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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 5 mai 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 881) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Dickmans, ouvrier plombier, à Bruxelles, né à Bruxelles, demande la grande naturalisation avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le conseil communal de Braine-le-Château prie la Chambre d'accorder aux sieurs Lemmens et Moucheron la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Mariemont et à Charleroi par Arquennes, Feluy et Nivelles. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.


« L'administration communale et des habitants de Fouron-le-Comte, demandent la construction d'un pont sur la Meuse à Visé. »

- Même renvoi.


« La chambre de commerce de Nivelles demande que le chemin de fer projeté de Charleroi à Bruxelles passe par Nivelles. »

M. Nelisµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.

- Adopté.


« Le sieur Paguet, ancien instituteur, demande une augmentation de pension ou un secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres des administrations des polders du pays de Waes demandent que le projet de loi de travaux publics comprenne les travaux nécessaires à effectuer aux écluses et canaux de déversement des eaux provenant de ces polders. »

M. Janssens. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les travaux publics. Cette pétition a un objet très important au point de vue agricole.

M. Van Overloopµ. - J'appuie la demande de mon honorable ami, M. Janssens, et je prie la section centrale de prendre en sérieuse considération que dans le projet de travaux publics l'arrondissement de Saint-Nicolas est absolument oublié.

- Le renvoi de la pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics est ordonné.


« Le conseil communal de Pulle demande des modifications au chemin de fer direct d'Anvers à Turnhout, projeté par les sieurs Pavoux et Lambert. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.

Projet de loi portant une extension des concessions ferroviaires

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le projet de loi portant une extension de concession en faveur du Flénu et une autre en faveur de la compagnie du Centre.

- Impression, distribution et renvoi à l'examen des sections.

Projet de loi abrogeant les articles 17 et 21 du Code civil

Rapport de la section centrale

M. Giroulµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi portant abrogation du n°17 et du n°21 du Code civil.

Projet de loi relatif aux réclamations en matière d'application des lois sur les contributions directes

Rapport de la section centrale

M. de Macarµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif aux réclamations en matière d'application des lois sur les contributions directes.

- Ces rapports seront imprimés et distribués, et les objets qu'ils concernent, mis à l'ordre du jour.

Proposition de loi supprimant les peines du carcan et de la dégradation civique

Lecture

MpVµ. - Les sections ont autorisé la lecture d'une proposition de loi signée par M. Lelièvre ; elle est ainsi conçue :

« Art. 1er. La peine du carcan prononcée comme peine principale ou comme peine accessoire est supprimée.

« Il en est de même de la dégradation civique prononcée comme peine principale.

« Art. 2. Les peines du carcan et de la dégradation civique prononcées comme peines principales sont remplacées par un emprisonnement de 6 mois à 5 ans et par une amende qui ne pourra excéder trois mille francs.

« Le coupable pourra en outre être interdit pendant cinq ans au moins et dix ans au plus des droits énoncés en l'article 42 du Code pénal.

« S'il existe des circonstances atténuantes, ces pénalités pourront être réduites conformément à l'article 6 de la loi du 15 mai 1849.

« Art. 3. Dans le cas où le Code pénal prononce la peine de mort ou celle des travaux forcés à perpétuité, la cour d'assises pourra, si les circonstances sont atténuantes et en exprimant ces circonstances, commuer la peine de mort soit en travaux forcés à perpétuité, soit en travaux forcés à temps, et la peine des travaux forcés à perpétuité en travaux forcés à temps ou en réclusion.

« Art. 4. L'article 6 de la loi du 15 mai 1849 est applicable aux délits prévus par les lois spéciales qui permettent au juge de réduire les peines sous les conditions énoncées à l'ancien article 463 du Code pénal.

« Il est également applicable à tous les délits prévus par la loi du 8 janvier 1841 relative au duel. »

L'auteur demande à pouvoir développer sa proposition mardi prochain.

- Adopté.

Prompts rapports de pétitions

M. Van Hoorde, rapporteurµ. - Par pétition datée de Courtil-Bovigny, le 17 mars 1865, des propriétaires et commerçants de Bovigny demandent l'établissement d'une halte-station à Courtil-Bovigny, sur le chemin de fer de Spa-Luxembourg.

Même demande de propriétaires et commerçants de Houffalize, Mont, Mont-le-Ban, Wibrin, Cherain.

Les pétitionnaires exposent que, lors de la présentation des plans du chemin de fer de Spa-Luxembourg, l'on proposa d'établir une station à Courtil-Bovigny, mais que, cet emplacement étant éloigné de la frontière de 6 kilomètres, le gouvernement exigea une station plus rapprochée, dans l'intérêt du service de la douane.

L'emplacement primitivement choisi fut alors abandonné, et l'on décida de placer la station à Gouvy qui est dans les conditions voulues, c'est-à-dire dans un rayon de 3 kilomètres. Les pétitionnaires déplorent ce résultat.

A Courtil, la station aurait été établie à proximité de la route d'Houffalize à Vielsalm, par laquelle elle aurait été en communication facile avec plusieurs communes de ces deux cantons, tandis qu'à Gouvy elle se trouvera au milieu des bruyères, sans qu'aucun chemin empierré, ni même praticable pour les piétons en hiver, la relie aux localités que le chemin de fer doit desservir. En conséquence, ils espèrent que M. le ministre des travaux publics usera de toute son influence auprès de la société afin qu'elle créé une halte à Courtil. Ils assurent que la dépense ne serait pas forte, et que cette halte répond tellement aux besoins du pays, qu'elle est sollicitée par la société de l'Est français qui doit exploiter la ligne de Spa à Diekirch.

La commission vous propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics, le priant de vouloir bien examiner si la proximité de la station de Gouvy doit absolument faire obstacle à l'accomplissement du vœu des pétitionnaires ; il lui semble que très souvent des stations se trouvent établies à des distances moins grandes, et que, du (page 882) reste, on est ici en présence d'un ensemble de motifs plus que suffisants pour justifier une dérogation éventuelle aux principes ordinaires.

Subsidiairement, je me permettrai d'appeler, en mon nom personnel, l'attention de l'honorable ministre sur cette nouvelle confirmation de la vérité des observations que j'ai eu l'honneur de lui soumettre, l'année dernière, concernant l'état pitoyable des voies de communication dans différentes parties de l'arrondissement de Bastogne.

La pétition que je viens d'analyser lui apprend qu'il s'y trouve des villages relativement importants, (la commune de Gouvy-Limerlé a une population de 1,200 unies) dont l'accès est impossible, même aux piétons, pendant la moitié de l'année.

J'espère sincèrement qu'il ne perdra pas de vue cette situation, que rien n'excuse, dans la discussion à laquelle donnera lieu bientôt l'emploi des soixante millions récemment votés par les Chambres, et qu'il reconnaîtra lui-même que l'exposé des motifs, si généreux pour quelques provinces, si prodigue pour quelques grandes villes, est d'une parcimonie presque choquante à l'égard de cette province de Luxembourg, qui, d'après la chambre de commerce d'Arlon (je prie M. le ministre de remarquer que j'emprunte ici la pensée et les expressions d'un corps constitué, composé presque exclusivement de ses amis politiques) doit son état d'infériorité bien moins à la nature elle-même qu'à un véritable système d'exclusion pratiqué contre elle depuis trente-cinq ans, avec une persistance injustifiable.

M. Bouvierµ. - Je ne suivrai pas l'honorable rapporteur dans les considérations auxquelles il vient de se livrer en ce qui concerne le projet de loi sur les travaux publics que nous allons discuter dans un délai assez rapproché et qui n'est pas soumis aujourd'hui à nos délibérations

J'aurai, à cette occasion, l'honneur de dire à M. le ministre des travaux publics ce qui me pèse sur le cœur. (Interruption.)

Il n'aura rien perdu pour avoir attendu.

Maintenant, en ce qui concerne la pétition sur laquelle on vient de donner quelques renseignements, je l'appuie également et je prendrai la liberté d'ajouter quelques renseignements nouveaux que je recommande à la sérieuse attention de M. le ministre des travaux publics.

Quand il s'est agi de l'établissement définitif du chemin de fer de Spa à Luxembourg, il avait été décidé qu'une station internationale serait établie à l'extrême frontière pour desservir les douanes belge et grand-ducale, et qu'une halte-station aurait été créée à Courtil-Bouvigny.

Mais des convenances purement douanières en ont décidé autrement.

Les pétitionnaires appellent l'intervention de la Chambre pour obtenir du gouvernement cette halte-station. Placée ainsi sur la route de Houffalize à Vielsalm, reliée à celles de Bastogne à Liège et à Arlon, et de Stavelot à Diekirch, elle satisferait immédiatement les intérêts des communes de Bouvigny, Chorain, Mont-le-Ban, Mont, Houffalize, Wibrin, tout en donnant une communication plus facile, quoique un peu détournée, à celles de Tavigny, Samrée, les Tailles et Beho, au moyen d'une route peu coûteuse à établir et dont le nouveau projet de loi sur les travaux publics ferait les frais, parce qu'elle serait considérée comme un véritable affluent d'un chemin de fer. Une étendue de plus de quinze mille hectares de terre, aujourd'hui incultes, sans valeur, presque fangeuses, pourrait être livrée à l'industrie agricole ou forestière, tout en changeant les conditions climatériques de ces tristes et mélancoliques contrées. (Interruption.)

Vous souriez, messieurs ; cependant je ne fais que répéter une expression très juste, très élégante, très pittoresque, dont l'honorable rapporteur s'est servi dans une autre circonstance oh il a parlé de l'aridité mélancolique et proverbiale de nos contrées.

M. Van Hoordeµ. - Vous ne l'avez pas comprise.

M. Coomansµ. - Si ces contrées sont mélancoliques, il paraît qu'il n'en est pas de même de leurs habitants. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - C'est fort heureux pour eux, car la mélancolie est une espèce de maladie morale.

J'espère que M. le ministre des travaux publics prêtera une sérieuse attention à ces quelques considérations, d'autant plus que le canton d'Houffalize ne possède pas de route provinciale et ne jouit que de 17 kilomètres de route de l'Etat.

