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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 3 mai 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 861) M. de Florisone, secrétaire, procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présents l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des industriels, commerçants et propriétaires à Rossignol demander que le chemin de grande communication de la station de Morbehan vers Florenville soit déclaré route de l'Etat. »

M. Bouvierµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière, de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le conseil communal de Saint-Mard prie la Chambre d'accorder un minimum d'intérêt aux concessionnaire, d'un chemin de fer passant par Virton. »

M. Bouvierµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics. je dirai en même temps à M. le ministre des travaux publics qu'à l'occasion de ce projet de loi, je l'interpellerai sur le point de savoir s'il nous donnera autre chose que des promesses en ce qui concerne le chemin de fer demandé par l’arrondissement de Virton.

- La proposition de M. Bouvier est mise aux voix et adoptée.


« Le conseil communal de Seneffe prie la Chambre d'accorder aux sieurs Lemmens et Moucheron la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Mariemont avec embranchement sur Pont-à-Celles et prolongement au nord vers Saint-Nicolas. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.


« Le conseil communal de Hasselt déclare adhérer à la pétition des habitants et de l'administration communale de Diest, en faveur d'un canal. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Latour demande la garantie d'un minimum d'intérêt pour la construction d'un chemin de fer d'Arlon à la frontière française par Virton. »

M. Bouvierµ. - Messieurs, cette pétition vous arrive encore de l'arrondissement de Virton. Vous en recevrez p'us d'une ; car tout l'arrondissement réclame la construction du chemin de fer qui doit le rattacher au réseau général. Je demande le renvoi de la pétition à la section centrale du projet de loi de travaux publics, et je prie M. le ministre des travaux publics de vouloir bien prêter ma sérieuse attention à ce grand nombre de pétitions.

- La proposition de M. Bouvier est adoptée.


« M. Snoy, obligé de s'absenter, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. de Ruddere, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Composition des bureaux des sections

Première section

Président : M. de Naeyer

Vice-président : M. Hayez

Secrétaire : M. Van Hoorde

Rapporteur de pétitions : M. de Borchgrave


Deuxième section

Président : M. Lebeau

Vice-président : M. Mouton

Secrétaire : M. T’Serstevens

Rapporteur de pétitions : M. Bouvier-Evenepoel


Troisième section

Président : M. Van Iseghem

Vice-président : M. Le Hardy de Beaulieu

Secrétaire : M. de Florisone

Rapporteur de pétitions : M. de Rongé


Quatrième section

Président : M. de Kerchove

Vice-président : M. Magherman

Secrétaire : M. Dupont

Rapporteur de pétitions : M. Vleminckx


Cinquième section

Président : M. J. Jouret

Vice-président : M. Vander Donckt

Secrétaire : M. Thonissen

Rapporteur de pétitions : M. Funck


Sixième section

Président : M. Muller

Vice-président : M. Julliot

Secrétaire : M. Braconier

Rapporteur de pétitions : M. Bricoult

Pièces adressées à la chambre

MpVµ. - Messieurs, dans une séance précédente, M. Coomans a demandé à M. le ministre de la justice l'état des abonnements au Moniteur, aux Annales et aux Documents parlementaires. M. le ministre, de la justice vient de déposer ce document sur le bureau. La Chambre veut-elle qu’il soit inséré aux Annales parlementaires ?

- De toutes parts. - Oui ! oui !

MpVµ. - Il en sera ainsi.

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder un chemin de fer d’Houdeng-Goegnies à Jurbise, avec embranchement sur Soignies

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Messieurs, d'après les ordres du Moi, j'ai l’honneur de déposer sur le bureau un projet de loi portant concession d'un chemin de fer de Houdeng-Goegnies à Jurbise, avec embranchement sur Soignies.

- Le projet de loi sera imprimé et distribué. La Chambre le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi relatif à la mendicité, au vagabondage et aux dépôts de mendicité

Discussion générale

MpVµ. - La discussion générale continue.

M. de Vrièreµ. - Messieurs, la loi que nous discutons présente ce singulier caractère qu'ayant pour objet la répression de la mendicité, elle permet qu'il y ait dans chaque commune un certain nombre de mendiants brevetés.

Cette déviation des principes qui ont réglé depuis le commencement de ce siècle la matière est une satisfaction donnée aux réclamations incessantes qui ont été faites par les communes au sujet des charges qui pesaient sur elles du chef de l'entretien de leurs pauvres dans les dépôts de mendicité.

Ces réclamations se sont produites périodiquement dans cette Chambre et au Sénat pendant plusieurs années, particulièrement par l'organe des sénateurs et des députés appartenant aux provinces flamandes.

Elles ont exercé, je crois, une influence trop exclusive sur la pensée qui a présidé à la rédaction du projet de loi. C'est en quelque sorte sous une espèce de pression que ce projet de loi est né

Les plaintes que l'on exprimait il y a quelques années, étaient certainement fondées. Peu à peu elles l'ont été moins. Enfin, je crois qu'aujourd'hui ces réclamation» sont pour ainsi dire rétrospectives ; et si l'on veut bien prendre la peine de consulter les faits, on pourra se convaincre que la situation actuelle ne rendait pas nécessaire une modification aussi radicale du régime actuel.

On verra de plus que la loi projetée ne produira un effet bien efficace au point de vue des finances communales, que pour autant qu'il soit fait un usage abusif de la tolérance qu'elle consacre.

Voici, messieurs, quelques chiffres extraits des documents officiels.

Les exposés faits par les députations permanentes des provinces établissent que le nombre des reclus, au 1er janvier 1864, était de 2,737.

Au 1er janvier de l'année précédente il était de 3,147 ; au 1er janvier de l'année antérieure il était de 3,204.

M. le ministre de la justice nous a dit hier qu'au 1er janvier 1865 ce nombre n'était plus que de 2,434. Par conséquent la population des dépôts (page 862) a diminué pendant les quatre dernières années de 870 individus, c’est-à-dire de plus d’un tiers.

Le dernier rapport annuel de la commission administrative du dépôt de la Cambre nous apprend que dans le chiffre de 2,737 individus qui formaient la population totale des dépôts au 1er janvier 1864, le dépôt de la Cambre figurait pour 1,000 reclus ; ce dépôt est donc de beaucoup le plus important du royaume, et par conséquent nous pouvons le prendre pour exemple.

Or, ce rapport nous apprend que la population du dépôt de la Cambre a suivi une marche constamment décroissante depuis 14 ans. D'autre part, l'exposé de la situation générale du royaume nous apprend que, de 1831 à 1846, la population des dépôts a suivi une marche ascendante, tandis qu'à partir de cette année, les chiffres vont sans cesse en diminuant. En 1846, il y avait 4,997 reclus ; en 1850, il n'y en avait déjà plus que 3,551. Enfin aujourd’hui le chiffre est descendu à 2,434.

Vous voyez, messieurs, que c'est par erreur que l'on a dit ici que le chiffre des détenus dans les dépôts de mendicité allait toujours croissant, et que de ce chef les charges communales devenaient toujours de plus en plus accablantes. C est le contraire qui est la vérité.

Il est vrai que plusieurs années après que le chiffre des détenus dans les dépôts de mendicité était descendu en quelque sorte à une situation normale, les finances communales étaient encore très chargées par les frais d'entretien, mais cela ne provenait pas du nombre des détenus, cela résultait du prix élevé des denrées qui a fortement augmenté le prix de la journée d'entretien.

Messieurs, le rapport sur le dépôt de la Cambre dont je viens de parler donne un autre renseignement plus satisfaisant encore. Nous y voyons qu'en 1850 la population moyenne de ce dépôt était de 1,333 individus. Parmi ces 1,333 individus il y avait 1,026 valides et 371 infirmes.

En 1863, date du dernier rapport, la population moyenne n'était plus que de 1,007 individus et dans ce nombre il ne se trouvait plus que 571 valides ; le chiffre des infirmes était par contre monté à 446, de sorte que le rapport entre les reclus valides et les reclus invalides qui à la première époque était de 3.34 était descendu à la seconde à 1.28.

Ne sont-ce pas là, messieurs, des chiffres qui constatent une amélioration très marquée ?

Mais les 571 valides dont parle le rapport, sont-ils tous des individus que frapperont les rigueur de la loi nouvelle si elle est adoptée ?

Veuillez écouter, messieurs, ce que dit à cet égard le rapport lui-même.

« On se fait généralement au dehors une idée assez fausse des éléments dont se compose la population des dépôts.

« Ainsi, on croit volontiers que les détenus qu'on comprend sous la dénomination de valides sont aptes au travail et en état de subvenir à leurs besoins. La mauvaise conduite, la paresse, l'ivrognerie seraient donc les seules causes à assigner à leur séjour à l'établissement.

« Si cette appréciation est malheureusement trop juste jour un certain nombre de reclus, elle est loin d'être exacte pour la grande majorité.

« On se convaincra de la vérité de cette assertion en voulant bien examiner les tableaux qui suivent et lire les réflexions qui les accompagnent. »

Ici suit un tableau contenant la classification de la population recluse en infirmes, incurables, septuagénaires, femmes, mères allaitant des enfants, enfants, et enfin valides.

Vient après un autre tableau de 64 reclus de 18 à 20 ans, appartenant au quartier des hommes valides, et qui pourtant sont atteints d'infirmités qui les rendent incapables d'un travail soutenu.

Le rapport ajoute :

«126 hommes valides, de 50 à 70 ans, sont en très grande partie tout à fait usés, et l'on peut dire qu'il ne s'en trouve point qui soient capables d'un travail quelconque un peu soutenu. »

Ces défalcations faites, messieurs, il reste à la Cambre sur 1,017 détenus, 159 individus aptes au travail et sans infirmités apparentes.

Mais il est à noter encore que pami ces valides - c'est le rapport qui ajoute cette circonstance - il s'en trouve un grand nombre qui sont sous la surveillance de la police et qui ont des antécédents judiciaires tels, qu'ils ont la plus grande peine à trouver du travail lorsqu'ils sortent du dépôt.

Ainsi, messieurs, en résumé on voit que relativement au dépôt de la Cambre l’effet de la loi sera peu efficace dans sa sévérité à l'égard des valides, tandis qu’il pourra dépendre de la tolérance des bourgmestres que les 8/10 de la population de ce dépôt, c’est-à-dire plus de 800 individus soient autorisés à mendier.

J’avoue que je suis effrayé d’une tolérance qui peut avoir de pareilles effets ; je le suis surtout quand je songe que parmi les infirmes qui se trouvent en grand nombre dans les dépôts de mendicité, il doit nécessairement y en avoir beaucoup qui n’y sont renfermés que parce que les secours des bureaux de bienfaisance sont insuffisants pour leur assurer l’existence.

