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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 5 juillet 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1334) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des électeurs à Fayt-lez-Seneffe prient la Chambre de donner la préférence au système qui consiste à remettre à chaque électeur, dans la salle du scrutin, un bulletin imprimé portant les noms des candidats déclarés et sur lequel il effacerait à la plume ceux qui ne lui conviendraient pas. »

« Même demande d'électeurs à Gosselies et des membres du conseil communal de Pont-à-Celles. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les fraudes électorales.


« Le sieur Thielemans se plaint de ne pouvoir obtenir la restitution des pièces qu’il a produites à l'appui d'une réclamation contre une inscription sur la liste des électeurs pour les Chambres, de la communs d'Herck-la-Ville. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Composition des bureaux des sections

Les bureaux des sections de juillet ont été composés ainsi qu'il suit.

Première section

Président : M. Julliot

Vice-président : M. Orban

Secrétaire : M. de Macar

Rapporteur de pétitions : M. Bricoult


Deuxième section

Président : M. Vander Donckt

Vice-président : M. Van Hoorde

Secrétaire : M. de Conninck

Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe


Troisième section

Président : M. Sabatier

Vice-président : M. de Muelenaere

Secrétaire : M. T’Serstevens

Rapporteur de pétitions : M. Van Humbeeck


Quatrième section

Président : M. Allard

Vice-président : M. Jacquemyns

Secrétaire : M. Dewandre

Rapporteur de pétitions : M. Giroul


Cinquième section

Président : M. Funck

Vice-président : M. Elias

Secrétaire : M. Le Hardy de Beaulieu

Rapporteur de pétitions : M. Couvreur


Sixième section

Président : M. de Kerchove

Vice-président : M. Mouton

Secrétaire : M. Carlier

Rapporteur de pétitions : M. Devroede


Projet de loi révisant les dispositions du code de commerce relatives aux sociétés

Dépôt

MjTµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi portant révision du titre III du livre I du Code de commerce relatif aux sociétés.

Ce projet se lie intimement au Code de commerce, pour la révision duquel une commission a été nommée ; je crois que c'est à cette commission que le projet de loi doit être renvoyé, parce qu'il doit faire corps avec la loi de révision.

- Impression, distribution et renvoi à l'examen de la commission dont il s'agit.

Interpellation

M. Allard. - Messieurs, lors de la discussion du projet de loi qui a ordonné la révision des évaluations cadastrales, M. le ministre des finances a fait connaître à la Chambre que cette révision n'avait pour but que de mieux répartir l'impôt ; qu'elle était nécessaire, parce que certaines provinces payaient trop et que d'autres provinces ne payaient pas assez. M. le ministre des finances a déclaré alors, et il l'a répété plusieurs fois depuis, que, quel que dût être le montant du revenu imposable à résulter des nouvelles évaluations, la contribution foncière ne serait pas augmentée.

On vient de distribuer à Tournai et dans les cantons qui l'avoisinent des bulletins indiquant le classement et le taux du revenu imposable d'après le travail des experts. Il résulte de l'inspection de ces bulletins que pour les uns le revenu imposable est augmenté de 100 p. c, pour le plus grand nombre de 200, de 300, de 400, de 500 et même de 600 p. c.

En effet, la première classe des maisons, à Tournai, qui a été fixée en 1835, à 1,200 francs, est portée, en 1865, à 8,561 francs. On sait que la loi du 3 frimaire an VII à son article 5 que « le revenu net imposable des maisons, et celui des fabriques, forges, moulins ou autres usines, sont tout ce qui reste au propriétaire, déduction faite sur leur valeur locative, calculée sur un nombre d'années déterminé, de la somme nécessaire pour l'indemniser du dépérissement et des frais d'entretien et de réparations. »

Par suite de cette disposition de la loi, on diminue de la valeur locative un quart pour les maisons et un tiers pour les fabriques. .

Il en résulte donc que la première classe des maisons, fixée, en 1835, à Tournai, à 1,200 francs, l'était réellement à 1,600 francs ; de même, la première classe, fixée en 1865, à 8,571 fr., représente un loyer de 11,428 francs !

Je pose eu fait (je fais exception pour quelques bâtiments à usage de pensionnat), je pose en fait qu'il n'y a pas actuellement à Tournai quatre maisons qu'on pourrait louer 2,000 francs par an.

Messieurs, vous comprendrez l'émotion bien légitime, du reste, qui existe en ce moment à Tournai, par suite des évaluations exagérées, absurdes, pour ne pas dire plus, qui ont été faites par des employés du gouvernement qui ne connaissaient pas la ville.

On n'a pas agi partout de même. A Mons, par exemple, où certainement les maisons ont une valeur supérieure à celles de Tournai, telle maison est évaluée à 1,000 fr., tandis qu'à Tournai une maison de même catégorie est évaluée à 2,500 fr.

On a également agi autrement à Ath qu'à Tournai. J'ai voyagé hier avec un honorable conseiller provincial qui a dit devant moi que dans la ville d'Ath très peu de diminutions et très peu d'augmentations avaient eu lieu dans les évaluations cadastrales. Il a cité ce fait qu'il avait englobé dans son jardin les jardins de deux maisons attenantes à la sienne, et que le revenu imposable de sa maison avait augmenté de la diminution du revenu imposable des deux autres maisons.

A Tournai, l'on n'a pas agi ainsi.

Pour vous faire voir l'exagération des évaluations qui y ont eu lieu, je ne vous citerai qu'un seul fait.

Il y a près de chez moi un hôtel, un des plus beaux de la ville.

Depuis deux ans il n'est pas loué et le propriétaire désire le vendre ; il en demande 65,000 fr. et il lui est impossible de trouver un amateur. Eh bien, le revenu cadastral de cette maison qui ne pourrait pas être louée plus de 1,600 à 1,800 fr. est porté à 2,856 fr., soit avec le quart qui est déduit pour moins-value, 3,808 fr.

Vous voyez ce qui arriverait si cette maison était vendue aujourd'hui de la main à la main pour 65,000 fr. et si l'acquéreur venait à passer dans huit jours de vie à trépas. Ses héritiers devraient payer l'impôt calculé d'après 30 fois le revenu cadastral, soit 88.680 fr., tandis que cette maison aurait été vendue, huit jours auparavant, 65,000 fr.

Je ne citerai pas d'autres exemples pour faire voir l'exagération des évaluations cadastrales à Tournai.

Je demande que M. le ministre des finances veuille bien nous déclarer s'il maintient ce qu'il a dit, il y a plusieurs années, que le contingent actuel porté au budget pour la contribution foncière ne serait pas augmenté.

M. Coomansµ. - C'est la loi.

M. Allard. - Je demande qu'il rassure nos populations, qu'il nous dise que s'il y a des erreurs, elles seront réparées, que dans tous les cas, (page 1334) les contribuables de l'arrondissement de Tournai ne seront pas plus imposés que ceux des autres arrondissements du pays.

M. Cartierµ. - Je n'ai demandé la parole que pour redresser une erreur toute loyale et toute sincère, j’en suis certain, qu'a commise l'honorable préopinant en ce qui concerne les évaluations cadastrales faites à Mons.

Dans cette ville comme à Tournai, l'on a doublé, l'on a triplé, l'on a quadruplé la valeur cadastrale.

Si l’énonciation de l’honorable membre doit arriver à cette conclusion qu'une nouvelle révision doit avoir lieu ou que les évaluations faites à Mons doivent être majorées tandis que celles faites à Tournai doivent être réduites, je crois devoir protester dès aujourd'hui contre l'erreur que vient de commettre mon honorable ami M. Allard.

MfFOµ. - Messieurs, les observations qui viennent d'être présentées pur l'honorable M. Allard ne sont que l'écho de plaintes qui se sont fait jour dans la presse de Tournai. On a dénoncé les opérations auxquelles on procède en ce moment, comme devant avoir pour résultat d'accroître dans une proportion énorme les impôts perçus au profit de l'État.

Tout le monde doit comprendre, messieurs, que c'est la passion politique qui s'empare de cette affaire pour l'exploiter dans un intérêt de parti.

Malheureusement pour ceux qui agissant de la sorte, il est extrêmement facile de faire taire toutes les doléances auxquelles on se livre. Elles n'ont en effet aucun fondement, ainsi que je l'ai démontré déjà plusieurs fois à la Chambre.

Et d'abord, on devrait savoir que le trésor public est absolument désintéressé dans la question qui s'agite (interruption), absolument désintéressé.

On opère une révision cadastrale ; pourquoi ? Parce que certaines provinces ont prétendu pendant de longues années qu'elles subissaient une surcharge dans la répartition de l'impôt. Pour faire droit à ces plaintes, souvent réitérées, nous avons proposé aux Chambres d'ordonner une révision des évaluations cadastrales. Il s'agit de savoir si, comme on le prétend, l'impôt n'est pas réparti d'une manière équitable. Or, en procédant à ces opérations, on arrive à constater des augmentations énormes dans le revenu des propriétés foncières en général.

Ce n'est pas, cependant, que ces augmentations soient exactement les mêmes dans toutes les localités ; cela serait impossible. Chacun comprend qu'il y a sous ce rapport des différences plus au moins notables, et que l’accroissement a dû être plus sensible dans certaines provinces, dans certaines villes ou communes, en raison de la situation des propriétés, des progrès de l'industrie, de l'existence de voies de communication en nombre plus considérable, et d'autres circonstances encore. C'est pour remédier à ces inégalités que la révision des évaluations cadastrales a été reconnue utile.

Pour arriver à un résultat aussi juste et aussi équitable, voici comment l'on procède : on a d'abord recueilli dans les bureaux d'enregistrement tous les baux que l'on a pu se procurer, et se rapportant à la location des biens de toute nature, propriétés bâties et non bâties. On a ensuite invité les particuliers à fournir eux-mêmes les baux sous seing privé qu'ils possédaient, en faisant connaître que le gouvernement n'entendait infliger aucune espèce de pénalité du chef de non-enregistrement. Le public a montré la plus grande confiance dans cette déclaration du gouvernement et, à la différence de ce qui s'était passé lors du premier cadastre, alors que l'on n'avait obtenu en tout qu'environ cent mille baux, nous en avons recueilli cette fois 350,000. Ces baux ont été en grande partie fournis volontairement par les particuliers.

Une première opération a été faite au moyen de ces baux ; on a établi entre eux une ventilation, afin de constater quelle est la différence entre les prix de location qu'ils indiquent et les évaluations cadastrales des propriétés auxquelles ils se rapportent. On a donc pu constater ainsi l'accroissement réel du revenu des propriétés foncières, et ce d'après les conventions mêmes intervenues entre les intéressés. Voilà en quoi consiste la première partie de l'opération. Ce premier travail, qui sert de base aux opérations ultérieures, est suivi d'une expertise faite par le contrôleur des contributions, accompagné d'un expert et d'un indicateur. Nous n'en sommes encore que là ; les opérations sont donc bien loin d'être terminées.