M. de Moorµ. - Si je viens appuyer les considérations présentées par mon honorable ami, M. Bouvier, et si j'exprime avec lui le désir qu'il soit fait droit aux réclamations des pétitionnaires, je crois utile pour eux de proposer de modifier les conclusions prises par M. Van Hoorde au nom de la section centrale.

A mon avis, il importerait de renvoyer également la pétition à M. le ministre des finances puisqu'il s'agit, en définitive, d'examiner s'il n'y a pas lieu de modifier, au besoin, le stationnement d'un bureau de douane.

Tout en appuyant donc le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre de la renvoyer également à M. le ministre des finances, en appelant toute la sollicitude du gouvernement sur la demande qui lait l'objet du rapport en discussion.

M. Bouvierµ. - Il vaut mieux renvoyer à deux ministres qu'à un seul.

- Le renvoi de la pétition à MM. les ministres des travaux publics et des finances est mis aux voix et prononcé.

MpVµ. - La parole est continué à M. le rapporteur.


M. Van Hoorde, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bastogne, le 24 mars 1865, des habitants de la rue du Sablon, section de la commune de Bastogne, et des habitants d'autres communes ou sections de communes, copropriétaires de la forêt de Freyr, se plaignent de ce que le conseil communal de Bastogne a porté en recette la somme à provenir de la vente des coupas ordinaires de cette forêt en 1865, et proposent des mesures pour assurer à chacun des copropriétaires sa part du produit net de la vente des coupes indivises.

Messieurs, cette pétition, revêtue d'environ 150 signatures, signale des irrégularités dans l'administration des droits d'affouage qui appartiennent, dans la forêt de Freyr, à une section de la ville de Bastogne, la section du Sablon. Depuis une huitaine d'années, le conseil communal de Bastogne fait procéder à la vente des coupes dont il s'agit, en vertu de l'article 47 du code forestier ; mais, sans que rien justifie cette manière d'agir, d'après les pétitionnaires, contrairement à la loi, d'après eux, au lieu de distribuer aux affouagers le produit de ces ventes, il le porte en recettes au budget. Il en résulte, disent-ils, que toutes les sections profitent de ce qui, en réalité, n'appartient qu'à une seule section, et que les affouagers non contribuables, pauvres ouvriers, simples locataires en chambres, ne possédant que leurs dix doigts, et fort nombreux, interviennent indirectement dans le payement des charges communales. Ils prient le gouvernement de veiller à ce que ces irrégularités ne se reproduisent plus et d'user de son autorité pour qu'il soit fait droit au vœu qu'ils expriment en terminant, vœu tendant à ce que les sommes provenant des coupes de Freyr et qui ont été précédemment encaissées par l'administration communale, soient, jusqu'à complet épuisement, portées par budget sectionnaire, en décompte des charges communales incombant à la section du Sablon, à laquelle ces sommes appartenaient.

Votre commission, messieurs, vous propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur, avec prière d'en faire l'objet d'un sérieux examen,

Quant à moi, j'appuie énergiquement les réclamations que je viens d'analyser. Elles me semblent parfaitement fondées. Le code forestier, à l'article 47, donne incontestablement au conseil communal le droit de procéder à la vente des coupes d'affouage, mais le produit de cette vente doit être distribué aux affouagers. Et à mon avis, la conduite du conseil communal de Bastogne n'est ni équitable ni légale.

La loi est formelle. L'article 46 du code forestier est ainsi conçu : « Les coupes indivises seront vendues à l'instar de celles du domaine, et les prix versés à la même caisse. Chacun des copropriétaires recevra sa part du produit des ventes. »

Quand on examine cet article, à la lumière de la discussion à laquelle il a donné lieu, on demeure convaincu que c'est précisément pour éviter l'abus dont les pétitionnaires se plaignent d'être victimes, que le paragraphe premier a été introduit dans la loi.

L'honorable M. Jacques était d'avis qu'il « ne serait pas convenable de faire verser dans les caisses du domaine le prix des coupes de bois appartenant à des communes. Si l'on agissait ainsi, disait-il, il faudrait que les communes s'adressassent à l'Etat pour obtenir la remise des fonds qui auraient du être versés directement dans les caisses communales. » Or, voici la réponse que fit à cette observation l'honorable M. Tesch, ministre de la justice : « Cette disposition a été introduite dans l'intérêt des copropriétaires indivis. Dans le système de l'honorable M. Jacques, il faudrait faire verser le prix des coupes indivises dans la caisse de la commune. Je ne pense pas que le propriétaire d'une coupe indivise ait la même garantie lorsque le prix des coupes est versé dans la caisse de la commune que lorsqu'il l'est dans les caisses du domaine. Aucune garantie ne serait accordée par la commune et une des parties pourrait recevoir une part supérieure à celle qui doit lui être attribuée. » M. le ministre aurait pu ajouter : « ou ne rien recevoir du tout » s'il avait prévu ce qui se passe aujourd’hui à Bastogne, par suite de la non-exécution de cet article 46.

Comme je le disais tantôt, cette manière de faire conduit à des résultats qui, vraiment, ne sont pas équitables.

(page 883) En ce qui concerne les affouagers non-contribuables, ils sont littéralement privés de leur propriété ; le seul revenu qu'ils possèdent leur est enlevé, sans même qu'aucun prétexte soit mis en avant pour atténuer le sans-gêne de cette expropriation.

En ce qui concerne les allouagers qui payent des contributions, le conseil communal tente, mais vainement, de justifier, ou tout au moins d'expliquer, sa manière de voir.

« Il est préférable, dit-il, de vendre les coupes pour acquitter les frais incombant à la rue du Sablon, que de les distribuer aux allouagers, qui n'en retirent aucun profit. »

Vous reconnaîtrez tous, messieurs, que cette dernière considération est absolument sans valeur. Le plus simple bon sens indique que les affouagers retireraient grand profil des coupes de bois de Frcyr si elles leur étaient distribuées en nature ou en argent, attendu que le prix du bois de construction et même des bois de chauffage est considérable, et que leur valeur s'accroît sans cesse. Quant à l'argument tiré des bois communaux, les pétitionnaires font remarquer avec infiniment de raison que la section du Sablon n'occasionnant pas de frais extraordinaires, en d'autres termes, ne coûtant pas plus que les autres sections, doit intervenir seulement dans les dépenses générales, et cela dans une même mesure.

Or, ce n’est pas ainsi que les choses se passent. L'administration communale qui retire un profit considérable des coupes de Freyr ne le porte pas en décompte des charges de la section du Sablon. Ses charges restent ce qu'elles étaient autrefois, et tout aussi élevées que les charges des sections qui n'ont rien à prétendre dans l'affouage en question.

Cette situation, messieurs, a paru tellement grave à la commission, que je crois pouvoir affirmer qu’elle n'aurait pas hésité à proposer l'annulation de la délibération du conseil communal de Bastogne, si le délai fatal de l'article 87 de la loi communale n'avait pas été écoulé.

M. Bouvierµ. - L'annulation de quoi ?

M. Van Hoordeµ. - L'annulation de la délibération dont il s'agit.

M. de Moorµ. - La commission n'en avait pas le droit.

M. Bouvierµ. - Elle a été approuvée par la députation permanente.

M. Van Hoordeµ. - Je maintiens, et je ne serai pas démenti par la majorité de la commission, qu'elle aurait proposé l'annulation par le gouvernement si le délai fixé par la loi communale n'avait pas été expiré. Mais n'ayant qu'à opter entre la ressource extrême du dernier paragraphe de cet article 87, et le renvoi à M. le ministre de l'intérieur, elle a adopté ce dernier moyen, convaincue qu'elle était que l'honorable ministre fera examiner mûrement, et dans le plus bref délai possible, cette question qui mérite l'attention la plus sérieuse.

M. Bouvierµ. - Sans recourir aux lumières de la discussion sur le code forestier, j'aurai quelques simples observations à fournir en réponse aux explications qui viennent d'être données par l'honorable rapporteur.

La question soulevée par la pétition est tellement simple que je suis étonné des grandes proportions qu'on veut lui donner. Cette pétition a été rédigée dans un grand établissement d'instruction de Bastogne, que tout le monde connaît, et l'on en fait une affaire quelque peu politique dans la ville de Bastogne. Quant à nous, nous ne lui ferons pas un semblable honneur. Nous allons seulement établir en deux mots que le conseil communal de la ville de Bastogne a très bien fait en prenant la sage résolution que l'honorable rapporteur critique si amèrement.

Messieurs, il y a deux sections à Bastogne : la section du Sablon dont on vient de parler, et une autre section, je n'ai pas saisi le nom. La section du Sablon a droit à l'affouage dans la forêt de Freyr ; 270 individus ont droit au partage de cet affouage. Mais qu'arrive-t-il, messieurs ? C'est que 265 de ces affouagers vendent leur droit à 15 autres pour la bagatelle de 2 francs pour chacun d'eux, laquelle somme va se dépenser dans certains établissements que le petit séminaire de Bastogne ne doit pas voir de trop bon œil parce que ce n'est pas précisément là que les idées de moralité font de grands progrès.

Eh bien, messieurs, qu'a fait le conseil communal de Bastogne ? Il s'est dit : Ce bois ne sert pas au chauffage de la femme et des enfants ni à la construction des bâtiments, comme l'insinue l'honorable rapporteur ; le produit de cet affermage se dépense dans certains établissements, non pas insalubres, mais dangereux pour la santé morale de l'homme ; et le conseil communal de Bastogne a pris une délibération en vertu de l'article 47 du code forestier, qui est ainsi conçu :

« Les conseils communaux et les administrations des établissements publics décident si les coupes doivent être délivrées en nature pour l'affouage des habitants et le service des établissements, ou si elles doivent être vendues soit eu partie, soit en totalité. Leur délibération sera soumise à l'approbation de la députation permanente du conseil provincial. »

Le conseil communal a fait ce qu'il pouvait légalement faire. Sa délibération a-t-elle été annulée par la députation permanente du conseil provincial, qui était seule compétente pour l'approuver ou l'improuver ? Pas le moins du monde ; elle a été approuvée à l'unanimité. Et aujourd'hui, messieurs, on vient se révolter contre la délibération du conseil communal de Bastogne et contre la délibération de la députation permanente qui approuve la décision du conseil communal de Bastogne. Eh bien, je dis que le conseil communal de Bastogne a parfaitement bien fait et que le rapporteur, au lieu de le blâmer, aurait dû lui faire compliment.

