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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 12 janvier 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 401) M. de Perceval procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. de Luesemans lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Perceval présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Vermeulen, fabricant de meubles à Anvers, demande que le gouvernement accorde à sa femme et à ses enfants, ainsi qu'à lui, le passage gratuit soit au Brésil, soit à Guatemala. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La chambre de commerce de Gand présente des observations contre le projet de loi sur la compétence en matière civile et commerciale. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Plusieurs habitants de Vilvorde demandent que la garde civique soit divisée en deux bans et que le premier ban, composé de célibataires ou de veufs sans enfants, de 21 à 35 ans, soit seul astreint, en temps de paix, aux obligations imposées par la loi sur la garde civique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Le sieur Coster demande que la chasse, dans la province de Namur, ne soit pas close avant le 1er mars prochain. »

- Même renvoi.


« Le sieur Legrain demande que le gouvernement fasse révoquer l'ordre donné par le colonel de la garde civique de Liège d'exercer les gardes, tous les dimanches, au maniement des armes et aux manœuvres. »

- Même renvoi.

Composition des bureaux de section

Les sections de janvier se sont constituées comme suit.

Première section

Président : M. Veydt

Vice-président : M. Rousselle

Secrétaire : M. Van Iseghem

Rapporteur de pétitions : M. d’Hont


Deuxième section

Président : M. Lange

Vice-président : M. Lesoinne

Secrétaire : M. Lelièvre

Rapporteur de pétitions : M. Toussaint


Troisième section

Président : M. Delehaye

Vice-président : M. Cans

Secrétaire : M. de Perceval

Rapporteur de pétitions : M. Jacques


Quatrième section

Président : M. de Luesemans

Vice-président : M. Gilson

Secrétaire : M. Van Hoorebeke

Rapporteur de pétitions : M. Moxhon


Cinquième section

Président : M. Mercier

Vice-président : M. Vilain XIIII

Secrétaire : M. T’Kint de Naeyer

Rapporteur de pétitions : M. Boedt


Sixième section

Président : M. Destriveaux

Vice-président : M. Osy

Secrétaire : M. Orts

Rapporteur de pétitions : M. Allard

Pièces adressées à la chambre

« M. le président,

« J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien informer la chambre que je me trouve retenu chez moi par une indisposition et que je la prie de vouloir bien m'accorder un congé.

« Je suis d'autant plus contrarié de ne pouvoir me rendre à Bruxelles, en ce moment, que je comptais prendre part à la discussion du projet de loi sur l'institution de la cour militaire, et que, dans tous les cas, j'aurais voté contre le système présenté par ce projet.

Veuillez agréer, etc.

« Signé : Moncheur. »


Par dépêche du 10 janvier, M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 110 exemplaires de l'Annuaire de l'Observatoire royal de Bruxelles, pour l'année 1849.

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi instituant une haute cour militaire

Discussion générale

M. le président. - La section centrale n'a pas admis le projet présenté par le gouvernement et a formulé un projet nouveau.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le nouveau projet a été formulé par le gouvernement de concert avec la section centrale, d'après ce qui avait été convenu avec quelques-uns des honorables membres de cette section ; par conséquent je m'y rallie complètement.

M. Lelièvre. - Messieurs, le projet soumis en ce moment à vos délibérations me paraît un changement heureux introduit dans nos lois criminelles, une amélioration que je viens en peu de mots défendre devant vous.

Depuis longtemps la suppression de la haute cour actuelle est vivement réclamée, et des raisons puissantes paraissent la justifier.

Indépendamment des motifs d'économie qui, dans notre position financière, méritent d'être pris en considération, il est évident que, d'après l'esprit de la Constitution et la loi d'organisation de 1832, la cour de cassation doit être appelée à connaître sans distinction de tout recours dont les décisions, émanées des diverses juridictions du royaume, peuvent être frappées du chef de violation ou de fausse application de la loi.

Cette action de la cour régulatrice doit nécessairement s'étendre aux décisions des tribunaux militaires. Il est rationnel que dans un pays constitutionnel la loi ait un organe suprême dont les arrêts concernent toutes les juridictions et dont relèvent même les tribunaux d'exception.

C'est, d'ailleurs, le seul moyen d'amener l'unité de la jurisprudence et d'éviter des conflits, toujours fâcheux pour la bonne administration de la justice.

Ce qui démontre encore la nécessité de cet ordre de choses, c'est que, dans l'état actuel de la législation, les tribunaux militaires sont appelés à connaître des délits communs. Or si l'on n'admet pas un recours en cassation qui ait la vertu de faire annuler, dans l'intérêt de la société, un arrêt émané d'une cour militaire, il arrivera que certains faits seront, d'après la jurisprudence des tribunaux ordinaires, réputés crimes et délits, tandis que, par suite d'une doctrine contraire admise par la juridiction militaire, ils pourront être impunément posés par les individus faisant partie de l'armée.

En cet état de choses, la haute cour actuelle ne peut subsister, d'abord parce que ses arrêts ne sont aujourd'hui soumis à la cassation que dans l'intérêt de la loi, et en second lieu parce que la cour régulatrice ne jugeant pas du fond des affaires ne peut, en cas d'annulation de la décision lui déférée, renvoyer la cause devant les juges qui ont rendu l'arrêt attaqué. En conséquence, du moment qu'on admet l'intervention de la cour de cassation comme appelée à connaître des arrêts émanés de toutes les juridictions sans distinction, il est impossible de maintenir une cour unique composée exclusivement des mêmes membres.

Force est donc d'admettre plusieurs cours militaires, ou si l'on se borne à une, son personnel doit nécessairement changer en cas de cassation de l'arrêt. Nous devons examiner quelles seront les bases de l'organisation.

Choisira-t-on des juges inamovibles, ou bien appellera-t-on à siéger des juges pris dans les rangs de l'armée, et n'ayant qu'une juridiction temporaire?

D'abord si l'on admettait le principe de l'inamovibilité, il ne suffirait pas d'une cour composée de magistrats revêtus de ce caractère; une seconde et quelquefois une troisième seraient nécessaires pour statuer en cas de cassation. En un mot, il faudrait une organisation complète des cours militaires modelées sur nos cours d'appel, or certes nul ne prétendra arriver à semblable résultat.

Mais, messieurs, jamais on n'a envisagé des juges militaires comme devant jouir du privilège de l'inamovibilité.

L'article 100 de la Constitution, qui décrète le principe, ne statue en ce sens que relativement aux magistrats civils.

L'article 105,qui s'occupe de l'organisation des tribunaux militaires, porte que des lois particulières règlent leurs attributions, les droits et obligations des membres de ces tribunaux et la durée de leurs fonctions. Il est remarquable que le législateur s'exprime à leur égard dans les mêmes termes que relativement aux tribunaux de commerce dont il s'occupe dans le paragraphe premier de la même disposition; il suppose donc positivement que la durée de leurs fonctions ne doit être que temporaire.

Il est facile d'en apercevoir le motif. Les militaires sont jugés par leurs pairs qui forment une espèce de jury dont les membres sont désignés par la voie du sort, et non par des juges ayant une juridiction permanente.

Ce principe a constamment été admis. Il a été sanctionné en France par les lois des 13 brumaire an V, 18 vendémiaire an VI et autres dispositions, créant d'abord des conseils de guerre permanents et ensuite un conseil de révision chargé seulement d'examiner si la loi a été observée, et si, dans certains cas, il n'y a pas lieu à l’annulation de la décision du conseil de guerre, pour contravention à ses prescriptions.

Aujourd'hui même, le principe d'inamovibilité ne s'applique pas aux conseils de guerre, à la juridiction desquels le projet qui vous est soumis ne touche en aucune manière. On a vu dans leur composition une garantie suffisante pour l'accusé, qui trouve dans les membres de ces conseils de véritables jurés plus à même que qui que ce soit de rendre une sentence équitable.

Du reste, d'après le projet, les personnes faisant partie de l'armée jouiront en matière criminelle d'un double degré de juridiction sur la question de fait, et sous ce rapport elles seront même traitées plus favorablement que les citoyens ordinaires.

Tels sont, messieurs, les motifs qui me déterminent à voter en (page 402) faveur du projet. Les dispositions admises par la section centrale me paraissent sauvegarder convenablement les intérêts de la société et ceux de l'accusé. La présidence d'un magistrat éminent pris dans le sein de la première cour d'appel du royaume présentera même, sous ce rapport, une garantie que n'offre pas la composition des tribunaux militaires des pays voisins, et, en cela encore, la Belgique pourra se glorifier d'avoir introduit la première des améliorations réelles dans notre législation pénale.

A l'occasion du projet que nous discutons, j'aurais vivement désiré voir sanctionner un principe qui doit nous ramener aux saines doctrines du droit criminel, celui qui tend à déférer exclusivement aux tribunaux militaires la connaissance des délits purement militaires, c'est-à-dire des faits constituant la violation du devoir militaire, et à renvoyer aux tribunaux ordinaires la connaissance des délits communs commis en temps de paix.

Le retour au droit commun est réclamé par les hommes sérieux comme fondé sur les motifs les plus graves.

Il tend à faire cesser un privilège que rien ne justifie, et qui quelquefois a donné lieu à de déplorables abus.

Relativement aux lois générales, les militaires y sont soumis ni plus ni moins que les autres citoyens. L'on ne voit pas pourquoi on les soustrait à la juridiction commune, et pourquoi on investit une juridiction exceptionnelle de la connaissance d'un genre d'affaires auxquelles, par la nature de ses fonctions, elle doit rester étrangère.

La section centrale a pensé que ce n'était pas le moment de s'occuper de cet objet, qui concerne moins l'organisation de la cour dont il s'agit aujourd'hui, que les attributions des tribunaux militaires en général et notamment celles des conseils de guerre qui restent en dehors de la discussion actuelle.

Mais je ne puis me défendre d'appeler sur ce point l'attention particulière de MM. les ministres de la justice et de la guerre, en les priant de ne pas tarder à nous proposer un projet de loi destiné à remplacer les dispositions de nos codes militaires encore en vigueur, par un système complet mis en harmonie avec nos institutions.

En conséquence, et sauf quelques amendements à proposer sur certains articles, j'appuierai de mon suffrage le projet qui vous est soumis.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, l'honorable M. Lelièvre, en donnant son approbation au projet de loi en discussion, a soulevé une question extrêmement grave, celle de savoir s'il faut renvoyer devant les tribunaux ordinaires des délits communs, commis par des militaires.

Je ne le crois pas; je crois qu'il faut maintenir aux tribunaux militaires la plénitude de la juridiction et leur attribuer la connaissance de tous les délits quelconques commis par des militaires, même de ceux qui tombent sous l'application des dispositions du droit commun.

C'est le système suivi dans tous les pays où il existe une législation militaire. En France l'on avait essayé autrefois d'établir la distinction dont a parlé l'honorable membre, deux lois des 22 septembre 1790 et 49 octobre 1791 l'avaient adoptée. Mais bientôt tous les inconvénients de ce système ont été reconnus, et le 10 mai 1792 une loi nouvelle a consacré de nouveau le principe de la plénitude de la compétence militaire pour tous les délits quelconques commis par des militaires.

D'ailleurs les délits commis par des militaires, encore même que punissables aux termes du droit commun, empruntent toujours de la qualité de ceux qui les ont commis un caractère particulier nécessitant une punition spéciale, plus prompte, plus sévère et qui doit les faire rentrer de droit sous la compétence des tribunaux militaires. Le système contraire donnerait lieu dans la pratique à d'innombrables difficultés. Quand un délit est commis par un militaire, il est quelquefois difficile de distinguer d'abord la nature de ce délit. Ce n'est souvent qu'après une instruction prolongée qu'on peut définir le caractère du délit et voir s'il doit être puni par les lois militaires ou d'après le droit commun.

Vous comprenez qu'il résulterait de la distinction que l'on veut faire une foule de difficultés et de conflits entre la justice militaire et la justice civile. Je crois, messieurs, qu'il est important de maintenir le principe que tous les délits commis par les militaires doivent être jugés par des juges militaires, cela est nécessaire dans l'intérêt de la discipline militaire. Il ne faut pas que le juge civil puisse pénétrer dans la caserne et s'immiscer dans l'instruction des délits militaires; cela contribuerait à affaiblir l'autorité des chefs et à relâcher les liens de la discipline.

Il est donc nécessaire, je le répète, de maintenir le privilège admis depuis longtemps dans notre pays et qui a prévalu en France et dans tous les pays voisins, que tout délit quelconque commis par des militaires doit être jugé par les tribunaux militaires.

Discussion des articles

Article premier

« Article 1er. Il est institué, à Bruxelles, une cour militaire dont la juridiction s'étend sur tout le royaume. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Elle est composée de cinq membres : un président de chambre de la cour d'appel de Bruxelles, ou, à son défaut, un conseiller délégué pour une année par cette cour, président, et quatre officiers généraux ou supérieurs désignes par le sort.

« A cet effet, il sera dressé chaque mois, par les soins du ministre de la guerre, une liste des officiers de grade supérieur à celui de capitaine, ayant leur résidence à Bruxelles et qui seront en activité, en disponibilité au à la section de réserve. Le ministre de la guerre sera seul excepté.

« Si le nombre des officiers portés sur cette liste est inférieur à 80, on y fera figurer tous les officiers supérieurs faisant partie de la division militaire.