Maintenant, messieurs, je dois faire remarquer qu'il n'y a rien dé définitif dans ces évaluations. Tout n'est encore que provisoire. Les particuliers sont invités à s'expliquer, chacun individuellement, sur l'évaluation qui a été faite de leurs propriétés ; ils ont à présenter les observations qu'ils croient de nature à faire réviser l'évaluation de leurs biens. Un délai d'un mois est accordé à cet effet. A l'expiration de ce délai, le contrôleur et l'expert qui ont établi l'évaluation contestée, doivent se rendre de nouveau sur les lieux, pour discuter avec les intéressés les objections que ces derniers auront fait valoir. S'il est reconnu que des erreurs ont été commises, on les rectifiera ; et si l'un ne tombe pas d'accord, si les propriétaires persistent dans leurs réclamations, l’affaire sera portée devant le gouverneur de la province, qui statuera, après avoir pris l'avis de la députation permanente.

Lorsque l'on en sera arrivé là, messieurs, on n'aura pas encore terminé. Il y aura lieu alors de procéder à la nomination d'une commission provinciale, composée de délégués de chaque canton et de chaque ville, nommés par le bourgmestre ou les conseils communaux parmi les propriétaires de la localité, et ainsi directement intéressés dans la question. Cette commission appréciera à son tour les opérations qui auront été faites, elle jugera les réclamations qui auront été adressées, et présentera ses observations au gouvernement. Quand toutes ces opérations seront terminées et que toutes les pièces auront été adressées au ministre des finances, celui-ci, centralisant tout le travail, le soumettra à l'examen d'une commission, et c'est seulement après avoir pris toutes ces précautions, après avoir donné toutes ces garanties d'équité et d'impartialité aux contribuables intéressés, qu'il soumettra enfin des propositions à la Chambre.

C'est donc en définitive la Chambre qui aura à statuer sur le résultat des opérations auxquelles on se sera livré. Jusque-là, tout est provisoire.

Vous le voyez donc, messieurs, les plaintes que l'on a fait entendre, les objections que l’on a formulées d'avance contre des faits non encore accomplis et que l'on ne connaît pas, n'ont aucun fondement réel. Dire que les évaluations ont été doublées, triplées, quadruplées, quintuplées même, cela ne signifie absolument rien. Et, d'ailleurs, de telles augmentations de valeur n'auraient rien d'étonnant, si l'on veut bien se souvenir que les premières opérations cadastrales se sont faites sur des baux de 1816 à 1826, et qu'elles ont été terminées par la péréquation de 1835. Personne n'ignore sans doute qu'il s'est opéré de grands changements dans la situation économique de notre pays pendant ce demi-siècle.

On a dit que les opérations dont on s'occupe auraient pour effet d'augmenter dans une proportion notable le taux de la contribution foncière. Eh bien, messieurs, cela est absolument inexact. (Interruption) Comment voulez-vous que la quote-part des particuliers s’élève eu raison de l’élévation constatée du revenu, alors que le contingent reste invariable ? Si les accroissements de revenu avaient été les mêmes dans toutes les parties du pays, les évaluations nouvelles étant même le quintuple des évaluations anciennes, l'impôt n'en serait pas augmenté. Ainsi, une propriété évaluée autrefois à 1,000 fr. et qui payait 100 fr. d'impôt, évaluée aujourd'hui à 5,000 fr. ne payerait encore que 100 fr. de contribution.

Mais si l'accroissement n'a pas été égal partout, le contingent restant le même, il y aura une certaine différence, qui, fût-elle de 5, peut-être de 10 p. c., suivant les localités, n'aura assurément qu'une médiocre importance. Voilà tout ce qu'il peut résulter de l'opération à laquelle on se livre.

On a dit encore que la contribution personnelle allait être augmentée, puisque l'une des bases de cette contribution est la valeur locative des habitations, et que, si l'on double, si l'on triple, si l'on quadruple le revenu cadastral, il en résultera que la valeur locative des maisons sera augmentée dans une égale proportion. Eh bien, messieurs, c'est là encore une erreur complète. Il n'y a pas d'analogie, dans l'état actuel de la législation, entre les évaluations cadastrales et la valeur locative déterminée par la loi de 1822 sur la contribution personnelle.

La contribution personnelle, qui a été en quelque sorte immobilisée par les dispositions prises en 1831, est déterminée par les déclarations des contribuables eux-mêmes, ou bien par expertise, et cela en faisant absolument abstraction du revenu cadastral attribué aux immeubles.

M. de Theuxµ. - Je demande la parole.

MfFOµ. - Si l'on arrivait, par une modification à la loi, à donner pour base à la contribution personnelle, non plus la valeur locative, mais la valeur cadastrale telle qu'elle résulterait des opérations dont on s'occupe, la Chambre aurait à apprécier la mesure ; elle aurait à décider si, au lieu d une quotité de 4 p. c, il ne faut pas établir une quotité de 3, de 2 ou même de 1 p. c. Mais en aucun cas les opérations cadastrées ne pourront par elles-mêmes exercer aucune influence sur cette question.

On a ajouté enfin que si ce n'étaient ni la contribution foncière, ni la contribution personnelle qui devaient être augmentées, et c'est ce que je crois avoir démontré, on arriverait à une augmentation du droit de succession en ligne direct, par suite de l'application du multiple actuel à un revenu cadastral plus élevé.

(page 1335) Ceci, messieurs, est encore une erreur.

La disposition de la loi qui permet de prendra pour base un multiple déterminé du revenu cadastral, lorsqu'il s'agit de successions en ligne directe, porte que le gouvernement doit établir périodiquement, à l'aide des actes de ventes publiques, le rapport qui existe entre le prix vénal et la valeur cadastrale des propriétés.

Ce n'est donc pas parce qu'on aurait augmenté le revenu cadastral', que l'on aurait une augmentation de la valeur vénale. On n'aura jamais que la valeur vénale telle qu'elle résulte des ventes publiques.

Le multiplicateur du revenu cadastral pourra être modifié, et c'est ce que la loi a prévu en déclarant que ce multiplicateur serait révisé périodiquement. S'il résultait des opérations auxquelles on se livre en ce moment que le revenu cadastral dût être augmenté, le multiplicateur serait modifié pour être mis en rapport avec la valeur vénale constatée par les ventes publiques, seule base réelle de cet impôt.

Ainsi, tout ce que la pressé a dit à ce sujet, tout ce qu'elle dira encore, doit être ramené à ces termes de vérité que je viens d'exposer à la Chambre, et qui résultent des déclarations antérieures que j'ai faites ainsi que du texte même de la loi et des instructions données pour arriver à la révision des évaluations cadastrales.

M. Dumortier. - Messieurs, il est facile, lorsqu'une grande émotion se produit dans ure ville importante du pays, de rejeter cette émotion sur l'esprit de parti. Il est constant, comme vient de le dire l'honorable M. Allard, qu'à Tournai, il faut aller 2, 3 et 4 fois à l'hôtel de ville pour pouvoir pénétrer dans les bureaux tant ils sont encombrés de réclamants. Si une presse quelconque avait le pouvoir de remuer ainsi les habitants d'une localité, cette presse mériterait bien quelques égards. Mais ce qui fait courir les habitants, c'est, comme l'a dit l'honorable M. Allard, l'exagération incroyable des opérations cadastrales de Tournai.

J'ignore ce qui s'est passé pour d'autres villes, mais je suis heureux que l'honorable M. Allard ait soulevé cette question, parce qu'elle éveillera l'attention du pays sur cette question.

L'hôtel de ville de Tournai est littéralement envahi d'habitants qui viennent réclamer contre les évaluations cadastrales qui leur ont été remises depuis 10 ou 12 jours. Tout le monde doit reconnaître que ces évaluations ne sont en aucune manière en rapport avec l'exactitude des faits. Il est certain que la valeur des maisons a augmenté depuis 1825 ou 1827, depuis l'époque de la péréquation cadastrale ; mais il n'en résulte pas que dans les provinces, cette valeur soit doublée, triplée et même quadruplée. C’est cependant ce qui résulterait des nouvelles opérations cadastrales. Aux exemples qu'a cités l'honorable M Allard, permettez-moi d'en ajouter un qui vous fera voir de la manière la plus péremptoire ce qui en est. L'hôtel d'une des premières familles de Tournai a été mis en vente et vendu par adjudication publique, il y a un an et demi à peine pour 64,000 francs.

Eh bien, si vous prenez l'évaluation cadastrale qui est faite, et que vous y ajoutiez le tiers qui est défalqué, vous savez pourquoi, et que vous preniez le multiplicateur 30, qui est celui de Tournai, pour avoir la valeur de la propriété, ce même hôtel vendu par adjudication publique, à la somme de 64,000 fr., il y a un an, un an et demi à peine, vaudra pour le gouvernement 120,000 fr.

Je pourrais multiplier les exemples. Celui-ci suffit pour vous prouver combien ces évaluations sont exagérées et ridicules.

M. le ministre prétend que ce n'est qu'un commencement d'opération. Je le veux bien, mais pour qu'une opération soit légitime, il faut qu'elle soit juste depuis le commencement jusqu'à la fin, et lorsque des villes comme Tournai, comme Mons, dont vient de vous parler l'honorable M. Carlier, verront tous leurs habitants réclamer contre les évaluations cadastrales, je ne sais comment on rendra justice et raison à tous ces habitants.

Messieurs, vous savez ce qui a amené des réclamations contre les anciennes évaluations cadastrales. Certaines provinces étaient surtaxées ; et pour mon compte, comme député des Flandres, j'ai souvent réclamé contre l'injustice de la péréquation cadastrale. Mais veuillez y faire attention, où est l'injustice de la péréquation cadastrale dont se plaignent les Flandres et la province d'Anvers ? Elle est pour les propriétés rurales, et l'on ne fait pas l'évaluation des propriétés rurales ; on se borne à faire l'évaluation des propriétés bâties.

- Plusieurs membres. - C'est une erreur,

M. Dumortier. - Si c'est une erreur, comment se fait-il que jusqu'ici personne n'ait reçu le plus petit papier relativement aux propriétés arables et que tout le monde a reçu ses papiers pour les propriétés bâties ? C'est au moins ainsi qu'il en est dans l'arrondissement de Tournai.

Au reste, ceci signifie peu de chose. Le fait est que les réclamations élevées par les Flandres portaient sur l’évaluation des propriétés rurales, mais jamais les Flandres n'ont élevé de réclamations, ou au moins je n’ai jamais entendu dire, au sujet des évaluations des propriétés bâtis, attendu que la péréquation des propriétés bâties s'est faite à une époque plus récente que celle des propriétés rurales.

MfFOµ. - Mais, non ; c'a été une seule et même opération, comme aujourd'hui ; il ne peut y en avoir deux.

M. Dumortier. - Si c'est une seule et même opération, je demande comment il se fait que l'on distribue tous les bulletins quant aux propriétés bâties et qu'on ne distribue pas l'ombre d'un bulletin quant aux propriétés arables.

M. Ortsµ. - Il faut un commencement à tout.

M. Dumortier. - Quant on commence, on prend une ville, on prend un village et l'on envoie les bulletins pour les propriétés de toute espèce.