Il est vrai que le conseil communal de Bastogne est composé de libéraux et dès lors on doit trouver qu'il a fort mal agi. Car ces malheureux libéraux ne savent rien faire qui vaille.

Si derrière le conseil communal ne se trouvait pas la députation permanente, je comprendrais encore que la délibération fût taxée d'injuste ou de passionnée, mais je le répète, la délibération a été approuvée par la députation permanente du conseil provincial du Luxembourg, qui est tout à fait étrangère aux divisions qui règnent dans la ville de Bastogne, députation qui ne donne pas plus raison à la section du Sablon, qu'à sa sœur, sa voisine.

M. Van Hoordeµ. - J'ai redemandé la parole d'abord pour dire à M. Bouvier que ses insinuations sont entièrement dépourvues de fondement. En effet, si j'avais voulu ériger cette question en affaire politique, je n'aurais pas eu besoin d'une pétition pour atteindre mon but. Je pouvais, chaque jour et à toute heure, interpeller le gouvernement sur les fait, dont il s'agit.

Je dois lui dire ensuite que je le défie de réfuter mon argumentation. Il n'a parlé que de l'article 47 du code' forestier, et c'est l'article 46 de ce code qu'il importe d'examiner. Il s'est donc placé à côté de la question.

J'ai argumenté de l'article 46, qui veut que le produit des ventes soit versé dans la caisse du domaine, et que chaque affouager reçoive sa part dans ce produit. C'est par une application fausse et erronée de cet article, que le conseil communal de Bastogne a pris sa délibération, et que la députation permanente l'a approuvée. Du reste, ce qui prouve bien que le conseil communal de Bastogne est sujet à l'erreur, c'est que, dans cette même délibération, il invoque l’article 76 de la loi communale.

Cet article exige l'approbation du Roi, dont ne fait pas mention la loi sociale qui régit la matière qui nous occupe. Là encore il y a une erreur que je puis très bien signaler sans que l'on puisse m'accuser, pour cela, d'être mû par des considérations politiques. Quoi qu'il en soit, M. le ministre de l'intérieur étant appelé à se rendre compte de l'affaire, nous saurons bientôt, si, partageant l'opinion de mon honorable contradicteur, il décide qu'il y a lieu à faire ici une dérogation aux prescriptions formelles de la loi.

M. Bouvierµ. - Je désire dire un mot pour répondre à l'argument qui consiste à prétendre que les copropriétaires ne reçoivent rien.

M. Vau Hoordeµ. - J'ai dit qu'ils ne reçoivent pas leur part parce que la somme est versée à la caisse communale.

M. Bouvierµ. - Mais leur part vient en déduction de leurs charges communales. Cela équivaut au payement en nature.

M. Van Hoordeµ. - Du tout. Je m'étonne de cette erreur, car je me suis très longuement étendu sur ce point. Il n'y a jamais eu de budget sectionnaire portant le produit des ventes en déduction des charges, et c'est précisément la réparation que réclament les pétitionnaires. Je le répète, puisque j'y suis forcé. Quoique depuis huit années le conseil communal de Bastogne ait adopté le mode que je critique, les charges de la section du Sablon sont restées absolument les mêmes que celles des autres sections, et les affouagers qui se plaignent demandent formellement que les sommes indûment perçues, jusqu'à présent, soient portées en déduction de leurs impositions dans l'avenir.

- Les conclusions du rapport sont adoptées


M. Van Hoorde, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bastogne, le 25 avril 1865, des habitants de Bastogne réclament Intervention de la Chambre pour que la convention relative à l'embranchement du chemin de fer de Longlier à Bastogne, intervenue en 1862, entre le gouvernement belge et la compagnie du Grand-Luxembourg, soit rigoureusement exécutée.

Messieurs, les pétitionnaires demandent l'exécution stricte et rigoureuse d'une convention intervenue entre le gouvernement et la compagnie du Grand-Luxembourg. Ils font remarquer que plus de la moitié du délai accordé pour (page 884) l'exécution de l'embranchement de Longlier à Bastogne est déjà écoulé ; que par conséquent, il est plus que temps que la compagnie songe sérieusement à mettre la main à l'œuvre. En effet, si elle tardait davantage, il est certain que le délai stipulé en 1862, comme dernier délai, devrait être prorogé, au détriment des arrondissement de Bastogne, qui attend, depuis 20 ans, cet élément indispensable de prospérité.

Votre commission, messieurs, vous propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications. Elle a pensé que M. le ministre pourra les donner immédiatement, et qu'elles seront de nature à calmer les inquiétudes des pétitionnaires.

Elle le prie de déclarer qu'il veut que force reste à la loi, et de faire connaître catégoriquement et publiquement à la compagnie du Luxembourg qu'il a l’intention bien arrêtée d'exiger l'exécution stricte et rigoureuse de son cahier des charges, si, continuant à laisser sans effet tous les avertissements officiels et officieux qu'elle a reçus, elle n'exécute pas l'embranchement de Bastogne dans le délai convenu.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je ferai remarquer que je n'ai absolument rien à demander pour le moment à la Compagnie du Luxembourg. Cette compagnie doit livrer à l'exploitation, dans un délai fixé par la convention conclue entre elle et le gouvernement, l'embranchement de Longlier à Bastogne. Ce délai expire au mois de mars 1867. J'ai fait le calcul il y a quelque temps devant la Chambre à la suite d'une interpellation faite par l'honorable M. Van Hoorde.

La compagnie, messieurs, a ainsi encore à peu près deux années pour exécuter 20 à 25 kilomètres.

M. Van Hoordeµ. - Trente.

M. de Moorµ. - Pas trente.

M. Van Hoordeµ. - Vingt-neuf et demi.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Soit, mettons 30 kilomètres sur un tracé qui ne comporte pas d'ouvrages d'art.

Ce délai est plus que suffisant pour exécuter les travaux de l'embranchement dans les conditions que je viens d'indiquer, c'est-à-dire en l'absence de travaux d'art.

Quoi que vienne de dire l'honorable rapporteur, j'ai dernièrement non pas mis la compagnie du Luxembourg en demeure, je n'avais pas à la mettre en demeure, mais appelé son attention sur l'opportunité, chose dont elle est seule juge, de soumettre des plans au gouvernement. La compagnie m'a répondu qu'elle connaissait ses obligations, qu'elle n'avait pas le moins du monde l'intention de chercher à s'y soustraire, j'emploie à dessein le mot « chercher », et que toutes ses obligations seraient remplies dans le délai fixé par la convention.

Je n'ai rien de plus à apprendre à l'honorable membre ni à la Chambre. Mon département se trouve en règle vis-à-vis de la compagnie et la compagnie se trouve en règle vis-à-vis de mon département. J'ajouterai un mot seulement : si jusqu'à présent la compagnie n'a pas soumis ses plans à l'approbation du gouvernement, c'est qu'elle s'est trouvée dans l'impossibilité de les soumettre.

La Chambre sait, en effet, que l'embranchement de Longlier à Bastogne est une des sections de la ligne qui doit traverser l'arrondissement de Bastogne, partant de la frontière de France et allant aboutir à la frontière Grand-Ducale.

Pour que la section à construire par la compagnie du Luxembourg ne fasse pas double emploi avec la section à construire par la compagnie Lenoir et Forcade, il est utile que les deux compagnies s'entendent pour le tracé commun. Or cette dernière ne se trouvant pas encore en mesure de réaliser ses engagements, la compagnie du Luxembourg a été paralysée.

Si la compagnie du Luxembourg s'était trouvée en retard de fournir ses plans quant à la section de Longlier à Bastogne, il y aurait dans la circonstance que je viens de rappeler une excuse suffisante. Mais il n'en est rien, et j'ajoute que si la compagnie Lenoir et Forcade ne prouve pas qu'elle sera en mesure de s'exécuter dans un délai très rapproché, la compagnie du Luxembourg soumettra sans retard au gouvernement les plans de la section dont il s'agit et certainement il lui restera assez de temps pour livrer cette sietion à l'exploitation dans le délai déterminé.

M. Van Hoordeµ. - Messieurs, je dois avouer que je suis profondément étonné de la réponse de l’honorable ministre. Je ne m'y attendais pas. Je croyais qu'elle aurait été toute différente.

Il y a deux mois, à peine, répondant à une interpellation de l'honorable M. Wasseige, l’honorable ministre avait dit qu'il tient à agir vis-à-vis de la compagnie du Luxembourg avec plus de sévérité qu'à l'égard des autres compagnies, et cela, ce sont ses propres expressions, pour écarter un soupçon qui peut naître dans certains esprits, le soupçon de l'influence d'un administrateur considérable qui se trouve être en même temps membre du cabinet.

J'avais applaudi de grand cœur à ce langage, et sans rechercher s'il était parfaitement conforme au passé, ce qui était oiseux, il m'avait rempli d'espoir pour l'avenir.

J'avais, du reste, à plusieurs reprises, tant dans cette Chambre que dans son cabinet, lorsqu'il m'a fait l’honneur de m'y recevoir, pu m'assurer par moi-même des bonnes dispositions dans lcsquelles se trouvait l'honorable ministre des travaux publics.

Et voilà qu'aujourd'hui, il me dit seulement qu'il ne peut pas répondre à la question que je lui adresse, et qu'il n'a pas de droits à exercer à l'égard de la compagnie concessionnaire de l'embranchement de Bastogne.

Cependant, l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter possède incontestablement le droit de demander, par mon organe, à M. le ministre ce qu'il compte faire à l'expiration des délais convenus, s'il exigera, oui ou non, l'exécution rigoureuse du cahier des charges. Et M. le ministre est-il désarmé ? Non. Pourquoi la dernière partie du cautionnement reste-t-elle toujours entre les mains de l'Etat jusqu'à l'achèvement complet des lignes concédées ? Evidemment pour lui ménager un moyen d'action ; pour lui permettre de punir par la confiscation, ou de faire entreprendre d'office, en temps opportun, les travaux que les concessionnaires ne se mettent pas en mesure de finir dans les délais stipulés.

