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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 13 juillet 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1405) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Les sieurs Broquet et Brouwet, président et secrétaire du comité de l'association libérale d'Ath, prient la Chambre de donner la préférence au système qui consiste à remettre à chaque électeur, dans la salle du scrutin, un bulletin imprimé, portant les noms des candidats déclarés, dans lequel il effacerait à la plume ceux qui ne lui conviendraient pas. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux fraudes électorales.


« M. de Woelmont, retenu chez lui par une indisposition de sa fille, demande un congé. »

- Accordé.


« M. Vleminckx, obligé de se rendre à Liège pour présider le jury de médecine, demande un congé de huit jours. »

- Accordé.

Motion d’ordre

M. Crombezµ. - Messieurs, la Chambre se rappellera les propositions qui ont été faites ici pour qu'on activât l'impression du rapport sur le projet de loi concernant les fraudes électorales ; nous avons donc eu très peu de temps pour revoir et corriger les épreuves.

Des erreurs vous ont été signalées ; j'en ai remarqué quelques-unes, et je me suis empressé de faire distribuer aux membres de la Chambre deux feuilles d'errata. Hier on nous a adressé par le poste une nouvelle feuille d'errata ; elle est intitulée comme tous les documents de la Chambre : « Chambre des représentants ». Je déclare que je suis complètement étranger à cette publication et que je n'accepte en aucune façon les rectifications qui y sont indiquées. J'ai pris des informations, et je n'ai pu savoir quel est l'auteur ou l'imprimeur de ces corrections.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Allard. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet l'allocation d'un crédit de 65,000 francs, destiné à payer des créances arriérées à charge du département de la guerre.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif aux fraudes en matière électorale

Discussion des articles

Article 2

MpVµ - La Chambre est arrivée à l'article 2 ; elle voudra sans doute suivre la marche qu'elle a suivie jusqu'à présent, c'est-à-dire rattacher à l'article 2 tous les amendements qui peuvent s'y rapporter, et commencer par la discussion de ces amendements. (Oui ! oui !)

Ces amendements sont nombreux ; il y a d'abord l'amendement de M. Orts ; il y a un amendement de M. de Theux ; il y a un article nouveau de M. de Theux ; il y a une amendement de MM. Giroul, Macar et Elias ; il y a un autre amendement de M. de Theux ; il y a un amendement de M. Dumortier ; il y a les amendements de M. de Smedt ; il y a un amendement de M. Hymans.

M. Hymans. - M. le président, mon amendement n'est pas éventuel. J'ai cru que l'honorable M. Orts avait l'intention de proposer l'obligation, pour tous les électeurs, d'écrire leur bulletin en présence du bureau ; mais jusqu'à présent l'honorable membre n'est pas allé aussi loin et mon amendement peut très bien se concilier avec le sien.

MpVµ. - Provisoirement votre amendement n'est pas éventuel.

Je crois que nous devons commencer par l'amendement de M. Orts. (Interruption.) Voulez-vous commencer par le système de M. de Smedt ?

M. de Naeyer. - Il me semble qu'il vaudrait mieux commencer par les amendements qui se rattachent moins directement à l'article 2. Celui de l'honorable M. de Smedt s'y rattache d'une manière très intime puisqu'il a pour objet de modifier profondément l'article 2 en substituant les bulletins imprimés aux bulletins écrits à la main. Je pense qu'il convient de suivre la marche qui a été suivie pour la discussion de l'article premier et qui consiste à s'occuper d'abord des amendements qui ont le moins de connexité avec l'article en discussion.

MpVµ. - Faites-vous une proposition ?

M. de Naeyer. - Si l’honorable M. Orts était présent je proposerais de commencer par ses amendements. Comme il n'y est pas, on pourrait commencer par l'amendement de MM. Giroul, de Macar et Elias.

M. Eliasµ. - Je ferai remarquer, messieurs, que, d'après le système de M. de Naeyer, en commençant par les amendements qu'il indique, on aurait l'air de préjuger la question de savoir si ces amendements se rattachent ou ne se rattachent pas à l'article 2. Il me semble qu'il est de règle de commencer par les amendements qui s'éloignent le plus de la proposition principale.

M. Bouvierµ. - Commençons par quelque chose.

M. Giroulµ. - A l'article premier on a procédé d'une toute autre manière : on a commencé par les amendements auxquels le gouvernement opposait la question préalable ; on a examiné ensuite les propositions que l'on considérait comme de véritables amendements. Je désirerais savoir quels sont les amendements proposés à l'article 2 et que le gouvernement considère comme ne se rattachant pas à cet article.

MjTµ. - Je cherche en vain comment l'amendement de M. Giroul se rattache à l'article 2. Je croyais que l'honorable M. Giroul rattachait son amendement à l'article 4 où il est parlé de l'appel des électeurs ; s'il le présente à l'article 2, je devrai évidemment y opposer la question préalable.

MpVµ. - M. Giroul, ne pourriez-vous pas rattacher l'amendement à l'article 4 ?

M. Giroulµ. - Je ne suis qu'un des signataires, mais quant à moi je ne vois aucun inconvénient à ce que l'amendement soit rattaché à l'article 4.

M. de Macarµ. - Je consens également à ce que l'amendement soit rattaché à l'article 4.


MjTµ. - Il y a ensuite l'amendement de M. de Theux, qui ne se rattache pas à l'article 2, mais qui est un article nouveau dont la plupart des dispositions se trouvent déjà dans notre loi électorale.

L'honorable comte de Theux demande que le gouvernement prescrive les mesures nécessaires pour que les électeurs puissent prendre connaissance des rôles des contributions directes soit dans les bureaux des receveurs des contributions, soit au secrétariat de la maison communale, soit dans les bureaux du commissaire d'arrondissement.

Il y déjà une disposition semblable dans l'article 9 de la loi électorale qui n'est pas aussi étendu mais qui atteint le lut que poursuit l'honorable M. de Theux.

MfFOµ. - Dans l'état actuel de la législation il y est complètement satisfait.

MjTµ. - C'est en vertu de la loi de 1843.

MfFOµ. - Sauf en ce qui concerne les receveurs des contributions, mais il ne peut en être question.

M. de Theuxµ. - C'est tout ce que je demandais.

(page 1406) MjTµ. - Voici ce que porte l'article 6 de la loi de 1843 :

« L'article 9 de la loi électorale du 3 mars 1831 est abrogé et remplacé ainsi qu'il suit :

« Après l'expiration du délai fixé pour les réclamations, les listes, le double des rôles certifiés par les receveurs et vérifiés par les contrôleurs, ainsi que toutes les pièces au moyen desquelles les personnes inscrites auront justifié de leurs droits, ou par suite desquelles des radiations auront été opérées, serons envoyées, dans les 24 heures, au commissariat du district.

« Un double de la liste sera retenu au secrétariat de la commune.

« La réception de la liste sera constatée par un récépissé délivré par le commissaire du district ; ce récépissé sera transmis au collège des bourgmestre et échevins dans les 24 heures de l'arrivée de la liste au commissariat. Il en sera fait immédiatement mention dans un registre spécial, coté et parafé par le greffier provincial.

« Chacun pourra prendre inspection des listes tant au secrétariat de la commune qu'au commissariat au district.

« Chacun pourra aussi prendre inspection du double des rôles et des autres pièces mentionnées ci-dessus. »

On peut donc aujourd'hui prendre connaissance des pièces dont parle l'honorable M. de Theux au secrétariat de la commune et au commissariat d'arrondissement.

M. Delcourµ. - Est-ce en tout temps d'après votre pensée ?

MjTµ. - Non ; à l'époque de la formation des listes.

MfFOµ. - Il n'en peut être autrement.

MjTµ. - Depuis le moment oh l'on a commencé la formation des listes jusqu'au jour des élections, on a tout le temps nécessaire ; on ne peut exiger qu'au secrétariat de la commune et du commissariat d'arrondissement il y ait pendant toute l'année quelqu'un pour exhiber les rôles et les listes.

Il est donc sous ce rapport satisfait à la demande de l'honorable M. de Theux, qui, je pense, n'insistera pas ; son amendement n'est, du reste, pas un amendement à l'article 2.

C'est un article nouveau. Il serait bon, je pense, d'entendre les explications de l'honorable M. de Theux.

MpVµ. - M. de Theux insiste-t-il sur son article nouveau ?

M. de Theuxµ. - Quoique l'honorable ministre de la justice ait intitulé mon amendement « article nouveau », rien n'empêche que ce soit un amendement, car un projet de loi peut être incomplet et l'on peut le compléter en présentant un article nouveau.

Il n'y a donc pas lieu, dans ce cas-ci, d'opposer la question préalable. Le motif en est simple. Le gouvernement cherche à réprimer les fraudes électorales. L'article que j'ai proposé n'a pas d'autre but.

La loi électorale donne à tout électeur le droit de requérir l'inscription d'un électeur omis sur la liste électorale.

Elle lui donne également le droit de faire rayer l'électeur indûment inscrit.

La proposition que je fais n'a pas d'autre but que de faciliter l'exercice de ce droit. C'est clair comme le jour. Lorsque dans la discussion générale, j'ai exprimé l'opinion que c'était abusivement que l'autorité communale de Louvain avait refusé à l'honorable Van Bockel l'inspection des listes, MM. les ministres des finances et de l'intérieur ont paru donner leur adhésion à mon opinion. Il n'en est pas moins vrai, cependant, que l'honorable M. Van Bockel qui avait réclamé au département de l'intérieur n'a jamais reçu de réponse, mais, depuis lors, on vient de m'affirmer, séance tenante, qu'un électeur de Tirlemont ayant demandé à M. le ministre de l'intérieur l'autorisation de voir les listes électorales dans 'l bureau du receveur des contributions, M, le ministre de l'intérieur en a référé à son collègue des finances, lequel doit avoir donné une instruction générale à M., les inspecteurs, instruction transmise ensuite aux receveurs, et en vertu de laquelle le réclamant de Tirlemont peut avoir accès aux rôles et en prendre connaissance. Cette décision de M. le ministre des finances, si elle existe, est parfaitement juste et naturelle. Il ne faut pas craindre que le bureau du receveur des contributions, celui du secrétaire de la commune, et celui du commissaire de district seront occupés toute l'année par des personnes qui viendront demander inspection des listes. On doit être sensé vouloir exécuter la loi d'une maniera raisonnable. Qui se donnerait la peine d'aller examiner les listes sans raison ? Personne au monde.

Mais on peut avoir intérêt à inspecter le rôle des contributions pour s'assurer s'il n'a pas été commis d'erreur ou d'omission et pouvoir ainsi réclamer soit pour faire inscrire soit pour faire rayer. On peut déjà s'adresser au secrétariat communal, au commissariat d'arrondissement. Je ne vois pas quel inconvénient il y aurait à accorder la faculté que je demande, elle doit être accordée, si on veut que la loi électorale soit efficace et que les électeurs puissent réellement exercer leurs droits.

Maintenant, si M. le ministre de l'intérieur veut donner aux administrations communales et aux commissaires de district des instructions semblables à celle qui a été donnée par M. le ministre des finances, mon amendement a atteint son but.

MfFOµ. - Je crois qu'il y a une différence entre ce qui est prescrit par la loi et ce que demande M. de Theux. La loi autorise tous les citoyens à prendre inspection des listes et des doubles des rôles des contributions, soit au secrétariat de l'arrondissement communal, soit au commissariat d'arrondissement. L'honorable comte de Theux dit qu'il serait désirable que l'on pût prendre inspection des rôles mêmes chez le receveur des contributions ; mais il n'est pas possible d'admettre une proposition conçue dans de pareils termes.

Le receveur ne peut être dans son bureau à poste fixe pendant tout le temps de la révision des listes, attendant ceux qui pourraient se présenter pour prendre communication des rôles. Le receveur a son office à remplir ; il arrive même qu'il est obligé d'aller en recette dans d'autres communes. La mesure que réclame M. le comte de Theux n'est donc pas praticable et d'ailleurs je n'en vois pas le moins du monde l'utilité.

Les doubles des rôles sont déposés à l'administration communale et au commissariat d'arrondissement, où tous les citoyens sont autorisés à les examiner et à les contrôler.

M. de Theuxµ. - Ils n'en ont pas le temps.

MfFOµ. - C'est une autre question ; pour l'examiner, nous devrions mettre en discussion tout ce qui est prescrit en matière électorale, et nous serions peut-être amenés de faire ainsi ce que j'ai déjà indiqué, c'est à prendre pour base les rôles de l'année antérieure, au lieu de ceux de l'année courante ; cela peut être examiné.

Mais, dans l'état actuel des choses, le receveur des contributions ne peut se tenir à la disposition des particuliers ; et remarquez que, pour faire droit à la demande de M. de Theux, il ne suffirait pas qu'il se tînt à leur disposition seulement pendant le délai accordé pour la révision des listes, mais en tout temps.

Voit-on bien tous les inconvénients qui résulteraient d'une pareille faculté donnée à tout particulier ? Le receveur sera entravé dans la perception de l'impôt ; il devra faire attendre les contribuables qui se présenteront pour s'acquitter, chaque fois que, pour une cause ou pour une autre, il devra recourir au rôle. Enfin, lorsqu'il ira en recette, ce qui se présente très fréquemment dans les bureaux composés de plusieurs communes, il sera forcé d'abandonner au premier venu des rôles qui forment ses seuls titres. Est-ce admissible ?