Du reste c'est un incident qui ne touche pas au fond de la question. Je sais qu'on pourrait discuter longuement là-dessus ; mais cela ne changerait rien au fond de la question. II reste toujours ce fait dominant qu'à Tournai, et je puis vous en donner l'assurance, il y a une exagération effrayante dans l'évaluation des propriétés bâties, que presque toutes sont évaluées au double, au triple, au quadruple de ce qu'elles étaient évaluées auparavant.

MfFOµ. - C'est la même chose pour les terres ; elles sont évaluées au double et au triple.

M. Dumortier. - Si les terres ont subi cette augmentation, il est juste de la leur faire payer. Mais si les propriétés bâties n'ont pas, subi pareille augmentation, il est injuste de la leur attribuer et les propriétés bâties n'ont pas subi cette augmentation.

Messieurs, vous avez dû remarquer combien étaient embarrassées les explications de M. le ministre des finances au sujet des résultats de cette opération.

M. le ministre des finances est venu vous dire : « Si la Chambre veut faire telle chose, elle fera telle chose. » Cela na signifie rien. Il y a des faits sur lesquels je demande une explication.

Je regarde la mesure prise par le gouvernement comme devant frapper directement les citoyens de deux côtés différents.

Je sais fort bien, et cela depuis longtemps, que le gouvernement ne peut augmenter les impôts sans un vote des Chambres ; mais ce que je sais aussi bien, fort bien, c'est qu'il y a des lois votées sur lesquelles les nouvelles évaluations cadastrales pourront avoir de l'influence, de manière à augmenter considérablement les charges des habitants.

Ainsi, par exemple, la contribution mobilière. Comment s'opère l'évaluation de cette contribution ? Par deux moyens. Le premier moyen, c'est de s'en rapporter à la valeur cadastrale, (Interruption) à la valeur locative, qui n'est pas autre chose que la valeur cadastrale.

MfFOµ. - Pas du tout. Vous êtes dans une erreur complète.

M. Dumortier. - Je ne suis pas dans une erreur complète ; je sais ce qui a été dit dans le sein du conseil communal de Tournai ; si je suis dans l'erreur, je partage cette erreur avec vos propres amis.

Je fais allusion au rapport de M. l'échevin Delwart ; je crois qu’il a dit la vérité...

M. Baraµ. - A vos yeux, il ne commet que des erreurs.

M. Dumortier. - Je puis bien désapprouver les projets de M. Delwart, quand je les crois dangereux pour la ville de Tournai ; mais quand il dit la vérité, je puis bien, je pense, rendre hommage à ses paroles.

Le conseil communal de Tournai a été tellement ému de ce qui se passait en ville qu'il a jugé nécessaire qu'un rapport immédiat lui fût fait, et ce rapport lui a été présenté par M. l'échevin Delwart.

Je disais, messieurs, qu'il y a deux manières de payer l'impôt sur les valeurs mobilières.

La première, c'est de demander l'expertise ; la seconde, c'est de quintupler la valeur locative.

Eh bien, la Belgique repousse l'emploi du premier moyen ; on n'est pas soucieux de voir arriver chez soi, chaque année, les agents du trésor, pour compter votre linge, vos chemises, etc. On se réfère donc à la valeur locative multipliée par 15 : mais cette valeur locative, où est-elle ?

(page 1336) Je sais fort bien que vous allez dire qu'en vertu d'une loi de 1831, on peut mettre sur sa déclaration : « comme l'année précédente. » Mais cela ne signifie pas que la valeur sur laquelle est basé l'impôt n'est pas modifiée. Donc vous arrivez directement à une augmentation d'impôt sur le mobilier.

Ce n'est pas tout ; dans l'impôt de succession en ligne directe, si vous doublez la valeur du revenu cadastral et par conséquent si, au moyen du multiplicateur, vous doublez la valeur de la propriété dont il s'agit, il est évident que vous allez doubler l'impôt de succession en ligna directe.

M. le ministre des finances dit à ce propos : On établit un rapport entre la valeur vénale et le revenu cadastral.

Or, la valeur du revenu cadastral est augmentée, donc l'impôt de succession en ligne directe le sera également. M. le ministre des finances est lui-même en aveu.

Nous savons que l'impôt foncier est un impôt de répartition et non de quotité ; mais quant au droit de succession en ligne directe, c'est un impôt de quotité et non pas de répartition, et dès lors plus les valeurs s'élèvent, plus l'impôt doit produire. Donc, quand vous ferez l'évaluation de ces valeurs, vous aller doubler, tripler le produit de l'impôt sur les successions en ligne directe.

Je dis que cela est excessivement sérieux. J'adjure le gouvernement d'annuler les expertises dans les villes où il est reconnu qu'elles se sont faites sans rime ni raison, et d'en ordonner de nouvelles.

Comment les choses se passent-elles ? On arrive dans une ville ; on prend des gens complètement étrangers à cette ville, et ce sont ces personnes-là qui vont évaluer la valeur des habitations.

Ce n'est pas tout : on envoie M. l'inspecteur général du cadastre pour mettre en train les opérations. Ce fonctionnaire arrive avec la valeur des maisons à Bruxelles pour estimer la valeur des maisons à Mons, à Tournai, etc. Une pareille manière de faire ne peut engendrer que des abus, et j'adjure de nouveau le gouvernement d'annuler les opérations dans les villes où. des réclamations ont eu lieu, et d'en ordonner de nouvelles.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire.

Il me semble qu'il est toujours dangereux d'exagérer les évaluations cadastrales des propriétés foncières bâties ou non bâties. Cette exagération d'évaluation conduit inévitablement à une augmentation de l'impôt qui grève la propriété foncière.

Je dirais même qu'elle doit exercer une influence fâcheuse sur l'application du droit de succession en ligne directe. Si le cadastre a fait une évaluation exagérée, on prive les déclarants d'une faculté que la loi qui établit l'impôt des successions en ligne directe, a voulu leur donner. Il y a une valeur vénale à expertiser.

Si l'on veut éviter l'expertise, on peut se référer à la valeur cadastrale augmentée dans une proportion de... ; mais il est évident que si vous augmentez le revenu cadastral, vous privez les déclarants d'un avantage que la loi à entendu leur assurer.

MfFOµ. - Messieurs, je ne vois aucune difficulté à faire droit à la demande de l'honorable M. Dumortier. En sa qualité de député des Flandres, il s'élève contre les opérations cadastrales auxquelles on se livre en ce moment. S'il entend servir ainsi les intérêts de ses commettants, rien de mieux ; s'il le veut, je renonce sur-le-champ à poursuivre la révision des évaluations cadastrales.

M. Dumortier. - J'ai demandé que vous la fassiez mieux, que vous la fassiez avec plus de justice.

MfFOµ. - Eh bien, vous, député des Flandres, vous vous chargerez d'expliquer comment il est possible de dégrever certaines provinces, sans reporter la différence sur d'autres. Ce sera sans doute là une chose qu'il vous sera facile de faire comprendre au public !

Quoi qu'il en soit, si vous voulez le maintien de la situation actuelle, je déclare encore que je ne m'y oppose pas ; car, comme je le disais tout à l'heure, le trésor est absolument désintéressé dans la question.

Comme ministre des finances, je n'y ai aucun intérêt.

M. de Naeyer. - Il y a l'intérêt de la justice, auquel vous ne pouvez être indifférent.

MfFOµ. - A quel point de vue vous placez-vous ?

M. de Naeyer. - Je me place au point de vue d'une répartition plus équitable.

MfFOµ. - Donc au point de vue des Flandres,

M. de Naeyer. - Au point de vue de tout le monde.

MfFOµ. - Vous savez bien qui se plaint. Vous savez bien qui a réclamé. Il faut donc dire la vérité et reconnaître franchement qu'il est impossible d'opérer un dégrèvement d'un côté, sans qu'il y ait une modification correspondante de l'autre.

Maintenant, quel sera le résultat des opérations cadastrales ? On ne saurait le dire, puisque ces opérations ne sont pas achevées. Mais ce que je sais par les résultats déjà acquis aujourd'hui, ce que je sais par la connaissance de cette immense quantité de baux qui ont été produits, c'est qu'il y a un accroissement énorme de la valeur des propriétés, bâties ou non, sur toute la surface du pays ; que, dans les Flandres mêmes, les augmentations sont d'environ 40 à 50 p. c. comparativement aux évaluations anciennes, et que ces augmentions peuvent être, dans telle localité ou dans telle province, dans une proportion beaucoup plus forte encore et dépasser même 100 p. c. en moyenne.

Ce que nous pouvons dire également, c'est que la différence entre les augmentations de province à province ne seront pas considérables et que, s'il y a dégrèvement d'une part et comme conséquence naturelle et inévitable, surcharge de l'autre, la quotité en sera tout à fait insignifiante.

Voilà ce qui est de nature, j'imagine, à faire cesser les réclamations de l'honorable M. Dumortier, et je l'engage beaucoup, dans l'intérêt de la vérité, à ne pas représenter, pour la ville de Tournai pas plus que pour les Flandres, une augmentation de 200, 300 ou 400 p. c. dans les évaluations cadastrales, comme devant amener infailliblement une augmentation de 200, 300 ou 400 p. c. de l'impôt foncier. De pareilles assertions ne peuvent sérieusement se soutenir ; et voilà ce qu'il y a d'absurde, pour me servir d'une expression de l'honorable membre lui-même, et ce qu'il y a de ridicule dans les plaintes que l'on formule.

C'est en faisant naître la crainte de pareilles aggravations de charges, au moyen d'allégations purement mensongères, que l'on est parvenu à semer l'agitation au sein de la population tournaisienne, et voilà comment l'on est arrivé à la pousser en foule vers l'hôtel de ville, pour se renseigner au sujet des prochaines augmentations dont on la menaçait, assurément sans y croire soi-même.

Mais, messieurs, il faut dire et répéter à cette population que l'on effraye et que l'on trompe, et je vous engage à lui répéter avec moi, que tout cela n'est que mensonge. Il ne s'agit pas d'augmentation d'impôts de 200 p. c. ni de 100 p. c, ni-même de 15 p. c. S'il y a augmentation, ce que nous verrons ultérieurement d'après le résultat des opérations et ce que l'on ne peut pas savoir maintenant, elle sera assurément très faible, et en tout cas, elle ne sera que l'équivalent de dégrèvements qu'il aurait été jugé équitable d'accorder à des localités surtaxées jusqu'à ce jour. Et d'ailleurs, je le dis encore, tout cela et très éventuel.

Mais, dit l'honorable membre, les évaluations établies à ce moment sont exagérées ; à Tournai, l'on a été jusqu'à porter à 8,000 fr. le revenu cadastral de certain bâtiment. Cela m'avait été déjà signalé, en effet, et je m'en étais étonné. J'ai voulu savoir ce qui en était et j'ai appris qu'il existait à Tournai un établissement colossal, dont on a voulu me donner une idée en me disant qu'il représentait quelque chose d'aussi considérable à peu près que tous les ministères réunis dans la rue de la Loi.

M. Dumortier. - Allons donc !

M. Allard. - C'est exact.

MfFOµ. - Cet établissement, qui a été évalué à 8,000 fr. de revenu, c'est le couvent des Jésuites.