Il est vrai que cette tolérance que je redoute sera plus ou moins limitée ; large ici, elle sera très restreinte ailleurs ; cela dépendra des bourgmestres. Mais si le bourgmestre réprime la mendicité, s'il n'use pas de la tolérance ou qu'il n'en use que dans une mesure restreinte, les charges de la commune ne seront pas diminuées ; si. au contraire, le bourgmestre use largement de cette faculté qu'il a d’être tolérant, vous verrez grandir la mendicité d'année en année, vous verrez comme autrefois des malheureux étaler dans les chemins et dans les rues des plaies et des difformités affreuses pour implorer la charité des passants.

J’aurais compris une tolérance de fait à l'époque où les réclamations si vives dont je parlais tout à l'heure se produisaient ici, dans la presse,, de toutes parts ; à cette époque les Flandres étaient écrasées sous le double poids d'une longue crise alimentaire et industrielle, et l'on y voyais partout des mendiants ; chacun faisait l'aumône aux pauvres qui encombraient les rues et les chemins, et il était vrai de dire alors que le sentiment public était conforme à la tolérance dont on usait à leur égard ; il en sera ainsi chaque fois qu'une crise semblable régnera ; l'opinion publique sera favorable à la tolérance, mais ce n'est pas une raison pour inscrire cette tolérance dans la loi ; elle existera toujours quand elle sera nécessaire, même avec la loi actuelle.

Si je n'approuve pas la tolérance légale de la mendicité à l'égard des non valides, je la conçois moins encore, messieurs, à l’égard des enfants. Cette tolérance, il est vrai, grâce à l'amendement que la section centrale a introduit dans la loi à l’égard des parents, aura une certaine limite.

Cependant qu'on ne se fasse pas illusion ; je crois avec l’honorable rapporteur de la section centrale, qui nous en faisait hier l'observation, que rien n'est plus difficile à constater que l’habitude. L amendement de la section centrale sera peu efficace si vous permettez aux parents de laisser mendier leurs enfants, pourvu que ce ne soit pas habituellement ; l'habitude naîtra malgré la défense des parents.

Mais je me demande sur quel principe repose cette tolérance de la mendicité, même non habituelle, de la part des enfants.

On veut que l'invalide puisse mendier sous les yeux de son bourgmestre, par cette considération que personne ne refuse l'aumône à celui qui est infirme ou incapable de travailler. La loi actuelle, dit-on, est sous ce rapport en opposition avec nos mœurs. Mais le sentiment public qu'on invoque est-il également favorable à l'enfant qui mendie ? Je ne le crois pas. Je crois au contraire que tout le monde voit avec regret l'entant du pauvre faire dans la rue un triste apprentissage qui le détourne bientôt de l'école et de l'atelier. C'est ici qu'il est juste de dire, pour me servir des expressions de M. le ministre de la justice : Vous développerez le vive avant de le réprimer.

D'ailleurs, si l'on veut mettre l'enfant sur la même ligue que l'invalide, la défense faite aux parents de laisser mendier habituellement leurs enfants n'a plus de raison d'être; il faut que la tolérance à l’égard de l'enfant comme à l'égard de l'invalide ne soit pas limitée, il faut qu'elle soit absolue, sous la réserve seulement des droits du bourgmestre.

Messieurs, l'enfant est incapable ; il ne peut pas pourvoir par lui-même à ses besoins ; mais c'est dans l'enfance que l'homme doit apprendre à travailler. D’ailleurs, l'enfant n'est pas indépendant ; l'enfant a des parents qui sont obligés de l'entretenir et de le surveiller, et si ses parents sont valides, pourquoi veut-on permettre à leurs enfants ce que la loi ne leur permet pas à eux-mêmes ?

Je sais qu'il y a des parents valides très dignes de pitié ; il y a 'les familles pour lesquelles le travail le plus opiniâtre ne suffit pas pour leur permettre d'entretenir une famille trop nombreuse. Mais, messieurs, la charité publique et privée est toujours attentive à de pareilles misères ; et s'il n'en était pas ainsi, j'aimerais infiniment mieux qu'on accordât la permission de mendier aux familles pauvres qui sont dans ce cas, que de laisser mendier leurs enfants, car l'homme adulte ne contracte pas aussi facilement des habitudes de vagabondage et d'oisiveté que l’enfant à qui l'on apprend à se créer des ressources dans la rue.

Messieurs, je dis donc que si c'est à titre d'incapable, si c’est parce que l'enfant ne peut pas pourvoir par lui-même à sa subsistance, que la loi autorise le bourgmestre à user de tolérance à leur égard, il ne faut pas punir les parents qui leur en laissent contracter l’habitude ; mais si l’on se préoccupe d’autres considérations, si l’on songe à l’avenir des (page 863) classes nécessiteuses, à leur moralisation, à leur instruction, je crois qu’il faut défendre d’une manière absolue à l’enfant de mendier, car c’est l’éloigner de l’école, c’est l’exposer à contracter dès le jeune âge des habitudes de vagabondage et d’oisiveté. Quant à moi, messieurs, ce danger me touche beaucoup plus largement qu’un allégement hypothétique et en tout cas peu considérable des charges communales.

D’ailleurs de quelque manière que s'exerce la bienfaisance, c'est la société qui en fait les frais, et la contribution que l’on paye à l’importunité d'un mendiant n'est pas toujours un soulagement donné à la misère. Lorsque le mendiant est un enfant, c’est le plus souvent un encouragement donné à la fainéantise et au vice.

Il n'y a dans les dépôts de mendicité qu'un très petit nombre d'enfants. Beaucoup sont des enfants en bas âge qui y sont entrés avec leur mère ou qui y sont nés. Mais il y a environ 100 enfants dans les écoles de réforme, et les communes ne se plaignent pas des frais qui leur incombent de ce chef, parce que tous les enfants qui sortent de ces excellentes écoles deviennent d'honnêtes ouvriers.

La tolérance inscrite dans la loi aura pour effet de rendre les écoles de réforme moins nécessaires et surtout moins efficaces, car on y enverra beaucoup moins d'enfants au-dessous de l'âge de 14 ans. La population de ces écoles se composera désormais en plus grande partie d’enfants ayant dépassé l'âge au delà duquel il devient difficile de les réformer et de leur inspirer le goût et l'habitude du travail.

Le système nouveau, messieurs, s'il est adopté, aura un autre inconvénient : il rendra plus difficile une juste répartition des secours publics.

Aujourd'hui les bureaux de bienfaisance ont beaucoup de peine à répartir les secours d'une manière équitable, à cause de l’'heureuse concurrence que leur fait la charité privée ; ils connaîtront moins encore les ressources que certaines familles retireront de la tolérance de la mendicité.

Je ne sais pas quel est l'état de la mendicité dans nos différentes provinces, mais je puis affirmer que dans celle que j'habite il est assez rare de rencontrer un mendiant. Pendant les années calamiteuses que la Flandre a traversées, la mendicité avait pris dans cette province un développement effrayant, mais les communes se sont fait un devoir d'extirper cette gangrène, et elles se sont généreusement imposé des sacrifices pour y parvenir.

La charité privée s'est multipliée sous diverses formes et est venue généralement au secours de la charité publique. Les conseils, les encouragements, l'école et l'atelier d'apprentissage ont fait le reste.

Aussi, avons-nous eu le bonheur de voir la population de dépôt de mendicité décroître en même temps que la mendicité disparaissait.

Je lis, dans le dernier rapport de la députation permanente de cette province, que la population moyenne du dépôt de mendicité de Bruges a été pour la Flandre occidentale, en 1863, de 174 individus.

D'autre part, il y a eu pendant la même année aux écoles de réforme 22 garçons et 4 filles entretenus aux frais des communes de cette province. Cela fait en tout 200 individus, c'est à-dire une dépense de 50,000 à 60,000 francs par an.

Personne ne soutiendra assurément que ce soit là une charge bien onéreuse pour les communes d'une province aussi importante que la Flandre occidental.

Voilà, messieurs, quelle est, relativement à la mendicité et aux dépôts de mendicité, la situation de la province d'où sont émanées autrefois les plaintes les plus vives contre le régime actuel, et c'est lorsque ces plaintes, peur ainsi dire, ont cessé, lorsque la situation, sous ce double rapport, est considérablement améliorée partout, c'est lorsque les écoles et les ateliers se remplissent de plus en plus, que l'on veut rouvrir cette autre école, si longtemps condamnée, qui mène à l'incurie, à l'oisiveté et à la dégradation.

St l'on veut inspirer à l'homme le sentiment de sa dignité, si on veut lui apprendre que le premier de ses devoirs est de compter sur lui-même pour subvenir à ses besoins, si l'on peut faire disparaître cette démoralisation héréditaire qui perpétue dans certaines familles l'habitude de la mendicité et du vagabondage de génération en génération, c'est sur les enfants qu'il faut agir, c'est à eux qu'il faut apprendre qu'il est honteux de mendier. Il faut leur interdire la rue si l'on veut qu'ils n'échappent pas à l'école.

Messieurs, j'en ai dit assez, je crois, pour justifier le vote que j'émettrai sur le projet de loi. Ce vote sera négatif, à moins que le projet, ce que je n'ose espérer, ne soit considérablement amendé.

M. Bouvierµ. - Messieurs, dans la séance d'hier, un honorable membre de la droite a manifesté la crainte que la détention cellulaire n’affectât d'une manière très fâcheuse la santé de ceux qui y sont soumis -, il a même invoqué des statistiques d'après lesquelles beaucoup d'individus astreints à ce régime rigoureux, se trouveraient, au bout de quelques mois, atteints d'aliénation mentale. C'est une question assez grave.

Dans la séance d'hier M. le ministre de la justice n'a pas rassuré l'honorable membre à cet égard. Je désirerais avoir quelques explications sur ce point. C'est là le motif qui m'a engagé à demander la parole.

M. Thonissenµ. - Messieurs, pour ma part, je ne partage nullement les craintes de l’honorable baron de Vrière ; ai contraire, je m'associe franchement aux éloges que l'honorable rapporteur de la section centrale a décernés au projet de loi que nous discutons.

Je suis fermement convaincu que ce projet réalisera un véritable progrès dans une matière qui, depuis soixante-dix ans, a produit des difficultés sérieuses dans la plupart des pays de l'Europe.

Dans le désir de m'éclairer complètement sur une matière aussi grave, j'ai relu attentivement le projet, également très remarquable, que l’honorable M. Nothomb a présenté le 25 février 1859, et qui, par suite de la dissolution de la Chambre, survenu quelques mois plus tard, n'a pu être discuté. Cette lecture m'a conduit à quelques rapprochements de texte que je prends la liberté de soumettre à l’attention de l'honorable ministre de la justice.

