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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 29 mai 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Motion d’ordre relative au pouvoir du général
Goblet comme parlementaire (Goblet), négociations diplomatiques
(H. de Brouckere, Seron, Ch. de Brouckere, Delehaye, de Robaulx, Dumortier, Ch. de Brouckere, Jullien, Destouvelles, H. de Brouckere,
Jaminé, Pirson, Delehaye, Destouvelles, Pirson, Raikem, de
Robaulx)
3) Projet de loi portant organisation du service
de la douane (notamment détermination du rayon de douane) (Ch. de Brouckere, Duvivier, de Nef, Davignon, Hye-Hoys,
de Robaulx, Duvivier, de Robaulx, A. Rodenbach, Delehaye, Jullien, Duvivier, Dumortier, A. Rodenbach, Duvivier, Delehaye, d’Elhoungne, Ch. de Brouckere, A. Rodenbach,
Poschet, de Robaulx, Legrelle, Jullien, de Robaulx, Mary, Raikem,
Dumortier, Mary, d’Elhoungne, Fallon, Ch. de Brouckere, d’Elhoungne,
Duvivier, Ch. de Brouckere,
Dumortier, Duvivier, Mary, d’Elhoungne, Ch. de Brouckere, Serruys, Legrelle, d’Elhoungne, Ch. de Brouckere, Fallon, Ch. de Brouckere, Fallon, Dumortier, Lebeau, Serruys, Legrelle, Mary, Ch. de Brouckere, Lebeau, Dumortier, Duvivier, Ch. de Brouckere, Serruys, Legrelle, Mary, Taintenier, A. Rodenbach, Duvivier, Fallon, d’Elhoungne, Ch. de Brouckere)
(Moniteur belge n°152, du 31 mai 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
A une heure, la
séance est ouverte.
Après l’appel
nominal, on lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
Un de MM. les secrétaires
donne communication des lettres adressées à la chambre.
« M. Delacou
redemande que le ministre de la guerre soit forcé de s’expliquer sur les
décisions qu’il a prises à son égard. (On
rit.)
MOTION D’ORDRE RELATIVE AUX POUVOIRS DU GENERAL
GOBLET COMME PARLEMENTAIRE
M. le président. - Le général Goblet écrit la lettre suivante :
« M. le
président.
« Chargé par
le Roi d’une mission temporaire à Londres, je prie la chambre de vouloir bien
m’accorder un congé dont il m’est impossible de préciser la durée.
« Veuillez,
M. le président, être mon interprète auprès de la chambre et agréer l’assurance
des sentiments de considération avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.
« Signé,
Goblet. »
Plusieurs membres. - Mais la chambre ne peut lui accorder de congé ; il
n’est plus représentant.
M. le président. - M. le général Gobet n’a qu’une mission temporaire.
Plusieurs membres. - Peu importe ! S’il est ministre ou ambassadeur il
est rétribué ; il doit être remplacé s’il est salarié !
M. le président. - Ce n’est pas à la chambre à soulever cette question.
M. H. de Brouckere. - A qui donc appartient le droit de soulever la question,
si ce n’est à la chambre ?
M. Seron. - C’est une question constitutionnelle et il s’agit
d’un membre de la chambre !
M. Ch. de Brouckere. - Si un membre fait une motion relative à la position
du général Goblet, je conviens que c’est à la chambre à décider la question ;
mais je désirerais qu’elle ne fût posée qu’en présence du général Goblet, ou
plutôt en présence des ministres ; eux seuls connaissent si les fonctions
conférées sont salariées ou ne le sont pas.
Plusieurs membres. - Mais il y a un arrêté !
M. Delehaye. - La qualité de M. Goblet est connue par un arrêté ;
et c’est cet arrêté qui a fait dire à un de nos collègues que ce que nous
gagnerions à la nomination de M. Goblet, c’est que nous aurions rétribuer deux
personnes au lieu d’une. Dès qu’un député accepte des fonctions salariées, il
ne fait plus partie de la chambre ; il faut qu’il se soumette à une réélection.
M. de Robaulx. - Peu importe que ce soit une fonction temporaire qui
soit confiée ; peu importe que celui à qui elle est conférée reçoive ou ne
reçoive pas d’appointements ; d’après l’esprit de la constitution toutes
fonctions salariées, ou qui par leur nature sont salariées, soumettent celui
qui les accepte à une réélection. M. Goblet est nommé ambassadeur à Londres ;
ou si vous voulez, il remplace notre ambassadeur à Londres ; sa position n’est
pas équivoque ; un arrêté inséré dans le Moniteur
la détermine ; il n’y a pas de question à agiter. Je m’oppose à ce qu’un
congé lui soit donné par la chambre, parce qu’il n’en est plus membre.
M. Dumortier.
-Nous ne pouvons discuter actuellement la question. Avant de savoir si les fonctions
sont salariées, ou ne le sont pas, il faudrait que le ministre des affaires
étrangères fût entendu. Je ferai encore une observation à la chambre pour lui
montrer qu’elle doit ajourner le débat. Lorsque M. de Theux a été nommé
ministre de l’intérieur, vous savez qu’une demande formelle a été faite
relativement à sa réélection ; je dis qu’une proposition semblable doit être
présentée à la chambre sur la réélection de M. Goblet.
M. Ch. de Brouckere. - L’arrêté concernant M. le général Goblet est dans
le Moniteur, soit. Mais d’après cet
arrêté l’article 36 de notre constitution peut-il être applicable ? Cet article
est ainsi conçu : « Les membres de l’une ou de l’autre des deux chambres,
nommés par le gouvernement à un emploi salarié, qu’il accepte, cesse
immédiatement de siéger et ne reprendre ses fonctions qu’en vertu d’une
nouvelle élection. »
Il
résulte de là que si le général Goblet est salarié, il doit se soumettre à la
réélection ; mais qui a dit que la mission dont on l’a chargé donnait lieu à un
traitement ? Ce n’est pas le ministre des affaires étrangères ; c’est un député
qui a dit que tout l’avantage que nous retirerons de la mission de M. Goblet
sera que nous aurons deux employés salariés au lieu d’un. Le ministre des
affaires étrangères n’a pas répondu à cette observation qui était accompagnée
d’une autre question ; on demandait si nous aurions deux ministres ou deux
ambassadeurs à la fois : M. le ministre des affaires étrangères a répondu que
M. Van de Weyer avait rendu de grands services mais il n’a nullement déclaré
que le général Goblet avait un traitement, avait une fonction salariée. Cette
question du traitement nous ne pouvons la résoudre sans la présence d’un
ministre, ce surtout sans la présence du ministre des affaires étrangères. En
effet si M. Van de Weyer conserve sa qualité, M. le général Goblet ne saurait
être considéré comme ayant un titre auquel une rétribution serait attachée.
M. Jullien. - Je demande
la parole pour une motion d’ordre.
M. le président.. - Vous avez la parole.
M. Jullien. - La motion d’ordre que j’ai à faire, est pour
demander que la discussion soit suspendue jusqu’à ce que le ministre des
affaires étrangères soit appelé. Sans doute que l’article 36 de la constitution
soumet à la réélection les membres de la chambre qui acceptent des fonctions
salariées ; mais pour appliquer ce principe, il faut savoir si M. le général
Goblet est pourvu d’un emploi, si cet emploi est salarié. L’arrêté qui le
concerne ne répond pas à ces questions ; M. le ministre des affaires étrangères
seul peut y répondre.
M. Destouvelles. - J’admets d’autant plus la motion faite par M.
Jullien, que déjà M. Goblet s’est trouvé dans une position semblable et que la
chambre n’a pas exigé sa réélection. On se rappelle que ce général a été chargé
d’une mission à Londres, pour la négociation de la démolition des forteresses ;
et il n’est venu dans l’idée de personne de demander qu’il fût soumis à une
réélection. Au reste, les questions que l’on adresserait au ministre des
affaires étrangères, trancheraient la difficulté qui nous occupe ; si d’après
les réponses du ministre, il résultait qu’un traitement sera accordé à M.
Goblet, comme ministre plénipotentiaire, il tombera dans le cas de l’article 36
de la constitution ; il n’y tombera pas s’il ne reçoit qu’une indemnité pour
frais de déplacement.
M.
H. de Brouckere.
- La question agitée est fort importante ; c’est une question sur laquelle nous
avons besoin de renseignements. Remettons-en la solution à demain ; quand les
ministres seront présents, nous aurons les renseignements nécessaires pour
pouvoir prononcer.
M. Pirson. - Je demande la parole.
M. Jaminé. - Comme c’est moi qui, dans la séance d’hier, ai
fait aux ministres les interpelations que l’on a rappelées dans celle-ci. J’ai
prêté une attention scrupuleuse aux réponses du ministre, et je me souviens que
M. de Muelenaere a gardé le silence sur ce que j’avais dit relativement au
traitement de M. Goblet, et qu’il n’a répondu que sur ce qui concernait M. Van
de Weyer.
M. Pirson. - Je demande que le ministre des affaires étrangères
soit appelé aujourd’hui même. Messieurs, je parlerai du comité secret puisque
les journaux en parlent. Les journaux de ce matin disent que le ministre des
affaires étrangères n’a rien répondu aux interpellations qui lui ont été faites
et que, de plus, il a déclaré ne pouvoir rien répondre en public aux questions
qui désormais lui seraient adressées.
Là-dessus, je lui
ai répondu… II n’est pas nécessaire que je fasse connaître ce que j’ai répondu.
(On rit)... J’ai dit que je ferais
mes réflexions en public.... (On rit
encore.) Mais aujourd’hui j’ai à faire des observations d’un ordre plus
élevé.... Je donnerai même lecture de l’interpellation que j’ai à adresser au ministère
si la chambre le veut.
Voix. - Oui ! oui !
D’autres voix. - A demain ! à demain ! les interpellations !
M. Pirson. - Il s’agit du voyage du Roi dans mon
interpellation. (Oh ! oh !) Il ne
faut pas dire oh ! avant de savoir ce que c’est... (Hilarité générale.)
Plusieurs voix. - Dites ce que c’est.
M. Pirson. - Je veux demander s’il a été pourvu à la signature
du Roi en son absence ; je veux demander comment pourraient être faits les
actes royaux, s’ils devenaient nécessaires. La signature des ministres ne peut
remplacer la signature du Roi ; ils ne peuvent faire un acte royal. Jusqu’ici,
on ne nous a pas informés du voyage du Roi à l’étranger, mais je passe sur
cette inconvenance car j’ai des interpellations plus importantes à faire sur
l’action de l’administration.
Je développerai une motion si l’on veut.
M. le président.. - On peut remettre la discussion.
M. Delehaye. - Puisque M.
Pirson dit avoir une motion fort importante à faire, je crois qu’il faut
l’entendre. C’est en effet une chose grave que le voyage du Roi ; il faut donc
que sa haute action administrative soit remplacée pour que la marche des
affaires ne soit pas entravée.