M. Dumortier. - Ce sont des jésuites ; c'est pour cela que vous voulez les imposer.

MfFOµ. - J'ai signalé l'importance de cet établissement, et voilà ce qui vous explique comment toute la ville de Tournai a été mise en émoi, sous le prétexte qu'un hôtel avait été évalué à un revenu de 8,000 fr., ce qui était de nature à frapper vivement l'imagination. Au surplus, si l'établissement en question est surtaxé, les intéressés auront à faire valoir leurs réclamations, comme tous les autres particuliers.

M. Dumortier. - Les jésuites n'ont pas droit à la justice.

MfFOµ. - Pour vous peut-être ils ont droit à quelque chose de plus ; mais pour moi, tous les citoyens ont droit à une justice égale ; tous ont le droit de présenter leurs observations, de faire valoir leurs réclamations et de les discuter avec le contrôleur, avec les experts, ensuite avec la commission provinciale, S'il est reconnu que l'établissement a été évalué justement et équitablement, (page 1337), l'estimation sera maintenue ; si cette estimation est reconnue exagérée, elle sera réduite, et tout sera dit.

L'honorable M. Dumortier a prétendu également que l'on ne procédait qu'à des évaluations partielles. On évalue, dit-il, les propriétés bâties et l'on ne s'occupe pas des propriétés non bâties.

Conçoit-on, messieurs, qu'un législateur qui a concouru à la loi de 1860 vienne sérieusement, en plein parlement, dire de pareilles énormités ? L'honorable M. Dumortier devrait savoir que la révision est un travail d'ensemble, qui porte sur toutes les propriétés, bâties ou non !

M. Dumortier. - Je dis ce qui s'est fait jusqu'ici, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.

MfFOµ. - Comment, ce que vous n'avez pas dit ! C'est par trop fort ! Vous avez formellement soutenu que l'on n'envoyait pas de bulletins pour les propriétés non bâties, vous en avez conclu, à tort, que l'on ne s'occupait pas des terres arables, ce sont vos propres expressions, et vous en avez fait un grief contre l'opération.

M. Dumortier. - Je le répète encore.

MfFOµ. - Eh bien ! vous avez eu tort de le dire et vous avez tort de le répéter. Vous devriez savoir qu'il s'agit d'une seule et même opération pour les propriétés bâties et pour les propriétés non bâties ; seulement, pour ces dernières, l'on opère globalement par cantons, comme cela est prescrit d'ailleurs par la loi, tandis que pour les propriétés bâties l'on opère par parcelles, c'est-à-dire que l'on fait une évaluation séparée pour chaque propriété.

Voilà ce que vous devriez savoir, avant de parler, avant de discuter.

L'honorable M. Dumortier persiste à dire encore que l'évaluation cadastrale aura une influence quelconque sur la contribution personnelle.

M. Dumortier. - Sur la contribution mobilière. (Interruption.)

MfFOµ. - En France ou l'appelle mobilière, mais en Belgique ou l'appelle personnelle. Nous avons une loi sur la contribution personnelle. Eh bien, ici encore l'honorable M. Dumortier est dans la plus complète erreur. Il n'y a pas la moindre influence possible de l'un objet sur l'autre. Les évaluations cadastrales sont entièrement distinctes des valeurs locatives qui servent de base à la contribution personnelle.

L'honorable M. Dumortier, aidé par l'honorable M. de Theux, soutient encore que, tout au moins pour les déclarations de succession en ligne directe, les évaluations cadastrales exerceront une influence dans le sens d'une aggravation de l'impôt.

- Des membres. - Une influence indirecte.

MfFOµ. - C'est une erreur. Il n'y aura aucune influence, ni directe, ni indirecte. L'impôt des successions est basé sur la valeur vénale et non sur le revenu cadastral. Comment détermine-t-on la valeur vénale ? Par la ventilation des actes de ventes publiques effectuées dans le canton ou dans la commune, et au moyen de cette ventilation, le prix vénal moyen étant ainsi établi, on dit : ce prix peut être exprimé par tel multiplicateur du revenu cadastral.

Ce n'est donc pas le revenu cadastral ni le multiplicateur du revenu cadastral qui exerce une influence sur la valeur vénale, base réelle, base unique du droit. Cette valeur vénale moyenne est déterminée par les prix réels payés pour les immeubles vendus dans chaque localité. S'il est démontré que le nouveau revenu cadastral ne peut plus concorder avec le multiple établi actuellement pour déterminer la valeur d'après les ventes publiques, que fera-t-on ? Une chose fort simple : on changera le multiplicateur ; on l'abaissera en raison de l'accroissement du revenu cadastrai, et c'est pour cela que la disposition de la loi du 19 décembre 1851 que j'ai indiquée d'abord porte : « Le gouvernement déterminera périodiquement, à l'aide des ventes publiques enregistrées pendant les cinq dernières années au moins, et en diminuant le prix d'un dixième, le rapport moyen de revenu cadastra' à la valeur vénale. »

Ainsi, messieurs, aucune influence, ni directe, ni indirecte, ne peut être à redouter de ce chef. Ce sont les ventes publiques qui déterminent exclusivement les bases de l'impôt à percevoir.

M. Dumortier. - En rapport avec le revenu cadastral.

MfFOµ. - Pas en rapport avec le revenu cadastral. Ceci est de votre invention.

M. Dumortier. - C'est vous qui l'avez dit tout à l'heure et c'est la vérité.

M. MfFOµ. - Messieurs, cette manière de discuter est vraiment impossible. L'honorable M. Dumortier, persévérant dans des erreurs que je détruis et qui se débitent à l'extérieur en vue d'arrêter des opérations faites exclusivement dans un intérêt de justice, persiste, malgré l'évidence, à déclarer que les évaluations cadastrales peuvent avoir et auront nécessairement pour conséquence une aggravation des charges qui pèsent sur les contribuables par l'accroissement du contingent de l'impôt foncier. Voilà le thème imaginé pour agiter les populations, lors des prochaines élections ! Eh bien, on ne réussira pas. Nous saurons déjouer de telles manœuvres. A ceux qui reproduiront de pareilles assertions, aux déclamations de votre presse, on répondra : Mensonges, mensonges, contre-vérités flagrantes, et le public ne sera point votre dupe. On lui dira ce que le ministre des finances a publiquement déclaré dans le sein de la Chambre, sans que personne ait pu le contredire !

M. Dumortier. - M. le ministre des finances prétend me mettre en opposition avec mon mandat parlementaire. Eh bien, je lui répondrai qu'il ne connaît pas les Flamands, qu'il ne connaît pas les Flandres.

Les Flandres ne demanderont jamais d'être détaxées au moyen d'une répartition injuste ; elles demanderont toujours d'être détaxées au moyen d'une répartition juste. M. le ministre des finances a donc tort de vouloir me mettre en opposition avec mes commettants, il ne trouvera pas dans les Flandres un seul Flamand qui veuille commettre une injustice comme celle qui résulte de vos opérations cadastrales.

M. le ministre des finances dit que tout cela ne signifie rien. Ainsi, quand une propriété est portée à deux fois et demie la somme pour laquelle elle a été vendue publiquement, il y a peu de temps, on viendra dire que cela ne signifie rien ! Eh bien, c'est là ce qui irrite les citoyens, et tous vos grands arguments ne peuvent rien contre ce fait qu'il y a des propriétés que vous portez à deux fois et demie leur valeur, valeur constatée par une vente publique récente.

Vous dites que c'est une affaire de parti. Je sais bien que vous aimez à faire des questions de parti ; mais si le public s'émeut de ces faits, tant pis pour le parti qui les a posés, et tant mieux pour ceux qui défendent les intérêts du pays.

On a cité une maison à Tournai, qui est taxée à un revenu cadastral de 8,000 francs, ce qui signifie un revenu réel de 11,300 francs ; je demande, s'il existe, dans la ville de Tournai, une seule maison qui, dans une hypothèse quelconque puisse donner un revenu de 11,300 fr.

MfFOµ. - Ce n'est pas une maison, c'est une rue.

M. Dumortier. - Vous ne la connaissez pas. Vous avez dit que c'était plus grand que la rue de la Loi, pour faire comprendre que c'est rl’tablissement des jésuites et pouvoir ainsi leur donner tort sans examen.

M. Baraµ. - C'est un établissement énorme.

M. Dumortier. - Eh bien, messieurs, quand on vient dire que c'est plus grand que la rue de la Loi, on fait... je ne dirai pas le nom, M. le ministre des finances l'a dit il y a 4 ans, mais, enfin, on dit le contraire de la vérité.

Mais, messieurs, il y a d'autres maisons à Tournai dont la valeur est considérablement exagérée et celles-là ne sont pas occupées par des jésuites. Eh bien, je dis que des exagérations semblables ont un but quelconque, et ce but c'est évidemment d'augmenter les contributions. Cela me rappelle le vieux mot : : « Negare prima régula juris. »

On ne triple pas la valeur des propriétés, si ce n'est dans le but de faire payer des impôts plus élevés.

Je dis, messieurs, qu'il importe que l'attention de la Belgique entière soit éveillée sur ce qui se passe à Tournai, car s'il en est de même partout, vous aurez des réclamations de toutes les parties du pays, et s'il n'en est pas de même partout, c'est qu'une immense injustice serait commise contre deux villes du Hainaut.

MpVµ. - Si personne ne demande plus la parole, je déclarerai l'incident clos.

Projet de loi sur les fraudes électorales

Discussion générale

M. Vleminckxµ. - Le projet de loi qui nous est soumis me convient à tous égards ; il a pour objet non seulement de garantir l'indépendance de l'électeur et la sincérité de son vote, mais en outre de mettre un terme à d'intolérables abus qu'il convient d'extirper au plus tôt, car ils finiraient, en s'invétérant, par porter une mortelle atteinte à la moralité de nos populations. C'est à nous, messieurs, à nous surtout qu'il convient de sauvegarder cette moralité en prenant toutes les mesures qui nous semblent non seulement indispensables, mais tout simplement utiles.

Aussi voterai-je avec empressement la plupart des dispositions qui nous sont soumises, en concourant avec vous à améliorer celles qui paraîtraient insuffisantes, et en cherchant à en ajouter d'autres susceptibles (page 1338) de contribuer à nous faire atteindre le but que nous recherchons tous.

Une de ces dernières, messieurs, vous a été proposée hier par mon honorable ami M. Orts.

Et à ce sujet, messieurs, je vous dirai tout de suite que je comprends difficilement que le gouvernement cherche à faire écarter par la question préalable la proposition que vous a faite mon honorable ami.

Cette proposition se rattache évidemment à la loi que nous discutons. Cela n'est pas douteux pour moi.

Il est incontestable qu'une partie des mesures qui vous sont soumises fait supposer que l'électeur sache lire et écrire.

« Pour garantir la liberté de l'électeur, dit notre honorable rapporteur, pour le protéger contre la surveillance inquisitoriale à laquelle il est trop souvent en butte et qui s'exerce surtout au moment décisif du vote, il importe qu'alors, ne fût-ce que pendant une minute, il soit mis à l'abri de tous les regards, afin de pouvoir substituer un bulletin de son choix à celui qu'on lui avait imposé. »

Et moi j'ajoute qu'il faut qu'il sache employer cette minute, soit à écrire un bulletin nouveau, soit à effacer un ou plusieurs noms du bulletin qui lui a été remis, pour leur en substituer d'autres, au besoin. Or, cette opération, si petite qu'elle soit, et qui peut être promptement achevée, il ne peut la faire s'il ne sait ni lire ni écrire.