L'amendement de M. de Theux n'a d'ailleurs aucun rapport avec la loi que nous discutons, pas plus avec l'article 2 qu'avec aucun autre.

La mesure jusqu'à présent m'a paru suffisante ; je n'ai pas connaissance de plaintes ou de réclamations sous ce rapport.. Toujours les listes ont pu être vérifiées en toute liberté au secrétariat de la commune et au commissariat d'arrondissement. Peut-être y a-t-il eu quelques faits individuels, mais, en général, la nécessité de modifier la législation sous ce rapport ne s'est pas encore manifestée.

M. Delcourµ. - Une interprétation différente est donnée à la loi par les autorités communales ; l'amendement de l'honorable comte de Theux a précisément pour objet de dissiper tous les doutes et de permettre aux électeurs d'exercer un contrôle sincère, un contrôle complet sur les listes électorales.

Selon l'article de la loi électorale cité tout à l'heure par M. le ministre de la justice, les listes sont déposées au secrétariat de la commune, puis au commissariat d'arrondissement ; là chaque électeur peut en prendre inspection, ainsi que des rôles des contributions et des pièces qui ont servi à la formation des listes. Mais on prétend, en s'appuyant sur cette même disposition, que l'exercice de ce droit est nécessairement limité au temps fixé pour les réclamations, c'est-à-dire que la loi n'accorde que 15 jours pour prendre inspection des listes au secrétariat de la commune.

Vous n'ignorez pas, messieurs, que les listes sont affichées le premier dimanche qui suit le 15 avril, et que 15 jours sont accordés aux (page 1407) intéressés pour présenter leurs réclamations. Ce délai, suffisant pour les réclamations, ne l'est plus pour contrôler les listes électorales, surtout dans les arrondissements où la lutte est vive. Je répète, messieurs, que la proposition de l'honorable M. de Theux tend justement à donner à la loi une interprétation raisonnable.

Puisque j'ai la parole, j'appellerai l'attention du gouvernement sur un autre point qui se rattache à la question que nous discutons. Une simple explication de M. le ministre de l'intérieur suffira pour lever tout doute, comme une explication de l'honorable ministre de la justice lèverait la difficulté qui a donné naissance à l'amendement de l'honorable M. de Theux.

Pour arriver à un contrôle efficace, n'est-il pas manifeste, messieurs, qu'il faut donner aux électeurs la plus grande facilité à l'effet de rechercher les pièces nécessaires à l'exercice de ce contrôle ?

Laissez-moi vous citer un fait qui a été porté à ma connaissance personnelle. Un individu habitant la ville était inscrit sur la liste électorale de cette ville ; son nom est porté ensuite sur la liste électorale d'une commune voisine. Il fallait donc, pour constater cette fausse inscription, constater si cet électeur était inscrit sur les registres de la population de la ville. On demanda à l'autorité communale un extrait de ce registre ; l'autorité communale s'est refusée à le délivrer. Que faire en pareil cas ? Evidemment si le législateur veut le contrôle des listes, s'il veut maintenir intact le droit que la loi accorde à tout habitant de la commune de réclamer contre les inscriptions indues, il doit lui donner le moyen de se procurer les pièces indispensables.

Je suis persuadé qu'avec un peu de bonne volonté, le gouvernement arriverait, sans peine, à une solution satisfaisante ; qu'il donne aux autorités communales des instructions dans un sens libéral, qu'il les oblige à donner aux citoyens une communication complète de toutes les pièces qui ont servi à la formation de la liste et on aura obtenu le résultat que veut atteindre l'honorable comte de Theux.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il me semble que les personnes qui ont des réclamations à faire contre la confection des listes électorales ont, d'après la législation actuelle, tout le temps nécessaire pour le faire. Ainsi, elles peuvent d'abord s'adresser au secrétariat communal depuis le 1er avril jusqu'à ce que le rôle des contributions soit envoyé au commissaire d'arrondissement ; on commence les opérations le 1er avril, elles durent jusqu'au 15, puis les listes sont affichées pendant dix jours, ensuite on a quinze jours pour réclamer, enfin les listes et les rôles sont envoyés au commissaire d'arrondissement ; ainsi les rôles peuvent être examinés pendant plus de sept semaines. Ces délais ne sont-ils pas suffisants ? je le pense, et il me semble que l'on peut difficilement soutenir le contraire.

Il me semble que ce temps est suffisant et qu'on ne peut exiger que les commissaires d'arrondissement et les administrations communales donnent aux personnes des explications pendant toute l'année, sur une affaire qui n'est pas à l'ordre du jour, si je puis m'exprimer ainsi.

D'ailleurs, après un certain délai, les commissaires d'arrondissement ne pourraient plus communiquer les rôles de contribution ; on se borne à les leur confier, et ils ne les ont plus après quelque temps ; on ne fait pas ces rôles en triple ou en quadruple expédition. Quand le commissaire d'arrondissement s'en dessaisit, ils rentrent à la maison communale.

L'observation de l'honorable M. de Theux serait juste si on ne permettait pas la communication des rôles de contribution ou si on ne la permettait que pendant un délai fort court, mais on a plus de sept semaines ; ce temps est bien suffisant, et il est par là complètement satisfait au vœu de l'honorable M. de Theux, par la loi elle-même.

M. Tackµ. - Messieurs, il est possible que les rôles des contributions dans quelques arrondissements, restent déposés dans les bureaux des administrations communales ; je crois pourtant que dans la plupart ils restent déposés entre les mains des commissaires d'arrondissement et ne sont pas retournés aux autorités locales.

Je suis d'avis, avec M. le ministre de l'intérieur, que le délai est suffisant pour qu'on puisse prendre inspection des rôles ; cela ne doit pas empêcher les administrations communales et les commissaires d'arrondissement d'en donner communication en dehors du délai d'appel ; il faut leur en laisser la faculté, si tant est que la loi ne leur en fait pas une obligation absolue.

A propos de l'amendement de l'honorable M. de Theux, je rappellerai que dans la séance de samedi, M. le ministre des finances nous a fait connaître son intention de faire examiner la question de savoir s'il n'y aurait pas possibilité de faire dresser par les receveurs des contributions des sommiers comprenant l'ensemble des contributions payées par chaque électeur.

Cette mesure serait évidemment utile aux administrations communales pour lesquelles le travail de révision des listes électorales est très compliqué ; les receveurs des contributions sont plus à même de préparer ce travail que les administrations communales.

Toutefois le sommier, rédigé par les receveurs, ne pourra jamais servir que comme un renseignement et nullement comme un titre à invoquer par l'électeur ; le véritable titre est le rôle de la contribution.

Il existe chez les receveurs un registre qui n'est pas facultatif, comme le sommier ; les receveurs sont obligés d'avoir ce qu'on appelle un registre des subdivisions des cotes foncières.

Les administrations communales éprouvent un grand embarras pour indiquer la part des contributions foncières qu'un fermier a droit d'invoquer pour être porté sur les listes électorales de la commune.

Les inscriptions d'office, en cette matière, sont presque impossibles. Le fermier est obligé de produire ses billets de contribution s'il veut être porté sur la liste électorale de la commune. Les administrations communales n'ont pas les documents nécessaires pour faire l'inscription d'office.

Je voudrais donc que M. le ministre des finances fît examiner la question s'il ne serait pas utile de mettre à la disposition des administrations communales un extrait des registres des subdivisions des cotes foncières.

Il se commet même sous ce rapport de véritables abus, de véritables fraudes ; comment ses subdivisions se font-elles maintenant ? Elles se font d'après la déclaration du propriétaire ; il se présente devant le receveur des contributions, et lui déclare qu'il entend répartir le total de ses contributions entre tels et tels fermiers dans la proportion qu'il indique, sans être astreint à aucune justification.

Il y aurait peut-être lieu de n'accepter les demandes de subdivision des cotes foncières que moyennant la production d'un extrait de h matrice cadastrale ; je le répète, il y a une source d'abus graves, en ce sens qu'on attribue aux fermiers plus de contributions qu'il ne paye réellement, pour les ôter à un autre, afin que l'un ait le droit électoral et que l'autre en soit privé.

Je prierai donc M. le ministre des finances de vouloir bien examiner conjointement la question relative au sommier et la question relative à la répartition des cotes foncières.

M. de Theuxµ. - Messieurs, il est très évident, dans la pratique, que dans les grandes communes surtout, les délais sont tout à fait insuffisants, pour que les électeurs exercent le droit que la loi leur confère ; il est évident, d'autre part, que, dans plusieurs localités, les refus de communication ont lieu par esprit de parti.

Mon amendement tend-il à obliger de donner à toute heure et tous les jours les renseignements qu'on demande ? En aucune manière ; je demande seulement que le gouvernement prescrive les mesures nécessaires pour l'exécution de la loi électorale.

Maintenant, le gouvernement se fera rendre compte de ce qui se pratique ; et après avoir obtenu les renseignements dont il a besoin, il pourra prescrire quelques mesures administratives qui satisferont à l'exécution de la loi, et qui donneront de justes apaisements aux électeurs. Voilà tout ce que je demande.

(page 1416) M. Mullerµ. - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. de Theux ne s'écarte de la loi qu'en ce sens, qu'il désire qu'on puisse prendre connaissance des rôles de contribution non seulement près de l'administration communale et au bureau du commissariat d'arrondissement, mais aussi chez les receveurs de contributions, en outre, qu'on puisse prendre connaissance de ces rôles pendant les 365 jours de l'année, et non pas seulement pendant les délais fixés par la loi pour la révision des listes électorales et les réclamations.

M. de Theux prétend qu'il est aujourd'hui constaté qu'on refuse les rôles, tels que la communication en est prescrite pour les administrations communales et pour les commissaires d'arrondissement ; or, c'est ce que je ne puis pas croire ; en effet, il y a une prescription formelle à cette égard dans la loi communale et dans la loi de 1843.

Si cette prescription n'est pas accomplie, elle l'est, selon moi, vous ne pouvez pas plus attendre cet accomplissement de la prescription que vous voulez ajouter par la superfétation que vous proposez.

J'ai un mot à dire maintenant en réponse à une observation de (page 1417) M. Tack. Je ne pense pas qu'il appartienne au receveur des contributions de se mêler de distinguer quelles sont les cotes que le propriétaire foncier transmet à son locataire, pour être imputées à ce dernier à compte ou à titre du cens communal.

Comme receveur des contributions, le receveur des contributions n'a pas du tout à se mêler de ce triage ; il fait la division des cotes entre les propriétaires, il ne fait pas le moins du monde la répartition, quant à la propriété foncière entre locataires, entre ceux de ces derniers qui occupent tel terrain ou tel autre. Ce n'est pas là le rôle qu'ils ont à remplir. C'est à l'administration communale qu'incombe cette mission.

En effet, ce n'est pas le locataire qui doit la contribution foncière. (Interruption.) S'il paye la contribution foncière, c'est en vertu d'une convention avec son propriétaire ; il ne peut pas être poursuivi par le fisc ; le fisc n'a d'action que contre le propriétaire ; le locataire n'est redevable de la contribution foncière qu'envers son propriétaire. C'est ainsi, messieurs, qu'il serait parfaitement inconstitutionnel, pour le dire en passant, et en réponse à des exigences produites, de vouloir compter pour les élections aux Chambres le tiers de la contribution foncière au locataire. Il ne peut pas dépendre du propriétaire de créer ou de ne pas créer des électeurs, selon qu'il mettra ou ne mettra pas dans son bail que le locataire doit payer la contribution foncière.

Si donc les receveurs des contributions ont fait parfois et accidentellement une répartition quant au cens communal, de la quote-part de l'impôt foncier qui peut incomber au locataire, ils n'ont pas agi en acquit de leur mission : c'est un acte de complaisance, c'est probablement pour venir en aide au travail de l'administration communale. Si vous leur imposiez ce devoir, vous iriez très loin, car vous donneriez aux receveurs des contributions le pouvoir de préjuger dans chaque cas le point de savoir si tel fermier a le droit de compter le tiers de la contribution foncière, à titre de domaine rural, soit qu'en vertu et en diminution du prix de son bail il l'acquitte au nom du propriétaire, soit que ce dernier, seul responsable envers le fisc, la paye directement.

(page 1407) M. Tackµ. - Je n'ai pas le moins du monde entendu attribuer au receveur des contributions le droit de faire la répartition de la contribution foncière entre les locataires ; j'ai demandé qu'il fût obligé de fournir quelques documents à l'aide desquels l'administration communale puisse contrôler si les déclarations des propriétaires sont sincères.

M. Mullerµ. - En ce sens, nous sommes d'accord.

M. Tackµ. - Je demande que M. le ministre des finances veuille bien étudier la question de savoir si l'on ne pourrait pas communiquer aux administrations communales les registres des cotes foncières.

Dans l'état actuel des choses, l'inscription d'office du fermier n'est pas possible ; elle serait possible par le moyen que j'indique.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable comte de Theux m'a demandé si j'étais disposé à faire exécuter l'article 9 de la loi électorale et à donner des instructions en ce sens. Evidemment, je suis très disposé à donner des instructions pour que cet article de la loi, comme tous les autres articles, soit exécuté, mais je crois qu'il est fort inutile de donner au gouvernement ce pouvoir et par conséquent de lui imposer ce devoir par une disposition (page 1408) nouvelle de la loi. J'ai pris l'engagement de faire ce qu'a demandé l'honorable M. de Theux.