M. Destouvelles. - Dans tous les cas il me paraît utile que l’on
remette à demain les motions. Si M. Pirson a des questions importantes à
adresser au ministre des affaires étrangères, il est convenable qu’il les lui
communique avant la séance, afin d’obtenir une réponse si tant est que le
ministre puisse y répondre en public. Vous savez que les ministres ont demandé,
qu’en général, communication leur fût faite des questions sur lesquelles on
voulait les interroger ; et ce désir me paraît naturel.
Je demande la
remise à demain de la discussion relative au congé de M. Goblet, et je prie M.
Pirson de faire connaitre au ministre des affaires étrangères les
interpellations qu’il a à lui faire.
M. Pirson. - Messieurs, puisque la chambre ne paraît pas
vouloir m’entendre aujourd’hui, et qu’elle paraît désirer que mes
interpellations soient communiquées d’avance au ministre des affaires
étrangères, je vous déclare que je vais faire publier ma proposition par les
journaux, puisque ce sont eux qui font nos affaires maintenant. (On rit.)
Messieurs,
voulez-vous m’entendre aujourd’hui ?
M. Jaminé.
- Je crois qu’il faut entendre M. Pirson actuellement.
M. Pirson. - Je demande que le ministre des affaires
étrangères… (A demain ! à demain !)
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je demande que M. Pirson veuille bien déposer sur
le bureau la question qu’il veut adresser au ministre ; ce dépôt est, je crois,
dans les convenances parlementaires.
M. de Robaulx. - Est-ce comme ministre ou comme député que vous
parlez ?
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - C’est comme
on voudra.
M. de Robaulx. - C’est à notre choix ; ainsi ce n’est ni comme
ministre ni comme député... (On rit.)
M. Pirson. - Je ne déposerai pas sur le bureau la question que
j’ai à adresser ; je la ferai imprimer dans les journaux ; on en fera ensuite
ce qu’on voudra.
- Tous ces débats
incidents se terminent là et n’ont pas d’autre suite.
L’ordre du jour
est la discussion du projet de loi relatif aux lignes de douanes.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION DU SERVICE DE
LA DOUANE
Discussion générale
M. de Nef. - Je demande la parole.
M. H. de Brouckere. - Nous ne pouvons discuter cette loi en l’absence du ministre
des finances.
M. Ch. de Brouckere. - M. le ministre des finances est au sénat ; il ne
peut être en deux endroits à la fois ; mais il y a ici, au nombre des membres
de la chambre, un administrateur qui pourra donner les renseignements dont on
aura besoin.
M. Duvivier. - Je ne suis pas précisément chargé de défendre le
projet de loi ; j’en parlerai comme député et comme administrateur, je pourrai entrer
dans quelques détails, s’ils sont nécessaires. M. le ministre aura remis un
amendement ; j’en exposerai les motifs ; j’en soutiendrai le contexte ; mais je
le répète, je ne parlerai que comme député.
M. de Nef. - Messieurs, il y a quelque temps, à l’occasion d’une
pétition adressée à cette chambre, j’eus l’honneur de faire remarquer
l’importance du plus ou moins de profondeur du rayon et de signaler les graves
inconvénients qui pourraient naître dans plusieurs localités, où le pouvoir
exécutif aurait compris dans le rayon des établissements ou des populations
considérables.
Depuis lors, je
dois reconnaître que les agents, chargés par le ministère de former le tracé du
rayon, sont revenus à des idées beaucoup plus modérées, qui gêneront moins les
habitants des frontières et seront aussi plus conformes à l’esprit du projet de
loi en discussion ; toutefois j’aurais préféré que la nouvelle ligne et sa
profondeur eussent été déterminées par la loi elle-même, pour prévenir ainsi toute
fixation arbitraire.
Quant à la
profondeur du rayon, je pense avec M. le ministre qu’un myriamètre doit suffire
partout pour empêcher la fraude, si l’on a soin de former un bon personnel
composé d’employés actifs et surtout incorruptibles, et si dans le nouveau
système de douanes on se décide à régler les droits d’après le poids et non
d’après la déclaration de la valeur. J’espère que l’on parviendra alors à
combattre la fraude d’une manière efficace, et à faire cesser un abus qui non
seulement est nuisible au trésor mais encore plus au commerce, en ce qu’il est
impossible que les marchandises déclarées, et sur lesquelles les droits ont été
perçus soutiennent la concurrence avec celles qui ont été fraudées.
Je ferai encore
une observation sur l’article premier du projet en discussion ; d’après cet
article, le pouvoir exécutif est seulement autorisé à tracer le cours du rayon
à la distance au plus d’un myriamètre de l’extrême frontière de terre ; il lui
resterait donc défendu de tracer aucun rayon hors de cette distance ; cependant
l’ennemi occupe encore sur notre territoire différents endroits, qui sont à
plus d’un myriamètre de distance de l’extrême frontière ; les environs de la
citadelle d’Anvers, la tête de Flandres sont dans ce cas ; ces endroits communiquent
journellement avec la Hollande et doivent par conséquent être surveillés pour y
empêcher la fraude ; or, si l’article reste tel qu’il est dans le projet, il
sera absolument impossible d’exercer la moindre surveillance à l’égard de ces
diverses localités, puisque le pouvoir exécutif ne pourrait prendre aucun
arrêté, qui tendrait à modifier la loi, et que s’il prenait même un arrêté
semblable, il serait inconstitutionnel et par suite ne pourrait être appliqué
par les cours ou tribunaux.
Il
existe, à la vérité, un arrêté du régent en date du 4 mars 1831, et qui fixe un
rayon aux environs de la citadelle d’Anvers, mais je pense, messieurs, que cet
arrêté se trouverait en contradiction avec les termes de la loi, et qu’il
serait par suite sans force et sans application ; je proposerai donc d’ajouter
à l’article premier, le paragraphe suivant : « le pouvoir exécutif pourra
également tracer des rayons provisoires à la distance d’un myriamètre au plus
des endroits actuellement occupés par l’ennemi sur le territoire de la
Belgique. »
M. Davignon. - Messieurs les nombreuses réclamations sur la
fraude vraiment scandaleuse qui s’est faite sur nos frontières ont, à ce qu’il
paraît, éveillé l’attention du gouvernement. L’arrêté royal du 9 courant,
réglant le mode de répartition du produit des amendes et confiscations en
matière de douane est une amélioration, dont la nécessité se faisait sentir
depuis longtemps. C’est une sauvegarde contre les entreprises de malveillante ;
c’est un stimulant qui fera son effet ; c’est un parfait vers une meilleure
situation, et je considère aussi comme telle la loi maintenant en discussion.
La deuxième ligne
de douanes établie par la loi du 26 août 1822 dans l’intérieur à 3 et 4 lieues
de la frontière est complètement illusoire. On ne pourrait lui conserver
l’existence qu’au détriment du trésor, et sans avantage pour le commerce.
Le simple rayon
que l’on nous propose d’établir, remplira-t-il mieux le but dans un pays d’une
étendue aussi circonscrite que le nôtre ? C’est ce que l’expérience nous
prouvera si le projet est adopté. Mais avant tout, il faut qu’il soit pourvu à
l’exacte surveillance par un personnel suffisant, compact et composé d’employés
probes, actifs et dévoués ; c’est pour cette composition que j’appellerai
l’attention de M. le ministre et de M. l’administrateur-général ; ils en
connaissent trop l’importance pour qu’il soit nécessaire d’entrer dans de longs
détails pour la démontrer.
Par le changement
proposé l’étendue actuelle de territoire réservé est double ; quelques intérêts
particuliers et de localité pourront en souffrir, mais, comme l’explique très
bien M. le rapporteur de la section centrale, c’est un inconvénient inévitable,
il faut bien en faire le sacrifice à l’intérêt général. Il est bon de dire
cependant que cela ne consiste qu’en un peu plus d’entraves que dans la
situation actuelle dont les fraudeurs auront assurément à se plaindre, en
formalités un peu plus gênantes, sans doute, mais, comme nous l’assure M. le
ministre, dans son exposé des motifs, le gouvernement fera tout ce qui sera
possible pour concilier les intérêts de commerce et des populations des
frontières avec les garanties et la protection dues à l’industrie nationale et
au trésor.
Je crois inutile,
messieurs, pour ne pas abuser des moments de la chambre, de faire valoir
d’autres considérations que celles que la section centrale nous présente par
l’entremise de son rapporteur ; vous les avez sous les yeux.
Je m’associe aux
vœux qu’elle émet pour la révision de la législation actuelle sur les douanes.
Le
moment n’est pas venu de toucher à notre tarif ; prenons d’abord des mesures et
des mesures énergiques pour constituer définitivement l’Etat ; alors seulement
nous pourrons, avec quelques chances de succès, tenter les moyens d’établir
avec nos voisins, comme le dit M. le rapporteur, des traités de commerce sur
les bases d’une juste réciprocité, de concessions mutuelles et de compensations
respectives.
Je me proposais de
demander à la chambre, s’il ne conviendrait pas d’établir des pénalités pour
les contraventions ; mais M. le ministre présentera, me dit-on, un amendement
dans ce sens. J’attendrai les éclaircissements de la discussion pour me
prononcer. Je me borne, pour le moment, à ces simples observations ; de plus longs
développements seraient ici chose superflue. J’ai dit.
M. Hye-Hoys. - Messieurs, je doute beaucoup que le gouvernement
atteigne le but qu’il se propose en supprimant un rayon de douanes.
Je demanderai à M.
le ministre des finances, s’il croit qu’en effet une seule ligne suffira, et
sera suffisamment surveillée par un personnel bien organisé ; car, messieurs,
ne perdons pas de vue que nous aurons une douane d’une longue étendue, qui sera
très difficile à observer du côté de la Hollande, qui a un système à elle tout
opposé au nôtre, et qui est nouveau pour la Belgique.
Jamais notre pays
ne s’est trouvé dans cette position envers la Hollande avant la réunion à la
France. Nous n’avions point autrefois des fabriques nombreuses à la mécanique,
nous n’étions pas encore les rivaux de l’Angleterre et de la France ; sous
ce rapport notre position commerciales et donc toute différente aujourd’hui.
Eh bien !
messieurs, nonobstant qu’alors les droits d’entrée étaient modérés, on n’est
jamais parvenu à empêcher une fraude ruineuse pour le commerce par la frontière
de la Flandre hollandaise, je n’entends pas parler ici du haut commerce, mais
plutôt de nos commerçants détaillants, pourquoi autrefois la foire du
Sas-de-Gand était-elle si importante et si renommée ? Parce qu’on y apportait
une masse de marchandises qui y furent promptement enlevées, et introduites
ensuite en fraude dans le pays. Aussi je suis du nombre de ceux qui pensent
qu’une grande faute politique a été commise en ne s’emparant point de cette
partie de territoire quand on en avait l’occasion, et qui devait à jamais
appartenir à la Belgique, d’autant plus que les 2/3 du sol sont la propriété
belge.
