la craie.

Vous connaissez le sol de la Picardie. Vous savez qu'on y trouve environ un pied de terre arable et au-dessous, on a la craie qui absorbe l'humidité.

Ces terrains produisent des betteraves qui contiennent beaucoup plus de matière cristallisable et dans ces contrées on arrive à un rendement de 1,542 grammes. Et encore tous les fabricants n'arrivent pas à ce rendement. Ceux seuls qui ont des conditions de fabrication extraordinaires par la perfection des appareils y parviennent.

Mais avons-nous en Belgique un sol et un sous-sol comme celui de la France centrale ?

Quiconque a parcouru la route de Bruxelles à Paris sait parfaitement bien que le sol de la Picardie et de l'Ile-de-France ne ressemble en rien au sol de la Belgique.

Nous n'avons pas ici ce sous-sol qui absorbe l'humidité. Nous n'obtenons pas ici sur ces terres sans grande valeur de petites betteraves qui produisent un rendement considérable. Nous avons ici un sol d'alluvion qui, conservant les eaux, donne au contraire une grande exubérance de végétation et qui, par cette exubérance de végétation, enlève à la betterave une partie de ses propriétés saccharines.

En voulez-vous la preuve ?

Le département du Nord, dont le sol est analogue au nôtre, comprend 160 fabriques de betterave sur 370 qu'il y a en France. La moitié des sucreries de betterave françaises sont situées dans le département du Nord. Eh bien, quand on a donné en France la faculté de l'abonnement à 1,425 grammes, c'est-à-dire 25 grammes seulement au-dessous du chiffre admis aujourd'hui en Belgique, il n'y a eu que 3 fabriques qui ont consenti à prendre l'abonnement.

Elles ont travaillé sur ce pied, et au bout de deux ans, elles ont renoncé à l'abonnement. Elles ne pouvaient arriver aux 1,425 grammes. Tous les autres fabricants du département du Nord ont préféré l'exercice à la prise en charge à 1,425 grammes.

Permettez-moi de vous lire sous ce rapport ce que je trouve dans l'enquête française. Cela est extrêmement instructif dans la question qui nous occupe.

Remarquez-le, messieurs, en France, en Angleterre, avant de toucher à l'industrie des sucres, on fait des enquêtes. En France, en Angleterre, dans les Pays-Bas, quand on présente un traité, on dépose les pièces sur le bureau. Ici l'on ne fait pas d'enquête, on ne dépose pas les pièces sur le bureau. Nous sommes donc forcés de recourir aux enquêtes qui se font à l’étranger.

La séance de l'enquête française dont je vous parle, est celle qui a été tenue le 25 septembre 1863, il y a deux ans, sous la présidence de M. Béhic, ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics. Tous les fabricants de sucre du département du Nord étaient appelés à déposer.

Voici comment s'exprime M. Mariage :

« Le comité sucrier de Valenciennes a eu l'honneur d'écrire en juillet dernier à Son Excellence M. le ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics pour lui demander de mettre la question de l'abonnement à l'étude ; car dans notre conviction, l'abonnement à 1,425 grammes est une faculté dont toutes les fabriques ne peuvent pas user également.

« En effet, la moyenne des rendements par hectolitre et par degré a été chez nous : de 1,300 grammes en 1852 et 1853, et 1,392 grammes en 1854 et 1855, de 1,321 grammes en 1857 et 1858, et de 1,346 grammes en 1859 et 1860.

« Si nous prenons la moyenne des deux dernières campagnes dans notre arrondissement, nous ne trouvons que l,422 grammes seulement. Ces chiffres sont officiels. »

Vous le voyez donc, messieurs, on reconnaît qu'en 1852 et 1853, le rendement n'a été que de 1,300 grammes ; en 1854 et 1855, de 1,392 grammes ; en 1857 et 1858 de 1,321 grammes ; en 1859 et 1860, de 1,346 grammes, c'est-à-dire que pendant ces années les fabricants du département du Nord n'ont pu arriver à produire en sucre le chiffre de 1,400 grammes constituant la prise en charge.

Ainsi, la prise en charge n'a pas été atteinte pour toutes les années que je viens de citer. Ce fait résulte de documents officiels, (Interruption.) Si les chiffres énoncés dans ces documents avaient été inexacts, ils auraient été immédiatement contredits ; mais ils ne l'ont pas été.

Je le répète, dans toutes les années dont il s'agit, la prise en charge n'a pas été atteinte ; que, dans d'autres années, elle ait été surpassée, qu'on ait obtenu des excédants, peu importe, mais ces années-là ont été des exceptions ; rappelez-vous que le système d'abonnement est un système de forfait grâce auquel les bénéfices faits dans les bonnes années viennent compenser le déficit des mauvaises années, c'est-à-dire indemniser le fabricant des impôts qu'il a payés sur des matières non produites.

