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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 28 mars 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 697) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des officiers pensionnés prient la Chambre d'améliorer leur position. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles émettent le vœu que les Chambres infligent un blâme à M. le ministre de la guerre à propos de la formation du corps belge mexicain. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des interpellations sur des faits relatifs à la question du Mexique.


« Des cantonniers des routes de l'Etat, dans la province de Liège, demandent une augmentation de traitement et la faveur de jouir de la pension au même titre que les employés subalternes du chemin de fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« D'anciens volontaires liégeois demandent la pension dont jouissent les décorés de la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Genappe demande que le chemin de fer direct de Charleroi à Bruxelles passe par Jumet, Gosselies, Frasnes, Genappe, etc. »

- Même renvoi.


< Les sieurs Olislaeger et Van Pelt, président et secrétaire de la société de pharmacie d'Anvers, demandent que le projet de loi sur l'organisation judiciaire range les pharmaciens dans la classe des citoyens qui sont portés sur la liste des jurés, indépendamment de toute contribution et que les pharmaciens tenant une officine seraient dispensés d'office des fonctions de juré. »

- Renvoi à la commission pour l'organisation judiciaire et à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la police médicale.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande en obtention de la naturalisation ordinaire du sieur Jean Freilag. »

-Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi conférant aux députations permanentes et à la cour de cassation les questions relatives à l'application des lois sur les contributions directes

Dépôt

MfFOµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :

1° Un projet de loi ayant pour objet de conférer aux députations permanentes et à la cour de cassation les questions relatives à l'application des lois sur les contributions directes en général.

Projet de loi décrétant divers travaux d'utilité publique et un emprunt de 60 millions de francs

Dépôt

2° Un projet de loi décrétant divers travaux d'utilité publique et un emprunt de 00 millions de francs.

Je suppose, messieurs, que, selon l'usage, la Chambre désirera entendre la lecture de ce dernier projet de loi.

- De toutes parts. - Oui ! Oui !

MfFOµ. - Voici comment il est conçu :

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, Salut.

« Sur la proposition de Nos ministres des affaires étrangères, de la justice, de l'intérieur, des travaux publics et des finances,

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Notre ministre des finances présentera, en Notre nom, à la Chambre des représentants, le projet de loi dont la teneur suit :

« Art. 1er. Il est accordé au gouvernement, pour l'exécution ci-après désignés, les crédits suivants :

« Au ministère des travaux publics

« A. Travaux hydrauliques (en cours d'exécution).

« § 1. Amélioration du régime de la Dendre : 2,500,000 fr.

« § 2. Amélioration de la Lys : fr. 250,000.

« § 3. Canal de Turnhout à Anvers, par Saint-Job in 't Goor : fr. 1,000,000.

« § 4. Canalisation de la Mandel : fr. 1,000,000

« § 5. Exécution des travaux stipulés dans le traité du 12 mai 1863, avec les Pays-Bas : fr. 600,000.

« § 6. Travaux de défense des ouvrages du port d'Ostende et de ses abords et de la côte contre l'action de la mer : fr. 300,000.

« § 7. Achèvement du port de refuge de Blankenberghe : fr. 300,000.

« § 8. Exhaussement et renforcement, de la digue du comte Jean : fr. 450,000.

« § 9. Part d'intervention de l'Etat dans les travaux d'assainissement de la Senne : fr. 3,000,000.

« § 10. Construction de deux barrages dans la Meuse, en amont de Namur, et complément de la canalisation en aval de cette ville : fr. 2,000,000.

« § 11. Réservoirs d'eau destinés à obvier aux conséquences qu'ont eues, pour les usines situées sur la Vesdre, les modifications apportées au régime de ce cours d'eau par les travaux effectués aux forêts de l'Etat : fr. 3,280,000.

« § 12. Agrandissement du bassin d'échouage des bateaux pêcheurs à Ostende= fr. 550,000.

« § 13. Amélioration du port de Nieuport : fr. 1,000,000.

« B. Routes.

« § 14. Routes affluentes au chemin de fer de l'Etat et aux chemins de fer concédés. Construction de routes dans le Luxembourg : fr. 2,000,000.

« C. Bâtiments civils.

« § 15. Continuation des travaux de restauration et d’appropriation du palais de Liège : fr. 400,000.

« D. Chemins de fer.

« § 16. Chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain : fr. 2,800,000.

« § 17. Parachèvement du réseau actuel : fr. 8,000,000.

« § 18. Travaux nouveaux, savoir :

« 1° Raccordement entre les stations du Nord et du Midi à Bruxelles : fr. 5,000,000 fr.

« 2° Raccordement entre les stations des Guillemins et Vivegnis, à Liège : fr. 5,000,000.

« 3° Installation pour le service des établissements maritimes, à Anvers : fr. 4,000,000.

« 4° Chemin de fer de ceinture à Gand : fr. 4,000,000.

« 5° Raccordement de la station d'Ostende au nouveau quai des bateaux à vapeur : fr. 600,000.

« 6° Jonction des voies en dehors de la station de Verviers : fr. 300,000.

(page 698) « Au ministère des affaires étrangères :

« § 19. Eclairage de l'Escaut : fr. 500,000.

« Au ministère de la justice :

« § 20. Construction d'un palais de justice à Bruxelles : fr. 3,000,000.

« Au ministère de l’intérieur :

« § 21. Continuation des travaux au palais du Roi, et achèvement des écuries du palais Ducal : fr. 1,200,000.

« § 22. Subsides pour travaux de voirie vicinale et d'hygiène publique : fr. 2,000,000.

« § 23. Subsides aux communes pour construction et ameublement d'écoles : fr. 5,000,000.

« Total : fr. 60,000,000.

« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à concéder un chemin de fer direct de Châtelineau à Bruxelles, par Luttre. Ce chemin de fer sera exploité par l'Etat.

« La concession en sera accordée en vertu d'une adjudication publique portant sur la quotité du produit brut à attribuer à l’Etat et sur la durée de la concession.

« Si les soumissions ne sont pas jugées acceptables, le chemin de fer sera construit aux frais du trésor. Dans cette éventualité, un premier crédit de cinq millions de francs est ouvert au ministère des travaux publics.

« Art. 3. Le gouvernement est autorisé à concéder à la société du chemin de fer de Bruges à Blankenberghe, à titre d'extension, une ligne de Blankenberghe à Heyst, sous les clauses que cette ligne pourra être établie sur la digue du comte Jean, et que la société précitée sera chargée, à forfait, pour le montant du devis à dresser par l'administration, dans les limites du crédit porté à l'article premier, § 8, des travaux d'exhaussement et de renforcement de ladite digue.

« Art. 4. Le gouvernement est autorisé à contracter, aux conditions qu'il déterminera, un emprunt d'un capital effectif de soixante millions de francs (fr. 60,000,000).

« Un crédit de cent vingt mille francs (fr. 120,000) est ouvert au ministère des finances, pour couvrir les frais de confection et d'émission des titres de cet emprunt ; il fera l'objet de l'article 14bis du budget de la dette publique pour l'exercice 1865.

« Il est ouvert au même département un crédit de quatre cent mille francs (fr. 400,000) qui formera l'article 14ter dudit budget, pour le service des intérêts de la dette flottante.

« Art. 5. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication.

« Donné à Laeken, le 23 mars 1865.

« Léopold.

« Par le Roi : le ministre des affaires étrangères, Ch. Rogier : le ministre de la justice, Victor Tesch ; le ministre de l'intérieur, Alp. Vandenpeereboom : le ministre des travaux publics, Jules Vanderstichelen ; le ministre des finances, Frère-Orban. »

- Impression et distribution et renvoi à l'examen des sections.

Projet de loi relatif à la convention internationale sur le régime des sucres

Discussion générale

MfFOµ. - Messieurs, la tache qui m'incombe a été rendue plus facile par le travail si complet de la section centrale, et par les discours prononcés dans cette discussion par les honorables MM. Valckenaere et Jacquemyns, qui ont défendu la convention et le projet de loi déposés par le gouvernement.

Il est pourtant, messieurs, une méprise assez singulière qui paraît subsister encore. J'ai entendu, au début de cette discussion et non sans étonnement, je l'avoue, d'honorables membres, déclarant avoir consulté les intéressés, annoncer en même temps l'intention formelle de repousser le projet de loi.

Il faut, messieurs, que l'on se fasse une bien fausse idée du système que consacre ce projet de loi, et il est vraiment étrange qu'une pareille idée ait pu prendre naissance dans l'esprit des personnes dont les intérêts sont engagés dans la question.

On semble croire, en effet, que nous soumettons à la Chambre des propositions conçues pour ainsi dire uniquement au point de vue du trésor ; mais c'est là une profonde erreur ; la convention est faite en vue de concilier l'intérêt du trésor avec celui de l'industrie des sucres. Voilà ce qui a préoccupé exclusivement le gouvernement, en poursuivant le but qu'il croit avoir atteint par la convention qui vous est soumise, et dont je considère les dispositions comme éminemment avantageuses à l'industrie sucrière de notre pays.

Au point de vue des intérêts du trésor, en effet, la législation actuelle est suffisante ; elle peut sans doute présenter des inconvénients plus ou moins fâcheux pour les intérêts engagés dans l'industrie des sucres ; mais le trésor n'en éprouve aucun préjudice, il perçoit la somme qu'il doit percevoir.

La convention a donc été fort mal comprise, même par des personnes intéressées, et qui étaient à même de l'apprécier plus sainement. Mais ces personnes se sont laissé aveugler au point de conspirer le rejet de la convention.

Or, messieurs, rien ne pourrait être plus fatal, rien ne pourrait nuire davantage à l'industrie de la fabrication du sucre et du raffinage que le rejet de la convention. La conclusion de cet acte international a présenté de très grandes difficultés, et le succès obtenu prouve tout à la fois le zèle, l'intelligence et la capacité des commissaires qui ont été chargés par nous de le négocier. Si l'on réussit à obtenir la ratification de cette convention dans les divers pays, jamais la fabrication et le raffinage des sucres n'auront été placés dans de meilleures conditions en Belgique. J'en appelle sur ce point, non seulement au rapport de la section centrale, mais aux témoignages mêmes des intéressés éclairés, qui ont eu des rapports personnels aussi bien avec moi qu'avec un grand nombre d'entre vous.

N'ont-ils pas, en effet, été unanimes à déclarer que la convention était satisfaisante, qu'ils ne demandaient pas mieux que de la voir mettre à exécution ? Et cependant, je le reconnais, après avoir longtemps hésité, car la convention a été déposée dès le mois de novembre sur le bureau de la Chambre, après avoir longtemps hésité, ils se laissent entraîner à une opposition dont ils ne soupçonnent pas toute la gravité, mais dont le succès pourrait entraîner pour eux des conséquences vraiment désastreuses. En se ralliant aux attaques dirigées contre la convention par l'honorable M. Dumortier, on place le gouvernement dans la fâcheuse nécessité de défendre d'une manière plus complète qu'il ne comptait le faire l'arrangement international qui a été si difficilement obtenu. Car on comprendra certainement que plus nous démontrerons que la convention nous fait des conditions avantageuses, moins les autres pays contractants auront d'intérêt à la ratifier.