J’aime à ne pas douter que nous maintiendrons
un système de douane comme nos voisins les Français, Anglais et Prussiens, pour
protéger notre industrie manufacturière, et pour cela nous avons besoin comme
j’en ai émis le vœu dans une autre occasion, d’une douane forte et serrée.
Enfin,
la Hollande admet les marchandises de manufactures étrangères moyennant un
droit de 4 p. c., tandis que nous les imposons de 20, 25, et même 50 p. c. de
la valeur.
Vous voyez donc,
messieurs, qu’il n’y a pas à balancer, que si nous ne voulons pas anéantir
notre industrie mercantile, nous devons en attendant le rapport de la
commission sur le système général, empêcher que nos manufactures ne se ruinent
totalement.
Avant de donner
mon assentiment au projet de loi qui est soumis, j’attendrai la fin des débats.
M. de Robaulx. - Messieurs,
à la lecture du projet, il semble que l’on veuille introduire quelque
amélioration dans la législation des douanes et surtout augmenter la
surveillance. Je conçois que plus on rétrécit le rayon à surveiller et plus on
augmente les moyens d’éviter la fraude. Cependant, messieurs, avant d’admettre
trop légèrement cette disposition il faut réfléchir que l’on met en interdit un
myriamètre de territoire tout autour de la Belgique.
On sait à combien
de vexations les habitants sont soumis, lorsque les exécuteurs de la loi des
douanes sont plus exigeants que la loi elle-même. Dans les dispositions du
projet, on permet les visites domiciliaires la nuit comme le jour. Il résulte
de là qu’il n’y aura pas un domicile, malgré les bons principes proclamés par
la constitution, qui ne puisse être soumis à ces visites. Vous augmentez en
outre du double le rayon réservé, en sorte que vous allez mettre véritablement
en interdit, la plus grande partie du territoire.
Une autre
disposition qui me fera voter contre la loi, c’est le droit de suite. Le
deuxième paragraphe de l’article 4 est ainsi conçu :
« Les
préposés des douanes pourront en outre, en cas de poursuite de la fraude, la
saisir même en-deçà du rayon ci-dessus fixé, pourvu qu’ils l’aient vue pénétrer
et qu’ils l’aient suivie sans interruption. »
Vous le voyez, il
faut s’en remettre à la foi d’agents plus que subalternes.
Les douaniers
intéressés à faire des prises sont maintenant autorisés à poursuivre
indéfiniment dans l’intérieur ; ainsi on vous propose d’étendre le second rayon
dans toute la profondeur de la Belgique. Telle est la conséquence du droit de
suite.
Je
n’attaque pas les employés de la douane en général ; mais il n’est que trop
vrai qu’ils font facilement des procès-verbaux faux ; j’en ai tenu. On
pourra donc vous dresser procès-verbal dans lequel on assurera avoir vu la
fraude, afin d’avoir le prétexte de la suivre ; vous mettrez, par votre loi,
les employés entre leur serment et la vérité, et je crois que le serment aura
tort quand il sera contraire à leurs intérêts.
Je voterai contre
la loi.
M. Duvivier. - Par le projet, il y a augmentation de l’un des
deux rayons de surveillance établis par la législation existante, et il y a
amélioration réelle en ce qu’on applique à un rayon double les mêmes formalités
qu’on appliquerait au rayon qui était fixé. Ce rayon n’était pas suffisant ;
c’est cette raison qui a déterminé l’administration à proposer un juste milieu
(on rit) entre les rayons anciens et
ceux qui seraient nécessaires pour éviter toute fraude Toutes les formalités
majorées au rayon d’une lieue seront applicables à deux ; mais la chose est
indispensable. Pour prouver qu’il en doit être ainsi, je rappellerai les
principes posés dans le rapport.
Il faut une gêne
quelconque pour amener le bien général du pays.
Cependant que l’on
ne vienne pas insinuer que les dispositions de la loi apporteront des gênes
inutiles ou vexeront le moins du monde les habitants, forcés d’être soumis à
une gêne pour le bien général du pays.
Si des vexations
avaient lieu les auteurs en seraient punis. J’écarterai donc de la discussion
ce qui a été dit sur ce point.
Quant aux visites
domiciliaires, je ne sais où le préopinant a trouvé qu’elles pouvaient se faire
se faire la nuit. Les employés des douanes ont bien accès dans les domiciles,
mais c’est dans les usines et non chez les particuliers. Les usines leur sont
ouvertes ; et, cependant, ils ne peuvent y pénétrer qu’avec l’officier public.
Les visites domiciliaires sont maintenues dans toute législation : dans la
législation de nos voisins, elles sont autorisées ; elles n’ont lieu qu’entre
le lever et le coucher du soleil ; elles ne peuvent être faites qu'en présence
d’un agent municipal ou du juge de paix. Je pense que toutes ces garanties sont
plus que suffisantes pour éviter aux habitants des vexations.
Et ici je fais un
appel aux habitants des rayons soumis à la surveillance pour qu’ils fassent
connaître les auteurs des vexations s’il y en a de commises. Ils verront avec
quelle vigueur elles seront réprimées.
Le
droit de suivre la fraude est un droit chez nos voisins et chez nous. Il est
évident que si les employés ne l’ont pas perdue de vue, ils peuvent la saisir.
Il y a trop d’intérêt pour les manufacturiers et pour le trésor à poursuivre les
fraudeurs. Ils ne peuvent être impunis parce qu’ils auraient remporté le prix
de la course sur les douaniers.
J’ai entendu avec
le plus vif regret dire que les employés feraient de fausses déclarations dans
leurs procès-verbaux. Mais ce cas est prévu. Si des faits semblables
parvenaient à la connaissance de l’orateur qui en a parlé, je demanderai qu’il
les fasse connaître, qu’il emploie la force de son talent pour les signaler et
pour appuyer les réclamations, et il verra si les coupables seront poursuivis
et punis.
M. de Robaulx. - Je demande la parole pour un fait qui m’est
personnel.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. de Robaulx. - Il est
inconvenant de venir ici m’inviter à signaler des faux dans les procès-verbaux,
et à appuyer les réclamations de mon talent ; je parle des faux dans les
procès-verbaux comme législateur ; mais je ne suis point chargé de les
dénoncer.
M. Duvivier. - Je n’ai voulu rien dire de choquant en invitant
l’orateur à appuyer de la force de son talent les réclamations auxquelles de
faux procès-verbaux donneraient lieu ; j’ai voulu dire que les faux seraient
punis.
M. de Robaulx. - Je demeure dans un rayon où les visites se font ;
là j’ai vu discuter des procès-verbaux inexacts ; j’ai tenu des procès-verbaux
contre lesquels on s’est inscrit en faux. Eh bien, je dirai que là on a fait
visite domiciliaire la nuit. Je crois que les employés se font accompagner du
juge de paix ; mais qu’il y ait juge de paix ou officier municipal, ce n’est
pas là une garantie suffisante ; toujours est-il qu’ils ont droit de venir chez
moi à toute heure.
C’est une inconstitutionnalité
à laquelle on doit prendre garde avant de l’établir.
La fraude la plus
considérable se fait en esprit... Ce n’est pas en cet esprit dont on a tant
besoin, (on rit) c’est de
l’esprit-de-vin, de l’eau-de-vie, cette fraude se commet à l’aide de vessies ;
les employés pourront désormais poursuivre l’esprit jusqu’à Bruxelles, d’après
le droit de suite. Jugez si cela est convenable.
M. A. Rodenbach. - Je crois devoir repousser de toutes mes forces le
projet ministériel, et celui de la section centrale. Voici, en peu le mots, mes
motifs péremptoires. Le ministre prétend que, par un rayon unique, il éliminera
la contrebande, mon opinion à ce sujet est diamétralement opposée. Je le
prouverai par des faits, c’est presque toujours dans la première ligne de
douanes que les préposés attaquent et mettent en déroute les bandes de
fraudeurs. Une fois dispersés les contrebandiers se jettent çà et là dans la
seconde ligne, et ce n’est que dans le second rayon que les douaniers en embuscade
dans les fossés, dans les bois, etc. font des prises par suite du choc qui a eu
lieu en première ligne. Je crois, messieurs, les assertions que j’avance
tellement fondées, que si le ministre ou son administrateur-général voulait
produire les registres du contentieux, on y verrait que sur 20 grandes prises
15 se font dans le second rayon que l’on veut inconsidérément supprimer. Je ne
conçois pas l’étrange esprit fiscal qui a pu présider à la rédaction de ce
projet de loi, qui est tout à l’avantage de la contrebande, et ruineux pour
notre industrie commerciale et manufacturière. Jusqu’à présent les fraudeurs
devaient parcourir quatre lieues pour arriver avec leur charge à destination,
dorénavant ils n’auront plus que deux lieues de marche, il s’en suivra qu’au
lieu de faire dans une nuit une seule opération, ils en feront deux.
Je
pense que de pareils arguments suffiront pour laisser notre pitoyable douane en
statu quo jusqu’à révision du nouveau système d’impôts ; car je préfère encore
le mauvais au détestable.
Je prie M.
l’administrateur général de répondre catégoriquement, puisqu’il est chargé de
la part du ministre de défendre le projet.
M. Delehaye. - L’expérience nous a prouvé que les lois provisoires
ne produisaient aucun bien. J’ai la conviction que la loi actuelle améliorera
peu la situation des industriels, et je suis convaincu qu’elle empêchera peu la
fraude ; pour l’empêcher il faudrait diminuer les droits sur certaines
marchandises et puis il faudrait permettre au gouvernement de saisir d’autres
marchandises partout où elles se trouvent. Si vous ne prenez pas ces mesures,
vous ne produirez rien d’utile pour le commerce et l’industrie.
On a vanté le
succès obtenu par la France avec sa législation. Elle a frappé de 15 p. c.
l’entrée de nos dentelles ; eh bien ! au vu et au su du gouvernement, l’entrée
des dentelles par la fraude se faisait à 5 p. c. Les commerçants aimaient mieux
payer cet impôt aux fraudeurs que de payer 15 au gouvernement. Des plaintes ont
été faites ; le gouvernement les a accueillies ; il a diminué les droits et la
fraude n’a plus lieu.
Autre
exemple, les cotons suisses, qui se vendent en Belgique à plus bas prix qu’en
Suisse, sont introduits en fraude. Si vous ne les saisissez pas partout où ils
se trouvent, vous n’empêcherez pas leur entrée.
En France, tous
les cotons sont soumis à l’estampille. Je voudrais que partout où ils ne
porteraient pas cette marque de plomb, ils fussent saisis, je crois que les
personnes qui ne veulent pas frauder aimeront mieux s’exposer à un petit
embarras qu’à être ruinées.