M. de Theuxµ. - Messieurs, les mesures que je demande ne feraient pas tout à fait double emploi. II est évident que si M. le ministre de l'intérieur se bornait à écrire aux autorités communales qu'elles doivent exécuter la loi, ce serait une véritable dérision.

Je demande qu'on donne un peu plus de facilité pour la vérification des listes électorales et pour cela le receveur des contributions n'a pas du tout besoin de se tenir à son bureau toute l'année pour donner ces communications ; on peut très bien donner pour instructions aux receveurs que lorsqu'une demande de communication est faite et qu'il n'y a pas de motif raisonnable de s'opposer à ce que la communication se fasse, il faut qu'elle ait lieu.

Le gouvernement peut très bien prescrire cela et quand M. le ministre des finances l'aura prescrit, les receveurs des contributions ne ferons pas de difficulté de donner connaissance des rôles ; quand M. le ministre de l'intérieur aura averti les administrations communales qu'il est dans l'esprit de la loi que communication puisse être prise des rôles en dehors de ce terme si court et si rigoureux, les administrations communales ne s'y refuseront pas, voila pourquoi je demande que le gouvernement soit invité à donner des instructions. Je crois que c'est très nécessaire dans l'intérêt du plein exercice du droit que la loi accorde aux électeurs.

MfFOµ. - Messieurs, je regrette de devoir prendre encore la parole, mais il m'est impossible d'admettre une disposition ainsi conçue :

« Le gouvernement prescrit les mesures nécessaires pour que les électeurs puissent prendre connaissance des rôles des contributions, etc. »

Je dis que ce n'est pas là une disposition admissible. Je ne puis pas prescrire des matières semblables qui jetteraient réellement la perturbation dans le service de perception des impôts.

Faut-il fixer un certain temps, une certaine époque, où la communication pourra être faite ? Mais alors je suis obligé d'empêcher les receveurs des contributions de remplir leur office, d'aller faire leur recette dans les communes de leur ressort.

M. Thonissenµ. - Quand ils seront chez eux.

MfFOµ. - Mais alors vous aurez le grief que le receveur n'est pas chez lui, qu’il n'est jamais chez lui, qu'on ne peut pas le trouver.

Et d'ailleurs, quand les receveurs sont chez eux, c'est également pour recevoir l'impôt, et ils ne peuvent pas être entravés dans cette perception.

Il faut que le législateur parle clairement, qu'il commande, qu'il dise positivement ce qu'il veut prescrire et il ne doit prescrire que des dispositions pratiques et efficaces. Ce que l'on demande maintenant, la loi y a pourvu.

M. Thonissenµ. - Le délai est trop court.

MfFOµ. - Comment, 40 jours ne suffisent pas ! (Interruption.)

On a quarante jours pour examiner les doubles des rôles, soit au secrétariat de la commune, soit dans les bureaux du commissaire d'arrondissement. C'est sur des faits mal établis, et sans doute purement accidentels que l'on s'appuie pour demander un délai plus long et pour proposer des mesures impraticables, illusoires, d'ailleurs absolument surabondantes.

M. Dumortier. - L'honorable M. de Theux demande, à mon avis, une chose extrêmement juste, c'est que les documents formant la base des listes électorales puissent être inspectés à toute époque par les habitants de la localité, par ceux qui veulent s'assurer de la régularité des listes électorales. L'amendement pose à cet égard une triple alternative, c'est que cet examen puisse avoir lieu soit dans les bureaux du receveur, soit au secrétariat de la commune, soit au commissariat d'arrondissement.

La grande objection que l'on fait à mon honorable ami c'est relativement aux receveurs. Il dit : Mais quand les receveurs seront absents il ne sera pas possible de communiquer les rôles dont on a besoin tous les jours. Mais il y a un double des rôles qui est envoyé chaque année par le receveur à l'administration communale et qui ne rentre pas chez le receveur.

Celui-là- est déposé au bureau de l'administration communale, passe ensuite avec les listes pendant dix jours chez le commissaire d'arrondissement, puis, ou bien reste chez le commissaire d'arrondissement, ce qui n'est point régulier, ou bien, ce qui est plus régulier, il revient à l'administration communale et se trouve déposé au secrétariat.

Eh bien, laissez au besoin les receveurs de côté, mais autorisez les habitants de la commune à inspecter les rôles qui se trouvent déposés à la maison communale.

Je ferai remarquer à mon honorable ami que c'est sur cette rédaction que les réclamations ont été faites et que, dans mon opinion, cela suffirait.

Il n'est point nécessaire que ce soit le rôle que l'on consulte. Il est plus commode et plus facile de consulter l'extrait du rôle déposé à la maison communale et où le chiffre total de la contribution se trouve décomposé avec toutes les impositions partielles.

Maintenant quant à ce qui concerne l'inspection dans les bureaux de l'administration communale, quelle objection fait-on ?

On dit : Mais vous avez six semaines pour examiner le rôle.

L'honorable M. de Theux a répondu avec beaucoup de raison : Qu'est-ce que six semaines pour examiner les rôles d'une grande commune ? Il est évident que dans les grandes communes il est impossible d'examiner les rôles tout entiers dans l'intervalle de six semaines.

D'ailleurs puisque les délibérations des communes ne peuvent pas être soustraites à l'inspection des habitants, je ne vois pas pourquoi les rôles, qui sont la base de toutes les délibérations des communes, pourraient être soustraits à l'examen des habitants.

Que porte en effet la loi communale ?

L'article 69 de la loi communale porte :

« Il ne peut être refusé à aucun habitant de la commune, ni aux fonctionnaires délégués à cet effet par le gouverneur et par la députation permanente du conseil provincial, communication sans déplacement des délibérations du conseil communal. »

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ce n'est pas une délibération.

M. Dumortier. - Nous allons voir tout à l'heure et vous verrez que c'est une délibération.

Ainsi, pendant toute l'année à toute époque, je puis me transporter à la maison communale, moi habitant de la commune, pour prendre connaissance des délibérations de la commune.

MfFOµ. - Alors n'en parlons plus. Tout est dit.

M. Thonissenµ. - On ne les communique pas.

M. Dumortier. - On dit : Ce ne sont pas des délibérations ; mais les listes des élections communales sont délibérées par le conseil communal.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - En cas de réclamation.

M. Dumortier. - Or, les rôles des receveurs sont la base des réclamations. Comment voulez-vous que je puisse prendre connaissance des délibérations si je n'ai point les éléments de ces délibérations ? Ce n'est pas tout. Si les résolutions des conseils communaux doivent être communiquées pendant toute l'année à tous les habitants qui se présentent pour en prendre connaissance, je demande pourquoi il n'en serait pas de même des rôles des communes.

Maintenant, messieurs, ceci est d'autant plus évident que la loi électorale n'établit pas d'époque pour l'examen. Elle ne dit pas que l'examen par les électeurs ne pourrait avoir lieu que pendant la révision des listes. Elle porte :

« Chacun pourra aussi prendre inspection des doubles du rôle et des autres pièces mentionnées ci-dessus. »

C'est là une disposition générale que le Congrès a faite afin que pendant tout le cours de l'année on puisse préparer au besoin les listes électorales. Cette disposition est essentiellement utile. Je connais telle ou telle personne que je crois être électeur ou que je crois payer le cens voulu pour être électeur.

Il faut que je puisse aller à la commune pour m'assurer si cette personne pourra faire sa réclamation.

L'opération de la formation des listes est bien une affaire momentanée fixée par la loi, mais la préparation de la révision des listes par les électeurs dure toute l'année.

Comment l'électeur pourrait-il préparer cette révision s'il ne peut avoir connaissance du rôle que pendant le moment de la formation des listes ?

II y aurait un moyen bien simple. Mon honorable ami M. de Theux l'avait demandé, je pense, autrefois, c'est que les rôles fussent imprimés pour toute la Belgique.

(page 1409) Evidemment la publicité est la première sauvegarde du gouvernement représentatif. Ne reculer pas devant une dépense pareille. Qu'on imprime tous les ans les rôles des contribuables, afin que chacun puisse s'assurer que les listes électorales sont sincères. Mais si vous reculez devant cette dépense, permettez à tous les habitants d'examiner les rôles de la même manière qu'ils sont autorisés à examiner les résolutions du conseil.

Je crois qu'il ne peut y avoir la moindre difficulté à ce que l'amendement de mon honorable ami soit adopté. En pratique, dit mon honorable ami M. Tack, qui appartient à une administration communale et qui a été longtemps secrétaire, cela ne se refuse pas et cela ne doit pas se refuser.

Cependant nous avons vu notre honorable ami M. Van Bockel se présenter à Louvain pour prendre inspection du rôle et éprouver un refus.

La pétition a été adressée à cette Chambre. Messieurs les ministres ont dit qu'il avait raison, et il n'en a pas moins continué d'essuyer un refus.

Voilà de ces faits qui ne peuvent se présenter dans un gouvernement représentatif. Il faut que l'inspection des rôles formant les listes électorales puisse sans déplacement être faite par tous les membres de la communauté à toutes les époques de l'année, de même que chaque membre de la communauté a le droit de prendre connaissance des résolutions du conseil communal.

Je dis qu'en présence de l'article 69 de la loi communale, on ne peut refuser à tout habitant de la commune de prendre connaissance, sans déplacement, des rôles qui reposent aux archives du secrétariat de la commune, et qui sont un élément important pour la préparation des réclamations que l'on aurait à faire sur la formation des listes électorales.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Wasseigeµ. - Je n'ai que quelques observations à présenter à propos des receveurs des contributions, je les crois importantes et je m'engage à ne pas occuper la Chambre plus de dix minutes.

- Plusieurs voix. - La clôture !

M. Wasseigeµ. - Comment ! vous êtes bien sévères à mon égard et cependant je n'abuse pas de la parole. Je n'ai pas encore dit un mot dans cette discussion, quoique l'occasion de protester ne m'ait pas manqué.

MpVµ. - La clôture est régulièrement demandée. Je suis obligé de la mettre aux voix.

- La clôture est prononcée.

MpVµ. - Personne ne demandant plus la parole, je mets l'amendement de M. de Theux aux voix.

- Des membres. - L'appel nominal !

M. Bouvierµ. - C'est une tactique.

M. Dumortier. - S'il y a une tactique, c'est de rejeter tous nos amendements.

- L'amendement de M. de Theux est mis aux voix par assis et levé ; il n'est pas adopté. .


MpVµ. - Je propose à la Chambre de passer à l'examen de l'amendement de M. Orts.

- Cette proposition est adoptée.

MpVµ. - Cet amendement est ainsi conçu :

« A dater du jour où la présente loi sera obligatoire, nul ne pourra être inscrit pour la première fois sur les listes électorales, s'il ne sait lire et écrire. »

MjTµ. - Dans la discussion générale j'ai déclaré que le gouvernement opposerait à cet amendement la question préalable. Il ne se rattache pas au projet de loi ; il constitue en réalité une véritable réforme électorale ; je persiste donc à y opposer la question préalable.

M. J. Jouret. - Les observations que j'avais à présenter devaient prendre au moins une heure à la Chambre, mais en présence de la déclaration de M. le ministre de la justice et convaincu qu'il est inutile de les présenter dans ce moment, je renonce à la parole.

M. Ortsµ. - J'imiterai l'exemple que vient de me donner l'honorable préopinant. Je réserverai pour d'autres moments la discussion de mon amendement au fond et par conséquent sa justification. Je me borne à examiner la question préalable.

En quoi consiste, en réalité, la question préalable ? A décider que sur un objet proposé aux discussions de la Chambre il n'y a pas lieu de délibérer. cette décision ne peut être motivée que par une seule considération, c'est que l'objet soumis aux délibérations de la Chambre ne rentrerait en aucune façon dans le cadre de la discussion principale, qu'il ne se rattacherait à aucune espèce d'ordre d'idées ou de fait dont la proposition principale s'occupe.

L'examen de la question préalable peut présenter des nuances souvent difficiles à saisir, délicates à percevoir, mais je crois que de bonne foi et après y avoir réfléchi, il est impossible de considérer mon amendement comme se rattachant à un ordre d'idées ou de faits parfaitement étrangers aux fraudes électorales que le projet a en vue de réprimer et de prévenir.

Je comprends très bien qu'on combatte mon amendement, je comprends parfaitement même qu'on le repousse par des scrupules tirés du fond de la chose même, je comprends qu'on la repousse comme inconstitutionnel, comme allant contre le but que je me propose, c'est-à-dire comme tendant à amoindrir le nombre des électeurs, mais je ne comprends pas qu'on dise qu'eu égard aux faits dont s'occupe la loi dont nous sommes saisis, la question de savoir si l'électeur saura lire et écrire est une question étrangère au projet. En effet, le projet dans son article 2 commence par poser un principe, le bulletin écrit. Je ne dis pas que la Chambre acceptera ce principe ; elle peut le repousser, le modifier.