Dans cette condition, messieurs, vous aurez encore plus d'une confusion, plus d'une erreur, plus d'un vote contraire à la volonté de l'électeur.

Mais il y a pour moi un autre motif plus puissant, plus péremptoire qui me commande d'accepter la proposition de l'honorable M. Orts.

Vous allez édicter une loi contre les fraudes électorales, rien de mieux assurément ; vous allez punir les fraudeurs de toutes sortes de peines, et vous avez raison ; mais il est infiniment préférable de prévenir les fraudes que d'avoir à les punir.

Or, il est un genre de fraude qui se commet, qui se commet fréquemment, que j'ai vu se commettre sous mes yeux, que vous avez vu se perpétrer comme moi. C'est la substitution des bulletins. Cette substitution n'est possible que lorsqu'on a affaire à des électeurs illettrés. Faites que tous sachent lire, et je vous garantis que vous les mettrez complètement à l'abri de toute tentative de substitution.

- Un membre. - Qui le constatera ?

M. Vleminckxµ. - On le constate bien pour les ouvriers appelés à élire, par la loi des prud’hommes. On le constatera de même pour les électeurs. Donc la proposition de mon honorable ami Orts se rattache par plus d'un lien à la loi que vous discutez en ce moment.

Il ne faut pas précisément qu'elle amende un article quelconque de cette loi ; ce peut être aussi une addition à la loi, et ce n'est pas la première fois à coup sûr que de pareilles additions, amendant véritablement toute une loi, ont été acceptées par cette Chambre.

Je n'insisterai pas, messieurs, sur les conséquences qui proviendraient de l'adoption de cette proposition, elles doivent sauter aux yeux de tout le monde.

Qu'il me suffise d'indiquer qu'avant quatre ans d'ici, si elle est acceptée, il n'y aura probablement plus un seul électeur qui ne sache lire et écrire, conquête brillante, résultat immense, que nul autre moyen ne saurait faire atteindre.

- Un membre. - Mais non, mais non.

M. Vleminckxµ. - Soyez tranquilles. L'honneur d'être investi du droit d'élire ne fera négliger aucun effort pour l'obtenir. J'ajoute qu'il importe pour la bonne composition des corps élus, que l'électeur sache au moins lire, quand cela ne servirait qu'a l'éclairer sur les opinions et les votes émis par ceux auxquels il a accordé sa confiance. Mais je sens que ces considérations ne se rattachent pas directement à la loi ; voilà pourquoi je n'y insiste pas ; dans tout état de cause, ce qui ne peut être considéré comme ne devant pas en faire partie, c'est une disposition qui doit empêcher une grande fraude parfaitement constatée et contre laquelle vous jugez convenable de comminer une peine qui peut aller jusqu'à un an de prison et 1,000 francs d'amende.

J'ai lu, j'ai lu avec beaucoup d'attention les belles pages écrites sur cette question dans son très intéressant rapport par notre honorable collègue M. Crombez. Ses sympathies pour la mesure recommandée par l'honorable M. Orts, il ne les cache pas ; il repousse avec infiniment de raison le reproche d'inconstitutionnalité qui pourrait être soulevé, mais en définitive, il repousse aussi la proposition pour deux motifs : le premier, c'est qu'il ne convient pas d'enlever à l'électeur illettré qui paye le cens prescrit par la Constitution, un droit qu'il a exercé depuis longtemps au mieux des intérêts du pays ; le second ; c'est que la constatation de la capacité serait d’une difficulté presque insurmontable.

M. Crombezµ. - C'est la section centrale.

M. Vleminckxµ. - L'honorable rapporteur doit être éclairé maintenant sur la crainte qu'il a manifestée de voir déposséder d'anciens électeurs du droit qu'ils ont exercé jusqu'ici, je ne dis pas comme lui, au mieux des intérêts du pays, cela est très douteux, mais enfin qu'ils ont exercé d'une manière quelconque.

La déclaration faite par l'honorable M. Orts doit l'avoir complètement rassuré, pour ce qui concerne ces vieux électeurs ; et quant aux difficultés d'exécution, qu'il se rassure encore ; le gouvernement qui a su faire exécuter la loi des prud'hommes imposant aux ouvriers électeurs la condition de savoir lire et écrire, ne sera pas embarrassé pour trouver les moyens de faire constater la capacité des futurs électeurs.

Il est probable que l'honorable rapporteur n'avait pas dans ses souvenirs cette loi des prud'hommes, lorsqu'il a écrit ces mots : « que ceux qui ont propagé ces idées-là (la constatation de capacité) avaient été amenés à renoncer à l'examen préalable. » Nous ne renonçons à rien du tout.

Cet examen préalable, la loi l'a exigé pour des ouvriers non censitaires investis d'un droit d'élection sans grande importance, et vous trouveriez qu'il ne saurait l'être d'électeurs censitaires dont le vote peut avoir une grande influence sur les destinées du pays ! Cela n'est pas possible. Je ne puis croire que l'honorable rapporteur reste dans cette voie-là, et que son intelligence élevée ne finisse pas par le conduire dans celle que nous venons de lui indiquer.

M. de Theuxµ. - Messieurs, s'il est une volonté clairement exprimée par le Congrès national c'est d'observer les règles de la justice en ce qui concerne la représentation du pays dans le parlement. Le Congrès a pris pour base unique de la répartition du nombre des représentants et des sénateurs, la population, sans distinction entre la population rurale et la population des villes, sans distinction entre les populations plus riches et les populations moins riches.

Les pauvres et les indigents ne sont pas même défalqués du chiffre de la population quand il s'agit de déterminer le nombre des représentants et des sénateurs.

Certainement, messieurs, le Congrès eût suivi la même marche en ce qui concerne les électeurs, s'il n'avait pas cru, par mesure d'ordre, devoir fixer un maximum et un minimum de cens électoral. Mais dans cette limite entre le maximum et le minimum il a fait tout ce qu'il pouvait faire en établissant un cens différentiel.

Messieurs, la loi a aboli le cens différentiel. On sait comment cette abolition a été présentée au moment d'une grande catastrophe qui menaçait de bouleverser l'Europe. cette mesure était réclamée comme mesure de sûreté générale et le Parlement ne l'a pas refusée au gouvernement.

Vous savez aussi, messieurs, quelle est la disproportion que cette mesure a apportée entre le nombre des électeurs des villes et le nombre des électeurs de la campagne. Cette disproportion est énorme ; donc la situation des électeurs ruraux a été considérablement amoindrie comparativement à celle des électeurs du chef-lieu d'arrondissement et des électeurs urbains en général.

Il n'est point question, messieurs, de revenir sur cette disposition ; on sait parfaitement qu'un droit politique une fois accordé n'est jamais retiré. Ce ne pourrait être qu'à la suite d'une grande perturbation sociale qu'on arriverait à une semblable mesure. Mais si c'est un droit acquis en faveur des populations urbaines, maintenant on ne peut, en justice, par une nouvelle loi, aggraver la condition des électeurs ruraux.

Cela est de la dernière évidence. Agir autrement c'est aller directement contre le principe de la justice distributive, contre la volonté manifeste du Congrès national.

Le projet du gouvernement défend les repas électoraux. Si cette mesure pouvait être prise sans éloigner du scrutin un grand nombre d'électeurs, nous serions sans doute unanimes à l'accueillir. Mais si nous parvenons à démontrer que d'après le bon sens cette mesure doit avoir pour conséquence d'établir une inégalité de plus en plus grande entre les électeurs de chef-lieu d'arrondissement et les autres électeurs, la Chambre doit être unanime pour la repousser et le gouvernement pour renoncer à sa proposition.

S'il est une maxime certaine, c'est qu'on doit accorder à tout électeur toutes les facilités possibles pour exercer ses droits, pour remplir son mandat dans un intérêt national. Il faut se renfermer dans les possibilités pratiques et ne point s'attacher à des possibilités métaphysiques en dehors des mœurs. Certes, il n'est impossible à aucun électeur de se (page 1339) rendre au chef-lieu d’arrondissement, la distance fût-elle encore plus grande, s'il veut sacrifier son temps et son argent ; il pourrait même se rendre au mot illisible alors même qu'il n'y aurait qu'un siège unique d'élection dans la capitale.

Mais nous savons par une expérience de plus de 20 années que l'électeur ne se déplace pas facilement. On a vu que l'éleveur urbain néglige souvent de se rendre au scrutin, lui qui n'a aucuns frais à faire, et l'on pense que le citoyen rural que certaine opinion se plaît à rabaisser, que l'on a quelque fois qualifié de charrue croyant en Dieu, d'homme sans instruction, on croit que ce citoyen aura le dévouement extraordinaire de remplir un devoir que les électeurs que vous considérez comme les plus éclairés, que les électeurs imbus des principes politiques négligent de remplir ! C'est une contradiction manifeste avec vos théories !

Je tiens à honneur de déclarer que les habitants des campagnes sont aussi moraux, aussi capables d'exercer leurs droits politiques que les habitants des villes en général. Quelles sont les premières qualités d'un électeur ? Une grande moralité, un grand attachement à la patrie et un jugement sain, exempt de tout préjugé. Eh bien, ces qualités dominent chez l'habitant des campagnes, précisément parce qu'il est moins entraîné dans la lutte politique et moins sujets aux passions politiques.

Qu'arrivera-t-il si cette proposition du gouvernement, que la section centrale n'a pas accueillie, venait à être adoptée. Je ne dis pas que l'abandon des élections par les habitants des campagnes serait général, mais je dis qu'il y aurait un abandon suffisant pour vicier les élections. Et qu'en résulterait-il ? Que vous auriez une représentation nationale factice dépourvue de toute considération, un parlement de parti.

De tous les gouvernements, le pire, assurément, c'est le gouvernement qui se perpétue au pouvoir par des mesures injustes ; ce gouvernement est impitoyable, il pousse souvent le pays à sa perte ou au moins il l'approche de quelque catastrophe qui ébranle les fondements mêmes du pays.

Nous avons vu dans certains pays la lutte que ces injustices poussées à l'extrême provoquent. Nous avons vu des majorités séculaires être obligées d'accorder finalement aux minorités la justice qu'elles réclamaient. C'est ainsi que nous avons vu en Angleterre l'émancipation des catholiques ; c'est ainsi que nous avons vu une modification presque radicale dans le système électoral ou dans l'admission au parlement.

Nous avons vu les mêmes symptômes se produire dans les Etats du Nord de l'Allemagne et j'espère que nous les verrons se généraliser de plus en plus et que cet ostracisme proclamé dans tant de pays, soit par la Constitution, soit par les parlements, disparaîtra définitivement de la surface de l'Europe civilisée.

Mais, dira-t-on, il existe un mal qui grandira sans cesse : les grandes dépenses électorales ! Oui, c'est un mal qui existe dans certains districts, mais ce mal est-il sans remède ?