Or, l'enquête française démontre que ces mauvaises années ont été nombreuses, et c'est pour cela que les fabricants du département du Nord ont été unanimes à refuser l'abonnement à 1,425 grammes.

Maintenant, il ajoute :

« Si sur les 1,422 grammes, dont nous venons de parler, nous déduisons 95 grammes, représentant la bonification du dixième... (Interruption.)

Si on ne fait pas ces déductions, je m'arrête, j'en ai assez, j'en ai plus qu'il me faut.

Il est démontré que dans les années que je viens d'indiquer... (Nouvelle interruption.)

Puisque M. le ministre des finances y tient, je vais lire la phrase entière :

« Si sur les 1,422 grammes, dont nous venons de parler, nous déduisons 95 grammes, représentant la bonification du dixième, et 45 grammes provenant des 5 p. c. sur les mélasses, il ne reste plus que 1,260 grammes de production réelle par hectolitre et par degré. »

Je répète que c'est un document de l'enquête française ; je crois que s'il avait contenu des inexactitudes, on ne l'aurait pas laissé imprimer sans le contredire. J'ai foi dans cette enquête, parce que c'est un acte sérieux. Quand le gouvernement français fait une enquête, les dépositions qui ne seraient pas vraies, qui contiendraient des inexactitudes, seraient évidemment démenties dans le document même. Or rien n'est démenti dans ce document.

J'avoue franchement que quel que soit mon respect pour l'opinion de M. le ministre des finances, j'ajoute moins de foi à ses dénégations qu'à des assertions émises dans un document imprimé par ordre du gouvernement français.

Voilà donc les faits. La prise en charge à 1,400 grammes peut-elle être portée à 1,500 grammes ? Evidemment non.

Il y a quatre ans, M. le ministre des finances vous disait lui-même que les 1,500 grammes n'étaient obtenus que dans les bonnes années ; et maintenant, ce chiffre qu'on représentait naguère comme n'étant obtenu que dans les années exceptionnelles, on veut en faire le chiffre de l'année moyenne, c'est-à-dire qu'on vient dire au fabricant de sucre : « Désormais vous payerez chaque année l'impôt sur ce que vous ne produisez que dans les bonnes années. »

Cela n'est pas possible. Comment ! vous avez la démonstration évidente que, dans beaucoup d'années, il y a 100, 125 et même 150 grammes en dessous de la prise en charge ; et vous voulez que dans toutes les années on obtienne le chiffre le plus élevé !

Ce n'est plus là un droit d'accise, c'est un impôt nouveau dont vous allez frapper les fabricants.

Aussi, je suis d'avis que la situation qui leur est faite par la loi rendrait infiniment préférable pour eux le rétablissement pur et simple de l'exercice, car avec un système comme celui qu'on veut consacrer, il est évidemment impossible à la plupart des fabriques de se soutenir.

Certes, il y a quelques fabriques qui, à raison des conditions exceptionnelles de culture où elles se trouvent, ne seront pu écrasées par le régime nouveau ; mais en sera-t-il de même de toutes les fabriques qui longent la frontière française ? Toutes seront frappées.

Comment ! si les fabricants du département du Nord avaient cru pouvoir obtenir 1,450 grammes, ils auraient pris sans aucun doute un abonnement à 1,425 grammes. Eh bien, non seulement ils n'ont pas pris cet abonnement, mais ils ont protesté contre l'abonnement ; et pourquoi (page 640) ont-ils protesté ? Parce que l'abonnement à 1,425 gr. n'ayant été pris que par les fabriques situées dans les terrains exceptionnels dont j'ai parlé, les excédants considérables qu'on obtient sur ces terrains mettraient les fabricants du département du Nord dans l'impossibilité de soutenir la concurrence.

C'est pour ce motif que les fabricants du département du Nord à l'unanimité sont venus réclamer la suppression de l'abonnement.

Il est donc acquis que les 160 fabriques du département du Nord ont refusé de s'abonner à 1,425 grammes.

Or, qu'est-ce qui sépare la Flandre et le Hainaut du département du Nord ? Une ligne de douanes. Eh bien, si d'un côté de cette ligne de douanes, 160 fabricants reconnaissent qu'il leur est impossible de produire 1,425 grammes, comment de l'autre côté de la ligne peut-on vouloir fixer la prise en chargea 1,450 gr. ? Voilà pour mon compte ce que je ne comprends pas.