Mais quel est le point de départ du gouvernement qui a proposé la loi, de la section centrale que l'a examinée ? Ce point de départ est celui-ci : le bulletin écrit à la main est la règle ; si bien que le gouvernement n'admet pas la possibilité d'un autre mode de confection du bulletin, que l'écriture ; le gouvernement repousse non seulement le bulletin imprimé, mais encore le bulletin autographié que propose la section centrale, quoique l'autographie ne soit en définitive qu'un mode particulier d'écriture. La section centrale ne veut pas du bulletin imprimé, elle veut le bulletin écrit, mais elle y ajoute le bulletin autographié.

Maintenant quelle est la pensée générale du projet ? Permettre à l'électeur, dans la forme que la loi lui trace pour donner son suffrage, d'user de son droit sans pouvoir être trompé, contraint ni séduit. Or, comment l'électeur qui ne sait ni lire ni écrire pourrait-il être à l'abri de toute espèce de tromperie sur la nature du bulletin qu'il tient en mains et qui a été écrit par un autre, comment l'électeur qui ne sait lire ni écrire pourrait-il distinguer si le bulletin qu'on lui remet contient un de ces signes qui peuvent être reconnus par d'autres et qui doivent servir à contrôler si l'électeur a cédé, oui ou non, à la pression qu'on a voulu exercer contre lui.

Lorsqu'une loi dispose, avec l'idée que le bulletin doit être l'œuvre de celui qui le dépose, que le bulletin sera écrit à la main et de sa main, il ne peut entrer dans l'esprit de personne de considérer comme chose étrangère au projet la question de savoir si l'électeur doit pouvoir lire ou écrire son bulletin.

Les articles 23, 24 et 25 du projet prévoient et érigent en délit une fraude qui consiste à abuser de l'ignorance d'un électeur illettré en substituant à un bulletin qu'il tient en mains et en qui il a une entière confiance, un. autre bulletin dont il ne peut pas saisir par lui-même la différence avec le bulletin primitif. Je demande une disposition de loi qui tende à prévenir ce délit, et vous prétendrez que ma proposition est étrangère au projet ! Mais il n'y a pas de disposition plus efficace pour prévenir la délit qu'on veut réprimer par les articles 23, 24 et 25, que d'exiger que l'électeur soit capable d'écrire son bulletin ou tout au moins de lire celui qu'on lui remet.

Je comprends qu'on considère ma proposition comme inefficace, ou trop radicale, mais comme étrangère à l'ordre d'idées du projet que nous discutons, je ne puis l'admettre. La question préalable, je le dis franchement, est un moyen d'enterrer ma proposition en lui faisant une oraison funèbre magnifique et qui ne coûtera même pas cher à ceux qui en seraient au fond les ennemis déterminés.

On pourra, ce qui est beaucoup moins compromettant que de voter radicalement contre, on pourra dire, grâce à la question préalable : l'amendement de M. Orts est parfait, mais pour aujourd'hui je n'en veux pas.

M. Coomansµ. - C'est cela.

M. Ortsµ. - Il serait difficile de dire tout haut : Je ne veux pas que, pour être électeur, on sache lire et écrire, je veux maintenir l'état de choses actuel au grand préjudice de la dignité du pays, au grand préjudice de la dignité et de l'indépendance de l'électeur.

Je me borne à ces simples observations. Elles me paraissent aller droit au cœur de la difficulté ; je craindrais d'abuser des moments de la Chambre si j'insistais davantage.

(page 1410) M. de Brouckereµ. - J'admets très volontiers qu'il y a d'excellentes choses à dire en faveur de l'amendement proposé par l'honorable M. Orts ; mais il me paraît évident à moi que cet amendement ne se rattache pas au projet de loi que nous discutons, et, en vérité, il faut tout l'esprit de l'honorable M. Orts pour trouver une corrélation directe entre son amendement et le projet de loi sur les fraudes électorales.

Cet amendement, messieurs, mais c'est une véritable réforme électorale ; ce n'est pas du tout une disposition ayant pour objet principal, soit d'empêcher, soit de punir les fraudes électorales.

Le véritable objet de ce projet de loi, c'est une réforme de notre législation en matière d'élections, et une réforme très importante.

M. le ministre de la justice a proposé la question préalable sur l'amendement de l'honorable M. Orts.et mon excellent voisin qui comptait combattre cet amendement, qui avait fait un travail que nous eussions sans doute, dans une autre circonstance, écouté avec le plus vif intérêt, l'honorable M. Jouret a parfaitement compris que la question préalable était soulevée très à propos.

M. Coomansµ - Allons donc !

M. de Brouckereµ. - Oh voulez-vous que nous allions ? Je demande à rester ici.

M. Coomansµ. - Celui-là ne vaut rien. Je demande la parole.

M. de Brouckereµ. - Messieurs, on cherche toujours à jeter de la défaveur sur la question préalable. L'honorable M. Orts vient encore de dire quel est le but de la question préalable : c'est, a-t-il dit, d'enterrer mon amendement sans se prononcer sur sa véritable valeur.

M. Ortsµ. - Au contraire, en disant qu'il est bon.

M. de Brouckereµ. - Je prie l'honorable AI. Orts de ne pas m'appliquer cette observation : je n'ai pas dit que son amendement était bon ; j'ai dit qu'on pouvait faire valoir des raisons très sérieuses en sa faveur ; mais je ne me suis pas prononcé sur le fond et j'ajoute que je ne suis pas à même de me prononcer en ce moment.

Je répète donc qu'on cherche à jeter de la défaveur sur la question préalable. Eh bien, ceux qui le font ne comprennent pas, qu'ils me permettent de le leur dire, le véritable sens de ce genre de propositions.

Que signifie la question préalable ? Le règlement dit qu'elle signifie qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

J'admets que quand on dit à l'auteur d'un amendement qu'on propose la question préalable parce que cet amendement est contraire à la Constitution, parce que cet amendement ne présente rien de très sérieux, parce que cet amendement est contraire à une disposition prise antérieurement ; j'admets, dis-je, qu'une question préalable ainsi motivée peut avoir quelque chose de fâcheux pour celui qui a présenté l'amendement,

Mais quand on dit à l'auteur d'une proposition : Nous n'entendons nous prononcer en rien sur sa valeur, mais nous trouvons que votre motion est inopportune ; nous trouvons qu'elle n'arrive pas à propos ; nous vous répondons en deux mots : non erat hic locus. Voilà aussi la seule chose qu'on répond en ce moment.

Que peut-il y avoir de fâcheux, de désobligeant là-dedans ? Absolument rien. Mais je vais plus loin et je dis que si l'on discutait aujourd'hui l'amendement de l'honorable M. Orts, je crois que cet amendement aurait bien peu de chance d'être adopté.

Eh bien, est-ce qu'un rejet serait plus avantageux à l'honorable M. Orts que l'adoption de la question préalable ? Evidemment non : si l'amendement était rejeté aujourd'hui, et beaucoup de personnes le rejetteraient, parce que le moment n'est pas venu de s'en occuper, il est évident qu'il y aurait contre la proposition de l'honorable M. Orts un véritable préjugé. Si, au contraire, la question préalable est adoptée, il n'y a aucune espèce de préjugé contre cette proposition, et l'honorable M. Orts pourra la représenter quand il le jugera à propos, c'est-à-dire en temps opportun ; il pourra la représenter sous forme d'un projet de loi spécial que nous examinerons avec toute l'attention qu'elle mérite.

Mais si la question préalable n'est pas adoptée sur l'amendement de l'honorable M. Orts, évidemment nous aurons à discuter aussi l'amendement de l'honorable M. Giroul, qui va bien plus loin que celui de l'honorable M. Orts. Nous aurons encore à examiner six ou sept amendements énumérés il y a quelques jours par M, le ministre de l'intérieur ; et, en vérité, nous arriverions à discuter un nouveau système électoral.

Or, messieurs, je me permets de le dire aux honorables membres de la droite, savez-vous quelle est la disposition qui sera examinée en même temps que celle de l'honorable M. Orts et qui aura le plus de chance de passer ? Ce sera le vote par ordre alphabétique.

M. Coomansµ. - Il faut donc que les électeurs sachent au moins l'alphabet.

M. de Brouckereµ. - Je doit reconnaître que le jeu de mots est très joli ; j'ajouterai même que presque tous les jeux de mots que fait l'honorable M. Coomans, et à coup sûr il ne nous les épargne pas, sont charmants.

M. Coomansµ. - Vous m'en inspirez beaucoup, M. de Brouckere.

M. de Brouckereµ. - J'en suis extrêmement charmé pour la chambre qui se récrie toujours beaucoup quand vous en faites. Vous possédez ce talent à un suprême degré ; mais cela n'avance en rien la discussion. Cela peut être très amusant mais cela n'est nullement utile.

Eh bien, je répète que si aujourd’hui on repousse la question préalable et si on examine à fond l'amendement de l'honorable M. Orts, évidemment nous examinerons à fond aussi la proposition relative au vote par ordre alphabétique ; et vous savez très bien que c'est en grande partie par esprit de conciliation que nous cherchons, moi le premier, je le déclare, à écarter cette discussion. Mais si vous voulez absolument une réforme électorale, si vous voulez absolument examiner à fond toutes les questions électorales qu'on soulèvera, eh bien, nous examinerons aussi celle-ci.

M. Coomansµ. - Je m'attendais à bien des genres d'oppositions à l'amendement de l'honorable M. Orts ; mais vraiment quoiqu'on nous en eût avertis, je ne croyais pas à la possibilité d'y opposer la question préalable. Soyons de bonne foi !...

M. de Brouckereµ. - Nous sommes tous de bonne foi.

M. Coomansµ. - Je me permets de faire encore cette invocation : Soyons de bonne foi et reconnaissons que lorsqu'on fait passer des électeurs par une armoire afin de leur permettre de changer des bulletins qui leur auraient été frauduleusement ou malicieusement remis, il faut exiger au moins qu'ils sachent lire et écrire.

L'amendement de l'honorable M. Orts a surgi du couloir ; cela me paraît évident. Supprimez ce couloir, cet absurde couloir, cet odieux couloir, cet injurieux couloir, qui est mon principal argument contre ; notre détestable loi ; parce qu'est la honte de la Belgique et du corps électoral de la Belgique. (Interruption.)

Supprimez cette étable impure à travers laquelle vous voulez faire passer des animaux sous le joug ; et alors supprimez l'amendement de i l'honorable M Orts. Mais quoi ! vous voulez que l'électeur puisse substituer un bulletin conforme à ses convictions à un autre bulletin qui lui aurait été remis, et vous ne vouliez pas qu'il sache, je ne dis pas lire et écrire, mais qu'il sache au moins l'alphabet.

Mais, messieurs, l'amendement de l'honorable M. Orts, je dois le dire, abstraction faite de toute espèce d'opinion qu'on peut avoir sur le fond de cette proposition, découle directement du projet de loi. Il en est la consécration formelle,

Je pourrais, étant hostile à votre couloir, l'être aussi à l'amendement de l'honorable M. Orts ; mais loyal avant tout, j'ai pris envers l'honorable M. Orts et envers la Chambre entière, l'engagement de me rallier à une proposition de loi qui exigerait la garantie de la lecture et de l'écriture. Eh bien, je suis fidèle à cet engagement et je voterai pour l'amendement, de l'honorable M. Orts,

M. J. Jouret. - Bien qu'il soit inconstitutionnel, vous l'avez dit.

M. Coomansµ. - Bien que cela soit au moins en apparence contraire à l'esprit de la Constitution. (Interruption.) Oui, c'est une question très discutable.

M. J. Jouret. - Vous l'avez dit d'une manière absolue.

M. Coomansµ. - Mais j'ajoute que je la tranche dans le sens de l'inconstitutionnalité.

Mais placez-vous à mon point de vue. Soyez convaincus, comme je le suis, que déjà 20 articles de la Constitution ont été violés ou tout au moins dénaturés en pratique, et que ce qui reste de la Constitution ne vaut pas la peine d'être conservé. (Interruption.)

MpVµ. - M. Coomans, vous ne pouvez dire cela. Retirez cette expression.

M. Coomansµ. - C'est mon appréciation personnelle.

MpVµ. - Gardez-la pour vous, M. Coomans, mais c'est très mal dit. Retirez cette expression ou expliquez-vous.

M. Coomansµ. - Alors vous devez me permettre d'indiquer un à un tous les articles de la Constitution que je crois avoir été violés, que je crois avoir été dénaturés depuis une vingtaine d'années.

MpVµ. - Vous ne pouvez pas ne pas respecter la Constitution que nous avons tous juré de respecter. Ainsi retirez ce que vous avez dit.

M. Coomansµ. - Une fois pour toutes, quand il m'arrivera de proférer un outrage ou une parole malsonnante ou de dire une sottise, ce qui peut arriver à tout le monde, je m'empresserai de me rétracter.

(page 1411) Mais quand j'exprime une opinion très consciencieuse quelle qu'elle soit, je la maintiendrai. Je prétends que la Constitution belge a été dénaturée, a été méconnue par plusieurs lois.

MpVµ. - Vous avez dit que ce qui en restait ne valait plus rien.

- Plusieurs membres. - Ne valait pas la peine d'être conservé.

M. Coomansµ. - Je proteste de toutes mes forces ; je n'ai pas dit cela. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - Oui ! oui !

MpVµ. - Vous avez dit : Ne valait pas la peine d'être conservé. Retirez ces mots.