Je voterai donc
contre le projet, parce qu’il est provisoire.
M. Jullien. - Depuis 1816, on n’a fait autre chose que de faire et
défaire des lois sur les douanes et sur les accises. Dans une période de huit
années, de 1814 jusqu’à 1822, on compte deux ou trois lois générales, et la
dernière, celle de 1822, est la plus détestable de toutes celles que jamais
législateur ait pu faire. C’est un vaste réseau qui a été jeté sur l’industrie
du pays, et dans lequel on est certain de prendre en contravention tous les
contribuables.
La loi est
incompréhensible. Indépendamment du génie fiscal qui y règne, elle renferme la
plus grande obscurité. Les particuliers poursuivis sous quelque prétexte que ce
soit sont obligés de transiger ou bien on les ruinerait à force de poursuite.
Telle est la législation qui régnait sous le gouvernement déchu ; et je puis
vous en parler, car j’ai eu plus d’une occasion de m’élever contre cet odieux
système.
Que nous
propose-t-on ? On nous propose de coudre des pièces, de mauvais lambeaux à
cette mauvaise loi ; on devrait ne plus revenir à cette législation, et se
souvenir des principes posés dans la loi du 22 juillet 1791, qui a été le droit
commun de la France et de la Belgique pendant 18 ans, qui est encore le droit
commun en France, et que l’on a signalée partout comme un modèle de clarté et
de précision. Pourquoi ne revient-on pas à cette loi, en y ajoutant ce qui,
d’après nos progrès, devrait y être ajouté ? Mais au lieu de cela, on nous
propose de faire un rayon unique, parce que, dit-on, il empêchera mieux la
fraude. Je croirais à ce raisonnement si on l’employait autrement. Je suis sûr
qu’on l’a employé en présentant la loi qui ordonnait un second rayon. On n’a
pas manqué de dire que par le second rayon on saisirait la fraude qui
échapperait au premier.
Mais dira-t-on :
nous n’avons qu’une armée de 5,000 douaniers et ils ne suffisent pas pour
observer dans les deux rayons. Un rayon unique sera plus compact. Cette raison
bonne aujourd’hui, comment a-t-elle pu être mauvaise ? Car le personnel n’a pas
changé.
Un des principaux
motifs qui me feront rejeter la loi, c’est celui qui a été indiqué par M. de
Robaulx. C’est le droit de suite. En donnant ce droit aux employés, ils
poursuivront la fraude partout où ils voudront. En principe quand une
marchandise a franchi les bureaux de douanes, elle doit être aussi libre que
toutes les autres. Vous ne manquerez pas d’employés qui vous diront avoir vu
des marchandises entrer. Il n’y a pas longtemps que j’ai vu saisir, à quatre
lieues dans l’intérieur, une grande quantité de draps qui venaient de France.
Ils étaient dans un magasin, ils étaient la propriété d’un particulier qui les
avait achetés. Ils ont été vendus à Bruges.
Dans un temps où
les magistrats étaient amovibles, on les encourageait par des récompenses, et
il est arrivé que les mesures les plus odieusement fiscales, étaient soutenues
et appliquées par les tribunaux.
Si vous admettez
le droit de suite, je ne sais où l’employé s’arrêtera ; il viendra saisir au
cœur de Bruxelles. Limitez ce droit ; dites qu’il s’étendra à une lieue, à une
demi-lieue.
On aura beau dire
; quand vous serez poursuivi en vertu de ce droit, vous ferez la preuve
contraire. Comment la fera-t-on ? Des témoins attesteront, que les douaniers
n’ont pas vu quand ceux-ci attesteront qu’ils ont vu ; la décision sera
toujours en faveur du fisc. Il sera impossible d’établir un alibi, c’est-à-dire
de prouver que les marchandises étaient dans tel lieu, quand les douaniers
assuraient qu’elles étaient dans tel autre.
Comme
l’a dit M. Delehaye, pour dissimuler la fraude, diminuez les droits ; les
soieries, les spiritueux, les sels sont l’objet de la contrebande ; pourquoi ?
Parce que les droits sont exorbitants ; parce que vous prenez 15 p. c. sur les
spiritueux ; parce qu’ils ne sont pas moins forts sur les soieries et sur les
sels. Si les droits étaient fixés sur les spiritueux à 5 p. c. ce qui réduirait
le produit à 4 p. c. parce qu’il faut laisser 1 p. c. à la fraude, le fisc
percevrait autant car en finances, deux et deux ne font pas quatre.
Il faut nous
débarrasser de la législation de 1822 et revenir aux principes de la
législation de 1790.
D’après ces
considérations, et celles qu’ont fait valoir les préopinants, je voterai contre
la loi.
M. Duvivier. - Je ne contesterai pas la nécessité de réviser la
législation des douanes. Cette vérité est reconnue, et diverses commissions ont
été instituées dans ce but : l’une composée des membres de cette chambre,
l’autre formée en dehors, recherchent surtout ce qu’il convient de faire pour
l’industrie. Quant à la nécessité de réviser les lois générales sur
l’exportation, l’importation, le transit, ce travail me paraît nécessaire ;
mais il ne pourra se faire que dans un temps plus tranquille et où il y aura
moins de désordre. Actuellement je dois faire observer à l’honorable préopinant
que l’une des considérations qu’il a fait valoir tombe devant la nécessité où
se trouve l’administration depuis plusieurs années.
Depuis 1816, il
s’est opéré des fusions dans les diverses administrations ; après ces fusions
il devenait indispensable de faire des lois. Vous savez qu’on a réduit
plusieurs administrations en une.
La
loi de 1791, dit-on, est un modèle en fait de douanes ; cela est vrai ; elle
équivaut à la loi de frimaire an VII pour l’enregistrement et à l’ordonnance de
1669 pour les eaux et forêts, et dont les dispositions sont encore suivies ;
mais la législation de 1791 a été suivie de tant de partielles, qu’elles
feraient un volume, et qu’il ne reste de cette loi que les principes généraux
qui sont en vigueur. Il faudrait donc, dans une révision, embrasser toutes ces
lois et toutes les ordonnances.
Voilà les
difficultés du travail. Il n’est pas impossible ; mais on voit combien de temps
et de soins il réclame. Je crois avoir, par ces détails, suffisamment répondu
aux observations présentées par les honorables préopinants.
M. Dumortier.
- Messieurs, je ne pourrai donner mon assentiment au projet de loi que je crois
peu propre à remplir le but qu’on se propose. Assurément ce n’est pas en
réduisant de deux en un les rayons de douanes, que l’on pourra plus facilement mettre
à exécution des mesures de surveillance d’autant plus importantes que toutes
les fois que l’on veut résumer les moyens d’exécuter les lois sur le transit,
sur les accises et sur les droits à l’entrée et à la sortie, il faut toujours
en revenir à cet axiome, qu’une bonne ligne de douanes est indispensable pour
cela. Je crois donc que le projet, loin d’atteindre le but proposé, sera
préjudiciable à l’industrie et au commerce. Je ne répéterai pas tout ce que les
honorables préopinants vous ont dit à ce sujet, mais je dois dire que pour que
la fraude scandaleuse qui se fait à la frontière soit efficacement réprimée, il
faut que l’on ajoute des brigades à cheval aux brigades à pied qui existent
actuellement. Vous sentez en effet, messieurs, qu’avec des frontières aussi
étendues que les nôtres du côté de la Hollande et dans un pays découvert comme
la Campine où l’on voit un homme à une lieue de distance, il sera bien facile
aux fraudeurs d’échapper. Ce n’est donc pas en restreignant la ligne que vous
éviterez la fraude.
Je ne puis
admettre le système de l’honorable M. Delehaye qui voudrait que l’on pût
saisir, partout où on la trouverait, la marchandise introduite par contrebande
dans le pays. Ce système, suivi en France, y a produit une infinité de
réclamations et de vexations sans nombre, que je serais fort fâché de voir se
reproduire en Belgique.
Sans doute, je
suis d’avis que l’on punisse sévèrement les fraudeurs et surtout que l’on ne
transige jamais avec eux, car ce sont précisément les transactions qui encouragent
les fraudeurs ; mais d’une punition juste et nécessaire à mettre le royaume en
interdit, il y a loin. On arriveriez-vous avec un système qui permettrait de
saisir à l’un sa culotte, à l’autre son mouchoir (hilarité générale), sous prétexte que ces objets seraient entrés en
fraude ? Messieurs, j’espère que jamais pareille honte ne sera imposée à la
Belgique.
Je ne conçois pas
non plus ce qui a pu porter la section centrale à supprimer quelques
dispositions du projet primitif, qui me paraît à beaucoup d’égards préférable à
celui qu’elle lui a substitué. Aussi dans le projet ministériel, on disait que
les boutiques, usines et fabriques qui se trouveraient établies dans le rayon
au moment de la mise à exécution de la loi ne seraient pas soumises à l’autorisation
préalable. Cette disposition était fort sage, je ne vois pas quel motif a pu la
faire supprimer et enlever ainsi toute garantie aux industriels établis dans le
rayon, sur la foi de l’ordre de choses existant. Je ferai remarquer que, par la
loi de 1822, il est défendu d’établir des dépôts de marchandises dans
l’intérieur du rayon ; la commission, en supprimant l’article du projet
ministériel, est venue remettre en question l’existence de toutes les
industries établis dans le rayon. L’article 2 du ministère porte :
« Toutes les dispositions de la loi générale précitée, qui concernent le
territoire mentionné à l’article 177, sont rendues applicables au rayon d’un
myriamètre à tracer en vertu de l’article précédent. »
La section
centrale a conservé cette disposition dans l’article 4 du projet, mais elle en
a retranché la deuxième partie qui était ainsi conçue : « Sauf que les
boutiques, usines, fabriques qui se trouveront établies au moment où la
présente loi sera mise à exécution, ne seront pas soumises à l’autorisation
préalable. »
Cette mesure me
semblait très sage, pourquoi donc la supprimer ? Parce que, dit la section
centrale, la loi aurait eu sans cela un effet rétroactif. Mais où est-il ? Les
habitants du rayon avaient un droit acquis avant la loi, vous le leur
conserver, ce n’est assurément pas rétroagir. C’est en
leur enlevant leur droit que vous rétroagiriez, ce serait mettre une foule de
commerçants, de boutiquiers, de marchands sur la paille en attendant qu’ils
pussent obtenir une nouvelle autorisation. L’honorable M. de Robaulx vous a
signalé les vices du droit de suite que la section centrale a admis dans le
projet ; je n’ajouterai qu’un mot à ce qu’il vous a dit : ne vous y trompez
pas, messieurs, les vexations sans nombre que ce droit a occasionnées en
France, vous les allez voir naître en Belgique et chaque jour amènera des
vexations nouvelles et des procès et des contestations sans fin. J’ai habité la
ligne des douanes et souvent j’ai été témoin que les douaniers ne se faisaient
aucun scrupule d’attester des faits évidemment faux. L’honorable M. Duvivier
nous a dit que de pareils abus ne sont pas à craindre parce que
l’administration ne les tolérera pas ; mais M. Duvivier ne sera pas toujours à
la tête de l’administration, il ne restera pas cinquante ans chargé de faire
exécuter la loi (hilarité), et la loi peut durer 50 ans et au-delà ; c’est donc
une faible garantie que nous aurions là. Par ces considérations, je voterai
contre le projet de loi.