J'avais cependant averti les intéressés ; après les avoir réunis, je leur avais dit : A quoi bon me placer dans la nécessité de démontrer tous les avantages que présente la convention ? - Et ils avaient paru comprendre la nécessité d'une grande réserve en cette matière.

Mais il semble que l'on se soit ravisé ; on a préféré croire l'honorable M. Dumortier, qui a découvert, lui, que la convention ne fait que révéler l'incapacité des fonctionnaires éminents chargés de représenter le gouvernement belge dans cette circonstance, et qui a découvert en outre que la convention renferme des vices très graves qui doivent vous déterminer à la rejeter.

C'est qu'en effet, messieurs, aux yeux de l'honorable M. Dumortier bien entendu, la convention viole la Constitution. (Interruption.) Certainement ! Selon l'honorable membre, l'article 16 de la convention, en déterminant la prise en charge dans les fabriques abonnées, a enlevé au pouvoir législatif en Belgique le droit de régler cet objet, qui est une affaire d’intérieur, et qui aurait dû être réservé exclusivement à la décision du parlement belge. L'article 16 de la convention est donc une violation des plus flagrantes de notre pacte fondamental.

Messieurs, l'honorable M. Dumortier a, en cette matière, un système assez ingénieux. Selon lui, la convention ne devait s'occuper que de la décharge à l'exportation, autrement dit du drawback ; mais elle ne devait s'occuper en aucune façon de la prise en charge des fabriques de sucre de betterave. Cependant, qui ne voit que si la prise en charge des fabriques n'avait pas été réglée en même temps que le taux de la décharge à l'exportation, il en serait résulté que chaque pays ayant des fabriques de sucre de betterave aurait pu, lui, accorder à ses nationaux, et cela en opposition directe avec le but poursuivi, en violation manifeste de la convention, des avantages que cet acte avait pour but d'égaliser autant que possible ? Il est donc bien évident qu'il y avait nécessité de fixer d'une manière invariable, dans une convention de ce genre, le taux de la prise en charge dans les fabriques de sucre de betterave.

(page 699) Mais, s'écrie l’honorable M. Dumortier, on a stipulé de la manière la plus étrange ! Comprend-on que l'on fixe actuellement la prise en charge à 1,475 grammes de sucre pour chaque degré du densimètre et par hectolitre de jus, et qu'on aille même jusqu'à 1,500 grammes lorsque la production aura atteint 25 millions en Belgique ? Pourquoi faire une stipulation de ce genre ? Quelles raisons peut-on avoir eues d'agir de la sorte ?

Eh bien, messieurs, de mon côté, je me demande comment l'honorable préopinant n'a pas compris que nos négociateurs avaient réussi, par cette stipulation qu'il critique si fort, à obtenir un délai pour la fixation de la prise en chargea 1,500 grammes ? Le chiffre de 1,475 grammes est une faveur toute gratuite concédée par l'article 16 de la convention ; c'est tellement une faveur qu'en Hollande la prise en charge, d'après le projet de loi déposé, est immédiatement portée à 1,500 grammes ; et nous savons, comme nous l'établirons tantôt, que la prise en charge en France atteint au moins le chiffre de 1,500 grammes.

Selon l'honorable M. Dumortier, cette prise en charge de 1,475, et plus tard de 1,500 grammes, renferme au surplus une bien autre énormité. C'est une prime qu'on accorde au produit étranger au préjudice du sucre indigène. Ainsi, dans la manière de raisonner de l'honorable membre, du moment qu'il est constaté, et nous partons de cette supposition, que le produit réel d'un certain sucre est de 1,500 grammes par hectolitre de jus et par degré du densimètre, porter la prise en charge à cette quotité, c'es, selon l’honorable membre, accorder une prime aux sucres étrangers ! C'est-à-dire que, supprimer la prime en Belgique, c'est accorder une prime au sucre exotique !

Autre énormité : Les sucres fiançais, dit l'honorable membre, payeront 40 fr. 50 c, 43, 45 et 46 fr. selon le numéro, tandis que le taux de l'accise pour le sucre belge est invariablement fixé à 45 fr., prime nouvelle de 4 à 10 p. c, au profit de l’étranger et au détriment du produit national ! C'est là, ajoute l’honorable membre, du libre-échange renversé, c'est une économie politique qu'il lui est impossible de comprendre.

L'honorable membre, messsieurs, a fait encore bien d'autres découvertes ; mais celle-ci est assurément une des plus merveilleuses.

Le projet de loi est basé sur un rendement moyen de 1,500 grammes de sucre n°12. Comprenons bien ce point. Dans la fabrication, on ne produit pas une qualité de sucre unique, uniforme ; on obtient du sucre au-dessous du n°7, des sucres des n°7 à 9, de 12 à 14, à 15, à 18 ; et les diverses qualités, ramenées au n°12, donnent ensemble un rendement de 1,500 grammes.

Dans ce système, il est bien évident que le sucre belge, comme le sucre français, paye exactement le même droit ; il n'y a ni privilège, ni faveur pour personne. Les sucres sont tous, au point de vue où nous nous plaçons, ramenés au type numéro 12.

Messieurs, avant d'entrer dans la discussion, j'ai cru devoir signaler ici quelques-unes des singulières appréciations de l'honorable M. Dumortier, et des exagérations auxquelles il se livre en cette matière, au grand préjudice, je le crains, des intéressés dont il a la prétention de défendre les droits.

Mais, à part ces exagérations, trois griefs sont dirigés contre la convention et le projet de loi.

Le premier s'applique à la prise en charge de 1,475 puis de 1,500 grammes, qui est déclarée excessive, et que l'honorable membre dit ne pouvoir être atteinte communément dans les fabriques belges.

Le second grief, c'est que l'on n'accorde la restitution de 45 francs qu'au n°12, et non pas au n°10, comme le réclament les intéressés.

Enfin, ce qui est critiqué en troisième lieu, c'est le maintien du minimum de recette fixé à 6 millions de francs.

Messieurs, le premier point, celui qui est relatif à la prise en charge, pourrait n’être pas discuté : la convention a statué, et il n'y a pas à y revenir ; on peut admettre, on peut rejeter, mais on ne peut pas modifier. Quoi qu'il en soit, examinons la convention sous ce rapport. Nous faut-il justifier cette prise en charge à 1,500 grammes ?

D'abord, messieurs, je puis dire qu'il y a une preuve invincible que l'on ne s'est pas trompé, qu'on n'a pas commis d'erreur en fixant à ce taux la prise en charge ; que ce n'est pas, comme le dit l'honorable M. Dumortier, une chose tout à fait inadmissible, irréalisable, et à laquelle les fabricants ne peuvent se soumettre sans consentir leur ruine. Cette preuve, je la trouve dans l'avis même des intéressés. Les premières paroles qu'ils ont prononcées lorsqu'ils se sont adressés à vous contiennent cet aveu formel. Vous avez tous sous les yeux les observations présentées par les fabricants de sucre de betterave, et voici ce que je lis dans cette pièce, à propos de l'article premier de la convention :

« Cet article approuve la convention intervenue entre les quatre puissances, le 8 novembre 1864.

« Nous acceptons cette convention, parce qu'elle a pour but d'établir une égalité à peu près complète dans les conditions de travail de l'industrie des sucres dans les quatre pays.

« Cette considération nous engage à ne pas réclamer contre l'article 16 de la convention qui élève le rendement à la fabrication de 1,475, et éventuellement à 1,500 grammes. Nous devons cependant faire observer que, dans bien de circonstances, l'industrie belge se trouverait mieux du régime de l'exercice en vigueur en France. Il résulte, en effet, des chiffres officiels, que depuis 1857, le rendement réel en France, pendant deux campagnes, a été inférieur à 1,480 grammes, notamment en 1857-1858, et 1859-1860. L'exposé des motifs constate lui-même (page 11), que la moyenne du rendement réel en France, pendant les cinq dernières années, dans les fabriques exercées est de 1,475 grammes. Ce chiffre aurait été moins élevé, si le gouvernement avait pris pour base d'appréciation le rendement réel moyen des dix dernières années.

« Si, comme le dit l'exposé des motifs, les fabriques non abonnées ont obtenu un rendement supérieur, soit 1,540 grammes, il faut l'attribuer aux conditions particulières dans lesquelles se trouvent ces usines. Récemment montées, elles ont pu s'outiller d'après les systèmes les plus récents, elles s’approvisionnent de betteraves dans des terrains vierges. Ce ne sont pas les conditions générales du travail des usines belges. Celles-ci se rapprochent de la situation des fabriques du département du Nord, où, sur 138 fabriques de sucre, 3 seulement ont préféré l’abonnement de 1,425 grammes à l'exercice. »

M. Dumortier. - Continuez !

MfFOµ. - Autant que vous voudrez. J’aurais beaucoup de rectifications, par parenthèse, à faire subir à vos citations. Vous n'avez que trop justifié ce que vous annonciez vous-mêmes, à savoir que vous ne preniez dans les documents que ce qui vous convenait.

M. Dumortier. - Je n'ai pas dit ce qui me convenait. J'ai dit : ce qui se rapportait à la question.

MfFOµ. - Vous avez même scindé des phrases de l'exposé des motifs da projet de loi des sections, vous arrêtant précisément aux endroits où commençait l'explication des fractions de phrases que vous aviez citées. Je n'emploie pas le même procédé. Je lirai le tout si vous voulez.

« Nous savons que le gouvernement invoque le rendement obtenu dans quelques fabriques qui se trouvent sur la frontière, dans le rayon de la douane. Mais ces fabriques sont précisément dans les conditions dis fabriques jadis abonnées en France ; elles sont récentes et cultivent des terrains vierges. Mais il est une autre considération, c'est que le gouvernement ne tient aucun compte de la nuance du sucre ; dans les 1,500 grammes qui constituent le rendement de ces fabriques, se trouvent compris les arrière-produits, qui n'atteignent guère le n°7, et auxquels l'administration, lors de la présentation à l'exportation, refuse la décharge des droits, sous prétexte que ce n'est pas du sucre.

« Nous avons entendu dire que l'on ne pouvait tenir compte de quelques fabricants arriérés ou placés dans de mauvaises condition. Nous comprendrions le raisonnement, si les fabricants étaient pris en charge sur la quantité réelle de sucre qu'ils produisent. Ce serait dans ce cas à eux mêmes qu'ils devraient s'en prendre s'ils ne pouvaient lutter avec l'étranger.

Mais il n'en est pas ainsi. On fixe un rendement qui ne peut être atteint que dans les fabriques outillées d'après les plus récentes inventions et obtenant leurs betteraves dans d'excellentes terres. L'équité n'exigerait-elle pas qu'on laissât aux fabricants qui ne sont pas dans ces condiiions, le choix de l'exercice, pour n'être pris en charge que sur la quantité de sucre qu ils produiraient réellement.

M. Dumortier. - Et le second paragraphe ?

MfFOµ. - Encore ? (Interruption.) Soit !