M. Coomansµ. - Voulez-vous me permettre de dire deux mots ?

J'aurais dit que ce qui restait de la Constitution ne valait rien.

MpVµ. - Ne valait pas la peine d'être conservé.

M. Coomansµ. - La preuve que je n'ai pas dit cela, c'est que les trois quarts des membres de la gauche gardent le silence.

J'ai dit ceci, littéralement ceci : que dans mon opinion, ce qui restait debout de la Constitution, ne valait pas la peine de vous échauffer.

MpVµ. - Voici la sténographie : Ce qui reste de la Constitution ne vaut pas la peine d'être conservé.

M. Coomansµ. - Nous allons être d'accord. Si j'ai dit cela, je le rétracte ; car c'est une bêtise. Je dis que les paroles que vous m'attribuez et qui sont parfaitement inexactes, n'ont pas été prononcées par moi. Si vous croyez que je les ai prononcées, je les désavoue comme une bêtise.

MpVµ. - Les paroles sont retirées.

M. Coomansµ. - J'ai retiré vos paroles et pas les miennes.

On ne m'accusera pas de dire que la Constitution ne vaut rien, moi qui déplore les atteintes que je crois avoir été portées à la Constitution, moi qui voudrais la développer autant que possible.

Comment peut-on me prêter une pensée pareille à celle qui a préoccupé M. le président !

MpVµ. - J'ai reproduit les paroles recueillies par la sténographie.

M. Wasseigeµ. - Ce n'est pas la première fois que la sténographie se trompe.

M. Coomansµ. - On m'oppose la sténographie. Nous avons le droit, et c'est un droit que je réclame pour l'honneur de tous les membres de cette Chambre, de ne pas nous soumettre toujours à ce qu'on appelle le travail sténographique. Le travail sténographique est quelquefois très incorrect.

- Plusieurs membres. - Nous avons tous entendu vos paroles.

M. Coomansµ. - Je n'accepte pas la sténographie comme étant toujours la reproduction fidèle de ce qui se dit ici. Comment ! le Moniteur d'avant-hier me fait dire que j'ai proposé à la Chambre de joindre 100,000 campagnards aux 100,000 électeurs belges aujourd'hui en exercice. Je n'ai pas prononcé ces mots ; j'ai dit : 100,000 compagnons. (Interruption.)

Mais c'est très différent ; on se sert de cette singulière faute pour me faire dire que je veux ajouter 100,000 conducteurs de charrue aux 100,000 électeurs actuels.

- Plusieurs membres. - A la question !

MpVµ. - Nous sommes à la question préalable sur la proposition de M. Orts.

M. Coomansµ. - Oui, et à la question de la sténographie.

Il me semble que l'amendement de l'honorable M. Orts vient très à propos dans la discussion qui nous occupe. Il est impossible de le méconnaître et je suis très disposé à croire avec un honorable membre qu'il y a vraiment dans la question préalable, ainsi posée, un manque de franchise, une tactique, un moyen de ménager un peu la chèvre et le chou.

On n'ose pas refuser net d'appuyer l'amendement véritablement libéral, dans le bon sens du mot, de l'honorable M. Orts. Il serait cependant très simple de voter contre. Ce serait beaucoup plus vite fini que de nous faire discuter longuement la question préalable.

On nous propose la question préalable, dit-on, pour nous faire gagner, du temps et vous voyez qu'on en perd.

Puisque la majorité est disposée à voter le projet tel qu'il a été proposé, pourquoi ne pas voter contre l'amendement de l'honorable M. Orts ? Cela serait plus moral ; cela éclairerait les électeurs sur une question depuis longtemps discutée et je dois même dire vidée dans l'opinion publique.

Je regrette seulement que l'honorable M. Orts n'ait pas été un peu plus loin.

- Un membre. - C'est le fond.

M. Coomansµ. - C'est l'amendement de l'honorable M. Orts que nous discutons, je crois.

MpVµ. - C'est la question préalable.

M. Coomansµ. - Eh bien, la question préalable vient d'autant plus mal à propos, selon moi, qu'il y aurait lieu de compléter l'amendement de l'honorable M. Orts et d'aller jusqu'à effacer des listes électorales tous les électeurs illettrés. Je suis prêt à aller jusque-là, et alors je serai logique et la chambre obscure dont je vous entretenais tout à l'heure ne sera plus un non-sens.

Messieurs, je tiens d'autant moins à m'étendre sur la chambre obscure...

MpVµ. - Nous ne sommes pas dans la chambre obscure ; nous sommes dans la discussion de la question préalable.

M. Coomansµ. - Mais, M. le président, s'il faut rester absolument dans la question préalable, alors il n'y a plus de discours à faire et l'on peut en finir par un oui ou un non. Je répéterai seulement ce que j'ai déjà eu l'honneur de dire, que la question préalable et surtout l'abus de la question préalable est tout simplement la négation du régime représentatif. On veut, par l'abus de la question préalable, nous ramener aux chambres antérieures à 1830, alors qu'il fallait voter en bloc un projet de loi sans amendement aucun.

Au lieu de la question préalable, qu'on mette simplement aux voix l'amendement de l'honorable M. Orts, et nous verrons alors jusqu'à quel point on est sincère, lorsqu'on présente sans cesse les électeurs d'une certaine opinion comme des obscurantins, alors même qu'ils ne tiennent pas à passer par la chambre obscure de la section centrale.

M. Hymans. - Messieurs, je viens combattre la question préalable ; mais je me garderai bien de suivre l'honorable M. Coomans sur le terrain où il s'est placé ; je ne l'y suivrai pas, pour plusieurs raisons. D'abord, l'honorable M. Coomans a rendu un très mauvais service à l'amendement de l'honorable M. Orts, en le défendant comme il l'a fait.

Je trouve que les arguments que l'honorable M. de Brouckere a fait valoir contre la proposition lui sont plus favorables que ceux que l'honorable M. Coomans a fait valoir en sa faveur.

On dirait vraiment que l'honorable membre est d'accord avec les adversaires de l'amendement pour le discréditer, puisque le premier argument qu'il produit en faveur de la proposition et qu'elle est inconstitutionnelle et absurde.

L'honorable M. de Brouckere disait tout à l'heure, j'ai noté ses paroles, qu'il fallait tout l'esprit de l'honorable M. Orts pour démontrer qu'il y avait une corrélation entre son amendement et le projet de loi. Je trouve qu'il faut infiniment plus d'esprit, et cet infiniment plus, l'honorable M. de Brouckere le possède, pour démontrer que l'amendement ne se rattache pas directement à la loi.

L'article 2 dit ceci : « Les votes seront donnés par écrit sur des bulletins de forme carrée, etc. » Je suppose que l'honorable M. Orts vienne nous proposer d'amender cet article en ce sens que les bulletins seraient écrits par les électeurs en présence du bureau ; prétendra-t-on que cet amendement ne se rattache pas à la loi en discussion ?

L'honorable M, Orts disait dans une disposition additionnelle, que l'article ne sera mis en vigueur qu'à partir d'une certaine époque, pour ne pas rayer des listes électorales des citoyens qui y sont actuellement inscrits ; viendrez-vous prétendre que cet amendement ne se rattacherait pas directement au projet de loi et à l'article en discussion ?

S'il me plaisait à moi, je dirai dans un autre moment pourquoi je ne le fais pas, s'il me plaisait à moi de vous proposer de dire : « Les votes seront donnés à haute voix ; le vote sera public, » comme on fait en Angleterre, ce qui, d'après moi, serait plus conforme à la dignité du corps électoral ; prétendriez-vous que cet amendement ne se rattache pas à la loi en discussion ? Et viendriez-vous opposer à l'amendement la question préalable ? (Interruption.)

Permettez ; quel est le principe de la loi ? C'est la nécessité de prévenir et de réprimer les fraudes électorales. Or, l’honorable M, Orts est d'avis que le meilleur moyen de prévenir les fraudes électorales, c'est d'obliger chaque électeur à écrire lui-même son bulletin, et cela n'est pas en relation directe avec la loi ! Il faut avoir tout l'esprit de l'honorable M. Orts pour découvrir une relation intime entre ces deux choses. Franchement, messieurs, cela n'est pas sérieux.

J'ai voté jusqu'à présent la question préalable sur plusieurs amendements. J'ai voté la question préalable sur l'amendement de l'honorable M. Delcour qui était une modification à la loi provinciale, J'ai voté la (page 1412) question préalable sur l'amendement de l'honorable M. Giroul, qui réduisait l'âge exigé pour être électeur et qui n'était pas un amendement d'application générale, puisqu'il y a pour la commune des électeurs de 21 ans. J'ai voté la question préalable sur ces divers amendements, parce qu'ils ne se rattachaient pas à la loi en discussion, parce qu'ils n'impliquaient pas des moyens de prévenir ou de réprimer les fraudes électorales. Mais l'amendement de l'honorable M. Orts va directement au cœur de la question, et je défie que l'on en présente un autre qui se rattache plus étroitement aux principes du projet que celui de mon honorable ami.

Veuillez remarquer, messieurs, que tous les amendements qui sont présentés par la section centrale et contre lesquels le gouvernement n'invoque pas la question préalable sont des changements tout aussi positifs et aussi directs à la loi électorale que l'amendement de l'honorable M. Orts. Le projet du gouvernement n'est lui-même d'un bout à l'autre qu'une série d'amendements introduits dans la loi électorale.

L'honorable M. de Brouckere dit qu'il n'y a pas de préjugé contre la proposition de l'honorable M. Orts ; je le veux croire ; il rencontre des partisans sur plusieurs bancs de cette Chambre, mais s'il n'y a pas de préjugé contre la proposition, à mes yeux il y a un préjugé évident contre toute idée d'une réforme électorale, à réaliser aujourd'hui, ou même dans un avenir prochain.

Vous me répondrez que l'opinion publique ne demande pas en ce moment une réforme électorale.

C'est là une question à examiner. Mais il est certain que sur différents points du royaume, dans beaucoup d'associations politiques, de la part de beaucoup de bons esprits, il s'est produit des idées tantôt utiles et sérieuses, tantôt absurdes et ridicules. C'est précisément une raison pour les discuter.

C'est en les discutant dans cette Chambre, que nous éclairerons le pays, que nous lui montrerons ce qu'il y a de vrai et de sérieux dans certains projets, ce qu'il y a d'absurde et d'impraticable dans certaines utopies.

A mon avis, les adversaires de la proposition de l'honorable M. Orts, ceux qui désirent que la Chambre la repousse au vote, ceux qui croient, comme l'honorable M. de Brouckere, qu'elle n'a aucune chance d'être adoptée, devraient précisément pour cela désirer qu'elle soit discutée immédiatement ; ils prouveront que la proposition est absurde, inconstitutionnelle, et ils seront bien certains de triompher au vote. Mais en attendant nous aurons fait chose utile en examinant certaines questions qui sont à l'ordre du jour de l'opinion publique. La question de la réforme électorale préoccupe incontestablement le pays ; c'est une raison suffisante pour que je vote contre la question préalable.

M. Giroulµ. - Messieurs, je suis également opposé à la question préalable, et j'ai pour cela différents motifs à invoquer qui n'ont pas été invoqués jusqu'à présent.

Je ne suivrai pas l'honorable M. Coomans dans les considérations qu'il a fait valoir, considérations qui tendraient plutôt à faire rejeter l'amendement de l'honorable M. Orts. Mais je ferai remarquer à la Chambre, et cette considération me paraît de nature à démontrer que la question préalable ne peut être opposée à la proposition de l'honorable membre, je ferai remarquer que l'examen des différents systèmes qui se sont produits, et notamment l'examen du système de l'honorable M. de Smedt, y supposent l'existence d'électeurs ayant la connaissance de la lecture et de l'écriture.

- Un membre. - De la lecture.

M. Giroulµ. - De la lecture tout au moins. Mais quand on sait lire on sait toujours écrire.

- Plusieurs membres. - Pas toujours.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - En général.

M. Giroul.—Je me permets de faire remarquer que non seulement la nécessité de savoir lire et écrire doit exister dans le système du couloir, pour qu'il ait l'efficacité qu'on lui attribue, mais que cette nécessité existe aussi dans le système de l'honorable M. de Smedt, et même dans le système de l'honorable M. Hymans quant aux bulletins imprimés. Sans cela, comment voulez-vous que l'électeur distingue les différents bulletins qui lui seront remis ? Comment voulez-vous qu'il puisse émettre un vote en toute conscience et à l'abri de toute influence.

Notez bien que d'après l'amendement présenté par l'honorable M. Hymans, tous les bulletins imprimés le seront d'une manière identique, et sur un type fourni par le gouvernement. Il serait par conséquent impossible à l'électeur ne sachant ni lire ni écrire de les distinguer.

Eh bien, dans ces conditions, il est évident que la question de savoir s'il faut exiger chez les électeurs la connaissance de la lecture et de l'écriture est une des questions fondamentales du projet de loi, cette condition, en effet, est essentielle pour l'application de différents moyens que l'on produit pour faire disparaître les fraudes électorales.

Sur quoi porte le projet ? Sur des moyens préventifs d'abord ; sur des moyens répressifs ensuite. L'ensemble du projet forme une série d'amendements à différentes lois en vigueur et notamment à la loi électorale.