« Cette liste sera envoyée par le ministre de la guerre au président délégué par la cour, lequel retranchera les noms des officiers qui auront siégé comme membres titulaires dans le courant des six mois précédents, et procédera ensuite, avant le 20 de chaque mois et publiquement, au tirage au sort des quatre officiers qui feront partie de la cour pendant le mois suivant, savoir : un lieutenant-général ou général-major, un colonel ou lieutenant-colonel et deux majors.

« Dans aucun cas, les officiers qui auront pris part au jugement d'une affaire, comme membres du conseil de guerre, ne pourront siéger à la cour, quand cette affaire y sera portée par suite d'appel. »

Article 2, premier paragraphe

M. Delfosse. - Dans le projet primitif du gouvernement, il y avait des suppléants; ils sont supprimés dans le projet de la section centrale. Je n'en vois pas le motif; ces suppléants peuvent être utiles si un membre de la cour est empêché (absent ou malade), il faudra bien qu'un suppléant prenne sa place.

Avant de présenter un amendement, j'attendrai les explications de l'honorable rapporteur de la section centrale.

M. Van Hoorebeke, rapporteur. - Je crois, en effet, que l'observation de l'honorable préopinant est fondée. Rien ne s'oppose à ce que la chambre adopte l'amendement.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je crois aussi que c'est le résultat d'une erreur. Personne n'a entendu supprimer l'institution projetée des suppléants. Nous la croyons très utile. Nous pensons qu'elle doit être rétablie.

M. Lelièvre. - On pourrait rétablir la disposition du projet du gouvernement.

M. Delfosse. - La rédaction de ce paragraphe doit être modifiée. Il pourrait être rédigé comme suit : « Il sera désigné de la même manière quatre officiers du même grade, pour suppléer, en cas d'empêchement, les membres titulaires. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - C'est la rédaction que j'avais préparée pour le projet modifié.

M. Lelièvre. - Il faudrait dire : « deux officiers supérieurs de chacun desdits grades ». Sans cela il y aura amphibologie.

M. Delfosse. - Quand on dit : quatre officiers du même grade, ce sont quatre officiers des grades désignés dans le paragraphe précédent. Il n'y a pas la moindre équivoque.

M. de Luesemans. - Messieurs, d'après le premier paragraphe de l'article 2, la cour est composée de cinq membres, un président de chambre de la cour d'appel de Bruxelles, lequel sera désigné pour une année par cette cour.

D'après la rédaction, il semblerait qu'à l'expiration de l'année, le mandat du président de la cour militaire viendrait également et forcément à cesser. Je ne sais si c'est là l'intention de la section centrale qui a formulé le projet. Je ne sais si la section centrale a pensé que nécessairement il devait y avoir renouvellement ou si elle a entendu que le président pourra recevoir une nouvelle délégation, toujours pour une année.

Je pense que si l'on maintient le système, cela doit être exprimé dans la loi, ou qu'il faut donner sous ce rapport une explication qui fasse cesser tout doute pour la chambre.

M. Lebeau. - Messieurs, le premier paragraphe de l'article 2 me paraît donner lieu à d'autres observations encore que celles qui viennent d'être présentées par l'honorable député de Louvain. Je voudrais bien que l'on fît cesser quelques doutes qui, à la vue de cet article, s'emparent tout naturellement de l'esprit du lecteur.

Comment sera désigné le président de chambre de la cour d'appel de Bruxelles ?

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Par la cour.

M. Lebeau. - Par la cour ? Où cela est-il dit pour le président de chambre? Mais y a-t-il obligation d'accepter? Alors qu'un magistrat appartenant à une de nos cours d'appel se déclarerait complètement étranger, plus ou moins étranger, si l'on veut, pour ne pas exagérer, à la connaissance et à la pratique des lois militaires, ce scrupule ne serait-il pas accueilli? Force lui serait-il d'accepter cette nouvelle mission? Ces scrupules, on peut, sans exagération, supposer qu'ils s'empareront de l'esprit de plus d'un magistrat.

Ensuite cette délégation emporte-t-elle la suspension des fonctions près de la cour d'appel ? Je vois que le projet est complètement muet sur ce point. Mais en fait ce cumul sera bien difficile.

Si cependant il y a cumul possible des fonctions, et dès lors surcroît de travail pour ce magistrat, ce surcroit de travail donnera-t-il lieu à une rétribution? Ainsi, lorsqu'un magistrat de cour d'appel est appelé, en dehors de ces fonctions, à présider une cour d'assises, il lui est accordé une indemnité de déplacement.

- Un membre. - La haute cour siégera à Bruxelles.

M. Lebeau. - La haute cour siégera à Bruxelles, c'est vrai. Sous ce rapport, l'objection tombe. Mais il y a encore une autre objection qui se présente naturellement : c'est que si ce président de chambre ou ce conseiller est enlevé aux travaux de la compagnie à laquelle il appartient, il est impossible que les travaux de cette compagnie ne soient pas plus ou moins entraves, surtout si c'est un président de chambre.

(page 403) Les travaux de la cour militaire sont de telle nature qu'ils peuvent occuper presque tous les loisirs du magistrat qui sera chargé de la présider. Cela est vrai, surtout s'il veut se livrer sérieusement à l'étude de la législation spéciale qu'il aura à appliquer. Il en résultera alors, dans le personnel de la cour d'appel, une lacune, qui sera susceptible d'entraver les travaux de cette cour. Si la présence de ce magistrat est nécessaire à la cour d'appel, il faudra augmenter le personnel de cette cour au lieu de le réduire comme on le propose; au moins la réduction devra s'arrêter au nombre de magistrats nécessaire au service, et dans ce nombre vous ne pourrez pas comprendre le magistrat qui aura été distrait de son siège.

On disait tout à l'heure que la délégation de ce magistrat serait annuelle; mais j'ai vu avec plaisir que tout le monde était d'accord que son mandat pourra être renouvelé; il faudra bien qu'il en soit ainsi, et par la force des choses il deviendra président inamovible et permanent de la cour militaire.

Dès lors il sera perdu pour la cour à laquelle il appartient. S'il en était autrement, les études auxquelles il se serait livré pendant l'exercice de ses fonctions seraient perdues, et chacun des autres membres appelés à présider la cour militaire, devrait se mettre, à son tour, à étudier la législation militaire qui, par parenthèse, n'est pas enseignée chez nous.

Voilà, messieurs, quelques-uns des inconvénients qui me paraissent devoir résulter, dans la pratique, du premier paragraphe de l'article 2. Il est probable que ces difficultés se seront présentées à l'esprit des auteurs du projet, et j'attendrai les explications qui seront données à cet égard, soit par M. le ministre de la justice, soit par des membres de la section centrale, avant de me prononcer sur ce paragraphe.

M. le président. - Voici un amendement de M. Orts à l'article 2.

« Supprimer les mots : pris dans le sein de la cour d'appel de Bruxelles. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. Lebeau a demandé d'abord si le président de chambre ou le conseiller délégué par la cour, serait tenu d'accepter la mission qui lui est confiée. Je crois, messieurs, que le législateur n'a pas à s'occuper de ce soin ; je ne puis pas croire que le magistrat désigné par ses collègues pour remplir cette fonction, ne s'empresse d'accepter cette honorable mission.

La cour ne désignera d'ailleurs qu'un magistrat qui sera éminemment apte à ces fonctions et disposé à les accepter. Il en sera de même, messieurs, de cette délégation que de celle des présidents et des conseillers des cours d'assises, et je ne sache pas qu'un membre de la cour d'appel ait jamais refusé ces fonctions , lorsqu'elles lui ont été conférées par le premier président de cette cour.

Je ne pense pas non plus , messieurs , que la délégation donnée par la cour à celui de ses membres qui devra présider la cour militaire, puisse emporter la cessation de ses fonctions. Il ne faut pas s'exagérer l'importance des travaux de la cour militaire.

La haute cour militaire, messieurs, a eu à juger, en 1847, 275 affaires d'appel, et elle a eu à juger, comme cour de révision, et pour approbation seulement, 1,478 affaires ; eh bien, pour accomplir ce travail, elle a tenu cette année, comme elle l'avait fait l'année précédente, une seule audience par semaine.

Aujourd'hui que l'article 7 du projet supprime la formalité de l'approbation des jugements des conseils de guerre, il est possible que la cour militaire remplisse sa mission en siégeant une fois tous les quinze jours. Cette besogne ne sera donc pas considérable; elle n'empêchera pas le magistrat qui sera chargé de la présidence de vaquer, en grande partie au moins, à ses autres fonctions.

L'honorable M. Lebeau a demandé si, en cas de cumul des fonctions, il y aurait augmentation de traitement; nous avons pensé qu'il n'y avait pas lieu à cette augmentation ; le magistrat à qui ces fonctions seront conférées ne devra pas quitter Bruxelles; il ne sera exposé à aucun surcroît de dépense ; d'ailleurs, il pourra aussi être allégé d'une partie de sa besogne ordinaire.

M. le président. - Voici un amendement qui a été déposé par M. Orts.

Supprimer dans le paragraphe premier de l'article 2 les mots : « un président de chambre de la cour d'appel de Bruxelles, ou, à son défaut, un conseiller délégué pour une année par cette cour, président » et les remplacer par ceux-ci : « un magistrat inamovible, président. »

M. Orts. - Messieurs, comme on l'a justement observé, le système de mon amendement s'écarte d'une manière radicale du système du projet; il tend à substituer à un magistral variable, emprunté à un corps complètement étranger aux habitudes et à la discipline milliaires, un magistrat permanent, ayant fait ou devant faire, d'une manière constante, de la législation militaire, l'objet de ses études ; sans être distrait de cette besogne par aucune autre qui serait considérée par lui comme sa première besogne. ,

Je crois qu'un système de cette nature n'a pas besoin de justification et que, s'il peut être combattu, ce n'est qu'au point de vue financier. Si donc je démontre que l'économie qu'on espère trouver plutôt dans le projet de la section centrale, n'est qu'une économie apparente, j'aurai complètement justifié mon amendement.

Il est d'abord incontestable que des difficultés sérieuses vont entourer la mise à exécution du système de présidence consacré par l'article 2 du projet en discussion, difficultés que l'honorable M. Lebeau vient déjà de signaler en partie, et j'avoue que les solutions qu'on a indiquées, en réponse aux observations de l'honorable membre, ne m'ont pas entièrement satisfait. En fait d'institutions, en fait de difficultés pratiques, je n'ai pas beaucoup d'optimisme. Je pense que toute loi de création des institutions doit être une loi de défiance, c'est-à-dire qu'il faut se mettre en garde contre tous les inconvénients, chercher à les éviter autant que possible d'avance, sans entendre s'en remettre pour cela à la valeur personnelle de ceux qui seront chargés de concourir plus tard à l'exécution de la loi.

Ainsi, malgré l'assurance donnée par M. le ministre de la justice que tout le monde, au sein de la cour de Bruxelles, sera charmé d'aller à son tour présider la cour militaire par délégation, j'estime que le motif indiqué par un honorable préopinant comme pouvant porter certains magistrats à décliner cette délégation, motif parfaitement honorable, pourra très bien se présenter.

Il peut y avoir des magistrats, arrivés dans la carrière judiciaire à un âge où l'on ne peut pas recommencer des études avec fruit sur un système de législation inconnu, qui redoutent d'accepter la mission de diriger d'autres juges. Ils craindront peut-être par modestie ou scrupule de ne pas faire une bonne besogne, une besogne digne du corps auquel ils appartiennent.

Je préfère voir à la tête de la cour militaire un homme ayant une connaissance parfaite de la législation militaire, l'ayant toujours étudiée, toujours pratiquée et destiné à la pratiquer continuellement.

Si un scrupule semblable à celui dont je viens de parler empêchait un ou plusieurs magistrats d'accepter la délégation, y aurait-il un moyen de les contraindre et d'exécuter la loi? Constitutionnellement, non. Vous ne le pouvez pas, en présence de l'article 100 de la Constitution. Aux termes de cet article, vous ne pouvez exiger qu'un magistrat aille présider ou siéger dans un corps autre que celui auquel il appartient. Vous ne pouvez le déplacer de son siège que de son consentement.

Ainsi, si à la cour de Bruxelles on se croyait hors d'état de remplir convenablement le poste qu'on veut confier à quelques-uns de ses membres, vous n'auriez pas en main les moyens d'exécuter votre loi. Nous devons à la justice militaire la même garantie qu'à la justice civile. Si nous jugeons utile l'intervention de l'élément de la justice civile dans la justice militaire, nous devons désirer que cette intervention s'opère avec les garanties que présente la justice civile. Si vous voulez un magistrat civil pour présider la cour militaire, il faut lui donner la même garantie d'indépendance dont il jouit, quand il fait partie de la magistrature civile , l'inamovibilité.

Quand vous aurez à la tête de la cour militaire un magistrat temporairement choisi, il n'importe par qui, ce magistrat ne sera plus aussi indépendant que celui qui a été définitivement nommé à un poste dont on ne peut l'exclure.

On a dit que le service de la cour militaire n'avait pas une telle importance qu'il fallût considérer le magistrat appelé à la présider comme complètement absorbé par ses nouvelles fonctions.

Je crois qu'il y a du vrai dans l'observation, mais elle a été exagérée. Sans doute la besogne de la cour militaire n'est pas aussi active que celle d'autres tribunaux répressifs; mais elle a son importance pour un président surtout. La besogne du président ne consistera pas seulement à juger.

Le magistrat placé à la tête de la cour militaire, le seul membre permanent de cette cour devra veiller à la bonne préparation des affaires, à la mise en état des procédures à juger, s'entendre avec l'auditeur pour savoir si tel procès est suffisamment instruit, surveiller les instructions confiées aux membres de la cour.