Je crois qu'on arrivera à 1,450 grammes, dans certaines années, en comptant la mélasse comme du sucre.

M. le ministre des finances lui-même sait tellement bien que la mélasse entre pour beaucoup dans les sucres inférieurs qu'il les admet à 10 p. c. en dessous des sucres supérieurs,

Les sucres inférieurs ne payeront que 40 fr. 50 au lieu de 45 fr. Pourquoi cette différence ? C'est qu'il y a dans ces sucres inférieurs 10 p. c. de mélasse, suivant l'appréciation de la convention internationale. Ah ! si vous mettez le tout sur la balance et que vous pesez, vous arriverez à ces chiffres fabuleux de production que l'on a indiqués. Mais ces chiffres manqueront de justesse, et vous donnez vous-même, par votre article 2, la démonstration évidente que vous faites erreur dans votre calcul de production, puisque vous proposez d'admettre les sucres inférieurs à 10 p. c. de moins que les sucres de qualité supérieure. Et là vous raisonnez juste. Vous dites : Les mélasses n'étant pas la partie consommable soumise à l'accise, je ne puis établir qu'un droit de 40 fr. 50 c. sur ces qualités, tandis que sur le sucre qui ne contient pas de mélasse le droit est de 45 fr.

Mais quand il s'agit d'estimer la prise en charge, pourquoi ne raisonnez-vous pas de la même manière ? Pourquoi voulez-vous frapper le sucre chargé de mélasse comme le sucre pur ?

Pourquoi ne défalquez vous pas ce dixième ? Défalquez ce dixième et vous verrez qu'en Belgique il n'y a presque pas de fabriques qui fassent des excédants considérables.

Et, messieurs, ce n'est pas seulement là ce qui frappe les fabriques de sucre. Je viens de vous parler de l'article 16 de la convention ; tout ce que je vous ai dit jusqu'ici se rapporte à cet article 16 qui ne frappe que la Belgique seule, qui ne touche ni la France, ni l'Angleterre, ni la Hollande.

Cet article 16 est désastreux pour nos fabriques de sucre ; il les établira toutes en déficit incontestable.

Maintenant, cette élévation du rendement, à quoi revient-elle ? Elle augmente la prise en charge d'un hectogramme, or, l'augmentation de prise en charge d'un hectogramme est au fond une augmentation du droit d'accise.

Peu importe si dans les brasseries vous mettez l'impôt sur la cuve-matière et que vous augmentez la prise en charge des cuves-matières ou si vous augmentez le chiffre de l'impôt, vous arrivez au même résultat.

Or, l'augmentation d'un hectogramme à la prise en charge équivaut à 7 p. c. Sur un droit de 45 fr., c'est une augmentation de 3 fr. 15 c. Ainsi, l'augmentation de la prise en charge porte le droit sur les sucreries de 45 à 48 fr. 15 c. Ce n'est plus le droit de 45 fr. qu'on vous propose d'établir ; c'est, par une forme différente, un droit de 48 fr. 15 c.

Mais quand vous arrivez à l'exportation, remboursez-vous sur le pied de 48 fr. 15 c ? Je vous ai démontré que la prise en charge de 1,500 grammes ne pouvait être atteinte et que, par conséquent, elle frappe de 45 fr. toutes les qualités produites. Rembourserez-vous, à la sortie, à raison de 48 fr. 15 c ? Nullement. Le projet de loi nous propose de ne rembourser que 45 fr. pour les bonnes qualités et que 45 fr. pour les quantités de moyenne qualité ; de façon que le fabricant se trouvera dans cette position, qu'il n'obtiendra pas à l'exportation la décharge du droit réel dont il aura contracté la dette envers l'Etat par cette prise en charge. Pour la prise en charge équivalant au droit de 48 fr. 15 c., il ne sera dégrevé qu'à raison de 45 fr. Ce sera donc pour 100 kil. de sucre un déficit de 3 fr. 15 c.

Ce n'est pas tout : la Belgique ne fabrique d'ordinaire que des sucres du n°10.... On voit par l'enquête française que les sucres que la France introduit en Belgique équivalent au numéro 9. Je crois que ce chiffre n'est pas tout à fait exact et que nous pouvons admettre le numéro 10. Eh bien, ces chiffres ne sont remboursés à l'exportation que par 43 francs.

Ainsi le fabricant sera en perte de 2 fr. sur le droit dont il aura contracté la dette vis-à-vis de l'Etat. Et il ne sera pas seulement en perte de ces 2 fr. il sera anssi en perte en suite de l'augmentation de la prise en charge de manière que ce sera en réalité une perte de 5 fr. 15 c. par 100 kilog.