Les moyens préventifs ont pour but de chercher à assurer chez les électeurs deux choses : le secret du vote d'abord et en second lieu l'indépendance. On diffère sur les moyens, mais l'on est d'accord sur le but à réaliser.

Eh bien, pour vous décider quant à la question préalable, vous avez simplement à vous demander si pour parvenir à ce secret du vote, si pour parvenir à cette indépendance des électeurs, la connaissance de la lecture et de l'écriture n'est pas nécessaire. On peut différer d'opinion à cet égard ; mais il est évident que l'on ne peut dire que l'examen d'une question semblable ne se rattache pas directement à l'ordre d'idée dont je viens de parler.

Voilà une considération qui me paraît très puissante et de nature à faire écarter la question préalable qui est opposée à la proposition de l'honorable M. Orts.

M. de Brouckereµ. - Messieurs, pour combattre la question préalable, mon honorable ami M. Hymans a démontré que l'auteur de l'amendement aurait pu le formuler d'une manière beaucoup plus simple et l'infiltrer en quelque sorte dans la rédaction du gouvernement. Il a parfaitement raison, mais qu'il veuille bien me dire ce que fait la forme ici ? qu'est-ce que cela fait à la question que l'amendement eût pu être rédigé en d'autres termes, et qu'il eût pu être l'objet d'une infiltration ? Ce n'est ni la formule, ni l'infiltration que j'ai en vue, c'est l'objet et le but de l'amendement.

Or, quel est l'objet, quel est le but de l'amendement ? C'est la réforme de la loi électorale. Remarquez-le bien, l'honorable M. Hymans l'a dit lui-même, il l'a dit carrément, sans hésitation. Il a dit : Vous avez peur de la réforme électorale. Mais ne voyez-vous pas qu'une grande fraction du pays demande cette réforme ?

Je ne dis pas que le pays l'attend ; je ne vais pas jusque-là. Mais vous ne pouvez pas nier qu'une certaine partie du pays demande la réforme électorale. Pourquoi reculez-vous devant le désir d'une fraction du pays ?

Messieurs, je recule momentanément devant ce désir, parce que nous sommes saisis, non pas d'une loi sur la réforme électorale, mais d'une loi ayant uniquement pour but de prévenir et de réprimer les fraudes électorales et que vous sortez complètement du cadre de cette loi.

Ainsi donc, je suis d'accord avec les honorables adversaires à la question préalable, qu'il s'agit ici d'une disposition qui est une véritable réforme électorale.

Messieurs, on se récrie beaucoup, et en termes très violents, contre ce couloir, qu'on appelle un affreux couloir, un honteux couloir, un couloir ignoble.

M. Guilleryµ. - Ce sont des mots.

M. de Brouckereµ. - Ce sont des mots, comme le dit l'honorable M. Guillery. Ce sont là des mots auxquels on pourrait opposer d'autres mots. Mais je fais mieux que cela : appelez-le affreux ou charmant, cela m'est absolument égal. Je ne tiens pas au couloir. Mais savez vous à quoi je tiens et à quoi je tiens ici, toujours et partout ? C'est à ne porter aucune atteinte à la Constitution. Or, remarquez-le bien, et ceci n'est pas de la discussion, c'est un fait patent.

M. Reynaertµ. - Ce n'est pas la question préalable.

M. de Brouckereµ. - J'entends un honorable membre de la droite dire que je ne suis pas dans la question.

M. Coomansµ. - Vous étiez dans le couloir, comme moi.

M. de Brouckereµ. - Si le couloir est établi, j'y passerai quand je voterai. S'il n'est pas établi, je ne le regretterai pas. Mais je dis que la proposition de l'honorable M. Orts a pour effet immédiat d'ôter à un certain nombre d'électeurs, qui, en vertu de la Constitution, ont le droit de voter, l'exercice de ce droit. La proposition de l'honorable M. Orts est une nouvelle condition imposée pour pouvoir voter. Cette proposition dit : A l'avenir il ne faudra pas seulement avoir 25 ans et être Belge ; il faudra savoir écrire soi-même son bulletin, et ceux qui ne sauront pas remplir cette condition, ne pourront, malgré les termes exprès de la Constitution, exercer leurs droits.

Eh bien, c'est là, permettez-moi de vous le faire remarquer, une disposition des plus sérieuses, des plus importantes, une disposition que (page 1413) nous ne pouvons discuter d'une manière accidentelle, à l'occasion d'un projet de loi sur les fraudes électorales.

Quand le couloir viendra à son tour, nous en parlerons, mais quand il s'agit d'une proposition qui ne se rattache pas à la loi et qui a une portée immense, je persiste à soutenir la question préalable.

L'honorable M. Hymans dit : « Pourquoi insistez-vous sur la question préalable ? Mais votez tout simplement contre la proposition. » Oh, ! je le ferais volontiers s'il n'y avait pas d'autres amendements ; mais je l'ai dit, si nous ne votons pas la question préalable sur la proposition de M. Orts, nous ne pouvons plus la voter sur aucun amendement. (Interruption.) On demande pourquoi ? Mais parce qu'il n'en est aucun auquel la question préalable s'applique davantage.

M. Guilleryµ. - Messieurs, il y a un point sur lequel nous étions tous d'accord hier, et sur lequel nous sommes tous d'accord aujourd'hui, c'est le droit de la Chambre de ne pas opposer la question préalable à un amendement qui s'éloigne même beaucoup de la question principale : ce droit n'est pas contesté. La question à résoudre est uniquement de savoir s'il est opportun de faire usage de notre droit.

Lorsqu'une question qui ne se rattache pas nécessairement à la loi nous paraît exiger une très longue étude ou ne nous paraît pas en état d'être discutée actuellement, alors nous prononçons la question préalable ; maïs cette décision ne nous oblige pas le moins du monde à ne pas voter la question préalable sur d'autres amendements. Ce n'est pas une question de droit, c'est une question de fait.

Remarquez, messieurs, que depuis 1859, époque où l'on a commencé à discuter la question qui nous occupe, notamment lors de l'annulation de l'élection de Louvain, chaque fois que nous avons demandé une réforme on nous a toujours ajourné à la loi que nous discutons actuellement.

- Une voix à droite. - C'est vrai.

M. Guilleryµ. - Eh bien, nous répondons aujourd'hui à cette invitation et nous faisons nos propositions.

Quant à la proposition de M. Orts, elle ne pourrait jamais venir plus à propos que dans la discussion d'un projet de loi, qui se réduit en réalité à chercher les moyens d'émanciper l'électeur. Il s'agit de savoir si l'électeur sera, oui ou non, affranchi du contrôle qui enchaîne sa liberté, s'il pourra faire ce qu'il veut. Or, la première condition de l'indépendance de l'électeur, c'est qu'il puisse lire, c'est qu'on ne puisse pas lui dire (ce que le projet de loi a pour but d'empêcher), voilà un bulletin catholique, quand on lui donne un bulletin libéral, ou bien voilà un bulletin libéral quand on lui donne un bulletin catholique. L'électeur qui ne sait pas lire n'est pas à même de se mettre en garde contre de semblables fraudes.

Je le demande, messieurs, est-il possible qu'une proposition se rattache plus intimement à celle qui nous est soumise ? Parlons franchement, n'est-il pas vrai qu'il n'est pas un membre de cette Chambre qui, s'il voyait dans un amendement quelconque le moyen infaillible de prévenir les fraudes électorales, voulût l'écarter par la question préalable ? Eh bien, ceux qui considèrent l'amendement de M. Orts comme bon, utile, nécessaire, voteront contre la question préalable, j'en suis convaincu.

M. Nothombµ. - Je voterai contre la question préalable parce que j'ai constamment désapprouvé des mesures de ce genre et surtout parce que je suis favorable à la proposition de l'honorable M. Orts.

Je repousse la question préalable car il n'est pas de proposition qui s'applique plus directement, plus intimement au projet de loi que celle de l'honorable membre. Le projet de loi s'occupe des fraudes électorales ; il a pour but de les réprimer, c'est sa raison d'être ; beaucoup de ces fraudes ne peuvent s'accomplir qu'en spéculant sur l'ignorance ou l'inintelligence de l'électeur, cela est incontestable. D'un autre côté, il est tout aussi certain que la faculté chez l'électeur de savoir lire et écrire rend ces fraudes, sinon impossibles, au moins bien plus difficiles et plus rares. Il est donc évident que la proposition que nous soutenons se rattache tout particulièrement et expressément au projet de loi, et que la question préalable ne saurait lui être opposée.

On a fait à la proposition un autre reproche devant lequel il faudrait nécessairement s'arrêter s'il était fondé : on a dit qu'elle est contraire à la Constitution ou tout au moins qu'elle en méconnaît l'esprit.

- Un membre. - C'est la fraude.

M. Nothombµ. - Permettez : tout le monde a parlé de cela ; laissez moi en dire seulement deux mots. S'il m'était démontré, dis-je, que la proposition de l'honorable M. Orts est contraire à la Constitution je voterais certainement et incontinent la question préalable. Je reconnais volontiers messieurs, que sur ce point on peut avoir des doutes, j'ajoute même qu'ils se sont présentés à mon esprit. Mais de l'examen de la question, je le déclare, est résulté, pour moi, la conviction que la Constitution n'est en rien froissée par la proposition.

Je ne veux pas me livrer en ce moment à une discussion prolongée à cet égard ; cela me mènerait trop loin ; je me bornerai à faire remarquer que l'article 49 de la Constitution porte que la loi fixe les conditions de l'électorat. Il n'y a qu'un seul principe qui soit décidé par la Constitution, c'est le minimum du cens et l'article 49 laisse au législateur le soin et le droit de fixer toutes les autres conditions qu'il jugera convenables.

Telle est sur ce point mon opinion ; je ne prétends l'imposer à personne, mais je tenais à l'indiquer de suite.

Ainsi la proposition n'étant ni inopportune ni inconstitutionnelle, ces deux prétendus griefs ne peuvent justifier la question préalable.

On dit encore (et c'est principalement l'honorable M. de Brouckere qui vient d'insister sur cette considération), on nous dit : « Prenez garde, la proposition de M. Orts est excessivement grave, elle cache les tempêtes, elle recèle dans son flanc un acheminement vers la réforme électorale. Si vous l'adoptez, vous ouvrez la porte à cette réforme. »

Eh bien, messieurs, je veux être franc : une pareille question ne comporte pas d'équivoque. Ce ne serait ni bon ni digne pour personne. Je déclare donc qu'à mon sens il en est ainsi. Oui, la proposition est un pas vers la réforme électorale et c'est pour cela que je l'appuie. Depuis plusieurs années je saisis chaque occasion qui s'offre à moi de convier la Chambre à s'occuper, à se préoccuper du moins de la réforme électorale. Et aujourd'hui plus que jamais les esprits se portent vers l'extension du droit de suffrage ; c'est un des besoins de notre époque. Il faudrait être aveugle pour le nier. Cela est incontestable ; à cet égard, le mouvement des idées est manifeste. Cette aspiration de l'opinion, si puissante et si légitime à la fois, se fait jour dans tous les pays, sons toutes les formes, en Angleterre, en Espagne, partout enfin il y a une tendance, irrésistible qui commande l'extension du droit de suffrage, c'est-à-dire la participation d'un plus grand nombre à la qualité de citoyen. Or, je crois qu'il est non seulement juste, mais prudent et prévoyant de la part du législateur, de céder graduellement à cette exigence de notre temps. Il importe d'élargir les bases électorales, lentement, successivement, dans les limites de la Constitution. L'immobilité n'est pas toujours la sagesse politique.

Pour conjurer les périls de l'avenir, il importe d'appeler au droit électoral, qui est la véritable souveraineté nationale, le plus qu'il se peut d'individualités ; c'est le vrai moyen de les intéresser à l'ordre, à la chose publique, à la conservation de nos institutions.

C'est une conviction la plus profonde, la plus absolue.

Pour moi, messieurs, je me persuade que le temps viendra où la capacité électorale ne se mesurera plus à la valeur monétaire d'un homme mais à sa valeur morale et intellectuelle. C'est le régime des sociétés modernes et, selon moi, la conséquence obligée des principes sur lesquels elles reposent.

Voilà pourquoi surtout j'appuie la proposition de l'honorable M. Orts. On lui fait enfin le reproche d'exclure dès maintenant un certain nombre d'électeurs du droit de suffrage. C'est une erreur. L'honorable membre a déjà répondu qu'il ne donnait pas à sa proposition d'effet rétroactif et il maintient les droits des électeurs actuels.

L'honorable M. de Brouckere a terminé ses observations par une sorte de menace. Songez-y bien, a-t-il dit, vous allez autoriser l'adoption de l'ordre alphabétique. Je ne sais pas jusqu'à quel point la Chambre sera sensible à un pareil argument ni se laissera influencer par la perspective des représailles. Ce ne serait pas digne d'elle.

Examinons la proposition en elle-même et apprécions-la par sa valeur propre.

La question de l'ordre alphabétique viendra après si l'on veut et la Chambre l'appréciera à son tour ; mais n'opposons pas une fin de non-recevoir à une proposition aussi opportune, aussi progressive, aussi sagement conservatrice que celle de mon honorable collègue.