Encore une fois, le gouvernement usera-t-il de ses droits ? J'ai une autre observation à faire en réponse à M. le ministre. Il nous a dit que la construction de l'embranchement de Longlier à Bastogne pourrait nuire à l'exécution du réseau Forcade, que, partant, il ne faut pas se hâter, qu'il faut attendre encore.

Eh bien, voici les paroles que je trouve dans la réponse du gouvernement à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de 1862 :

« Il n'a pas été possible au gouvernement (il s'agit de l'embranchement de Bastogne), sous peine de compromettre des intérêts publics importants, de prolonger davantage cet ajournement... Il est traité à nouveau de la ligne dite embranchement de Bastogne... La section de Bastogne à la rencontre du chemin de fer de Namur à Arlon, une fois construite, ne peut que faciliter, plus tard, l'exécution de la ligne entière de Sedan, par la concession des deux sections extrêmes vers la frontière française et vers la frontière Grand-Ducale. »

A cette époque, la construction de l'embranchement de Longlier à Bastogne ne pouvait que faciliter la construction de la grande ligne internationale de Sedan à Saint-Vith, et aujourd'hui c'est le contraire qui est vrai. C'est à n'y rien comprendre !

Enfin, M. le ministre voudra bien me permettre de rectifier une erreur commise par lui relativement à la présentation des plans. Il a dit que la compagnie du Luxembourg ne doit pas même lui soumettre les plans, profils et devis de l'embranchement. Mais, si j'ai bonne mémoire, le cahier des charges stipule formellement que tous les plans doivent être soumis au gouvernement dans les six mois de la concession définitive, laquelle a eu lieu en mars 1863. Ici donc, la compagnie est certainement en demeure. Personne ne peut m'accuser d'avoir manqué de circonspection à l'égard de la compagnie Forcade : je n'ai jamais exprimé les craintes que j'avais touchant sa constitution immédiate. Mais enfin, je dois bien dire maintenant ce que j'en pense. D'ailleurs ma pensée est celle de tout le monde. Il est certain aujourd'hui qu'elle ne réalisera pas son projet avant le mois de mars 1867, date fixée pour la mise en exploitation de l'embranchement de Bastogne. La compagnie du Luxembourg doit donc se résigner.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je suis très embarrassé de répondre à l'honorable M. Van Hoorde, car je ne sais au juste quel est le sujet de sa réclamation.

M. Van Hoordeµ. - Exécuterez-vous rigoureusement le cahier des charges en ce qui concerne la compagnie du Luxembourg ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je n'ai pas à répondre à cette demande, mais je puis la caractériser : elle est désobligeante. L'honorable membre me demande au fond : Remplirez-vous votre devoir ? Eh bien, je trouve cette question parfaitement désobligeante d'autant plus que pas un jour n'a été perdu, que je n'ai rien à imposer à la compagnie et qu'elle déclare elle-même qu'elle remplira toutes ses obligations. Que ferez-vous, me dit l'honorable membre, si la compagnie ne s'exécute pas ? Ce qu'il conviendra. J'agirai vis-à-vis de la compagnie du Luxembourg comme vis-à-vis de tonte autre, j'exécuterai le cahier des charges.

(page 885) M. Van Hoordeµ. - Je ne vous avais pas demandé autre chose, et cependant j'ai dû le faire à quatre reprises différentes.

Chacun sait que, jusqu'à présent, les cahiers de charges n'ont jamais été exécutés purement et simplement. On a toujours usé de patience et de bonté à l'égard des concessionnaires en retard. Il n'y a, je crois, qu'un seul exemple de confiscation de cautionnement, et encore, dans ce cas que vous connaissez tous, ce sont les actionnaires qui ont fait abandonner, par leur faute, aux mains de l'Etat, les capitaux déposés. Aussi, M. le ministre des travaux publics sera, sans doute, porté souvent encore à être indulgent, et personne ne songera, dans la plupart des cas qui pourront se présenter, à lui en faire un grief. Il ne s'agit donc pas de parler ici de devoirs méconnus, d'accusations graves, de demandes indiscrètes.

Mais comme il y aura bientôt vingt ans que nous attendons l'exécution du chemin de fer de Bastogne, comme le gouvernement a déjà fait preuve trop souvent d'une bonté inouïe à l'égard de la compagnie du Luxembourg, nous pourrons bien demander que cette bonté ait un terme et prier le gouvernement de lui dire : « Cette fois, la bonté que nous avons eue autrefois, nous ne l'aurons plus, parce que rien ne la justifierait. »

En effet, voyez le chemin de fer de l'Ourthe, dont la concession a été décrétée pour la première fois en 1862, en même temps qu'on renouvelait pour la troisième ou la quatrième fois l'obligation de construire l'embranchement de Bastogne. Ce chemin de l'Ourthe est à la veille d'être achevé. Les habitants de l'arrondissement de Marche auront leur chemin de fer dans le délai convenu. S'il n'y a pas de mauvais vouloir, pourquoi n'aurions-nous pas le nôtre ?

M. Bouvierµ. - Vous l'aurez, mais vous faites du zèle.

M. Van Hoordeµ. - Répondez, je vous prie, à mes observations.

- Une voix. - Et les conclusions ?

M. Van Hoorde, rapporteurµ. - Je me contente des explications de M. le ministre des travaux publics. Je ne lui ai demandé que l'exécution pure et simple du cahier des charges. Sa dernière réponse me donne satisfaction. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Il est satisfait !

M. de Moorµ. - Il faut cependant des conclusions sur lesquelles la Chambre soit appelée à statuer.

M. Van Hoorde, rapporteurµ. - Nous maintiendrons le renvoi pur et simple à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.


M. Van Hoorde, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Izel, le 30 avril 1865, les membres du conseil communal d'Izel demandent que le chemin vicinal qui relie la station de Marbehan à Florenville soit déclaré à charge de l'Etat.

Même demande des conseils communaux de Les Bulles, Termes, Jamoigne, d'industriels, commerçants et propriétaires à Rossignol.

Messieurs, les pétitionnaires exposent que le chemin de grande communication de Marbehan à Florenville est devenu un des affluents les plus considérables du chemin de fer du Grand-Luxembourg ; que, par conséquent, il a perdu son caractère de vicinalité, et a acquis un caractère d'intérêt général.

Il occasionne de grandes dépenses d'entretien, lesquelles sont tellement considérables qu'elles diminuent annuellement, dans des proportions très fortes, les ressources dont disposent, pour l'entretien des chemins ordinaires, les communes qu'il traverse.

En conséquence, ils prient M. le ministre d'examiner la question de savoir si le gouvernement ne pourrait pas déclarer ce chemin route royale. Comme je suppose que l'honorable M. Bouvier tient beaucoup à faire du zèle en cette circonstance, je n'en dirai pas davantage, et je lui laisserai immédiatement la parole.

M. Bouvierµ. - Puisque l'honorable M. Van Hoorde désire que je fasse du zèle, ce ne sera pas du moins du zèle intempestif comme celui auquel vient de se livrer l'honorable membre. (Interruption.)

Mais l'honorable M. Van Hoorde m'a adressé une allusion toute personnelle ; j'ai donc le droit de lui répondre.

M. Van Hoordeµ. - Faites-le. Je vous écoute toujours avec le plus grand plaisir.

M. Jacobsµ. - Où donc sommes-nous, M. Bouvier ?

M. Bouvierµ. - Toujours dans le Luxembourg, il me semble.

MpVµ. - Arrivez à la question, M. Bouvier.

M. Bouvierµ. - Je n'eu sors pas, M. le président, grâce à l'honorable M. Van Hoorde, rapporteur de trois pétitions concernant le Luxembourg. Je suis d'ailleurs d'accord avec l'honorable rapporteur que cette voie de communication, qui est aujourd'hui une voie de communication en quelque sorte vicinale, doit devenir une route de l’Etat.

J'espère qu'à l'occasion de la discussion du projet de loi sur les travaux publics, nous pourrons en causer plus amplement avec M. le ministre des travaux publics ; et, pour le moment, je borne là mon zèle.

- Les conclusions de la commission tendantes au renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi relatif à la mendicité, au vagabondage et aux dépôts de mendicité

Discussion des articles

Article premier

MpVµ. - La discussion sur l'article premier n'a pas été close, le gouvernement s'est rallié au paragraphe 2 de l'article de la section centrale.

MjTµ. - Messieurs, dans la séance de mercredi, nous avons discuté la question de savoir si l'arrestation du vagabond ou du mendiant devait être facultative ou obligatoire.

Dans le projet du gouvernement elle est obligatoire ; la section centrale propose de la rendre facultative.

Pour soutenir l'amendement de la section centrale l'honorable M. Dewandre a invoqué l'article 274 du Code pénal et a prétendu que sous l'empire du Code pénal l'arrestation n'était pas obligatoire. Après lui l'honorable M. Dumortier s'est élevé contre cette disposition qu'il trouve exorbitante, draconienne, contraire à nos mœurs, indigne de la législation belge.

Il est vrai, messieurs, que l'article 274 du Code pénal ne rend pas l'arrestation obligatoire, mais il est à remarquer que le Code pénal ne rend l'arrestation obligatoire pour aucun fait, et cela par une raison fort simple : c'est que le Code pénal ne s'occupe pas de l'arrestation ; il ne s'occupe d'arrestation ni pour le meurtre, ni pour l'assassinat, ni pour aucun crime en un mot.

Le code pénal se réfère sous ce rapport au code d'instruction criminelle, qui règle l'arrestation et la détention préventive. Eh bien, d'après le code d'instruction criminelle, l'arrestation est obligatoire. Voici, en effet, ce que l'article 16 prescrit aux gardes champêtres et forestiers :

« Ils arrêteront et conduiront devant le juge de paix ou devant le maire tout individu qu'ils auront surpris en flagrant délit ou qui sera dénoncé par la clameur publique. »

Or, vous savez, messieurs, que les arrestations en matière de mendicité et de vagabondage ont toujours lieu en cas de flagrant délit.

L'honorable M. Dumortier a soutenu que c'était là une disposition qui n'était pas belge.

