Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 31 janvier 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 581) M. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les sieurs Dewael-Vermoelen et Schram, agents de la société de Commerce des Pays-Bas, à Anvers, actuellement en liquidation, prient la chambre d'accorder à cette société une indemnité du chef des pertes éprouvées par suite des événements de la révolution. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Quelques brasseurs dans la province du Luxembourg demandent un droit d'entrée sur la levure. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie.


« Le comice agricole du neuvième district du Hainaut demande que le gouvernement remplace une grande partie des étalons de race anglaise qui se trouvent dans les haras de l'Etat, par des étalons choisis parmi les meilleurs reproducteurs de race indigène. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


Il est fait hommage à la chambre, par N.-J. Lannoy, chargé d'affaires de Belgique à Rio de Janeiro, de trois exemplaires de son ouvrage, intitulé : Iles Philippines; de leur situation ancienne et actuelle.

- Dépôt à la bibliothèque.

Rapport sur une pétition

M. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - Messieurs, on nous a adressé, il y a quelques jours, une pétition du district de Roulers, tendant à ce que la législature veuille porter au budget de l'intérieur une somme que le gouvernement donnerait, à titre de prêt sans intérêts, aux communes et aux bureaux de bienfaisance, obérés et ruinés par suite des années calamiteuses et du typhus.

Sur ma demande, cette requête a été renvoyée à la commission des pétitions avec prière d'un rapport avant la discussion du budget de l'intérieur. Ce rapport n'ayant pas encore été déposé jusqu'à présent, je prierai M. le président de vouloir s'en occuper afin qu'il puisse être présenté dans la séance de demain.

M. Toussaint. - J'ai été chargé de faire le rapport sur la question dont vient de parler l'honorable M. Rodenbach. Je suis prêt à le faire, mais le feuilleton n'est pas encore distribué ; il est imprimé et pourra être distribué ce soir. De sorte que je pourrai présenter mon rapport demain ou après-demain, suivant ce que décidera la chambre.

M. le président. - Les pétitions sont ordinairement à l'ordre du jour du vendredi. On pourrait faire droit à la demande de M. Rodenbach en mettant la pétition dont il a parlé à l'ordre du jour de vendredi prochain.

M. Rodenbach. - J'avais demandé que le rapport fût fait demain, mais je me rallie à la proposition de M. le président ; je puis d'autant plus le faire que la discussion du budget de l'intérieur ne sera pas terminée.

Projet de loi portant révision des tarifs en matière civile

Rapport de la section centrale

M. Moreau. - J’ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la révision des tarifs en matière civile, ainsi qu'une pétition concernant ce projet de loi.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1849

Discussion générale

M. Vermeire. - Messieurs, en prenant la parole dans cette enceinte pour y exprimer une opinion sur la grave question des Flandres, je n'ai point la prétention de désigner un remède immédiat aux maux dont souffrent un grand nombre de nos frères infortunés; mais je serais heureux si, dans les mesures que je me propose d'indiquer, il s'en trouvait une seule de nature à porter quelque soulagement à de grandes infortunes.

Messieurs, je ne déroulerai pas devant vous le sombre tableau de la misère qui règne dans les deux Flandres. Il est gravé dans vos mémoires en traits ineffaçables. J'entre directement en matière, et je commence par rechercher la cause du mal elle moyen d'y remédier.

Tout le monde aujourd'hui est convaincu, messieurs, que la décadence des Flandres doit son origine à la perte de l'ancienne industrie linière, et que celle-ci a succombé sous les coups de sa formidable concurrente, l'industrie mécanique. Les deux industries ne peuvent coexister aux conditions actuelles. L'ancienne industrie, n'employant que du lin flamand, pur, sans mélange, produit certes une toile d'une qualité supérieure, mais d'un prix relativement élevé. L'industrie mécanique peut employer, non seulement des matières premières d'une qualité inférieure, mais par suite de la perfection de ses machines, elle peut à volonté faire entrer dans la composition de ses fils d'autres filasses, tels que coton, chanvres, etc. Elle se sert aussi avec avantage des déchets de ces matières filamenteuses, et produit un fil si beau et si égal, que lorsqu'il est lissé, il donne une toile satisfaisante.

L'ancienne industrie linière, convaincue de la supériorité de ses produits, crut avec quelque raison que les toiles mécaniques, vu leur qualité inférieure, n'auraient fait dans le commerce qu'un passage éphémère, après lequel elle aurait repris son diadème dont l'éclat, terni un moment, redeviendrait plus resplendissant que jamais.

Cette épreuve, tout à l'avantage de l'ancienne industrie , n'eut point ce résultat, parce que des imprudents , mêlant les fils mécaniques aux fils à la main, crurent pouvoir faire passer ce produit pour l'ancienne toile, et y trouver un moyen de diminuer le prix et ainsi de mieux soutenir la concurrence. La déception cependant fut bien amère, car la qualité de la toile diminuait en proportion du mélange qui s'opérait, et ce système bâtard acheva de ruiner l'ancienne industrie linière, la gloire des Flandres, lui fit perdre son ancienne réputation de probité et de loyauté, et comme tous les systèmes bâtards, il ne parvint à satisfaire aucun goût, ni celui du consommateur primitif pour lequel la qualité devint trop commune, ni celui du nouveau preneur, pour lequel le prix était encore trop élevé.

Tandis que l'ancienne industrie linière se débattait ainsi en vains efforts, et succombait dans cette lutte inégale, d'autres causes encore se produisirent et précipitèrent sa ruine.

