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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 6 juin 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864*1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

(page 1095) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Van Sloot demande qu'il soit voté une loi pour lut accorder tout ou partie de la succession de l'enfant naturel de sa parente. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Postillon demande la construction d'une nouvelle école communale à Enghien. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Liège demande la révision des lois relatives a l'expropriation pour cause d'utilité publique. »

M. Moutonµ. - Je demande, messieurs, que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition.

- Adopté.


« La dame de Bie réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir ce qui lui revient dans une succession. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vandelmans demande la construction d'une route de Lichtaert à Merxplas. >

- Même renvoi.


« Le sieur Van Goorlauken, caporal au 1er régiment de ligne, réclame l'intervention de la Chambre pour faire rapporter la décision en vertu de laquelle il a été incorporé pour cinq ans parmi les volontaires du corps. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Louyet, caporal au 9ème de ligne et Lemmens, caporal au 4ème de ligne, demandent l'autorisation de s'enrôler dans le régiment Impératrice Charlotte. »

« Même demande du sieur Moons, clairon à la compagnie d'ouvriers à Anvers. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Brecht demande l'achèvement du canal de Turnhout à Anvers par Saint-Job in 't Goor. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.


« Des membres de la société centrale d'agriculture de Belgique, des propriétaires et cultivateurs prient la Chambre d'augmenter la somme demandée pour travaux de la voirie vicinale. »

- Même décision.


« Le conseil communal de Tournai présente des observations en faveur du déplacement de la station du chemin de fer dans cette ville. »

- Même décision.


« Le sieur Tavernier, secrétaire communal à Velaine, demande une loi qui fixe le minimum de traitement des secrétaires communaux. »

« Même demande des secrétaires communaux de Buvrinnes, Fayt-lez-Seneffe, La Hestre et Belle-Fontaine. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« Les directeurs-gérants de sociétés houillères présentent des observations sur la pétition d'exploitants du bassin de Mons, relative au projet de loi qui porte extension de concession en faveur de la société des chemins de fer du Haut et Bas-Flénu, et prient la Chambre d'adopter le projet de loi. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Jean-Joseph Collomb, négociant et propriétaire à Courtrai, né à la Thuille d'Aoste (Piémont), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des habitants de Tournai demandent que la station du chemin de fer dans cette ville soit conservée à son emplacement actuel. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.


« M. Bouvier, obligé de s'éloigner de Bruxelles pour une affaire urgente, demande un congé. »

- Accordé.


M. Dumortier. - Messieurs, dans une pétition dont M. le secrétaire vient de présenter l'analyse, on prétend que j'ai commis une erreur en disant qu'il y a eu à Tournai un mouvement de réprobation au sujet du déplacement de la station, et qu'aucune opposition n'est arrivée au conseil communal. Il y a là quelque chose de vrai et que je dois reconnaître ; mais il y a aussi quelque chose à éclaircir ; il est vrai qu'une pétition, signée de plusieurs centaines d'habitants, et que je savais exister, a été faite pour demander à la ville de ne point déplacer la station ; maïs je ne sais par quelle fatalité cette pétition est restée oubliée chez l'homme qui avait le plus grand intérêt à ce que la station ne fût pas déplacée.

Sous ce rapport donc, l'administration communale de Tournai a parfaitement raison de dire qu'il ne lui est point parvenu de réclamations, mais moi j'ai aussi parfaitement raison en disant que la réclamation a été faite. Du reste, j'ai la pièce, et je la déposerai sur le bureau pour être annexée à la pétition qui vient d'être analysée en faveur du maintien de la station de Tournai.

Projet de loi relatif à l’exécution de divers travaux d’utilité publique

Discussion générale

M. de Borchgraveµ. - Messieurs, je ne serai pas bien long dans mes observations.

J'ai vu avec le plus grand plaisir que, dans les réclamations adressées au gouvernement par la députation permanente de la province de Limbourg, réclamations fondées s'il en fût jamais, la route de Saint-Trond à Waremme figure en seconde ligne parmi les voies de communication dont on demande la construction.

Les honorables députés du Limbourg vous ont amplement démontré la nécessité de comprendre dans les travaux publics une province qui a des titres incontestables, mais malheureusement pas incontestés, à la sollicitude du gouvernement.

La route de Saint-Trond à Waremme présente également une très grande importance pour l'arrondissement de Waremme, quoiqu'elle ne doive traverser ce dernier arrondissement que sur une petite étendue de son territoire.

Son importance, messieurs, est facile à démontrer ; elle deviendrait le complément de la route de Huy à Waremme et presque la seule qui relierait l'ancienne Hesbaye à cette partie de la province de Limbourg.

Cette partie du pays entièrement déshéritée de bonnes voies de communications, et cependant très peuplée, est incontestablement une des plus fertiles de la Belgique.

Dans toute cette contrée, le sol argileux imprégné d'humidité ne se sèche que difficilement. Voilà la cause d'un mauvais état de voirie, mauvais état qui se prolonge pondant près des deux tiers de l'année. Inutile de vous dire qu'alors toutes transactions agricoles deviennent, sinon impossibles, du moins difficiles et très onéreuses.

Depuis longtemps, l'on a parlé de la route de Saint-Trond à Waremme. Elle a, je crois, été plusieurs fois mise à l'étude ; malheureusement rien n'est sorti des cartons.

Je prie M. le ministre des travaux publics de vouloir bien cette fois y prêter son concours bienveillant, et je suis certain que nous aurons alors et bientôt une bonne voie de communication, dans une contrée moins connue, parce que, jusqu'à ce jour, il existe peu ou point de moyens de la traverser commodément.

M. Wasseigeµ. - Je crois, messieurs, devoir répondre quelques mots aux objections qui ont été faites par l'honorable ministre des travaux publics à l'amendement que j'ai déposé conjointement avec quelques-uns de mes honorables amis relativement aux travaux à exécuter à la Meuse.

Du reste, mes observations seront mieux placées dans la discussion générale que dans celle des articles. Le débat est plus présent à vos esprits et je crois que c'est la manière de simplifier la discussion et de faire gagner du temps à la Chambre.

L'amendement que nous avons proposé pour obtenir que le chiffre de 5,500,000 fr. nécessaire au complet achèvement de la canalisation de la Meuse soit porté dam le projet de loi que nous discutons repose sur ce (page 1096) principe qu'il y a des travaux d'une utilité générale qui sont plus importants et plus urgents que les autres.

Je ne crois pas, messieurs que ce point puisse être discuté ; il est de toute évidence. Or, s'il y a des travaux qui ont une importance plus grande, un intérêt plus général, le gouvernement est mieux placé que qui que ce soit pour apprécier cette importance et pour classer les travaux selon le degré d'utilité relative qu'ils présentent.

Lorsque ce classement est fait et que le gouvernement n'a qu'une somme déterminée à employer en travaux publics, il doit à mon avis, donner la préférence à ceux de ces travaux dont il aura reconnu et proclamé la plus grande utilité. Agir autrement, messieurs, ne serait certainement pas gouvernemental.

Ce serait s'exposer à être justement taxé de faiblesse ou d'imprévoyance ; ce serait paraître viser à une vaine popularité.

Je ne pense pas que ce soit le rôle, ni l'intention du gouvernement et je n'en accuse aucunement l'honorable ministre des travaux publics en particulier.

Le principe que j'indique sert d'ailleurs de ligne de conduite au gouvernement lui-même dans les règles qu'il trace aux administrations pour les travaux dont il a le contrôle. Ainsi, pour ne parler que d'une catégorie, dans l'application de la loi sur les chemins vicinaux, le gouvernement oblige toujours les communes à consacrer toutes leurs ressources aux chemins qui ont la plus grande importance, qu'on appelle chemins de grande communication, et à ne s'occuper des autres que lorsque les premiers sont complètement achevés ; c'est dans cet ordre seulement qu'il accorde, des subsides, et il a raison ; c'est la même théorie que je voudrais lui voir appliquer pour les travaux publics qu'il fait exécuter lui-même ; mais, si cela est vrai pour déterminer son choix dans les travaux à exécuter, cela devient plus évident encore, lorsque les travaux sont commencés et surtout lorsqu'ils ne peuvent présenter l'utilité qu'on en attend qu'après leur complet achèvement. Alors, et à plus forte raison, la préférence doit être accordée à ces travaux sur tous les autres sous peine d'être taxé de faire de la mauvaise administration.

Eh bien, messieurs, c'est l'histoire de la canalisation de la Meuse et voilà pourquoi nous avons présenté notre amendement.

La Meuse est un des fleuves les plus considérables de notre pays. C'est celui dont le parcours est le plus étendu sur le territoire belge.

Il intéresse, le rapport de la section centrale le constate lui-même, cinq de nos plus belles et de nos plus industrieuses provinces.

Sa navigation a tous les caractères d'un intérêt public important, d'un intérêt national. Il y a plus, messieurs, je dirai qu’elle offre même les caractères d'un intérêt international, car, vous le savez, la Meuse nous relie à nos voisins du Nord et à nos voisins du Midi. Aussi les Français et les Hollandais ont-ils prouvé par les travaux qu'ils ont fait exécuter en aval et en amont l'importance qu'ils y attachent.

Vois le savez, la Hollande a fait exécuter le canal de Maestricht à Bois-le-Duc, la France a déjà depuis longtemps canalisé la Meuse jusqu'à notre frontière vers Givet. Mais le gouvernement belge lui-même l'a aussi parfaitement senti, et c'est pour cela qu'il a déjà employé des capitaux très considérables à la canalisation de la Meuse. L'honorable ministre nous en a dit l'autre jour le chiffre. Aussi la besogne est-elle très avancée ; la Meuse est canalisée depuis Liège jusqu'à Namur ; et la Sambre depuis Namur jusqu'à la frontière française. C'est bien, c'est très bien, et j'en félicite de tout cœur le gouvernement.