« Nous voulons conclure de ces considérations que le chiffre de 1,500 grammes est un maximum de rendement qui mettra fréquemment les fabricans en perte ; que l'on ne peut plus, avec un pareil rendement, parler de primes qui compromettraient la recette du trésor, et que, si nous l'acceptons, ce n’est que pour jouir des avantages de la convention, et à la condition que le travail tant du raffinage qie de la fabrication ne soit pas, en Belgique, soumis à une réglementation plus onéreuse qu'en France. »

Je demande, messieurs, à tout homme de bonne foi et qui sait comprendre, ce que peut signifier un pareil langage dans la bouche des fabricants de sucre. Je demande, s'il fallait croire le premier mot de ce qui a été affirmé par l'honorable M. Dumortier, quant à la prise en (page 700) charge de 1,5000 grammes, comment les fabriques pourraient continuer d’exister ? C'est le seul argument que je tire de cette déclaration des fabricants. Je ne viens pas prétendre qu'ils ont avoué ce qu'était le produit réel. Je puis d'ailleurs me passer de leur aveu sous ce rapport, car je suis en mesure de démontrer qu'ils obtiennent plus de 1,500 grammes, et je serai obligé de faire cette démonstration ; je le regrette, mais on m’y oblige.

Donc, messieurs, je le demande, s'il était vrai que la prise en charge de 1,500 grammes fût inadmissible, auriez-vous entendu un pareil langage de la part des fabricants de sucre, qui cent fois se sont déclarés morts, alors que, de jour en jour, ils vivaient d'une manière plus prospère ?

Messieurs, ce n'est pas ici seulement que nous avons des fabriques de sucre ; il y en a également dans d'autres pays, et en France notamment. Eh bien, je vais vous dire quel est le rendement moyen constaté en France pendant les cinq dernières années. A la différence du régime belge, les fabriques, en France, sont exercées ; on travaille en entrepôt et l'on constate ainsi les résultats de la fabrication. Or les fabriques exercées ont donné en moyenne 1,503 grammes et les fabriques abonnés 1,572 grammes. Et remarquez, messieurs, que ce dernier chiffre est uu minimum.

M. Dumortier. - Ce ne sont pas les chiffres de l'exposé des motifs.

MfFOµ. - J'expliquerai tout à l'heure les chiffres de l'exposé des motifs.

Je dis, messieurs, que le dernier chiffre que je viens de citer est un minimum, parce qu'il a été obtenu par le relevé des permis de circulation, et que fort souvent de petites quantités circulent sans document.

Maintenant, il faut déduire de ces chiffres les sucres contenus dans la mélasse, à raison de 5 p. c. ; il reste alors pour les fabriques exercées 1,475, et pour les fabriques abonnées 1,542.

Mais les mélasses, il importe de le remarquer, sont beaucoup plus riches en France qu'en Belgique, et la raison en est simple ; l'honorable M. Jacquemyns l'a déjà fait remarquer : en France, les fabricants payent pour la totalité du sucre qu'ils obtiennent ; en Belgique, au contraire, ils payent la même somme, soit qu'ils extraient peu, soit qu'ils extraient beaucoup ; les fabricants belges ont donc le plus grand intérêt à retirer de leurs sirops le plus de sucre possible.

Ainsi, messieurs, si l'on obtient en France les quantités que je viens d’indiquer, on obtient évidemment plus en Belgique. (Interruption.) Il n'y a absolument rien à objecter à cela. Comment l'honorable M. Dumortier veut-il infirmer ces faits ? Il a d'abord invoqué la déposition d'un industriel qui a été entendu en France dans l'enquête qui s'y est faite sur le régime des sucres, déposition tellement erronée que personne n'y pourrait insister. Elle contient des erreurs manifestes, et l'honorable M. Dumoitier est obligé lui-même de le reconnaître.

M. Dumortier. - Je ne reconnais pas cela du tout.

MfFOµ. - Une enquête recueille les témoignages tels qu'ils sont donnés, qu'ils renferment ou non des erreurs. Si nous ouvrions une enquête en Belgique, l'honorableM. Dumortier y serait appelé. Il viendrait déposer, et il produirait sans doute toutes les erreurs que j'ai signalées et que je signalerai encore ; et quand on viendrait argumenter de la déposition de l'honorable M. Dumortier, on serait certainement admis à démontrer que cette déposition contient beaucoup d'erreurs, bien qu'elle ait été recueillie dans une enquête.

Le témoin dont vous invoquez la déclaration s'est évidemment trompé. Il parle d'un rendement tellement faible quepersonne n'y saurait croire.

Le second argument de l'honorable M. Dumortier est celui-ci. - Dans la conférence, l'un des commissaires belges a invoqué le rendement de 1,470 grammes comme résultant des documents français, et ce chiffre, dit l'honorable membre, diffère de celui qui est donné dans l'exposé des motifs. C'est ce rendement de 1,470 grammes qui doit servir de base à l’argumentation.

Messieurs, vous apercevez immédiatement le vice de ce raisonnement. Dans une négociation, on tient procès-verbal exact de tout ce qui se dit de part et d'autre par les négociateurs, sur chacun des points en discussion. Que l'on vienne ensuite argumenter de ce qui a été dit contre la résolution qui a été définitivement adoptée, vous sentez que cela est déraisonnable.

L'honorable M. Dumortier voudrait donc faire un grief au négociateur belge d'avoir trop bien défendu l’intérêt belge. Il dit : Vous avez argumenté de ce chiffre, vous avez donc eu tort d'accepter ultérieurement un chiffre plus élevé que celui de 1,470 gramm-e.

Mais il se trouve, messieurs, que l'honorable M. Dumortier s'est complètement mépris, et que notre négociateur, au contraire, ne s'est pas du tout trompé, qu'on ne peut pas même l'accuser d'avoir fait usage d'une ruse employé d'ordinaire dans les négociations, en réclamant plus qu'il ne voulait réellement obtenir. Non, messieurs ; nous avons les moyens de démontrer que le chiffre de 1,470 grammes a dû être justement invoqué daus les négociations, comme le chiffre cité dans l'exposé des motifs est celui qui a dû y être indiqué.

Voici, messieurs, l'explication de ces deux chiffres.

D'après des documents qui avaient été produits par l'administration fraiçaise avant les dernières conférences, le rendement des cinq campagnes terminées, 1858-1859 à 1862-1863, était comme il suit :

Fabriques exercées 1,507 grammes. A déduire pour mélasse 42 grammes. Reste 1,465 grammes.

Fabriques abonnées 1,575 grammes. A déduire pour mélisse 42 gr. Reste 1,531 grammes.

Or, la production des fabriques abonnées pendant les dernières années étant de 1,12 de celle des fabriques exercées, la moyenne générale se trouvait être de 1,470 grammes.

Voilà le chiffre sur lequel on a traité dans les conférences de 1864.

Mais, après ces conférences, on a reconnu, suivant une note de l'administration française elle-même, que sous le titre de déduction pour mélasse on avait compris les déductions accordées pour perte de jus, excès de lait de chaux, etc., dont il n'y avait pas lieu de tenir compte pour évaluer les excédants.

Si l'on fait une déduction de 30 grammes au lieu de 42 (et 30 grammes, c'est ce qu'admet à peu de chose près l'honorable M. Dumortier lui-même, on arrive aux résultats qui ont été donnés dans l'exposé des motifs.

Mais de plus, messieurs, à l'époque de ces conférences, les résultats de la campagne 1863-1864 n'étaient pas connus. On a raisonné en prenant pour base ceux de 1858-1859. Depuis lors, on a substitué aux résultats de 1858-1859, ceux de la campagne 1863-1864, bien qu'ils présentassent une différente de 54 grammes, au préjudice du raisonnement que nous faisons. L'année 18581859 donnait, en effet, 1,499 grammes, tandis que l'année 1863-1864 ne donne que 1,465 grammes.

Or, si l'on tient compte de ces deux éléments, déduction de 30 grammes au lieu de 42, et substitution d'une année à l'autre, comme je viens de l'expliquer, on arrive aux résultats suivants : Fabriques exercées, 1,503 grammes. En déduisant pour les mélasses 30 grammes au lieu de 42, il reste 1,473 grammes. Fabriques abonnées, 1,572 au lieu de 1,573. Déduction, 30 au lieu de 42. Reste 1,542, soit précisément le chiffre de l'exposé des motifs.

Voilà donc, messieurs, une explication aussi claire que possible, et telle que pouvait la désirer l'honorable M. Dumortier.

Ainsi, les objections faites par l'honorable membre pour atténuer notre démonstration en ce qui touche le chiffre des 1,500 grammes, ne sont pas admissibles. Mais je puis donner une preuve encore à l'appui de mon assertion. Nous n'avons en Belgique que des fabriques abonnées ; cependant il en est qui se trouvent indirectement soumises à l'exercice : ce sont les fabriques qui se trouvent dans le rayon des douanes, où l'on ne peut circuler avec des marchandises soumises aux droits, que si le transport est couvert par un document.

Mais encore, et ceci est d'une certaine importance, il est bon de le faire remarquer, Ks quantités inférieures à 5 kilogrammes peuvent circuler librement.

Donc, qu'est il arrivé ? Un certain nombre de ces fabriques avaient obtenu un excédant sur la prise en charge de 1,400 grammes. Pour faire soi tir cts excédants, on a demandé des autorisations à l'administration, et l'on a constaté ainsi, sans tenir compte des quantités inférieures à 5 kilogrammes qui ont librement circulé, que la production de cinq fabriques situées dans le rayon des douanes était de 1,515 grammes.

Chaque fois que des faits de ce genre se produisent et qu'il est impossible de ne pas les reconnaître, on cherche à les expliquer en disant que les fabriques auxquelles ils se rapportent sont dans de meilleures conditions, qu'elles ont des terrains plus favorables, un meilleur outillage, que sais-je ? Mais les faits sont positifs et constatés non seulement pour des fabriques qui se trouvent dans une situation exceptionnelle, mais pour toutes les fabriques de la France.

M. Dumortier. - Vous tenez toujours compte des bas produits sortis des sucres.

MfFOµ. - Permettez ; nous avons à justifier une prise en charge de 1,500 grammes. (Interruption.) C'est du sucre minute au n°12. (Nouvelle interruption.) Il faut bien qu'il en soit ainsi.

(page 701) M. Carlier. - M. le ministre veut-il bien m'indiquer quelles sont les fabriques dont il s'agit.

MfFOµ. - Ce sont celles de MM. Lengraed et Cie, à Solte-sur-Sambre ; Hazard, à Fontaine-Walmont ; Majolez, à Labuissière ; Société de la Ferté, à Péruwels ; Errembault et Cie à Raucouit.

Mais, messieurs, l'honorable M. Dumortier prétend avoir contre nous un argument décisif, auquel nous n'avons rien à répondre. En France, dit-il, les fabriques ont obtenu, pendant un certain temps, l'autorisation de s'abonner au lieu d'être soumises à l'exercice ; si elles y avaient vu de si grands avantages, elles auraient préféré l'abonnement, pour échapper à la gêne de l'exercice. Or, on n'a vu que les fabriques établies sur des terrains vierges demander le maintien de ce mode ; mais dans le département du Nord, que l'on doit assimiler à la Belgique, il n'y a eu que trois fabriques qui ont consenti à l'abonnement.