Mais, messieurs, cette disposition n'est pas seulement écrite dans le code d'instruction criminelle ; lorsqu’on a modifié, en 1849, les dispositions du Code pénal relatives au vagabondage et à la mendicité, les Chambres ost maintenu la disposition relative à l'arrestation ; voici, en effet, ce que porte l'article 5 de la loi de 1849 :

« Dans les cas de vagabondage et de mendicité prévus par les articles 271, 274 et 275 du Code pénal, l'individu arrêté sera amené dans les 24 heures devant le juge de paix à son audience. »

Ainsi, messieurs, le projet de loi ne modifie pas, sous ce rapport, la législation existante qui n'a donné lieu jusqu'à présent à aucune réclamation.

Mais enfin, pour donner satisfaction à tous les scrupules, je proposerai de faire une distinction entre le vagabondage et la mendicité et de rédiger l'article comme suit :

« Tout individu valide, âgé de 14 ans accomplis, trouvé en état de vagabondage, sera arrêté et traduit devant le tribunal de simple police.

« Tout individu valide, âgé de 14 ans accomplis, trouvé mendiant, pourra également être arrêté et traduit devant le même tribunal.

« S'ils sont convaincus du fait, ils seront condamnés à un emprisonnement de 1 à 7 jours pour la première contravention et de 8 à 15 jours en cas de récidive.

« Ils seront, en outre, mis à la disposition du gouvernement pendant le terme que le juge fixera et qui sera de 15 jours au moins et de 3 mois au plus pour la première contravention et de 3 mois au moins et de 6 mois au plus en cas de récidive.

« Les condamnés seront renfermés dans un dépôt de mendicité, dans une école de réforme ou dans une maison pénitentiaire à désigner par le gouvernement ; ils pourront être soumis au régime de la séparation.

« Si les circonstances sont atténuantes, le juge est autorisé à ne prononcer, en cas de première contravention, qu'une peine de simple police. »

Cet amendement, messieurs, me semble donner satisfaction à tout le monde.

M. Dumortier. - Je remercie M. le ministre de la justice du l'amendement qu'il vient de déposer, je trouve que cet amendement donne (page 886) satisfaction à toutes les opinions, et qu'il est de nature à être accueilli sur tous les bancs de la Chambre.

Le coupable de vagabondage, c’est à-dire l'homme sans domicile, dangereux, doit être arrêté ; le mendiant pourra l'être. Ainsi, on n'arrêtera pas l'homme qui, dans un temps de misère ou de disette, obéissant à une impérieuse nécessité, est obligé de mendier son pain ou du chauffage ; tandis qu'on poursuivra sévèrement l’habitude de la mendicité qui doit être réprimée à l'égal du vagabondage.

Je remercie donc M. le ministre de la justice d'avoir déposé son amendement qui donne une complète satisfaction aux observations que j'avais eu l’honneur de présenter sur ce point à la Chambre.

M. Schollaertµ. - Messieurs, d'après l'économie du Code pénal de 1810, l'acte de mendier n'est punissable que lorsqu'il est posé dans un endroit où il n'existe pas d'établissement public auquel le mendiant aurait pu s'adresser. Pour constituer le délit de mendicité dans les lieux où de pareils établissements n'existent pas, ce code ne se contente pas d'un simple acte de mendicité ; il exige que le prévenu se soit fait de la mendicité une sorte d'état ou de profession, en d'autres termes qu'il y ait dans son chef « habitude de mendier. » Le projet de loi qui vous est soumis n'admet ni cette distinction, ni ce tempérament.

D'après ce projet, l'acte de mendier, c'est-à-dire le simple fait de solliciter un secours en public, est un délit. L'honorable M. Kervyn a proposé, eu section centrale, d'exiger, pour la qualification du délit, qu'il y eût habitude de mendier.

Messieurs, l'honorable M. Dewandre, rapporteur de la section centrale, au contraire, tâche d'établir, dans son rapport, que l'exigence d'une telle preuve pourrait énerver la loi ; que la preuve serait très souvent difficile à administrer, et que, par conséquent, la mendicité ne pourrait pas être, dans un grand nombre de cas, efficacement et sérieusement réprimée.

Je comprends parfaitement ce qu'il y a de juste et de fondé dans les observations de l'honorable rapporteur de la section centrale. Mais d'un autre côté, il me semble bien sévère de frapper uniformément d'une répression pénale un acte qui peut, dans certaines circonstances, être l'expression d'un véritable droit naturel.

A mon avis, il y a lieu de mettre à l'abri de toute poursuite l'individu auquel on n'aurait ni faute ni vice à reprocher, qui n'aurait pas voulu manger dans l'oisiveté le pain des autres, au lieu de pourvoir à sa subsistance par son travail, mais qui par des circonstances fortuites, indépendantes de sa volonté, se serait trouvé dans la malheureuse nécessité de tendre la main. Le malheur ne peut pas être puni, il est sacré.

L'on ne répond pas à l'objection de l'honorable M. Kervyn, en observant que, dans ces circonstances, l'individu trouvé mendiant ne serait puni que d'une simple peine de police.

Dans ces conditions, la peine la plus légère serait une injustice d'autant plus criante qu'une condamnation pour mendicité implique, aux yeux de l'opinion, une véritable flétrissure.

Je prie la Chambre de se reporter un moment à une grande calamité récente que le pays tout entier a voulu soulager par les secours les plus efficaces, je veux parler de la catastrophe de Dour. Je demande à la Chambre quel effet aurait produit sur elle et sur le public une condamnation de simple police prononce par exemple, contre la veuve ou les orphelins, d'une des victimes de la catastrophe de Dour.

Evidemment, cela eût révolté toutes les consciences, et personne de nous, messieurs, n'eût voulu être la cause, même indirecte, d'une telle rigueur. (Interruption.)

Aucun juge, dit-on, n'aurait condamné, mais alors les juges auraient violé la loi.

Je prie l'honorable M. de Brouckere, qui me fait l'honneur de m'adresser cette observation, de vouloir bien faire attention à ceci : qu'aux termes du projet de loi qui nous est soumis, il eût suffi à la veuve ou à l'orphelin d'une des victimes de tendre la main pour tomber, à raison de ce simple fait, sous l'application de l'article premier, cet article n'exigeant plus, comme le paragraphe 2 du Code pénal, la condition d'habitude.

Par ces considérations, je proposerai, par forme d'amendement, d'ajouter à l'article premier du projet de loi soumis à nos délibérations, le paragraphe final suivant :

« Si le prévenu trouvé mendiant prouve qu'il n'a pas l'habitude de mendier, qu'il agi sous l'emprise d'une impérieuse nécessité, il pourra, selon les circonstances, être renvoyé de la poursuite. »

Je crois que le paragraphe additionnel peut être admis, même dans les idées de l'honorable M. Dewandre, parce que le ministère public est dispensé de prouver l'habitude ; que l’habitude dans le système que j'ai eu l'honneur de développer, est présumée et que le contraire, par conséquent, doit être établi par le prévenu ; qu'indépendamment de cette preuve, l'amendement exige qu'une autre preuve positive soit apportée par le prévenu, savoir qu'il a agi sous l'empire d'une impérieuse nécessité ; et pour ne pas entraver l'action de la justice qui, je le reconnais, doit, dans ces circonstances être efficace, et garantir contre toutes les chicanes qu'on peut élever en cette matière devant les tribunaux de simple police, je laisse au juge la simple faculté d'acquitter, si la justification lui paraît établie, sans lui en imposer le devoir.

La question d'appréciation reste donc entière, et l'amendement que je vais avoir l'honneur de faire parvenir au bureau n'a d'autre but que de donner aux magistrats la faculté de distinguer entre le vice et le malheur, afin de frapper toujours le vice et de respecter toujours le malheur, qui chez toutes les nations est dans toutes les législations, est considéré, non comme une chose punissable, mais comme une chose sacrée.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, j'adhère à l'amendement qu'a proposé aujourd'hui M. le ministre de la justice ; je me rallie aussi complètement à l'amendement que l'honorable M. .Schollaert vient de développer ; mais je n'insisterai pas davantage sur les considérations qui me font un devoir de le voter.

Je me bornerai en ce moment à reproduire une observation que je voulais présenter à la Chambre à la fin de la séance d'avant-hier.

Il s'agit d'une demande d'explication sur le texte de l'article premier.

Voici en quel sens j'avais compris l'article premier : (L'orateur donne lecture.)

Dans la pensée de la section centrale, il était bien entendu que cet emprisonnement serait cellulaire, je crois que nous étions d'accord sur ce point.

L'article premier ajoute qui le condamné « sera mis à la disposition du gouvernement pendant le terme que le juge fixera et qui sera de quinze jours au moins et de trois mois au plus pour la première contravention. »

L'article premier porte encore que, dans ce cas, le condamné sera renfermé dans un dépôt de mendicité, dans une école de réforme ou dans un établissement pénitentiaire à désigner par le gouvernement.

Si l'on se reporte au projet du gouvernement, l'on voit que la rédaction présentait un sens général. Voici en effet ce que portait l'exposé des motifs : « Les condamnés valides de plus de seize ans seront renfermés dans l'établissement pénitentiaire qui sera désigné par le gouvernement et, à défaut, dans le dépôt de mendicité. »

J'avais donc cru comprendre, messieurs, que la condamnation entraînerait le renvoi pendant un à sept jours dans une prison cellulaire, et qu'après ce terme, le condamné serait placé dans une école de réforme ou dans un autre établissement semblable, où l'on chercherait à préparer par le travail sa rentrée dans la société. C'est à ce point de vue que j'avais l'honneur de dire à la Chambre, il y a quelques jours, qu'il me paraissait complètement insuffisant de placer pendant quinze jours un condamné dans une école de réforme agricole.

Mais M. le ministre de la justice me faisait l'honneur de me répondre en se plaçant à un point de vue tout différent, que le gouvernement, ayant le droit de placer le condamné pendant quinze jours dans une maison cellulaire, était suffisamment armé par la loi, et tout à l'heure M. le ministre de la justice, fixant le sens du mot « établissement pénitentiaire », l'a remplacé par le mot : « maison pénitentiaire », en faisant mieux comprendre que le gouvernement resterait armé vis-à-vis des condamnés, en ce sens qu'il pourrait, à son choix, les placer dans une école de réforme agricole ou le renfermer dans une maison de détention cellulaire.