Des pays voisins et notamment la France établirent chez eux des manufactures linières. Ce dernier pays, pour protéger son industrie naissante, éleva ses droits d'importation, et nous fit abandonner son marché, un des principaux débouchés pour notre toile.

L'Espagne éleva également ses tarifs d'importation, et la perte presque totale de ces importantes places ne fit qu'aggraver le mal. Ainsi d'une part, par suite du mariage de la nouvelle industrie à l'ancienne, méfiance chez l'acheteur et le consommateur. D'autre part, impossibilité presque complète d'exportation, par suite d'entraves douanières, suscitées par des gouvernements amis.

Mais, quoique le mal soit bien grave, ne désespérons pas, messieurs; ; car, du moment que le gouvernement aura pris des mesures pour faire reconnaître par des signes ou des marques obligatoires, chaque espèce de toile, et que le consommateur aura une formelle garantie que la toile dont il fait l'emplette est réellement celle désignée dans la facture; lorsque l'acheteur aura la conviction que s'il veut obtenir de la toile flamande faite de lin flamand filé à la main et tissée d'après les meilleures méthodes connues, il peut se le procurer en toute confiance et sécurité ; du moment, dis-je, que l'ancienne industrie aura divorcé avec sa redoutable concurrente ; de ce moment elle reprendra le rang distingué dont elle avait été momentanément déchue ; et retrouvera bientôt ses anciennes relations momentanément perdues à la suite de la méfiance qu'elle inspirait.

Certes, messieurs, aussitôt que l'ancienne industrie linière aura secoué ces diverses entraves qui la retiennent pour ainsi dire plongée dans la boue, au détriment de sa prospérité et de la gloire des provinces auxquelles elle doit son origine ; aussitôt que cette métamorphose sera accomplie ; elle se lèvera dans toute sa splendeur et, comme le phénix, renaîtra de ses cendres, pleine de jeunesse, de vie et d'avenir et donnant au pays le plus légitime espoir d'une prochaine prospérité.

Toutefois, messieurs, si la séparation complète de l'ancienne industrie linière d'avec les industries analogues, doit produire pour la première les plus heureux résultats, il n'en reste pas moins constant que l'usage des toiles mixtes (fil à la main et fil mécanique) et des toiles mécaniques, occupe aussi, par suite de leurs prix modérés, une place importante sur les divers marchés.

Ce fait admis, nous devons chercher par tous les moyens possibles à introduire, dans nos provinces ouvrières, des manufactures donnant toutes espèces de tissus, toiliers et autres, aux mêmes conditions et avantages qui les industries similaires d'autres pays.

M. Moxhel, consul belge à New-York, dans un rapport inséré au moniteur Belge, n°181, page 1739, année 1848, décrit l'organisation de diverses manufactures aux Etats-Unis, lesquelles, sous le rapport moral et économique, font l'admiration de tous les étrangers.

Ce sont de semblables manufactures que nous devons tâcher d'introduire dans nos Flandres; et certes, chez un peuple religieux, moral et résigné, elles doivent trouver de meilleurs éléments de prospérité qu'aux Etats-Unis, où, comme je viens de le dire, elles font l'admiration de tous les visiteurs.

L'industrie linière mécanique doit être manufacturière, mais non individuelle, c'est-à-dire que, dans ses diverses phases, elle doit avoir la faculté de se mouvoir facilement dans des usines considérables, et disposer de (page 582) grands capitaux, pour s'approvisionner avantageusement en matières premières, et vendre avec facilité ses produits sur tous les marchés du globe. Mais j'entends déjà bourdonner à mon oreille l'objection, que, dans les circonstances actuelles surtout, les capitaux ne se porteront pas vers une industrie dont les résultats ne sont rien moins que problématiques, pour ne pas dire désastreux; que l'état des finances du pays ne permet pas au gouvernement d'intervenir pécuniairement dans l'organisation d'une industrie embrassant des développements si étendus.

Cette objection si capitale qu'elle soit, messieurs, doit disparaître devant la garantie de la propriété intellectuelle ; c'est-à-dire qu'au moyen de cette propriété garantie, qui, à mes yeux, est aussi bien une propriété que la propriété foncière ou toute autre propriété, on pourrait engager des manufacturiers étrangers à introduire dans notre pays et leur industrie et leurs capitaux.

Le Moniteur du 29 de ce mois publie encore un rapport remarquable de notre envoyé aux Etats-Unis ; il en résulte à l'évidence que nos filatures de lin ne produisent pas les fils nécessaires à la fabrication des toiles qui se placent le plus facilement à New-York, ou du moins ne peuvent donner ces fils à assez bon marché, nos mécaniques n'étant pas aussi perfectionnées que celles de l'Irlande; et ensuite que nous manquons de blanchisseries qui donnent aux toiles le beau blanc et l'apprêt désirables pour en faciliter le placement.

£n effet, notre intervention dans le placement des toiles sur le marché de New-York est relativement nulle. Il se vend sur cette place annuellement pour 5,100,000 dollars (environ 25,500,000 fr.). La Belgique y place pour 2,544 dollars (fr. 14,000 environ). Presque tout le reste a été fourni par l'Angleterre.

Si le gouvernement octroyait à tout manufacturier la jouissance exclusive d'exploitation pour un terme assez long de toute industrie que nous ne possédons pas encore, ou que nous ne possédons qu'imparfaitement, avec réserve d'expropriation, moyennant indemnité préalable pour cause d'utilité publique, je pense que des manufactures linières, égales à celles de l'Irlande, feraient bientôt des offres pour obtenir pareil privilège. Or il est certain que dans les pays où la propriété intellectuelle est suffisamment garantie, la prospérité y est équivalente. En Angleterre la loi sur les patentes existe depuis 222 ans ; aussi est-ce le pays qui marche à la tête de l'industrie du monde entier.