Au premier abord cet argument semble, en effet, assez plausible. Mais malheureusement cet argument a un léger défaut qui le fait crouler par la base : l’honorable M. Dumortïer,en effet, a oublié de faire remarquer que les fabriques abonnées en France n'étaient pas admises à exporter leurs produits avec décharge des droits. (Interruption,)

M. Dumortier. - Qu'est-ce que cela fait ?

MfFOµ. - Comment ! qu'est-ce que cela fait ?

M. Dumortier. - Cela ne fait rien quant à la production.

MfFOµ. - Mais permettez ! Votre argument consiste à dire que si les avantages de l'abonnement avaient été considérables, on aurait en général préféré ce mode à l'exercice ; je vous réponds que les avantages étaient compensés par un désavantage qui les annulait, celui de ne pouvoir exporter. Voila pourquoi un petit nombre de fabriques seulement ont accepté l'abonnement en France.

M. Dumortier. - Lisez l'enquête.

MfFOµ. - Qu'est-ce que je lirai dans l'enquête ?

M. Dumortier. - Que toutes les fabriques abonnées étaient situées dans les provinces du centre de la France et que le département du Nord n'a pu fournir 1,400 grammes.

MfFOµ. - Mais ce n'est pas là votre argument. Vous avez prétendu que la prise en charge, même à 1,400 grammes était trop élevée, et, comme preuve irréfutable, selon vous, de cette allégation, vous aviez fait remarquer qu'en France les fabricants qui avaient la faculté de s'abonner à 1425 ne l’avaient pas fait, et que dans le département du Nord trois fabriques seulement avaient accepté l'abonnement.

Mais, messieurs, c'est l'honorable M. Dumortier lui-même qui va nous fournir la démonstration péremptoire que la prise en charge à 1,500 grammes de sucre ramené au n°12 est inférieure, il faut bien le dire, à la quantité moyennement obtenue.

L'honorable M. Dumortier prétend que, pour fixer la prise en charge des fabriques, il faut voir combien elles peuvent produire de sucre du type n°14 et même n°16.

Or, messieurs, selon le raisonnement de l'honorable M. Dumortier, le sucre qu'on obtient en France est du sucre ramené au type du n°16. Je me contentie de prendre le n°14.

M. Dumortier. - Qui est le premier type français.

MfFOµ. - S'il en est ainsi, si les rendements accusés par les documents français se rapportait au sucre du type n°14, il est bien clair que vous obtenez plus de 1,500 grammes du type n°12. (Interruption.) Le type du projet de loi est le n°12.

M. Dumortier. - Non, pas dans la convention.

MfFOµ. - Comment ! Mais l’article 2 du projet mis en rapport avec l'article 16 de la convention le démontre invinciblement.

Voici ce que porte l'article 2 du projet de loi.

Droits sur le sucre :

Au-dessous du n°7, fr. 40 50

Du n°7 au n°10 exclusivement, fr. 43

Du n°10 au n°15 exclusivement, fr. 45

Du n°15 au n°18, fr. 46.

Sucre de betterave, 45 francs.

C'est donc le sucre correspondant aux numéros 10, 11, 12, 13, 14, c'est-à-dire le type n°12.

M. Dumortier. - Pas du tout.

M. Bouvierµ. - Il n'est pas encore convaincu !

MfFOµ. - Oui, vous avez malheureusement prouvé cela.

M. Dumortier. - Vous confondez deux choses distinctes.

MpVµ. - Pas d'interruption, M. Dumortier !

MfFOµ. - C'est possible ; je puis commettre une erreur ; s'il en est ainsi, vous la rectifierez. Mais je ne crois pas me tromper en vous signalant ce point, que l'article 2 du projet de loi est en corrélation directe avec l'article 16 de la convention et que, dans l'économie de ce projet de loi, les 1,500 grammes correspondent bien à là catégorie 10 à 14, soit au numéro 12. Voilà ce que je signale à l'attention de l'honorable M. Dumortier, et ce qu'il ne parviendra pas à détruire.

C'est donc bien pour le sucre n°12 que l'impôt est établi à 45 francs.

Pour combattre la prise en charge à 1,500 grammes, l'honorable M. Dumortier parle des fabriques abonnées de la France, et nous dit que la prise en charge n'y était que de 1,425 grammes de sucre au type n°14.

M. Dumortier. - C'est l'enquête qui dit cela.

MfFOµ. - Soit ; c'est l'enquête, et vous parlez donc d'après l'enquête. Vous dites cela à la page 28 du rapport, lignes 35 à 39 ; je suis précis, pour que nous soyons bien fixés là-dessus.

Or, messieurs, il est de toute évidence que si ce type est plus élevé que le n°12 ; 1,425 grammes de sucre du type français représentent plus de 1,425 grammes de sucre n°12. On ne saurait sérieusement soutenir le contraire.

C'est donc l'honorable M. Dumortier lui-même qui nous fournit une démonstration péremptoire contre ses propres affirmations. En supposant une plus-value de 6 p. c, à quoi arriverait-on en effet ? On arriverait à plus de 1,500 grammes.

. La circonstance qu'en France on ramène les sucres au type, comme l'entend l'honorable M. Dumortier, tourne donc directement contre lui ; et si les rendements effectifs que nous ont été donnés par le gouvernement français se rapportent, ainsi que le soutient l'honorable membre, à des sucres n°14 à 16, nous devons évidemment augmenter le rendement pour le convertir en sucre n°12, qui est, comme je viens de le démontrer, le type de notre projet.

Pourquoi, a-t-on dit, le n°12 au lieu du n°14 ? Mais, messieurs, c'est dans l'intérêt des fabricants. L'honorable M. Dumortier, qui a scruté les procès-verbaux des conférences, a pu y voir que le taux de 1,500 gr. pour les n°15 à 16 donnant un rendement de 90 kilogrammes, a été fixé à la Haye. Ne pouvant obtenir de réduction sur ce chiffre dans les conférences de Bruxelles, nos commissaires ont du moins obtenu que ces 1,500 grammes fussent imposés à un droit moyen entre le droit des classes n°10 à 12, 13 à 16, avec un rendement de 90 kilogrammes, c'est-à-dire du n°12 et du n°14,

Mais dans les conférences finales, nos commissaires, incapables, selon l'honorable M. Dumortier, ont obtenu de descendre à la classe 10 à 14, rendement 87 ; c'est-à-dire au n°12 en moyenne, avec une réduction de 25 grammes pour la première année ; soit 1,475 au lieu de 1,500.

Ce point, qui a été très bien expliqué par l'honorable M. Jacquemyns, a provoqué une interruption de l'honorable M. Dumortier.

L'honorable membre a trouvé que nos négociations ainsi conduites l'avaient été contre les intérêts des fabricants indigènes. Quant à moi, messieurs, je suis heureux, pour ces fabricants, qu'ils n'aient pas été représentés par l'honorable M. Dumortier dans ces négociations ; car, avec la conviction qu'il a et qu'il essaye de faire partager par la Chambre, il aurait traité, lui, d'une manière absolument différente, c'est-à-dire qu'il aurait très gravement compromis les intérêts des fabricants.

Ainsi, en résumé sur ce point, la base du projet de loi, c'est une prise en charge calculée à raison de 1,500 grammes de sucre n°12. Je dis que ce taux de 1,500 grammes a été accepté (c'est une question d'appréciation, mais je crois que tous, sauf l'honorable M. Dumortier, nous sommes d'accord pour accepter ce chiffre) ; je dis donc qu'il est prouvé qua ces 1,500 gr. peuvent être moyennement obtenus ; cela a été constaté en France ; cela a été constaté dans des fabriques en Belgique ; cela a été constaté enfin et surtout par les aveux de l'honorable .M. Dumortier lui-même, qui a eu soin de nous indiquer quel était le numéro du sucre pour lequel on obtenait en France le rendement qu'il acceptait et qui serait, pour le type n°12 un rendement de plus de 1,500 grammes en moyenne.

M. Dumortier. - Mélasse comprise !

MfFOµ. - Du sucre ramené au n°12. Tout est là.

M. Dumortier. - Par conséquent, mélasse comprise.

M. Bouvierµ. - Il ne sort pas de la mélasse. (Interruption.)

(page 702) MfFOµ. - Nous avons donc, messieurs, cette première base inébranlable acquise à la discussion : Le type du projet est le sucre n°12, pour lequel nous admettons une production de 1,500 grammes par chaque hectolitre de jus à un degré de densité. Voilà notre première base.

Ceci va nous permettre de résoudre plus facilement la seconde question, de répondre au second grief dirigé contre le projet de loi, et qui consiste à prétendre que l'on devrait admettre l'exportation du n°10, avec restitution du droit de 45 francs, perçu à titre d'impôt.

Messieurs, le projet de loi fixe le droit à l’importation des sucres bruts. On laisse entrer les sucres français n°7 et au-dessous, de 7 à 10 et ainsi de suite. Mais les mêmes sucres ne sont pas admis à l'exportation.

En n'accordant la décharge de 45 francs, dit l'honorable M. Dumortier, que pour les sucres bruts n°12 et au dessous, on viole l'article 4 de la convention.

A cette première objection, la réponse est extrêmement simple. L'article 4 s'occupe de tout autre chose ; il ne s'applique qu'aux sucres raffinés et nous ne nous occupons pour le moment que des sucres bruts. Il y a là donc une erreur manifeste de la part de l'honorable membre.

La seconde objection est celle-ci : Comment ! on laisse entrer les sucres de provenance française de tel numéro moyennant tel droit, et on ne nous permet pas d'exporter nos sucres de fabrication indigène avec la restitution des mêmes droits d'entrée ?

Messieurs, on fait là une confusion qui est vraiment à peine croyable. Qu'y a-t-il de commun entie ces deux choses ? On dirait qu'il y a similitude entre elles, et que lorsqu'on refuse d'admettre à l'exportation avec décharge d'un droit égal à celui dont est frappé le produit similaire étranger, on commet une espèce d'injustice, d'iniquité.

Mais, messieurs, il n'y a pas la moindre analogie entre les deux faits ; ce sont des contraires ; l'un est l'antipode de l'autre. Quand il s'agit de sucre que l'on présente à l'entrée, c'est un produit pour lequel on offre de payer un impôt à l'Etat. Mais lorsqu'il s'agit de la restitution à l'exportation, c'est un produit à l'aide duquel on veut puiser dans le trésor de l'Etat. Voilà l'énorme différence qu'il y a entre ces deux faits.

Il n'est écrit nulle part que lorsqu'un droit existe sur certains produits à l'étranger, on doive opérer la restitution sur les produits indigènes similaires ou à peu près semblables. Evidemment aucune espèce d'obligation n'existe de ce chef. Mais la raison principale, c'est celle que nous avons donnée en discutant la question relative à la prise en charge à raison de 1,500 grammes. Qu'avons-nous dit dans cette partie de la discussion ? C'est que le droit de 45 francs représentait la moyenne des n° 10 à 14, c'est-à-dire le n°12, que 45 francs répondaient au n°12. La fabrication comprend les divers numéros, 7 à 9, 12 à 14, 15 à 18, mais l'impôt est unique : il est de 45 francs. Que signifie un impôt unique en présence d'une production qui a des qualités différentes, variant des n°7 à 18 ?