Je dis que sans admettre le projet du gouvernement, la section centrale a fait une rédaction qui peut être admise par tout homme raisonnable. Cette rédaction défend les dépenses qui ne sont point nécessaires et qui pourraient devenir les plus considérables de toutes ; ce ne sont pas celles du jour de l'élection, mais celles antérieures ou postérieures au jour de l'élection.

La section centrale tolère les repas comme le gouvernement tolère le transport.

Il est, messieurs, un autre moyen si l'on veut absolument exempter les sénateurs et les représentants de tous frais électoraux, c'est de donner l'indemnité aux frais du trésor.

Je n'hésite pas à dire que parmi les nombreuses dépenses inscrites au budget il en est très peu qui aient l'utilité de la dépense qui serait consacrée à amener au chef-lieu de l'arrondissement les électeurs qui n'y résident pas.

Si enfin on ne veut d'aucun de ces moyens, il en est un troisième : qu'on rapproche l'urne des électeurs.

M. Coomansµ. - C'est le meilleur.

M. de Theuxµ. - Je sais que ce moyen déplaît à la majorité et qu'elle ne l'adoptera pas, mais si l'on repousse les deux autres moyens, celui-ci devient d'une nécessité absolue et quoi que vous fassiez, si vous adoptez le projet du gouvernement qui interdit les repas électoraux et si vous n'adoptez pas le transport des électeurs aux frais du trésor, vous serez forcement amenés non pas seulement à rapprocher l'urne des électeurs, mais encore à aller plus loin, parce qu'un grief juste, longtemps articulé et généralement compris, finit par conduire au delà de ce qu'on demandait dans le principe, et vous arriverez alors au suffrage universel.

Messieurs, une plainte légitime fondée sur la justice ne reste point enterrée pendant des siècles sous un régime de publicité.

Justice doit être faite, et plus on la refuse obstinément plus elle est obstinément réclamée. II arrivera alors ce qui est arrivé sous le royaume des Pays-Bas. On disait alors que les plaintes étaient insensées, qu'elles étaient faites par des adversaires politiques, par de mauvais citoyens qui étaient à la tête des plaignants. C'est le gouvernement qui le disait en plein parlement et dans ses journaux.

Qu'est-il arrivé ? A la première occasion favorable non seulement on a obtenu justice relativement aux plaintes si longtemps formulées, mais la Constitution belge a été bien au delà de tout ce que les pétitionnaires demandaient sous le gouvernement des Pays-Bas.

Dieu nous préserve d'une révolution et de la perte de notre nationalité ! Je désire que, la Providence aidant, le pays ne soit pas victime d'une injustice de parti !!

Messieurs, je tiens à signaler à la Chambre plusieurs lacunes dans le projet du gouvernement et dans le projet de la section centrale, lacunes auxquelles il doit être fait droit d'après les règles de la saine raison.

D'abord en ce qui concerne le ballottage, n'est-il pas évident pour tout le monde et pourrait-on citer un seul fait contraire, que c'est le candidat patronné par le chef lieu de l'arrondissement qui l'emporte toujours au ballottage ?

N'est-il pas évident qu'un grand nombre d'électeurs fait défaut au scrutin de ballottage ?

Mais, dira-t-on, admettre un changement en cette matière, c'est étendre le projet de loi. Non, messieurs, la disposition que nous combattons conduit directement à la fraude électorale, car c'est une fraude électorale que d'accorder toujours l'élection au candidat patronné par le chef-lieu.

C'est là une fraude électorale évidente, manifeste.

M. Coomansµ. - Une fraude parlementaire.

M. de Theuxµ. - Il y a plusieurs moyens d'obvier à cet inconvénient. Le premier serait d'adopter cet usage consacré en Angleterre par cette nation qui jouit depuis les temps les plus reculés du système représentatif, et qui consiste à ne point admettre de ballottage. Là, c'est celui qui au premier scrutin a obtenu le plus grand nombre de voix qui est proclamé. Eh bien, dans mon opinion, ce serait la mesure la plus sage que l'on pût prendre.

M. Coomansµ. - C'est vrai.

M. de Theuxµ. - D'abord est-il admissible que le collège électoral va changer le scrutin ?

Si ce n'est en cas de surprise ou de l'absence d'une partie des électeurs, la première opinion sera confirmée par le ballottage.

Ce scrutin est donc parfaitement inutile. Mais veut-on le maintenir absolument ? Que l'on convoque de nouveau les électeurs dans le délai déterminé par la loi électorale et que dans ces circonstances exceptionnelles, comme les frais des électeurs et des candidats seraient énormément aggravés, on accorde l'indemnité à charge du trésor.

Voilà une mesure exceptionnelle que l'on pourrait adopter dans ce cas déterminé, mesure qui, à coup sûr, n'entraînerait aucune dépense notable pour le budget et qui serait de toute justice.

II est un second cas dans lequel l'indemnité à charge du trésor devrait absolument être accordée aux électeurs, c'est lorsque l'une ou l'autre Chambre annule une élection. Peut-on imposer, à quelques jours d'intervalle, cette double charge à des candidats qui sont innocents des faits qui ont amené l'annulation d'une élection ?

N'est-il pas odieux d'imposer aux candidats concurrents, si l'usage des repas électoraux en vigueur depuis le Congrès national est maintenu, la double charge de ces frais lorsque par suite d'une annulation, aux causes de laquelle ils sont restés complètement étrangers, une seconde élection doit avoir lieu à quelques jours d'intervalle ?

Il est un troisième cas dans lequel l'indemnité devrait de toute façon être accordée. Dans un district comme ceux de Bruxelles, de Gand, d'Anvers, de Liège et même dans des districts de moindre importance qui élisent plus de deux députés, une place devient vacante par suite du décès ou de la retraite d'un représentant ou d'un sénateur ; n'est-il pas juste, dans ce cas, d'accorder l'indemnité de déplacement aux électeurs ?

Ainsi l'arrondissement de Bruxelles compte actuellement 11 représentants, bientôt il en aura 20 si la population de la capitale et des faubourgs continue à s'accroître ; et chaque fois qu'une place deviendra vacante il faudra que les deux candidats concurrents supportent seuls les frais de cette élection unique, tandis que, lors des élections périodiques cet frais sont supportés actuellement par 22 concurrents.

(page 1340) MfFOµ. - Il n'y a pas de frais de ce genre dans l'arrondissement de Bruxelles.

M. de Theuxµ. - Ce qui n'a pas lieu aujourd'hui peut se présenter demain. Au surplus, c'est un principe que je discute.

M. Jacobsµ. - Il y a des campagnards qui viennent aux élections et qui donnent lieu à certains frais.

M. de Theuxµ. - Je pose le dilemme suivant : de deux choses l’une : ou la candidature unique à Bruxelles ne sera point contestée, et il n'y aura pas de frais pour le trésor ; ou elle sera contestée, et il faut dans ce cas que chaque concurrent ait les moyens de lutter loyalement dans des conditions d'égalité parfaite. Voilà, messieurs, la thèse que je défends.

Ou bien, messieurs, que l'on fractionne les grands collèges électoraux. Le rapport de la section centrale contient cette idée, et cette idée est certes assez juste en pratique, car il n'est pas admissible qu'un collège électoral comme celui de Bruxelles qui aura quelque jour à élire une vingtaine de députés n'ait qu'une seule et même élection et domine ainsi dans le parlement.

Une autre lacune du projet du gouvernement et de la section centrale concerne les listes électorales.

Je dis que dans l'état actuel des choses nous n'avons pas les moyens d'assurer la sincérité des listes électorales ; souvent on constate des inscriptions qui n'auraient pas dû avoir lieu, tandis que d'un autre côté il existe des omissions qui ne devraient pas exister davantage.

Et comment ces irrégularités se produisent-elles ? Par la négligence ou le mauvais vouloir de l'employé des contributions ou de la municipalité ; par le mauvais vouloir des administrations communales elles-mêmes, car les administrations politiques ne doivent pas inspirer de confiance quand il s'agit d'une lutte électorale ayant un caractère politique.

Je ne parle pas des pénalités qui pourraient être infligées dans ce cas, parce qu'il est facile de comprendre qu'on trouvera toujours moyen d'éviter des poursuites. Mais il reste un moyen simple et facile de parer à cet abus, c'est de porter à la connaissance du public la liste des habitants inscrits au rôle des contributions.

C'est là un moyen de publicité qui fait complètement défaut aujourd'hui.

Qu'est-il arrivé autrefois à Louvain, par exemple ? Si l'honorable M. Van Bockel nous a parlé vivement du refus de l'administration compétente d'admettre l'inspection de la liste de contribuables payant le cens voulu, cet ancien membre du parlement que nous avons perdu naguère et au caractère honorable duquel nous avons tous rendu un sincère hommage, a réclamé au ministère contre cet abus et jamais il n'est intervenu de décision.

II faut donc un moyen de publicité parfaitement garanti et accessible à tout le monde. Que peut-il arriver, en effet ? Une administration communale mal intentionnée s'arrange de telle manière que la liste se trouve à l'inspection de ses amis politiques et que ses adversaires soient tenus à l'écart et ne puissent en prendre que tardivement connaissance. De cette façon la formation des listes électorales devient une affaire de parti et l'on parvient à faire pencher la balance du côté de l'opinion qu'on veut favoriser.

Un autre vice de la législation actuelle, c'est la facilité de créer des électeurs fictifs au moyen du droit de patente sur le débit des boissons distillées et sur le débit de tabacs. Il suffît aujourd’hui de faire prendre l'une ou l'autre de ces patentes à un certain nombre d'individus et il suffit que ceux-ci fassent le simulacre de vendre quelques verres de liqueurs ou quelques pincées de tabac pour être considérés comme électeurs,

Je ne demande pas qu'on ne fasse plus entrer les droits de patente en ligne de compte pour conférer la qualité d'électeurs, mais je demande qu'on supprime ces impôts et qu'on mette une entrave à l'abus qu'on en fait aujourd'hui, et je ne crains pas de dire que le gouvernement obtiendrait l'approbation unanime du pays s'il provoquait une mesure de ce genre.

(page 1341) Mais, me dira-t-on, vous voulez donc faire perdre au trésor 1,200,000 à 1,500,000 francs ? Soit, messieurs, mais qu'est ce qu'une pareille somme en présence de la sincérité de la représentation nationale, en présence de l'autorité morale de la loi ? C'est une véritable bagatelle et M. le ministre des finances est assez ingénieux pour trouver très facilement à combler ce léger déficit dans son budget.

Je crois pouvoir garantir à M. le ministre l'assentiment de tous les membres de la Chambre, à moins qu'il ne soit établi que ce revenu ne lui est pas nécessaire, ce qui serait infiniment plus agréable au Parlement.

MfFOµ. - Il m'est très nécessaire.

M. de Theuxµ. - Nous espérons que les revenus du chemin de fer ainsi que d'autres impôts continuant à augmenter, on pourra supprimer ce modique revenu sans compromettre l'équilibre de nos finances.