Il aura une besogne administrative assez importante, réunie à la tenue des audiences. De là résulte qu'il sera considérablement détourné de ses fonctions de magistrat civil. Tout au moins vous aurez un homme qui ne pourra pas rendre de grands services dans l'administration de la justice civile; et cet homme sera un obstacle à la diminution du personnel des cours que vous vous proposez d'effectuer..

Je sais que ce qui a dicté la mesure que je combats, c'est la considération d'économie. M. le ministre, dans un sentiment que j'approuve , a voulu pousser aussi loin que possible les économies ; mais en matière d'institutions, il ne faut pas se laisser guider par cette seule pensée, il ne faut pas traiter les citoyens comme un consommateur avare à qui l'on en donne pour son argent. Le pays veut quelque chose d'utile et de bon à bon marché, mais il trouverait trop cher quelque chose d'inutile ou de mauvais, si faible qu'en soit le prix.

Un président inamovible, placé comme chef définitif de la cour militaire, devrait avoir le même traitement que le chef permanent du parquet, soit 7 mille francs.

Ce serait une augmentation au budget; j'en conviens. Aujourd'hui les 7 mille francs n'y figurent pas. Mais en revanche, je vois deux fonctionnaires capables de remplir ces fonctions mis en traitement d'attente. Comme ils n'ont pas l'âge pour être pensionnés et qu'on peut leur supposer dès lors une suffisante longévité, le traitement d'attente sera payé longtemps ; si vous joignez à ce traitement la somme nécessaire pour parfaire les 7 mille francs, vous vous trouvez en face d'une petite économie en moins de 2 mille et quelques cents francs. C'est donc là toute la différence entre ma proposition et celle du gouvernement. Pour 2 mille et quelques cents francs vous aurez une bonne institution au lieu d'une institution médiocre. Le pays s'estimera heureux de la payer.

A cette considération d'argent, si vous ajoutez celle que faisait valoir l'honorable M. Lebeau, considération morale et d'argent tout à la fois, (page 404) que le magistrat que vous détournez de la cour de Bruxelles y reçoit un traitement considérable, et que son éloignement sera un obstacle à la réduction du personnel, vous trouvez que votre économie apparente se convertit en une augmentation de dépense trop réelle.

Ces considérations, je pense, engageront la chambre à ne pas s'arrêter à une misérable différence de quelques francs pour doter l'armée d'une bonne justice.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - La considération d'économie n'est pas le seul motif qui nous a déterminé à proposer pour président à la cour militaire un magistrat pris dans un corps inamovible, et qui serait renouvelé annuellement. Il nous a paru qu'il y avait un motif constitutionnel pour qu'il en fût ainsi; ce motif a déjà été indiqué par l'honorable M. Lelièvre; il se trouve dans l'article 105 de la Constitution qui, après avoir dit que des lois particulières règlent l'organisation des tribunaux militaires, leurs attributions, les droits et attributions des membres de ces tribunaux, ajoute, « et la durée de leurs fonctions. »

Vous voyez donc que, dans l'esprit de la Constitution, les fonctions de membres des tribunaux militaires ne doivent pas être perpétuelles. Je ne pense pas au moins que l'on puisse entendre cette disposition dans un autre sens que celui de la durée temporaire des fonctions, et il me paraît impossible, en présence de cet article, d'admettre l'inamovibilité d'aucun des membres de la cour militaire.

Il est vrai que cette inamovibilité existait sous la loi hollandaise, mais il ne faut pas perdre de vue que la cour militaire a été organisée en vertu d'un arrêté du gouvernement provisoire du 6 janvier 1831, antérieur à la Constitution. Aujourd'hui il s'agit au contraire d'organiser définitivement la juridiction militaire d'après les bases établies par l'article 105 de la Constitution.

D'un autre côté, en supposant que ce motif n'existe pas, je crois qu'il importe encore de mettre l'institution de la cour militaire en harmonie avec l'organisation de la justice criminelle en matière ordinaire. Or nos tribunaux criminels ne sont pas permanents ; ils se renouvellent par un roulement continuel, et quant au jury, et quant aux magistrats qui composent les cours d'assises.

Nous avions autrefois des tribunaux criminels permanents dans notre pays, et cette institution, il faut bien le dire, n'a pas laissé des souvenirs qui la fassent regretter. Le système actuel a toujours été considéré comme éminemment préférable.

Or, c'est avec ce système que nous mettons aujourd'hui en harmonie l'organisation de la nouvelle cour militaire, en décrétant l'institution d'une juridiction qui se renouvellera périodiquement, quant aux membres militaires, par le tirage au sort comme le jury, et par la délégation annuelle de la cour d'appel, quant à la nomination du président de la cour.

Voilà, messieurs, les motifs qui ont déterminé le gouvernement et la section centrale à vous présenter le projet que nous discutons, bien plus que le motif d'économie qui, j'en conviens, aurait bien peu de valeur, s'il s'agissait le moins du monde de compromettre une importante institution.

M. H. de Brouckere. - Je n'ai demandé la parole que pour répondre quelques mots aux honorables préopinants. Je laisserai le soin de défendre le projet de la section centrale, dans son ensemble, à l'honorable rapporteur de la section centrale qui s'en acquittera mieux que je ne pourrais le faire.

L'honorable M. de Luesemans a demandé d'abord si, à l'expiration du mandat qui aura été conféré à un membre de la cour d'appel pour présider la cour militaire, ce mandat pourra être renouvelé. Il suffit que la loi n'interdise pas le renouvellement du mandat pour que ce renouvellement soit facultatif.

L'honorable membre qui a parlé immédiatement après lui, a demandé s'il y aurait, de la part des membres de la cour d'appel, obligation d'accepter le mandat qui leur serait conféré. Je réponds à l'honorable membre qu'il y aura pour les membres de la cour d'appel, en ce qui concerne la cour militaire, la même obligation que pour le service des cours d'assises. Aujourd'hui, quand un membre de la cour d'appel est désigné pour présider une cour d'assises, ou pour siéger comme assesseur à la cour d'assises du chef-lieu, on ne lui demande pas si cela lui convient ou ne lui convient pas. C'est une mission qu'il est obligé de remplir comme il est obligé de siéger à la chambre civile à laquelle il est attaché.

Mais, a-t-on dit, la délégation peut ainsi tomber sur un magistrat d'un grand âge, n'ayant aucune connaissance des lois militaires, et peu disposé à étudier ces lois. Il me semble que c'est avoir une très mauvaise idée de la sagesse de la cour d'appel de Bruxelles que supposer qu'elle ira prendre dans son sein le magistrat le moins capable de remplir ce mandat. J'ai moi (et j'ai mes raisons pour cela) beaucoup plus de confiance dans la cour d'appel de Bruxelles. Je suis persuadé qu'elle ne fera que des choix parfaitement convenables.

Mais, ajoute-t-on, s'il y a refus, vous n'aurez pas de moyens d'exécution. En avez-vous pour la cour d'assises? Si un conseiller refuse de siéger comme assesseur à la cour d'assises du chef-lieu, et veuillez remarquer que c'est la plus fastidieuse de toutes les missions qu'ait à remplir un magistrat, avez-vous le moyen de le forcer à accepter? Vous n'avez que les mesures disciplinaires.

M. Orts. - Vous aurez donc un moyen !

M. H. de Brouckere. - Je m'étonne que l'objection vienne d'un homme aussi au courant des affaires judiciaires que l'honorable M. Orts. Vous aurez les mêmes mesures de discipline pour la cour militaire ; car du moment où la loi sera votée, ce sera une loi d'organisation judiciaire tout comme les lois de 1832 et de 1845, et les autres lois ayant le même caractère.

Une autre question qu'on a faite est celle de savoir si la délégation d'un magistrat de la cour d'assises pour présider la cour militaire emportera de sa part cessation de ses fonctions à la cour d'appel. M. le ministre de la justice a déjà répondu à cette question. Non, il n'y aura pas cessation, si tous les moments du conseiller délégué ne sont pas remplis. Il est bien certain que si la cour militaire ne siège qu'une fois tous les quinze jours, par exemple, comme on l'a dit, les jours où elle ne siégera pas le conseiller délégué remplira ses fonctions à la cour d'appel.

On a désiré savoir encore si l'on accorderait au président de la cour militaire une indemnité. On trouve même qu'il serait juste de le faire, attendu que le président de la cour d'assises touche aussi une indemnité. Mais l'honorable membre qui a présenté cette observation, a oublié que l'indemnité accordée au président de la cour d'assises ne représente que des frais de route et de séjour. Cela est si vrai que le président et les assesseurs de la cour d'assises du chef-lieu ne touchent de ce chef aucune indemnité quelle qu'elle soit.

Les travaux de la cour d'appel seront, dit-on, entravés par la délégation d'un membre qui présiderait la cour militaire: mais ils ne le seront pas plus qu'ils ne le sont par le service des assises. Chaque chambre de la cour d'appel est d'ailleurs composée d'un nombre de conseillers supérieur à celui qui est nécessaire pour que la chambre puisse siéger.

Il y a presque toujours des conseillers disponibles. De manière que le service de la cour d'appel ne sera pas nécessairement entravé. D'ailleurs nous sommes saisis d'un projet qui concerne le personnel des cours d'appel.

Lorsque nous fixerons le nombre des membres dont doit se composer la cour d'appel de Bruxelles, nous tiendrons compte de ce qui aura été décidé par la loi que nous discutons en ce moment.

- Un membre. - Alors il n'y aura plus d'économie.

M. H. de Brouckere. - On m'objecte : alors il n'y aura plus d'économie. Nous examinerons la question d'économie plus tard , si on le veut ; mais je déclare que ce n'est pas cette question que je regarde comme dominante; elle n'est pour moi que très accessoire, très secondaire.

Ceci m'amène à examiner brièvement l'amendement proposé par l'honorable M. Orts.

Pour ma part, je déclare que je préfère de beaucoup le système du gouvernement et de la section centrale. L'honorable M. Orts voudrait un président inamovible, n'ayant aucune autre attribution que celle de diriger les travaux de la haute cour militaire.

Je ferai remarquer d'abord que la position de ce magistrat serait une position tout à fait exceptionnelle. Il est, messieurs, contre l'esprit de toutes nos institutions d'avoir des juges qui ne connaissent que d'affaires criminelles. Le législateur a très sagement décidé que pour la cour de cassation, pour les cours d'appel, pour les tribunaux de première instance, pour tous les degrés de juridiction, il s'établirait une espèce de roulement; que le même juge ne pouvait pas siéger continuellement ni à des assises, ni dans les chambres correctionnelles.

On a trouvé avec raison qu'il y avait danger à ce qu'un magistrat n'eût à s'occuper que de juger des affaires criminelles. On a craint que cela ne tournât chez lui en habitude, en routine, qu'il ne finit par ne plus y mettre l'attention, le soin désirables. Mais je vous le demande, combien le danger ne serait-il pas plus grand, si le seul président de la haute cour militaire était permanent, tandis qu'il serait entouré de juges destinés à être renouvelés tous les mois? Messieurs, ce serait ôter toute garantie aux accusés. Car ils se trouveraient en présence d'un homme qui aurait pour profession, permettez-moi le mot, pour occupation unique de juger des affaires criminelles d'une nature spéciale, et dont l'influence deviendrait telle que les quatre assesseurs seraient presque complètement effacés. Je regarderais comme une chose éminemment fâcheuse que l'on fît présider une cour militaire, composée de quatre assesseurs qui se renouvellent tous les mois, qu'on la fît présider à permanence par un magistrat qui n'aurait d'autres occupations, d'autres idées que de connaître d'affaires criminelles d'une nature spéciale.

Mais, après tout, il s'attache au système de l'honorable M. Orts des inconvénients qu'il n'a pas entrevus. En cas de cassation de la haute cour militaire, qui donc présidera la cour à laquelle l'affaire sera renvoyée?

M. Orts. - C'est un autre article.

M. H. de Brouckere. - C'est à-dire que l'honorable M. Orts devra créer un autre président.

Que fera l'honorable M. Orts si le président de la haute cour militaire est empêché ou malade? Il créera encore un autre président!

Vous voyez, messieurs, que lorsqu'on examine avec quelque soin l'amendement présenté par l'honorable M. Orts, sous tous les rapports, il ne remplace pas avantageusement le système de la section centrale, que, pour ma part, je regarde comme fort sage et comme ne devant donner lieu qu'à des inconvénients peu graves.

M. Van Hoorebeke, rapporteur. - Je viens rendre compte à la chambre des motifs qui oui déterminé la section centrale à adopter le projet de loi tel qu'il est soumis à vos délibérations et tel qu'il a été admis, quoi qu'on en ait dit en dehors de cette enceinte, à la suite d'un examen assez long et contradictoire.

Je veux bien le reconnaître, une pensée est entrée pour quelque chose (page 405) dans les préoccupations de la section centrale, c'est la pensée d'économie. Je crois même que c'est à cette pensée que le gouvernement avait égard, lorsqu'il soumettait à la chambre le projet, et cette pensée, nous avions encore à la respecter. Mais assurément, si l'organisation, projetée pouvait nuire en quoi que ce soit aux intérêts des justiciables, si elle devait entraîner des inconvénients aussi graves que ceux que l'honorable M. Orts a signalés, en un mot, si elle devait compromettre l'intérêt d'une bonne justice, je n'hésite pas à le dire la section centrale eût repoussé cette réforme.