Cela signifie que les sucres sont ramenés au n°12 pour l'assiette de l'impôt. Et dès lors, comme on ne peut obtenir la restitution que de ce qu'on a acquitté au trésor, si on exporte du n°8 à 12 exclusivement, on ne peut obtenir 45 francs ; on obtient 45 f r. d'après le projet de loi ; si on remboursait 45 francs, on rembourserait une somme supérieure à celle que le fabricant de sucre aurait versée au trésor, et ce serait là une véritable prime.

Messieurs, si ce n'était pas une violation flagrante de la convention, je demanderais formellement qu'on insérât dans le projet de loi une disposition limitant à 200.000 francs la prime à accorder de ce chef. (Interruption.) Pardon, c'est bien cela. L'impôt étant établi sur des qualités de sucres différentes, ramenées au n°12, il est clair que si l'on vous restitue 45 francs pour le n°10, comme l'honorable M. Dumortier le demande, en obtiendra plus que l'impôt payé, et que l'on jouira ainsi d'une véritable prime ; comme je le disais tout à l'heure, ce ne serait pas l'exécution loyale de la convention, et lorsque cette convention soulève déjà dans certains pays une opposition très vive, à raison des avantages qui sont faits aux fabricants de sucre de betterave, qu'arrivera-t-il si vous acceptez l'amendement très imprudent qui vous est proposé ? II arrivera qu'on aura donné un argument très puissant à ces pays étrangers pour le rejet de la convention. Ceux qui sont initiés à cette affaire savent que ce serait au plus grand détriment de l'industrie belge qu'une semblable résolution serait prise à l'étranger.

Je convie donc les honorables membres à ne pas insister sur cet amendement, dans l'intérêt même des fabricants de sucre ; Car, après tout, au point de vue du trésor, je n'ai pas à me préoccuper beaucoup de cet amendement ; le minimum étant maintenu, j'aurai toujours le moyen de récupérer la prime que l'on aurait payée aux fabricants ; le véritable danger n’est donc pas là ; il est pour les fabricants eux-mémes qui, au lieu de recourir à de petits moyens, comme celui d'obtenir un misérable avantage de quelques francs, une faible bonification sur le droit qu'ils ont acquitté au trésor, devraient s'efforcer par tous les moyens possibles de faire adopter la convention et le projet de loi, tel qu'il a été formulé par le gouvernement.

Messieurs, si l'on adoptait l'amendement, on ferait aux intéressés, vis-à-vis du trésor public, une position meilleure que celle qu'ils ont sous la législation actuelle. Le principe d'équité qu'ils invoquent ne serait fondé que s'ils prouvaient d'une manière évidente qu'ils ont payé la totalité de l'impôt sur le sucre n°10 qu'ils voudraient exporter : c'est ce qu'ils ne feront assurément pas.

S'ils ne font pas cette démonstration, s'il est établi d'un autre côté que c'est sur le n°12 que l'impôt est assis, et si dès lors on leur restitue 45 fr. pour les sucres n°10, évidemment ils auront obtenu à l'exportation la restitution d'une somme supérieure à celle qu'ils auront payée au trésor. Mais, je le répète, au point de vue du trésor, l'inconvénient n'est pas très grave, parce que le minimum existant, je puis dans une certaine mesure conjurer les effets désastreux d'une pareille proposition.

J'ai donc maintenant à m'occuper de ce minimum de recette.

A ce propos, messieurs, on a manifestement joué sur les mots ; on feint de croire qu'on exige du sucre un produit déterminé ; que l'on exige ainsi arbitrairement qu'il fournisse au trésor au moins 6 millions de francs. C'est le mot « minimum de recette » qui prête à cette argumentation. On s'indigne d'une pareille situation ; il n'existe rien de pareil dans notre législation ; est-ce qu'on exige de la bière, de genièvre, etc. qu'ils produisent un minimum d'impôt ? Pourquoi le sucre doit-il être placé en dehors du droit commun ?

Messieurs, si le genièvre et la bière se trouvaient dans les mêmes conditions que les sucres, nous serions obligés de leur appliquer des mesures analogues ; si la restitution pour les genièvres et pour les bières contenait un avantage qui, appliqué à une exportation égale et supérieure même à la consommation, faisait tourner l'impôt au profit du fabricant, évidemment il faudrait recourir au même moyen que celui que nous employons à l'égard des fabricants de sucre.

Mais pourquoi la mesure est-elle prise à l'égard de ces derniers ? Parce qu'on s'exposerait, en supprimant le minimum, à restituer plus que ce que le trésor aurait perçu.

Messieurs, plusieurs d'entre vous ont fait partie d'une administration communale à l'époque où les octrois existaient. Que se passait-il, dans certaines localités, pour la bière et pour le genièvre qui y jouissaient d'une restitution à l'exportation ? Il est arrivé que des communes ont vu souvent leurs finances gravement compromises, par suite de cette restitution. Il a fallu y recourir à l'emploi de minimum ou à d'autres mesures pour parer à cet état de choses.

Or, que signifie un minimum de recette fixé à 6 millions ? Cela signifie uniquemmt qu'au-delà de la prime qui fait descendre nos recettes à 6 millions, nous ne restituons plus.

Messieurs, quelques mots sur l'histoire de l'accise sur les sucres rendront assez manifeste la nécessité de mesures qui assurent au trésor la perception d'une somme d'impôt déterminée.

La lutte est depuis très longtemps engagée, entre le trésor et les fabricants de sucre raffiné d'abord, que les fabricants de sucre de betterave sont venus par la suite aider dans la lutte ; les uns et les autres ont été souvent assez heureux. Ce n'est pas, messieurs, que l'on s'en prenne directement à l'impôt. Ce n'est pas l'impôt que l'on critique en cette matière. L'impôt est au contraire très nécessaire ; il est même indispensable. Le plus grand malheur qui pourrait arriver à nos raffineurs et à nos fabricants de sucre, toutes choses égales en Europe, serait la suppression de limpôt sur le sucre. Ils seraient immédiatement ruinés. C'est avec l'impôt qu'ils obtiennent une prime.

Ils ne se plaignent donc jamais de l'impôt ni même de son élévation ; tout au plus en fait-on un argument de discussion. Mas au fond, du moment qu'il y a prime, plus ils sont imposés, plus ils ont d'avantages.

Eh bien, voici, messieurs, ce qui est arrivé. Dans les premières années après 1830, le sucre donnait au trésor un revenu de 2 millions de fr. Un beau jour, ce revenu diminue de 300 à 400 mille fr. On n'était pas plus pauvre en Belgique, loin de là. On consommait autant de sucre qu'auparavant, Mais voici donc que l'impôt, qui était de 2 millions, se trouvait tout à coup réduit de 300.000 à 400,000 francs.

On recherchait vainement la cause de ce fait. Les armateurs eurent alors un mot assez barbare pour expliquer la situation, ils l’attribuèrent à la « ristourne », et avec ce mot tout était suffisamment expliqué.

M. Bouvierµ. - Le mot est joli.

MfFOµ. - (page 703) On laissa donc continuer les effets de cette belle ristourne, et qu'arriva-t-il en 1830 ? C'est que l'impôt, qui aurait dû produire beaucoup plus de 2 millions, ne produisit plus que 200,000 fr. ! On était censé en d'autres termes ne plus avoir consommé ou n'avoir pas pour ainsi dire plus consommé de sucre en Belgique.

M. Bouvierµ. - Grâce à la ristourne.

MfFOµ. - Grâce à la ristourne. La vérité était que tout était donné en prime. On remboursait à l'exportation tout ce qu'on avait perçu sur une quantité de beaucoup inférieure à la quantité obtenue au raffinage, et les excédants servaient à alimenter la consommation intérieure. L'impôt était perçu par les fabricants. Je ne dis pas que ceux-ci s'enrichissaient. Par suite du vice de la législation des divers pays, le même fait se reproduisait partout. On donnait des primes analogues, et ces primes servaient aux fabricants à faire la concurrence sur les marchés étrangers aux produits des autres pays.

Le vice était donc manifeste en 1836.

On y chercha un remède. En 1838, on eut recours à une certaine forme du minimum. On décida que l'on n'accorderait l'apurement des comptes à l'exportation que jusqu'à concurrence des 9/10 des prises en charge. En d'autres termes, on voulait que le dixième du sucre importé servît à la consommation et acquittât l'impôt. On espérait un revenu d'un million, à cette époque, et l'on s'en contentait. Eh bien, après peu de temps, l'attente fut trompée. Bientôt la fabrication du sucre indigène vint compliquer la situation, et après les efforts tentés en 1843 et en 1846 pour concilier les intérêts du trésor avec ceux des fabricants, on n'était arrivé encore qu'à des résultats tout à fait imparfaits ; car la recette, qui avait pu atteindre un moment, en 1844, jusqu'à 3,500,000 francs, tombait en 1817 à 1,500,000 francs.

La loi du 13 juin 1849 a institué un minimum de recette fixé à 3,500,000 fr., et une loi du 15 mars 1856 l'éleva à 4,500,000 fr., en introduisant dans la législation quelques modifications propres à mieux assurer la perception de l'impôt.

En fixant l'impôt d'abord, en l'élevant ensuite, on le mettait en rapport avec la consommation. C’est ce que l'on fit encore en portant le minimum à 5,200,000 fr., puis à 6 millions en 1861 ; il était toujours en rapport avec la consommation.

Le système du minimum a été critiqué comme devant nécessairement paralyser l'industrie dans sa marche normale, comme étant de nature à 'empêcher de faire des marchés réguliers.

Le minimum a eu, pour le trésor, les plus heureux effets, comme le constate aujourd'hui une expérience de 15 années. Sauf un déficit de 400 à 500 mille francs en 1850 et 1851, les recettes ont constamment atteint ou dépassé le chiffre fixé par la loi, et cela jusqu'au troisième trimestre de 1864. Cette expérience de 15 années, au point de vue du trésor, est concluante, après tout ce qui s'était passé depuis 1830.

Mais il y a plus, messieurs ; on ne saurait contester, la statistique le démontre trop évidemment, que c'est sous le régime du minimum que le commerce et l'industrie des sucres ont atteint le plus haut degré de prospérité, tout en laissant au trésor un revenu plus élevé que tous ceux qui avaient été obtenus antérieurement. Pendant les 18 années qui ont précédé le système du minimum, la moyenne des quantités de sucre exportées n'a pas dépassé 7,800,000 kil., tandis que la recette annuelle restait inférieure à 1,600,000 fr. Pendant la période décennale qui a suivi la création du minimum, l'exportation s'est élevée à plus de 20 millions de kil. et la recette à plus de 4 millions. Enfin, de 1861 à 1863, l'exportation du sucre raffiné et du sucre brut de betterave atteint le chiffre de 80 millions de kilogrammes, soit près de 27 millions par an, et le trésor perçoit 6 millions de francs.

Le nombre des fabriques de sucre de betterave, qui était de 24 en 1849, est aujourd'hui de 54.

Ainsi le minimum, qui a garanti les intérêts du trésor, n'a arrêté ni l'élan du commerce, ni les progrès de l'industrie.