M. A. Rodenbach. - Puisque M. Duvivier s’est chargé de défendre le
projet en l’absence du ministre, je le prie de répondre aux objections que je
lui ai présentées, et sur lesquelles il n’a pas répondu un seul mot. Pour lui
en rafraîchir la mémoire, je lui dirai que c’est toujours dans la deuxième
ligne des douanes que les fraudeurs étaient arrêtés, parce qu’ils attaquent
toujours en masse la première ligne et parviennent à la dépasser. Je lui ai dit
aussi que s’il voulait consulter ses registres, il y verrait que sur 20 grands
procès, je ne parle pas ici des petits procès sans importance, mais des grands
procès seulement ; eh bien, sur 20 de ces grands procès, il verra qu’il y en a
15 qui ont été faits, pour des cas constatés dans le second rayon.
M. Duvivier. - Je vais répondre deux mots pour satisfaire
l’honorable préopinant, c’est précisément parce que les contrebandiers
attaquent la première ligne que la deuxième les attrape, car les cris, le bruit
qui se fait aux premiers postes, donnent l’éveil aux seconds et il est plus
difficile d’échapper à ces derniers.
Aujourd’hui que
tout le personnel sera rapproché, que les intervalles d’un poste à l’autre
seront moins considérables puisqu’ils ne seront répandus que sur une profondeur
de deux lieues au lieu de quatre, il est constant que l’appel des premiers aura
plus facilement de l’écho dans les seconds, et qu’il sera plus difficile
d’échapper à la surveillance. Quant aux procès-verbaux dont a parlé l’honorable
membre, je pourrais en faire l’objet de mes recherches pour le satisfaire ; je
lui ferai cependant observer qu’il serait impossible de savoir si les
contraventions ont été constatées dans la première ou dans la deuxième ligne.
Nous savons bien à quel poste ont été dressés les procès-verbaux, mais nous ne
savons pas si c’est à la première ou deuxième ligne que les fraudeurs ont été
surpris.
M. Delehaye. - Messieurs, je n’aurais pas demandé la parole une
seconde fois si l’honorable M. Dumortier n’avait présenté sous un jour peu
favorable l’opinion qu’il avait émise. Il a dit que la mesure dont j’ai parlé
d’estampiller les marchandises serait honteuse pour le gouvernement. Mais je le
demande, où est la honte là-dedans ? Le gouvernement français l’a mise en
pratique, en est-il résulté quelque honte pour la France ? Mais en Belgique
aujourd’hui même, n’exige-t-on pas que les poids et mesures soient marqués ?
Quelqu’un a-t-il songé à taxer cette précaution de honteuse ? Mais, dit M.
Dumortier, on pourra donc venir prendre un mouchoir à un particulier, ou
d’autres objets à son usage ? Non sans doute, et cela ne résulte en aucun façon
de ce que j’ai dit.
J’ai parlé
d’estampilles à apposer aux marchandises pour pouvoir les reconnaître et les
saisir chez les négociants, mais jamais chez les particuliers. Je n’ai pas même
d’ailleurs fait de proposition formelle à ce sujet, dans la conviction où
j’étais que la chambre se montrerait peu disposée à l’accueillir. Mais il n’est
pas moins vrai que le vœu de tous les grands fabricants serait de voir établir
une semblable mesure.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, toutes les objections faites contre le
projet de loi semblent tendre à dire qu’il faudrait supprimer toute ligne de
douanes. Je sais, aussi bien que personne, tout ce que les lignes de douanes
ont d’odieux et de gênant, mais à l’existence des douanes se tient une
multitude d’intérêts sacrés que vous ne pouvez trahir. Ces intérêts, vous devez
les maintenir et les défendre de toute atteinte, sans cela vous détruiriez de
fond en comble une foule d’existences. Tous les reproches qu’on faut au système
des douanes sont très fondés et très réels, et on peut en ajouter encore un
autre à tous ceux qu’on a articulés, et celui-ci est le plus grave. C’est que
les lignes de douanes sont un foyer de corruption et démoralisation, pour le
commerce, l’industrie et pour tous les habitants des frontières. C’est un fait
constant qu’au délit de fraude et de contrebande, il ne s’attache aucune idée
flétrissante. C’est là un délit artificiel et on ne confondra jamais l’auteur
d’un semblable délit avec celui qui aurait foulé aux pieds les lois de la
morale.
Or, messieurs,
c’est un grand mal que de créer des délits artificiels, parce qu’on peut les
commettre sans honte comme sans remords, mais enfin de quoi s’agit-il dans la
loi ? Tout le monde demande que la fraude soit réprimée et que le personnel de
surveillance soit renforcé. Si vous voulez un système efficace et vraiment
répressif, il faut en subir les conséquences, ne pas se récrier contre la gêne
et les autres inconvénients qu’il entraîne à sa suite. La corruption des
employés, les intérêts du fisc, l’avidité de ceux qui se livrent à la
contrebande vous font une loi de subir cette gêne. A cet égard, quand le projet
a été discuté dans la section centrale, on nous a fait de tristes aveux ; il
est tel employé qui, n’ayant que 800 fl. d’appointements, a trouvé le moyen
d’acheté un bien de 30 mille fl. Devant un tel scandale, l’administration est
sourde et aveugle et l’employé conserve sa pace ; dans la discussion du budget
on a trouvé exagérée l’armée de 5,000 employés qu’exigent vos lignes de douanes
; eh bien ! messieurs, ces employés, tout nombreux qu’ils sont, ne suffisent
pas au service, et d’après la manière dont ils sont dirigés, ils ne font pas
même de service. En France il y a un service de nuit, fait par des patrouilles
de douaniers qui se croisent dans tous les sens. Allez sur nos côtes, vous verrez
que, quand la nuit est arrivée, nos douaniers vont se coucher et laissent les
fraudeurs libres de se livrer à leurs opérations.
Nous aurons donc
beau faire des lois pour réprimer la
fraude ; aussi longtemps que l’administration ne prendra pas des mesures plus
efficaces pour la réprimer, elle marchera haut la main et franchira tous les
obstacles que nous tâcherons de lui opposer. La section centrale a pensé comme
le gouvernement qu’une seule ligne de douanes serait plus puissante à empêcher
la contrebande que deux, et je le pense de même, les postes plus rapprochés
pourront exercer une surveillance plus active. Mais, a dit un honorable membre,
quand deux rayons de douane ont été trouvés insuffisants, comment
persuadera-t-on qu’un seul suffira ? La chose est facile à comprendre. Si au
lieu d’éparpiller vos employés dans un espace de 4 lieues, vous les concentrez
dans un espace de 2 lieues, vous doublez leurs forces. Que dis-je ? vous ne les
doublez pas, mais vous les quadruplez, car c’est en raison du carré de la
distance à garder qu’il faut calculer l’augmentation des surveillants, ainsi là
où 4 employés suffiraient pour garder deux lieues, il en faudra 16 en doublant
la distance. Vous voyez donc que ce problème que vous aviez cru insoluble
reçoit une solution très simple par cette explication.
Un autre membre a
attaqué la modification apportée à l’article 2 par la section centrale. Si
l’honorable membre avait recouru au rapport de la section centrale, il n’aurait
pas fait son objection. La section centrale, en supprimant la seconde partie de
l’article 2, a eu pour objet de faire disparaître de la loi une disposition
complétement inutile.
Que résultait-il,
en effet, de cette deuxième partie de l’article ? Que les boutiques, usines et
fabriques actuellement existantes ne seront pas soumises à l’autorisation
préalable, voulue par la loi de 1822. Il était inutile de le dire, parce que la
loi ne rétroagissant pas, il est évident que les droits acquis n’en peuvent
recevoir aucune atteinte, d’où par conséquent l’inutilité d’en faire la
déclaration expresse dans la loi. Mais, dit-on, l’affranchissement de la partie
de territoire, qui va être distraite du rayon, par son rétrécissement ne se
trouve pas consacré par le projet de loi de la section centrale, comme il l’était
par le projet ministériel. Mais il est par trop évident que dès que l’une des
deux lignes disparaît et que celle qui reste va être tracée en dedans de
certaines limites, tout ce qui se trouvera hors de ces limites sera affranchi
par le fait et sans qu’il soit besoin que la loi le dise.
Une
autre critique a été adressée au projet touchant le droit de suite. La
disposition proposé à cet égard par la section centrale n’est pas nouvelle ;
elle a été puisée dans la loi de 1791 dont tout le monde reconnaît la sagesse
et que plusieurs membres ont présentée comme la loi modèle. Je partage leur
opinion à cet égard, mais non pas leur répugnance pour la disposition relative
au droit de suite, je regarde même cette disposition comme la meilleure de la
loi. Elle ne fait en effet que consacrer une maxime de droit criminel que
personne ne contestera, celle du flagrant délit qui entraîne nécessairement le
droit de suite, sans lequel tout crime demeurerait impuni. Une fois la fraude
découverte, il faut pouvoir la suivre pour la réprimer, c’est là un principe de
droit criminel comme je le disais tout à l’heure, et je ne vois pas, quand ce
principe est admis en toute matière, pourquoi on ferait une exception en
matière des douanes, et en faveur des contrebandiers. Je pense que ces
explications suffiront pour justifier le projet des reproches qui lui ont été
adressés, et à part quelques légères modifications dont je le crois
susceptibles, je déclare que je voterai pour son adoption.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, le projet a été combattu par des
arguments bien différents, et même par des arguments opposés entre eux. Un des
premiers reproches faits au projet, et qui devraient être considéré comme
péremptoire s’il était fondé, c’est celui d’être inconstitutionnel. On a dit
qu’il consacrerait la violation du domicile ; il est vrai que la constitution,
article 10, dit : « Le domicile est inviolable, aucune visite domiciliaire
ne peut avoir lieu » ; mais ce même article ajoute ; « Que dans les
cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. » La loi peut
donc consacrer la violation du domicile en certain cas, il n’y a donc pas
d’inconstitutionnalité dans le projet. Un membre a dit que pour avoir un
système de douane convenable, il faudrait non seulement étendre la ligne dans
une profondeur de deux lieues, mais dans tout le royaume soit en faisant
estampiller les marchandises, soit de tout autre manière, et en même temps
d’autres membres s’élevaient contre le droit de suite.