Je reconnais qu'il a appliqué avec intelligence les principes que j'ai eu l’honneur de développer tout à l'heure. Il aurait pu toutefois les appliquer avec plus de promptitude. Mais ce n’est pas tout ; il faut finir les travaux sous peine de n'avoir rien ou presque rien fait d'utile pour la Meuse et pour les provinces dont elle dessert les intérêts. C'est aussi l'opinion du gouvernement et il le prouve à l'évidence en vous demandant dans la loi que nous discutons en ce moment les sommes nécessaires pour exécuter deux barrages dans la Meuse supérieure, ce qui prouve que le gouvernement reconnaît, lui aussi, toute l'importance de ce travail et la nécessité de le finir.

Seulement il n'est pas aussi logique que nous ; il reconnaît l'importance du travail, son urgence, mais il ne réclame pas les sommes nécessaires pour son complet achèvement. Il ne dispose pas, dit-il, de sommes assez considérables pour terminer ce travail : voilà notre grief et au point de vue de la province de Namur et au point de vue de l'intérêt général, et je dirai même au point de vue des intérêts du trésor publics pour lequel les sommes dépensées jusqu'ici restent improductives. C'est là notre grief et c'est là le motif de notre amendement.

En effet, la partie la plus importante du commerce auquel la Meuse sert de voie de transport, se fait en la remontant vers la France. C'est par là que. s'exportent nos minerais, nos fers, nos fontes et surtout nos houilles. C'est par là que les bassins houillers de Liège et de Namur et que la partie des bassins du Hainaut trouvent leur plus grande exportation. Eh bien, tant que la canalisation de la Meuse supérieure n'est pas terminée, rien n'est fait pour cet important débouché, et la navigation se fait dans des conditions telles, qu'il est bien difficile à notre industrie houillère de lutter avec ses rivales sur le marché français, et que l'industrie batelière, si importante, si digne d'intérêt, est sur le point de périr sans retour.

Je le répète donc : Tant que quelque chose reste à faire sur la Meuse supérieure, la canalisation de la Meuse inférieure ne sert presque à rien et l'on pourrait dire sans jeu de mots que les millions qu'on a dépensés sont jetés à l'eau. Mais, nous a dit l'honorable ministre, chaque barrage a son utilité relative. Eh bien, je ne crains pas de dire que c'est là une erreur manifeste, surtout pour la partie de la Meuse dont il est actuellement question.

L'honorable M. Nélis vous en a donné l'autre jour une preuve évidente dans un discours très remarquable et très intéressant quoique pas toujours fondé, à mon avis ; il vous a dit que le chiffre des transports faits sur la Meuse depuis qu'elle est canalisée de Liège à Chokier n'avait pas augmenté ou n'avait augmenté que dans une très petite proportion. Cela voudrait-il dire que la canalisation n'est pas utile, que la Meuse canalisée ne sert pas au commerce et à l'industrie ; cela voudrait-il dire que même par la canalisation elle ne peut lutter contre les chemins de fer pour le transport des matières pondéreuses ? Personne n'oserait le prétendre.

Cela veut dire tout simplement que tant que la canalisation n'est pas terminée, elle n'est pas utile. Voilà la seule conséquence qu'on puisse tirer du discours de l'honorable M. Nélis. Voilà la vérité.

Quel résultat allez-vous obtenir avec la somme que vous demandez pour construire deux barrages ? Actuellement, à mon avis, aucun.

J'espère aller jusqu'à Dinant, disait l'honorable ministre ; je relie ainsi cette ville à Namur et à Liège.

Mais quand cela serait, M. le ministre, qu'y auriez-vous gagné ? Mais Dinant n'est qu'un point de passage. Ce n'est pas Dinant qui consommera nos houilles ; ce n'est pas à Dinant que nous conduirons nos fers et nos fontes ; et quant à l'exportation de ses couques, je crois que le tirant d'eau actuel est parfaitement suffisant.

M. Thibaut. - Vous rabaissez trop l'importance de Dinant.

M. Wasseigeµ. - Mais l'assertion de l'honorable ministre n'est pas même exacte. Aussi a t-elle disparu des Annales parlementaires.

Il ne s'agit plus maintenant d'aller jusqu'à Dinant, je puis assurer à M. le ministre que la somme demandée lui permettra tout au plus d'arriver à Profondeville. Or, là les deux barrages ne sont d'aucune utilité ni pour Liège, ni pour le Hainaut, ni pour la province de Namur, ni même pour Dinant.

Mais enfin, dit l'honorable ministre, je n'ai pas plus d'argent à vous donner, et vous ne m'indiquez que des voies et moyens aléatoires.

Mais je répète que c'est au gouvernement à les trouver. Nous vous indiquons le mal et le remède, à vous de trouver les ressources suffisantes pour appliquer ce remède.

Il ne fallait pas disséminer autant vos ressources, je le dis franchement, il fallait supprimer ou ajourner les travaux d'une moindre importance ou d'une urgence moins reconnue, ou bien il fallait augmenter vos ressources.

Si vous nous aviez demandés 10 millions de plus en en justifiant aussi bien l'emploi qu'il l'est pour ceux que je réclame pour la Meuse, personne ne vous les aurait refusés, j'en suis convaincu ; la Chambre aurait voté la somme avec le plus grand plaisir.

Mais, dites-vous, l'intérêt du trésor s'y oppose.

Soit, mais alors il fallait faire un emploi plus intelligent, plus gouvernemental des ressources que nous possédons.

Mais, disiez-vous l'autre jour à mon honorable ami M. Moncheur, travaux utiles, travaux urgents, donnez-en donc la définition, distinguons-les les uns des autres.

Mais je vous répondrai que ce n'est pas à nous de faire cette distinction, nous n'avons pas les éléments pour un semblable travail, le gouvernement seul en est capable.

Il ne serait cependant pas difficile de faire saisir à la Chambre bien des nuances parmi tous les travaux qui sont contenus dans le projet que nous discutons.

Il ne serait pas difficile d'indiquer beaucoup de ces travaux dont les devis ne sont pas encore faits actuellement.

Il ne nous serait pas difficile de trouver, dans le rapport de la section centrale, la preuve que le gouvernement n'est pas encore décidé sur la (page 1097) nature de beaucoup de ces travaux, et je citerai, entre autres, l'assainissement de la Senne, le port de Nieuport, l'achèvement du railway, et surtout la construction du palais de justice de Bruxelles. Il est évident, même d'après vos propres documents, qu'il n'y a pas la même urgence pour tous ces travaux, tandis que pour la canalisation de la Meuse, toutes les études sont achevées, les travaux à exécuter sont parfaitement étudiés, et le chiffre de la dépense exactement connu ; il ne reste plus que la main à mettre à l'œuvre.

Mais, je le répète, ce n'est pas à nous à faire cette distinction, c'est au gouvernement seul, beaucoup mieux placé que qui que ce soit, pour tout apprécier.

Lorsqu'un jour, nous disait M. le ministre des travaux publics, on votait 8 millions pour la dérivation, de la Meuse à Liège et que l'on n'accordait que 400,000 francs pour approfondissement et amélioration du cours de la Lys, vous ne vous êtes pas levé pour proclamer l'injustice de cette mesure.

Je ne me suis pas levé pour une bonne raison, c'est que je ne faisais pas partie alors de la Chambre, pas plus que l'honorable membre et j'aime à croire que si M. Vanderstichelen avait alors été ministre des travaux publics et moi représentant, la Lys n'aurait pas été ainsi mystifiée.

Cependant il faut convenir que la Lys n'a pas tant à se plaindre de cette mystification, car enfin les travaux de la Lys sont terminés et ceux de la Meuse ne le sont pas encore.

En fait de travaux publics, dit l'honorable ministre, et ce sont ses propres paroles que je cite, ce que doit faire le gouvernement n'est pas de concentrer sur un petit nombre de points du pays toutes les ressources dont il dispose à un moment donné, mais de les répartir dans une certaine mesure, sur tout le pays.

Or, c'est à mon avis la théorie la plus anti-économique, la plus antigouvernementale qu'il soit possible d'imaginer.

Un fonds consacré par les ressources du pays au bien-être et à la prospérité de la patrie, n'est pas un gâteau où chacun a le droit d'avoir sa part, au marc le franc de ce qu'il y apporte, et où le gouvernement n'a d'autre rôle à prendre que celui de grand distributeur.

Non, c'est un fonds qui doit être employé avec intelligence et impartialité, par un pouvoir supérieur, admirablement placé pour voir et apprécier les grands besoins du pays, en dehors des influences locales et des intérêts de clocher, et y appliquer les ressources au point de vue unique de l'intérêt général.

Voilà le principe qui devrait être proclamé par M. le ministre des travaux publics et qui est presque l'antipode de celui qu'il a indiqué dans son discours.

Le gouvernement n'est ni la province ni la commune, et si la théorie de M. le ministre des travaux publics était vraie, mieux vaudrait peut-être laisser aux provinces et aux communes toutes leurs ressources avec le droit d'en disposer. Au point de vue de l'intérêt communal et de l'intérêt provincial, quoi que vous fassiez, les provinces et les communes s'y entendent mieux que vous ; et s'il ne s'agissait pas d'un intérêt général, il vaudrait mieux, je le répète, laisser aux provinces et aux communes la libre disposition de leurs ressources.

Mais enfin pour en revenir plus particulièrement à notre amendement que l'honorable ministre des travaux publics paraît repousser surtout par défaut d'argent, nous lui offrons une ressource, les excédants du budget.

« Mais c'est aléatoire » dites-vous. Pas si aléatoire que l'honorable ministre des finances ne les ait souvent escomptés pour des sommes bien plus considérables, sans jamais s'être préoccupé des embarras qui pourraient en résulter pour le trésor.

Les excédants se sont produits et les mécomptes ne sont pas arrivés.

Pourquoi n'aurions-nous pas la même chance que l'honorable ministre des finances ?

Et puis d'ailleurs, si les excédants du trésor viennent à manquer, vous avez encore les bons du trésor et en fin de compte un nouvel emprunt, et croyez-moi, M. le ministre, vous en trouverez facilement l'emploi utile soit à la Meuse, soit à d'autres travaux dont je proclame également l'utilité et la grande importance.