A la vérité, messieurs, à partir de la fn de 1864 il y a eu crise, et cette crise existe encore à un certain degré ; mais elle résulte de ce que les excédants ou les quantités indemnes de droit ont dépassé momentanément les besoins de la consommation ; les dispositions du projet de la loi sont précisément destinées à prévenir cet inconvénient. Vous comprenez, messieurs, que si, d'une part, les fabricants obtenaient un rendement supérieur à la prise en charge et que si, d'un autre côté, les raffineurs obtenaient aussi un excédant, ces excédants seraient appliqués à la consommation et arriveraient ainsi à troubler l'équilibre de la loi.

Il importe donc de se bien rendre compte des motifs qu'il y a de maintenir ce minimum de recette, et de déclarer qu'au-delà de certain chiffre nous ne restituerons plus à l'exportation, ou bien que nous ne rembourserons qu'une somme inférieure à celle qui est déterminée pour des circonstances normales.

Le minimum n'est pas d'ailleurs fixé d'une manière arbitraire ; il est établi non pas suivant une consommation idéale, purement imaginaire, mais d'après les faits constatés, et pour la consommation la moins élevée possible.

Voici, messieurs, comment on opère. Nous disons qu'il y a des excédants et ils sont notables ; eh bien, nous n'en tiendrons pas compte.

Mais il y a des faits que nous connaissons avec certitude ; ce sont les quantités soit de sucre brut étranger importées dans le pays, soit de sucre indigène déclarées en consommation. Voilà des faiis que nous connaissons parfaitement. J'élimine tout ce qui pourrait donner lieu à discussion, comme les excédants, par exemple, et je ne tiens compte que des importations constatées et des mises en consommation déclarées.

Nous connaissons également les quantités de sucre raffiné qui sont exportées ou déposées en entrepôt avec décharge de l'accise. La différence, entre ces deux éléments constitue, non pas la consommation vraie, mais la consommation légale, c'est-à-dire la moins élevée possible, parce que, pour avoir la consommation réelle, qui est certainement plus considérable, il faudrait connaître les excédants, ce qui est précisément contesté. Mais si les excédants sont éliminés, nous avons alors des faits positifs, certains, irrécusables.

Or, messieurs, il est établi à toute évidence, par une moyenne calculée sur plusieurs années (1857-1858 à 1859-1860), que la différence entre les quantités déclarées en consommation et les quantités exportées, est de 16,860,000 kil., chiffre qui correspond au minimum de 6 millions de francs. Voilà la base positive sur laquelle ce minimum est établi. On a dit, après ces faits constatés, que si l'on n'obtenait pas ces 6 millions, c'est qu'il y avait une prime beaucoup trop forte et qu'il fallait arrêter cette prime. On l'arrête, en diminuant la restitution d'abord et en la supprimant totalement ensuite, si cela devient nécessaire.

Mais, nous dit-on, à l'aide de votre convention, vous allez faire en sorte qu'il n'y ait plus de prime : d'une part, pour les fabriques de sucre, vous élevez le rendement à 1,500 grammes et, d'autre part, toujours d'après la convention, l'on doit faire des expériences pour déterminer quel est le rendement réel des sucres au raffinage.

D'abord, messieurs, la convention stipule que c'est dans le courant de l'année que ces expériences seront faites pour déterminer le rendement au raffinage, et ainsi, en toute hypothèse, quant à présent, il n'y a pas lieu de supprimer ce minimum.

Mais, abstraction faite de cette considération, il faut bien avouer que, quoi qu'on fasse, il sera impossible de supprimer les primes d'une manière absolue. On peut bien les réduire, mais on ne parviendra pas à les supprimer complètement. D'abord, en ce qui concerne l'abonnement des fabriques de sucre de betterave, la fixation d'un rendement de 1,500 grammes n'aura pas pour résultat de faire disparaître à tout jamais les primes ; il y a des années où l’on obtient beaucoup plus que la prise en charge telle qu'elle est déterminée à forfait, et par conséquent, pour ces années-là, il y aura des excédants qui compromettraient le revenu du trésor.

Il en sera toujours de même en ce qui concerne le raffinage. S'il s'agissait uniquement d'opérer sur deux ou trois qualités de sucre pour connaître le rendement réel, on pourrait espérer d'arriver à un résultat assez satisfaisant. Mais, messieurs, songez qu'il faudrait opérer sur 123 qualités de sucre pour déterminer ce rendement, et par conséquent on ne constaterait qu'un rendement moyen, et dès lors il restera la possibilité d'obtenir encore une prime à l'aide de certaines combinaisons.

Donc, il y aura toujours nécessité de maintenir le minimum. Il le faut ici surtout, parce que nous sommes dans une situation tout à fait exceptionnelle. En Angleterre, l'exportation est très peu importante par rapport à la consommation intérieure. Il n'y a pas là de fabriques de sucre de betterave. En France, l'exportation représente à peu près le tiers de la consommation ; la fabrication du sucre indigène n'entre que pour un tiers dans l'approvisionnement du marché. Dans le royaume des Pays-Bas, l'exportation est trois fois plus forte que la consommation, mais on n'y compte qu'un petit nombre de fabriques de sucre indigène. En Belgique, l'exploitation dépasse la consommation, et la fabrication du sucre indigène y est relativement trois fois plus forte qu'en France, elle suffirait à elle seule pour alimenter la consommation intérieure. Vous comprenez, messieurs, que dans cette situation l'avantage réservé aux (page 704) fabricants aurait pour résultat de compromettre, dans une très forte proportion, les revenus du trésor. De là, la nécessité de maintenir le minimum. La Hollande, il est vrai, l'a supprimé, mais à des conditions que ne voudraient pas accepter nos fabricants de sucre. Par conséquent, le minimum tel que nous le maintenons, tel qu'il est modifié et singulièrement adouci par le projet de loi, n'est pas de nature à nuire à nos industriels, l'expérience du passé est là pour nous rassurer complètement à cet égard.

Après 15 années d'expérience nous pouvons donc constater que le minimum tel qu'il a été organisé n'a eu pour effet de nuire en aucune façon à l'industrie des sucres. Il n'a empêché ni le développement du commerce, ni celui de l'industrie.

Je crois, messieurs, pouvoir m'arrêter ici-. Je pense avoir justifié suffisamment les diverses dispositions de la convention qui est soumise à votre approbation et les dispositions du projet de loi qui l'accompagne.

Je n'insiste pas davantage sur cette question du minimum, bien que je puisse fournir encore des arguments très péremptoires en faveur du chiffre si minime de six millons. Si la discussion continuait, si l'on insistait pour la suppression de ce minimum, j'aurais à fournir de nouvelles justifications à la Chambre.

M. Dumortier. - Messieurs, j'ai suivi avec la plus grande attention le discours de l'honorable ministre des finances que vous venez d'entendre, et je dois le dire, malgré toutes les subtilités de langage de l'honorable membre, malgré toute l'éloquence qu'il y a mise, son discours n'a en rien modifié ma conviction.

Je crois, messieurs, pouvoir vous démontrer que l'honorable ministre s'est tenu constamment à côté de la question pour mieux me combattre. Il prend un côté de la question, il vous le représente avec le talent que vous lui connaissez et il en tire les conséquences qui lui conviennent.

Quant à moi ce n'est pas ainsi que je procède. Quand je traite une question je l'envisage par ses côtés sérieux et fondamentaux.

Je crois, en agissant ainsi, pouvoir arriver à des conséquences tout à fait opposées à celles auxquelles est arrivé l'honorable ministre des finances.

D'abord l'honorable ministre a commencé par invoquer une première pièce envoyée à la Chambre par quelques fabricants de sucre et je lui demande pardon de l'avoir prié de vouloir bien en continuer la lecture jusqu'au bout, mais vous avez pu entendre par cette continuation de lecture que les pétitionnaires, qui étaient très peu nombreux, du reste, et qui étaient loin de représenter les fabricants de sucre dans leur ensemble, au lieu d'accepter la convention, déclaraient que l'élévation de la prise en charge aurait été pour eux très fréquemment l'objet d'une perte considérable.

N'est-ce pas là ce que j'avais dit ? N'est-ce pas là ce que les fabricants de sucre ont tous déclaré dans leur dernière pétition ? Veuillez jeter les yeux sur cette pièce. Ce n'est plus, cette fois, une réclamation de quelques individus, ce sont tous les intéressés réunis, délibérant sur leurs intérêts, qui vous adressent leur demande.

Eh bien, que lisez-vous dans ces demandes ? Y trouvez-vous la démonstration que la convention soit pour eux une chose si merveilleusement bienfaisante ?

Point du tout ! Ils vous disent dans leur pétition qu'ils n'approuvent point l'élévation de la prise en charge qui sera pour eux une source de pertes considérables, mais qu'ils acceptent la convention dans ses autres dispositions.

Voici, messieurs, leurs propres paroles et je prie la Chambre de vouloir bien y prêter attention, car c'est la plus belle réponse qu'il soit possible de faire à cette partie du discours de l'honorable ministre des finances.

« Nous soussignés fabricants de sucre de betteraves indigène, ayant appris que notre appréciation du projet de loi en discussion a été interprété contrairement à nos intentions... » - C'est ce que vient de faire encore M. le ministre des finances. - « ... prenons la respectueuse liberté de vous exposer de nouveau nos vues à cet égard.

« Nous n'approuvons pas la convention internationale en ce qui concerne le forfait qui servira de base à la prise en charge. »

Vous voyez, messieurs, qu'ayant à s'opposer à une fausse interprétation de leur demande, ils disent précisément le contraire de ce que l'honorable ministre des finances vient de leur faire dire.

Avais-je raison de vous dire que l’honorable ministre prenait un côté de la question, qu'il l’habillait admirablement et qu'il en tirait des conséquences tout à fait opposées à celles qu'il devait en tirer ?

« Nous sommes convaincus, ajoutent-ils, que cette élévation du chiffre du forfait sera pour beaucoup d'entre nous, le plus souvent, l'occasion de pertes considérables. »

Ainsi donc, qu'on ne vienne pas nous dire que les intéressés approuvent la convention.

Du reste, je trouve la confirmation de ce qu'affirment les pétitionnaires dans ce que vient de vous dire l'honorable ministre des finances. Il ne faut pas sortir des exemples qu'il a donnés pour être convaincu que ce sera fréquemment pour eux l'occasion de pertes considérables.

En Belgique, dit M. le ministre des finances, les fabriques ne sont pas soumises à l'exercice, mais nous avons cependant dans le rayon des douanes des fabriques, dont nous pouvons contrôler les produits, parce que rien ne peut en sortir sans qu'il y ait un document de douane constatant la sortie, et je vais vous prouver par des documents irrécusables que le chiffre de 1,500 grammes peut être admis et qu'il est au-dessous de la moyenne générale.

Il y a, dit-il, dans cinq fabriques comprises dans le rayon des douanes des excédants constatés qui ont produit un chiffre de 1,513 grammes.

Comment ! c'est là votre démonstration si évidente ?

Mais il y a dans le rayon des douanes plus de 30 fabriques. Vous allez en choisir 5 qui ont travaillé dans les meilleures conditions et avec le plus de bonheur, et vous les donnez comme exemple et comme conclusion de ce qui intéresse plus de 100 fabriques qui existent en Belgique, et encore comptez-vous comme sucre, pour arriver à ce chiffre, les bas produits dont vous refusez l'exportation.

Encore une fois c'est prendre un côté exceptionnel de la question, le généraliser et en tirer des conséquences contraires à la vérité.