Déjà M. d’Elhoungne
a fait observer que cette disposition avait été puisée dans la loi de 1791,
dont plusieurs membres ont vanté les sages dispositions. J’ajouterai à ce qu’a
dit l’honorable préopinant que quand le droit de suite ne serait pas dans la
loi, il n’en existerait pas moins, par la seule force du principe du flagrant
délit dont il a parlé en termes parfaitement justes. C’est ainsi que, quoique
le droit de suite ne fût pas consacré par la loi de 1822, des procès-verbaux
ont été souvent dressés hors des rayons, et les tribunaux, les considérant
comme constatant des cas de flagrant délit, les ont déclarés bons et valables.
Il y a maintenant deux lignes, dit-on, et on ne connaît comme désormais une
seule suffira, quand les deux étaient insuffisantes.
D’un
autre côté, on dit qu’en n’en adoptant qu’une avec le droit de suite, au lieu
de restreindre la ligne, c’est réellement l’étendre. Ainsi encore, le projet
est combattu par des arguments opposés. Remarquez, messieurs, que le
gouvernement avait par l’ancien loi un espace double à sa disposition et qu’il
pouvait le restreindre en rapprochant ses employés, il n’avait pas besoin d’une
loi pour cela. Mais alors, dira-t-on, pourquoi en demander une ? Pour que la
deuxième lieue soit assimilée à la première. Dans cette première lieue il est
défendu d’établir des usines, dans les trois autres on ne le peut qu’avec une
autorisation préalable. On ne le pourra pas maintenant dans toute l’étendue des
deux lieues. En rendant la circulation des eaux-de-vie libre dans l’intérieur,
il ne fallait plus de document à la deuxième lieue ; il en faudra maintenant
dans toute l’étendue du rayon.
Or, c’est la plus
grande fraude qui se fasse à la frontière. On ne les introduit, ont dit
quelques membres, en si grande quantité, que parce que le système des douanes
est vicieux. Ce n’est pas là la raison ; c’est parce que la loi sur la
fabrication des eaux-de-vie indigène est défectueuse. Quand le droit sera
diminué, vous verrez cesser la fraude parce qu’on n’aura plus intérêt à la
faire.
M. A. Rodenbach. - On la fera toujours, il y a cent pour cent à
gagner.
M. Ch. de Brouckere. - Il n’y aura plus cent pour cent, quand les droits
seront réduits, et je le répète, la fraude ne se fera plus.
M. A. Rodenbach. - Tout de même.
M. Ch. de Brouckere. - En résumé, messieurs, il est certain que la
surveillance sera plus facile si vous concentrez les surveillants sur un espace
de moins d’étendue. Vous vous récriez contre l’armée de 5,000 employés, et
cependant elle est et serait insuffisante si vous persistiez dans le système
actuel au lieu que par l’adoption du projet, vous rendez cette armée plus
compacte, et vous y gagnerez et sous le rapport de l’activité du service, et
sous le rapport de la surveillance que les supérieures seront plus à même
d’exercer.
Une autre
disposition de la loi a été l’objet des critiques de quelques membres. Ils se
sont étonnés de ce que le long des côtes le rayon ne serait que d’un
demi-myriamètre, tandis qu’il serait d’un myriamètre entier sur les frontières
de terre. La raison de cette différence est toute simple : sur la côté la
surveillance est facile, parce qu’il est aisé de voir de loin les bateaux fraudeurs
; il n’en est pas de même sur les frontières de terre où la vue souvent bornée
par des bois permet aux fraudeurs de se cacher et leur donne beaucoup de facilité pour échapper à la surveillance. Enfin on fait
un dernier reproche à la loi, c’est d’être provisoire. On voudrait que le tarif
des droits d’entrée et de sortie fût modifié dès aujourd’hui, mais on confond
deux choses entièrement distinctes. La loi qui fixe le tarif des droits
d’entrée n’a rien de commun avec celle qui fixe le rayon des douanes. Ainsi on
peut considérer cette loi comme définitive sous ce rapport. C’est un mal,
dit-on, de ne faire qu’une loi partielle pour les douanes quand il faudrait
réviser la loi de 1822, qui est si mauvaise. Ce mal, je le reconnais ; mais
pour refaire une loi qui ne compte pas moins de 300 articles, je vous le
demande, le temps est-il ben opportun alors que nous avons à faire la loi
judiciaire, la loi provinciale et plusieurs autres lois que nous prescrit la
constitution ? Si on s’était avisé de présenter une loi sur les douanes on s’en
serait dégoûté du premier coup, par l’impossibilité bien reconnue de s’en
occuper. En définitive, tout le monde se plaint de la fraude, la chambre doit
s’empresser d’adopter une loi qui fasse cesser ces plaintes.
M.
Poschet.
- Tous ceux qui habitent les frontières sont persuadés que la concentration des
forces des employés des douanes procurera un très bon résultat. La meilleure
preuve que vous puissiez trouver de l'utilité de cette concentration, c’est
d’aller demander aux assureurs, combien ils prendraient pour faire franchir les
deux lignes de la douane belge, et combien pour la première ligne seulement de
la douane française ; je suis certain qu’ils demanderont 6 ou 8 p. c. de plus
pour franchir cette dernière que pour franchir les deux autres. En fortifiant
votre ligne comme on l’a fait en France, vous obtiendrez les mêmes résultats.
Pour moi, je suis très convaincu de l’utilité de concentrer les employés des
douanes, et je voterai pour le projet.
M. de Robaulx. - Qu’on concentre les forces, personne ne l’empêche.
M. Legrelle. - Je voterai pour le projet de loi, mais à une
condition. C’est que l’article 2 du projet ministériel sera conservé, et que
les usines existantes actuellement dans le rayon ne seront pas soumises à une
autorisation préalable. Cela n’existe pas dans le projet de la section
centrale, et c’est à tort je crois. Je ne ferai pas maintenant la critique des
amendements introduits au projet par la section centrale, c’est sur le projet
ministériel que la discussion s’ouvrira et nous pourrons alors discuter ces
amendements. Sans cela je me verrais à regret forcé de voter contre la loi.
M. Jullien. - Messieurs, quand on a proposé la loi de 1791, comme
une loi modèle, on n’a pas dit qu’il fallait en prendre tout, même les
inconvénients ; on n’a pas dit, par conséquent, qu’il fallait y prendre la
disposition qui consacre le droit de suite. Il est incontestable qu’en France,
ce droit a donné lieu à des procès-verbaux dont la fausseté a été reconnue,
mais qu’il a été impossible de prouver juridiquement, et quand on vient me
parler de la corruption, de la démoralisation des employés de douanes, comment
voulez-vous que je ne tremble pas, si vous me mettez à leur merci ?
Certainement la cupidité leur fera dire qu’ils ont vu ce qu’ils n’ont pas vu
réellement, et ce que dit M. d’Elhoungne du flagrant délit me touche peu. Sans
doute, son observation est juste et je m’y rallierais s’il s’agissait du droit
de suite dans une distance de quelques toises. Mais s’il s’agit d’une ou de
plusieurs lieurs, je n’y saurais voir que des inconvénients très graves. Ce
n’est pas sous ce rapport que la loi de 91 me paraît digne d’être imitée, je ne
peux m’empêcher de me récrier, encore une fois, contre la loi de 1822, et
contre son obscurité. Pour vous donner un exemple de cette obscurité, je vous
lirai les articles 162 et 177 de cette loi, auxquels se réfère le projet
actuel. Je veux vous en donner cet échantillon, car il est probable que
plusieurs d’entre vous n’ont pas pris la peine de conférer la loi de 1822 avec
celle qui est en discussion.
Voici
l’article 162. Ici l’orateur donne lecture de cet article qui est fort long et
peu intelligible. Il s’arrête vers le milieu de sa lecture et dit : Il faut
respirer un peu, car il n’y a ni point ni virgule. (Hilarité générale.) L’orateur continue sa lecture et quand elle est
terminée il ajoute : Voilà un des articles. Si vous l’avez compris, messieurs,
je vous en fait mon compliment. (Nouvelle
hilarité.) Quant à moi qui tenais le livre et qui l’ai lu, j’avoue que je
n’ai pas eu autant d’intelligence. Et cependant cet article est le moins long
des deux et il y en a beaucoup de cette force dans la loi, qui n’en referme pas
moins de 300. Je vous avoue, messieurs, que je ne saurais voir dans la loi
qu’un piège tendu au commerce et à l’industrie, je ne donnerai donc pas mon
assentiment à un pareil projet.
M. de Robaulx. - Messieurs, j’ai entendu que, s’appuyant sur la loi
de 1791, M. d’Elhoungne, membre de la section centrale et l’un des auteurs du
droit de suite, voudrait nous faire consacrer ce droit. A ce propos, je me
permettrai cette réflexion, et ceci s’applique à moi comme à bien d’autres
membres de la chambre, c’est qu’il y a ici beaucoup trop d’avocats qui
s’occupent de finances et qui, sous prétexte de régularité dans les lois,
viennent nous induire à fausser les autres principes. Cependant, messieurs, les
avocats devraient savoir qu’il y a, en droit criminel, une
maxime qui ordonne de restreindre la loi plutôt que de l’élargir. Ainsi, au
lieu d’étendre le droit de suite, il faudrait le restreindre. En vain,
dites-vous, qu’il est consacré par la loi de 1791. Savez-vous d’où vient
l’erreur ? C’est qu’on ne fait pas attention que la loi de 1791 a été rendue
sous la république, et qu’on ne l’interprétait pas comme on l’a interprétée
plus tard sous l’empire. Alors, encore, on voyait les choses comme elles
devaient l’être, et l’on interprétait la loi avec cette bonhomie qui a bientôt
disparu sous le régime impérial. Le droit de suite ne fut d’abord que la
conséquence naturelle du flagrant délit et on ne songea pas à l’entendre
au-delà. Sous l’empire, tout a été changé. Sous prétexte du droit de suite, on
a poursuivi les marchandises anglaises jusqu’au cœur de la France, et on en a
livré au feu qui étaient depuis 10 ou 20 ans dans le pays.
Voilà, messieurs,
où vous conduirait cette littérature de ceux qui veulent de l’harmonie dans les
lois à la fiscalité la plus odieuse,et la plus vexatoire qui fut jamais. Voilà
pourquoi je m’élève contre cette littérature qui vient nous proposer des
amendements destructifs des vrais principes et qui, si vous les adoptiez,
consacreraient d’odieuses fiscalités.
M. Mary. - Plusieurs orateurs ont défendu le projet de loi,
ils ont fait l’éloge de la loi de 1791 ; nous l’avons même cité comme un modèle
de clarté ; nous avons ajouté que, pressés par les circonstances, nous n’avions
pu réviser la législature entière, et qu’il fallait attendre à une autre
époque, où le pouvoir législatif serait moins surchargé, pour réviser les lois
sur les douanes. La loi de 1791 n’a pas été portée au milieu de trouble
politiques ; elle a été portée à une époque où les principes de justice et
d’équité étaient dans tous les cœurs. L’assemblée nationale après avoir entendu
son comité de commerce et d’agriculture porta cette loi ; ainsi elle fut rendue
dans l’intérêt du commerce et de l’agriculture.