Voilà la condition où l'on met l'industrie belge. Ce n'est pas tout encore.

L'article 2 du projet de loi donne une tarification des sucres étrangers, qui, d'après le gouvernement, est basée sur la convention. Mais comment se fait-il que l'échelle établie par cet article 2 pour l'entrée en Belgique et la prise en charge de l'accise, ne soit pas la même pour la sortie ? Si cette échelle est vraie pour les entrées, elle doit être vraie aussi pour les sorties. Le fabricant qui est pris en charge doit avoir la restitution au même taux que le droit pour la prise en charge. Si vous n'admettez pas l'égalité, que faites-vous ? Vous constituez tout un régime de primes, non pas cette fois en faveur des fabricants belges, mais en faveur de l'étranger contre les fabricants belges.

Eh bien, je demande si c'est là du libre échange, si c'est là l'application de ces principes économiques dont on nous a si souvent parlé ? Que résulte-t-il de l'article 2 ?

Tous les sucres fabriqués en Belgique payeront 45 fr., quelle que soit leur qualité, et j'ai eu l'honneur de vous le dire, avec la prise en charge de 1,500 grammes, obn prend en charge jusqu'aux produits inférieurs de mauvaise qualité. Mais les sucres étrangers payeront-ils ces 45 fr. ? Pas le moins du monde ; les sucres étrangers n°7 ne payeront à l'entrée que 40 fr. 50 c. Qu'en résulte-t-il ? C'est que tandis que les Belges payeront 45 fr. de droit, les étrangers introduisant les mêmes qualités ne payeront que 40 fr. 50 c. ; que, par conséquent, il y aura une prime de 10 p. c. en faveur des sucres étrangers entrant en Belgique pour venir lutter contre les nôtres.

Les sucres étrangers n°7 à 10 ne payeront que 43 fr., tandis que les sucres n°7 à 10 fabriqués en Belgique payeront 45 fr. Ici encore c'est une prime de 4 p. c. pour le sucre étranger entrant en Belgique.

Eh bien, je demande s'il entre dans les vues de la Chambre d'établir un système de primes à l'envers, de donner des primes non plus cette fois à une industrie nationale, mais à l'étranger, venant lutter contre l'industrie nationale.

J'avoue que je ne puis comprendre un pareil système, et je suis désireux de savoir comment il peut s'arranger avec les principes du libre échange et avec les principes de l'économie politique. On prêche toujours le libre échange. Je dis que c’est là du libre échange à l'envers.

Vous ne voulez pas de primes pour votre industrie. Vous pouvez avoir raison, je ne vous blâme pas. Mais ceux qui ne veulent pas de primes pour l'industrie belge doivent encore moins vouloir de primes pour l'étranger, qui vient lutter contre cette industrie belge.

Dans le projet de loi je trouve ce système de primes à chaque instant. L'honorable M. de Kerchove a admirablement démontré que le minimum crée une prime en faveur de l'étranger ; je vais vous en indiquer quelques autres.

Il est évident que les fabricants étrangers jouiront d'un privilège considérable sur les sucres raffinés et sur les sucres indigènes. La production belge sera frappée quand la production étrangère ne le sera pas.

Vous avez ensuite un amendement présenté par M. le ministre des finances qui établit la possibilité de recevoir des sucres n°17 à 20, c'est-à-dire les sucres blancs, semblables au sucre pilé, moyennant une augmentation de droit de 2 p. c. Or qu'est-ce que 2 p. c. ? Le droit étant de 46 fr., 2 p. c. représente 92 centimes.

Ainsi, les n°18 à 20 pourront être introduits à raison de fr. 46-92.

Eh bien, messieurs, ce sont des sucres blancs comme des sucres raffinés et ils pourront être exportés au taux de 53 fr. 50 c., c'est-à-dire qu'ils jouiront alors d'une prime de 6 fr. 58 c, rien que pour avoir traversé la Belgique.

Voilà, messieurs, le système de primes qui la loi organise ; cette loi est une loi de raffinement et non pas une loi sur le raffinage.

Quand vous examinez tous les articles de la loi, vous voyez à chaque ligne une prime accordée à l'étranger.

Parlerai-je de l'article 4 qui règle la décharge ? Cet article est pour les fabriques de sucre d'une importance excessive, comme les fabriques de sucre vendent une bonne partie de leurs produits à l'étranger, il importe qu'elles ne laissent pas de ce chef un droit au trésor.