Quant à moi, voici les conséquences que j'en lire.

Si sur 30 fabriques qui se trouvent dans le rayon des douanes, M. le ministre des finances n'a pu en trouver que 5 qui ont produit dans les bonnes années au -delà de 1,500 grammes, j'en tire la conclusion qu'il est impossible d'arriver à ce rendement et que 1,500 grammes est le résultat de circonstances et d'un outillage tout à fait exceptionnels.

C'est en généralisant ces résultats, qui prouvent ici la faiblesse de votre thèse, que vous arrivez à des chiffres que la plupart des fabricants ne pourraient atteindre.

Je crois que c'est là une démonstration de l'inanité de l'argumentation de l'honorable ministre des finances et du préjudice qu'il va causer à l'industrie.

Ce matin je voyageais avec les intéressés du district de Mons.

Eh bien, savez-vous ce qui s'y produit ? C'est qu'en vue du projet de loi de M. le ministre des finances, des industriels font des offres pour revendre les betteraves pour lesquelles ils avaient contractés, bien convaincus qu'ils ne pourraient continuer à travailler dans les conditions nouvelles qu'on voudrait leur imposer.

Voilà ce qui m'a été affirmé ce matin, et je pourrais citer les personnes.

La chose est bien simple. La production du sucre dérive de deux choses : de la température et du sol. Or, il est évident et on s'est bien gardé de toucher à cet argument, il est évident que 100 fabriques, situées dans le sol d'alluvion du département du Nord, ont dû refuser la prise en charge à 1,425 grammes.

Que nous dit M. le ministre à cet égard ? Que les fabriques n'ont pas voulu s'abonner parce qu'elles ne pouvaient pas exporter.

Erreur ! lisez l'enquête : les fabricants de sucre du département du Nord déclarent, je vous lirai les documents si vous y tenez, je les ai sous la main, les fabricants du département du Nord déclarent qu'ils n'ont jamais pu arriver à une moyenne de 1,422 grammes dont il faut déduire et les 5 p. c. de sucre restés dans la mélasse et les 10 p. c. bonifiés.

De manière que la production réelle n'est que de 1,370 grammes. Et c'est en présence de pareils faits, lorsque nos fabriques sont situées dans les mêmes sols, qu'on voudra leur faire produire 1,500 grammes, mais cela est éminemment déraisonnable.

Oµ étaient donc situées les fabriques qui donnaient 1,500 grammes ? Je vais vous le dire : elles sont situées dans les départements de l'Oise, de l'Aisne, du Pas-de-Calais, de la Marne, de la Seine-Inférieure. Ces départements ont donné les excédants suivants : Oise, 5.40 p. c., Aisne 4.70 p. c., Pas-de-Calais 7.30 p. c., Marne 3.20 p. c., Puy-de-Dôme 3 p. c., Seine-Inférieure 4.50 p. c.

(page 705) Mais le sol de l'Oise, de l'Aisne, du Pas-de-Calais, situé sur la craie, ne peuvent être comparés au sol de notre pays. Ne généralisons donc pas des choses dissemblables. En généralisant comme vous le faites, vous arrivez à des moyennes fabuleuses, mais vous n'êtes plus dans la vérité.

Il faut savoir distinguer et tenir compte des circonstances. Vous nous dites qu'en Hollande la prise en charge est de 1,500 grammes. D'accord, mais en Hollande les fabriques travaillent les betteraves des polders qui donnent un degré de densité de plus que celles de notre pays. Généraliser les faits comme vous le faites, c'est travailler contre l'industrie nationale, en faveur de l'étranger. Toute votre erreur est de comparer et de confondre des pays qui se trouvent dans des conditions différentes et qui n'ont entre eux aucune espèce d'analogie.

Parce qu'il existera en Belgique quelques filons d'or et d'argent, irez-vous vous imaginer que vous possédez tout l'argent du Potosi et tout l'or de la Californie ? Il faut distinguer les situations et non les confondre comme on l'a fait pour combler le déficit du minimum.

MfFOµ. - La densité du jus est plus considérable en Belgique qu'en France.

M. Dumortier. - La densité du jus est plus considérable, c'est pour cela qu'on a moins d'excédant ; il arrive des années où la production du sucre n'est pas proportionnelle à la densité ; la densité ne provient pas seulement des matières saccharines, mats de bien d'autres ; des matières gommo-résineuses.

C'est pour cela que sur la craie ou dans les polders, on arrive dans ces départements à des excédants considérables, qni n'ont rien d'analogue avec notre sol d'alluvion.

Il reste un fait que l'honorable ministre des finances n'a pas rencontré et qu'il ne réfutera pas, c'est que les 160 fabriques du département du Nord ont été unanimes à refuser la prise en charge de 1,425 grammes parce qu'elles ne pouvaient pas atteindre ce résultat. S'ils ne peuvent l'obtenir, comment se ferait-il donc que nous puissions atteindre ici 1,500 grammes ?

Les grands avantages qui résulteraient, d'après vous, de la convention n'existent pas et l'augmentation de prise en charge n'aura qu'un résultat, celui de sacrifier l'industrie de la betterave.

Et d'abord pourquoi cette augmentation de prise en charge, quand la production arrivera à 25 millions ? Est-ce qu'il existe le moindre rapport entre la production et la prise en charge ? Quand on fait en Belgique 100,000 tonnes de bière de plus, augmente-t-on pour cela l'impôt ? Pourquoi donc porter la prise en charge à 1,500 grammes ? Parce que l'on sait qu'on arrivera à un produit de 25 millions.

M. le ministre des finances commet une autre erreur.

Les 1,500 grammes, dit-il, doivent être produits en n°12 ; l'erreur de l'honorable M. Dumortier, c’est de ne pas comprendre que le type est le n°12.

Je comprends fort bien M. le ministre des finances ; le n°12 en Belgique étant une qualité fortement mélangée de mélasse, qui contient 6 p. c. de mélasse, vous augmentez nécessairement la prise en charge en raison de l'abaissement du numéro. Ah ! certainement, si vous preniez du n°8, vous arriveriez facilement à 1,500 grammes, attendu qu'il y a là environ ceut grammes de mélasse.

Messieurs, il règne dans tout ceci une confusion complète entre deux choses essentiellement distinctes : entre le type de la prise en charge et la base de l’impôt.

Et en effet, l'impôt sur le sucre est un impôt de consommation et le type de cet impôt doit être nécessairement la matière consommable. Or, votre sucren n°12 n'est pas consommable. Il est tellement mélangé de mélasse qu'il doit nécessairement être raffiné ; dès lors en imposant le n°12 vous imposez la partie consommable mélangée de 6 p. c. de mélasse.

Mais je m'étonne que vous ne preniez pas aussi bien le numéro 10, vous pourriez alors élever votre prise en charge à 1,600 grammes ; vous pourriez même l'élever à 1,700 grammes, en adoptant le numéro 8.

En réalité donc, messieurs, vous imposez la mélasse en même temps que le sucre en prenant pour base de l'impôt le type numéro 12. Or, la mélasse est une denrée tellement repoussante qu'il faut en extraire le sucre pour le rendre mangeable, on invoque le contraire.

Lisez la convention. Que porte l'article 16 ?

« Le droit à percevoir dans les fabriques de sucre abonnées sera un droit auquel seront soumis les sucres exotiques n°10 à 14. »

Eh bien, de quoi s'agit-il ? Evidemment du droit de consommation et non de la prise en charge. C’est donc confondre deux choses essentiellement distinctes que de confondre le type avec le droit. Le type, c’est le sucre consommable ; eh bien, il est évident qu'en fait de sucre consommable aucun fabricant en Belgique ne pourra jamais arrivera produire 1,500 grammes de sucre consommable, et si nos commissaires n'ont pas compris cela, ils se sont grandement trompés.

Et pourquoi sont-ils arrivés à proposer l'élévation de la prise en charge ! Uniquement pour assurer au trésor un minimum de recette. On a constaté que chaque année il y avait un déficit de 600,000 francs et voici le raisonnement que l'on a tenu : la prise en charge proposée nous assurera 795,000 francs de plus qu'auparavant et comme nous avons un déficit de 600,000 francs, nous parvenons ainsi largement à le combler.

Je le crois bien et j'ajoute qu'il ne faut pas être très malin pour trouver une pareille augmentation d'impôt : c'est tout bonnement plonger dans la poche de quelques industriels pour y puiser l'argent qui vous manque. Mais pourquoi donc n'établissez-vous pas aussi un pareil impôt de capitation sur les fabricants de bière, de lin, etc. ? Vous ne le faites pas et vous prouvez suffisamment par là que ce n'est pas une bonne base d'impôt.

Savez-vous, messieurs, ce qu'on vous demande de sanctionner ? Pour arriver au minimum de six millions, on vous propose d'établir un impôt forcé de 1,800,000 francs sur les sucreries de bettaraves. Mais au moyen de quoi espère-t-on arriver à ce minimum ? Franchement, messieurs, ce n'est pas par un moyen marqué au coin d'une loyauté parfaite. Le droit qui était de 45 francs se trouve porté à fr. 48-50, mais comme d'une autre part vous ne restituez à la sortie que 45 francs et que vous laissez entrer les sucres étrangers au même taux de 45 francs, voilà donc une perte nette de fr. 3-15 par 100 kilos pour nos fabricants, soit plus de 800,000 qu'ils ne pourront jamais récupérer.

Ce moyen de vous assurer votre minimum est donc mauvais, et mieux vaudrait frapper ouvertement toutes nos sucreries d'un impôt direct ; celui-ci du moins aurait pour lui l'avantage de la franchise. Et cette perte de 800,000 francs, messieurs, n'est pas la seule qu'on vous convie à faire subir à nos fabricants de sucre.

Les sucres au dessous de n°12 n'obtiendront la restitution que de 43 francs tandis que d'après l'article 2 du projet tous les sucres devront payer un droit de 45 fr. Voilà donc encore une perte de 2 francs par cent kilos. Et quant aux sucres exotiques au-dessous du n°8, ils entreront chez nous au droit de fr. 40-50, c'est-à-dire à fr. 4-50 de moins que nos sucres indigènes.

Voyons maintenant les résultats de ces différences. Nous avons une fabrication de 25 millions de kilos, comprenant des sucres de premier, de second et de troisième jet ; donc huit millions de chaque qualité.

Sur les huit premiers millions on rembourse 45 francs, sur les seconds 43 seulement, soit 160,000 francs de perte ; sur les huit autres millions il y a fr. 4-50 de perte, soit 400,000 francs. - Voilà donc 560,000 fr. qui, ajoutés à 800,000 fr. donnent 1,360,000 francs de perte pour nos fabricants. Ces 1,300,000 francs, vous les prenez sans les restituer ; vous conjuguez le verbe prendre, mais vous ne voulez pas entendre parler du verbe rendre. Et vous viendrez encore, en présence de pareils résultats, prétendre que vous servez leurs intérêts ! Quoi ! non content de les mettre dans l’impossibilité de soutenir la concurrence de l'étranger, vous leur faites inutilement subir une perte sèche de 1,360,000 fr. et vous viendrez nous dire que c'est dans leur plus grand intérêt que vous nous conviez à ratifier la convention ! Eh bien, moi je déclare que jamais, dans aucun pays, on n'a présenté au Parlement une mesure aussi désastreuse que celle dont nous nous occupons en ce moment.