M. Dumortier. - Messieurs, je regrette vivement de ne pas me trouver de l'opinion de mon honorable ami qui vient de se rasseoir et de devoir combattre ses idées, mais je suis porté par les précédents de cette discussion et par ceux de toute ma vie à voter pour la question préalable.

Je dis que le parti conservateur ne doit pas devenir un parti radical, qu'il doit rester le parti conservateur, et je ne suis pas du tout partisan de toutes ces réformes électorales aventureuses qui sont tout à fait contraires à la nature de l'opinion à laquelle j'appartiens.

Je donne cette explication à la Chambre et au pays afin qu'on ne puisse (page 1414) pas penser que j'ai modifié les opinions de toute ma vie, depuis qu'un fait s'est présenté que vous connaissez tous.

Je me pose ici deux questions.

La proposition faite par l'honorable M. Orts est-elle juste, est-elle pratique ?

- Une voix. - C'est le fond.

M. Giroulµ. - Il s'agit de savoir si elle se rattache au projet de loi.

M. Dumortier. - C'est précisément ce que j'examine. Quand je demande si elle est juste, je demande si elle se rattache au projet de loi.

M. Giroulµ. - Elle peut être très juste et ne pas s'y rattacher.

M. Dumortier. - C'est votre manière de voir, mais vous tolérerez, j'espère, que je développe la mienne.

MpVµ. - Nous sommes dans la question préalable.

M. Dumortier. - Je crois que tout le monde en est quelque peu sorti et je ne vois pas pourquoi l'honorable M. Giroul veut absolument m'enfermer dans une seule question et ne pas me permettre d'examiner ce que tous les autres ont examiné.

Je crois que la question préalable doit être admise par d'autres motifs peut-être que ceux qui ont été indiqués, et vous me permettrez, je pense, de les expliquer.

Je crois aussi que cette proposition ne se rattache pas à la loi. Ce n'est pas une question de fraudes électorales, mais pour moi il y a encore deux autres motifs de l'écarter.

Je concevrais la proposition de l'honorable M. Orts si, comme autrefois en France, l'électeur était tenu d'écrire son bulletin. A quoi sert de forcer l'électeur à savoir lire et écrire pour la répression des fraudes électorales, alors qu'il n'est pas tenu d'écrire son bulletin lui-même.

Ce n'est pas tout. Vous voulez empêcher les fraudes électorales. Eh bien, le premier moyen de fraude électorale, c'est la connaissance des écritures. Vous voulez que le bulletin reste secret. Or, chaque homme qui sait lire et écrire, quand il reçoit une lettre, n'a pas besoin de la décacheter pour savoir de qui elle vient. (Interruption.)

Quant à moi, quand je reçois une lettre je vois de suite de qui elle me vient.

Le moyen le plus facile de connaître le votant c'est de connaître l'écriture est c'est pour cela précisément qu'on n'a voulu que le bulletin fût écrit pour assurer le secret du vote. (Interruption.)

Ce n'est pas tout.

Je voudrais bien savoir quelle est l'organisation de cette disposition.

M. Baraµ. - Vous discutez le fond.

M. Dumortier. - Je vous le demande, qui va constater que l'on sait ou que l'on ne sait pas écrire ? Cela n'est point pratique, cela n'est point exécutable, et je crois qu'il n'y a qu'une seule chose possible : c'est la question préalable.

- Plusieurs membres. - La clôture !

MpVµ. - La clôture est demandée.

M. Kervyn de Lettenhoveµ (contre la clôture). - Après les explications données par le dernier préopinant, je désire expliquer aussi le vote que je compte émettre et qui pourrait présenter un sens ambigu.

- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez ! ;

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - D'après les paroles qui viennent d'être prononcées par plusieurs honorables préopinants, qui tous déclarent voter pour la question préalable, mon vote pourrait être considéré comme un acte d'adhésion à l'amendement de l'honorable M. Orts.

Quant à moi, je tiens à déclarer que je repousserai la question préalable pour maintenir dans son intégrité la prérogative parlementaire. Mais si la question préalable est écartée, je me réserve le droit d'examiner quant au fond l'amendement de l'honorable M. Orts.

- Plusieurs membres. - Cela va de soi.

- La discussion est close.

II est procédé à l'appel nominal.

84 membres y prennent part.

36 répondent oui.

48 répondent non.

En conséquence la question préalable n'est pas adoptée.

Ont voté l'adoption :

MM. Lesoinne, Lippens, Moreau, Orban, Rodenbach, Rogier, Tack, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Wambeke, Vermeire, Warocqué, Allard, Braconier, Bricoult, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, de Moor, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Theux, Dolez, Dumortier, Frère-Orban, Grosfils, Jacquemyns, J. Jouret, M, Jouret, Julliot, Lange et Ernest Vandenpeereboom.

Ont voté le rejet :

MM. Magherman, Mouton, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pirmez, Reynaert, Schollaert, Thienpont, Thonissen, Valckenaere, Vanden Branden de Reeth, Van Humbeeck, Van Nieuwenhuyse, Verwilghen, Wasseige, Bara, Bouvier-Evenepoel, Carlier, Coomans, de Coninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Naeyer, de Rongé, de Terbecq, de Vrière, Devroede, Dewandre, Dupont, Elias, Funck, Giroul, Goblet, Guillery, Hymans, Jacobs, Janssens, Jamar, Kervyn de Lettenhove, Landeloos et Laubry.

MpVµ. - La discussion s'ouvre donc sur l'amendement de M. Orts.

Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. J. Jouret. - Je la demande.

- Voix nombreuses. - A demain !

- D'autres voix. - Non, non, parlez !

M. J. Jouret. - La question a été traitée au fond par tout le monde à propos de de la question préalable. (Interruption.)

Il me semble qu'il y a dans une certaine partie de la Chambre un désir extrême de prolonger cette discussion, je ne sais dans quel but. Je crois sincèrement que l'amendement de M. Orts n'a pas de chance d'être adopté si on le discute, et puisque la Chambre se montre désireuse d'en finir, je demande qu'il me soit permis de dire en deux mots quelle serait l'essence de mon discours si je le prononçais.

M. Coomansµ. - Mais pourrait-on vous répondre ?

M. Guilleryµ. - Evidemment.

M. J. Jouret. - Il en sera à cet égard ce que voudra la Chambre, M. Coomans. J'avais fait remarquer d'abord que l'amendement de M. Orts, s'il n'est pas essentiellement inconstitutionnel, a un caractère d'inconstitutionnalité tel que tout homme qui, comme l’honorable M. Coomans, reconnaît sans hésiter qu'il est inconstitutionnel, ne doit pas le voter ; j'aurais prouvé que l'amendement était inconstitutionnel en expliquant le sens des articles 47 et 49 combinés de la Constitution et en disant quelle portée doit avoir dans cette question la proposition que M. Seron a produite au Congrès lors de la discussion de la loi électorale. Cette proposition prouve que la motion de M. Orts est entachée d'un véritable cachet d'inconstitutionnalité.

La seconde partie de mon discours aurait pour but de démontrer que la mesure proposée par M. Orts est inadmissible, qu'elle est dangereuse ; mais vous comprenez, messieurs, que cela me mènerait nécessairement à d'assez longs développements, et dans la situation actuelle je crois devoir renoncer aux observations que j'avais à faire. Plus tard et si la proposition n'est pas aujourd'hui l'objet d'un vote, je verrai s'il me conviendra de reprendre la parole.

MpVµ. - Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. Ortsµ. - Je la demande.

Je ne comptais pas prendre la parole sur le fond après des observations aussi sommaires que celles de M. Jouret. Je m'attendais à voir faire à ma proposition beaucoup d'autres objections que j'ai prévues et auxquelles je devrai nécessairement donner une réponse, sous peine de jouer ici un rôle de dupe, c'est-à-dire sous peine de consentir à me laisser condamner sans avoir réclamé le droit de me faire entendre. La position m'est imposée et je la subis, la Chambre me pardonnera le décousu de mes paroles.

Je constate d'abord un fait ; je rappelle un souvenir. Il y a précisément 70 ans jour pour jour, une assemblée des plus sages, des plus libérales et des plus éclairées, une assemblée sérieusement démocratique, mais démocratique dans le bon sens du mot, ayant l'intention de fonder des institutions populaires, sans vouloir aller jusqu'à l'anarchie, la Convention nationale, la bonne, celle qui venait de se défaire du terrorisme en abattant Robespierre, entreprenait de consolider en France le règne de la liberté sage. Elle inscrivait dans l'article de la constitution réglant l'exercice du droit électoral, que la condition de savoir lire et écrire serait désormais la condition sine qua non de l'habileté à voter. Elle l'inscrivait au mois de juillet 1795 dans une constitution, sans soulever presque d'opposition. Elle l'inscrivait chez un peuple sortant d'une révolution, chez un peuple qui reconnaissait lui-même, par l'organe de ses représentants, n'avoir pas d'écoles.

L'ancien régime, tué par 1789, refusait au peuple, en effet, l'instruction. Et devant cette situation, que nous ne connaissons pas, la Convention se bornait à suspendre, pendant six ans, l'exécution de la (page 1415) disposition nouvelle. Et nous, fils de ces hommes, nous, attachés aux mêmes idées de liberté et de progrès, nous qui avons sur eux l'immense avantage de posséder une instruction primaire largement organisée depuis de longues années, nous n'oserions pas exiger, je ne dis pas du peuple, mais d'électeurs censitaires qui ont pu, depuis l'organisation de l'enseignement primaire, se donner de l'instruction pour leur argent, nous n'oserions pas exiger en 1865 ce qu'on exigeait en 1795 en France ! Avons-nous donc si singulièrement dégénéré depuis soixante-dix ans, que ce qui n'effrayait pas nos pères nous effraye aujourd'hui ?

Ma proposition est inconstitutionnelle, dit-on. Et pourquoi ? Parce que je demande à l'électeur de fournir avant de voter une garantie de plus que les garanties inscrites dans la loi actuelle ?

Mais, messieurs, si la Constitution devait être interprétée comme l'interprète M. Jouret dans ses scrupules, je m'empare, pour lui répondre, de paroles de M. Nothomb, la Constitution vous aurait défendu de mettre dans la loi électorale aucune espèce d'exclusion ou de condition autre que le payement du cens, seul inscrit dans la Constitution.

Si la Constitution renferme toutes les conditions exigibles d'un électeur, où donc avez-vous trouvé le droit d'empêcher un citoyen de 21 ans, qui paye le cens, d'être électeur pour la Chambre ?

De quel droit chassez-vous un majeur de l'urne électorale ? Vous le faites parce que vous avez cru qu'il fallait une garantie de maturité d'esprit, garantie dont la Constitution ne parle pas. Je vous demande, moi, une garantie de capacité.

De quel droit excluez-vous de l'urne l'électeur qui, par suite d'une condamnation ou d'un état de faillite, est déclaré indigne du droit de vote ; est-ce dans la Constitution par hasard que vous lisez cette restriction ? Non.

Mais cet homme manque de garanties de moralité. Vous les avez trouvées constitutionnelles et nécessaires et vous avez bien fait. Je vous demande des garanties de capacité à côté des garanties de moralité.

La Constitution ne peut pas être, vous le voyez, interprétée vainement dans le sens restrictif qu'on lui prête.

On me dira qu'à une époque rapprochée de la Constitution on a repoussé une proposition analogue à la mienne.

Je le sais. Mais pourquoi ? parce qu'on était à cette époque dans une situation où l'instruction populaire était loin de se trouver dans les conditions heureuses où elle est aujourd'hui.

M. J. Jouret. - On était sous l'impression des souvenirs du Congrès.

M. Ortsµ. - On était sous l'impression des souvenirs du Congrès, dit l'honorable M. Jouret ; mais on était en même temps très loin de l'époque où l'instruction primaire a été organisée en Belgique, de manière à en répandre les bienfaits sur toute la surface du pays.

Maintenant, messieurs, que l'honorable M. Jouret veuille bien me répondre, s'il juge à propos de persister dans son opposition, à l'objection que voici ; Lorsque nous avons, en 1859, lui et moi, voté la loi organique du conseil de prud'hommes, nous avons appelé à l'électorat, au droit de choisir leurs mandataires spéciaux tous les ouvriers du pays, à la condition qu'ils sachent lire et écrire (interruption). L'honorable M. Jouret a voté avec moi cette proposition qui nous était faite par le gouvernement, et à cette époque dans quelle situation étiez-vous devant la classe ouvrière dont vous réglementiez les droits électoraux ?

Vous étiez en présence d'hommes nullement préparés à la réforme qu'on introduisait.

Ces ouvriers, à la différence des censitaires, n'occupaient point une position sociale qui commande et permet à la fois de s'instruire. Ils pouvaient vous répondre : prolétaires, nous n'avons pas eu les moyens de nous procurer les bienfaits de l'instruction ; nous n'avons pas eu les moyens de quitter l'atelier pour l'école, parce que, en quittant l'atelier, nous eussions manqué du pain de tous les jours, du salaire nécessaire pour payer, après le pain, des maîtres et des leçons.

Ce que vous avez fait pour les pauvres ouvriers, en 1859, faites-le donc aujourd'hui pour les bourgeois, dont l'ignorance n'a pas l'excuse de la misère.