Messieurs, cette disposition me paraît présenter un caractère assez grave et assez sérieux pour que je fixe sur ce point l'attention de la Chambre. En effet, il résulterait de l'économie de l'article premier, s'il était interprété ainsi, que le juge condamnerait à un emprisonnement d'un jour à sept jours, et qu'il dépendrait du gouvernement de prolonger cette détention pendant quinze jours à trois mois, c'est-à-dire de ne pas tenir compte de cette peine prononcée par le juge, et non seulement d'en doubler, mais d'en décupler la durée.

C'est encore là, je le répète, une disposition arbitraire, qui me paraît tellement étendue que, selon mon opinion, il sera difficile à la Chambre de s'y associer.

M. Dewandre, rapporteurµ. - A entendre l'honorable M. Schollaert, il semblerait que nous aggravons considérablement la position des mendiants, que nous sommes plus sévères que ne l'ont été les auteurs du Code pénal.

Cependant, il n'en est rien. Le Code pénal, dans son article 274, condamnait tout individu qui est trouvé mendiant dans un lieu pour lequel (page 887) il existe un établissement public destiné à obvier à la mendicité. Nous ne condamnons que dans les mêmes circonstances et nous atténuons même la gravité de cette disposition, d'abord quant à la hauteur de la peine ; et puis, par la distinction que nous faisons entre les mendiants valides et les mendiants invalides.

Sous l'empire du Code, tous les parents des victimes de l'accident de Dour, qui auraient été surpris mendiants, auraient été condamnés, et plus sévèrement qu'ils ne le sont, à moins qu'on n'admette que l'article 64 du Code pénal leur aurait été applicable.

Cet article est ainsi conçu :

« Il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister. »

Cette seconde partie de l'article 64 pourrait jusqu'à un certain point être appliquée au mendiant, qui aurait agi sous l'empire d'une impérieuse nécessité ; ce sont là, si je ne me trompe, les expressions dont se sert l'honorable M. Schollaert dans son amendement.

Mais remarquez, messieurs, que les modifications que le projet apporte aux dispositions du Code pénal permettraient à la plus grande partie des victimes ou des parents des victimes de cet accident de Dour d'échapper à toute répression.

Le projet permettant au bourgmestre d'empêcher la poursuite contre les personnes considérées comme invalides, je ne doute pas que le bourgmestre de Dour, par exemple, considérerait, et à bon droit, comme invalides, les femmes et les enfants des victimes de ce cruel accident. Par ce fait même donc, ces personnes échapperaient à la peine mieux qu'elles ne peuvent le faire sous l'empire du code qui nous régit actuellement.

Du reste, même sous l'empire du Code, voit-on des poursuites s'exercer contre les individus qui se trouvent dans cette position malheureuse dont nous a parlé l'honorable M. Schollaert ? Mais jamais. La police sait aussi distinguer entre la misère imméritée et celle qui est imputable à celui qui tend la main : et pas plus sous l'empire de la loi nouvelle que sons l'empire du Code pénal la police n'arrêterait les parents des victimes d'un accident comme celui de Dour.

Messieurs, je vois un grave inconvénient à admettre l'amendement de l'honorable M. Schollaert. Cet amendement qui laisserait la mendicité impunie, même lorsqu'elle serait exercée par un individu valide, lorsqu'il établirait qu'il a agi sous l'empire d'une impérieuse nécessité, favoriserait, d'après moi, l'imprévoyance. Car l'individu imprévoyant se trouve sous l'empire d'une impérieuse nécessité, lorsque, par suite de cette imprévoyance, il est absolument dénué de ressources et qu'il tend la main pour s'en procurer.

J'admettrais peut être l'amendement de l'honorable M. Schollaert, s'il voulait y ajouter comme condition : c'est que la personne qui aurait mendié sans en avoir l'habitude, d'abord, et sous le coup d'une impérieuse nécessité, devrait en outre prouver que la misère n'est pas le résultat d'une faute qui puisse lui être imputable. Je crois que, si dans cette circonstance, une poursuite était par hasard exercée, ce que je ne crois pas, contre un pareil individu, il serait juste de ne pas le punir comme le mendiant à qui une faute est imputable, qui mendie parce qu'il n'a pas voulu travailler.

Au surplus, messieurs, tant en mon nom qu'au nom des autres membres de la majorité de Jl section centrale que je viens de consulter, je déclare me rallier au nouvel amendement de M. le ministre de la justice, quant à ce qui concerne l'arrestation obligatoire des vagabonds et l'arrestation facultative des mendiants. L'amendement de la section centrale avait surtout pour but de ne pas rendre obligatoire l'arrestation des mendiants, l'amendement de M. le ministre de la justice atteint ce but.

M de Brouckereµ. - Messieurs, l'honorable député de Louvain trouve la loi trop sévère, parce que, selon lui, elle forcerait le juge à condamner comme mendiant un individu qui, victime d'une calamité extraordinaire, aurait été momentanément forcé de tendre la main. L'honorable rapporteur vient déjà de lui répondre qu'en pareil cas l'individu poursuivi pour mendicité pourrait se défendre en faisant valoir l'article 64 du code pénal.

Je ferai une autre réponse encore à l'honorable député de Louvain. Il existe dans notre législation une disposition dont je ne sais pas précisément la date.

M. Mullerµ. - 1823.

M. de Brouckereµ. - Je crois qu'elle est de 1823 ; mais je n'oserais préciser la date, bien que j'en aie fait moi même usage plusieurs fois.

Il cite donc une disposition qui permet au bourgmestre, en cas de calamités extraordinaires, d'autoriser les personnes qui en sont victimes à demander des secours dans la commune. Le gouvernement a le même droit pour la province. Je suis très persuadé qu'il n'est personne dans cette assemblée chez qui il ne se soit présenté des gens porteurs d'une autorisation de mendier dans la commune, délivrée par le bourgmestre, parce que ces gens étaient victimes d'un incendie.

On a cité comme exemple la catastrophe de Dour, mais il est bien évident que les victimes de cette catastrophe qui se seraient présentées chez le bourgmestre pour demander l'autorisation de solliciter des secours pendant quelques jours, auraient obtenu cette autorisation, et si elles s'étaient présentées à l'autorité provinciale, elles auraient obtenu la même autorisation ; de plus, si je ne me trompe, un arrêté royal peut autoriser à demander des secours dans tout le pays.

Je crois donc que l'honorable M. Schollaert a un peu exagéré les craintes que doit inspirer, selon lui, le projet de loi dont nous nous occupons.

M. Schollaertµ. - Messieurs, j'adhère volontiers à la modification que l'honorable rapporteur de la section centrale propose à mon amendement. On pourrait dire : « ... qui, sans sa faute, s'est trouvé sous l'empire d'une impérieuse nécessité. »

Mais je ne puis pas admettre que l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer et que je maintiens soit inutile et puisse tendre à énerver la loi dont je me suis déjà déclaré partisan et admirateur. Je n'ai pas accusé le projet d'être plus sévère que le Code pénal de 1810 ; il est évident que les pénalités comminées par le projet de loi sont beaucoup moins sévères que celles du Code. Mais j'ai dit et je maintiens que la qualification du délit de mendicité est plus stricte, plus rigoureuse dans le projet de loi que dans le Code pénal de 1810.

Le projet de loi dispose pour une situation où probablement il n'y aura plus d'établissements destinés à recueillir ou à secourir les mendiants, et nonobstant cela, il est aussi sévère pour toutes les hypothèses que le premier paragraphe de la disposition du Code pénal, qui disposait pour l'hypothèse contraire. « Tout individu qui aura été trouvé mendiant, » dit le projet de loi, non pas : « Tout individu ayant l'habitude de mendier, » non pas : « Tout individu qui fera de la mendicité une profession, » mais : « Tout individu qui aura été trouvé mendiant, » c'est-à-dire : qui aura demandé un secours, sera poursuivi.

C'est là, messieurs, une injonction formelle que l'autorité judiciaire ne pourrait éluder qu'en se mettant à côté ou au-dessus de la loi. Nous ne pouvons pas supposer que la magistrature n'exécuterait pas la loi. Vous la forceriez donc à agir avec une rigueur que les principes du droit et l'humanité condamnent. Et nous ne pouvons à notre tour lui imposer cette extrémité.

Encore une fois, mon amendement n'a d'autre objet que de donner au juge, dans des cas exceptionnels, la faculté de prononcer un acquittement, le droit de ne point appliquer la loi à ces cas, et non pas le devoir d'accueillir toutes espèces de justifications.

En un mot, en adoptant l'amendement vous donnerez au juge le moyen de s'inspirer, le cas échéant, des sentiments d'humanité qui inspirent en ce moment toute la Chambre. L'amendement que je propose n'a véritablement ni d'autre sens ni d'autre portée. Je consens, avec empressement, suivant le vœu de l'honorable M. Dewandre, d'ajouter au texte de mon paragraphe additionnel les mots : « sans qu'il y ait aucune faute à lui reprocher. »

Ainsi, il me semble le seul argument que l'on pouvait opposer à ma proposition vient à s'évanouir.

En d'autres termes, l'individu qui saura établir l'honnêteté parfaite de ses antécédents pourra seul être renvoyé des poursuites.

On nous a dit, messieurs, que si les veuves et les orphelins des victimes de la catastrophe de Dour avaient été poursuivis sous l'empire du Code pénal, ils eussent été acquittés. Ceci dépend évidemment de la situation particulière où se trouve la commune de Dour ; si la commune de Dour possède un établissement où les personnes calamiteuses qui sont obligées de s'adresser à la bienfaisance publique, peuvent trouver nu asile ou des secours, le paragraphe premier de la disposition du Code pénal leur eût été applicable et il aurait fallu en violer le texte pour ne pas prononcer contre elles, en cas de poursuites, la peine comminée par cet article. Si, au contraire, la commune de Dour ne possède point d'établissement de cette nature, alors évidemment il y aurait eu acquittement. Pourquoi ? Parce qu'il aurait été manifestement établi que les victimes de Dour n'avaient pas l’habitude de mendier.