Mais il n'en est rien, absolument rien. La section centrale s'est préoccupée, je puis le dire, avec une extrême sollicitude des propositions diverses qui lui étaient soumises. Elle s'est demandé, elle aussi, s'il ne pouvait pas être juste et convenable de remplacer par un magistrat permanent et inamovible, le président temporaire de la haute cour militaire que l’on veut instituer. Elle s'est demandé s'il ne serait pas juste et convenable de remplacer par des magistrats permanents et inamovibles les juges militaires auxquels le projet déférait la connaissance des jugements rendus par les conseils de guerre.

Elle a poussé plus loin ses investigations. Elle s'est demandé s'il n'était pas juste et convenable, je crois que cette idée avait été émise par le rapporteur de la sixième section, l'honorable M. Orts, de supprimer la procédure qui est aujourd'hui en usage, la procédure sur pièces, et de la remplacer par la comparution des témoins. Eh bien, dans l'un comme dans l'autre système, les motifs d'économie venaient à reparaître. Mais j'ajoute ; afin qu'on ne me soupçonne pas de vouloir sacrifier les intérêts d'une bonne justice à un désir peu réfléchi d'économie, j'ajoute tout aussitôt que, dans le projet de la section centrale, comme dans la proposition qui vous est soumise, l'intérêt des justiciables se trouve complètement sauvegardé.

L'intérêt des justiciables, il est dans l'examen impartial de l'affaire par des juges que l'on peut supposer impartiaux. Eh bien ! cet examen impartial, on ne peut le mettre en doute.

Des juges compétents, des juges impartiaux, ce sont certainement les pairs des justiciables, ce sont des officiers désignés par la voie du sort, remplissant temporairement leurs fonctions et se trouvant dans une indépendance complète vis-à-vis du gouvernement.

L'intérêt des justiciables est dans le recours ouvert contre toute décision qui peut être en opposition avec la loi, et ce recours, le projet le garantit à tous les justiciables indistinctement.

L'intérêt des justiciables enfin est dans cette disposition fondamentale du projet, dont l'honorable M. de Brouckere vient de faire ressortir les avantages, dans cette indépendance complète du magistrat auquel le projet confère la présidence de la cour, magistrat mobile, magistral temporaire, auquel on peut supposer, à bon droit, une connaissance toute particulière de la procédure et des questions de droit, et dans l'indépendance des magistrats qui lui servent d'assesseurs, et auxquels le projet a pu supposer encore une fois une connaissance toute spéciale des lois militaires, des exigences de la discipline.

Dans ma pensée, la nouvelle cour militaire représente à tous égards le double élément que nous voyons fonctionner dans la composition des cours d'assises, mais avec cette différence capitale que la distinction si subtile et souvent si fausse dans la pratique, la distinction entre le point de fait et le point de droit, vient à disparaître complètement dans le projet de la section centrale; c'est-à-dire que les juges de la cour militaire seront juges de toute la cause, connaîtront de toutes les modifications qu'une cause peut offrir tant en fait qu'en droit.

Ces juges seront désignés par la voie du sort, et leur mission sera temporaire. Pour mon compte, j'y ai trouvé non seulement un avantage, mais aussi un progrès. Il est évident, messieurs, qu'aujourd'hui un des plus puissants moyens de fortifier le sentiment de la légalité, c'est précisément d'appeler les citoyens, à quelque ordre qu'ils appartiennent, à l'ordre civil ou à l'ordre militaire, de les appeler à la connaissance des lois, à l'interprétation des lois, de les appeler, en quelque sorte, au partage de l'administration de la justice. C'est ce que nos institutions ont compris lorsqu'elles ont appelé les citoyens à remplir les fonctions de jurés, c'est-à-dire à prononcer sur la vie, l'honneur et la liberté de leurs semblables. Eh bien, ici, il s'agit aussi de la vie, de l'honneur , de la liberté des militaires, et le projet de loi accorde la protection tutélaire du jury militaire aux justiciables militaires.

Il est impossible de ne pas admettre qu'en désignant ainsi les juges, en appelant les officiers à remplir temporairement les fonctions de jurés, il est impossible de ne pas admettre que ces officiers se familiariseront avec les formes lentes de la justice, avec le langage de la loi, et qu'ils y gagneront, je le dirai, en intelligence et en moralité. Quant aux justiciables, je crois que leurs garanties seront plus grandes, car la responsabilité des juges est souvent d'autant plus sérieuse, que leurs fonctions sont temporaires.

On a parlé, dans le cours de cette discussion, de l'inamovibilité dont on a fait ressortir les avantages; mais, en thèse générale, l'inamovibilité n'est que le corollaire oblige du mode de nomination. C'est pour sauvegarder l'indépendance du magistrat, pour le soustraire à certaines préoccupations, qu'on a établi le principe de l'inamovibilité ; mais quand le magistral sort de l'élection ou quand il est désigné par une délégation, il est évident que l'inamovibilité perd de son importance, et la Constitution l'a si bien compris elle-même que, dans un article spécial, elle a déclaré que les tribunaux militaires seraient organisés par des lois qui détermineraient même la durée des fonctions des magistrats.

J'ajouterai, messieurs, une simple réflexion relativement aux dangers que l'on a dit pouvoir résulter de la mobilité, du roulement étendus au président. Ces dangers ne sont réellement pas sérieux, car on ne doit pas perdre de vue qu'il existe dans le projet de la section centrale une disposition qui ouvre le recours en cassation pour tous les cas où la loi a été violée. Par conséquent pour maintenir l'unité de jurisprudence il y a une cour régulatrice, la cour de cassation, et je crois que cela suffit pour que la cour militaire rende tous les services qu'en attend la section centrale.

M. Orts. - Messieurs, il est résulté des objections faites contre mon amendement, que la plupart des inconvénients que j'avais signalés comme conséquences du système contraire sont des inconvénients réels.

Ainsi, par exemple, lorsque j'ai dit que l'absorption d'un magistrat de la cour d'appel de Bruxelles par la cour militaire, entraverait le service de la cour d'appel, on n'a point été jusqu'à nier la vérité absolue de cet inconvénient, mais on a cherché à l'atténuer et on a donné pour cela deux raisons : on a dit que la disposition n'entraverait pas plus le service de la cour d'appel que ne l'entrave le service des assises.

Eh bien, messieurs, je puis dire, comme homme du métier, qu'ajouter aux entraves que le service des cours d'assises apporte dans le service civil de la cour d'appel de Bruxelles, une deuxième espèce d'entraves aussi fortes, c'est faire quelque chose qui approche beaucoup de la désorganisation du service civil. Le service de la cour d'assises est aujourd'hui la cause principale des lenteurs qui enrayent l'administration de la justice civile à Bruxelles. C'est là un fait incontestable pour quiconque a suivi de près les travaux de cette cour.

Si la cour de Bruxelles pouvait être, et avec elle les autres cours d'appel, déchargée du service des assises, elle rendrait une justice beaucoup plus expéditive en matière civile.

Vous aurez égard à tout cela lorsque vous vous occuperez du personnel, objecte-t-on. Mais alors j'ai donc eu parfaitement raison de dire que l'économie d'aujourd'hui va nous entraîner à augmenter ou plutôt à ne pas diminuer d'un membre le personnel de la cour d'appel de Bruxelles. Convenez-en, vous pouvez tourner autour de la difficulté pour la cacher, mais elle est là; elle se montre malgré vous. Eh bien ! si vous devez y avoir égard lors de la discussion éventuelle de la loi sur le personnel, il vaut beaucoup mieux y avoir égard immédiatement et ne pas remettre à un autre jour ce que vous pouvez parfaitement faire aujourd'hui.

On m'a objecté que mon système offre moins de garanties aux justiciables que le système de la section centrale et du gouvernement. J'avoue que de toutes les objections c'est celle qui m'a le plus étonné; si je pensais avoir atteint d'une manière certaine un but quelconque par mon amendement, c'était à coup sûr une augmentation de garanties pour les justiciables ! c'est un manque de garantie que la permanence d'un magistrat chargé de rendre la justice criminelle! c'est un manque de garantie que l'habitude plus grande que prendra ce magistrat en jugeant toujours au criminel !

Permettez-moi de remarquer, messieurs, que de tous les peuples civilisés, il n'en est pas de plus avide de garanties, en matière répressive, il n'en est pas de plus soupçonneux sous ce rapport, que celui qui a précisément adopté pour la justice criminelle le système que l'on combat, comme ne présentant pas de garanties; je veux parler de l'Angleterre. En Angleterre, le juge criminel est un juge permanent.

M. H. de Brouckere. - Il ne juge pas, il applique la loi.

M. Orts. - Il applique la loi, donc il est juge souverain et suprême des questions de légalité. Or, il s'agit ici d'un magistral qui sera absolument dans la même position, car il n'exercera, sur les quatre juges qui lui sont adjoints, une véritable prépondérance que sur les questions de droit. L'exemple de l'Angleterre est parfaitement applicable.

Voulez-vous, messieurs, que par une seule considération , je justifie complètement la présence des garanties les plus nombreuses et les plus fortes dans mon système?

Voyons ce que vous avez voulu obtenir en instituant un président magistrat au milieu d'un tribunal militaire? Vous avez voulu avoir une influence de jurisconsulte qui vînt balancer, auprès de juges qui ne sont pas jurisconsultes, l'influence d'un autre magistrat, contradicteur naturel de l'accusé, l'influence de l'auditeur militaire.

Ayant un ministère public jurisconsulte, vous avez exigé qu'il y eût un juge jurisconsulte qui put lui faire contrepoids. Ce contrepoids sera-t-il suffisant dans le système de la section centrale? Telle est la question. Je demande si en face d'un auditeur militaire, homme spécial et permanent, versé dans la législation et la procédure militaire, vous aurez un contrepoids suffisant par l'intervention d'un magistrat civil, arraché temporairement à une autre besogne, qui n'aura pas fait de la législation militaire l'objet de ses études principales? Non, messieurs; eh bien, je veux un président dans la parole duquel les juges militaires aient autant de confiance, au point de vue de la science, que dans celle de l'auditeur militaire. Sans cela, les forces ne sont plus égales. Vous n'obtenez pas cette garantie précieuse à l'aide d'un magistrat qui viendra à la cour militaire comme on va par accident à une besogne ingrate qu'on vous impose et qu'on vous impose sans compensation aucune.

On a dit que l'intervention de la magistrature civile, par voie de délégation, ne rencontrerait jamais d'obstacles dans le défaut du concours que prêterait à l'exécution de la mesure le magistrat délègue. On a cru que c'était une espèce d'injure adressée au bon vouloir de la cour de Bruxelles que de soupçonner dans ses membres peu d'empressement, et même dans certains cas, une véritable répugnance à prendre part aux travaux de la cour militaire.

(page 406) Je le répète, ce serait souvent un scrupule légitime qui pourrait dicter une pareille conduite. Il y a plus ; je vois un inconvénient susceptible de se produire et qui, dans certains cas, engagerait le magistrat de la cour de Bruxelles à refuser la délégation, au point de vue, non de son intérêt, mais de l'intérêt des justiciables auxquels il se doit par excellence; c'est-à-dire des justiciables civils de la cour d'appel de Bruxelles.

Il n'est pas impossible à la majorité, dans une cour d'appel, de trouver utile ou agréable de se débarrasser pour un an de la présence d'un collègue gênant. La passion politique, la perspective de certaines causes, de certaines personnes à juger peuvent faire naître de ces circonstances, et ce serait pour ce magistrat, exilé par cabale, un devoir alors de résister. Je crois que le personnel actuel de la cour de Bruxelles rend ma supposition injuste, invraisemblable. Mais, je l'ai déjà dit, une loi d'institutions est une loi de défiance, car c'est une loi d'avenir. Les personnes changent, et l'institution reste. Croyez-vous d'ailleurs que la considération qui doit environner les corps judiciaires ne subira pas un amoindrissement, même en présence de la simple possibilité d'un pareil inconvénient ? C'est encore là, messieurs, un motif qui milite en faveur de la séparation complète de la justice militaire et de la justice civile.

M. Delfosse. - Messieurs, lorsque j'ai demandé la parole, la chambre n'avait pas encore entendu l'honorable président et l'honorable rapporteur de la section centrale. Ces honorables collègues viennent de présenter, à l'appui du système de la section centrale, des observations extrêmement lucides et concluantes.

L'honorable M. Orts, malgré tout son talent, n'a pu leur répondre d'une manière satisfaisante ; il a laissé, entre autres, debout cette raison très forte, donnée par l'honorable M. de Brouckere : qu'il n'est pas dans l'esprit de nos institutions qu'un magistrat s'occupe exclusivement d'affaires criminelles ; cette préoccupation exclusive pourrait donner à ses idées une direction qui ne laisserait plus assez de garanties aux justiciables.

Si les explications données par les honorables MM. de Brouckere et Van Hoorebeke ne me font pas renoncer à la parole, c'est qu'ils n'ont pas répondu à un argument que l'honorable M. Orts a tiré de l'article de la Constitution qui ne permet pas de déplacer un magistrat de son siège sans son consentement ; l'honorable M. Orts a donné à cette disposition une portée qu'elle n'a pas.

« On ne peut pas déplacer un magistrat de son siège sans son consentement. » Cela veut dire qu'un magistrat de la cour d'appel de Bruxelles ne pourrait, sans son consentement, être envoyé à Gand, ni un conseiller de la cour d'appel de Gand à Liège. Mais c'est donner à cette disposition de la Constitution une portée excessive que de prétendre que l'on ne pourrait pas donner aux magistrats de nouvelles attributions ; on ne les déplace pas par là de leur siège. L'honorable M. Orts est trop éclairé pour ne pas le reconnaître.