En France on a concédé la « propriété perpétuelle » sur les dessins et les modèles de fabrique. En Angleterre cette propriété n'appartient à son auteur que pour le court espace de 5 ans, et l'enregistrement de la patente y coûtait encore en ces derniers temps 500 liv. st. (12,500 fr.) Aussi les bronzes français habilement ciselés, leur orfèvrerie et leurs dessins s'écoulent aisément partout, en Europe, en Asie et en Amérique. C'est à Paris et non à Vienne ou à Londres qu'on s'adresse quand on a des commandes à faire en ce genre.

Voici, sur la propriété intellectuelle, l'opinion du comte Daru, ancien pair de France :

« Dans tous les pays où n'existent pas à un degré suffisant des lois protectrices des inventions en tout genre, les progrès sont lents ou nuls. Chez toutes les nations, au contraire, assez éclairées pour avoir compris la haute utilité, la haute équité de cette protection, les esprits sont en travail continuel, les plus belles découvertes se multiplient, et le progrès est en raison même de la protection. »

Cette vérité, infaillible selon moi, a pour résultat immédiat, messieurs, que plus la garantie ou la durée du brevet ou du privilège se prolonge, plus l'invention, et par suite les nouvelles industries et leur prospérité augmentent, et que là où on peut trop facilement éluder les lois sur cette propriété, comme c'est le cas dans ce pays, par suite de la défectuosité de la loi sur les brevets , la prospérité décline dans la même proportion.

Je me résume, messieurs, en établissant comme fait que l'ancienne industrie linière suffisamment garantie a beaucoup d'avenir, parce que bien des familles, bien des pays même, y sont très attachés et donnent la préférence à ses produits ;

Que l'industrie linière mixte et mécanique pure, après avoir franchi également le seuil de la consommation, y a trouvé une place marquante et peut donner lieu à beaucoup de travail industriel et manufacturier, ainsi qu'a un commerce international très étendu pour la Belgique.

De manière qu'au lieu d'une seule industrie linière nous en avons trois à exploiter. Mais je le répète, chaque espèce de toile doit être garantie et reconnue pour ce qu'elle est réellement, et l'une ne peut empiéter sur le domaine de l'autre, sans que toutes s'égarent de nouveau dans le dédale dont nous aurons tant de mal de sortir.

Alors et seulement alors nous pourrons nous écrier avec l'éloquent ministre des travaux publics. « N'avons-nous pas des produits, qui malgré les barrières qui nous entourent, peuvent pour la qualité et pour le prix lutter avantageusement avec les produits de l'étranger ? Notre industrie est morte ! Oui, elle est morte, mais comme ces chrysalides, dont la mort, n'est autre chose que le passage à une autre vie, à une forme nouvelle. »

J'insiste surtout sur la garantie de la propriété intellectuelle; car par elle, nous pouvons occuper bientôt le haut de l'échelle industrielle; sans elle nous continuerons notre marche rétrograde et ruineuse; et ici je crois pouvoir appliquer l'axiome du directeur du Musée de l'industrie à Bruxelles :

« Sans garanties, pas de capitaux !

« Sans capitaux, pas d'industrie en grand !

« Sans industries en grand, pas d'industrie à bon marché!

« Pas de commerce d'exportation ! pas de progrès ! »

Je recommande donc au gouvernement la prompte révision de la loi sur les brevets.

J'insisterai encore avec notre envoyé aux États-Unis, juge si compétent dans cette matière, sur la nécessité qu'il y a d'organiser notre industrie de manière à fabriquer selon le goût des consommateurs et non selon les caprices du producteur.

Pour ce qui regarde la compagnie d'exportation, elle ne peut être utile que lorsque nous pourrons travailler pour les besoins et le goût des peuples, chez qui nous voulons envoyer nos marchandises.

Je ne me prononcerai donc pas sur le plus ou moins d'utilité qu'il peut y avoir à établir promptement cette compagnie. Je crois que pour le moment les éléments nous manquent pour faire prospérer un pareil établissement.

Je pense que, pour que le goût de l'émigration se répande, il importe de diriger par un enseignement professionnel l'instruction commerciales vers le but qu'on se propose, en inculquant au jeune commerce la connaissance des besoins, des habitudes et des usages des divers pays avec lesquels nous sommes appelés à commercer; car aujourd'hui, comme le dit très bien notre collègue M. Coomans, dans une brochure qu'il a récemment publiée, et comme il l'a encore répété hier: « L'éducation de nos négociants est d'une simplicité primitive. Avec la connaissance des règles de l'arithmétique, du français, du flamand, d'un peu d'anglais et d'allemand, et de la géographie élémentaire, ils passent les plus belles années de leur vie dans les bureaux de commerce, faisant la besogne de simples commis. Une université commerciale peut offrir de grandes ressources; elle produirait des hommes instruits, jeunes et entreprenants, qui, transformés en agents consulaires ou chefs de comptoir, deviendraient l'avant-garde de nos travailleurs, et placés dans les divers ports du globe, y procureraient des placements nombreux aux produits de nos diverses fabriques.

Je recommande à l'attention toute particulière du gouvernement l'établissement de cette école supérieure de commerce et d'industrie dans la métropole commerciale de la Belgique. Il serait vivement à désirer, messieurs, que cette idée, si souvent mise en avant, reçût enfin une pleine et entière exécution.