Mais si le projet actuel, tel qu'il est proposé, avait été en vigueur, il est évident qu'en toute hypothèse les orphelins et les veuves valides des victimes de la catastrophe de Dour auraient dû être poursuivis et condamnés, à moins d'une violation flagrante du texte légal.

On a dit que probablement, dans un cas pareil, le juge aurait distingué. (page 888) Eh bien, messieurs, nous ne devons pas permettre au juge de distinguer. Là où la loi ne distingue pas, la justice ne peut pas distinguer, et c'est précisément pour éviter un tel inconvénient, que je prie la Chambre d'établir elle-même une distinction qui n'altère en rien l'économie du projet et qui sauvegarde les droits de l'humanité.

M. J. Jouret. - Messieurs, je suis forcé d'abandonner les sphères élevées où les orateurs viennent de porter le débat, pour demander une simple explication, que le second paragraphe de l'article premier de l'amendement de la section centrale, rend, selon moi, indispensable pour éclaircir une question qui me paraît importante.

Le second paragraphe de l'article premier porte :

« S'il est convaincu du fait, il sera condamné à un emprisonnement d'un jour à sept jours pour la première contravention, et de huit à quinze jours en cas de récidive. »

Le projet du gouvernement disait :

« Tout individu âgé de quatorze ans accomplis, trouvé mendiant ou en état de vagabondage, sera arrêté et traduit devant le tribunal de simple police. »

Le projet du gouvernement demeurait dans les limites de la compétence générale fixée par l'art. 2 de la loi de 1849 qui s'exprime ainsi :

« Les juges de paix appliqueront les peines comminées par les lois et règlements sur les matières mentionnées dans l'article précédent jusqu'à concurrence de huit jours d'emprisonnement et 200 francs d'amende. Les peines plus élevées seront réduites de plein droit à ce maximum. »

C'est sur cette partie de l'article 2 de la loi de 1849 que j'appelle l'attention de M. le ministre et de M. le rapporteur de la section centrale. Il en résulte, en effet, qu'il est impossible qu'on élève la pénalité sans sortir des règles générales de compétence tracées par la loi de 1849.

Il me semble que cela demande un éclaircissement.

Le juge de paix, d'après le paragraphe 2 de l'amendement de la section centrale, pourra-t-il appliquer la seconde peine ou faudra-t-il, en cas de récidive, qu'on s'adresse au tribunal correctionnel ?

MpVµ. - Je crois que les amendements de la section centrale ont été retirés.

M. J. Jouret. - Au contraire, M. le président, le gouvernement s'y est rallié.

M. Dewandre, rapporteurµ. - Il me semble que l'article premier indique suffisamment que c'est le tribunal de simple police qui appliquera la seconde peine.

M. J. Jouret. - Je prie la Chambre de me permettre un mot, mais qui n'a aucun rapport à l'observation que je viens de faire. J'ai été parfaitement heureux d'entendre, dans une séance précédente, les explications données par l'honorable ministre de la justice et par l'honorable M. Vleminckx quant aux effets produits par l'emprisonnement cellulaire.

Mon expérience personnelle me prouve que ces renseignements sont parfaitement exacts, ayant été moi-même membre d'une commission administrative de prison cellulaire, mais, messieurs, la satisfaction que j'ai éprouvée en entendant donner ces excellents renseignements puisait sa source dans un autre motif.

Dans mon appréciation, l'emprisonnement cellulaire, sévèrement pratiqué, mais pratiqué avec cette sévérité éclairée qui doit empêcher que l'homme ne soit tué dans son intelligence comme nous demandons qu'on cesse de le tuer matériellement sans utilité, l'emprisonnement cellulaire, dis-je, est la peine qui doit remplacer avec le plus de sévérité et d'efficacité cette affreuse peine de mort qui, je l'espère disparaîtra bientôt des législations de tous les peuples qui marchent d'une manière de plus en plus décidée dans la voie de la civilisation.

Je me borne, pour le moment, à ce peu de mots.

MjTµ. - Je pense avec l'honorable M. Dewandre qu'en déclarant dans l'article premier que le mendiant ou le vagabond arrêté sera traduit devant le tribunal de simple police, on indique suffisamment que ce sera ce tribunal qui prononcera les deux peines.

Si cependant il y avait quelque doute sur ce point, on pourrait dire dans le paragraphe 2 : « ce tribunal condamnera a un emprisonnement d'un à 7 jours pour la première contravention et de 8 à 15 jours en cas de récidive. »

Du reste, la rédaction sera examinée avant le second vote, et elle pourra être modifiée s'il y a lieu.

Quant à l'amendement de l'honorable M. Schollaert, je ne pense pas qu'il puisse être admis par la Chambre.

Je ferai remarquer d'abord que le motif déterminant de cet amendement n'existe pas.

L'honorable M. Schollaert suppose que les dépôts de mendicité vont être tous immédiatement supprimés, ainsi que tous les asiles consacrés à l'indigence.

Tel n'est pas le but du projet de loi. Les dépôts de mendicité ne seront supprimés que lorsqu'il y aura dans les communes des établissements qui pourront les remplacer, ou lorsque les communes auront pris des mesures pour prévenir la mendicité, pour subvenir aux besoins des indigents. Aussi voyez-vous que plusieurs articles de la loi supposent l'existence dans certains cas des dépôts de mendicité.

Ainsi nous ne nous trouverons presque jamais, je pourrais dire jamais, dans le cas de l'article 274 du code pénal que l'honorable M. Schollaert a eu en vue et qui suppose qu'il n'y ait aucun asile pour les mendiants.

Il y a, messieurs, un autre motif pour ne pas admettre cet amendement, c'est qu'il compliquerait inutilement la loi. Il n'a rien de pratique ; la preuve qu'on imposerait au prévenu est une preuve impossible.

Il serait obligé d'établir qu'il a cédé à un besoin impérieux, à une impérieuse nécessité et, en même temps, que cette impérieuse nécessité est tout à fait indépendante de sa volonté, c'est-à-dire, qu'il devrait faire une preuve négative.

Ce serait introduire des complications dans la loi et occasionner des procédures judiciaires, souvent coûteuses, qui n'aboutiraient guère à des résultats sérieux.

Il ne faut pas, quand on fait une loi, se préoccuper exclusivement des exceptions.

On ne ferait jamais de lois si l'on se préoccupait trop de soustraire à leur application des cas exceptionnels qui pourraient se présenter.

Ainsi, messieurs, pour le vol : il y a des gens qui cèdent à une impérieuse nécessité. Faudrait-il pour ce motif ne pas punir le vol ?

L'honorable M. de Brouckere a du reste fait une observation très juste. Pour les situations que l'on vous a dépeintes la législation renferme des tempéraments dont tous les jours on fait usage.

En introduire un nouveau, c'est enlever à la loi une partie des effets qu'on en attend. Je crois que la Chambre ne doit pas admettre un pareil amendement.

En réponse aux observations de l'honorable M. Kervyn, je ferai observer que dans l'esprit du projet de loi les mendiants et vagabonds valides et âgés de plus de 14 ans subiront leur peine dans une maison cellulaire. Il en est de même de la détention qui leur sera infligée par suite de leur mise à la disposition du gouvernement. Mais cette prescription n'a pas pu être inscrite d'une manière absolue dans la loi ; celle-ci ne peut avoir en ce moment la précision que je voudrais pouvoir lut donner, parce que les maisons de détention ne sont pas partout les mêmes ; dans certaines provinces il y a des maisons cellulaires, dans d'autres il n'y en a pas.

Là où il n'y en aura pas, forcément et en attendant que le système cellulaire soit organisé dans tout le pays, il devra subir sa peine dans une maison ordinaire. Si le délai fixé par le juge et pendant lequel l'individu devra rester à la disposition du gouvernement est très court, s'il n'est que de quinze jours, par exemple, il devra encore rester dans une maison de détention ordinaire parce qu'on n'aurait pas le temps de l'envoyer d'une province où il n'y a pas de maison cellulaire dans une autre où il en existe ; si au contraire le délai est plus long et qu'on espère obtenir un amendement, l'individu y sera envoyé.

M. Nothombµ. - Je comprends très bien le sentiment qui a animé mon honorable ami, M. Schollaert, en présentant son amendement ; c'est un sentiment d'humanité auquel tous nous sommes sensibles ; mais à côté il y a le devoir des nécessités sociales, dont il faut tenir compte, et à ce point de vue il m'est impossible d'accepter la proposition.

La pensée qui a guidé l'honorable membre a dû certainement se présenter à l'esprit de tous ceux qui se sont occupés de la question de la mendicité ; chacun s'est demandé si l'on ne devait pas avoir une indulgence très grande pour les mendiants, même valides, qui n'auraient pas posé le fait par habitude ou par spéculation ; mais cette tendance si naturelle doit fléchir devant les raisons qu'ont indiquées d'honorables orateurs et entre autres M. le ministre de la justice.

Moi-même quand je me suis occupé de cette question et qu'en 1856, j'ai présenté un projet de loi que les circonstances n'ont pas permis de discuter et dont le projet actuel reproduit les dispositions essentielles, j'ai été préoccupé de cette idée, et la Chambre me permettra de lui donner lecture d'un passage de l'exposé des motifs du projet que j'avais soumis alors :

« Le projet ne reproduit pas la condition de l'habitude dont l'article 275 du Code pénal fait dépendre la culpabilité. Cette condition donnerait lieu à des difficultés d'instruction incompatibles avec la marche sommaire de la procédure devant les justices de paix, auxquelles la loi a attribué le jugement de ces délits. »

Si par cette considération, il convient d'éviter dans la loi la distinction (page 889) entre les mendiants par accident et les mendiants de profession, il n'entre cependant pas dans l'esprit qui a présidé à la rédaction du projet, de désapprouver la tolérance qui serait exceptionnellement exercée à l'égard des mendiants valides qui ne sont pas dans les conditions d'habitude.