Quant au droit de
suite, contre lequel on s’est récrié, c’est un décret impérial daté de Berlin
qui en a réglé les poursuites et qui a ordonné que les marchandises anglaises trouvées
dans l’intérieur seraient brûlées. Ainsi ce n’est pas la loi de 1791 qui a
consacré de pareilles injustices. La loi de 1791 a donné les moyens de
poursuivre la fraude. Il faut que les employés aient vu la fraude se commettre
sur le territoire réservé et alors ils peuvent poursuivre sur le territoire qui
ne l’est pas.
Messieurs, nous
voulons que le fisc ne soit pas trompé ; alors donnons-lui les moyens d’arrêter
la fraude. Il y a ici deux intérêts en présence : l’intérêt des fraudeurs et
l’intérêt du fisc ; eh bien, nous devons nécessairement protéger le fisc, car
c’est protéger à la fois et l’industrie et le trésor. Notre industrie, vous le
savez, est accablée par la fraude, il lui est impossible de soutenir la
concurrence ; et les fabricants les plus honnêtes n’ont à la fin d’autre
ressource que celle que leur offre cette odieuse fraude.
On a invoqué la
constitution qui défend les visites domiciliaires ; mais la constitution dit
que ces visites ne peuvent avoir lieu qu’en vertu d’une loi et conformément à
cette loi ; or, c’est une loi que nous faisons ; il n’y a donc rien
d’inconstitutionnel.
On
a dit qu’au lieu d’un rayon de douanes, on mettait toute la Belgique dans le
rayon de douanes, par le droit de suite, droit nécessaire pour atteindre les
fraudeurs. J’approuve l’opinion émise par M. Dumortier qui voudrait que l’on
créât des brigades à cheval ; mais c’est là une mesure d’administration ; c’est
à elle à savoir si les moyens que lui donne le budget lui permettent d’établir
ces brigades assez coûteuses. Quant à nous, nous n’aurons pas à nous en
occuper.
On a reproché à la
section centrale d’avoir supprimé la deuxième partie de l’article 2 ; la
suppression n’a eu lieu que parce qu’on a reconnu que le paragraphe, se
trouvant dans une autre loi, était une superfluité.
Je crois ne pas
devoir davantage réclamer votre attention ; et je me propose de défendre les
articles lorsqu’ils seront mis en discussion.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Mon
intention, messieurs, n’est que de vous présenter une courte observation sur
l’abus qui exista sous l’empire français à propos du droit de suite. Déjà
l’honorable M. de Brouckere vous a très bien dit que le droit de suite, n’était
que la poursuite du flagrant délit qui est de droit commun. Dans tous les cas,
je ne conçois pas comment sous notre législation les abus seraient à craindre,
quand les procès-verbaux des préposés de douanes ne font foi que jusqu’à preuve
contraire et non pas jusqu’à inscription de faux. Si avec cette législation, un
employé se permettait d’affirmer des faits contraires à la vérité, il serait
lui-même passible de l’action des tribunaux.
On a cité
l’exemple de marchandises anglaises qui étaient depuis 10 ou 20 ans en France,
et qui ont été brûlées, par suite de l’abus, dit-on, qui a été fait de la
disposition de la loi de 91. C’est une erreur que d’en accuser cette loi. Il y
avait en effet une loi spéciale sous la date du 10 brumaire an V qui prohibait
toute importation d’articles du commerce provenant de manufactures anglaises et
qui défendait la vente de ceux qui se trouvaient dans le pays et qui en
ordonnait la réexportation. C’est en vertu de cette loi que les marchandises
dont on a parlé ont été brûlées. Or ce n’est pas la loi de l’an V que la
section centrale vous propose de mettre en vigueur, mais seulement la
disposition de la loi de 1791 dont il est difficile d’abuser, et dont on a
exagéré beaucoup trop les inconvénients. (Aux
voix ! la clôture !)
- La clôture est
mise aux voix et adoptée.
M. Dumortier
demande que la discussion s’établisse sur le projet ministériel.
M. le président. - Le ministre s’est rallié au projet de la section centrale.
- La proposition
de M. Dumortier, combattue par M. Mary, est rejetée.
Article premier
M. le président. - Voici le texte de l’article premier (Voyez plus bas) et l’amendement
proposé par M. de Nef.
M. d’Elhoungne fait observer que la disposition est inutile, car du moment que
l’ennemi met le pied sur le territoire, les frontières changent en quelque sorte
et les lignes de douanes sont de droit portées plus en arrière.
- L’amendement de
M. de Nef est rejeté.
M.
Fallon. - Je ne comprends pas bien l’utilité du dernier paragraphe
de l’article premier. Par ce paragraphe on établit un rayon en pleine mer à
deux fins, d’abord pour autoriser l’administraiton à établir des bâtiments
croiseurs le long des côtes pour prévenir la fraude, conformément à l’article
2, et, en second lieu, pour donner, comme le veut l’article 3, ce droit de
visite sur les bâtiments à l’ancre ou louvoyant à une distance déterminée. Dans
le premier cas, il est fort inutile de faire intervenir la législature pour
autoriser l’administration à établir une croisière ; l’administration étant
chargée d’empêcher la fraude, c’est à elle d’employer les moyens qu’elle juge à
propos pour atteindre ce but, elle n’a pas besoin d’une loi pour cela ;
l’article 2 est donc inutile. L’article est inutile aussi en ce qu’il manque de
sanction. En effet qu’importe que vous ayez le droit de visite, si quand vous
trouvez des objets prohibés dans le navire, vous ne pouvez rien faire pour
réprimer la fraude. Or, la loi ne vous autorise à rien à cet égard. L’article 3
est donc inutile.
M. Ch. de Brouckere appuie ces observations ; il fait remarquer en outre
que par le mot « louvoyant » qui est dans l’article 3, on s’interdit
en quelque sorte d’user de cet article, parce qu’il est certain que tous les
navires que l’on voudra visiter soutiendront qu’ils ne louvoient pas. Il est
impossible, dit-il, que nous votions l’article premier, sans savoir si une
sanction pénale sera ajoutée à l’article 3.
M. d’Elhoungne. - Je partage
l’avis des préopinants en ce qui concerne la dernière portée de l’article
premier et l’article 2. Quant à l’article 3, peu de mots suffiront pour faire
sentir la nécessité de le maintenir. La disposition qu’il consacre n’a pour
objet que de mettre à même les douaniers de savoir si les petites embarcations
qui s’approcheraient trop de la côte ont à bord de la contrebande ; dans le cas
de l’affirmative, au moyen de signaux convenus on donnera l’éveil aux douaniers
qui sont à terre, pour les tenir en garde contre le débarquement des
marchandises. Par là, la surveillance devient facile et la fraude presque
impossible. Vous voyez donc que quoique dépourvu de sanction pénale, l’article
3 remplit parfaitement son but en paralysant toute tentative de fraude.
Je pense donc que
sous ce rapport l’article premier pourrait être maintenu, en retranchant le
dernier paragraphe. Il y a une autre objection. On établit une différence entre
le rayon, vers la frontière de terre, et le rayon vers les côtes. Là, le rayon
serait d’un demi-myriamètre seulement. J’aime l’égalité en tout, car l’égalité
c’est de la justice. Il y a donc là un changement à faire. Je trouve encore le
premier paragraphe de l’article 4 superflu, voici ce qu’il porte :
« Toutes les
dispositions de la lois générale précitée qui concernent le territoire
mentionné à l’article 177 sont rendues applicables au rayon à tracer en vertu
de l’article premier. »
Par
cette disposition, le rayon des douanes ne pourrait être modifié par le
gouvernement, et ce serait un mal ; car enfin, l’expérience peut prouver
l’utilité d’avancer la ligne dans l’intérieur ou de la reculer, et le
gouvernement doit être investi du droit de faire ces changements. C’est pour
remédier à tous ces inconvénients que je proposerai de rédiger ainsi l’article
premier.
« A dater du
premier juillet prochain la deuxième ligne de douanes est supprimée, et le
gouvernement pourra étendre le rayon du territoire réservé jusqu’à un
myriamètre en-deçà de l’extrême frontière.
« Les
dispositions qu’il prendra à cet égard seront insérées au Bulletin officiel, huit jours au moins avant leur mise à
exécution. »
M. le président.. Fait une seconde lecture de l’amendement de M.
d’Elhoungne.
M. Duvivier. - L’amendement que je suis chargé de déposer répond
à ce qu’a dit M. Fallon, sur la surveillance qui sera établie en vertu de
l’article 3.
M. le président.. - Cet amendement étant sur l’article 3, nous n’avons pas à nous en
occuper.
M. Ch. de Brouckere. - Il y a corrélation de l’amendement à l’article
premier.
M. le président.. - Voici l’amendement déposé par M. Duvivier, et que propose M. le
ministre des finances :
« Tout navire
ou embarcation du port de 50 tonneaux ou au-dessous, qui sera trouvé dans la
distance d’un demi-myriamètre de la côte, chargé de manufactures de
marchandises prohibées par le tarif des douanes ou d’objets soumis aux droits d’accises,
qui ne seraient pas couverts et justifiés par des expéditions ou documents
délivrés en Belgique, sera saisi et confisqué, ainsi que la partie de sa
cargaison qui constituerait cette contravention. »
M. Dumortier. -
Ce n’est pas admissible.
M. Duvivier. - Cet amendement est pour remplir une lacune qui me
semble exister. Si la surveillance se réduit à ce qu’a dit M. d’Elhoungne, elle
ne produira aucun résultat et ne fera que coûter beaucoup à l’administration.
Il n’est pas nécessaire d’avoir des navires en mer ; de la côte on peut
s’apercevoir des navires en fraude. Du moment que les embarcations
s’approcheraient d’un demi-myriamètre de la côte, il y a lieu de les saisir si
elles sont chargées de marchandises prohibées ou de marchandises soumises
aux droits d’accise. Tel est le but de l’amendement que M. le ministre des
finances m’a chargé de soumettre à l’assemblée.
M. Mary. - L’honorable M. Fallon voudrait la suppression de
la fin de l’article premier, et par suite la suppression d’autres dispositions
présentées par la section centrale. L’article donne à l’administration le droit
d’avoir une croisière en mer ; c’est une mesure prise de la législation
française et l’on s’est même servi de mots identiques pour que le ministre des
finances puisse demander des fonds pour cette croisière en présentant le
budget.
L’article 3 porte
que les préposés ont droit de faire des visites sur les navires au-dessous de
50 tonneaux ; c’est une visite domiciliaire, car le navire est le domicile du
navigateur ; mais la constitution permet ces visites quand c’est une loi qui
l’autorise ; et c’est une loi que nous faisons ; le droit de visite peut donc
être donné. La surveillance exige qu’elle soit faite.