Comme industries nouvelles à importer dans les Flandres, et pour les produits desquels des placements nombreux se feraient facilement en Amérique et au Brésil, je citerai la fabrication de la toile à voile, avec du fil mécanique, la toile de fils d'étoupes mécaniques pour emballages, la fabrication et la filature mécanique du phormium tenax, ou lin de la Nouvelle-Zélande, pour sacs à café, et plusieurs autres tissus grossiers, qui ne demandent pas beaucoup de capitaux, et procurent beaucoup de travail.

Il importe encore que, pour que l'industrie puisse se développer avantageusement, elle soit mise dans la position de pouvoir se procurer les matières premières au plus bas prix possible , afin de lutter avantageusement sur les marchés étrangers.

La loi de 1844 (21 juillet) accorde ces avantages aux industriels dont la matière première est originaire des pays transatlantiques, et favorise par là et notre industrie et notre navigation nationale dans ces parages.

Mais les industriels qui emploient les matières premières expédiées de la Russie et des autres ports européens sont exclus de ce bénéfice, parce que la loi qui assimilait les ports situés au-delà des détroits du Sund et de Gibraltar aux ports de provenance directe est expiréd le 31 décembre 1848.

Cet état de choses a un double côté désavantageux, d'une part parce que par suite de notre traité avec la Hollande, nous pouvons importer de Rotterdam ou d'Amsterdam nos matières à des droits plus modérés que des ports maritimes de Riga, Pétersbourg, Trieste, Gênes, etc. Ce qui est fort nuisible à notre commerce et à notre industrie, et rend les places de commerce belges tributaires des places de commerce néerlandaises ; et d'autre part parce que par là nous abandonnons à la navigation étrangère le transport de ces matières, ce qui est très onéreux pour la marine belge.

Le combustible est aux manufactures ce qu'est le pain à l'ouvrier, c'est-à-dire plus son prix plus ou moins élevé influant favorablement ou défavorablement sur la production industrielle, il convient également de pouvoir se le procurer à des prix très réduits. Eh bien, le croirait-on? Un pays voisin dépourvu de mines, est sous ce rapport plus favorablement (page 583) placé que la Belgique, dont la principale richesse consiste dans la production de ses mines.

Par suite des réductions sur les canaux, pour l'exportation de nos charbons vers l'étranger, réductions que je suis loin de blâmer, mais dont je voudrais voir profiter également l'industrie nationale, le charbon belge, surtout celui du centre et du bassin de Charleroy se vend à meilleur marché sur les places de Rotterdam et de Schiedam, que sur celles de Bruxelles, Gand et Anvers, ce qui favorise singulièrement les raffineries de sucres et les distilleries néerlandaises, au détriment de nos fabriques similaires indigènes.

Si l'on veut se créer une industrie forte et puissante, et en état de lutter contre l'étranger, il faut commencer par la mettre dans une position aussi favorable que possible, et ne pas laisser subsister des entraves à son développement, surtout celles que l'on peut faire disparaître sans inconvénients.

J'appelle l'attention toute spéciale du gouvernement sur ces divers points.

Le bas taux de l'intérêt, et la facilité avec laquelle on se procure les capitaux dirigés vers l'industrie et le commerce, produisent aussi le meilleur résultat sur la prospérité matérielle d'un pays. Je crois qu'une banque nationale rendrait des services signalés; je crois encore qu'un pareil établissement ne serait point une charge pour l'Etat; je crois au contraire qu'on pourrait l'organiser de telle manière qu'il deviendrait même une ressource pour le trésor public. Toutefois cet objet étant d'une haute importance, et le cadre de mon discours ne permettant pas un plus long développement, je me borne, messieurs, à le citer ici pour un mémoire, en le recommandant aux méditations sérieuses du gouvernement et de la législature.

Messieurs, d'autres orateurs ont envisagé et envisageront sans doute encore la question des Flandres sous le rapport agricole. Je me dispenserai donc d'entrer à cet égard dans des développements.

Je m'associe au vœu exprimé par la section centrale, de réunir dans un même département ministériel toutes les affaires concernant l'agriculture, l'industrie et le commerce. La nécessité et l'utilité en ayant été suffisamment démontrées dans une séance précédente par noire honorable collègue, M. Schumacher, je me dispenserai encore de les reproduire ici. J'appelle aussi l'attention du gouvernement sur l'institution d'un conseil supérieur d'industrie et de commerce dont l'utilité est incontestable.

Messieurs, je voulais borner ici mes observations, mais en entendant émettre hier un doute sur les services rendus au pays par le ministère depuis son avènement jusqu'à ce jour, je me dois à moi-même, je dois au cri de ma conscience de le proclamer ici bien haut : le gouvernement a été à la hauteur de sa mission, il a rempli son devoir, et il a bien mérité de la patrie. Non, le gouvernement n'a pas eu tort de s'appuyer également sur tous les citoyens, amis de l'ordre et de la liberté. Qu'il continue à marcher franchement dans cette voie, et le concours de tous les Belges, amis de la gloire et de la prospérité de leur pays, ne lui failliront pas. Qu'il continue à se réfugier avec eux derrière nos lois constitutionnelles, boulevard de notre liberté, de notre indépendance et de notre nationalité, remparts que ne franchiront point les idées subversives de tout progrès qui surgissent partout en Europe ; solides créneaux qui résisteront également aux coups de canon du despotisme et aux boulets rouges de la démagogie.

- M. Delfosse remplace M. Verhaegen au fauteuil.