Le projet de loi qui avait été déposé par l'honorable M. Nothomb renfermait notamment la disposition suivante : « les mendiants, les vagabonds et les indigents pourront être détenus dans les établissements communaux ou particuliers avec lesquels le gouvernement aura contracté. »

La loi actuelle est, sous ce rapport, beaucoup plus concise et, par suite, moins claire. A l'article premier, on parle d'établissements pénitentiaires et de dépôts de mendicité. A l'article 4, on parle de dépôts de mendicité, d'écoles de réforme et d'établissements de bienfaisance. Je désire connaître le sens précis de ces nmots : « Etablissements de bienfaisance. »

Est-ce que dans l’intention du gouvernement, ces mots comprennent les établissements de bienfaisance érigés par des communes ou par des particuliers ? Ou bien, M. le ministre entend-il seulement désigner par là les établissements de bienfaisance qui seront créés en vertu de l'article 7 de la loi ?

A mon avis, il faut que le gouvernement conserve à cet égard la liberté d'appréciation la plus entière, et que, si plus tard des établissements communaux ou des établissements particuliers présentent les garanties nécessaires, il ait le droit d'y placer diverses catégories de reclus et notamment les reclus invalides et ceux qui n'ont pas atteint l'âge de quatorze ans.

Je sais que, dans la plupart des cas, les établissements particuliers ne présenteront pas les garanties nécessaires ; mais enfin le cas peut se présenter. Il est possible qu'on fonde des maisons parfaitement organisées où l'on pourrait placer les détenus à des conditions plus favorables que dans les établissements dirigés par les provinces ou par l'Etat. Il est évident que le gouvernement aurait tort de ne pas se réserver ici toute sa liberté d'action.

Dans le projet de loi déposé par l'honorable M. Nothomb, il y avait une autre phrase qui n'est pas reproduite dans le projet actuel. La voici : « Néanmoins, le gouvernement est autorisé à réduire la durée du séjour auquel le reclus est astreint, etc. »

Telle a été évidemment l'intention du rédacteur du projet de loi que nous discutons. Hier, M. le ministre de la justice a déclaré que, quand la loi parle d'un terme pendant lequel le reclus est mis à la disposition du gouvernement, elle entend parler d'un maximum, et que par conséquent le gouvernement, lorsque les circonstances le permettront, aura toujours le droit de réduire le temps de la réclusion.

Malheureusement, dans le texte de la loi, cette intention n'est pas expressément consignée. Si l'on prend le texte seul, l'on y trouve du pour et du contre. Ainsi, à l'article 4, si vous prenez le premier paragraphe, vous trouvez les mots : « mis à la disposition du gouvernement », qui semblent indiquer assez clairement, je l'avoue, que le gouvernement est toujours libre d'user ou de ne pas user du droit qu'on lui accorde par le renvoi des individus sous sa surveillance. Mais, par contre au paragraphe 2 de l'article 4, vous trouvez les mots ; « ils seront placés, etc. » qui semblent indiquer le contraire.

Du reste, messieurs, ici je suis d'accord avec l'honorable ministre de la justice. Il ne s'agit entre nous que d'une question de forme ; mais cette question présente aussi quelque importance. Vous le savez, quand on fait une loi, il importe de la rendre tellement claire et complète qu'il ne faille recourir à aucun des documents dont elle a été précédée ou accompagnée.

Je voudrais donc savoir si M. le ministre de la justice verrait des (page 864) inconvénients à rédiger l’article 6 de la loi de la manière suivante : « Les conditions de la sortie des reclus, avant le terme pendant lequel ils ont été renvoyés à la disposition du gouvernement, seront déterminées par un arrêté royal. »

Il y a un dernier point sur lequel j'appellerai l'attention du gouvernement. Il s'agit des conséquences éventuelles de la mise de la mise en vigueur de l'article premier de la loi.

L'exposé des motifs déclare que désormais le gouvernement s'attachera à envoyer aussi rarement que possible des reclus valides et majeurs dans les dépôts de mendicité. On y enverra les invalides, les vieillards et les enfants. Or, avec cette manière de procéder, il y aura des dépôts de mendicité qui, pendant une période transitoire assez longue, se trouveront dans une position excessivement pénible, notamment le dépôt de la province de Limbourg établi à Reckheim. En voici la preuve.

Le gouvernement a forcé (le terme n'est pas pris au hasard) la province de Limbourg à convertir ton dépôt de mendicité en établissement agricole. On a dû faire l'acquisition d'une ferme et de trente-cinq hectares de terre. Quoique ces terres soient cultivées et même très bien cultivées, l’établissement ne parvient qu'à couvrir les frais, et rien de plus. Cependant le rapport de la section centrale constate qu'on se montre excessivement sobre en fait de salaire. Le maximum de la journée d'un ouvrier de première classe n'est que de dix centimes !

Si désormais vous n'envoyez plus au dépôt que des invalides, des vieillards et des enfants, la ferme au lieu de couvrir les frais de culture, aura un déficit.

C'est une conséquence que vous ne pourrez éviter, et je voudrais savoir si, dans ce cas, le gouvernement ne pourrait pas venir en aide, dans une certaine mesure, à la province qui devra supporter une dépense supplémentaire.

Le gouvernement, après tout, sera cause du déficit et il me semble que, au moins en partie, pendant la période transitoire, il y aura pour lui obligation d'intervenir.

M. Vleminckxµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole lorsque l'honorable M. Bouvier a demandé quelques éclaircissements sur les dangers possibles de la réclusion cellulaire.

Je crois qu'il est de mon devoir de faire connaître les résultats de l'expérience que j'ai acquise à cet égard.

Vous connaissez, tous, les résultats de l'emprisonnement commun, de la réclusion commune. La réclusion en commun, vous en savez les inconvénients, les vices nombreux, les dangers même. Quelques mots suffiront pour la caractériser. Si mauvais que l'on soit, en entrant dans une prison commune, on a toujours quelque chose de plus mauvais à y apprendre, et l'on en sort plus mauvais qu'on ne l'était en y entrant.

Voilà ce que l'expérience de tous les temps nous a appris, et c'est le principal motif pour lequel on a substitué à l'emprisonnement en commun, à la réclusion commune, la réclusion cellulaire.

Messieurs, cette réclusion cellulaire présente-t-elle quelques inconvénients au point de vue de la santé ? J'ai à cœur de détruire à cet égard des erreurs et des préjugés.

Savez-vous où les maladies font le plus nombreuses ? C'est dans les prisons en commun.

Savez-vous où elles sont les nions nombreuses, où l'on ne trouve presque jamais des affections aiguës, où l'on ne rencontre que des maladies qui sont le résultat de la détérioration constitutionnelle, résultat assez fréquent d'une vie de débauches et de vices ? C'est dans les maisons cellulaires.

Quant aux aliénations mentales que l'on vous a fait craindre, c'est une illusion.

Je suis convaincu que l'honorable ministre de la justice a à sa disposition des statistiques, et s'il les a actuellement sous la main, il ne lui sera pas difficile de vous convaincre que tout ce que l'on a dit relativement aux effets produits sur l'intelligence par l'encellulement dit solitaire, est complètement contraire à la vérité.

Tout le monde n'a pas une idée exacte de ce qu'est chez nous la réclusion cellulaire : on suppose que le reclus, dit solitaire, ne se trouve dans sa cellule qu'en rapport avec lui seul et le ciel, qu'il n'est exactement en relation avec personne. Mais c'est tout à fait erroné. Le système cellulaire belge, et je l'appelle belge, parce que c'est en Belgique qu'il a pris naissance, ce système, c'est la séparation des mauvais d'avec les mauvais, mais c'est la réunion dans les limites du possible, dans des limites raisonnables, des mauvais avec les bons. Ainsi, si les reclus ne peuvent pas communiquer les uns avec les autres, ne croyez pas qu'ils ne se trouvent en cellule que vis-à-vis d'eux-mêmes, non, non ; ils y sont en rapport continuel avec les gardiens de la prison, avec le directeur, avec l’aumônier, avec les médecins, avec les membres des commissions administratives, avec leur famille même, dans de certaines limites. Ces rapports sont organisés de manière qu’ils n’entendent jamais que de bonnes choses, que des propos moralisateurs.

J’applaudis de tout mon cœur à la demande faite par le gouvernement d’envoyer désormais les reclus valides dans les établissements cellulaires. Je suis convaincu que nous en recueillerons les résultats les plus heureux, non seulement au point de vue des récidives, qui deviendront moins fréquentes, mais encore et surtout sous le rapport de la moralisation. VA ce dernier point de vue, le rapport de la section centrale a parfaitement raison ; il n'y a de moralisation possible qu'avec la séparation.

Je sais bien que l'expérience de l'emprisonnement cellulaire n’est pas encore entièrement faite ; elle ne sera complète, je le reconnais, que lorsque le système sera généralisé et qu'il aura fonctionné pendant une longue série d'années.

Je sais aussi, messieurs, qu’on invoque contre ce système quelques faits qui se sont produits chez nos voisins. Ainsi, en France, par exemple, où il avait été adopté avec enthousiasme, un décret contresigné Persigny, je pense, l'a supprimé ; mais il ne faut pas perdre de vue que nos voisins ont le caractère vif, impatient, et il est arrivé plus d'une fois, lorsqu'ils trouvaient qu'une de leurs institutions ne produisait pas immédiatement les résultats désirés, qu'ils abolissaient l'institution au lieu de l'améliorer.

Combien de temps faudra-t-il pour que nous sachions au juste quels seront les résultats définitifs de l'emprisonnement cellulaire sous le double point de vue de la moralisation des détenus et de la sécurité de la société ? Il est impossible de le dire. Tout ce que je puis affirmer, c'est que, dans aucun état de cause, il n'en résultera des inconvénients.

Le gouvernement sera toujours à même, par le droit de grâce, de modifier la peine, lorsque l'état du détenu le rendra nécessaire, mais dans aucun cas, il n'y a rien à craindre pour les reclus valides, qui ne pourront être condamnés qu'à six mois d'encellulement au maximum, et qui, l'expérience le démontrera, sortiront de l'établissement considérablement améliorés et physiquement et moralement. Il en résultera qu'ils ne se feront plus condamner plusieurs fois de suite pour le même fait, ainsi qu'ils le font aujourd'hui.

M. de Theuxµ. - Je pense, messieurs, qu'une bonne loi sur la répression de la mendicité doit avoir nécessairement trois objets eu vue : l'ordre public, l'humanité et l’économie.