M. Coomansµ. - Il se passera bien de l'impôt, mais pas des électeurs.

M. de Theuxµ. - J'ai encore une lacune à signaler à l'attention de la Chambre.

Et d'abord ; messieurs, en ce qui concerne la fixation de l'impôt de patente, vous savez que cet impôt est fixé par un comité de répartiteurs. Or, il arrive que les répartiteurs diminuent les patentes de ce tains contribuables ou augmentent celles de plusieurs autres, pour écarter les premiers des listes électorales et pour y faire inscrire les autres, suivant les opinions politiques qu'ils professent. Eh bien, le patentable dont on diminue la quotité de la patente n'a aucun moyen de réclamer contre cette mesure politique. Il n'est pas admis à se plaindre de l'insuffisance de sa patente.

Je voudrais qu'il fût stipulé dans la loi que chaque fois qu'un patentable n'aura pas lui-même demandé la diminution de sa patente et qu'elle aura été opérée d'office, il puisse avoir recours à la députation permanente pour établir que son intention n'est point changée. D'un autre côté on devrait être également admis à dire que c'est à tort qu'on a augmenté la patente de tel ou tel individu eu vue d'en faire un électeur.

Je sais, messieurs, que le droit de patente doit avoir été payé pendant trois années consécutives pour pouvoir être compté ; mais ici encore on parvient aisément à éluder la loi en s'associant pour indemniser le faux électeur de l'accroissement du chiffre d'imposition voulu pour être électeur.

Enfin, messieurs, il serait temps que la Chambre se prononçât sur le projet relatif au payement effectif du cens électoral que lui a transmis le Sénat et qu'elle a renvoyé à une commission. Le but de ce projet est de mettre un terme à un usage qui est manifestement contraire à la volonté qu'a eue le législateur car il est impossible d'admettre qu'il n'ait point voulu que pour être électeur on payât effectivement le cens électoral.

Il se peut que le projet du Sénat n'obvie pas encore complètement à l'abus qui a été signalé.

MfFOµ. - Il n'atteint certainement pas le but que ses auteurs se sont proposé.

M. de Theuxµ. - Alors je prierai M. le ministre des finances de vouloir bien nous proposer les modifications nécessaires.

MfFOµ. - Je me suis beaucoup occupé de la question et j'ai fourni à la commission une formule nouvelle que je crois préférable.

M. de Theux. — C'est là un procédé auquel nous devons tous applaudir.

Enfin, messieurs, il est évident que la loi électorale de 1831 est vicieuse en ce qui concerne la composition du bureau principal. Outre l'avantage pour une commune d'être chef-lieu de l'arrondissement et de jouir de tous les avantages de l'électeur, on accorde à la magistrature municipale un véritable privilège qui est injustifiable : ce privilège consiste en ce que les quatre plus jeunes conseillers communaux composent exclusivement le bureau principal présidé par un membre du tribunal.

C'est là un abus qui ne peut être continué. Il faut que le bureau principal soit composé de la même manière que tous les autres bureaux.

La loi qui est en discussion a notamment en vue de garantir le secret du vote.

Eh bien, je dis que quand quatre membres du conseil communal siégeant au bureau principal, hommes politiques, habiles dans la pratique des affaires, voudront connaître le vote de certains habitants du chef-lieu, ils le pourront malgré votre loi ; l'électeur, malgré votre loi, n'aura pas confiance dans le bureau ; il ne croira pas que le secret de son vote soit gardé.

Messieurs, il n'y a aucun inconvenant à parler de cela. Le fait est notoire, un conseil communal est ordinairement composé d'hommes politiques, même d'hommes politiques d'un seul et même nuance. Et vous voulez que tous les électeurs d'un arrondissement aient une confiance, aveugle dans les procédés du bureau principal ?

(page 1341) « Mais, dira-t-on, ces hommes font si haut plates ; ils sont élus par leurs concitoyens ; c'est une injure gratuite que votre supposition. »

Mais non, messieurs, il n'y a aucune injure dans cette supposition, et pour le prouver, il suffit de rappeler les dispositions du code de procédure civile qui entourent les décisions des magistrats, lesquelles d'ordinaire sont d'un caractère purement civil, qui les entourent, dis-je, de précautions si minutieuses qu'on ne peut raisonnablement les suspecter de partialité.

Eh bien, ce que l'on fait pour les tribunaux, vous refuseriez de le faire quand il s'agit d'une institution essentiellement politique et souvent militante ?

Messieurs, j'ai réservé une observation pour la fin de mon discours ; je l'ai faite moi-même à la première lecture du projet de loi, et je l'ai entendu répéter depuis, plusieurs fois : c'est qu'on pourrait qualifier le projet de loi de loi d'intimidation.

En effet, ce qui me paraît très grave, c'est de faire craindre à un citoyen qui prend loyalement part aux élections, de tomber sous le coup d'une poursuite judiciaire. Je ne dis pas la condamnation judiciaire ; je ne dois pas même aller jusque-là ; car l'idée d'une simple poursuite judiciaire suffira pour écarter de la lutte électorale beaucoup de personnes honorables qui ne veulent absolument pas que leurs noms aient quelque chose à faire avec les gens de la justice répressive.

Voulez-vous que je vous cite un fait qui est à ma connaissance personnelle et qui est de notoriété publique ? Le voici :

Dans une lutte électorale il y a quelques années, un candidat n'avait pas consenti à se porter. Un avis fut publié, avis dans lequel on engageait les électeurs à élire ce candidat, disant que s'il était élu il accepterait. Cet avis était sans nom d'auteur et d'imprimeur, il est dénoncé au procureur du roi ; à l'instant, on dresse procès-verbal contre l'individu chargé de distribuer cet avis ; le procureur du roi le fait poursuivre, et l'individu est condamné à la prison.

Mais voici qu'un agent électoral du parti opposé a recours au même moyen ; il fait distribuer publiquement, sur la place publique, des avis, sans nom d'auteur ou d'imprimeur en faveur du candidat opposé.

Le fait est à l'instant même dénoncé au procureur du roi par plusieurs témoins ; on lui nomme l'individu qui a colporté l'avis ainsi que les noms des personnes auxquelles l'avis a été distribué. Que fait le procureur du roi ? Il met poliment à la porte ceux qui viennent lui dénoncer le fait ; et il ne poursuit pas.

L'individu à charge duquel procès-verbal avait été dressé, est condamné à un emprisonnement de quelques jours, tandis que l'autre individu que le procureur du roi n'avait pas voulu poursuivre, reste hors de cause.

Est-ce là de la justice ?

Votre conscience intime ne vous dit-elle pas que si, dans une localité, le bourgmestre est un personnage politique, actif, influent, les agents municipaux n'oseront pas verbaliser contre les partisans que le bourgmestre patronne ? N'est-il pas évident que si un procureur du Roi, un juge d'instruction se porte candidat dans une élection, les agents de l'autorité judiciaire n'oseront pas verbalisé contre les partisans de ce candidat, ou contre les partisans du candidat du gouvernement ?

Je vais plus loin : on leur insinuera que s'ils agissent autrement, on n'hésitera pas à invoquer l'autorité du gouvernement, alors que le gouvernement ne se prêterait jamais à de pareilles infamies ; mais il suffit que ce soit un encouragement d'un côté, et une intimidation de l'autre, pour qu'il y ait une inégalité flagrante dans les chances de l'élection.

C'est sous ce rapport que je crains les poursuites. Je veux en mon âme et conscience que toute manœuvre, contraire à l'honneur et à la probité politique, soit sévèrement réprimée, sans distinction de partis ; mais ce que je crains, c'est une arme à deux tranchants, dont on n'usera pas à l'égard de certaines personnes et dont on usera à l'égard d'autres.

Je ne veux pas m'étendre à cet égard pour établir que la partialité est à craindre ; il me suffit d'avoir produit dans cette Chambre un fait notoire que mon honorable ami et collègue de l'arrondissement de Hasselt pourrait confirmer également. Je ne veux pas généraliser ; ce serait injuste ; il y a des hommes qui savent remplir leurs devoirs, malgré tous les inconvénients qui peuvent en résulter pour leur avenir ; mais il faut convenir cependant que la volonté d'un homme cède souvent à des influences qui sont de nature à porter un grave préjudice à son avancement.

Pourquoi veut-on punir les promesses ? Parce que l'on sent que dans la pratique ces manœuvres ont du succès et peuvent nuire au résultat du scrutin.

Certes, je désirerais que l'on pût aller jusqu'à défendre aux candidats de produire dans un collège électoral des promesses du gouvernement pour des avantages généraux. Car, dans un cas donné, cela peut déterminer le résultat de l'élection, bien plus que les promesses isolées d'un individu, que la promesse d'un avantage quelconque, ou la menace d'un détriment quelconque. Si l'on peut dire, au nom du gouvernement, que l'avantage dépend du résultat de l'élection, évidemment on influencé l'élection, et je ne sais pas si, dans une circonstance pareille, la Chambre ne ferait pas bien d'annuler l'élection. C'est une question qui mérite d'être examinée, que je ne décide pas en ce moment, mais sur laquelle je me réserve de revenir.

Messieurs, j'ai loyalement communiqué à la Chambre les observations qu'une longue étude de notre système électoral m'a suggérées. Je ne désire qu'une chose, c'est la loyauté pour tous ; que mon parti soit au pouvoir ou dans la minorité, je ne désire que la justice.

Projet de loi relatif à l’aliénation d’une parcelle de terrain au profit de l'administration des hospices de Mons

Rapport de la section centrale

M. David. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'autoriser le gouvernement à céder une parcelle de terrain à l'administration des hospices de Mons.

M. Devroedeµ. - Le projet sur lequel l'honorable M. David vient de faire rapport est d'une extrême urgence. Je sais dans quel état se trouve l'hôpital de Mons. Il est désirable que les travaux puissent commencer le plus tôt possible.

Ce projet ne donnera d'ailleurs lieu à aucune espèce de discussion. Je demande si la Chambre ne voudrait pas bien s'en occuper à l'ouverture de la séance de demain.

M. Dolezµ. - On pourrait lire le rapport et la Chambre ne s'opposerait peut-être pas à ce qu'il soit voté immédiatement.

MjTµ. - J'appuie cette motion.

M. Coomansµ. - Je voudrais au moins savoir de quoi il s'agit.

MfFOµ. - Il s'agit d'autoriser le gouvernement à céder une parcelle de terrain à l'administration des hospices de Mons.

- La Chambre décide qu'elle entendra {a lecture du rapport.

M. David fait cette lecture.

Vote de l’article unique

MpVµ. - Vous venez d'entendre, le rapport. S'il n'y a pas d'opposition je déclarerai la discussion ouverte sur l'article unique du projet de loi.

Cet article a été modifié par la section centrale, d'accord avec le gouvernement. Il est ainsi conçu :

« Le gouvernement est autorisé à céder aux hospices de Mons 2 hectares 36 ares 27 centiares de terrain des anciennes fortifications de ladite ville, aux conditions déterminées dans une convention conclue le 10 juin 1865 entre le gouvernement et l'administration des hospices précitée. »

M. Coomansµ. - Nous ne connaissons pas le prix de vente.

M. David, rapporteur. - 22,986 francs 20 centimes.

MfFOµ. - Le prix a été déterminé par une expertise.