Voilà, messieurs, les raisons qui me paraissent de nature à répondre sérieusement aux observations présentées par M. le ministre des travaux publics. Nous persistons dans notre amendement ; et nous espérons que la Chambre reconnaîtra la justice de notre réclamation en émettant prochainement sur cet amendement un vote favorable.

M. J. Jouret. - Messieurs, si je prends de nouveau la parole, c'est bien, je vous assure, contre mon gré ; mais ce n'est pas à proprement parler la réponse que l'honorable ministre des travaux publics faite à une partie de mon discours, qui me force à me lever une seconde fois ; c'est bien plutôt le silence qu'il a gardé sur ce qui, à mes yeux, en constitue la partie la plus importante.

Au point où est arrivée la discussion, je sens le besoin d'être bref, et je promets à la Chambre de l'être. J'entre immédiatement en matière.

Dès le début de la partie de ses observations qui étaient destinées à me répondre, l'honorable ministre a dit :

« La raison générale qu'on invoque en faveur du rachat immédiat des embranchements du canal de Charleroi, c'est l'exagération des péages et l'intérêt des consommateurs ; eh bien, l'intérêt des consommateurs consiste à acquitter partout le moins de péages possible.

« Il faut donc autre chose pour justifier le rachat immédiat et isolé des embranchements du canal de Charleroi ? Y a-t-il autre chose ? »

Je me suis permis d'interrompre en disant : « Cela n'est pas douteux. » M. le ministre a répondu : « Cela est très douteux pour moi. »

Voyons si, en réalité, il y avait quelque chose.

Vous vous rappelez, messieurs, que je vous ai fait l'historique de ce qui s'était passé lors de la première rédaction des péages, relativement à la compagnie des embranchements. Je vous ai dit que, sous l'administration de M. Rolin, on avait, pour engager la compagnie des embranchements à faire une réduction proportionnelle à celle que faisait l'Etat, pris, envers elle, des engagements qui tendaient à lui accorder en quelque sorte le monopole des transports. J'ai dit que le gouvernement, à cette occasion, n'a pas hésité à prendre envers elle l'engagement de ne pas accorder dans l'avenir de concession nouvelle qui pût avoir pour effet de lui disputer le transport des produits du Centre vers le canal.

J'ai dit que cet engagement était un engagement que l'on devait respecter ; que cet engagement devait être tenu, qu'il l'avait été et j'ai cité à l'appui de mon soutènement des demandes de chemin de fer, des demandes de concession qui ont été constamment repoussées en vertu de l'application de cet engagement, et qui le sont encore à l’heure qu'il est, et comme conséquence de cet engagement.

De plus, je vous ai dit que lors du vote du grand projet de travaux publics de 1863, vous avez voté vous-mêmes un chemin de fer allant de Virton à Seneffe, avec un embranchement partant d'un point de bifurcation vers Manage.

Je vous ai dit que le chemin de fer principal qui avait été proposé par le gouvernement et voté par la Chambre, la ligne vers Seneffe, n'avait pas été exécuté, que, tout au contraire, c'était l'embranchement de Manage qui l'avait été.

Je vous ai dit qu'on exigeait que le concessionnaire de ce chemin de fer prît l'engagement de rembourser à la compagnie des embranchements le produit du chemin de fer de Bascoup à Piéton, que conséquemment ce chemin de fer n'avait pu être exécuté, que le concessionnaire avait dû refuser de le faire, et qu'il en résultait un nouveau refus de concession et conséquemment le plus grand préjudice pour le Centre.

Je vous ai dit cela et je croyais vous avoir signalé un fait d'une gravité extrême. Je vous ai dit que je ne pouvais pas être taxé d'exagération en disant que les conséquences de ce fait étaient extrêmement préjudiciables au bassin du Centre. Et cependant l’honorable ministre des travaux publics s'est demandé avec une grande assurance : Y a-t-il autre chose ? et il a paru convaincu que non.

Mais sauriez-vous, messieurs, trouver une situation plus grave que celle-là ?

Je croyais que cette circonstance seule était de nature à motiver la demande de rachat que nous faisions et je m'étonne que non seulement l'on ne trouve pas que cela ait une grande valeur, mais que l'on garde le silence sur un argument de cette importance.

M. le ministre après avoir fait inutilement une très longue énumération des réductions successives qui avaient eu lieu sur le canal de Charleroi, pour tâcher de nous faire dire que cette réduction ne nous avait pas été favorable, et que la nouvelle réduction ne nous le serait pas encore, tandis que mes paroles sont là pour prouver qu'elles n'avaient nullement ce sens, a gardé le silence sur cette partie de mes observations ; il a prouvé ainsi qu'elle avait une plus grande valeur qu'il ne voulait le faire croire, et lorsqu'il disait : je ne vous comprends pas, je crois qu'il me comprenait parfaitement ; je crois qu'il faisait cette longue énumération des réductions successives des péages sur le canal, non seulement pour faire croire que nous n'y attachions pas de prix et que nous ne les trouvions pas utiles, ce qui a été à diverses reprises contredit par mes paroles, mais pour arriver à ce beau mouvement oratoire qu'il croyait de nature à faire impression sur la Chambre, bien plus qu'à l'éclairer : Je ne vous comprends pas.

(page 1098) Si M. le ministre avait voulu me comprendre, c'était chose facile, il n'avait qu'à lire ce passage de mon discours :

« Et que nous resterait-il dans la position injuste que nous fait le projet de loi, dans la situation d'isolement forcé que nous créent les précédents que je viens de rappeler ? Il nous resterait la perspective de payer à toujours les 0,65 c. que nous payons exceptionnellement sur les embranchements et cette perspective serait d'autant plus malheureuse pour le bassin du Centre que, vers la fin de 1861, si je ne me trompe, M. le ministre des travaux publics, en répondant à un représentant de Charleroi, a émis au sein de cette Chambre l'opinion que tôt ou tard nous arriverions à l'abolition complète des péages sur les canaux de l'Etat.

Ainsi donc quand tout le monde sera complètement libre, nous resterons nous, devant des péages invariables et exceptionnellement élevés, en d'autres termes « impitoyablement sacrifiés. »

Voilà le sens clair et exact de mes paroles, elles ne pouvaient en avoir d'autre.

Messieurs, voici un autre passage du discours de l'honorable ministre des travaux publics, qui cite mes paroles :

« Si le rachat ne s'opérait pas, la réduction prochaine des péages, qui est une mesure générale, qui favorable à tout le pays, à nous comme aux autres, serait bien loin, relativement au bassin de Charleroi, d'améliorer notre position ; c'est bien plutôt le contraire qui aurait lieu. »

J'ai interrompu deux ou trois fois M. le ministre des travaux publics en disant : « relativement au bassin de Charleroi. •

Il n'en a pas moins persisté à faire entendre que j'avais soutenu d'une manière absolue que la réduction ne nous avait été d'aucune utilité. Malgré mes interruptions il a été jusqu'au bout, mais je dois le dire, ce point était assez clair pour qu'il me soit permis d'espérer que personne n'aura été induit en erreur à cet égard.

Messieurs, je ne veux pas être long et je passe immédiatement au troisième point du discours de M. le ministre que je désire rencontrer. J'appelle particulièrement sur ce point l'attention de la Chambre.

« Le gouvernement a promis l'élargissement du canal de Charleroi. Malgré cet engagement formel, il substitue à cet élargissement un chemin de fer direct, et il dit : Je donne aux intéressés mieux que je ne leur avais promis ; mais l'honorable membre ajoute : Mais les intéressés, c'est également nous, et qu'est-ce que vous faites pour nous ?

« Messieurs, j'ai la conviction que l'honorable M. Jouret a jugé que son argument était très embarrassant. Je crois, moi, qu'il est très facile d y répondre et je vais soumettre ma réponse à son appréciation. »

Eh bien, messieurs, je déclare en conscience que selon mon appréciation, mon argument paraissait extrêmement embarrassant à M. le ministre.

Et comment, messieurs, ne le serait-il pas ? Il ne faut pas faire effort d'intelligence pour comprendre que quand on nous a promis, à Charleroi et à nous, l'élargissement du canal, qui entraînait le rachat et l'élargissement des embranchements, ce qui n'était considéré comme douteux pour personne, et qu'après cela on donne à Charleroi seul, notre concurrent, un chemin de fer direct, il ne faut pas beaucoup de perspicacité pour comprendre que nous ne pouvons être satisfaits. Ce qui prouve, messieurs, que mon argument est embarrassant, c'est que M. le ministre s'est servi pour me combattre de considérations tellement forcées, tellement inadmissibles qu'elles produiront, j'en suis convaincu et je le regrette bien vivement, la plus pénible impression dans les lieux où le projet de loi n’en avait déjà produit que trop.

Oui, messieurs, nous l'avouons, nous avons pensé qu'en élargissant le canal de Charleroi on aurait racheté et élargi en même temps les embranchements. Mais le contraire eût été absurde, et on aurait une bien triste opinion de nous si on pensait que nous n'avions pas cette conviction. Je le demande à tous les hommes compétents, est-ce que le rachat et l'élargissement des embranchements ne sont pas dans la nature et les nécessités des choses ?

Est-ce que cela n'était pas dans les convictions de tout le monde ? Dans les requêtes à la Chambre, dans l'exposé des besoins de l'industrie du Centre fait à MM. les ministres, dans les audiences qu'ils nous ont accordées, est-ce que les intentions de tous n'ont pas toujours été manifestées dans ce sens, d'une manière évidente ? (Interruption.)

On ne nous a rien promis formellement, dit-on. C'est vrai, mais il n'était pas possible de croire que cela n'était pas entendu : est-ce que l'élargissement des embranchements n'était pas conforme à la politique industrielle du cabinet ? Est-ce que le gouvernement n'a pas appelé depuis longtemps les divers bassins à lutter sur le pied de la libre concurrence ? Comment, après cela, croire que lorsque nous avons demandé en commun avec Charleroi le rachat du canal, nous puissions nous contenter d'un chemin de fer destiné à Charleroi seul ? C'est vraiment nous considérer comme ne possédant pas à un haut degré l'intelligence de nos propres intérêts, et je crois, en vérité, que nous ne méritons pas cette accusation.