Le droit d'accise est un droit de consommation, il ne faut pas qu'il soit payé sur les produits exportai. Si j'exporte du genièvre, on me (page 641) rembourse les droits, il doit en être de même quand j'exporte du sucre. Eh bien, messieurs, qu'arrive-t-il ? J'admets volontiers que la décharge se fera au taux indiqué dans l'article 2, mais il faut que le droit à l'entrée soit réglé sur les mêmes bases que la restitution à la sortie.

Or, quand je compare l'article 4 et l'article 2, je vois d'abord à l'article 2 que tous les sucres bruts étrangers sont admis sans conditions, et d'après l'article 4 les sucres indigènes, pour jouir de la restitution à la sortie devront être : 1° non-humides ; 2° supérieurs au n°8. Cette condition d'être non-humide va donner lieu à de très grandes difficultés : c'est un simple employé qui décidera si le sucre est humide ou non humide, ce sera une affaire de pur caprice.

Quand le sucre étranger entre en Belgique on le reçoit humide ou non et quand le sucre indigène doit sortir on veut qu'il soit non humide. Mais, messieurs, l'humidité du sucre dépend souvent de la température ; c'est comme le sel qui devient humide quand le temps est humide.

Le sucre pourra donc être rendu inexportable par le seul effet de la température. Cela n'est pas raisonnable. En Angleterre et en France on n'exige pas cette condition.

Ah ! quand il n'y avait pas de types à la sortie, on avait besoin d'une garantie ; mais maintenant que vous avez une échelle graduée, que le chiffre de la restitution se règle en raison de la qualité du sucre exporté, je ne comprends plus ces conditions.

Ainsi, pourquoi ne pas admettre l'exportation des sucres inférieurs au n°8, alors que vous les admettez à l'entrée ? C'est une souveraine injustice.

Messieurs, je suis protectionniste, c'est ma nature, M. Pirmez l'a déclaré ; mais je ne suis pas prohibitionniste, et voilà les libre-échangistes qui entrent en plein dans la prohibition ; ils laissent entrer le sucre étranger, mais ils empêchent le sucre indigène de sortir.

M. Mullerµ. - L'étranger paye pour de l'eau.

M. Dumortier. - L'étranger ne paye que 40 fr. 50, tandis que les Belges payeront 45 fr. d'accise. Eh bien, permettez la sortie sur le même pied, sans cela vous tombez dans le système des primes en faveur de l'étranger et contre le sucre indigène.

Voyez, messieurs, où conduit ce système : dans une fabrique de sucre, on ne fait pas les qualités que l'on veut, on fait les qualités que l'on peut.

Il arrive souvent que le commencement d'une fabrication vous donne des produits d'une très belle nuance et qu'ensuite vous ne faites plus que du sucre roux, du sucre que vous ne pouvez pas débarrasser de sa mélasse. Ces sucres roux vont arriver de l'étranger en abondance. En Angleterre, on ne raffine plus que des sucres de basse qualité, l'enquête anglaise le constate.

Par conséquent, vous allez avoir les sucres de Manille, de Bahia, de Fernambouc, tous les sucres ds basse qualité qui vont envahir le marché et dans le même moment les sucres français, qui auront 10 p. c. de prime, envahiront aussi nos marchés.

Vous ne voyez pas ce que vous faites ; vous appelez la dépréciation de l'article. Il y a en Belgique près de cent fabriques de sucre, il n'y a que sept raffineries. Ces raffineries imposeront donc le prix qu'il leur plaira. Soyez au moins conséquents ; si vous voulez du libre-échange, appliquez-le pour la sortie comme pour l'entrée.

Faites du libre-échange, mais faites-le loyalement ; ne faites pas du libre-échange mélangé de protection en faveur de l'étranger et de prohibition contre les Belges.

Appliquez vos principes de liberté, mais appliquez-les pour nous comme pour l'étranger. Si vous admettez les sucres humides l’étranger, laissez sortir les sucres humides de la Belgique aux mêmes conditions. Si vous laissez entrer le sucre n° 10 à 45 francs, laissez sortir le sucre belge à 45 fr., établissez la même échelle. D'après l'échelle comprise dans l'article 4, presque tous les produits de la fabrication belge ne pourraient sortir qu'avec une décharge de deux francs moins que la prise en charge sur les sucres exotiques.

Or, comme en Belgique on ne produit guère que des sucres n°10 qui doivent être en-dessous du n° 12 pour entrer en France, si vous n'admettez pas la même décharge à l'entrée qu'à la sortie, c'est 2 francs que vous prélevez sur les fabricants belges pour chaque 100 kilogr. qu'ils exportent. Je ne puis admettre ce système.

Je suis un peu fatigué, et il me serait agréable de pouvoir continuer demain.

- Voix nombreuses. - A demain.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.