M. Sinave. - Le plus vif enthousiasme s'est manifesté dans le pays, et dans les Flandres principalement, à l'avènement au pouvoir du ministère libéral. Cet enthousiasme trouvait son origine dans le programma du 12 août 1847, où le ministère, malgré les dénégations de l'honorable ministre de l'intérieur dans la séance du 18 janvier, avait engagé son honneur, celui du pays, et des Flandres, à relever ces malheureuses provinces de l'état de décadence où elles se trouvaient plongées. Certes si le ministère n'y avait pas consacré ces paroles mémorables aux malheurs des Flandres, aurait-il reçu en arrivant au pouvoir les mêmes marques de sympathie? Je ne le crois pas, messieurs. Quoi qu'il en soit, loin de moi l'idée qu'une telle promesse ait été faite pour arriver au timon des affaires. J'ai l'intime conviction que le ministère a été de bonne foi. Mais je crois aussi qu'il s'est mépris sur l'immense étendue de son engagement. Le ministère ferait mieux d'en convenir lorsque tant des difficultés s'offrent à sa réalisation. Vainement cherche-t-il à s'excuser, le mal s'est produit lentement, ce n'est qu'avec le temps qu'on peut y porter remède. Ce n'est là, messieurs, qu'un sophisme, qu'une fin de non-recevoir ; car le devoir de tout homme d'Etat, lorsqu'il prend sur lui une responsabilité si grande, est de s'assurer des moyens les plus efficaces et les plus prompts pour exécuter les promesses qu'il a faites. Ce n'est pas par des demi-mesures qu'on parviendra à sauver les Flandres.

Cependant je dois convenir que le ministère fait exécuter des travaux utiles, tels que routes, canaux et communications vicinales, pour venir en aide à la classe ouvrière , mais ce ne sont là que des mesures dont l'effet n'est que temporaire. Où sont donc les actes du ministère, ces actes de si haute importance, qui distinguent toutes les mesures vigoureuses et indispensables pour agir immédiatement et avec succès dans les circonstances difficiles.

Toutes les démarches du gouvernement dénotent une grande indécision, et les mesures prises jusqu'à présent ne sont que des problèmes encore à résoudre. Tel est le projet d'établir de nouvelles industries dans les localités où il existe depuis des siècles une grande industrie vraiment nationale, mais accidentellement en souffrance.

Eh bien, n'est-il pas dangereux pour le pouvoir, quelles que soient les mains dans lesquelles il est placé, quelle que soit la forme du gouvernement, de s'exposer aussi légèrement et de manquer aux obligations qu'il il contractées?

N'est-il pas imprudent de résister aux vives et aux justes réclamations qui se manifestent en faveur d'une question d'une si haute gravité et dont dépend l'existence de la majeure partie de la population des Flandres? Cette position que le ministère s'est faite lui-même ne peut être maintenue, Ou elle aura infailliblement pour résultat la déconsidération et la ruine du pouvoir.

Messieurs, jetons un coup d'œil sur les pays voisins, sur l'Allemagne par exemple. A quoi faut-il attribuer les commotions politiques qui affligent cette contrée, si ce n'est aux promesses solennelles faites avant 1814, par les différents souverains pour engager leurs peuples à combattre l'ennemi, promesses qu'ils ne tinrent point après la victoire? C'est ainsi qu'une révolution devient légitime lorsque, avec connaissance de cause, le pouvoir fausse ses engagements les plus sacrés. Nous n'avons qu'à reporter nos regards vers l'époque de notre révolution ; n'avons-nous pas conquis notre indépendance en vertu du même principe ?

J'engage donc avec instance le ministère d'écouter la voix suppliante de nos populations fidèles à nos institutions, et résignées dans leur malheur jusqu'à la mort même ; voix qui retentit depuis longtemps dans cette enceinte par l'organe de leurs députés. Qu'arrivera-t-il, si cette voix n'est pas écoutée? Que le dévouement des Flandres disparaîtra sous le linceul qui couvre ces infortunées populations.

L'espoir d'améliorer l'état des Flandres et de leur assurer un meilleur avenir ne peut se réaliser qu'en prenant des mesures extraordinaires et d'une grande vigueur.

Vous pouvez tous, messieurs, vous assurer que les moyens employés jusqu'à présent ne sont que de demi-remèdes qui ne servent qu'à couvrir pour un moment la plaie pour la faire reparaître immédiatement sous le dehors le plus hideux.

La gravité de la position ne peut plus être méconnue, le mal est devenu extrême, mais il n'est pas sans remède. Rien encore n'est désespéré. Je suis convaincu que la chambre ne reculera devant aucun sacrifice, quelque grand qu'il soit, ni devant l'énergie des mesures qu'il faut prendre lorsqu'on lui aura démontré qu'il existe des mesures dont les résultats immédiats et spontanés peuvent rétablir le travail et tendre vers l'extinction du paupérisme. Voilà, quant à moi, le seul moyen de ramener ces provinces vers leur état normal.

Je ne vais revenir qu'incidemment sur la séance du 18 janvier. J'ai dit que depuis 1830 les intérêts matériels ont été singulièrement méconnus. Eh bien, n'est-ce pas précisément après cette époque qu'on constate une insuffisance de nos productions alimentaires pour le besoin de la population, en même temps qu'une tendance vers le paupérisme qui en est la conséquence naturelle? Tout ce temps s'est passé sans que le gouvernement ait songé à leurs funestes résultats. Il n'a même pas fait rechercher les vrais remèdes pour combattre un mal dont il pouvait et devait prévenir la .grande extension.

Je n'accuserai ni les ministères passés, ni le ministère actuel; cela ne peut nous mener à aucun résultat. Acceptons notre position telle qu'elle nous a été faite ; mais montrons-nous capables de surmonter toutes les difficultés et de triompher des malheurs qui frappent notre patrie, et surtout les provinces flamandes. C'est une œuvre digne de la représentation nationale.