Je me réserve de reprendre la parole, lorsque la discussion ouverte sur l'amendement de l'honorable M. Orts sera close. J'ai des observations à présenter sur d'autres points qui se rattachent à l'article 2.

M. Lelièvre. - Le motif décisif qui doit, à mon avis, faire rejeter l'amendement proposé par l'honorable M. Orts, est déduit de l'inconvénient grave qui résulterait de la circonstance que le même magistrat dût s'occuper constamment et à vie d'un certain genre d'affaires, et surtout d'affaires criminelles.

Antérieurement au Code d'instruction actuellement en vigueur, il existait des tribunaux criminels composés des mêmes membres, ou au moins présidés par le même magistrat. L'on s'est convaincu que cet état de choses ne pouvait être maintenu. L’expérience démontre que les juges occupés constamment et exclusivement de la justice répressive contractent une propension presque irrésistible pour la condamnation. Il a été constaté également qu'ils se forment plus facilement une conviction de la culpabilité des accusés. Quant à moi, l'intérêt de ces derniers et la bonne administration de la justice me paraissent devoir faire écarter l'amendement de notre honorable collègue.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je viens combattre également l'amendement de l'honorable M. Orts. Le principal inconvénient qui résulterait de l'adoption de cet amendement et qui vient encore d'être signalé par l'honorable M. Lelièvre, c'est que, contrairement à l'esprit de toutes nos institutions, le même magistral s'occuperait constamment d'affaires criminelles.

L'honorable M. Orts ne veut pas qu'un conseiller de la cour d'appel de Bruxelles préside la haute cour militaire. Et pourquoi? Parce que le président ne connaîtrait pas aussi bien que l'auditeur les lois militaires. Messieurs, un homme qui a passé sa vie à étudier et à appliquer les lois, un homme qui connaît les principes de la législation en général, est bientôt au courant de quelques dispositions spéciales. Je suis persuadé qu'il n'est pas un membre de la cour d'appel de Bruxelles, un jurisconsulte un peu distingué dans le pays qui en 15 jours ne possède assez la connaissance des lois militaires pour pouvoir diriger une cour militaire.

Je prie la chambre de le remarquer, l'étude des lois militaires n'est pas tellement étrangère aux occupations des magistrats qu'ils n'en connaissent rien.

Par la loi que vous faites, vous allez déférer à la cour de cassation en dernier ressort la connaissance de toutes les affaires militaires qu'on voudra lui soumettre. Les membres de la cour de cassation devront connaitre toutes les lois militaires, et je crois que ce ne sera pas pour eux une très lourde charge que de se mettre au courant des dispositions de ces lois.

Quant à ce qu'a dit l'honorable M. Orts, d'une éventualité qu'il reconnaît lui-même n'être pas probable, qu'une cour ayant dans son sein un membre dont elle ne ferait pas le même cas que de ses collègues s'en déférait en l'envoyant présider perpétuellement la haute cour militaire je crois que cette éventualité n'est pas à craindre.

Une cour d'appel ayant à déléguer un de ses membres pour un service spécial, aura toujours soin de faire tomber son choix sur un membre qui lui fasse honneur et elle ne prendra pas dans son sein ce qu'elle aura de moins bon à présenter.

Qu'il me soit permis de signaler encore quelques-uns des inconvénients du système de M. Orts.

Ce président permanent que l'on veut établir, ce juge unique dans son espèce, parvenu à un âge où l'on a perdu une partie de son activité, de son énergie, où l'on peut rendre encore quelques services, mais où l'on n'est plus apte à diriger les travaux d'un corps quel qu'il soit, qu'en fera M. Orts?

Il faudra qu'il lui adjoigne une espèce de coadjuteur, de suppléant, un homme qui puisse l'aider. On ne prétendra pas qu'un magistrat à tout âge, quelles que soient ses infirmités, puisse présider une cour. Dans les corps judiciaires dont le personnel est nombreux, quand un magistrat arrive à un grand âge, ses collègues le remplacent, l'aident; mais quand un juge est unique, qu'il n'a ni inférieurs ni égaux, qu'il n'a personne pour le remplacer, que ferez-vous quand il sera arrivé à l'âge où l'on a besoin d'être aidé, conseillé et souvent remplacé ?

Et puis qui nommera celui qui sera chargé de présider la cour ? Sera-ce le gouvernement ? Ce serait encore une chose contraire à l'esprit de nos institutions, d'après lesquelles un conseiller de la cour de cassation ou d'une cour d'appel, un président de première instance ne sont nommés que sur présentation de certains corps, de corps politiques et de corps judiciaires. Et pour la haute cour militaire la loi abandonnerait la nomination au gouvernement, sans présentation aucune ! Ce serait, je le répète, une chose fâcheuse et contraire à nos institutions. Par tous ces motifs je persiste à penser que le système du gouvernement doit être adopté par la chambre.

M. Dumortier. - L'amendement de M. Orts me paraît tellement naturel que je comprends à peine comment on peut y faire objection. On dit : Qui nommera ? Mais qui a nommé jusqu'à ce jour? Le gouvernement. Le gouvernement continuera à nommer. La haute cour militaire est une institution extraordinaire, une institution spéciale, elle restera dans les termes où elle est aujourd'hui. Ce qui me frappe, ce qui doit frapper tout le monde, c'est qu'il importe aux prévenus de trouver dans la haute cour militaire des traditions permanentes, ce qui forme la jurisprudence des corps. Il ne faut pas que la haute cour militaire soit une espèce d'institution sans jurisprudence. Si vous changez le président chaque année, jamais il n'y aura de jurisprudence fixe dans la haute cour militaire; il est indispensable que les prévenus militaires trouvent là des idées protectrices permanentes ; vous les y établirez en lui donnant un président permanent.

Je trouve d'ailleurs quelque chose d'insolite à la faire présider par un membre de la cour d'appel ou Bruxelles, car c'est donner à une cour destinée à un tiers du pays, une juridiction sur le pays entier. C'est là une chose insolite, je dirai même hétéroclite. Pourquoi voulez-vous que ce soit la cour de Bruxelles qui soit chargée déjuger les délits commis dans le ressort de Liège ou de Gand? C'est déraisonnable. A côté de la peine comminée par les lois militaires se trouve souvent une jurisprudence qui adoucit en certaines circonstances ce qu'un code militaire, dur par essence, peut avoir de trop rude. Cette jurisprudence, vous l'effacerez si vous n'avez pas un président permanent pour la maintenir. Chacun de nous sait combien le volumineux code pénal militaire est différent du Code pénal ordinaire. Introduire dans la haute cour militaire des magistrats habitués à appliquer les lois ordinaires qui n'ont rien de commun avec les lois militaires, c'est vouloir leur faire faire de nouvelles études à chaque modification de cette cour. Ce système est impraticable.

Il est peu humain, au point de vue des traditions de modération dans la haute cour. Quand le militaire est en présence de ses supérieurs, il trouve toujours des juges disposés à lui infliger des peines très sévères; il est nécessaire qu'il y ait à côté d'eux un pouvoir modérateur qui mitigé ce que les lois militaires peuvent avoir de trop rigoureux. On se plaint du nombre de militaires qui encombrent les prisons; avec le système du gouvernement, le nombre des détenus militaires sera bientôt doublé.

Je crois indispensable de conserver dans la haute cour militaire des traditions qui donnent aux militaires traduits devant elle toutes les garanties de douceur compatibles avec les nécessités de la discipline.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il me semble que l'honorable M. Dumortier vient de donner un argument absolument contraire au système qu’il préconise. Il faut, dit-il, un élément modérateur dans la cour militaire pour garantir le justiciable contre la trop grande sévérité des magistrats militaires. Mais c'est justement pour cela qu'il ne faut pas un président permanent qui puisse, par un long exercice de ses fonctions, contracter des habitudes de sévérité.

C'est là l'inconvénient que l'expérience a révélé partout où il y a eu des tribunaux criminels permanents. Or, cet élément modérateur, on le trouvera bien mieux dans un magistrat renouvelé chaque année, pris dans le sein de la première cour d'appel du pays, et qui, à l'expiration de son mandat, ira se retremper dans ce corps dont il continuera à faire partie.

Je crois donc que l'argument produit par M. Dumortier tend précisément à faire rejeter le système de l’honorable M. Orts.

On exagère singulièrement les difficultés de l'étude des lois militaires: (page 407) notre code militaire est sans doute, dans beaucoup de ses dispositions, équivoque ou obscur ; mais il n'en est pas moins vrai que, pour un magistrat pénétré des principes du droit criminel, l'étude des lois militaires ne présentera pas de difficultés sérieuses ; il ne faut donc pas les exagérer ; tous nos magistrats seront très aptes à présider la cour militaire; je crois même que la cour d'appel de Bruxelles considérera comme une de ses prérogatives importantes la mission qui lui sera donnée de déléguer dans son sein le président de cette cour.

M. de Luesemans. - Je comprends qu'on hésite entre deux systèmes : le système d'amovibilité et le système d'inamovibilité. J'aurais compris très bien qu'on eût prétendu qu'il faut un tribunal composé en entier de juges inamovibles, qu'il faut donner aux militaires la même garantie qu'aux autres citoyens, puisque ce tribunal est appelé à connaître de délits autres que les délits militaires. Mais je ne comprends pas comment dans un tribunal composé de juges amovibles, on introduirait un élément inamovible. Je sais que l'on veut donner aux accusés une garantie de plus. Mais alors, il y a un point auquel l'honorable M. Orts a annoncé qu'il répondrait et auquel il n'a pas répondu. C'est pour cela que j'ai demandé la parole. Si le président est empêché ou malade, ou si un arrêt est annulé, ce qui arrivera probablement assez souvent, que ferez-vous? a-t-on dit à l'honorable M. Orts. Il faudra, a-t-il répondu, un nouvel article; c'est-à-dire, apparemment qu'il faudra nommer un autre président. Mais qui sera le président ? Sera-ce un président inamovible que vous tiendrez en réserve uniquement pour les cas où la cour de cassation aurait renvoyé devant une cour autrement composée? Vous augmenteriez ainsi la dépense, et vous auriez un magistrat qui ne siégerait que très rarement.

Si, au contraire, c'est un magistrat amovible, vous aurez enlevé à l'accusé précisément la garantie que l'honorable M. Orts a voulu lui donner par la nomination d'un président inamovible.

Il me semble que c'est un point qui devrait être éclairci. A défaut d'éclaircissements satisfaisants, je voterai contre l'amendement de l'honorable M. Orts.

M. Liefmans. - Messieurs, la rédaction du paragraphe premier de l'article 2 semble exiger que la cour militaire soit présidée, en règle générale, par un président de chambre de la cour de Bruxelles. Il résulte de cette rédaction que ce n'est qu'à défaut de président de chambre que la cour pourrait déléguer un conseiller. Telle est du moins la portée de paragraphe, si l'on s'en explique grammaticalement le dispositif. Je ne sais si, dans l'intention et du gouvernement et de la section centrale, la cour militaire doit régulièrement être présidée par un président de chambre. S'il en était ainsi, le choix serait excessivement limité, et comme les fonctions d'un président de chambre sont plus importantes que celles d'un conseiller ordinaire, il résulterait, de l'application du paragraphe premier de l'article 2, l'inconvénient signalé déjà par l'honorable M. Lebeau, à savoir que le service de la cour d'appel pourrait souffrir de la délégation plus ou moins longue et fréquente de l'un de ses présidents. En outre, le désagrément à résulter d'un surcroit considérable de besogne se présentera bien souvent pour le président de chambre. Si vous joignez à cela cette considération que sous peu de jours on aura à statuer sur la suppression future d'un président de chambre, les inconvénients, les désagréments signalés ne feraient que s'accroître. Donc, si dans l'intention de la section centrale le président de chambre doit être désigné en règle générale, si le conseiller ne peut être délégué qu'à son défaut, il y aurait des motifs nombreux à alléguer pour combattre cette disposition et réclamer un changement.

Que si, bien au contraire, comme je le suppose, la section centrale entend laisser à la cour d'appel la latitude de désigner un président de chambre ou un conseiller à son choix, la rédaction de l'article 2, pour être correcte, devrait subir une modification. J'attendrai des explications à cet égard.

M. Lebeau. - Je crois, en effet, messieurs, que le texte doit être modifié pour faire cesser toute espèce d’incertitude. Car les mots « délégué pour une année » ne paraissent s'appliquer qu'au conseiller ; il en résulterait que si le président de chambre acceptait, il serait permanent. Remarquez bien que quand on parle de la délégation pour une année, elle semble ne se rapporter qu'au conseiller.

Je supplie le gouvernement et MM. les membres de la section centrale de croire que je ne leur fais pas ici une querelle de mots. Mais nous cherchons à rendre le texte de la nouvelle législation aussi clair que possible.

Je n'ai pas demandé la parole pour rentrer dans la discussion. Mais je crois que cette disposition peut présenter, dans l'application, de graves inconvénients.

M. H. de Brouckere. - Pour faire droit aux observations fort justes qui ont été présentées par les deux honorables préopinants, il suffit d'effacer du paragraphe ces mois : « à son défaut ». Car l'intention de la section centrale, et je crois pouvoir dire du gouvernement, puisque la section centrale et le gouvernement ont travaillé de commun accord, n'a pas été qu'en règle générale il fallait un président de chambre de la cour d'appel pour présider la haute cour militaire, et que ce ne fût que par exception qu'un conseiller pût être délégué. Ce qui est entré dans notre intention à tous, c'est que la cour put désigner à son choix un président de chambre ou un conseiller. Eh bien, je le répète, il sera fait droit aux observations des deux honorables préopinants en rédigeant le paragraphe de la manière suivante : «.Elle est composée de cinq membres: un président de chambre de la cour d'appel de Bruxelles ou un conseiller, » etc.