Le projet qui nous est soumis constitue-t-il une amélioration aux lois existantes à l'égard de ces points ? Je le pense, et quant à moi, j'applaudis complètement aux amendements de la section centrale qui permettent une application plus large, plus humanitaire d'un système répressif, qui laisse beaucoup à l’appréciation des autorités locales, et je crois qu'en effet il faut laisser beaucoup à l'appréciation des autorités locales dans ces madères.

Messieurs, maintenant toutes les communes sont pourvues d'écoles, il y a même un grand nombre de communes où il y a des ateliers d'apprentissage ; ce sont là deux grands moyens de détruire les habitudes de mendicité enracinées dans certaines familles, surtout parmi certaines populations qui sont réellement abruties par une longue pratique de la mendicité. Je crois, messieurs, qu'il faut là une éducation morale particulièrement forte.

Messieurs, j'ai toujours cru que le meilleur système de secours était le système communal qui se pratique entre autres par de fréquentes visites aux habitations des pauvres, par une distribution intelligente des secours à domicile. Je suis persuadé que rien n'est plus efficace en cette matière, que de semblables précédés.

J'ai vu souvent avec regret que dans certaines villes, où la population est agglomérée, où les visites à domicile présentent plus de difficultés, on fixe des distributions de secours à jour et heure déterminés ; vous voyez là de grands rassemblements d'indigents exposés aux intempéries et à la mauvaise société pendant un temps plus ou moins long.

C'est un véritable abus qui ne devrait plus être toléré ; on devrait substituer à ces distributions les secours à domicile ou donnés individuellement aux pauvres quand ils se préservent chez les agents.

Le projet de loi autorise le gouvernement à introduire le régime cellulaire à l'égard des mendiants valides. Ce régime, appliqué dans une juste mesure, peut présenter des avantages et, en effet, les inconvénients de la réclusion eu commun, que M. Vleminckx a signalés, sont reconnus par tout le monde.

Cependant il faut convenir que le régime cellulaire présente quelque chose d’extrêmement dur et de difficile à supporter ; c'est une peine plus sévère et on l'applique à des faits que l'on peut même difficilement qualifier de délictueux ; ce sont plutôt des faits contre l'ordre public que des faits essentiellement délictueux en eux-mêmes. Je voudrais donc que le gouvernement n'appliquât jamais le régime cellulaire pour une (page 865) longue durée, et qu’à l'expiration de ce délai on rendît l’indigent, le vagabond à sa liberté et qu'on fît l'épreuve de l'amendement qu'il aurait pu éprouver de ce régime.

Quant à moi, je verrais avec la plus grande peine que le régime cellulaire fût prolongé. Nous voyons qu’en Angleterre où les lois ont au début été extrêmement sévères contre la mendicité, on a senti dans les maisons de travail que l'humanité était blessée, l'on est revenu à des pratiques bien plus douces et peu à peu on a abandonné la sévérité primitive. Peut-é te a-t-on été trop loin dans ce système, mais si l'on veut réussir dans le système de la loi, je recommande au gouvernement de ne pas abuser du régime cellulaire, de ne l'appliquer qu'à des natures incorrigibles et pour un terme très court.

MjTµ. - L'honorable M. de Theux a déclaré, je l'ai entendu avec plaisir, que le projet de loi constitue une amélioration et il applaudit aux amendements de la section centrale qui ont laissé aux communes le droit de tempérer encore la répression.

Je ne pense pas, messieurs, que la section centrale ait sous ce rapport modifié le projet du gouvernement.

La disposition qui donne à la commune le droit de déterminer si l'arrestation aura ou n'aura pas lieu, si des poursuites seront ou ne seront pas exercées, se trouvait dans le projet primitif ; sous ce rapport la section centrale n'a absolument rien modifié.

L'honorable M. de Theux a recommandé au gouvernement de ne pas abuser du régime cellulaire à l'égard des mendiants et vagabonds valides.

Messieurs, si l'honorable M. de Theux a examiné un peu attentivement l'article premier, il a dû voir que le gouvernement se trouve dans l'impossibilité d'abuser de ce régime, puisque la durée n'en est pas fixée par le gouvernement, niais par le juge lui-même, et qu'elle est du reste restreinte dans des limites très étroites.

Ainsi, pour la première contravention, le terme que le juge peut fixer est de 15 jours au moins et de 3 mois au plus : en cas de récidive, il est de 3 mois au moins et de 6 mois au plus.

Ains1i messieurs, en toute hypothèse, l'emprisonnement cellulaire ordonné par le juge ne peut jamais excéder 6 mois. Or, on ne peut prétendre que ce soit la une détention exagérée. La latitude laissée au juge est peut-être trop restreinte.

Puisque je parle du régime cellulaire, je répondrai deux mots à une interpellation qu'a faite l'honorable M. Bouvier.

Jusqu'à présent les dangers qu'on semble redouter n'ont été signalés dans aucune prison cellulaire et ils ne sont pas à craindre avec le régime cellulaire tel qu'il est pratiqué en Belgique.

On a dit souvent que le régime cellulaire était de nature à affaiblir les facultés, à engendrer même la folie, et que, par conséquent, il fallait en user avec une extrême modération.

Il est même des pays qui l'ont complètement supprima sous le prétexte de ces dangers.

Je comprends parfaitement que le régime cellulaire tel qu'il a été pratiqué à son origine dans quelques contrées de l'Amérique, peut produire de semblables résultats.

Ainsi j'admets parfaitement que si vous enfermez un homme dans ce qu'on a appelé une chemise de pierre, que vous l'y laissiez des années entières sans voir figure humaine, sans communication avec l'extérieur, sans occupation, la folie serait la conséquence inévitable de cette réclusion. Mais ce n'est pas ainsi que les choses se pratiquent en Belgique.

Il y a d'abord le travail de cellule, occupation qui suffirait à elle seule pour empêcher le résultat que l'on craint.

D'un autre côté, il y a des visites nombreuses. Périodiquement les reclus sont visités par le directeur, par le sous-directeur, par le médecin, par l'aumônier, par les membres de la commission.

M. Bouvierµ. - On a dit aussi la famille.

MjTµ. - Il y a aussi le guichetier et celui qui apporte au détenu sa nourriture, de sorte que l'isolement n'est pas aussi complet qu'il l'était dans le principe, alors que le système a été introduit.

Aussi, depuis qu'il existe en Belgique, on n'a jamais signalé, dans les prisons cellulaires, de cas de folie plus nombreux qu'ailleurs. Là où elle a été constatée, elle s'est manifestée dans des circonstances tout à fait indépendantes de la détention, Ainsi des cas de folie se sont produits dans les prisons cellulaires deux jours après l'incarcération : il est évident qu'ils se seraient produits également dans un autre établissement et que la folie ne résultait pas d’un séjour de vingt-quatre heures dans une prison cellulaire.

Ce qui a été écrit de plus concluant sous ce rapport, c’est le mémoire fait par l’honorable M. Vaust, médecin de la prison cellulaire de Liége, la première qui a été établie en Belgique, il y a 16 ou 17 ans.

Il a été constaté que les cas de démence n'étaient pas plus nombreux à Liége que partout ailleurs.

Il avoue que lui-même avait une certaine prévention contre le régime, il déclare qu'il en est complétement revenu et il affirme que l'on ne peut plus avoir aujourd’hui en Belgique les craintes que l'on a manifestées autrefois.

Maintenant, quant à l'efficacité de ce régime, je partage complètement les idées émises par l'honorable M ? Vleminckx et je déclare que je n'ai pas besoin d'expérience et que de très courtes réflexions me suffisent pour donner la préférence au régime cellulaire sur tout autre régime.

Il est évident que dans l'emprisonnement en commun les détenus se corrompent mutuellement.

Les prisons centrales où les prisonniers vivent en commun sont de véritables écoles de vice et je suis étonné que la société ne soit pas plus corrompue qu'elle ne l'est en raison du nombre des individus qui sortent de ces prisons.

Je dis qu’il faut tâcher de supprimer le plus tôt possible toutes les maisons où les détenus vivent en commun. Ce sont de véritables foyers de dépravation, et l'on n'oserait dire dans cette assemblée certains faits qui s'y passent et qu'il est impossible de prévenir, quel que soit le personnel dont on dispose pour la surveillance et quelle que soit la vigilance de ce personnel.

Voilà la vérité, messieurs, et je ferai toujours, comme ministre et comme membre de cette Chambre, tout ce qui dépendra de moi pour qu'on arrive à supprimer complètement les prisons communes et à les remplacer par des prisons cellulaires.

M. Thonissenµ. - Vous avez mille fois raison.

MjTµ. - Nous y marchons du reste assez rapidement.

Le nombre des cellules doit être aujourd’hui de 5,000 à peu près. La population des prisons diminue. Elle est aujourd'hui en tout de 5,200 ou 5,300.

On construit un nouveau quartier cellulaire à Gand. On bâtit une nouvelle prison cellulaire à Mons et je suis convaincu que d'ici à peu de temps nous pourrons supprimer complètement les établissements où existe encore l'emprisonnement en commun.

Du reste le système cellulaire a cet avantage qu'il permet de réduire de beaucoup la peine, surtout pour tous les délits, pour tous les faits qui n'indiquent pas une perversité complète, lorsqu'une certaine indulgence ne peut pas être un danger pour la société.

J'ai dît tantôt qu’il suffisait d'un peu de réflexion pour être convaincu de la supériorité de l'emprisonnement cellulaire sur l'emprisonnement en commun. Le régime cellulaire doit surtout ère appliqué, à mon avis, aux individus qui, pour la première fois, paraissent devant la justice.

Je ne crois pas qu'au moyen de ce régime nous ferons de ceux qui l'auront subi des individus dignes du prix Monthyon : je n'ai pas cette illusion. Mais, d'abord les individus mis en cellule n'en corrompront pas d'autres. C'est déjà un immense avantage.

Ensuite le système cellulaire, appliqué à des individus qui pour la première fois encourent une condamnation constituera une véritable répression ; les condamnés sortiront de prison amendés par les leçons et par le genre d'emprisonnement qu'ils auront subis ; ils ne considéreront plus l'emprisonnement comme un moyen d'être logés et nourris mieux qu'ils ne l'étaient chez eux.

Le régime cellulaire appliqué pour des peines de peu de durée ne pourra d'ailleurs jamais donner lieu à aucun inconvénient : l’application de ce régime est tout à fait dans l'intérêt des détenus.

L'honorable M. de Vrière a critiqué le projet ; il s'est étonné de ce qu'on se soit écarté des principes qui ont régi la matière depuis le commencement du siècle ; il a surtout blâmé l’article 2 qui donne aux communes la faculté de réprimer ou de ne pas réprimer la modicité, lorsqu’il s'agit d'individus invalides ou d'enfants âgés de moins de 14 ans.