M. le ministre nous dit :

Je suppose que le gouvernement n'ait pas fait la substitution, je suppose que le gouvernement, remplissant la promesse qu'il a faite il y a 4 ans, soit venu demander à la Chambre les crédits nécessaires pour élargir le canal de Charleroi, c'est-à-dire la bagatelle de 20 millions, eh bien, quelle eût été la position du Centre ?

La position du Centre eût été désastreuse.

Ainsi donc, M. le ministre, lorsque nous nous présentions, les industriels de Charleroi et du Centre, en très grand nombre, lorsque vous les receviez avec bienveillance, lorsqu'ils vous quittaient empotant les promesses formelles sur lesquelles ils avaient droit de compter, lorsque ces promesses ont été renouvelées ici au sein de la Chambre, ces promesses avaient pour objet un travail qui était pour nous, selon nos paroles, une cause de malheurs et de désastres !

Nous vous demandions de bonne foi une chose qui devait être pour nous un désastre ! Et, vous, qui êtes le protecteur naturel et impartial de tous les grands intérêts du pays, vous ne nous le faisiez pas observer, vous ne nous ouvriez pas les yeux, vous ne nous disiez pas : « Prenez garde, vous poursuivez une œuvre qui vous mettra dans l'impossibilité de continuer à marcher dans les voies de prospérité où vous vous trouvez. » Mais en vérité, messieurs, il est impossible d'admettre une chose comme celle là.

Quant à moi, messieurs, j'ai infiniment de peine à croire que la nécessité du rachat des embranchements n'eût pas été depuis longtemps dans les convictions de M. le ministre comme elle était dans les nôtres.

L'idée du rachat n'est donc pas, comme l'a dit M. le ministre, une hypothèse inadmissible, et c'est avec raison que nous nous plaignons que les espérances qui nous ont été données ont été trompées pour combler de faveurs, dont nous sommes heureux pour eux, ceux qui n'y avaient pas plus de droits que nous.

Cette considération de l'honorable ministre revient à ceci : l'élargissement eût été pour vous une mesure détestable, désastreuse et vous devez être extrêmement heureux de ce que, pour les promesses qui vous avaient été faites en commun, l'on ait donné à vos concurrents un chemin de fer direct, parce que cette mesure à votre égard est tout simplement mauvaise ; voilà l'argumentation, je la livre à l'appréciation de la Chambre.

Cette argumentation n'est pas soutenable, le rachat était considéré comme inévitable et il est clair que tout ce qui s'est fait dans la question du canal de Charleroi était subordonné à cette idée, cela n'est pas niable. Il y a trente ans que cette idée germa dans l'esprit de tous ceux qui ont écrit sur la matière. Comment se fait-il donc que l'honorable ministre qui a toujours eu l'initiative si heureuse, qui s'est toujours inspiré dis grandes idées qui se produisaient et qui ne peut ignorer ce qui s'est écrit dans une matière aussi importante, comment se fait-il que l'honorable ministre vienne nous dire, en 1865, qu'il ne pouvait être question du rachat du canal de Charleroi ?

Ecoutez ce qui se disait en 1834 déjà et ce que l'honorable M. Vifquin rapporte dans son excellent ouvrage sur les voies navigables en Belgique. Il s'agissait des conditions de rachat du canal de Charleroi avant même que les embranchements fussent faits :

« Des articles additionnels traitaient de la reprise de la concession des canaux-embranchements appartenant à la même société et dont l'exécution avait été décidée. »

Et mieux que cela, M. Vifquin présentait, dans son intéressant ouvrage, des conclusions formelles, et notes que cet ouvrage date de 1843 ; voici ce que disait M. Vifquin dans un chapitre intitulé : Conclusions.

« La convenance d'une clause de rachat dans les actes de concession devient évidente, si l'on considère que le gouvernement ne possède généralement que ce moyen pour arriver à la modification des tarifs de péages sur une ligne concédée, et que ces modifications peuvent cependant être commandées dans l'avenir, soit par la création de vous nouvelles, soit par des changements dans les lois de douanes, soit par la nécessité de protéger l'exportation.

« Les canaux concédés étant rattachés au réseau général de navigation, il résulterait de cet enlacement de la chose particulière et de la chose publique des situations telles, que l'intérêt général se trouverait froissé, et qu'il faudrait se résoudre aux plus onéreux sacrifices auprès des sociétés pour obtenir leur consentement à des modifications réclamées de toutes parts.

(page 1099) Il n’est pas étonnant que la chose soit ainsi dans notre pays, où, surtout depuis la révolution, le gouvernement a travaillé directement à ses grandes communications à l'exclusion des compagnies ; où la nation a racheté les principaux canaux exécutés sous le gouvernement précédent par des sociétés particulières et où par conséquent un canal concédé se montre comme étrangeté s'il se trouve placé dans une ligne de navigation appartenant à l'Etat.

« C'est ainsi que les embranchements du canal de Charleroi formant jusqu'ici une impasse deviendront une anomalie sur les lignes navigables de Bruxelles à Mons et à la Sambre, et l'on regrettera que les Chambres législatives n'aient pas cru devoir les comprendre dans le rachat du canal principal, dont ils ne devaient pas être séparés. »

Est-il possible qu'en 1865 l'honorable ministre des travaux publics qui a toujours inspiré tout ce qui s'est fait de grand et de progressif dans son administration, vienne nous dire qu'il n'admettait pas que l'amélioration du Canal de Charleroi emportât des travaux analogues sur les embranchements ?

Messieurs, quelques mots encore.

Vous aurez observé, peut-être, ceux de vous du moins qui y sont intéressés, que dans son discours imprimé l'honorable ministre a restreint déjà d'une manière notable la longue et complaisante énumération qu'il vous avait faite des travaux dont le rachat serait, d'après lui, inévitable. Il a senti que son argument allait à l'impossible et il l'a supprimé pour ce qui concerne quelques-uns des canaux qu'il a cités.

L'honorable rapporteur de la section centrale a fait la même chose un esprit aussi juste que le sien ne pouvait faire autrement.

Une chose que je dois faire remarquer, c'est que l'honorable ministre, qui sait fort bien que dans cette question du rachat des embranchements, il ne s'agit en définitive que d'une bagatelle, se complaît néanmoins à faire l'énumération des travaux à racheter et maintenir dans le chiffre des rachats à opérer le chiffre de 2,800,000 fr. Mais ces 2,800,000 fr. apporteront à l'Etat, l'honorable ministre ne l'a pas dit, une propriété d'une valeur de 1,250,000 fr.

La prétendue dépense de 2,800,000 fr. se réduit donc en réalité à 1,550,000 fr. ; eh bien, je le demande, est-ce sérieusement que l'on peut dire qu'une pareille dépense serait de nature à compromettre la situation du trésor ?

Ce sont les paroles dont l'honorable ministre s'est servi, je ne les ai pas retrouvées au Moniteur, mais je les ai écrites au moment où il les prononçait. Qu'est-ce que 1,550,000 fr. dans un projet de travaux publics emportant une dépense de 60 millions de francs ?

M. Coomansµ. - Il y a d'autres amendements.

M. J. Jouret. - Si je comprends bien l'honorable M. Coomans, il entend dire que d'autres collègues qui ont présenté des amendements ont les mêmes droits que nous.

Eh bien, je ne le crois pas : vous avez vu avec quelle réserve, avec qu'elle timidité en quelque sorte les représentants qui défendent toujours ici avec ardeur l'intérêt de leurs commettants, sont venus vous présenter leurs amendements. Pourquoi ? C'est qu'il n'y a nulle part dans le pays une situation telle que celle qui est faite au Centre

Si on fait droit à notre demande, on viendra nous demander, je le reconnais, de racheter d'autres canaux, mais aurons-nous posé nouvellement le principe du rachat ? Nullement, on l'a posé antérieurement en rachetant le canal de Charleroi et la Sambre canalisée. Et qu'en est-il résulté ? A-t-on racheté immédiatement après tous les canaux et rivières qui avaient fait l'objet de concessions ?

Non, et vous ne le ferez pas encore dans la circonstance actuelle. Le gouvernement et les Chambres apprécieront la justice et l'opportunité des réclamations, toutes se produiront successivement avec leurs chances de succès avec ce que l'honorable ministre des travaux publics appelle des raisons décisives ou non, et on résoudra comme elles devront l'être ces questions d'appréciation.

Mais revenons à mon sujet. Est-il sérieux de dire que la dépense de 1,500,000 fr. qui serait nécessaire pour le rachat que nous réclamons jetterait la perturbation dans les finances du pays ?

Mais si réellement vous ne pouvez trouver cette somme sur les fonds ordinaires, faites le rachat par annuités. Si la situation financière est réellement telle que ce rachat doive vous occasionner quelque embarras, mais mon Dieu ! opérez-le par annuités ; ce mode de rachat vous donnera toutes les facilités désirables. Mais le prix du rachat est trop peu important pour que cela puisse paraître sérieux. C'est un de ces arguments que l'on produit quand on ne sait pas donner de bonnes raisons et j'espère que l'honorable ministre des travaux publics aura quelque chose de mieux à nous dire sur cette question.

Messieurs, j'ai rencontré les principaux passages de la réfutation que M. le ministre a faite de mes observations. Je ne veux pas abuser des moments de la Chambre et je m’arrêtera là. Je n’hésite pas à dire que c'est en vain que l'on chercherait à nier que la position faite au bassin du Centre, et je puis dire à la capitale du pays et aux Flandres, est, par les antécédents que nous avons cités, et dont le silence de M. le ministre vous a fait connaître toute l'importance, et par les conséquences du projet de loi, exceptionnellement fâcheuse, et que les raisons qui doivent porter la Chambre à voter la somme minime demandée pour le rachat, sont décisives.

J'ai confiance dans la justice de la Chambre, et j'espère qu'elle n'hésitera pas. Jamais dans mon appréciation du moins, elle n'aura posé un acte plus équitable, plus utile, plus conforme à l'assentiment de tous et à l'intérêt général du pays.