M. Lebeau. - Si l'on ne met pas les mots : « A son défaut », l'article sera véritablement d'une ingénuité incroyable. Si l'on dit: Un président ou un conseiller, c'est comme si l'on ne disait rien du tout. Il suffit de dire : Un membre de la cour. Il y aurait dans la rédaction que l'on propose une certaine naïveté que la dignité législative ne comporte point.

Il me paraît donc qu'il faut conserver les mots : « à son défaut »; et je crois que ces mots rendent bien la pensée du gouvernement, je crois que le gouvernement a voulu qu'en règle générale, ce fût un président de chambre, s'il y consentait, qui présidât la haute cour militaire, et que ce fût seulement à défaut de ce magistrat que la cour fût appelée à déléguer un conseiller.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je crois, en effet, qu'il est plus simple de remplacer les mots : « Un président de chambre de la cour d'appel de Bruxelles, ou, à son défaut, un conseiller délégué pour une année par cette cour, » par ceux-ci : « Un membre de la cour d'appel délégué par elle. »

M. Liefmans. - L'amendement que présente M. le ministre des travaux publics me parait satisfaire à toutes les exigences. Il suffit que la rédaction soit telle que l'on comprenne bien que la cour d'appel pourra nommer indistinctement un président de chambre ou un conseiller pour présider la haute cour militaire.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je propose de dire : « Elle est composée de cinq membres. Un conseiller de la cour d'appel de Bruxelles, délégué pour une année par cette cour, président. » Je ferai remarquer que les magistrats du parquet étant aussi membres de la cour, il est nécessaire d'indiquer que le président devra être pris parmi les conseillers.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Il me semble qu'il pourrait encore régner quelque doute sur le sens de la loi si nous nous bornions à maintenir l'expression un conseiller de la cour, sans expliquer le sens que nous entendons y attacher. En effet, nous pourrions paraître exclure les présidents de chambre; quant à moi, je suis d'avis qu'il n'y aurait aucune espèce d'inconvénient à cette exclusion. Car appeler un de ces magistrats à présider la haute cour militaire, c'est priver la cour d'appel d'un de ses membres les plus utiles. Mais si l'intention de la chambre n'est pas de les exclure, il est prudent de le déclarer.

M. Delfosse. - Je ne puis admettre l'opinion de M. le ministre des travaux publics, qu'il faudrait exclure les présidents de la cour d'appel. Le choix de la cour doit être entièrement libre. Il est possible que l'un des présidents soit jugé avec raison plus apte à présider la cour militaire.

M. le ministre des travaux publics ne veut pas que l'on enlève les présidents aux fonctions importantes dont ils sont revêtus. Mais la cour d'appel sera juge. Si elle trouve que l'avantage qui résulterait du choix de l'un des présidents ne compense pas les inconvénients qu'il y aurait à l'éloigner momentanément de ses fonctions, elle fera choix d'un conseiller. Ayons une entière confiance dans la cour d'appel; je suis persuadé qu'elle fera de bons choix.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le mot conseiller comprend évidemment les présidents et les conseillers. Je crois donc qu'il suffit de dire : « un conseiller de la cour d'appel délégué pour une année, par cette cour ».

Il est bien entendu que les présidents, à titre de conseillers, pourront également être délégués par la cour.

- La discussion est close sur le paragraphe premier.

Ce paragraphe, rédigé comme le propose M. le ministre de la justice, est mis aux voix et adopté.

Article 2, deuxième paragraphe

« A cet effet, il sera dressé chaque mois, par les soins du ministre de la guerre, une liste des officiers de grade supérieur à celui du capitaine, ayant leur résidence à Bruxelles et qui seront en activité, en disponibilité ou à la section de réserve. Le ministre de la guerre sera seul excepté. »

M. Delfosse. - Messieurs, la section centrale a apporté au projet primitif du gouvernement deux modifications, dont l'une me paraît donner plus de garanties aux justiciables, tandis que l'autre semble de nature à produire un effet contraire. Le gouvernement n'avait admis sur la liste destinée à la composition de la haute cour militaire, que les officiers généraux et les colonels ayant leur résidence à Bruxelles; le tirage au sort n'aurait ainsi porté que sur un très petit nombre de noms ; la section centrale propose d'admettre les majors sur la liste, elle prend même une précaution de plus : dans le cas où les lieutenants-généraux, généraux-majors, colonels, lieutenants-colonels et majors en résidence à Bruxelles ne seraient pas au moins de 50, la section centrale demanda que l’on porte sur la liste tous les officiers supérieurs faisant partie de la division militaire.

Il faut, d'après le projet de la section centrale auquel le gouvernement s'est rallié, qu'il y ait au moins 50 noms sur la liste. C'est là une garantie pour les justiciables. Le nombre des généraux et des colonels en résidence à Bruxelles aurait pu être trop faible pour présenter des garanties suffisantes aux accusés. Mais la section centrale a apporté au projet une autre modification qui me paraît moins heureuse. D'après le projet primitif, les officiers généraux et les colonels étaient seuls appelés à faire partie de la cour militaire.

(page 408) Plus le grade est élevé, plus celui qui en est revêtu est censé offrir de garanties d'intelligence et d'aptitude; c'est parce qu'il a montré plus d'intelligence, plus de zèle, c'est parce qu'il a été reconnu plus capable, qu'il a été promu à un grade élevé. Il y avait donc dans la composition de la cour militaire, telle qu'elle résultait de la proposition primitive du gouvernement, plus de garanties pour les justiciables ; ceux qui composaient la cour étaient censés avoir plus d'aptitude et aussi présenter plus de garanties d'indépendance. La section centrale a bien fait d'ajouter les majors à la liste; le nombre des généraux et des colonels était trop faible, il était utile de l'augmenter en y ajoutant les majors; mais la section centrale n'a-t-elle pas été trop loin en introduisant deux majors dans la cour militaire, alors qu'il n'y aurait qu'un officier général et qu'un colonel? Les majors n'y seront-ils pas dans une proportion trop farte?

Je crois qu'on aurait dû laisser subsister la partie du projet du gouvernement qui exigeait qu'il y eût deux officiers généraux ou deux colonels. L'on pourrait modifier l'article dans ce sens, qu'un seul major ferait partie de la cour. Il me semble utile que les grades supérieurs fournissent un contingent plus fort.

J'attendrai toutefois les explications du gouvernement ou celles du rapporteur de la section centrale, avant de déposer un amendement.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, on a adopté la disposition qui fait entrer deux majors dans la cour parce que le nombre des majors en résidence à Bruxelles est beaucoup plus considérable que le nombre des lieutenants-colonels, des colonels et des généraux.

Si l'on y avait fait entrer deux généraux, par exemple, bien souvent le service aurait pu être entravé. Il n'y a à Bruxelles que 5 lieutenants-généraux. Evidemment si la cour militaire nécessitait l'emploi de deux généraux de division, il est des circonstances où le service aurait à en souffrir. Il n'y a à Bruxelles que 7 généraux-majors et 8 colonels, tandis qu'il y a 25 majors; par conséquent en désignant 2 majors et un seul officier général, le service ne sera jamais entravé. Quant aux garanties, je les crois absolument les mêmes, que ce soient des majors, des colonels ou des généraux qui fassent partie de la cour militaire; car évidemment, pour atteindre le grade de major il faut réunir les qualités morales nécessaires pour être colonel et général, car le grade de major est au choix du gouvernement comme le grade de colonel, comme le grade de général. Pour devenir officier supérieur depuis le grade de major jusqu'à celui de lieutenant général, les nominations sont au choix, et l'ancienneté n'a plus aucun droit absolu. Il est donc évident que les officiers supérieurs de tous grades offriront des garanties égales pour remplir les fonctions de membre de la cour militaire.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, la section centrale, en introduisant dans la composition de la haute cour militaire deux majors et seulement un général et un colonel, a eu en vue, comme l'a dit M. le ministre de la guerre, le bien du service militaire ; mais elle a eu encore un autre objet en vue, c'est l'intérêt des accusés. Il est incontestable que plus le nombre des officiers, entre lesquels le tirage doit se faire, plus ce nombre est grand, plus il y a de sécurité pour l'accusé ; or, si l'on plaçait dans le personnel de la cour militaire, soit un plus grand nombre de généraux, soit un plus grand nombre de colonels, le tirage serait d'autant plus restreint que d'après le paragraphe 4 de l'article en discussion, il faut supprimer de la liste les officiers qui ont fait partie de la cour militaire pendant les six mois précédents. Supposez donc que la cour militaire soit composée d'un général, de deux colonels et d'un major ; déjà la liste des colonels, comme l'a dit M. le ministre de la guerre, est beaucoup moins nombreuse que la liste des majors ; mais on devrait encore supprimer de cette liste douze noms en vertu du paragraphe 4, que je viens de rappeler. Vous voyez que la liste deviendrait alors tellement restreinte qu'elle ne présenterait plus à l'accusé autant de sécurité qu'elle lui en offre aujourd'hui.

M. Delfosse. - Messieurs, je ne puis admettre avec M. le ministre de la guerre, que le service de l'année serait entravé parce qu'on ferait entrer dans la cour militaire deux officiers généraux ou deux colonels au lieu de deux majors.

Si cela était vrai, M. le ministre de la guerre aurait donc entravé le service de l'armée lorsqu'il a présenté le projet primitif. D'après ce projet il y aurait eu dans la cour militaire deux officiers généraux et deux colonels, et remarquez qu'ils devaient être pris dans la garnison de Bruxelles. Ma proposition consiste à faire entrer dans la cour militaire, non pas deux officiers généraux et deux colonels, mais seulement deux officiers généraux ou deux colonels qui seraient pris, non pas seulement dans la garnison de Bruxelles, mais, si le nombre n'excédait pas 50, dans la division militaire tout entière. Ma proposition entraverait bien moins le service de l'armée que le projet primitif du gouvernement.

Je ne puis admettre non plus l'autre raison donnée par M. le ministre de la guerre. M. le ministre a dit que les majors présentent autant de garanties que les colonels et que les généraux, parce qu'ils sont, comme les officiers d'un grade plus élevé, choisis librement par le gouvernement; le choix à l'ancienneté n'allant pas au-delà du grade de capitaine.

Je demanderai à M. le ministre de la guerre si, lorsqu'il doit nommer un colonel, il ne prend pas entre les majors celui qui lui paraît le plus digne; le colonel choisi présente, sans aucun doute, dans l'opinion du gouvernement, plus de garanties que les officiers auxquels il a été préféré.

L'opinion que j'ai émise que la composition de la cour offrirait aux accusés plus de garanties, si les grades supérieurs fournissaient un contingent plus fort, reste donc vraie.

J'avais cru que le gouvernement et la section centrale se rallieraient à ma proposition ; elle devait entrer dans leurs vues. Puisqu'ils s'y opposent, je n'insisterai pas.

Encore un mot sur la composition de la liste. La section centrale veut que la liste contienne au moins 50 noms ; en réalité le tirage au sort pourra ne porter que sur 26 noms; on devra retrancher de la liste ceux qui auront fait partie de la cour militaire pendant les six mois précédents; il faudra donc en retrancher 24 noms ; le tirage au sort pourra donc, je le répète, ne porter que sur 26 noms. Est-ce ainsi que la section centrale l'entend? Ne veut-elle pas que le tirage au sort porte, dans tous les cas, au moins sur 50 noms? Si telle était sa pensée, il faudrait modifier la rédaction.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, lorsque j'ai dit que les majors présentaient autant de garanties, pour rendre la justice, que des officiers d'un grade supérieur, je n'ai pas entendu dire par là que les officiers d'un grade plus élevé ne possédaient pas souvent certaines qualités à un degré plus éminent que les majors; mais ce sont quelquefois des qualités purement militaires qui ne sont pas nécessaires pour bien rendre la justice. Je persiste donc à dire que des majors, membres de la cour militaire, présentent autant de garanties d'impartialité et d'indépendance que des officiers d'un grade plus élevé.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je dots répondre à l'honorable M. Delfosse que, d'après le projet, c'est la liste primitive que l'on a eu en vue, en parlant de 50 membres, et qu'en effet il faudra retrancher de cette liste les membres qui ont siégé pendant les six mois précédents, c'est-à-dire 24 membres. L'honorable M. Delfosse en infère que le tirage au sort ne se fera plus qu'entre 26 membres. Cela n'est pas exact : le nombre 50 est un nombre minimum, de manière que la liste sera peut-être composée de 60, de 70 et même de 80 officiers. Si le chiffre le plus bas, 26, ne présente pas assez de garanties aux yeux de l'honorable membre, on pourra augmenter ce chiffre; pour moi, je le juge suffisant.

M. Delfosse. - Je suis entièrement d'accord avec M. le président de la section centrale, que le chiffre 50 est un chiffre minimum; j'ai seulement dit qu'il pourrait arriver que le tirage au sort ne portât que sur 26 noms ; je n'ai pas dit autre chose, et j'ai demandé à la section centrale, si, dans ce cas, il y aurait, dans le nombre des officiers compris dans le tirage au sort, des garanties suffisantes pour les accusés.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je ferai observer que la liste des jurés devant la cour d'assises n'est composée que de 24 noms ; que le tirage au sort s'opère entre 24 jurés. Or, en supposant qu'ici la liste soit réduite à 26 noms, ce chiffre serait encore suffisant, pour donner toutes garanties à l'accusé.