Il ne suffit pas d'avoir des lois, il faut aussi savoir les faire exécuter ; et quand le sentiment public, surtout dans une matière comme celle dont nous nous occupons, ne vient pas en aide à la loi, il est impossible de parvenir à un résultat.

(page 866) C’est ce qui a lieu aujourd’hui. Quel est aujourd’hui l’état de la législation ? Il se résume dans la défense absolue de mendier pour les valides, les invalides et les enfants. Est-on parvenu à faire observer sérieusement cette défense ? Que voit-on aujourd’hui ? On voir la mendicité tolérée non seulement pour les invalides, mais encore pour les individus valides.

- Une voix. - A Bruxelles même.

MjTµ. - Oui, il suffit de venir de chez soi jusqu’à la Chambre pour en être convaincu.

On n'est donc pas parvenu à faire exécuter la loi. Dans cet état de choses, ne fallait-il pas prescrire d’autres mesures, adopter d'autres dispositions qui fussent en rapport, dirai-je avec le sentiment public ?

Ne fallait-il pas réprimer d'une manière efficace la mendicité et le vagabondage des individus valides, des individus qui ne veulent pas travailler, des individus qui menacent les communes, si elles ne leur font pas des rentes, de se faire colloquer dans des dépôts de mendicité ?

Mais quant aux enfants et aux invalides, est-ce qu'il n'y avait pas lieu d'user d'une certaine tolérance, d'abandonner à la commune elle-même le soin de prendre des décisions à leur égard ?

Je crois que l'article 2 n est pas aussi dangereux que semble le craindre M. de Vrière.

Les communes ne seront pas maîtresses absolues en ce qui concerne la mendicité exercée par les invalides et les enfants.

Le but du projet est que la mendicité ne soit tolérée que dans la commune habitée par les individus qui s'y livrent : dans ces conditions, je ne crois pas qu'elle présente des dangers ; en dehors de la commune, elle sera immédiatement réprimée.

Dans une commune, chaque habitant connaît la position de ses voisins, il connaît les causes qui ont réduit telle ou telle famille à la mendicité, et lorsque l'état d'indigence sera réel, la commune sera toujours disposée à venir au secours des individus.

Quand les mendiants se rendront dans une autre commune, l'administration qui verra enlever par des pauvres étrangers les ressources qui reviennent à ses indigents, ne le tolérera pas, et par la force même des choses la mendicité sera circonscrite dans la commune habitée par le mendiant. Cette mendicité, je ne la crains pas, parce que les habitants des communes pourront, si elle devient une charge, pourvoir d'un autre manière à l'entretien des indigents, et ils pourront d’autant mieux le faire qu'une partie des ressources dédiées à la charité ne sera pas absorbées par des mendiants venant de loin, dont ils ne connaissent ni les besoins ni les antécédents. Dans mon opinion, voici comment devra être appliquée la loi.

Pour les valides, répression très sérieuse de la mendicité ; elle ne doit être tolérée sous aucun prétexte. Pour les invalides et les enfants en dessous de 14 ans, elle ne pourra être permise que dans la commune qu'ils habitent. Cette tolérance n'aura guère d'inconvénient, puisqu’aujourd’hui elle existe malgré la loi, et sans exciter de plaintes. Si des plaintes se sont produites, c'est parce que la mendicité était exercée par des mendiants étrangers à la commune et sur la situation desquels on n’avait aucune espèce d'indication.

L’honorable M. de Vrière nous a dit aussi que l'adoption du projet aurait pour résultat de modifier beaucoup la situation des écoles. Je ne crois pas qu’il en soit ainsi, et dans tous les cas, je crois que le minimum d'âge au delà duquel la mendicité sera prohibée est une garantie contre les abus qu'il redoute.

En effet, après 14 ans, la mendicité est défendue d'une manière absolue ; le gouvernement a le droit de retenir les individus qui s'y livrent après cet âge, dans des écoles de réformes jusqu'à l’âge de 20 ans ; ce temps sera suffisant pour leur donner une éducation, une instruction et des habitudes qui les empêchent de retomber dans le même vice.

L’honorable M. Thonissen m'a adressé quelques questions au sujet des articles 7 et 14 de la loi. II m'a demande si dans l’article 4 il ne s’agissait que des établissements qui seraient organises en vertu de la loi, ou si le gouvernement aurait aussi le droit d’envoyer les reclus dans des établissements particuliers.

Dans l'esprit des articles 4 et 7 de la loi, le gouvernement ne peut envoyer des reclus que dans les établissements qui sont subsidiés par l’Etat, dans les dépôts de mendicité existants et dans ceux qui seront créés en vertu de la loi.

Je ne verrais pas d’inconvénient à réserver au gouvernement le droit de traiter avec d'autres établissements ; mais la Chambre doit comprendre quai n'est guère possible d'envoyer des reclus dans d'autres établissements, parce que ce n'est que pour ceux qui sont dirigés par l’Etat et par la province, ou par ceux qui seront crées en vertu de la loi, que le gouverneront arrête le prix de la journée d'entretien qui sert de base au remboursement que les communes doivent faire à l’Etat. Le gouvernement est tout à fait impuissant vis-à-vis des établissements particuliers sur lesquels il n a pas d'actions particulières, sur lesquels il ne peut fixer le prix de la journée d'entretien.

M. Thonissenµ. - Le gouvernement pourrait contracter avec ces établissements.

MjTµ. - Je ne fais pas d'objection à ce qu'on réserve au gouvernement le droit de traiter avec des établissements particuliers et je ne m'opposerais pas à une disposition additionnelle qui consacrerait cette réserve, mais dans l'esprit du projet de loi il ne s'agit que des établissements existants et de ceux à créer en vertu de la loi.

L'honorable M. Thonissen a demandé aussi s'il n'y aurait pas lieu de modifier l'article 6 qui porte : « Les conditions de sortie des reclus seront déterminées par arrêté royal. » L'honorable membre demande si l'on ne devrait pas dire : « Les conditions de sortie des reclus avant l'expiration du terme pendant lequel ils ont été envoyés à la disposition du gouvernement, seront déterminées par arrête royal. »

Je ne pense pas, messieurs, qu'il y ait lieu de modifier sous ce rapport le projet de loi. L'honorable M. Thonissen n'a peut-être pas suffisamment fait attention à la distinction qu'il faut établir entre les mendiants valides d'une part et les mendiants invalides ainsi que ceux qui sont âgés de moins de 14 ans.

Quant aux mendiants valides, leur situation est complètement réglée par l’article premier et le gouvernement ne peut pas les détenir au-delà du terme fixé par le juge ; cela est de toute évidence. Quand le juge aura déclaré que le mendiant pourra être détenu 6 mois, le gouvernement ne pourra pas dépasser ce délai : il pourra libérer avant l'expiration du délai fixé par le juge, mais il n'aura pas le pouvoir de le dépasser ; sous ce rapport il n'y a pas de difficulté à redouter.

Quand, au contraire, il s'agit des mendiants invalides et de ceux qui sont âgés de moins de quatorze ans, le juge ne fixe plus de délai et l'on demande par l'article 6 le droit pour le gouvernement de déterminer les conditions de sortie. La rédaction que propose l'honorable M. Thonissen ne s'appliquerait donc pas aux deux cas ; elle ne s'appliquerait qu'au premier, car, comme je viens de le dire, pour les mendiants invalides ou âgés de moins de quatorze ans, le juge ne fixe point de délai : il les met simplement à la disposition du gouvernement : il s'agit moins d'infliger une peine que d'ouvrir un asile aux mendiants invalides ou âgés de moins de quatorze ans ; et l'arrêté royal doit intervenir dans ce cas pour fixer les conditions de la sortie.

Si l'on tient compte de cette distinction, on reconnaîtra, je pense, que la loi ne peut faire naître aucune difficulté.

Enfin, l'honorable M. Thonissen a parlé des conséquences fâcheuses qui l'exécution de la loi pourrait entraîner pour certains établissements aujourd’hui existants, spécialement pour le dépôt de mendicité de Reckheim.

Vous comprenez, messieurs, qu'il m'est impossible de m'expliquer maintenant sur ce point : le gouvernement fera ce qui dépendra de lui pour faciliter la transition. Je ne pense pas d'ailleurs que le dépôt de Reckheim puisse en souffrir beaucoup.

M. Vilain XIIII. - On supprimera le travail.

MjTµ. - Pas d'une manière absolue : pour les invalides et même pour les enfants, on peut conserver un certain travail agricole.

Dans tous les cas ce ne serait pas, à proprement parler, le dépôt qui subirait une perte ; (erratum, page 878) la journée d’entretien pourrait être augmentée. Voilà ce qui pourrait arriver. Mais si aujourd'hui, - d'après ce qu'on a dit, - malgré toute l'économie qu'on apporte sans les dépenses, on ne fait que ses frais tout en ne donnant que 10 centimes de salaire par jour, je crois que la situation n'empirera pas beaucoup.

Je comprends que si l'on réalisait de grands bénéfices, la suppression du travail pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour l'établissement ; mais si la situation est telle que je viens de l'indiquer, et je n'en doute pas, on n'a pas à craindre de grandes pertes.

M. Bouvierµ. - Je suis heureux d'avoir provoqué les explications que vient de donner M. le ministre de la justice en ce qui concerne le système cellulaire auquel les mendiants seront soumis. L'honorable M. Vleminckx nous a également fourni des renseignements très rassurants. Pour moi, autant je suis partisan du système cellulaire mitigé, autant je suis ennemi du système cellulaire absolu qui peut produire des cas d'aliénation mentale et même des idées de suicide. M. le ministre de la justice vient de nous fournir des explications satisfaisantes que j'ai entendues ave bonheur, d’après lesquelles il (page 867) résulte que le système cellulaire, tel qu’il est pratiqué en Belgique et qu’il sera suivi en ce qui touche les mendiants, produira d’excellents résultats ; il aura pour effet d’indiquer aux mendiants, des idées d’ordre, de travail, et j’ajoute, de religion qui finiront par les régénérer en quelque sorte à leurs propres yeux, et leur donnera une vie nouvelle plus morale, plus féconde pour eux d’abord et pour la société ensuite.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je ne pense pas qu’il soit dans l’intention de la Chambre d’aborder incidemment la discussion des divers systèmes de répression. Je remercie M. le ministre de la justice de ce qu’il vient de nous dire sur la suppression des maisons de détention en commun et je rends hommage avec lui au principe de l'emprisonnement cellulaire.