Remarquez
que dans le projet de loi qui vous est soumis, on ne demande pas le suppression
de la seconde ligne de douanes, qu’on ne la demande pas de droit, mais qu’on
demande d’avoir un rayon d’un myriamètre sur la frontière de terre et un
demi-myriamètre sur la frontière de mer. L’administration peut mettre tant de
lignes qu’on voudra.
Je persiste dans
le maintien des articles.
M. d’Elhoungne. - L’on n’impose pas au gouvernement le devoir de fixer
la limite à un myriamètre ou à un demi-myriamètre ; le gouvernement n’a qu’une
faculté ; on peut espérer qu’il n’en abusera pas. Ainsi toutes les
appréhensions du rapporteur doivent disparaître.
L’amendement
demande que la limite soit uniformément déterminée à un myriamètre. Si cela
n’était pas nécessaire, le gouvernement n’userait pas de cette limite et la
réduirait à 5 kilomètres.
M. Ch. de Brouckere. - Je suis étonné que M. d’Elhoungne, qui
ordinairement n’a pas confiance dans le pouvoir, veuille donner au gouvernement
plus qu’il ne demande, c’est-à-dire la liberté de fixer comme il le voudra, la
ligne de douane sur les côtes à un myriamètre ou à un demi-myriamètre, quand il
n’a demandé qu’un demi-myriamètre. Ainsi, nous mettrons hors de la loi commune
les terrains réservés, nous mettrions hors de la loi commune tous les habitants
de la côté, qui sont à la distance d’un myriamètre.
En mer, la fraude
est facile à saisir ; on voit les navires de loin, il n’en est pas de même de
la fraude par terre. Dans les bois de Bon-Secours, c’est à cause de cette
différence que nous revenons à d’autres proportions. Je n’accorderai pas au
gouvernement une limite d’un myriamètre sur la côte, parce qu’il ne la demande
pas ; il la demanderait, que je ne la lui accorderais pas davantage.
M. Serruys. - Par la loi de 1819, la ligne du côté de la mer
était très étendue, le gouvernement l’a diminuée. La fraude en mer ne peut se
commettre que sur de petites embarcations ; parce que notre côté est hérissée
de boues, de sable, de façon qu’aucun navire ne peut en approcher. Les
fraudeurs se tiennent à une lieue en mer ; ils jettent leurs marchandises à
terre pendant la nuit.
Il est de toute
nécessité qu’il y ait des navires dans le jour pour signaler les contrebandiers
; c’est pour ce motif encore que la visite des douanes est indispensable sur la
côte même.
Les fraudeurs
étant signalés, les douaniers font de fortes patrouilles, et il est impossible alors
qu’ils ne soient pas pris. S’il en était autrement, la fraude serait très
facile. Voilà pourquoi on n’a pas jugé nécessaire d’étendre la ligne de fraude
a plus d’un demi-myriamètre.
M. Legrelle. - L’amendement de M. d’Elhoungne s’éloigne en certain
point des dispositions proposées pour le gouvernement, et c’est pour cela que
je le repousse. La fin de cet amendement est inutile, car il est inutile de
dire que les dispositions de la loi seront insérées huit jours avant leur mise
en exécution dans le Bulletin officiel,
et quant au reste, il se rapproche tout à fait du projet primitif dont je
préfère la rédaction.
Après ce qu’ont
dit plusieurs orateurs, je crois qu’il est inutile de combattre ultérieurement
la proposition de M. d’Elhoungne.
J’appuie la
proposition du gouvernement ; mais en mettant que le gouvernement est autorisé
à tracer le rayon des douanes à partir du 1er juillet prochain.
M. d’Elhoungne. - Je retire mon amendement parce qu’il ne reçoit pas
l’assentiment de l’assemblée. Quant à l’amendement de M. Legrelle, on a fait
remarquer deux choses, la ligne de douanes et la ligne de surveillance en mer.
M. Legrelle. - Je retire mon amendement.
M. Ch. de Brouckere. - Dans l’article premier, il faudrait mettre :
« la loi du 16 août 1822 » au lieu de « la loi ci-dessus. »
M.
Fallon. - J’appuie la proposition.
- L’amendement de M.
de Brouckere est adopté.
Voici l’article
premier présenté par la section centrale :
« Un rayon
unique sera substitué au double rayon établi par la loi du 26 août 1822.
« Le pouvoir
exécutif tracera, avant le 25 juin prochain, le cours de ce nouveau rayon de
douanes, à la distance au plus d’un demi-myriamètre de la côte maritime.
« A partir de
la côte, il y aura, sur un espace d’un myriamètre en mer, une surveillance
déterminée par les deux articles suivants : »
Le premier
paragraphe est adopté.
Le deuxième
paragraphe est également adopté.
M. le président.. - M. Fallon a demandé la suppression de l’article premier.
Cette suppression
n’est pas admise.
L’article premier
est mis aux voix et adopté dans son entier.
Article 2
« Art. 2.
L’administration de la douane pourra tenir en mer pour croiser le long de la
côte le nombre de bâtiments nécessaires pour prévenir et empêcher les
introductions et exportations frauduleuses. »
M. Ch. de Brouckere. - Je demande la suppression de cet article. Le
ministre des finances, quand il nous présentera son budget, nous donnera des
aperçus sur ce que pourrait coûter une croisière, sur les avantages qu’elle
peut avoir, et nous verrons alors s’il faut l’admettre.
M.
Fallon. - Je demande la suppression de l’article 2. Quand on
connaîtra notre loi on fabriquera des faux connaissements, de faux papiers. La
visite des bâtiments peut seule faire connaître s’ils ont des marchandises
prohibées.
M. Dumortier.
- Je vois la nécessité d’avoir des préposés sur les embarcations ; mais je ne
vois pas la nécessité de supprimer l’article 2.
M. Ch. de Brouckere. - Je demande simplement que l’administration pourra
tenir en mer des préposés de la douane.
M. Lebeau. - C’est l’affaire de l’administration de faire
surveiller en mer ; nous ne lui interdisons pas la faculté d’avoir une
croisière. L’article 2 est inutile : les raisons alléguées par M. Mary, sont
fondées sur une vaine subtilité qui ne saurait arrêter la chambres. On peut
supprimer l’article.
M. Serruys. - Si vous voulez la loi il faut qu’il y ait des
surveillants.
M. Lebeau. - Vous insérerez cette disposition dans l’article 3.
M. Serruys. - Si vous n’avez pas de croisière, vous ne
connaîtrez jamais les fraudeurs.
M. Legrelle. - Le principe posé par M. Serruys peut être mis dans
l’article 3 ; mais dire que le gouvernement pourra établir des croisières pour
surveiller en mer, c’est comme si on disait que le gouvernement pourra établir
des brigades pour surveiller les côtes.
Plusieurs voix. - C’est vrai ! c’est vrai !
M. Mary. - L’article 2 est dans la loi française, et les
législateurs n’ont pas voulu y mettre des subtilités. Nous faisons ici une loi
de principes, et les budgets sont votés en vertu des lois de principes.
- L’article 2 mis
aux voix est rejeté.
Article 3
M. le président fait lecture de l’article 3, ainsi conçu :
« Les
préposés sur les dites embarcations pour le service de la douane pourront
visiter les bâtiments en dessous de cinquante tonneaux, étant à l’ancre ou
louvoyant dans ladite distance d’un myriamètre de la côte, hors le cas de force
majeure, et se faire représenter les connaissements et autres papiers de bord
relatifs à leur chargement. »
M. Ch. de Brouckere et M. Lebeau. - Mais il y a un article 2 proposé par amendement.
M. le président. - C’est l’amendement du ministre.
M. Dumortier.
- Il me semble qu’il faudrait d’abord voter sur l’article 3.
M. Duvivier. - Mon amendement forme une disposition additionnelle
à l’article 3.
M. le président lit l’article 3 qui, par suite de la suppression de
l’article 2, commençant ainsi : « les préposés de la douane pourront,
etc. »
M. Ch. de Brouckere. - Je demande
la suppression des mots « à l’ancre ou louvoyant » et des mots
« hors le cas de force majeure ; » je voudrais qu’on mît au lieu de
cela : « les bâtiments se trouvant dans la distance, etc., » parce
que dès que vous aurez établi une exception, les capitaines des bâtiments
diront toujours qu’ils ont été jetés là par un coup de vent ou par une voie
d’eau, ou que la boussole les a trompés, en un mot ils trouveront toujours des
raisons pour se soustraire à la visite.
M.
Serruys. - Je crois
devoir m’opposer à l’amendement de M. de Brouckere, parce que les douaniers
pourraient, au moyen de la rédaction qu’il propose, se croire autorisés à
arrêter les bâtiments qui ne feraient que passer, tandis qu’ils ne doivent
pouvoir visiter que les navires suspects, et ce ne sont pas les bâtiments qui
passent qui sont suspects, mass ceux qui étant à l’ancre ou louvoyant ne
cherchent que le moment favorable pour débarquer leurs marchandises. Il faut
donc conserver l’article tel qu’il est.
M. Legrelle. - C’est très juste.
M. Mary. - Je ne ferai aucune difficulté d’adopter
l’amendement de M. de Brouckere, si on n’y ajoute pas une clause pénale.
M. Legrelle appuie les observations faites par M. Serruys.
M. Taintenier les appuie pareillement et soutient que hors deux cas
prévus par l’article nous n’avons aucune juridiction à un myriamètre en mer.
M. A. Rodenbach. - Pour empêcher la fraude en Angleterre, la douane va
jusqu’à 2 myriamètres en mer avec ses pataches et même jusqu’à 3.
M. Duvivier. - Il en est de même en France, mais là la peine de
la confiscation du navire est permise en cas de fraude ; tandis qu’ici, n’ayant
point de sanction pénale, vous aurez une surveillance à exercer qui ne vous
exposera qu’à des frais sans que vous en retiriez aucun avantage.
M.
Fallon fait observer que les usages
allégués de la France et de l’Angleterre sont fondés sur le droit de la force,
et il n’est pas d’avis que la Belgique use du même droit.
M. d’Elhoungne. ne pense pas qu’une surveillance aussi large soit
nécessaire aux intérêts du trésor. Il serait à craindre d’ailleurs que la
Hollande, qui n’a jamais exercé un pareil droit, ne suivît en l’établissant
l’exemple de la Belgique, et ne gênât par ce moyen la navigation de l’Escaut.
M. Ch. de Brouckere. - Je retire mon amendement.
- L’article 3,
devenu l’article 2, du projet est mis aux voix et adopté.
La discussion est
ouverte sur l’article additionnel de M. le ministre des finances ; elle est
renvoyée à demain.
- La séance est
levée à 4 heures et demie.