M. De Coninckµ. - Messieurs, après le peu de succès qu'ont obtenu, auprès du gouvernement, les réclamations et les amendements présentés par plusieurs de nos honorables collègues, je crois pouvoir me borner à recommander pour l'avenir à M. le ministre des travaux publics quelques projets de travaux qui sont vivement réclamés par les populations de l’arrondissement de Dixmude.

Parmi ces projets, je place en première ligne le prompt achèvement des travaux de l'Yser. En répondant jeudi dernier à un honorable député d'Ypres qui demandait l'exécution de certains travaux à la partie de l'Yser comprise entre la Fintelle et la frontière française, M. le ministre des travaux publics disait que ces travaux ne pouvaient être entrepris que lorsque les travaux en aval seraient terminés.

Cette réponse me permet d'espérer que les travaux de la partie de l'Yser qui concerne spécialement l'arrondissement de Dixmude seront poussés dorénavant avec plus d'activité que par le passé.

Je pense que l'honorable ministre ne verra aucun inconvénient à comprendre parmi ces travaux une écluse à établir à l'endroit dit le Bertegat, comme je l'ai demandé lors de la discussion du budget des travaux publics pour 1864.

Cette écluse, qui relierait directement le Furnes-Ambacht à l'Yser, est vivement réclamée par le commerce, l'industrie et l'agriculture de l'arrondissement de Dixmude. Elle faciliterait extrêmement le transport des produits agricoles du Furnes-Ambacht dans le reste du pays ; produits qui, tels que les betteraves et les lins, sont de première nécessité pour l'industrie.

La chambre de commerce d'Ypres-Dixmude en faisait l'objet d'un vœu dans son rapport sur la situation du commerce et de l'industrie dans ces arrondissements, pendant l'année 1863. Voici ce que dit ce rapport :

« Par suite de l'insuffisance de largeur de l'écluse construite entre le canal dit Koolhof-vaert et celui de Furnes, la navigation dans les eaux intérieures du Veurn-Ambacht est devenue impossible pour un grand nombre de bateliers.

« Cet état de choses porte un notable préjudice au commerce et à l'industrie, en général, notamment à l'industrie agricole dont les produits ne peuvent s’exporter par eaux des lieux de provenance.

« Il en résulte en particulier que les importantes usines d'Eessen sont menacées de devoir cesser de s'approvisionner dans les lieux où elles cultivaient avantageusement la betterave nécessaire à leur manipulation.

« Il se présente deux moyens de remédier à cet état de choses : le premier consisterait à apporter à l'écluse dont il s'agit les modifications propres à l'empêcher d'être un obstacle à la navigation, le second à établir une écluse au point dit Bertegat, près du haut pont de Dixmude, et à mettre ainsi le Yeurn-Ambacht en communication directe avec l'Yser. »

C'est ce dernier moyen que je recommande vivement à M. le ministre des travaux publics.

Il y a un autre point sur lequel je crois de mon devoir d'appeler l'attention de la Chambre.

L'honorable M. Vleminckx a vivement engagé le gouvernement à exécuter des travaux qui auraient pour but d'assainir les parties du pays qui sont le siège de fièvres paludéennes ; je me joins à l'honorable membre pour engager le gouvernement à faire ces travaux, qui auront pour résultat certain la disparition d'une maladie redoutable.

Je ne crois pas qu'il y ait, en Belgique, de population plus décimée par ces fièvres que la population des arrondissements de Dixmude et de Furnes. Tous les ans, nous voyons ce véritable fléau énerver et détruire, avant l'heure, une grande partie de ces populations et causer dans ces contrées des désastres effrayants et incalculables.

Il faudrait cependant bien peu de chose pour rendre la santé à un grand nombre de nos concitoyens ; il faudrait seulement activer l'écoulement des eaux.

(page 1100) Plusieurs projets ont été recommandés pour donner un écoulement facile et rapide aux eaux malsaines de l’arrondissement de Dixmude. J'en citerai deux ; d'abord l'amélioration du régime de l’Yser et puis relier la Mandel et le Moerdyk à l’Yser par le canal d’Handzaeme.

J'espère que l'honorable M. Vleminckx qui a tant à cœur et qui défend si chaleureusement, au besoin, la santé de nos populations, voudra bien me prêter son appui pour engager le gouvernement à transférer, en faveur de l'arrondissement de Dixmude, deux millions des quinze qui ont été alloués à la capitale.

J'appellerai aussi la bienveillante attention de M. le ministre des travaux publics sur les avantages qui résulteraient, pour la navigation, de l'établissement, dans les environs de Dixmude, d’un barrage destiné à maintenir le niveau des eaux de l'Yser. L'arrondissement de Dixmude ne jouit d'aucun de ces avantages dont dispose le gouvernement ; il n'y a ni garnison, ni tribunal de première instance et cependant cet arrondissement n'a rien obtenu dans les 60 millions.

Je me crois donc autorisé à engager le gouvernement à accorder un minimum d'intérêt au chemin de fer d'Ypres à Dixmude dont MM. Herla et Marchai ont demandé ia préférence comme concessionnaires ; ce chemin de fer est d'une grande importance pour les villes d'Ypres, de Dixmude et la contrée riche et populeuse qu'il traverse.

M. le ministre me répondra probablement que le gouvernement n'accorde plus de minimum d'intérêt aux compagnies concessionnaires ; cet argument me paraît sans réplique pour les arrondissement de Bruxelles, d'Anvers ou de Liège ; mais pour celui de Dixmude, qui est oublié dans l'octroi des faveurs budgétaires, la raison ne me paraît pas aussi péremptoire. Dixmude ne reçoit pas, je l'ai déjà dit, la plus petite part des 60 millions que nous avons votés. M. le ministre a promis, l'année dernière, d'accorder la concession d'un chemin de fer d'Armentières à Ostende par Dixmude, mais les moyens de mener cette affaire à bonne fin, dans un court délai, nous manquent. En assurant un minimum d'intérêt, le gouvernement rassurerait les actionnaires et les déciderait à signer immédiatement les fonds nécessaires à la construction de la voie demandée. Ce ne serait là, messieurs, qu'une simple promesse, et je n'hésite pas à le déclarer ici, le gouvernement n'aurait pas à intervenir directement dans le payement des dividendes. La compagnie concessionnaire doit faire et fera, j'en suis persuadé, de bonnes affaires. La garantie du minimum n'est donc uniquement demandée que pour rassurer les actionnaires..

3e recommanderai, en outre, le prompt achèvement du chemin de fer destiné à relier Nieuport à Grammont par Dixmude. Ce tracé offre l'avantage de relier directement deux villes voisines qui ont une grande importance, l'une comme port de mer, l'autre comme centre d'une des plu s riches contrées agricoles du pays.

Je finis en priant le gouvernement de vouloir hâter la construction de la route d'Alveringhem à la Grogne, que je désire voir terminer le plus tôt possible, quoiqu'en ait insinué un petit jeune homme, sans conséquence, du reste, dans une autre enceinte.

M. Magherman. - Le projet de loi de travaux publics qui est l'objet de nos délibérations, aura mon assentiment. Si tous les travaux y compris ne présentent pas le même caractère d'urgence, tous néanmoins offrent une grande utilisé.

A l'exception de la ville de Gand qui a sa large part dans les travaux projetés, je me permettrai d'observer que la province de la Flandre orientale n'a qu'une part minime dans les avantages du projet de loi. Je ne méconnais pas que les travaux à exécuter à Gand feront sentir leur influence favorable sur une grande partie du pays : les bassins houillers du Hainaut surtout s'en trouveront favorisés. Jusqu'ici les nombreuses voies ferrées qui convergent les unes au sud de la ville de Gand, les autres au nord de ce grand centre manufacturier, sont partagées en deux groupes isolés l'un de l'autre. Le chemin de fer de ceinture qui doit se construire autour de cette ville fera cesser cet isolement, et établira une communication facile entre le sud et le nord de la province. A ce point de vue, certes, toute la province en profitera.

A part cet avantage indirect, l'arrondissement d'Audenarde reste entièrement en dehors des travaux projetés. Jusqu’à ce jour cet arrondissement populeux, à l'exception de quelques améliorations à l'Escaut qui se font dans un intérêt national, et de la construction de quelques routes pavées, n'a vu exécuter sur son territoire aucun travail d'utilité publique.

Longtemps privé de chemin de fer, cet arrondissement ne doit la cessation de son isolement qu'à l'industrie privée. Il est vrai que cette même industrie, si féconde en résultats utiles pour le pays, va doter prochainement ce même arrondissement de plusieurs voies ferrées. Si le gouvernement n'intervient dans ces travaux ni par voie de subsides, ni par garantie de minimum d'intérêt, je n'en prie pas moins l'honorable ministre des travaux publics, de vouloir prêter toute son attention à ce que ces travaux s'exécutent de la manière la plus avantageuse aux populations qu'ils sont destinés à desservir.

C'est ainsi que le croisement des lignes de Courtrai à Denderleeuw et de Grammont à Nieuport qui doit se faire à Audenarde fournira une excellente occasion de faire droit aux doléances de cette ville, qui se plaint avec raison de ne pas avoir de station sur son territoire. La démolition des fortifications de cette place a fait disparaître le seul motif qu'on ait allégué avec quelque fondement pour l'emplacement de la station du chemin de fer de Gand à Saint-Ghislain. Je m'associe pleinement aux observations présentées à ce sujet par mon honorable collègue, M. Thienpont.

Si mes informations sont exactes, les premières études qui ont été faites pour l'exécution du chemin de fer de Grammont à Nieuport laissent le chef-lieu du canton de Nederbrakel à une distance considérable de cette ligne. Ce serait là une faute, non seulement au point de vue de l'intérêt général, mais même au point de vue des intérêts de la compagnie. Nederbrakel est un bourg populeux qui a des marchés bien fréquentés, il est le siège de nombreuses brasseries et d'autres industries.