On disait encore à cette époque de 1859, et ce sont des ministres actuels qui tenaient ce langage, on disait, répondant à ceux qui paraissaient critiquer l'exigence dont je m'occupe, en ce qui concerne les ouvriers : Il est temps de rendre un juste hommage à l'instruction populaire, et pour que ce juste hommage soit accepté par les masses, il faut que l'exemple vienne d'en haut et descende jusqu'en bas.

Ces paroles, c'est l'honorable M. Rogier qui les prononçait à ceux qui comme l'honorable M. Jouret combattaient l'obligation imposée aux ouvriers de savoir lire et écrire, l'honorable M. Rogier répondait : La condition de savoir lire et écrire est une condition essentielle et, pour ma part, je préférerais cent fois voir soumettre l'appréciation de ma conduite politique à une assemblée d'ouvriers sachant lire et écrire, qu'à une assemblée de censitaires payant 15 à 20 francs d'impôt et complètement illettrés. Voilà le langage de 1859. Le renierez-vous en 1865 ?

La même opinion, messieurs, était défendue avec non moins d'énergie et de conviction par un autre membre du cabinet actuel, alors rapporteur de la loi des conseils de prud'hommes, l'honorable M. Vanderstichelen. Et lorsqu'on lui disait, par exemple, votre loi est incomplète ; vous demandez qu'on sache lire et écrire ; mais tant de gens après l'avoir appris l'ont oublié ! l'honorable M. Vanderstichelen répondait : Peu importe ; celui qui a su lire et écrire, en supposant qu'il vienne un jour à l'oublier, aura conservé de cette instruction un avantage qui le rendra toujours supérieur à l'homme qui n'a jamais rien appris.

Moins absolu, j'ajouterai : les bienfaits de l'instruction ne sont jamais stériles. Celui qui les a connus un jour ne cesse point de s'instruire et de pratiquer, à moins que l'indifférence des pouvoirs publics ne vienne lui enlever la foi dans la lumière.

Si vous montrez à l'homme du peuple qu'après avoir sacrifié son temps et son argent, ce qui est tout un pour lui, et cela pendant 5 ou 6 années, à se procurer une instruction élémentaire, si vous lui montrez que cette instruction n'est pas même prise en considération pour le placer au-dessus de l'homme ignorant, n'est-il pas évident que vous allez le décourager ? Ouvrez-lui des écoles et il passera sans y entrer en disant : Cette instruction que vous ne cessez de vanter n'est qu'un leurre, je n'y trouve ni honneur ni profit ; le travail est plus productif que l'instruction.

Je me demande maintenant quelle autre raison pourrait-on trouver encore pour repousser ma proposition ? Dira-t-on qu'elle vient trop tôt ? Mais l'instruction primaire, je viens de le rappeler, est organisée chez nous depuis 23 ans. L'honorable M. Rogier répondait aux adversaires de la disposition de la loi des prud'hommes imposant l'obligation de savoir lire et écrire pour être électeur :

« Aujourd'hui (il y a six ans qu'il s'exprimait ainsi), il n'est plus permis en Belgique de ne pas savoir lire et écrire. »

Le mot est rigoureux peut-être pour le prolétaire ; je ne vais pas jusque-là ; mais je dis que si cette obligation a été imposée à la classe ouvrière, à plus forte raison peut-on l'imposer à la classe des censitaires, et leur dire justement : A vous au moins, à vous les privilégiés, il n'est plus permis de ne savoir ni lire ni écrire en 1865.

Objectera-t-on que ma proposition se heurte à quelque grand principe de la matière électorale ? Quels sont donc nos principes fondamentaux ? L'indépendance de l'électeur, le secret du vote, la sincérité des opérations. Il faudrait être aveugle ou nier la lumière pour contester que l'indépendance de l'électeur, le secret du vote, la sincérité des opérations électorales, seront mieux garantis par ma proposition, qu'en conservant des électeurs illettrés que l'on peut tromper sur la nature du bulletin qu'on leur a glissé dans la main.

Je vais plus loin et je le proclame ouvertement. L'électeur qui sait lire et écrire n’offre pas seulement une garantie quant à la libre confection de son bulletin, mais il m'en offre une autre plus importante et qui influe plus directement sur la valeur intrinsèque et morale du vote : l'électeur qui sait lire et écrire, c'est l’homme qui, par la presse et instruit par la presse à bon marché, si heureusement développée chez nous, peut s'éclairer consciencieusement, seul à seul, sans subir l'influence de personne sur la valeur des candidats, des doctrines, des principes.

Je demande que l'électeur écrive son bulletin, mais je désire aussi qu'il puisse apprécier, au moyen de la presse, les candidats qui réclament son suffrage.

Maintenant, aborderai-je les objections pratiques, les objections de détail ? répondrai-je à des objections qui sont dans la pensée de tout le monde et qu'on ne produit pas ? Dirai-je qu'il n'y a aucune difficulté pratique à l'organisation de mon système ? Dirai-je que ce système est tellement praticable que le rapport de la section centrale sur le projet de loi constate, à chaque page, que le système est préconisé par les hommes politiques les plus éminents des pays qui nous entourent et même des pays à suffrage universel, où l'on ne paye pas de cens.

Quant aux objections pratiques, j'y répondrai plus tard, lorsqu'elles se produiront. Je me borne à rappeler pour le présent que ces objections pratiques au sujet de la difficulté que l'on éprouverait à constater qu'un homme sait lire et écrire, ont été repoussées comme des chimères, comme n'ayant pas l'ombre de fondement, par M. Rogier, par M. Vanderstichelen, par M. Ch. de Brouckere, dans la discussion de 1859 sur la loi des prud'hommes, alors qu'il s'agissait cependant, comme n le (page 1416) reproduit à l'honorable M. Ch. de Brouckere, de faire passer un examen à plus de 80,000 électeurs qui n'avaient jamais figuré jusque-là sur une liste électorale.

L'honorable M. Devaux disait, par exemple, répondant à M. le ministre des affaires étrangères d'aujourd'hui : « S'il ne s'agissait que de 500 à 600 électeurs, je n'aurais rien à dire ; mais il y a plus de 80,000 ouvriers qu'on appelle à élire les membres des conseils de prud'hommes, dans le seul bassin houiller de Liège. »

Eh bien, je veux vous le prouver, de l'aveu même de M. Devaux, ma proposition ne rencontrera aucune difficulté pratique. L'amendement n'a pas d'effet rétroactif ; il ne peut s'appliquer qu'aux électeurs nouveaux, à dater de l'année prochaine ; il ne doit s'appliquer qu'aux citoyens qui se feront inscrire pour la première fois...

- Des membres. - Non ! non !

M. Ortsµ. - Je vois parfaitement où l'on veut m'entraîner, on veut m'entraîner dans la voie de la rétroactivité ; eh bien, je déclare formellement que je ne le ferai pas.

Dans ma pensée, c'est un piège, et je serais le dernier des maladroits si je m'y laissais prendre.

Ma proposition, je le répète, n'a pas d'effet rétroactif ; dans mon esprit, elle ne doit pas en avoir ; elle ne doit s'appliquer qu'aux électeurs qui se feront inscrire pour la première fois sur les listes électorales à dater de 1866.

Or, dans la ville de Bruxelles, qui est de toutes les communes du pays celle où l'accroissement de la population et des richesses est le plus considérable ; dans la ville de Bruxelles, il n'y a eu, l'année dernière, qu'un accroissement de 400 électeurs. Or, d'après ce que disait l'honorable M. Devaux, en 1859, on pourrait arriver facilement à constater un degré de connaissance chez 600 électeurs ; il n'y aurait de difficultés que pour 80,000 électeurs. Messieurs, ne vous effrayez donc pas des difficultés pratiques de ma proposition.

On a fait à ma proposition un autre reproche auquel j'ai été particulièrement sensible, et je vais y répondre immédiatement. Je serai très net et très sincère. J'ai fait ma proposition pour arriver, dans les limites du cens, à une extension graduelle, sage, progressive du droit électoral pour mon pays. J'irai dans cette voie et de ce pas aussi loin que la force morale et l'esprit d'ordre des habitants le permettent. Ma proposition est, quoi qu'on dise, un pas vers ce but, tout en ne parlant pas d'un abaissement de cens. Voici pourquoi je n'en ai pas parlé.

Je suis convaincu que le jour où je serais venu demander un abaissement de cens pour les élections communales et pour les élections provinciales, on m'aurait répondu que le cens est la seule garantie de capacité et d'ordre, que le cens ne peut être abaissé sans danger, alors que l'électeur ne présente pas d'autre garantie que sa fortune.

Eh bien, pour écarter de mon chemin, le jour où j'atteindrai mon but, cette objection que le cens est immuable, puisqu'il est la seule garantie de capacité électorale, je veux introduire dès aujourd'hui dans la loi le principe que l'électeur sera lettré, c'est-à-dire capable.

Je n'ai pas voulu aller plus loin dans ma proposition ; je n'ai pas voulu joindre à la condition de capacité un abaissement de cens ; puisque l'abaissement, selon moi, quelque modéré qu'il fût, constituerait nécessairement une proposition susceptible de rencontrer comme obstacle la question préalable. Voici pourquoi : Je ne crois pas possible d'introduire dans la loi actuelle des principes qui ne sont pas uniformément applicables aux élections communales, provinciales et générales. Or, comme la question de l'abaissement du cens ne peut pas être résolue à l'égard des élections générales, je me suis abstenu de comprendre l'abaissement du cens dans mon amendement.

Je termine mes observations ; si d'autres objections surgissent, je demanderai à la Chambre la permission de les compléter dans une autre séance. Jusqu'ici, il ne s'est pas produit d'objections entre la possibilité de mettre mon système en pratique ; il est donc inutile que j'en entretienne, aujourd'hui la Chambre, surtout à une heure aussi avancée.

J'attends.

MjTµ. - Messieurs, il serait utile, pour que le débat pût aboutir, que l'honorable M. Orts formulât les moyens pratiques dans son amendement.

Un nouveau système se produit, il est indispensable que les moyens pratiques soient proposés ; tout, en matière électorale, doit être soigneusement réglé par la loi ; il faut que rien ne soit laissé à l'arbitraire.

Je demande donc que l'honorable M. Orts nous fasse connaître dans la séance de demain de quelle manière il compte mettre son système à exécution.

M. Ortsµ. - Messieurs, je vais répondre immédiatement deux mots à M. le ministre de la justice. Il me demande quelque chose ; je me permettrai de lui en demander à mon tour une autre, pour m'aider un peu dans ma tâche.

Je demande au gouvernement comment il s'assure chaque année de la capacité des ouvriers admis comme électeurs pour la formation des conseils de prud'hommes. Quand le gouvernement m'aura indiqué ses moyens de vérification, je lui indiquerai les miens.

Je demanderai aussi à M. le ministre de l'intérieur comment il arrive à nous donner très exactement, chaque année, le chiffre des miliciens sachant lire et écrire.

Indiquez-moi, messieurs les ministres, indiquez-moi vos moyens d'exécution, et quand vous m'aurez indiqué les vôtres, je vous montrerai les miens. Avant de vous dire comment j'exécuterai une loi à venir, veuillez me dire comment vous exécutez les lois faites. Et je ne recule pas. Je vous le déclare dès maintenant, quand vous m'aurez répondu, ma réplique ne se fera pas entendre. Mais je vous en prie, messieurs les ministres, tirez les premiers.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La loi sur les prud'hommes n'indique pas comment on assure la capacité des ouvriers admis comme électeurs au conseil des prud'hommes. Mais cela se pratique de la manière suivante : C'est l'administration communale qui, dans les petites localités, décide si l'ouvrier est instruit, et dans les localités d'une certaine importance, ce sont les commissaires de police, et à défaut de commissaires de police, les agents de police qui déclarent que tel ouvrier est lettré ou ne l'est pas.

Je crois que ce moyen n'est pas pratique pour les élections générales aux Chambres. Il faudrait avoir un autre moyen d'examiner les électeurs pour savoir s'ils sont capables de figurer sur les listes électorales.

M. Gobletµ. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Je ne comprends pas que, à peine avons-nous entamé ce débat important, à peine avons-nous entendu une improvisation des plus intéressantes, on veuille clore une pareille discussion.

- Des membres. - Non ! non !

M. Gobletµ. - Pourquoi alors nous tenir ici jusqu'à six heures ? On a voulu lever la séance à l'heure ordinaire et l’on a trouvé bon de continuer pour forcer au silence ceux qui veulent défendre un amendement dont j'approuve parfaitement l'esprit et que je soutiens de toutes mes forces. Je demande que la séance soit levée ; quand, à cette saison, l'on est ici depuis deux heures jusqu'à cinq, cela suffit.

- Des membres. - A demain !

M. Hymans. - Un seul mot ; il ne m'appartient pas, à moi, de compléter l'amendement de l'honorable M. Orts, mais puisqu'on lui a demandé ses moyens pratiques, je me permettrai de dire que le système que l'honorable M. Orts propose est en vigueur dans le pays d'Italie. (Interruption.) Aux termes d'une loi de 1860, on n'admet plus que des électeurs sachant lire et écrire ; on respecte les droits acquis comme le fait l'honorable M. Orts, et les électeurs illettrés feront écrire dans les bureaux, par un ami lettré de leur choix, leurs bulletins de vote. Il m'a paru utile de donner ce renseignement à la Chambre.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.