Avant d'en venir aux moyens, que la Chambre me permette de l'entretenir un instant du système du gouvernement qui consiste à introduire de nouvelles industries dans les Flandres. Je suis loin d'en être l'ennemi ou de vouloir m'opposer à leur introduction; mais que ce ne soit pas au moins avec les ressources de l'Etat qu'on épuise, et au détriment de la grande et belle industrie linière que nous tâcherons de relever.

Si je dois rendre hommage aux intentions du ministère, lorsqu'il accorde des secours pécuniaires à la classe ouvrière (car ces secours lui sont très utiles dans la détresse où elle se trouve actuellement, et souvent on devra y avoir recours, mais que ce soit avec une sage réserve), je ne puis faire le même éloge des efforts faits pour introduire de nouvelles industries. En effet, ces nouvelles industries peuvent-elles avoir cet effet immédiat que la détresse de la population exige ? Evidemment leur effet ne peut être que minime dans un avenir éloigné et seulement pour les ouvriers des villes.

Supposez même qu'un tel essai réussisse. Croyez-vous qu'il ait quelque influence sur nos populations des campagnes composées en grande partie de tisserands? Croyez-vous que les produits de ces nouvelles industries se vendront sans intermédiaires, comme nos toiles, sur les marchés hebdomadaires de nos villes pas le cultivateur tisserand lui-même ? Pensez-vous créer des marchés hebdomadaires pour ces nouvelles industries? J'ose dire, messieurs, que, dussiez-vous y employer le budget de l'Etat, vos efforts seraient impuissants.

Existe-t-il une autre industrie aussi démocratique, établie sur dimensions aussi colossales, où l'ouvrier fait tout par lui-même, achète, fabrique et vend pour son propre compte? On la cherche vainement ailleurs. Les économistes de tous les pays s'occupent du sort du travailleur ; leur moyen c'est l'association, leur but c'est de rendre l'ouvrier plus libre et de lui assurer une part plus forte dans les bénéfices. Ce but a été atteint dans les Flandres depuis des siècles, sans autre effort que la nature même de l'industrie linière. Ce résultat, vous voulez le détruire.

Ici on me permettra, j'espère, de mettre en parallèle le bien-être de l'ouvrier de ces industries nouvelles et de l'ancienne industrie linière. Personne ne peut nier que ces nouvelles industries, sans aucune analogie avec (page 584) l'ancienne, ne reposent sur des objets de fantaisie, tandis que l'ancienne a pour base les besoins pressants et invariables de l'homme? Eh bien, l'ouvrier des premières n'est-il pas réduit plus tôt et plus souvent au chômage que celui de la seconde?

Par rapport à la liberté individuelle et au salaire ou au bénéfice de l'ouvrier de l'industrie linière, il est évident que sa liberté et son bénéfice sont beaucoup plus grands par cela seul qu'il n'a pas de maître, et qu'il travaille pour son compte. Aussi il ne s'occupe du tissage que quand la culture n'exige pas sa présence dans les champs.

Je ne vous entretiendrai pas des conditions de mortalité et d'hygiène; vous connaissez tous la vie du campagnard : l'ouvrier qui travaille à des industries nouvelles est-il placé dans les mêmes conditions?

Ces citations, messieurs, suffisent pour démontrer que c'est une impossibilité que de faire de l'introduction des nouvelles industries un système de sauver les Flandres.

Un autre des moyens du gouvernement est de faire ériger des établissements modèles en tout genre. Il est vrai que depuis quelques années on a appliqué ce système à plusieurs industries et même à l'agriculture. Prétend-on aussi nous apprendre la culture du lin, quand en même temps l'Angleterre, reconnaissant toute la supériorité du mode en usage dans les Flandres, envoie sur les lieux pour en faire l'étude?

Finalement, messieurs, les productions de ces nouveaux établissements ne sont-elles pas trompeuses par cela seul qu'ils sont directement rétribués par l'Etat?

Le gouvernement a aussi organisé une blanchisserie d'après un système nouveau très convenable pour les toiles de lin.

Vous pensez probablement que c'est au centre de l'industrie linière, dans les Flandres, à portée de nos industriels, qu'il l'a placée? Eh bien! non. C'est au-dessus d'Anvers, sur la route de Breda.

Je ne répondrai pas au discours de l'honorable ministre de l'intérieur où il m'accuse de ne pas représenter fidèlement les Flandres ; je laisse les électeurs juges de ma conduite, où il m'accuse en outre de puiser mes paroles je ne sais où, et mes renseignements à des sources peu loyales et peu pures. Je dirai seulement que je laisse à l'honorable ministre de l'intérieur tout l'honneur de ces bienveillantes expressions, et que j'ai puisé mes renseignements dans les statistiques du gouvernement. C'est par celles sur le mouvement de la population que j'ai constaté la mortalité, et par les procès-verbaux des conseils de milice l'état misérable de nos populations.

Dans la statistique d'importation et d'exportation j'ai remarqué cette diminution croissante de l'exportation de nos toiles et fils de lin; tous les marchés hebdomadaires viennent également établir ces faits. Je ne désignerai que celui de Thielt : le droit de place et de mesurage était précédemment loué au-delà de dix-huit mille francs, la ville a été forcée de percevoir ce droit en régie, après plusieurs essais d'adjudication publique, où l'offre n'avait guère dépassé les huit à neuf mille francs.

A l'appui, messieurs, de ce que j'ai eu l'honneur de vous dire sur les nouvelles industries, que les moyens employés par l'honorable ministre de l'intérieur n'ont encore aucun résultat dans la campagne et très peu d'effet dans les villes, je vais vous lire un passage du dernier rapport de M. le gouverneur de la Flandre occidentale sur la situation de la province.