Je prie l'honorable ministre des travaux publics de veiller à ce que le chemin de fer de Grammont à Nieuport, sur le parcours duquel le bourg de Nederbrakel se trouve placé naturellement, ne dévie pas de cette commune à cause de quelques accidents de terrain, qui du reste ne présentent rien de bien important.

Je me joins à mes honorables collègues d'Alost pour appuyer la création d'une station sur le chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand dans la commune d'Erweteghem au hameau Smissenhoek. Plusieurs communes du canton d'Hoorebeke-Ste-Marie qui appartient à l'arrondissement d'Audenarde ont le plus grand intérêt à ce que cette station soit établie. L'honorable M. de Naeyer a prouvé d'une manière évidente que cette station ne sera pas plus rapprochée de ses voisines que la moyenne des stations du pays ; et il est à remarquer qu'elle est proposée dans une contrée dont la population est extrêmement dense, donc dans les meilleures conditions de succès.

Si l'arrondissement d'Audenarde n'a depuis longtemps rien reçu du gouvernement en matière de travaux publics, il est juste qu'il soit dédommagé de cet oubli par la construction de routes pavées.

J'ai démontré, dans la séance du 8 décembre dernier, combien la province de la Flandre orientale est lésée sous le rapport de la construction de routes pavées aux frais de l'Etat. Mon honorable collègue M. Vander Donckt a donné de nouveaux développements à cette démonstration. Ce qui est vrai pour la Flandre orientale en général, est plus spécialement vrai pour l'arrondissement d'Audenarde, oh il y a absence à peu près complète d'autres travaux de l'Etat. Je me plais cependant à reconnaître, et je l'en remercie ici publiquement, que M. le ministre des travaux publics est entré dans une voie de réparation à notre égard.

La route de Cruyshautem par Auwegem et Synghem vers Nederswalm-Hermelghem, dont l'honorable ministre a assumé la construction aux frais de l’Etat, sera d'une incontestable utilité pour tout le nord de l'arrondissement d'Audenarde ; l'exécution de cette voie de communication combinée avec la construction d'un pont sur le barrage de l'Escaut à Synghem, établira des rapports commodes entre les deux rives de ce fleuve, reliera entre elles quatre routes pavées, constituera de part et d'autre d'excellents affluents à la station du chemin de fer Hainaut-Flandre à Synghem et ouvrira une nouvelle voie vers la Flandre occidentale.

Il est une autre station du susdit chemin de fer dont l'accès devrait être facilité : c'est celle d'Etichove ; elle est inabordable aux communes les plus voisines, qui sont celles de Nukerke et de Louise-Marie. Il est vrai que la commune de Nukerke est reliée par une grande route de l'Etat aux stations de Leupeghem et de Renaix ; mais pourquoi forcer les habitants de Nukerke à parcourir une lieue de chemin, quand ils ne sont qu'à quelques pas de la station d'Etichove. Quant à Louise-Marie, c'est une nouvelle paroisse établie sur la limite des deux provinces de la Flandre orientale et du Hainaut, les plus peuplées du royaume (le Brabant excepté), mais dans un endroit où exceptionnellement la population fait défaut.

Une communication facile avec la station d'Etichove (l'église de Louise-Marie est bâtie à l'extrémité du territoire de cette commune) contribuerait d'une manière efficace à attirer des populations dans ces parages où les bras manquent à l'agriculture.

Enfin j'appellerai l'attention de M. le ministre des travaux publics sur la situation exceptionnelle de la commune de Sulsique. Entourée d'une chaîne de collines qui n'a d'ouverture que vers l'Escaut, la construction (page 1101) d'une route, par suite de cette disposition du sol, y est très difficile, et les communes voisines qui sont traversées d'excellentes voies de communication montrent peu d'empressement à concourir à tirer de l'isolement cette malheureuse commune. Aussi n'a-t-elle pas encore un mètre de pavé sur tout son territoire. Une route qui relierait la chaussée de Renaix à Audenarde, partant du hameau la Croix à celle de Berchem à Audenarde, à travers la commune de Sulsique serait d'une utilité incontestable.

Je me bornerai à ces quelques considérations. J'espère que l'honorable ministre des travaux publics voudra bien en prendre note.

(page 1103) M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, la discussion déjà longue à laquelle nous assistons nous a démontré l'importance des intérêts locaux et particuliers engagés ou soulevés par le projet de loi qui sous est soumis.

Je me propose d'examiner aujourd'hui un autre ordre de questions plus général et qui méritent, je pense, toute votre attention. Le projet de loi soulève, en effet, des questions économiques de premier ordre et des questions techniques très graves.

Les questions économiques doivent être traitées dans la discussion générale et les questions techniques, au moins celles sur lesquelles j'ai quelque compétence, seront mieux à leur place dans la discussion particulière des articles.

L'exposé des motifs comme le rapport de la section centrale ne mettent pas en doute la nécessité pour le pays que l'Etat soit le grand entrepreneur des travaux publics. La section centrale particulièrement ne regrette qu'une chose, c'est que les ressources fassent défaut à l'Etat pour faire davantage encore.

Je suis d'avis, messieurs, qu'en thèse générale l'Etat n'a pas pour fonctions de se mêler des travaux publics ; qu'il n'a à s'en occuper que dans des circonstances toutes spéciales et lorsque ces travaux ne peuvent affecter en aucune façon le travail libre de tous, c'est-à-dire la production et le commerce.

En effet, messieurs, qu'est cette abstraction que l'on est convenu d'appeler Etat ? C'est la totalité des formes sociales représentées, sous la Constitution qui nous régit, par le pouvoir législatif et exécutif.

Quelles sont les fonctions économiques de l'Etat tel que je viens de le définir ? C'est d'assurer à tous et à chacun la liberté complète de ses mouvements, de son travail, de son existence en un mot. A l'individu compète tout ce qui est du ressort de la production et du travail. Lorsque ses forces individuelles ne suffisent pas, il a la liberté d'association. Donc à l'exception des travaux qui concernent la défense nationale et la protection contre les grands accidents que la nature peut produire, tels que les débordements des fleuves, les invasions de la mer, etc., tous les autres travaux qui peuvent affecter l'industrie dans ses manifestations les plus variées sont exclusivement du ressort du travail des particuliers.

Messieurs, nous savons tous comment nous avons été insensiblement conduits au point où nous en sommes aujourd'hui, à ce système mixte d'intervention de l'Etat et de quasi-liberté qui crée les difficultés que rencontre, tous les jours, M. le ministre des travaux publics dans l'accomplissement de sa difficile mission.

En 1830 s'agitaient les premiers germes des idées socialistes. Nous avions les saint-simoniens qui prêchaient le communisme intellectuel et les phalanstériens qui prêchaient le communisme matériel.

Ces idées mal digérées ont cependant fait leur chemin dans l'esprit public, et elles ont fait explosion en 1848 sous leur forme la plus brutale, la plus impraticable.

En Belgique, où l'esprit est plus pratique, on s'est adressé à cette force sociale représentée par le gouvernement et on a dit : Les chemins de fer doivent être construits par l'Etat, parce que c'est une entreprise au-dessus des forces des particuliers.

Du reste, il sera plus facile d'obtenir du gouvernement, - qui est le représentant de tous les intérêts, comme on le dit tous les jours, comme on vous l'a dit tout à l'heure encore, - des conditions de transport plus égales, plus justes, plus équitables ; et après une longue et brillante discussion dans laquelle on a prononcé des discours qui seraient, j'en suis certain, encore écoutés avec faveur aujourd'hui, après cette discussion, dis-je, le principe de l'exécution par l'Etat a été adopté à une très faible majorité.

MaeRµ. - Pas faible.

M. le Hardy de Beaulieuµ. - A une très faible majorité ; je pourrais même dire que le principe a été adopté par une véritable minorité, si je compare le nombre des membres qui l'ont voté au nombre total des représentants. Si je rappelle ce souvenir, c'est pour constater le courant des idées qui régnaient alors.

Qu'en est-il résulté, messieurs ? C'est que, pour remonter un peu plus haut dans l'examen auquel je me livre, il s'est produit en Belgique précisément ce qu'ont repoussé à diverses reprises plusieurs présidents des Etats-Unis d'Amérique.

Plusieurs congrès avaient voté des fonds considérables. Cent millions de dollars, 300 millions de francs, pour travaux publics destinés principalement à l'amélioration des fleuves, et tous les présidents, à quelque parti qu'ils appartinssent, ont repoussé ces allocations en vertu de leur droit constitutionnel de veto, donnant pour principal motif que cela introduirait dans la constitution du pays un élément de corruption qui ne s'y trouvait pas, un élément de fonctionnarisme qui parviendrait tôt ou tard à devenir l'élément constitutionnel.

Eh bien, si nous examinons impartialement la marche des événements, dans notre pays, nous verrons que nous marchons doucement, mais régulièrement vers le gouvernement bureaucratique.

Les Chambres, en Belgique, ne sont plus appelées dans aucune circonstance et particulièrement dans celle où nous sommes, à propos de la loi qui nous occupe, qu'à enregistrer des projets du gouvernement, projets dont on ne lui donne plus qu'une connaissance très imparfaite ; elles ne sont appelées à examiner aucune des questions très importantes se rattachant à ces projets et qui peuvent avoir, pour le pays, les conséquences les plus graves. On lui présente des solutions toutes préparées ; c'est à prendre ou à laisser. Il n'y a pas de milieu, c'est le pouvoir exécutif seul qui se réserve la véritable manutention d'affaires qui devraient appartenir à l'ensemble des pouvoirs qui constituent notre organisation constitutionnelle.

Voyez ce qui se passe en Angleterre dans les mêmes circonstance : ; là, jamais les Chambres législatives n'ont abandonné la moindre parcelle de leurs pouvoirs, mêmes dans les questions où elles ne sont pas appelées à voter un centime, chaque fois entre autres qu'il s'agit d'exproprier, ne fût-ce qu'une seule parcelle de terrain pour cause d'utilité publique, les Chambres prennent connaissance de tous les faits ; elles font une enquête, s'informent de tout, appellent tous les intérêts à s'expliquer devant elles ; et ce n'est qu'après avoir acquis une connaissance parfaite de la question qu'elles décident et qu'elles accordent, soit au pouvoir exécutif, soit à des compagnies ou à des particuliers, selon la nature des travaux, l'autorisation de faire les travaux projetés.