Du reste, l'article 3 forme en quelque sorte un correctif aux craintes qui ont été manifestées par l'honorable M. Delfosse, en faveur de l'accusé; en disant que, lorsque la cour militaire aura à juger directement des officiers d'un grade supérieur, il sera procédé à un tirage au sort spécial, parmi les officiers généraux et les colonels de la division territoriale.

M. Delfosse. - Je dois repousser la comparaison que M. le ministre de la justice vient de faire avec la liste du jury, cette liste ayant déjà subi plus d'une épuration avant la réunion de la cour d'assises. Du reste je n'insiste pas. Mon seul but était de rendre la pensée de la section centrale bien claire.

M. Allard. - Messieurs, si l'on doit prendre, dans des garnisons étrangères à Bruxelles, des officiers pour venir siéger à la cour militaire, on devra leur accorder des indemnités. Je crois dès lors qu'au lieu d'une économie, il va résulter une charge très grande pour le pays. Vous avez seulement à Bruxelles 42 officiers généraux et supérieurs ; il faut compléter pour la première fois jusqu'à concurrence de 50. (Interruption).

Maintenant réduisez les 24 juges qui ont siégé pendant 6 mois, combien en reste-t-il? 18; pour aller à 50, il faudra 10 officiers ; ensuite si vous avez un mouvement le troupes, si la garnison de Bruxelles est obligée d'aller à la frontière, il faudra faire revenir les officiers qui devront remplir les fonctions de juges. Il en résultera une charge très lourde au lieu de l'économie que vous comptez faire.

M. H. de Brouckere. - L'honorable préopinant se trompe quand il pense que la haute cour donnera lieu à des dépenses considérables. En général les officiers de la garnison de Bruxelles suffiront pour la composer. Je ferai remarquer que la liste primitive seule devra être composée de 50 noms. La liste qui restera, déduction faite des membres qui auront siégé pendant 6 mois, ne devra plus être que de 26. Il y aura toujours à Bruxelles un nombre suffisant d'officiers supérieurs; ce ne sera que par exception et dans des cas excessivement rares , qu'il faudra faire venir des officiers des garnisons des environs de Louvain, de Malines ou d'Anvers; ce ne sera donc qu'exceptionnellement qu'on aura des frais à supporter de ce chef.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Pour prouver à combien peu de frais pourrait donner lieu cette composition de la cour militaire, je dirai que depuis huit ans, la haute cour n'a eu à juger que huit affaires dans lesquelles les prévenus étaient directement justiciables de sa juridiction: c'est une affaire, en moyenne, par année. Ce ne sera donc que très exceptionnellement que la liste devra être composée des officiers de (page 409) la division territoriale et qu'il pourra y avoir quelques indemnités de voyage à payer.

M. Orts. -Je crois utile de faire une observation pour l'interprétation de la loi au point de vue économique qui est la pensée de tout le monde.

Je ne comprends pas comment il pourrait y avoir lieu à des frais de déplacement, relativement aux 50 noms qui doivent figurer sur la liste ; on ne fait pas venir les officiers pour procéder devant eux au tirage.

- Un membre. - C'est évident !

M. Orts. - C'est aussi mon avis; mais alors il est clair qu'il arrivera très rarement qu'un officier étranger à la garnison de Bruxelles siégera à la haute cour. Sur les 26 noms, il y aura 4 personnes seulement à tirer au sort; il faudrait un bien grand hasard, un hasard irréalisable à voir ces quatre choix tomber sur des officiers étrangers à la garnison.

Je dirai de plus, pour rassurer l'honorable M. Allard, que, dans le cas où la garnison de Bruxelles devrait aller à la frontière, l'armée serait sur le pied de guerre, et alors elle sera, quant à l'administration de la justice, placée sous le régime des conseils de guerre en campagne et permanents, qui remplacent la cour instituée par la loi que nous faisons.

- Le paragraphe 2, présenté par la section centrale, est mis aux voix et adopté.

Article 2, paragraphes 3 et 4

Le paragraphe 3 est également adopté.

Le paragraphe 4 est également adopté avec la substitution des mots : « de la cour militaire » à ceux de « délégué par la cour ».

Article 2, paragraphe additionnel

M. le président. - M. Delfosse propose une disposition additionnelle à placer après le paragraphe 4. « Il sera également désigné de la même manière 4 officiers des mêmes grades pour suppléer, en cas d'empêchement, les membres titulaires.»

M.de Luesemans propose la disposition additionnelle suivante: « En cas d'empêchement du président, la cour d'appel déléguera un autre de ses membres pour le remplacer. »

M. de Luesemans. - Je crois que des développements sont inutiles. Il n'a pas été tenu compte de l'empêchement momentané du président ; il faut songer au moyen de le remplacer. Le meilleur est de donner une délégation équivalente à celle qu'a reçue son prédécesseur.

M. H. de Brouckere. - L'observation de l'honorable M. de Luesemans est juste; mais M. le rapporteur et moi comptions présenter une disposition pour combler la lacune qu'il signale en la rattachant à l'article 10, qui est ainsi conçu : « En cas d'annulation, le renvoi du procès et des parties aura lieu devant la même cour composée d'autres juges. Un nouveau président sera délégué par la cour d'appel. »

Notre intention était de présenter à la suite de cet article une disposition conçue dans le même sens que celle proposée par M. de Luesemans; mais nous ne voyons pas d'inconvénient à ce qu'on la rattache à l'article en discussion.

M. de Luesemans. - Si la proposition faite par l'honorable M. Delfosse est adoptée, je crois que la place de mon sous-amendement est après cette disposition, puisque les deux amendements ont pour objet le remplacement momentané du président et des membres de la cour. Si la proposition de M. Delfosse n'était pas adoptée, je me rallierais volontiers à la proposition que n'a pas faite, mais que se propose de faire l'honorable président de la section centrale.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ai aucune objection à faire contre la proposition de l'honorable M. de Luesemans. Seulement nous n'avions pas cru qu'elle fût nécessaire ; nous avions pensé qu'il résultait suffisamment du premier paragraphe de l’article 2 que le président, en cas d'empêchement, devrait être remplacé par la cour. Cependant la disposition proposée levant toute espèce de doute à cet égard, je n'ai aucun motif de m'y opposer.

- L'amendement de M. Delfosse et le sous-amendement de M. de Luesemans sont successivement adoptés.

Article 2, dernier paragraphe

Le dernier paragraphe de l'article est ensuite adopté.

L'article 2 est adopté dans son ensemble, avec les amendements qui y ont été introduits.

Article 3

« Art. 3. Lorsque le prévenu sera directement justiciable de la cour militaire, il sera procédé à un tirage au sort spécial parmi les officiers généraux et les colonels de la division territoriale.

« Ce tirage aura lieu parmi les officiers généraux seulement quand le prévenu sera lieutenant général ou général-major.

« Nonobstant l'expiration du délai fixé par le paragraphe 4 de l'article 2, les membres de la cour qui auront pris part à l'examen d'une affaire continueront d'y siéger jusqu'à la prononciation de l'arrêt. »

M. d'Hondt. - L'article 3 porte :

« Lorsque le prévenu sera directement justiciable de la cour militaire, il sera procédé à un tirage au sort spécial, parmi les officiers généraux et les colonels de la division territoriale.

« Ce tirage aura lieu parmi les officiers généraux seulement, quand le prévenu sera lieutenant général ou général-major. »

Mais cet article ne nous dit pas comment, dans ce cas, la cour se trouvera composée.

En règle ordinaire, et d'après l'article précédent, la cour sera formée d'un lieutenant général ou général-major, un colonel ou lieutenant-colonel et deux majors.

Mais pour le cas de l'article 3, quel sera dans la formation de la cour le nombre des officiers généraux, quel sera celui des colonels ? Le sort pourra-t-il désigner soit indistinctement un, deux, trois ou quatre officiers généraux, soit indifféremment un, deux, trois ou quatre colonels ?

C'est sur quoi l'article garde le silence. Je présume bien que l'intention du gouvernement et de la section centrale a été de prendre deux membres dans chacune de ces catégories d'officiers.

Cependant, il me semble qu'il convient de prévenir toute lacune dans la loi, et de préciser, par un texte formel, à concurrence de quel nombre les officiers généraux et les colonels entreront dans la composition de la cour.

Par conséquent j'ai l'honneur de proposer l'amendement suivant : « Lorsque le prévenu sera directement justiciable de la cour militaire, il sera procédé, pour la constituer avec le président, à un tirage au sort spécial de deux officiers généraux et de deux colonels de la division territoriale.

« Ce tirage de quatre membres aura lieu parmi les officiers généraux seulement, quand le prévenu sera lieutenant général ou général-major. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je crois que cet amendement peut être accueilli. La section centrale et le gouvernement avaient pensé qu'on pouvait s'en rapporter au sort. Cependant je crois qu'il vaut mieux qu'il y ait dans la cour deux officiers généraux et deux colonels. Il pourrait arriver, par exemple, qu'un colonel fût traduit devant la cour militaire, et dans ce cas il ne conviendrait pas que la cour fût exclusivement composée de colonels.

M. Lelièvre. - Je demanderai la suppression, dans l'amendement de l'honorable M. d'Hondt, des mots : « pour le constituer avec le président ». Ces mots sont inutiles.

M. Delfosse. - Je propose de remplacer les deux premiers paragraphes par la rédaction suivante : « Lorsque le prévenu sera directement justiciable de la cour militaire, elle sera composée, outre le président, de deux officiers généraux et de deux colonels, choisis par le sort entre les officiers généraux et les colonels de la division territoriale, et de quatre officiers généraux choisis de la même manière, si le prévenu est officier général. »

- L'article ainsi modifié est adopté.

Article 4

« Art. 4. Avant d'entrer en fonctions, les membres de la cour militaire prêteront, entre les mains du président de cette cour, le serment prescrit par le décret du Congrès du 20 juillet 1831. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. Les fonctions du ministère public près la cour militaire seront remplies par l'auditeur général ou son substitut.

« L'auditeur général jouira d'un traitement de 7,000 francs.

« Le traitement du substitut de l'auditeur général sera de 5,000 francs.

« Les fonctions de greffier y seront exercées par un commis greffier de la cour d'appel de Bruxelles, délégué par le greffier de cette cour. »

M. Delfosse. - Le gouvernement n'avait proposé qu'un auditeur générai. La section centrale y ajoute un substitut. D'après le projet du gouvernement, l'auditeur militaire remplaçait l'auditeur général en cas d'empêchement. Le projet de la section centrale augmente la dépense de 5,000 francs. Je voudrais que M. le ministre de la justice ou M. le rapporteur fît connaître les raisons qui ont engagé la section centrale à créer ce nouvel emploi.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, ces raisons sont assez simples ; c'est que depuis la présentation du premier projet, il a été fait des observations tendant à démontrer que la besogne de l'auditorat général est considérable, et qu'il est impossible que le fonctionnaire qui en est chargé puisse y suffire. D'un autre côté l'auditeur militaire du Brabant étant lui-même presque absorbé par ses fonctions auprès du conseil de guerre, il ne pourrait pas suppléer l'auditeur général. C'est d'après ces motifs que la section centrale et le gouvernement ont été d'accord pour rétablir les fonctions de substitut en y attachant un traitement inférieur de 500 fr. à celui qui y était attaché précédemment.

M. Orts. - Messieurs, il y a nécessité absolue d'adjoindre un substitut à l'auditeur général. Lui-même, dans le cas où il commettrait une infraction quelconque, est justiciable de la cour militaire. S'il était seul, il serait impossible que jamais l'action de la justice s'exerçât. »

- L'article 5 est mis aux voix et adopté.

Article 6

« Art. 6. Le nombre des auditeurs militaires et des prévôts est réduit à sept. La première classe des auditeurs militaires comprend ceux qui résident dans les villes où est établi un tribunal de première classe. La deuxième classe comprend tous les autres.

« Il pourra être adjoint à chaque auditeur militaire, un suppléant qui ne jouira d'aucun traitement. Toutefois, les auditeurs ne pourront se faire remplacer par leur suppléant, qu'avec l'autorisation du commandant provincial.

« La résidence des auditeurs militaires, de leurs suppléants et des prévôts, est fixée par le gouvernement. »

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je ne viens pas combattre l'article, que j'approuve au contraire sous tous les rapports : mais je désirerais savoir de M. le ministre de la justice si la position d'aucun des auditeurs militaires ne sera changée par le présent article, d'une manière préjudiciable à ses intérêts. Je craindrais, par exemple, que par suite de l'adoption de l'article 5, un auditeur rangé aujourd'hui dans la première classe, ne fut placé dans la seconde; cela ne me paraîtrait pas juste. S’il se trouvait des auditeurs dans ce cas, je voudrais que la position personnelle dont ils jouissent aujourd'hui leur fût conservée.

(page 410) M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'observation de l'honorable M. de Brouckere ne devrait s'appliquer qu'à un seul auditeur militaire. Mais ce fonctionnaire a été averti, et il n'y a pas de raison pour qu'il ne subisse pas une légère réduction de traitement aussi bien que l'auditeur général et son substitut.

Article 7

« Art. 7. La cour militaire aura les mêmes attributions que la haute cour militaire actuelle, et la procédure y sera la même.