« Des moyens d'encouragements, dit-il, comme auxiliaires de ces dispositions générales, ont été mis en œuvre pour atténuer la situation.

« Ces différentes mesures dans leur ensemble sont d'une date trop récente pour en apprécier toute l'efficacité. »

On peut conclure dès à présent que ce ne sont pas là des mesures héroïques pour sauver du paupérisme les populations sans travail de cette province.

J'en viens à la marine marchande. A-t-on fait aucun effort pour relever notre marine presque complètement anéantie après la révolution ? Croit-on que, sans une marine marchande convenablement organisée selon les besoins du pays, on parviendra à établir une exportation régulière des produits de nos manufactures sur les marchés étrangers?

Ne voit-on pas aussi le ministère accorder des primes à des navires étrangers pour exporter nos marchandises? Je ne citerai pas les encouragements que toutes les nations accordent à cette industrie. Je dirai seulement que ce qu'on a fait en Belgique a été paralysé presque aussitôt par l'admission des navires étrangers à un droit trop peu élevé. Aussi nos chantiers de construction sont déserts et les ouvriers sans ouvrage.

Maintenant vous me permettrez, messieurs, d'indiquer en peu de mots le système que je crois devoir être suivi et par conséquent mériter, j'ose l'espérer au moins, votre attention dans cette question si importante.

Le premier problème à résoudre est incontestablement celui de soulager les populations malheureuses, et de combattre par le travail le paupérisme dans toute la Belgique, et principalement dans les Flandres. Cette question est brûlante et ne souffre plus aucun délai.

Le second problème est, à vrai dire, le corollaire du premier; il a rapport à l'industrie linière dans les Flandres et aux moyens qu'il faut employer pour lui donner une nouvelle vie, et pour la conserver dans ses parties possibles.

Le troisième, le renouvellement de la proposition que j'ai eu l'honneur de vous exposer sous forme d'amendement à l'adresse dans la session extraordinaire de 1848. Ce renouvellement deviendrait inutile, puisque d'après les informations que j'ai prises le gouvernement aurait l'intention de prendre l'initiative et de présenter à la chambre un projet de loi pour fonder un grand établissement de crédit.

Provoqué par l'honorable ministre de l'intérieur d'indiquer des moyens efficaces pour venir en aide aux Flandres, je viens, messieurs, accomplir le défi que j’ai accepté.

Je suis prêt à présenter la solution de la première question par une proposition en forme de projet de loi tendant :

1° A la destruction du paupérisme par le travail ;

2° Au défrichement des terres incultes et à l'amélioration de la culture ;

3° Aux moyens de mettre promptement les produits alimentaires de notre sol, en rapport d'abord avec les besoins de la population actuelle, et ensuite avec ceux d'une population future probablement bien supérieure à celle d'aujourd'hui.

4° Aux moyens de procurer, à un prix raisonnable, certains engrais utiles et nécessaires pour répondre aux besoins de l'agriculture.

De cette manière nous pourrions aussi avoir l'espoir fondé d'atteindre le grand but de nous soustraire bientôt à la forte rétribution que nous payons annuellement à l'étranger pour nous procurer les denrées alimentaires qui nous manquent par l'insuffisance de notre propre production.

Si cette première proposition reçoit de la chambre un accueil favorable, je présenterai successivement la seconde et, au besoin, la troisième proposition, toutes liées au même système.

Il est fort possible que je me trompe, que je me fais illusion sur les moyens que j'aurai l'honneur de proposer à la chambre pour exécuter une aussi vaste entreprise. Je viens de bonne foi, sans en mesurer toute l'étendue, satisfaire à l'obligation que j'ai contractée. Placé, sans le rechercher, par la vivacité de la discussion de la séance du 18 janvier, dans une position exceptionnelle, je sais que j'ai accepté un défi au-dessus de mes forces, puisque le ministère lui-même, malgré tous les moyens gouvernementaux qu'il a à sa disposition, et tout le temps qu'il a mis à étudier les besoins du pays, se trouve dans l'impossibilité de remplir les promesses de son programme, et d'attaquer immédiatement et avec vigueur le mal qui ronge le pays.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable préopinant vient de reprocher au gouvernement d'avoir manqué aux promesses qu'il avait déposées dans son programme, et, revenant sur une accusation antérieure, il lui a reproché de n'avoir rien tenté, rien exécuté d'efficace pour les Flandres. Je ne puis, messieurs, accepter le reproche d'avoir cherché à gagner, en aucune manière, les sympathies des Flandres par de vaines promesses que je n'aurais pas réalisées.

Lorsque j'ai répondu avec quelque vivacité à l'honorable député de Bruges, ce n'était pas lorsqu'il venait constater la situation malheureuse de quelques parties des Flandres ; cette situation, je ne l'ai jamais niée ; lorsque je lui ai répondu avec quelque vivacité, c'est lorsque, reproduisant dans cette enceinte des accusations qui étaient indignes de s'y produire, il insultait, en quelque sorte, au banc ministériel en nous affublant de l'épithète de sauveur qui défraye une partie de la presse opposante dans ce qu'elle a de plus violent; c'est aussi quand le député de Bruges venait représenter la mortalité comme allant toujours croissant dans les Flandres, alors que les faits donnent un démenti à une telle assertion.

C'est contre ces deux seules parties du discours de l'honorable préopinant que je me suis élevé.

Je ne puis admettre davantage le reproche que de nouveau il vient de nous adresser et je me propose d'y répondre.