Ainsi, dernièrement, la corporation des avocats de Londres demandait la faculté d'exproprier plusieurs maisons pour la construction d'un palais de justice ; les intéressés durent naturellement fournir tous les éléments nécessaires d'appréciation. Mais la chambre des communes, qui a l'habitude des devis et des détails, a renvoyé le projet parce qu'il avait été démontré, après un examen attentif des faits, que les devis étaient inexacts. Et cependant, messieurs, il s'agissait d'un projet pour lequel on ne demandait pas un centime à l'Etat.

Le droit d'expropriation, qui est toujours une des premières et des plus graves conséquences de projets de la nature de celui que nous discutons, est un des pouvoirs les plus considérables qui aient été donnés au gouvernement, car c'est un droit exorbitant que celui de priver qui que ce soit d'une parcelle de sa propriété sous prétexte d'utilité publique.

Il faut que cette utilité soit démontrée de la façon la plus complète, la plus irréfutable et elle ne peut l'être que devant les diverses branches du pouvoir exécutif, procédant à un examen attentif et minutieux de tout ce qui se rattache à ces questions.

Est-ce ainsi que l'on procède ici, messieurs ? Nullement : on exproprie par une simple ordonnance, souvent même sans plans mûrement examinés, et il arrive assez fréquemment qu'après avoir menacé ou favorisé certains intérêts, on constate la nécessité de modifier les plans. J'ai vu souvent qu'après l'accomplissement de toutes les formalités légales qui entourent le droit d'expropriation, il fallait tout annuler et recommencer à nouveau, soit parce que les plans étaient reconnus défectueux, soit parce que tous les intéressés n'avaient pas été appelés à se prononcer.

En Angleterre, au contraire, toutes ces choses se font publiquement. Ici le public n'est pas appelé à avoir connaissance des plans, autrement que par les renseignements souvent erronés donnés à la presse ; cette Chambre même ignore le plus souvent ce qui s'est passé avant qui le projet lui soit soumis ; bien souvent, elle ne sait pas, officiellement du moins, quelles sont les diverses idées qui se sont produites à propos de ces travaux. C'est l'administration qui absorbe tout, qui, lorsque cela ne lui convient point, rejette les projets sans contrôle, sans responsabilité, en accepte d'autres, et, en définitive, le public, en faveur ou aux frais de qui ces choses se font, et qui le plus souvent, comme dans les circonstances présentes, est appelé à payer de ses deniers, n'est pas même mis au courant des faits.

L'administration seule est maîtresse et agit en souveraine. Le public paye, là se borne toute son action.

Messieurs, est-il de l'intérêt bien entendu du pays, de la généralité, qu'il en soit ainsi ? Si l'Etat se bornait à remplir le rôle que la nature des choses lui assigne, est-ce qu'on ne ferait plus de travaux publics ? Est-ce que le pays manquerait de routes, de canaux, d'édifices ?

Nullement ; on remarque, malgré les entraves créées par l'intervention gouvernementale dans beaucoup de circonstances, on remarque, dis-je, (page 1104) que l'industrie particulière fait encore plus et beaucoup plus que ne peut faire l'Etat. En effet, il y a en Belgique 4,000 kilomètres de chemins de fer d'exécutés ; l'Etat n'en a construit que le quart ; il y en aurait probablement 8,000, si, par des entraves administratives de toute nature, on n'empêchait pas l'industrie, l'activité particulière de se livrer à ce genre utile d'industrie.

Messieurs, l'activité particulière n'est pas une de ces plantes sauvages, qui croissent à l'impromptu sur tous les terrains ; c'est une plante excessivement délicate et qui ne croit pas là où on l'arrache constamment.

L'industrie particulière, pour produire tout son développement et tous ses résultats, doit être complètement libre, complètement exonérée de tonte charge inutile...

MfFOµ. - Et des minimums d'intérêt.

Le Hardy de Beaulieuµ. - Y compris même les minimums d'intérêt ; les minimums d'intérêt sont la conséquence de l'intervention gouvernementale.

Messieurs, je vais vous fournir à l'instant même la preuve des mauvais résultats produits pae l'intervention gouvernementale.

Prenons tous les pays d'Europe et même ceux d'Amérique ; voyons où il se fait le plus de travaux publics, où ils sont les plus avancés, où nous allons même chercher des modèles.

Est-ce là où l’Etat intervient dans les travaux industriels ? Est-ce là où il y a une bureaucratie qui arrête, qui empêche souvent toute espèce de progrès ? Non, messieurs, là où la liberté est la plus grande, où l'industrie peut se développer de la façon la plus complète, là aussi il y a le plus de travaux publics, c'est là aussi que ces travaux donnent la plus grande somme d'utilité générale et particulière.

En Angleterre, il y a proportionnellement beaucoup plus de chemins et de canaux que vous n'en avez partout ailleurs ; eh bien, dans ce pays, on a, en même temps, les tarifs les plus bas ; on y transporte le charbon à 1 1/2 centime par tonne kilométrique.

En France, les compagnies particulières, malgré leur sujétion à l'intervention de l'Etat, sont arrivées à des résultats beaucoup plus favorables que notre chemin de fer exploité par l'Etat...

-Un membre. - Ces compagnies sont largement subventionnées.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je n'examine pas et je n'ai pas à examiner en ce moment si ces compagnies sont subventionnées ou si elles ne le sont pas ; mais je constate simplement que la compagnie du Nord en France transporte depuis nombre d'années, et nous venons de l'imiter à cet égard, transporte le charbon à 3 centimes 2/3, tandis que nous le transportons à six centimes et plus.

Je disais tout à l'heure qu'en Angleterre on transporte depuis un grand nombre d'années, à un centime et une fraction. Depuis vingt ans, on transporte à ce taux-là sur le chemin de fer de Stockton à Darlingion.

En Amérique, bien que ce pays soit plus vaste que toute l'Europe, bien que le gouvernement y soit très faible - en apparence du moins - et bien que la population y soit très disséminée, que les capitaux n'y soient pas très abondants, il n'y a pas une localité importante qui ne soit arrivée à construire son chemin de fer par la coopération de tous les intérêts.

MfFOµ. - Et de l'Etat aussi.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Dans quelques Etats.

MfFOµ. - Dans beaucoup d'Etats.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Les Etats qui sont intervenus dans les travaux publics sont généralement ceux qui ont répudié leurs dettes. (Interruption.)

Qu'est-ce que cela prouve ? Que ces Etats étaient sortis de leurs attributions économiques en intervenant dans les travaux publics.

Messieurs, il est encore une raison pour laquelle je repousse comme anti-économique l'intervention de l'Etat dans les travaux publics : c'est que le contrôle effectif, réel, y manque. Il est vrai que le contrôle y est parfaitement organisé, administrativement parlant ; mais en général c'est l'inférieur qui contrôle le supérieur. C'est un contrôle de la bureaucratie sur elle-même ; c'est par conséquent un contrôle complètement inefficace.

De plus, l'intermédiaire de l'Etat est excessivement onéreux. Ainsi dans les 60 millions proposés dans le projet de loi en discussion, il y aura assurément un certain nombre de ces millions qui resteront accrochés aux épines des routes administratives.

Messieurs, je vous ai développé le plus brièvement qu'il m'a été possible, les grandes lignes du système que je voudrais voir adopter, non seulement par l'Etat belge, mais par tous les Etats. Je veux parler du système de non-intervention.

Cependant, messieurs, il y a des travaux qui sont évidemment en dehors, non pas de l'industrie particulière, mais de la coopération particulière ; il y a des travaux publics qui ne peuvent produire aucune espèce de bénéfices immédiats et qui néanmoins sont utiles et profitables à la généralité, quelquefois même nécessaires et indispensables. Je vous l'ai déjà dit, ce sont les seuls travaux dans lesquels la société, représentée par le gouvernement, doit intervenir.

En Amérique, ce genre de travaux est inscrit dans la Constitution. Il y est dit que la généralité doit se charger des travaux qui concernent la défense nationale et la défense des côtes, c'est-à-dire de la défense da certains points des côtes contre les invasions de la mer, la régularisation des embouchures des fleuves, en un mot tous les travaux qui, sans pouvoir donner des bénéfices immédiats, sont cependant utiles ou nécessaires aux populations en général.

Eh bien, nous aussi nous avons des travaux de cette nature, et dans le projet qui nous est soumis, il en est que j'appuierai à ce titre parce qu'ils sont nécessaires et qu'ils rentrent complètement dans la catégorie des travaux que l'Etat doit exécuter.

Ainsi, tous les travaux relatifs à nos côtes, tous les travaux relatifs à la grande navigation internationale, et qui ne peuvent produire de péages ni donner des bénéfices immédiats, je crois que c'est à la généralité à les exécuter et à seos frais.

Messieurs, l'exécution des travaux publics par l'Etat a une conséquence que j'ai déjà fait ressortir, et qui est surtout ressortie de tous les discours que nous avons entendus : c'est qu'il faut que tous contribuent à une dépense qui n'est utile qu'à quelques-uns. C'est surtout à cause de cette conséquence que je suis opposé à l'intervention de l'Etat dans ces sortes de travaux.

En effet, qu'avons-nous entendu depuis le commencement de cette discussion ? Nous avons un gâteau à partager, et moi je n'ai pas la part qui me revient. Je devrais avoir une part plus grosse. Vous en avez une trop forte. Toute la discussion est là, et je dirai même que le vote sera la résultante de cette argumentation. J'ajouterai que s'il n'en était pas ainsi, le gouvernement ne nous aurait pas proposé une loi pour un aussi grand nombre de travaux. Il nous aurait proposé chaque article ou au moins chaque catégorie de travaux en particulier.