« Néanmoins, les jugements des conseils de guerre provinciaux ne seront plus soumis à la formalité de l'approbation préalable à leur exécution, et l'auditeur général pourra en appeler, sans autorisation de la cour. Il ne pourra user de cette faculté que dans les trente jours à dater de la prononciation du jugement. »

M. le président. - M. Lelièvre propose d'ajouter à cet article le paragraphe suivant :

« Toutefois, la mise en liberté de l'accusé acquitté ne pourra être suspendue lorsqu'aucun appel n'aura été notifié dans les 10 jours du prononcé du jugement. »

M. Lelièvre. - Messieurs, l'amendement que je propose est la conséquence nécessaire de la nouvelle disposition introduite par le projet. Le délai de 30 jours est accordé à l'auditeur général pour interjeter appel d'un jugement rendu par le conseil de guerre, mais il est impossible que l'accusé acquitté continue à rester pendant ce long terme sous les liens du mandat de dépôt et de la détention préventive, en attendant la résolution du ministère public, sur l'exercice du droit d'appel. Le respect dû à la liberté individuelle ne saurait permettre un semblable résultat.

Il est donc équitable que l'accusé, qui a pour lui une très forte présomption d'innocence par suite du premier jugement, soit mis en liberté à défaut de notification d'appel dans un délai rapproché.

Cette disposition est conforme à notre législation criminelle, en matière ordinaire. Il me semble conforme à la plus sévère justice d'appliquer à la procédure militaire l’article 306 du Code d'instruction criminelle, et tel est le but de mon amendement.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, j'apprécie les motifs que vient de donner l'honorable M. Lelièvre, mais je crois que le délai devrait être porté à 15 jours. Je crains que le délai de 10 jours ne soit pas toujours suffisant, surtout lorsqu'il s'agit d'un conseil de guerre éloigné, tel que celui qui siège à Arlon, par exemple, il faudrait, en effet, que l'auditeur militaire en référât à l'auditeur général, et le délai de 10 jours, pourrait être insuffisant.

Je crois donc qu'il faut adopter l'amendement de M. Lelièvre, mais en portant le délai à 15 jours.

M. Lelièvre. - Je me rallie à cette modification.

- L'amendement de M. Lelièvre est adopté avec le changement indiqué par M. le ministre de .la justice.

- L'article 7, ainsi modifié, est ensuite adopté.

Article 8

« Art. 8. L'arrêt sera communiqué au condamné par l'auditeur militaire, qui l'avertira qu'un délai de trois jours lui est donné pour se pourvoir en cassation. »

M. le président. - M. Lelièvre propose de rédiger l'article.8 comme suit:

« L'arrêt sera communiqué au condamné par l’auditeur militaire qui l'avertira qu'un délai de trois jours francs lui est donné pour se pourvoir en cassation.

« L'exécution de cette disposition sera constatée par un procès-verbal que signeront le condamné et l'auditeur militaire. Si le condamné ne sait ou ne veut pas signer, le procès-verbal en fera mention. »

M. Lelièvre. - Messieurs, le but de mon amendement est d'abord de faire disparaître toute incertitude sur le délai accordé au condamné pour se pourvoir en cassation. Ce délai sera de trois jours francs. Ainsi s'évanouira la difficulté que ne manquerait pas de soulever l'article du projet tel qu'il est rédigé, à savoir si le pourvoi est utilement formé le cinquième jour depuis et y compris celui où a été porté l'arrêt. D'après la teneur de mon amendement, l'affirmative est évidente, le délai accordé au condamné pour le pourvoi ne courant qu'à dater de la communication de l'arrêt lui donnée par l'auditeur militaire, il est essentiel de définir comment sera constatée l'exécution de cette formalité. Selon l'amendement que je propose, l'auditeur militaire devra dresser procès-verbal qui sera signé par lui et le condamné. Si ce dernier ne sait ou ne veut signer, mention en sera faite. Cette formalité est empruntée à une disposition analogue du Code d'instruction criminelle en matière ordinaire.

« L'accusé renvoyé devant la cour d'assises peut se pourvoir en cassation dans les cinq jours de son interrogatoire. Le président de la cour d'assises ou le magistrat qui en remplit les fonctions, procédant à cet acte d'instruction, avertit l'accusé du délai légal qui lui est accordé. » (Article 296 du Code d'instruction criminelle.)

Le condamné qui reçoit de l'auditeur militaire communication de l'arrêt se trouve dans une position semblable. Il est rationnel d'observer les mêmes formalités destinées à constater l'acte important qui sert de point de départ au délai du pourvoi.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, cet amendement me paraît fort convenable. C'est une garantie de plus donnée à l'accusé. Devant les cours d'assises, où les accusés comparaissent en personne, le procès-verbal est dressé par le greffier de la cour, qui constate l'avertissement donné à l'accusé; mais comme devant la cour militaire l'accusé ne comparaît pas, il importe qu'il soit dressé procès-verbal de cet avertissement. L'amendement me semble donc pouvoir être adopté sans inconvénient.

- L'article 8 est mis aux voix et adopté avec la rédaction proposée par M. Lelièvre.

Article 9

« Art. 9. Le recours en cassation contre les arrêts de la cour militaire sera exercé dans les cas et suivant le mode prévus en matière criminelle sans mise en état préalable. La déclaration de recours sera faite à l'auditeur militaire par le condamné. »

M. le président. - M. Lelièvre propose la rédaction suivante:

« Le recours en cassation contre les arrêts de la cour militaire sera exercé dans les cas et suivant le mode prévus en matière criminelle, sous mise en état préalable et sous consignation d'amende. La déclaration de recours sera faite à l'auditeur militaire par le condamné.

« Le pourvoi de l'auditeur général devra être formé dans les délais fixés respectivement par les articles 373 et 374 du Code d'instruction criminelle en matière ordinaire.

« La déclaration sera reçue par le commis greffier désigné en l'article 5 de la présente loi. »

M. Lelièvre. - Messieurs, mon amendement a d'abord pour objet de réparer une omission qui s'est glissée dans la rédaction de la section centrale et qui ne se rencontrait pas dans le premier projet du gouvernement. Il s'agit, messieurs, d'exempter de la consignation de l'amende les militaires condamnés qui se pourvoient en cassation.

L'on sait que même en matière criminelle la consignation de l'amende est indispensable, lorsque l'accusé n'est condamné qu'à une peine correctionnelle. Il est juste de ne pas assujettir à cette obligation des militaires qui ordinairement ne sont pas en mesure d'y satisfaire. Cela est d'autant plus évident que, dans notre système actuel de législation, les tribunaux militaires ne peuvent appliquer des peines pécuniaires.

La seconde partie de mon amendement tend à remplir une lacune que présente le projet de la section centrale et qui est passée inaperçue lors de la discussion.

Le délai accordé à l'accusé pour se pourvoir en cassation court vis-à-vis de lui, aux termes de l'article 8 adopté, à partir du jour de la communication de l'arrêt lui donnée par l'auditeur militaire, mais en ce qui concerne l'auditeur général, quel sera le point de départ du délai pour se pourvoir?

Le projet est muet sur ce point important qu’il importe d’éclaircir par une disposition formelle. À. cet égard nous pensons que vis-à-vis du ministère public qui assiste au prononcé de l'arrêt de la cour militaire, le délai doit courir à partir du jour même où cet arrêt est rendu, d'après les dispositions admises en matière ordinaire.

Nous vous proposons, par l'amendement, de le décréter; en cette conformité. D'un autre côté, il nous paraît essentiel de désigner le fonctionnaire qui doit recevoir la déclaration de recours du ministère public, puisqu’à l'égard de l'accusé on introduit un mode spécial, qui ne peut s'appliquer à l'auditeur général. Il est donc nécessaire de déléguer au commis greffier remplissant les fonctions de greffier près la cour la mission de recevoir l'acte de pourvoi du magistrat chargé des intérêts de la société.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. Lelièvre propose, messieurs, d'insérer dans l'article 9, les mots : « sans consignation d'amende ». Je crois que cela est parfaitement inutile. D'après l'article, le recours en cassation sera exercé dans les cas et suivant le mode déterminés en matière criminelle; il va de soi que ce sera sans consignation d'amende, puisqu'en matière criminelle jamais l'amende n'est consignée. C'est même pour cela que le projet a 'été modifié, car le projet primitif du gouvernement portait (erratum, page 439) en matière pénale et, ces mots s'appliquaient aux matières correctionnelles comme aux matières criminelles. Mais, d'après la nouvelle rédaction, le recours en cassation devra être spécialement exercé suivant le mode prévu en matière criminelle; la conséquence en est, qu'il n'y aura pas lieu à consignation de l'amende et qu'il est inutile de l'exprimer.,

Quant au mode suivant lequel le pourvoi en cassation sera reçu, il n'est pas douteux que les règles ordinaires en devront être suivies : ce sera au greffe que le ministère public fera sa déclaration de pourvoi. Sous ce rapport encore, l'amendement de l'honorable M. Lelièvre me parait inutile.

M. Lelièvre. - Je ne suis pas d'accord avec M. le ministre de la justice sur l'inutilité de la première partie de mon amendement, mais du reste je n'insiste pas sur cette partie, s'il est entendu que la consignation de l'amende n'aura pas lieu. (Il n'y a pas de doute!)

J'insiste sur la seconde partie de mon amendement, parce que je prétends que le délai, vis-à-vis de l’auditeur général, doit courir à partir du prononcé de l'arrêt.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je dois déclarer que c'est en parfaite connaissance de cause et non par suite d'un oubli ou d'une omission que la section centrale a effacé les mots « sans consignation d'amende. » Il a paru évident à la section centrale, comme à M. le ministre de la justice, que les mots « en matière criminelle », mis à la place des mots « en matière pénale », exprimaient l'intention de dispenser de la consignation de l'amende. Du reste, l'honorable M. Lelièvre consent à retirer son amendement sur ce point.

Quant au second point de l'amendement, l'honorable M. Lelièvre ne fait qu'insérer dans la loi une disposition qui recevrait son exécution alors même qu'elle n'y serait pas mentionnée. Croit-on que, pour plus de clarté, cette disposition doive y figurer? Je ne m'y oppose pas ; mais les choses se passeraient ainsi que l'explique l'honorable M. Lelièvre, même lorsque son amendement ne serait pas dans la loi.

(page 411) - La discussion est close.

La seconde partie de l'amendement de M. Lelièvre est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

L'article 9 est mis aux voix et adopté.

Article 10

« Art. 10. En cas d'annulation, le renvoi du procès et des parties aura lieu devant la môme cour, composée d'autres juges. Un nouveau président sera délégué par la cour d'appel. »

M. Orts. - Messieurs, il faut ajouter quelque chose pour le cas où le président sera empêché ou récusé…

- Des membres. - On a réglé cela dans un autre article.

M. Orts. - En ce cas, il faudrait étendre la disposition au greffier; je viens de vérifier que le greffier de la cour militaire, d'après la législation existante, est tenu de se récuser dans les mêmes cas que les conseillers.. Ainsi, il faudrait, au second vote, introduire une disposition nouvelle dans l'article où l'on a réglé le moyen de remplacer le président empêché. (Adhésion.)

- L'article. 10 est mis aux voix et adopté.

Articles 11 et 12

« Art. 11. Les membres de la haute cour militaire dont les fonctions sont supprimées par la présente loi et qui ont atteint l'âge voulu par la loi du 21 juillet 1844, seront admis à la pension de retraite ; le traitement d'attente des autres membres sera fixé chaque année par la loi du budget. »

- Adopté.


« Art. 12. La haute cour militaire sera supprimée le jour de la mise en vigueur de la présente loi.

« A dater du même jour, la cour, instituée par l’article premier, sera saisie de plein droit de toutes les affaires portées devant la haute cour, à l'exception de celles mentionnées an second paragraphe de l'article 7.»

- Adopté.

Sur la proposition de M. le président, la chambre décide qu'elle procédera demain au vote définitif sur le projet de loi sur l'institution d’une cour militaire.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1849

Discussion du tableau des crédits

Chapitre III. Justice militaire

M. Orts (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je crois que pour faciliter les travaux de la chambre, il y aurait une mesure à prendre. Il faudrait voter immédiatement le chapitre du budget de la justice, relatif à la justice militaire.

Ceci fait, nous pourrions voter définitivement tout le budget de la justice, en second vote. Avant ce second vote, nous devons avoir évidemment un premier vote sur le chapitre concernant la justice militaire ; ce premier vote n'a pas encore eu lieu.

- La chambre décide qu'elle s'occupera immédiatement de la discussion du chapitre du budget de la justice, concernant la haute cour militaire.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Cependant on devra se borner aujourd'hui à voter le libellé, car je ne puis pas présenter les chiffres définitifs en ce moment ; car depuis la présentation du budget l'auditorat de Hasselt a été supprimé; et d'un autre côté il faut tenir compte aussi du traitement intégral du substitut.

M. Delfosse. - On pourrait s'occuper du chapitre du budget concernant la haute cour militaire quand on sera appelé à voter définitivement le budget de la justice. Il y a eu une décision déjà sur le chapitre concernant la haute cour; on a ajourné le vote des chiffres jusqu'après le vote de la loi d'organisation de la haute cour, ce qui constitue un amendement. Par conséquent on devra s'occuper des chiffres de ce chapitre quand on votera définitivement le budget de la justice. Il est inutile d'émettre avant un vote spécial sur ces chiffres.

M. le président. - Les chiffres seront portés au budget, en conformité des décisions prises par la chambre, dans la loi d'organisation de la haute cour militaire.

La chambre décide que le second vote sur la loi d'institution de la haute cour militaire et sur le budget de la justice aura lieu demain.

- La séance est levée à 5 heures.