Des difficultés, messieurs, ne peuvent naître que de l’application, et ces difficultés, c'est à l'expérience qu'il faut demander de les résoudre.

Je saisis cette occasion d’exprimer le vœu que M. le ministre de la justice veuille bien communiquer à la Chambre un rapport sur les différents systèmes d’application du régime cellulaire et sur les conséquences que ce régime a produit quant aux récidives. L’un des premiers fruits de ce rapport serait d'établir dans toutes les maisons de détention cellulaires une règle uniforme qui serait évidemment celle qu'on aurait reconnue la meilleure.

M. Magherman. - L'exposé des motifs du projet de loi actuellement en discussion, ainsi que le discours que vient de prononcer M. le ministre de la justice, me donnent la conviction que ce projet aura pour effet d’introduire de notables améliorations dans notre législation. Aussi aura-t-il mon assentiment.

Il est cependant un point sur lequel je ne puis pas m’associer complètement au projet de loi.

D'après ce projet on tolérera la mendicité chez les enfants âgés de moins de 14 ans. Cet âge, selon moi, est trop avancé pour tolérer la mendicité. C’est à l'enfant surtout qu'on doit inspirer des habitudes d'ordre et de travail. Tolérer la mendicité jusqu'à l'âge de 14 ans, me paraît une disposition propre à amener un résultat tout opposé à celui qu'on a en vue par le projet de loi.

Je pense qu'il y aurait lieu de modifier en ce sens la loi sous ce rapport.

Je le répète, on irait à l’encontre du but que l'on veut atteindre, en tolérant la mendicité jusqu'a l'âge de 14 ans, mieux vaudrait ne pas tolérer du tout la mendicité chez l'enfant : car les vices qui résultent de la mendicité sont nombreux et une fois que l'enfant a pris l'habitude de mendier, il lui sera bien difficile de s'en défaire. Je pense que si M. le ministre de la justice veut réfléchir aux mauvais effets que la mendicité doit produire chez l'enfant, il sera amené à modifier le projet de loi.

M. Mullerµ. - Messieurs, quand j'ai demandé la parole tout à l'heure, c'était pour répondre quelques mois aux objections de l'honorable M. de Vrière. M. le ministre de la justice ayant accompli à peu près cette tâche, je n'ai plus que peu de choses à dire en réponse aux dernières observations de l'honorable M. Magherman.

Je crois que ces deux honorables membres se trompent sur l'esprit et la portée du projet de loi.

D'après le projet de loi, la mendicité des enfants et celle des vieillards n’obtiennent pas l’impunité ; seulement il dépend alors du chef de l'administration communale de donner lieu aux poursuites, de viser ou de ne pas viser le procès-verbal qui aura été dressé.

C'est donc dans ces limites qu’une latitude est donnée aux administrations communales.

Comme l'a fait observer M. le ministre de la justice, si le mendiant invalide ou l'enfant âgé de moins de 14 ans, mendie dans une commune qui n'est pas la sienne, il est très probable que le bourgmestre de cette commune permettra les poursuites en visant le procès-verbal. Si c'est dans sa propre commune, le bourgmestre sera parfaitement en position d'examiner si, d'après la situation de la famille, il y a lieu d’user d'indulgence.

Je ferai remarquer, en outre, que l’honorable M. de Vrière a versé dans l’erreur lorsqu’il a pensé que les parents pouvaient être poursuivis, lorsque leurs enfants mendiaient par habitude. Il n’en est rien : l’habitude de la mendicité est requise en pareil cas ; car, évidemment, vous ne pouvez pas punir les parents pour un fait isolé de mendicité.

Je crois pourvoir me borner à ces observations qui doivent, selon moi, donner quelque satisfaction aux honorables membres dans l’esprit desquels le projet de loi aurait pu faire naître des doutes sous ce rapport.

M. Dewandre, rapporteurµ. - Messieurs, nous sommes tous d'accord qu’il faut user d’une certaine tolérance vis-à vis des invalides.

Eh bien, la détermination de l’âge au-delà duquel la poursuite sera obligatoire, dépend de la question de savoir quand l’enfant doit être considéré comme capable de subvenir à sa subsistance et quand il en est incapable.

C’est cette considération qui a fait admettre l’âge de 14 ans.

Diminuer cet âge, ce serait envisager l’enfant à 12 ans, par exemple, comme étant toujours capable de subvenir à sa subsistance, comme étant valide.

Je ne pense pas qu'on puisse, à cause de cette considération, qu’on ne peut pas généralement subvenir à sa subsistance avant l’âge de 14 ans à 15 ans ; je ne pense pas, dis-je, qu’on puisse descendre au-dessous de cette limite de 14 ans proposée par le projet de loi.

J'ajoute qu'en dessous de 14 ans, lorsque l'enfant sera réellement capable de subvenir à sa subsistance, et qu'il sera dans une localité où il y aura un travail rémunérateur pour des enfants de son âge, il dépendra du bourgmestre de permettre la poursuite, et en conséquence d'empêcher la tolérance pour les enfants même au dessous de 14 ans.

J'ai une autre observation à faire en réponse à l'honorable M. de Vrière qui a prétendu que la situation des communes relativement aux charges que leur imposent les frais d'entretien, se serait considérablement améliorée depuis quelques années. L’honorable membre a appuyé son allégation sur quelques faits qu'il a puisés dans les rapports sur les dépôts de mendicité de la Cambre et de la Flandre occidentale. Mais, messieurs, si l’on prend l’ensemble de la situation des dépôts de mendicité, on voit qu’il n'en est pas ainsi.

J'ai sous les yeux le chiffre de la dépense totale des journées d'entretien dans les dépôts de mendicité et dans les écoles de réforme, de 1831 à 1855 et de 1858 à 1863 ; il n'y a qu'une lacune pour les deux années 1856 et 1857.

Eh bien, je vois qu'en 1831 la dépense résultant de l'entretien des mendiants et des vagabonds dans les dépôts de mendicité et dans les écoles de réforme a été de 279,740 fr.

En 1835 la dépense est de 275,986 francs. De 1836 à 1839, elle s'est élevée à plus de 300,000 francs. En 1840 et 1841 elle a été de plus de 400,000 francs ; de 1842 à 1845, de plus de 500,000 francs par an : de 1846 à 1849 il y a eu une augmentation assez considérable, par suite de faits calamiteux que nous connaissons tous. Pendant certaines de ces années, la dépense s'est élevée à plus de 900,000 francs ; mais ce chiffre est tout à fait accidentel.

En 1850, le chiffre descend à 570,030 fr., mais depuis lors il s'est encore accru. Ainsi, en 1858, il était de 600,902 fr., enfin, en 1863, il était de 755,339 fr.

Donc le chiffre total de la dépense des frais d'entretien par les communes s'est accru presque chaque anuée depuis 1831.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

MpVµ. -La Chambre passe aux articles. La discussion s'ouvre sur le projet du gouvernement, M. le ministre de la justice s’étant réservé d'indique à chaque article, ceux des amendements de la section centrale auxquels il pourrait se rallier.

Article premier

« Art. 1er. Tout individu âgé de 14 ans accomplis, trouvé, mendiant ou en état de vagabondage, sera arrêté et traduit devant le tribunal de simple police.

« S'il est convaincu du fait, il sera condamné à un emprisonnement d'un jour à huit jours et mis à la disposition du gouvernement pendant le terme que le juge fixera, et qui sera de quinze jours au moins et de trois mois au plus, pour la première contravention, et de trois mois au moins et de six mois au plus, en cas de récidive.

« Le condamné sera renfermé dans un dépôt de mendicité, dans une école de réforme ou dans un établissement pénitentiaire à désigner par le gouvernement ; il pourra être soumis au régime de la séparation.

« Si les circonstances sont atténuantes, le juge est autorisé à ne prononcer, en cas de première contravention, qu'une peine de simple police.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je reviendrai, messieurs, fort brièvement sur les observations que j'ai déjà eu l'honneur de présenter hier.

Je n'insisterai pas sur la définition de la mendicité. je tiens seulement à faire remarquer que j'ai été mal compris et par M. le ministre de la justice et par M. le rapporteur de la section centrale. Rien n’est plus étranger à ma pensée que de vouloir laisser s'établir une école du vice, comme le pense M. le ministre de la justice, et je n'ai jamais songé non plus, comme l'a dit l’honorable rapporteur de la section centrale, à exiger une succession de faits, une succession de récidives pour frapper l'individu qui irait mendiant de village en village, cherchant à dissimuler sa honte et le triste métier qu’il exerce.

(page 868) Ma seule pensée, et je croyais m’être exprimé suffisamment à cet égard, était de faire une distinction entre le malheur et le vice, entre l’individu qui subit une nécessité et celui qui fait de la mendicité un métier par pure oisiveté, par pure fainéantise. Jusqu’ici cette distinction a constamment été faite dans la législation, et il me paraissait qu’au moment où la Chambre va voter une loi dont le caractère est une douceur plus grande et une modération plus étendue, il était regrettable de faire succéder des dispositions plus rigoureuses à celles qui ont été appliquées jusqu’ici. Je sais bien que si la section centrale et le gouvernement trouvent des difficultés sérieuses à inscrire ce principe dans la loi, on en tiendra toujours compte dans l’application et cela me suffit.

Il est une autre considération sur laquelle je crois devoir revenir ; c'est celle qui est relative à l'individu valide âgé de quatorze ans accomplis. Il sera condamné à un emprisonnement d'un à sept jours et il sera mis à la disposition du gouvernement, pendant un terme que le juge fixera et qui sera de quinze jours au moins et de trois mois au plus pour la première contravention.

Il me paraît, messieurs, que cette disposition est complètement insuffisante, si le gouvernement n'use pas de la faculté qui lui est accordée à l'article 5.

Si le juge se borne à envoyer cet individu pour un terme de quinze jours à trois mois dans une école du gouvernement ou dans un dépôt de mendicité, la réforme que l’on se propose, l'amendement que l'on a en vue sera évidemment impossible, et je vois un grave inconvénient à une disposition qui ne peut produire d'effet que dans le cas où elle serait complétée par un autre article du projet.

Je voudrais donc qu'on ne pût envoyer dans les dépôts de mendicité ou dans les écoles de réforme qu'en cas de récidive et que la durée du renvoi fût prolongée, que l’on adoptât, par exemple, un terme de trois mois à deux ans.

L'article 5 étant m quelque sorte lié à l'article premier, je me trouve amené à en dire aussi quelques mots.

L'honorable ministre de la justice invoquait hier un article de la loi du 5 avril 1848 qui porte également que les enfants et les jeunes gens peuvent être retenus dans les dépôts de mendicité pendant un terme dont la loi indique seulement le minimum et qui peut se prolonger selon l'appréciation du gouvernement.