- Il est procédé au vole par appel nominal sur l'article unique du projet, qui est adopté à l'unanimité des 67 membres présents.

Ce sont :

MM. Allard, Bara, Bricoult, Coomans Couvreur, Crombez, David, de Bast, de Borchgrave, de Conninck, de Florisone, de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devroede, Dolez, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Giroul, Grosfils, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Laubry, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Reynaert, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Nieuwenhuyse, Van Renynghe, Warocqué, Wasseige et E. Vandenpeereboom.

Projet de loi sur les fraudes électorales

Discussion générale

M. de Macarµ. - Messieurs, le projet de loi que nous avons à discuter touche incontestablement au point le plus important de notre système de gouvernement, Organe de la volonté nationale, il importe que (page 1342) le pouvoir législatif en soit la représentation complète et sincère, non seulement qu'il le soit, mais encore que son mandat ne puisse être suspecté et que les décisions qu'il prend soient reconnues par tous comme étant l'expression certaine, réelle de la volonté du pays.

Tous nous avons compris la valeur du débat qui s'agite et le pays entier (nul ne le contestera cette fois) suit avec émotion la solution qui va être donnée aux questions que le projet actuel soulève. Cette préoccupation est bien légitime. Il ne s'agit pas en effet ici de prendre telle ou telle mesure parce qu'elle serait favorable à l'une ou l'autre des opinions qui divisent aujourd'hui la Belgique ; il ne s'agit pas de faire une loi agréable à un parti ; il s'agit d'assurer la vérité de la base fondamentale de nos institutions, de consacrer la sincérité complète du vote en le dégageant de toute pression illégitime, pression d'argent ou pression d'influence, corruption ou intimidation, et dans ces deux ordres d'idées, il faut bien constater avec regret qu'il n'y a eu que trop d'abus et de scandales.

Le projet de loi cherche à porter remède à cet état de choses. Il indique d'abord les moyens préventifs, et je pense que pas un de ceux qui ont lu ce projet de loi ne doutera que les moyens répressifs n'ont pas été négligés.

Je préfère, quant à moi, les premiers moyens aux seconds. Il vaut mieux empêcher le mal de se produire que de le punir lorsqu'il a été commis.

Deux améliorations sérieuses surtout ont été introduites : le couloir et le papier électoral.

Le couloir donnera un instant de liberté à l'électeur ; l'usage du papier électoral, joint à d'autres mesures, rendra plus difficile, sinon impossible, la constatation que l'électeur s'est soustrait à l'influence qui pesait sur lui pour le forcer à déposer un bulletin reconnaissable dans l'urne ; en deux mots, l'électeur aura la possibilité matérielle de voler comme il le veut.

Mais aura-t-il la liberté morale de le faire ? Sur ce point si important la loi proposée reste silencieuse, le rapport, si remarquable du reste, présenté par l'honorable M. Crombez n'ose se prononcer.

Je crois cependant, messieurs, que c'est là qu'est le point important. La propagation de l'instruction a certes aidé l'éducation politique, mais cette éducation n'est pas parfaite encore, et bien des intérêts s'unissent pour l'enrayer.

Je l'avoue, je ne vois, quant à moi, qu'un moyen sérieux d'émancipation pour l'électeur, c'est de le soustraire à l'œil de son maître, et pour arriver à ce résultat il faut mettre en pratique la décision prise par la Chambre en 1859, par 54 voix contre 36, 10 membres s'abstenant, il faut adopter le vote par ordre alphabétique. (Je regrette que le gouvernement n'ait pas cru devoir proposer cette mesure. J'ai l'intention, avec quelques-uns de nos honorables collègues, de présenter un amendement destiné à réparer cette lacune.)

La question, je le sais, n'est pas neuve ; je vais ajouter immédiatement que je ne la présente pas comme devant être une panacée destinée à remédier à tous les maux, mais s'il ne s'agit même que de les diminuer assez sensiblement, je m'estimerais heureux d'avoir aidé à le faire.

Que se passe-t-il actuellement ?' J'en appelle à l'expérience impartiale de tous ceux qui siègent dans cette enceinte. N'est-il pas scandaleux de voir certaines influences, à l'égard des électeurs campagnards surtout, s'exercer aussi publiquement ?

Le grand propriétaire, ou ce qui est pis encore, son intendant, le bourgmestre, le curé, ce dernier surtout depuis quelque temps, dans notre province, abusent, dans ce cas, tous trois de leur position, ne se servent-ils pas trop souvent d'une contrainte morale à laquelle leurs électeurs ne peuvent se soustraire, pour les mener au scrutin ? Ils les surveillent minutieusement jusqu'au pied de l'urne, ils les réduisent, pour me servir de l'expression de la section centrale, au rôle de machines à voter dont il leur est permis d'user à leur gré.

La répartition des électeurs en sections, d'après l'ordre alphabétique, porterait remède à cet état de choses. Cette oppression illégitime serait rendue presque impossible le jour où l'on ne devrait plus voter sous la surveillance du chef.

La moralité y gagnerait, car l'électeur ne serait plus condamné à violenter sa conscience et le résultat du scrutin serait plus vrai.

Au point de vue des dépenses électorales, il y avantage aussi à disséminer les électeurs.

Ces dépenses ne se font pas toujours d'une façon aussi insoucieuse qu'on veut le dire ; le courtier électoral désire avoir une sanction quelconque du honteux marché qu'il vient de faire.

S'il ne peut surveiller son complice pour s'assurer de l'accomplissement de son marché ;

S'il ne peut obtenir la surveillance d'un voisin, le seul qui soit apte à remplir ce mandat ;

Les marchés, quoi qu'on en dise, seront infiniment moins nombreux.

Enfin, messieurs, n'est-ce pas un très grand avantage encore, que de soustraire l'électeur, ne fût-ce qu'un instant, à une pression constante des mêmes idées, des mêmes opinions ?

Vous le savez tous, il y a des localités ou les idées pénètrent difficilement en politique.

N'y a-t-il pas utilité très grande à ce que l'électeur campagnard puisse se convaincre, par un contact momentané avec l'électeur urbain, qu'à côté de l'opinion de l'homme influent de sa commune, il existe d'autres opinions, également respectables, également honnêtes ?

Je n'ignore pas que diverses objections ont été produites contre la mesure d'émancipation que je réclame.

On a dit que l'électeur campagnard avait besoin d'appui et de protection ; que, livré à lui-même, il ne pourrait ni trouver son bureau électoral, ni se soustraire aux ruses que des hommes hardis et peu scrupuleux ne manqueraient pas d'exercer contre eux dans le but de changer leurs bulletins. Quant au premier point, pourquoi l'électeur trouvera-t-il moins un local qui lui est désigné par sa lettre de convocation, parce qu'il est seul, que parce qu'il se trouvera avec d'autres ?

Les partisans des candidats ne manqueront pas de le leur indiquer dans l'un et l'autre cas. Trente ans de pratique ont habitué l'électeur campagnard à l'exercice des droits électoraux et les nombreux chemins de fer qui existent aujourd'hui l'ont familiarisé avec le chef-lieu d'arrondissement.

En toute hypothèse, s'il y a même quelque difficulté, elle ne peut exister que pour la première élection ; celle-ci faite, il saura une fois pour toute où il doit se rendre.

Je désirerais qu'on ne pût changer ces locaux qu'en cas d'absolue nécessité, et qu'il y eût une grande stabilité dans les déterminations prises à ce sujet.

Quant aux manœuvres que l'on emploierait pour soustraire ou changer les bulletins, il me semble qu'elles sont peu à craindre en présence des peines sévères qu'à très juste titre la loi actuelle commine contre ceux qui s'en rendront coupables.

Ces deux objections, du reste, prouvent combien peu les adversaires du vote par lettre alphabétique ont confiance dans l'intelligence des campagnards.

J'ai, quant à moi, une plus haute idée de leur capacité et de leur intelligence ; je ne partage pas cette préoccupation. Pas plus lorsqu'il s'agira du choix de son député, que lorsqu'il sera question d'une affaire qui l'intéresse, l'électeur des campagnes ne se laissera tromper.

J'en connais et beaucoup qui à cet égard en revendraient et de reste à plus d'un citadin.

On a argué de la difficulté de dresser les listes en temps utile, du travail exceptionnel qu'elles nécessiteraient, etc.

Je renvoie ceux qui auraient quelque doute à ce sujet, au travail fait par l'honorable et très intelligent commissaire de l'arrondissement de Liège ; il prouve à l'évidence que les difficultés signalées ne sont pas sérieuses et que le travail peut être exécuté avec une grande célérité.

Pour répondre à cet argument, permettez-moi de vous rappeler que l'enquête administrative établit que 23 avis favorables ont été donnés, douze seulement contraires à la proposition que je défends, par les commissaires d'arrondissement.

J'en viens à une dernière objection, c'est celle sur laquelle on a appuyé le plus vivement.

C'est sur celle-là que l'on compte pour faire ajourner encore une réforme. On voudrait effrayer le campagnard des désagréments que son isolement momentané dans une ville peut lui occasionner.. On parlera de déni de justice distributive et d'ilotisme.

Je n'ai aucune crainte de ces accusations, je les crois fort exagérées.

Mais fussent-elles même exactes, l'électeur dût-il subir certaine gêne par suite du nouvel état des choses, s'il s'agissait pour lui de choisir entre la dépendance si facile qu'elle soit, et l'indépendance entourée de quelques difficultés, je ne doute pas un instant qu'il ne se prononce pour ce dernier parti. J'ai pu constater plus d'une fois combien était lourd le joug qui lui est imposé.

C'est au nom de la liberté d'appréciation, au nom de la plus belle prérogative du citoyen libre qu'il répondrait à ce que je considère comme une accusation véritable contre ses sentiments les plus généreux.

(page 1343) Un mot encore. On a traité de mesure révolutionnaire la mesure que je voudrais voir adopter. On a soutenu que c'était une loi de parti. En ce qui me touche personnellement, je ne pense pas qu'il soit besoin que je réponde à de pareilles attaques.

Je n'ai jamais .cherché que dans ma conscience les motifs qui ont inspiré mes actes.

Mais je le demande, en quoi une mesure destinée à contribuer à la libre manifestation de l'opinion publique peut-elle être une loi de parti ?

Est-ce parce que vous présumez que ce mode de votation serait favorable au libéralisme que vous le qualifieriez de la sorte ? Mais n'aurais-je pas le droit alors de demander si en rejetant un moyen d'assurer la liberté des électeurs, ce ne seraient pas nos adversaires que poseraient un acte de parti.

Moi aussi, messieurs, je suis convaincu que la mesure que je préconise serait très favorable au parti libéral. Mais je ne vois pas que nous devions rejeter une chose juste en elle-même, parce qu'elle nous est favorable.

Au résumé je crois avoir démontré que la mesure que j'appuie a pour effet de contribuer largement à l'indépendance de l'électeur.

Je suis convaincu que les objections produites ne sont pas de nature à empêcher sa réalisation. L'opinion publique réclame avec une entière confiance ; j'espère donc que vous n'hésiterez pas à formuler dans la loi actuelle la résolution que vous avez prise en 1859.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.