Nous l'aurions ainsi discutée avec beaucoup plus de maturité et nous n'aurions pas eu besoin de former une coalition d'intérêts : nous n'aurions pas vu le projet de loi porter cette marque, cette espèce de stigmate d'une tentative de corruption sur le parlement belge.

C'est pour arriver à former une majorité qu'on nous a proposé un ensemble de travaux qui jurent de se trouver côte à côte.

Voyez ce qui s'est passé à Londres, il y a quelques années : Londres n'a pas demandé un centime de subvention à l’Etat pour l'assainissement de la Tamise. Cependant, comme il y avait de grands intérêts sociaux engagés dans la question, la chambre des communes n'a pas hésité un seul instant à examiner la question avec la plus grande maturité et y a consacré trois années d'enquête. Il n'est pas une question soulevée par l'assainissement de la Tamise qui n'ait été l'objet d'une étude complète, et aujourd'hui que cette question est résolue, non seulement législativement mais pratiquement par l'exécution complète des travaux, il y a des questions subsidiaires d'une importance considérable qui font encore l'objet des investigations actives de la chambre des communes.

Ainsi en ce moment, une enquête est ouverte, à la demande de la Cité de Londres spécialement, pour savoir si l'emploi des matières proposé par plusieurs personnes ou compagnies est d'intérêt général, si elles ne sont pas de nature à compromettre la santé publique, etc., et ce n'est que quand cette enquête sera terminée que la Chambre prendra une résolution.

Ici, aucune de ces questions n'a été soulevée ; on nous demande trois millions et demi pour l'assainissement de la Senne et on ne sait ni comment on marche ni où l'on va. Avec ce système, nous nous livrons pieds et poings liés à ce gouvernement que je définissais tantôt, le gouvernement de la bureaucratie où tout se fait sans publicité, sans contrôle et où, quand on nous soumet la carte à payer, nous sommes effrayés du chiffre de la dépense. Il est évident qu'avec l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale, il nous est absolument impossible de savoir où nous allons ; on n'y trouve aucun chiffre, aucun élément d'appréciation.

Voilà, messieurs, encore une des raisons pour lesquelles je crois nécessaire que l'Etat s'abstienne d'intervenir dans les travaux publics, ou bien, s'il y prend part au moyen de subsides demandés à la généralité, (page 1105) qu'il donne à la législature tous les éléments d'appréciation qu'elle a le droit d'exiger.

Mais, messieurs, ce système, qui nous conduit à demander à la généralité les moyens de favoriser certaines parties du pays aux frais de tous conduit à des conséquences bien autrement graves. Ce système a produit ce gouvernement cher, exigeant, dont les dépenses vont grossissant sans cesse et dont les résultats utiles sont excessivement faibles.

Nous pourrions prendre pour point de comparaison un gouvernement qui est à peu près dans la situation du nôtre, mais qui n'est pas interventionniste comme le nôtre.

Le gouvernement suisse, dont j'ai examiné le budget, dépense annuellement, en excluant le produit des postes qui balance exactement les charges, dépense annuellement 11,700,000 francs. La Suisse a, ce me semble, autant de gouvernement qu'elle en a besoin ; je ne sache pas qu'il lui manque quoi que ce soit sous ce rapport ; elle a des chemins de fer malgré les montagnes qui en rendent la construction extrêmement difficile ; et, proportionnellement à sa population, la Suisse a autant de chemins de fer qu'aucune nation en Europe. (Interruption.)

Mais les cantons sont de grandes communes, qui ne diffèrent des nôtres que parce qu'elles sont beaucoup étendues, et parce qu'elles sont majeures, tandis que toutes nos communes sont traitées en mineures. Or, les communes peuvent, par la nature même des choses, faire beaucoup de choses que l'Etat ne peut pas faire. Les communes sont, dans une certaine mesure, des communautés de propriétés, qui, pour l'amélioration de ces biens, doivent faire certaines dépenses que chacun ne pourrait faire aussi économiquement. Ainsi, une commune fait construire une rue ou un chemin qui doit amener une amélioration considérable pour les propriétés riveraines, il est juste qu'elle fasse contribuer ces propriétés à ce travail. C'est un moyen économique pour arriver à un résultat profitable, c'est un moyen qui coûte moins cher que d'exproprier ces propriétés pour les mettre en commerce et les revendre ensuite

Eh bien, messieurs, les communes pourraient faire beaucoup plus qu'elles ne font, si l'Etat était moins interventionniste. Prenons pour exemple la ville de Bruxelles. Que payent la province de Brabant et la commune de Bruxelles dans le budget de l'Etat ? Je tiens ici la note que j'ai extraite de l'exposé administratif de la province de Brabant, c'est là, je pense, un chiffre officiel ; la province de Brabant contribue dans les recettes de l'Etat, non compris une foule de payements dont le relevé n'a pas été fait, pour une somme de 35,000,000 fr., c'est-à-dire le tiers à peu près des 115,000,000 que reçoit l'Etat du chef des mêmes produits.

Or, la ville de Bruxelles compte dans la province de Brabant, non pas pour la moitié, mais à peu près pour le tiers. Mais cette population paye des impôts beaucoup plus élevés que dans la province, et c'est ainsi que vous avez une très belle maison à Wavre ou à Nivelles, par exemple, au prix de l'impôt que paye une maison de moyenne importance à Bruxelles ; donc, je dis que l'agglomération de Bruxelles paye plus de la moitié de la totalité de ce que paye le Brabant, d'où je conclus que Bruxelles paye, dans la somme générale du gâteau que nous allons partager, à peu près le cinquième, c'est-à-dire environ 12 millions.

Donc si l'Etat n'intervenait pas dans les travaux publics, la ville de Bruxelles pourrait, sans augmenter ses charges, faire un emprunt de 12 millions, tandis que, dans le projet actuel, elle reçoit 6 millions, 5 millions pour le palais de justice et 5 millions pour l'assainissement de la Senne ; donc, à mon avis, la ville de Bruxelles ne fait pas, dans le cas actuel, une très bonne opération.

M. Baraµ. - Et les villes qui ne reçoivent rien et qui contribuent ?

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Celles-là font une opération beaucoup plus mauvaise encore.

C'est précisément parce que cet ensemble donnerait des résultats plus grands, plus immédiats et plus industriels, si je puis m'exprimer ainsi, c'est-à-dire s'appliquer plus directement aux besoins industriels, c'est pour cela que je soutiens le système de la non intervention de l'Etat et de la plus grande activité particulière. C'est par ce système qu'on arrivera non seulement à doter le pays de la plus grande somme de travaux utiles, mais également à doter chaque localité proportionnellement à ses besoins vrais et réels et chaque industrie de tous les travaux qui lui sont nécessaires.

Mais, messieurs, il y a une conséquence que je mettrai encore au-dessus de celles que je viens de déduire.

C'est que le système interventionniste brisant dans son germe l'initiative, l'activité, l'énergie particulières, brise en même temps dans leur germe les sources les plus sûres, les plus fortes de la grandeur et de la puissance nationales.

Il n'y a pas de nation qui puisse grandir, prospérer autrement que par l'énergie des citoyens. Toutes les nations qui se soumettent à l'intervention de quelques-uns, souvent les moins éclairés, finissent par disparaître. Il n'y a de nation véritablement grandes, véritablement prospères, véritablement fortes, que celles qui se fondent sur l'activité, l'énergie et l'initiative particulières.

Messieurs, vous me demanderez sans doute quelles conclusions je compte tirer des quelques paroles que je viens de prononcer devant vous. Je crois qu'il sera très facile de les déduire de ces paroles mêmes. Je suis un homme aussi pratique que possible, bien que je me tienne quelquefois dans les régions de la théorie.

Tout en me réservant mon vote sur l'ensemble du projet de loi comme sur chacun de ses articles, je vais vous dire en quelques mots ce à quoi je conclurais si je pouvais résumer en moi-même la puissance législative.

Tous les travaux relatifs aux côtes et aux fleuves, y compris la Meuse, je les voterais, non pas sans marchander, mais en examinant attentivement tous les détails et je ne me prononcerais que sur un plan bien établi, sur des chiffres bien prouvés et je dois dire que je ne les trouve pas dans le projet.

S'ils me sont fournis dans le cours de la discussion des articles, je voterai les chiffres demandés et je proposerai même, sur un des articles, une majoration que je crois indispensable.

Tous les travaux qui ont pour objet de favoriser l'activité particulière, de donner à l'industrie des voies de transport, je les laisserais exclusivement à l'initiative privée, parce que je dénie à la généralité le droit de favoriser, au moyen des deniers communs, une localité au détriment d'une autre.

Si ce système avait été adopté en Belgique, vous n'auriez pas les luttes auxquelles nous assistons ici.

Quant aux travaux qui concernent l'assainissement, je dis qu'ils concernent les populations spécialement intéressées. Cependant, et je dois appeler sur ce point votre attention, la ville de Bruxelles est dans une situation particulière.

Depuis 35 ans, la généralité a fait argent de l'eau qui devait servir à l'assainissement de la ville de Bruxelles.

Il est donc juste que, recevant d'une main, elle ne ferme pas l'autre, et c'est sur ces considérations que je baserai l'appréciation que je ferai des travaux utiles à l'assainissement de Bruxelles. Partout ailleurs l'industrie particulière doit être assez forte. Elle le serait si elle ne rencontrait pas d'obstacles sur son chemin ; elle trouverait des combinaisons que l'Etat devrait non pas contrarier, mais favoriser de toutes les manières, excepté avec de l'argent.

Je crois que les travaux qui nous sont proposés se résument dans ces trois grandes catégories.

Je les examinerai en détail. J'aurai quelques questions techniques à soulever sur certains points.

Je le ferai avec l'esprit d'impartialité que j'ai pris à tâche de mettre dans l'examen de toutes les affaires qui nous sont soumises.

Je ne crois pas que mon système prévaudra dans cette Chambre, le rapport de la section centrale me démontre clairement que cela n'est pas probable, mais j'ai trouvé utile, nécessaire de poser dans cette discussion les principes qui, d'après moi, doivent gouverner les sociétés modernes.

(page 1101) - La séance est levée.