Je sais, messieurs, qu'à une époque antérieure sous l'empire du code pénal de 1810 il y avait des dispositions beaucoup plus exorbitantes encore ; car il suffisait qu'un mendiant ou qu'un vagabond eût été saisi travesti d'une manière quelconque, pour que le gouvernement eût le droit d'en disposer conformément à l'article 282 du code pénal pendant toute la durée de sa vie.

C’était là une déposition exorbitante et je crois pour ma part que dans l'ordre de faits où nous devons nous placer, sous l'empire de nos mœurs et de la législation actuelle, il faut autant que possible la reléguer dans les souvenirs d'une législation antérieure et ne pas ressusciter des dispositions trop arbitraires.

Je comprends très bien qu'il soit utile que le gouvernement puisse exercer une action, que l'on mette à sa disposition les pouvoirs nécessaires, qu'il puisse apprécier notamment s'il y a eu amendement de l'individu dans l'école de réforme et que, s'il se trouve en présence d'un condamné incorrigible, il puisse prolonger le séjour de cet individu dans l'école de réforme ; mais je voudrais que, même dans cette hypothèse, il y eût une disposition précise dans la loi et qu'on déclarât que, dans le cas où l'amendement n'a pas été obtenu, il dépendra du gouvernement de doubler le séjour dans la maison de réforme.

Dans la situation actuelle des choses, cette disposition qui permet au gouvernement de retenir pendant quatre années un individu qui n'aurait été condamné qu'à un renvoi de 15 jours dans une maison de correction, me paraît réellement exorbitante, et, pour ma part, je ne puis y donner mon assentiment.

MjTµ. - Messieurs, je répondrai d'abord aux observations que vient de présenter l'honorable M. Kervyn.

L'honorable membre trouve la disposition insuffisante en ce qui concerne les mendiants valides qui sont âgés de plus de 20 ans et il la trouve exorbitante pour les enfants âgés de plus de 14 ans.

Telle est son opinion, si je l'ai bien comprise. D'un côté, il voudrait qu'on pût détenir pendant un terme plus long que celui que le paragraphe 2 de l'article premier permet au juge de déterminer. Il voudrait, d'un autre coté, que le gouvernement ne pût retenir dans les écoles de réforme jusqu'à l'âge de vingt ans.

Messieurs, quel est le système de la loi !

En ce qui concerne les mendiants et les vagabonds valides, ils sont punis d'une peine de simple police, et ils sont en outre mis à la dispositions du gouvernement pendant un temps que le juge fixe, et qui, pour la première condamnation, est de 15 jours à 3 mois.

L’honorable M. Kervyn voudrait qu'ils ne pussent être mis à la disposition du gouvernement, qu’en cas de récidive. Je ne puis admettre ce système.

Je crois, au contraire, que si l'on veut arriver à la répression de la mendicité, il faut donner an gouvernement le droit de renfermer, après la première condamnation, dans une maison pénitentiaire pour un délai assez court qui variera, comme je viens de le dire, de 15 jours à 3 mois. Un emprisonnement cellulaire de 15 jours à 3 mois est déjà une peine assez sévère, une peine qui doit exercer une influence très sérieuse sur l'individu qui la subit. Il apprendra ainsi que l’emprisonnement cellulaire n'est pas, en définitive, aussi agréable, si je puis ainsi dire, que la détention dans un dépôt de mendicité.

Maintenant, en cas de récidive, la détention pourra être ordonné pour 3 mois au moins et 6 mois au plus. On pourrait peut-être augmenter le minimum en cas de récidive et le porter à un an.

L'emprisonnement cellulaire appliqué pendant un an pour un délit de cette nature constitue une peine très sévère et préviendra les récidives.

Une réclusion de six mois est déjà, selon moi, une peine assez forte. S l'honorable M. Kervyn croit qu'elle est insuffisante pour produire l'amendement, je ne verrais pas d'inconvénient à l’élever.

M. Bouvierµ. - C'est trop.

MjTµ. - Il est du reste à remarquer que c'est le juge qui doit déterminer la durée de la peine, rien n'est laissé à l'arbitraire du gouvernement en ce qui concerne le maximum, le gouvernement ne peut pas dépasser le terme fixé par le juge, pour la détention, lorsqu'il s'agit de mendiants ou de vagabonds valides.

En ce qui concerne les enfants que le gouvernement demande à pouvoir retenir jusqu'à l'âge de vingt ans, il faut remarquer, messieurs, que la disposition est tout à fait dans l’intérêt des enfants eux-mêmes. Il s'agit ici d'une école de réforme ; ce n'est pas un établissement qu'ils puissent considérer comme un lieu de répression ; c'est une maison où ils reçoivent l'éducation et l'instruction.

Au surplus, messieurs, le gouvernement n'abusera pas de cette faculté ; il appréciera si l'amendement est produit, si l’individu est en état de gagner sa vie, s'il peut être placé de manière à ne plus retomber dans son ancien état. Je conçois, quand il s'agit d'emprisonnement, quand il s'agit de peine, que la faculté laissée au gouvernement soit limitée, mais quand il s'agit d'envoyer des enfants dans une école, on peut s'en rapporter à sa sollicitude.

J'ai, messieurs, à propos de cet article, à présenter à la Chambre d'autres observations sur lesquelles j'appelle tout son attention.

La section centrale propose, à l'article premier, deux amendements ; par le premier amendement, qui concerne le premier paragraphe, elle permet d'arrêter ou de ne pas arrêter le mendiant ou le vagabond valides ; par le deuxième elle commine une peine de 8 à 15 jours en cas de récidive. D'après le projet du gouvernement, l'arrestation doit toujours avoir lieu et le juge de paix ne peut prononcer, même en cas de récidive, qu'un emprisonnement d'un jour à sept jours ; il a seulement le droit de fixer dans les limites de 3 à 6 mois le temps pendant lequel le condamné sera mis à la disposition du gouvernement.

Je me rallie à l'amendement de la section centrale qui se rapporte au paragraphe 2, mais je ne puis admettre l'amendement qu'elle propose au paragraphe premier. Je vais, en quelques mots, en dire les raisons à la Chambre.

Cet amendement, comme je viens de le dire, consiste à rendre l’arrestation facultative. Je pense, messieurs, que l'arrestation doit toujours avoir lieu, parce que la mendicité et le vagabondage sont en quelque sorte des délits continus, parce que si l’on n'arrête pas l'individu qui se livre à la mendicité ou au vagabondage, il commettra de nouveau et immédiatement les mêmes délits : qu'un mendiant soit laissé en liberté, le procès-verbal dressé, il continuera à mendier ; qu'un vagabond soit laissé en liberté, il continuera à vagabonder.

Ainsi le délit continuera, et je ne crois pas qu’il soit conforme aux principes de permettre qu’un délit constaté puisse se reproduire immédiatement après la constatation.

Il y a une autre considération, c'est que si vous laissez en liberté l’individu surpris en état de mendicité ou de vagabondage, il n'y a plus de répression possible. Si l’on se contente de dresser procès-verbal, il faudra fixer un délai d'assignation, organiser une procédure.

(page 869) Om ira-t-on assigner à comparaître en justice le vagabond, qui n'a pas de domicile ? Si vous n'arrêtez pas immédiatement le délinquant, il échappera à toute répression. Il faut donc arrêter au moment où le délit est constaté, cette règle a été consacrée par la loi de 1849, et jusqu'à présent elle n’a pas donné lieu à la moindre réclamation.

On a fait différentes objections à ce système. On a dit que la liberté provisoire est admise pour toute espèce de délits et que, par conséquent, il n’y a pas de raison pour ne pas l'admettre dans l'espèce. Mais nous nous trouvons en présence d'un fait spécial. La liberté provisoire est admise par une disposition générale s'appliquant à tous les délits, mais si nous avions à régler la détention provisoire pour chaque délit, il est bien certain qu'il y a des délits pour lesquels nous ne l'admettrions pas ; nous ne laisserions pas provisoirement en liberté un individu prévenu de vol à la tire, parce que nous aurions la certitude qu'il userait de sa liberté pour continuer sa coupable industrie.

Il en est de même pour la mendicité et le vagabondage ; nous nous trouvons en présence d'un individu qui, si nous le laissons en liberté, continuera à commettre le délit que nous voulons réprimer par la loi.

Une autre objection a été faite qui ne me paraît pas non plus concluante.

On a dit : Beaucoup d'individus traduits devant les tribunaux de simple police sont acquittés, par conséquent la détention préventive qu'ils ont subie est injuste. Messieurs, il faut bien se rendre compte des causes qui déterminent l'acquittement en fait de mendicité ; quand il s'agit d'individus âgés de moins de 16 ans, les tribunaux sont libres de les acquitter comme ayant agi sans discernement et de les rendre à leur famille.

Eh bien, lorsqu'un enfant âgé de moins de 16 ans a été arrêté pour cause de mendicité et que ses parents viennent le réclamer, on fait application de l'article 66 du Code pénal, c'est ainsi qu'il y a beaucoup d'acquittements.

Mais quand il s'agit de vagabondage et de mendicité, les faits sont, en général, si notoirement établis qu'il n'y a pas lieu de craindre que l'individu arrêté subisse une détention préventive non méritée.

Je crois que la nature du fait exige que l'arrestation ait toujours lieu si l'on veut arriver à une répression sérieuse.

Enfin, messieurs, l'honorable M. Dewandre a dit que si vous forcez l'agent de police à arrêter, il pourra arriver qu'il ne verbalise pas.

Mais, messieurs, il manquera à son devoir s'il ne verbalise pas ; il manquera à son devoir si, pour ne pas arrêter, il ne fait pas de procès-verbal et devant une pareille faute, l'autorité aura le droit et l'obligation de sévir.

Je ne crains donc pas ce fait. Je crains, au contraire, que si vous donnez à l'agent de police la faculté d'arrêter ou de ne pas arrêter, il ne se retranche précisément derrière cette faculté pour ne pas remplir son devoir.

Je crois donc qu'il faut maintenir la disposition telle qu'elle est présentée, si l’on veut avoir une répression sérieuse, et je crois qu'il le faut surtout, pour les mendiants et les vagabonds dont s'occupe l'article premier de la loi.

M, Dewandre, rapporteurµ. - Le droit d'arrêter préventivement, le droit de priver de sa liberté un individu, alors surtout que ce droit est attribué à la police et même, le plus souvent, à un agent subalterne, est exorbitant, il ne peut être admis que dans des circonstances exceptionnelles, en cas d'absolue nécessité.