En fait, ce n'est pas la trop grande sévérité dans l'exécution de la loi sur la mendicité qui est à craindre, tandis qu'il importe de ne pas fournir aux vrais coupables des moyens d'éluder les mesures de prévention que les autorités administratives croiraient devoir prendre, surtout contre les mendiants étrangers à leurs communes. Aussi ne faut-il pas perdre de vue que dans le système de l'article 275 du Code pénal, qui exige la condition de l'habitude, les mendiants arrêtés hors du canton de leur résidence sont frappés d'une aggravation de peine qui peut s'élever de six mois à deux années d'emprisonnement.

Voilà par quelles considérations je n'ai pas cru pouvoir introduire la distinction renouvelée aujourd'hui par l'honorable M. Schollaert, et ce sont sans doute les mêmes motifs qui ont déterminé M. le ministre de la justice à repousser une proposition qu'au point de vue de la pure humanité chacun serait heureux d'adopter.

Il ne faut d'ailleurs pas perdre de vue qu'aujourd'hui la pénalité dont on frappe le mendiant valide peut descendre jusqu'à la peine de simple police.

L'idée vraie, selon moi, est celle qui a inspiré le projet de loi, à savoir : qu'il faut être plein de mansuétude pour le mendiant invalide et l'enfant au-dessous de 16 ans ; mais qu'il faut être sévère contre l'individu adulte et valide qui, s'adressant à la charité publique, trouve plus commode de vivre d'aumône que de travail, et commet une espèce d'escroquerie envers le corps social en détournant, à son profit, des ressources qui ne doivent être réservées qu'aux infirmes, à la vieillesse et à l'enfance.

L'amendement de mon honorable ami me paraît affaiblir considérablement l'efficacité de la loi que nous discutons, et se préoccuper trop exclusivement d'un des côtés de la question et je ne puis me décider à le voter.

M. Schollaertµ. - Je désire répondre quelques mots seulement à l'honorable ministre de la justice et à l'honorable M. Nothomb.

D'après M. le ministre de la justice, mon amendement n'aurait aucune espèce d'utilité pratique, parce que le prévenu ne saurait administrer la preuve négative qu'on exige de lui.

Dans la plupart dis cas, il est très vrai que la preuve ne pourra pas être administrée. Et c'est pour cela que l'amendement présente peu de danger ; mais il est d'autres cas où cette preuve pourra être administrée.

Je suppose un ouvrier valide qui, par un accident quelconque, se trouve dépourvu de ressources dans une commune étrangère où il n'est que de passage : cet homme tend la main pour obtenir un morceau de pain, ce qui lui est rigoureusement nécessaire pour vivre ; mais lorsqu'il paraît devant le juge il prouve qu'avant d'être arrêté, il travaillait assidûment.

Eh bien, c'est pour ce cas où il ne faut pas permettre qu'un honnête homme, un malheureux soit flétri, même d'une peine de simple police, que j'introduis mon amendement.

Je veux que dans ces cas entièrement exceptionnels, le juge ait la faculté de faire droit aux sentiments d'humanité et de justice stricte dont la Chambre tout entière est animée en ce moment.

M. Nothomb a parfaitement expliqué qu'il serait dangereux d'exiger la preuve de l'habitude et, comme M. Dewandre l'a dit avant lui, que cette preuve pourrait être souvent difficile à fournir par le ministère public. Mais remarquez-le, ce n'est pas à l'habitude seulement que mon amendement s'attache ; il exige d'autres conditions. S'il est adopté, il ne suffira pas à celui qui sera surpris mendiant d'établir qu'il n'a pas l'habitude de demander l'aumône ; il faudra qu'il prouve en outre qu'il se trouvait exceptionnellement dans l'impérieuse nécessité de recourir à cette ressource extrême, qu'il n'y a dans ses antécédents aucune faute qui l'a amené au triste état où il se sera involontairement trouvé.

En d'autres termes, mon amendement ne reproduit pas complètement l'idée de M. Kervyn ; il est moins favorable au mendiant que le projet de mon honorable ami et lui est plus favorable que le texte du gouvernement et de la section centrale, qui se montrant, à mon avis, trop rigoureux et trop absolu dans la définition du délit.

Il faudra, en d'autres termes, pour que l'amendement soit applicable, trois conditions :

1° Que l'individu n'ait pas l'habitude de mendier ;

2° Qu'il prouve que ne mendiant point, il gagne son pain en travaillant ;

3° Enfin qu'il établisse que l'état de détresse où il s'est trouvé n'a pas été provoqué par une faute antérieure.

Et lorsque ces trois conditions seront acquises, le juge ne devra pas, mais il pourra, selon les circonstances, le renvoyer de la poursuite.

Eh bien, je le répète, messieurs, il n'est aucun membre de cette Chambre qui voudrait qu'un juge, dans de pareils cas, frappât le malheur, même par une peine de simple police.

Remarquez-le bien, messieurs, le seul mot de mendicité, je puis le dire, car cela fait honneur à la conscience humaine, est considéré comme un terme flétrissant.

Un ouvrier qui aurait été condamné à un jour de prison, pour cause de mendicité, serait en quelque sorte flétri aux yeux des travailleurs ; il aurait beau s'expliquer, invoquer les circonstances, la rigueur des textes, il ne conserverait pas moins cette tache que le peuple considérerait comme indélébile, parce que son premier respect s'attache toujours et s'attache légitimement à la dignité et à l'indépendance que procure le travail.

Je persiste dans mon amendement.

M. Kervyn de Lettenhoveµ ; - Je désire ajouter un seul mot aux observations présentées par l'honorable M. Schollaert.

D'après nos contradicteurs nous cherchons à modifier l'état de la législation ; mais, messieurs, il n'en est absolument rien ; et comme j'avais l'honneur de le dire il y a quelques jours en citant un commentaire récent du code pénal, la loi ne punit la mendicité simple que lorsqu'il est bien certain que la mendicité n'est pas la suite de la nécessité, du défaut de travail, mais le résultat de la fainéantise.

Eh bien, nous nous bornons à vous demander de ne pas inscrire une définition plus aggravante de la mendicité dans ce projet de loi où les conséquences de ces délits se trouvent atténuées. C'est donc en ce sens que j'appuie l'amendement de l'honorable M. Schollaert.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

MjTµ. - Je veux seulement présenter à la Chambre une courte observation qui prouvera, je pense, que l'amendement ne peut pas être adopté, parce qu'il n'est pas pratique.

L'honorable M. Schollaert a supposé un individu qui a été victime d'un accident ; devant le juge de paix il établit qu'il ne peut plus travailler par suite d'un accident, mais qu'antérieurement il travaillait.

M. de Naeyer. - Non, c'est un autre cas.

MjTµ. - Voilà l'hypothèse telle que je l'ai comprise. Eh bien, je demanderai à l'honorable M. Schollaert combien de temps durera, pour cet individu, le bénéfice de la situation qu'il indique.

Cet individu acquitté pourra-t-il mendier de nouveau le lendemain, établir de nouveau qu'il a agi sous l'empire d'une impérieuse nécessité et pourra-t-il ainsi, pendant un délai indéterminé, continuer à mendier ?

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Non, ce serait faire métier de mendier.

MjTµ. - Mais l'impérieuse nécessité existera le lendemain, le surlendemain ; et, pendant tout ce temps-là, il ne pourra pas être poursuivi.

Messieurs, on l'a déjà dit, celui qui est victime d'un accident peut obtenir l'autorisation de faire une collecte, et il ne sera pas exposé à être traduit devant un tribunal de simple police ; mais dans le système de l'honorable M. Schollaert cette situation persisterait d'une manière indéfinie.

M. Schollaertµ. - Pas du tout !

MjTµ. - Evidemment, l'impérieuse nécessité existera le second jour comme le premier.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Ce serait alors le métier.

MjTµ. - Mais non ! Ce n'est pas un acquittement qui lui donnera du travail, qui le guérira s'il est malade ; sa situation resterait la même ; et cela me suffit pour établir l'impossibilité d'admettre l'amendement proposé.

- La discussion est close.

MpVµ. - Si j'ai bien compris, M. le rapporteur se rallie, au nom de la section centrale, la rédaction de M. le ministre de la justice.

M. Dewandre, rapporteurµ. - Oui, M. le président.

MpVµ. - Nous n'avons donc plus que l'amendement de M. Schollaert et la rédaction de M. le ministre de la justice.

Je mettrai d'abord aux voix cette dernière proposition, l'amendement de M. Schollaert ne constituant qu'un paragraphe additionnel.

Voici la rédaction proposée par M. le ministre de la justice. (M. le président donne lecture de cette disposition reproduite ci-dessus.)

(page 890) M. de Theuxµ. - Je crois qu'il y a erreur : l'honorable rapporteur de la section centrale s'est rallié à l’amendement proposé par M. le ministre de la justice au premier paragraphe de la rédaction de la section centrale ; et M. le ministre de la justice, dans une séance antérieure, s'est rallié, lui, au deuxième paragraphe de la section centrale.

MjTµ. - C'est ainsi.

M. de Theuxµ. - Cependant j'ai cru comprendre par la lecture que vient de faire M. le président que la nouvelle rédaction n'est pas conforme à ces faits.

MjTµ. - Je me suis borné à lire la rédaction que M. le ministre de la justice a lue tantôt lui-même et qu'il a fait parvenir au bureau.

M. Dewandre, rapporteurµ. - M. le président vient de donner lecture du texte du projet avec l'amendement de la section centrale auquel M. le ministre de la justice s'est rallié.

MjTµ. - C'est cela, et j'ai indiqué dans mon amendement cette mention : « le reste comme au paragraphe de la section centrale. »

- Un membre. - Le Code ne contient pas le mot « simple » devant le mot « police ».

MjTµ. - On pourrait se borner à dire : « une peine de police ». J'en fais la proposition.

- Les paragraphes, tels qu'ils viennent d'être indiqués par M. le ministre de la justice, sont mis aux voix et adoptés, avec la suppression du mot « simple » devant le mot « police ».

Le paragraphe additionnel proposé par M. Schollaert est mis aux voix.

Il est adopté après une double épreuve.

L'ensemble de l'article premier, y compris le paragraphe additionnel de M. Schollaert, est ensuite mis aux voix et adopté.

La suite de la discussion des articles est remise à demain à 1 heure.

La séance est levée à 4 1/2 heures.