Maintenant, veuillez-le remarquer, messieurs, c'est une industrie immense que vous frappez ; il y a en Belgique cent fabriques de sucre et ces cent fabriques font valoir une foule d'industries ; par exemple l'industrie des houilles. Il est reconnu que pour obtenir un kilogramme de sucre, il faut consommer 5 kil. de houille : ainsi, pour obtenir les 25 millions de sucre, il faut consommer 125 millions de kilogr. de houille, c'est-à-dire 125,000 tonnes de houille. Or, dans un moment où nos houillères ont un si grand besoin de débouchés, nous allons frapper une industrie qui est leur principal aliment, qui consomme chaque année 125 millions de kilogrammes de houille. Je dis que c’est là un mauvais calcul de la part du gouvernement. Est-il convenable, raisonnable de venir proposer une mesur esi désastreuse, précisément au moment où les houillères du couchant de Mons, qui ont perdu une partie de leurs débouchés en France, devraient en obtenir de nouveaux ?

Ce n'est pas le seul avantage que prouve l'industrie de la betterave. N'est-il pas connu de vous tous que ce n'est pas seulement le fabricant de sucre de betteraves qui profite de cette industrie ? C'est encore le (page 706) propriétaire, dont la valeur du sol augmente ; c'est le fermier qui paye volontiers un fermage plus élevé, à cause des bénéfices qu'il réalise sur la culture de la betterave ; ce sont de nombreux ouvriers qui vivent très heureux pendant l'hiver, grâce à cette industrie ; ce sont enfin toutes sortes d'industries qui viennent apporter leur contingent à cette fabrication. Et c'est une industrie qui produit chaque année un capital de 40 à 50 millions de francs, qu'on ne craint pas de frapper ; c'est sur une pareille industrie qu'on vient prélever un impôt direct et forcé de 1,360,000 francs !

Je me rappelle encore un avantage que procure la culture de la betterave. Les déchets servent à la nourriture du bétail, et il en résulte dès lors un engrais pour les terres. Il n'y a pas d'industrie au monde qui ait transformé, amélioré l'agriculture, comme l'industrie du sucre de betteraves ; il n'y en pas une qui mérite plus votre sollicitude et qui soit cependant frappée davantage par le projet de loi qui est soumis à nos délibérations.

Parlant des tarifs comparés, j'ai dit, M. le minis fre des finances, dans une séance précédente : Vous êtes partisan du libre échange, des principes de l'économie politique ; eh bien appliquez ces principes à l'industrie du sucre indigène. Cette industrie a déjà été frappée le jour où vous avez assimilé le sucre de canne, où tout est consommable, au sucre de betterave dans lequel une bonne partie n'est pas consommable. Mais soit ; les fabricants de sucre de betteraves acceptent le libre échange ; mais ce qu'ils n'acceptent pas, c'est le libre échange renversé, ce sont les primes accordées au sucre exotique contre l'industrie nationale.

Que répond à cela M. le ministre des finances ? Voici sa réponse : « On fait une confusion à peine croyable. Il n'y a pas d'analogie entre l'entrée et la sortie ; à l'entrée il s'agit d'un impôt qu'on paye à l'Etat ; à la sortie il s'agit d'une somme qu'on veut puiser dans le trésor public. »

M. le ministre des finances a-t-ii donc perdu de vue la convention ? A-t-il perdu de vue les catégories qu'elle établit. (Interruption.)

M. le ministre des finances se place ici à côté de la question ; il dit : « Les fabricants demandent à exporter tous leurs sucres à 45 francs .» Les fabricants ne demandent pas cela ; ils demandent qu'on établisse la même échelle à la sortie qu'à l'entrée ; ils demandent l'égalité parfaite de condition, que vous déclarez devoir résulter de la convention : « Appliquez-nous, disent-ils, à la charge, le même tarif qu'à la prise en charge. » Qu'y a-t-il à répondre à cela ?

MfFOµ. - Le n°10, c'est de la mélasse.

M. Dumortier. - Messieurs, je regrette de devoir le dire, M. le ministre des finances a deux langages, selon qu'il s'agit de la prise en charge ou de l'exportation. M. le ministre des finances dit que le n°10, ce n'est que de la mélasse, et moi j ai dit qu'il y a dans le n°10 de la mélasse. Donc, aux yeux de M. le ministre des finances, quand il s'agit de l'exportation, le n°10 c'est de la mélasse ; quand il s’agit de la prise en charge, c'est du sucre.

Adoptez, si vousvoulez, l'une ou l'autre des deux situations ; que ce soit seulement du sucre, ou que ce soit seulement de la mélasse ; mais il n'est pas permis de dire que le n°10, c'est de la mélasse quand il s'agit de l'exportation, et que c'est du sucre quand il s'agit de la prise en charge.

Dans le dernier cas, M. le ministre des finances prend tout, le bon, le médiocre, le détestable, la mélasse, la boue, pour arriver à ses 1,500 grammes ; là-dessus, M. le ministre des finances n'ôte absolument rien ; tout alors est sucre ; et de là il conclut qu'on peut obtenir les 1,500 grammes ; s'il s'agit, au contraire, de l'exportation, c'est de la mélasse, de la boue ; « nous voulons, dit-il, faire sortir de la mélasse. »

Mais si c'est de la mélasse, pourquoi la comptez-vous comme sucre pour la prise en charge ? et pourquoi la regardez-vous comme de la boue quand il s'agit de l'exportation ?

M. le ministre des finances est libre échangiste ; il est partisan des principes de l'économie politique ; il est l'adversaire du système prohibitif ; comment peut-il dès lors établir la prohibition du sucre indigène à la sortie ? qu'il se mette donc d'accord avec ses principes en déclarant l'exportation libre ; il dit qu'il ne veut de prohibition pour rien, et il met ces principes de côté, dès qu'il s'agit de l'industrie du sucre indigène. Ce n'est pas être logique.

Vous dites dans la note explicative annexée à l'article 2 du projet de loi que les droits d'accise ci contre remplacent le droit actuel de 45 francs ; qu'ils sont à quelques centimes près, en corrélation exacte, avec les rendements énoncés à l'article premier de la convention internationale.

Mais, si les droits d'accise établis par le projet de loi soit en corrélation exacte avec l'article premier de la convention, je demande pourquoi on refuse de les appliquer à l'exportation ; je ne comprends pas cette logique.

Mais encore une fois, ce n'est pas là de la loyauté la plus parfaite, Puisque vous avez parlé de loyauté parfaite, permettez-moi de vous dire que ce n'est pas là de la loyauté parfaite. Si votre tarif de l'article 2 est exactement basé sur l'article 2 de la conveation, du moment que vous laissez sortir tous les produits de la raffinerie en raison de la convention, de même vous devez laisser sortir tous les sucres bruts et tous les produits de la fabrication du sucre en raison de la même convention, ou vous cessez d'être logique et vous établissez un impôt sur les fabriques de sucre. Je dis que si vous ne le faites pas, vous avez constitué un système de primes en faveur de l'étranger contre l'industrie nationale. Ce sont des primes ; car lorsque le fabricant aura payé pour sa prise en charge, et quelles que soient les qualités, 45 fr., que ce droit sera encore augmenté de l'élévation d'un hectogramme par 100 kilogrammes, je dis que vous aurez donné une prime à l'industrie étrangère contre l'industrie nationale, et que ceux qui sont contraires au régime des primes, qui les combattent en toute chose lorsqu'elles sont établies dans l'intérêt de l'industrie nationale, doivent à plus forte raison les combattre lorsqu'elles sont présentées au détriment de l'industrie nationale, en faveur de l'étranger, pour combattre l'industrie nationale.

L'explication qui est donnée à l'article 8 démontre à la dernière évidence qu'on n'a aucune objection sérieuse à présenter à l'application de la décharge de l'échelle de la prise en charge.

Messieurs, je dirai seulement quelques mots au sujet du minimum.

Je crois que ce minimum est une mauvaise mesure. J'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, il n'a aucun analogue dans aucune espèce d'impôt. M. le ministre des finances nous a fait un exposé et ce qu'il nous a dit à cet égard est très juste.

Mais il a prétendu que le minimum avait produit le meilleur effet. Je me permets de ne pas être de cet avis, à moins que le meilleur effet du minimum n'ait été de faire fermer les raffineries.

Lorsque j'examine ce qui s'est passé pour les raffineries travaillant pour l'exportation, je vois qu'elles sont toutes fermées, qu'elles ne raffinent plus. Voilà les meilleurs effets du système du minimum.

Eh bien, un système qui a pour résultat de faire fermer les établissements d'industrie, est un système très mauvais et qui doit cesser. Le sucre doit rapporter comme la bière, comme les eaux-de-vie, comme les alcools, comme toutes les denrées frappées de l'accise.

Mais vous ne devez pas lui dire : Vous rapporterez cette somme, pas plus que vous ne devez dire aux brasseries : Vous rapporterez 15 millions par an, pas plus que vous ne dites aux distilleries et aux autres industries : Vous rapporterez telle somme.

Il faut en convenir, messieurs, c'est là un système fort mauvais. On pouvait, à la rigueur, le concevoir, lorsque l'impôt rapportait peu, lorsqu'il ne donnait qu'un million, et même deux millions.

Mais aujourd'hui, il est essentiellement déraisonnable et il ne peut être continué.

Je crois que le minimum doit être supprimé et qu'il faut, comme on vient de le faire en Hollande, admettre pour l'impôt sur le sucre les mêmes bases que pour tous les autres impôts.

Mon honorable ami, M. Jacobs, vous a d'ailleurs présenté à cet égard uue observation tellement saillante, qu'on se gardera bien d'y répondre.

Il vous a dit : Par votre système du minimum, par votre diminution du rendement lorsque lorsque votre minimum n'est pas atteint, vous annulez la convention tout entière. Il n'en reste plus rien. Ce n'est plus là l'équilibre entre les diverses nations qui travaillent le sucre. Cela est parfaitement juste, et à cela l'on n'a pas répondu, car vous brisez l'échelle, d'exportation. Ainsi ce système est condamné et doit disparaître.

Je pense donc que la loi telle qu'elle est, loin d'être faite dans l'intérêt de l'industrie, est tout à fait contraire à l'industrie nationale. M. le ministre des finances a parlé deux fois d'exagération et je puis lui renvoyer le compliment ; j'espère qu'il ne le trouvera pas mauvais. Je dis que c'est une véritable exagération que de donner cinq établissements comme ayant produit au-delà de 1,500 grammes et de vouloir prétendre que tous les autres établissements doivent produire au-delà de 1,500 grammes.

Je dis que c’est un second système d’exagération, que de vouloir établir de sprimes en faveur de l’étranger contre l’industrie indigène et j’espère que la Chambre ne consentira jamais à adopter des chiffres différents pour l’entrée et pour la sortie.

Je dis enfin que, quant au minimum, c’est un système nouveau d’exagération de prétendre que le minimum a été un grand bienfait pour l’industrie puisque ce résultat a été de faire fermer toutes les raffineries de sucre en pain.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.