Aussi tout le monde s'élève contre les abus de la détention préventive, et c'est au moment où l'esprit public s'occupe de cette question et cherche à faire disparaître ces abus que le gouvernement vient proposer d'aggraver les dispositions relatives à cette détention, et cela pour un fait qui ne constitue pas un crime, à peine un délit, mais qui, de l'aveu même du gouvernement, peut n'être qu'une simple contravention, puisque l'article premier du projet de loi permet de ne le punir que d'une peine de simple police.

Que demande la section centrale ? C'est de laisser à l'agent qui constate le fait de mendicité ou de vagabondage la faculté d'arrêter ou de ne pas arrêter. Nous ne demandons pas d'une manière absolue qu'il n'y ait pas de détention préventive dans le cas de mendicité ou de vagabondage, mais nous demandons qu'elle ne soit pas obligatoire.

Or, elle n'est obligatoire pour aucun délit ; et pour un fait qui peut n'être qu'une contravention nous la rendrions obligatoire ! Evidemment, messieurs, ce serait aller à l'encontre de l'esprit public, de l'opinion généralement admise aujourd'hui en cette matière et quel motif nous donne-t-on ? On dit que la mendicité est un délit continu.

MjTµ. - Le vagabondage est un délit continu.

M. Dewandre, rapporteurµ. - C'est le fait de mendier et non pas l’habitude qui est puni par l'article premier.

Il résulte des termes de cet article, si le projet du gouvernement est admis, que l'agent qui constatera un seul fait de mendicité, un fait passager ou accidentel, à charge d'un individu qui se trouvera dans des circonstances telles que le juge de paix devra nécessairement lui appliquer le bénéfice des circonstances atténuantes, devra nécessairement arrêter pour pouvoir dresser procès-verbal.

Eh bien, c'est là évidemment une chose excessive.

Eu donnant à l'agent la faculté d'user de tolérance, nous ne risquons pas d'empêcher la répression. L'agent sera juge de la question de savoir s'il sera possible de retrouver le mendiant et même le vagabond.

Je reconnais que dans le cas où l'agent n'aura pas la certitude de retrouver le vagabond, de pouvoir le citer à comparaître en justice, il devra l'arrêter ; mais dans le cas de mendicité, lorsque l'agent connaîtra l'individu contre lequel il verbalise, il pourra s'abstenir de le conduire en prison.

Un prévenu n'est pas un condamné. L'appréciation d'un agent de police n'est pas un jugement et si nous forçons l'agent à arrêter dans tous les cas, il arrivera que lorsqu'il existera des circonstances atténuantes il ne verbalisera pas pour n'être pas obligé d'arrêter et la mendicité ne sera pas suffisamment réprimée.

On dit qu'en agissant ainsi, l'agent manquera à son devoir. Mais, sous le régime de la loi actuelle, cela arrive tous les jours. La loi punit actuellement la mendicité, mais comme elle ne distingue pas entre l'individu invalide et celui qui ne l'est pas, nous voyons tous les jours des agents de police détourner les yeux pour ne pas arrêter des mendiants. Cela se présentera à plus forte raison lorsque l'agent ne pourra dresser procès verbal sans arrêter.

Remarquez que nous aggravons la disposition du Code pénal tout en atténuant la peine.

D'après l'article 274 du Code pénal, l'agent n'est pas tenu d'arrêter.

La peine appliquée par le juge était au minimum, sous le Code pénal, de trois mois. Le juge ne peut, d'après le projet de loi, appliquer en cas de première contravention que huit jours de prison au maximum ; et nous rendrions la détention préventive obligatoire tandis qu'elle ne l'était pas sous le code.

Il me semble, messieurs, qu'il y a contradiction entre les deux principes que l'on veut faire inscrire dans la loi ; d'une part arrestation préventive obligatoire et d'autre part atténuation de la peine.

Ce sont ces considérations qui ont déterminé la section centrale à proposer une modification de rédaction qui permet à l'agent de ne pas arrêter lorsqu’il dresse procès-verbal.

M. le ministre nous dit : Si vous n'arrêtez pas le mendiant, il pourra continuer à mendier. Mais cette objection peut être faite pour toute espèce de délits. Si on n'arrête pas un délinquant quelconque, il pourra continuer à commettre des méfaits. Si l'on n'arrête pas un filou, il pourra continuer à faire des filouteries. Il en est de même des escrocs.

Je comprendrais l'objection si nous défendions d'une manière absolue d'arrêter, mais nous laissons à l'agent la faculté d'arrêter ou de ne pas le faire.

La section centrale s’est également fondée, pour proposer cette modification au projet de loi, sur les acquittements qui sont prononcés en cette matière.

M. le ministre de la justice nous dit : Mais ces acquittements sont fondés sur des circonstances toutes spéciales, c'est le plus souvent parce qu'il s'agit d'enfants de moins de 16 ans qui ne sont pas réclamés par leurs parents. Mais en est-il moins injuste d'arrêter ces enfants préventivement lorsque la loi actuelle permet de ne pas les punir ?

Sous la loi nouvelle, le juge pourra encore acquitter, il pourra aussi ne punir que d'une peine de simple police.

Il serait donc injuste de rendre la détention préventive obligatoire.

M. Dumortier. - Messieurs, il y a dans le projet de loi qui nous est présenté de très bonnes choses et j'approuve plusieurs des dispositions qu'il renferme et dont quelques-unes ont été introduites par la section centrale. Mais il y a une chose que je ne comprends pas, c'est que l'on confonde dans un seul libellé, dans une seule et même disposition le vagabondage et la mendicité ; le vagabondage est un délit, la mendicité n'en est pas un.

Je ne suis pas avocat, mais je crois que le code pénal lui-même établissait une différence entra la mendicité et le vagabondage.

(page 870) M. Dewandre, rapporteurµ. - Permettez-moi de vous lire les articles du Code pénal :

« Art. 274. Toute personne qui aura été trouvée mendiant dans un lieu pour lequel il existera un établissement public organisé afin d'obvier à la mendicité sera, après l'expiration de sa peine, conduite au dépôt de mendicité. »

L'article 270 porte ;

« Les vagabonds ou gens sans aveu sont ceux qui n'ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance et qui n'exercent habituellement ni métier, ni profession. »

L'article 271 dit :

« Les vagabonds ou gens sans aveu qui auront été légalement déclarés tels seront, pour ce seul fait, punis de trois à six mois d'emprisonnement et demeureront, après avoir subi leur peine, à la disposition du gouvernement pendant le temps qu'il déterminera eu égard à leur conduite. »

M. Dumortier. - Ce sont des conditions différentes.

M. Dewandre, rapporteurµ. - es faits constitutifs sont différents, mais la peine est la même.

M. Dumortier. - Ce sont toujours des conditions différentes. Comme le disait tout à l'heure l'honorable rapporteur, l'article du code dont il vient de donner lecture ne contient pas l'obligation d'arrêter le mendiant, tandis que maintenant en confondant dans une même disposition les mendiants et les vagabonds, vous rendez obligatoire l'arrestation du mendiant.

Une chose m'a beaucoup frappé dans la discussion d'aujourd'hui. L’honorable rapporteur de la section centrale discute mendicité et l'honorable ministre de la justice lui répond vagabondage. Qu'on ordonne l'arrestation du vagabond, je le conçois, mais doit-il en être de même du mendiant quel qu'il soit ? Ne faut-il pas distinguer entre celui qui mendie par métier et celui qui, dans une situation douloureuse, pressé par la nécessité, est obligé de tendre la main ?

Je ne conçois pas qu'on confonde dans un même contexte des situations si différentes, et selon moi en les confondant vous donnez à votre loi un caractère sauvage et barbare. (Interruption.) Je dis que votre loi aura un caractère sauvage et barbare et que les agents de police eux-mêmes, par humanité, ne l'exécuteront pas. (Interruption.) Comment ! mais ne voyons-nous pas l'hiver, quand de pauvres enfants viennent nous demander de quoi acheter un peu de charbon pour se chauffer, ne voyons-nous pas, dis-je, les agents de police détourner la tête pour ne pas devoir les arrêter.

Je voudrais qu'il y a obligation d'arrestation pour le vagabond, mais je voudrais aussi, comme le propose la section centrale, que quant aux mendiants, l'arrestation fût facultative.

Alors seulement votre loi serait juste. Pourquoi confondre la mendicité et le vagabondage ? est-ce un crime que d'avoir fim ? est-ce un crime de n'avoir pas les moyens d'acheter du charbon pour préserver de la gelée sa femme et ses enfants ?

C'est cependant ce qu'on veut punir par l'arrestation immédiate. La section centrale propose que l'arrestation n'ait pas toujours lieu. M. le ministre de la justice répond qu'elle doit toujours avoir lieu. Eh quoi ! l'hiver, quand le froid sévit avec rigueur, une femme viendra vous demander de la secourir dans sa misère, de lui donner les moyens de se chauffer, et vous ne pourrez pas le faire sans vous rendre complice d'une infraction à la loi. Je dis que cela est barbare et sauvage, que ce n'est pas là une législation belge.

Je vous demande pardon si je m'exprime de la sorte, mais je ne suis pas avocat, je dis ce que j'éprouve et, selon moi, on a tort de confondre deux choses complètement distinctes : le vagabondage qui doit être réprimé et la mendicité qui peut se présenter sous deux faces différentes. Car il y a la mendicité d'habitude, mais il y a aussi la mendicité provoquée par la nécessité absolue. Il y a des besoins auxquels l’humanité ne peut pas se soustraire et devant lesquels il faut faire céder la rigueur des lois. Une loi qui atteindrait dans tous les cas la mendicité serait inhumaine et barbare, et je ne crois pas qu'il soit dans les mœurs de notre pays de l'accepter.

Distinguons donc, établissons dans l'article premier la nécessité de poursuivre en cas de vagabondage, mais laissons la faculté de le faire en ce qui concerne la mendicité. En agissant de la sorte, nous donnerons satisfaction au vœu si bien exprimé dans le rapport de la section centrale auquel je donne mon entier assentiment et nous aurons en même temps satisfait au désir de M. le ministre de la justice quant au vagabondage, auquel je donne également mon entier assentiment. Quant à moi, je ne pourrais voter une loi qui punirait comme un crime ou un délit la faim ou la misère.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - J'aurais désiré demande quelques explications à M. le ministre de la justice.

- Voix nombreuses. - A demain !

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je remettrai ma demande d'explications à demain.

Projet de loi érigeant la commune de Hoevenen

Rapport de la commission

M. Jacobsµ dépose sur le bureau le rapport de la commission chargée d'examiner le projet de loi portant érection de la commune de Hoevenen.

- Impression et distribution.

La séance est levée à 4 3/4 heures.