Hier, abordant le programme du ministère par un autre côté, on a soutenu (j'ignore au nom de quelle opinion, j'ignore au nom. de qui), mais enfin on a soutenu (et j'admets l'assertion à titre d'opinion individuelle) que le gouvernement a également méconnu son programme dans sa partie politique. Permettez-moi de répondre à ce premier reproche. Nous aborderons ensuite la grande question qui nous préoccupe avec raison, la question des Flandres, et nous verrons si, sous ce rapport, le gouvernement a manqué à ses engagements.

Le plus simple moyen de constater les différents manquements du ministère à son programme, c'est de reprendre successivement les paragraphes principaux du programme.

Le gouvernement avait annoncé, le 12 août 1847, qu'il conserverait nettement et fermement le caractère du gouvernement laïque, et qu'il aurait soin de dégager son action partout où elle pourrait se trouver engagée. Il paraîtrait, d'après ce qu'on nous a dit hier, que le gouvernement n'est pas libre, qu'il subit des influences, qu'il contracte des alliances, qu'il renie des amitiés.

Je cherche en vain un seul fait d'où l'on puisse tirer la moindre preuve de l'une ou de l'autre de ces assertions. Je demande quand le gouvernement n'a pas maintenu intacte son indépendance, quelles sont les alliances qu'il a contractées, les amitiés qu'il a repoussées, les antécédents qu'il a reniés.

Les membres du cabinet avaient annoncé qu'ils porteraient devant les chambres les questions suivantes :

La question du jury d'examen universitaire. Cette question a été, en effet, portée devant les chambres; elle n'a pas été résolue dans le sens qu'aurait désiré le gouvernement. C'est une question à reprendre. Le gouvernement s'en occupe; très incessamment les chambres seront saisies d'un projet de loi qui, je l'espère, conciliera, autant que possible, les opinions ; dans ces matières, ce que nous devons rechercher, c'est l'impartialité, c'est la pratique large et sincère des principes de notre Constitution.

En deuxième lieu, nous avions promis de faire cesser les effets fâcheux de la loi du fractionnement, en revenant à la loi de 1836. Je crois que cela est fait.

(page 585) Nous avions dit que le pouvoir de nommer le bourgmestre en dehors du conseil serait restreint au droit de nommer avec l'avis conforme de la députation permanente. Cela est fait, et vous savez avec quelle réserve le gouvernement a usé de cette faculté.

Le gouvernement avait encore annoncé, an 12 août 1847, ce qu'une opinion raisonnable, modérée, demandait alors, c'est-à-dire l'adjonction des capacités aux listes électorales. Nulle opinion alors, ni jeune ni ancienne, ni de la veille ni du lendemain, ne demandait qu'on allât plus avant. Des circonstances graves sont survenues, et le gouvernement n'a pas hésité à arriver tout d'un coup aux dernières limites de la Constitution. Il est venu proposer, non pas une réforme électorale partielle, mais une réforme complète, et il n'a pas à regretter de s'être mis lui-même à la tête du mouvement, d'avoir pris l'initiative de la grande réforme que nous tenons à honneur d'avoir proposée aux chambres.

Je passe, messieurs, à d'autres paragraphes du programme.

Le gouvernement, en parlant de la situation financière, a dit qu'il était résolu à assurer et à maintenir l'équilibre dans les budgets.

Messieurs, cette promesse, il l'a tenue. Cette promesse renfermait implicitement celle des économies. Ces économies, il les a apportées. Le budget de 1848 présentait déjà des économies: le budget de 1849 en présente de plus considérables : elles s'élèvent de 4 à 5 millions.

Pour assurer, pour maintenir l'équilibre dans nos budgets, le gouvernement a procédé par deux moyens : les économies d'abord ; les ressources nouvelles ensuite. Il n'a pas hésité à vous proposer des ressources nouvelles.

Eh ! messieurs, qu'on ne demande pas au gouvernement des choses contraires : qu'on ne lui demande pas d'agir, en le condamnant à l'inertie, et que les mêmes voix qui recommandent au gouvernement d'intervenir partout et pour tous, ne lui reprochent pas de demander au pays des sacrifices ! Si l'on veut que le gouvernement fasse beaucoup, il faut qu'il ait à sa disposition beaucoup de ressources; il ne faut pas qu'on vienne dire au gouvernement : soyez banquier, faites des routes, délivrez-nous du paupérisme, créez des hôtels d'invalides, mais ne demandez pas des ressources nouvelles; loin de là, supprimez les impôts existants, par exemple l'impôt sur le sel. Avec cela, messieurs, on fait de la belle théorie politique, mais on ferait de détestables affaires ; on ferait un détestable gouvernement.

Le programme du gouvernement renfermait beaucoup de promesses; vous allez voir si toutes ont été accomplies :

« Le cabinet, avons-nous dit, ne jettera pas la perturbation dans notre régime économique, par des changements inopportuns à la législation douanière.

Il ne l'a pas fait.

« Mais il s'opposera, en règle générale, à de nouvelles aggravations de tarifs et il s'attachera à faire prévaloir un régime libéral, quant aux denrées alimentaires. »

Il l'a fait.

« La législation de 1834 sur les céréales ne sera pas rétablie. »

Elle n'a pas été rétablie.

« Nous ne ferons pas consister le salut de l'agriculture dans l'échelle mobile ou dans l'élévation des droits. »

Nous n'avons pas rétabli l'échelle mobile; nous nous sommes opposés à des droits élevés.

« Il faut à l'agriculture une protection plus efficace. Cette protection elle l'aura, »

Nous pouvons dire : Elle l'a eue et elle continuera à l'avoir. Nous nous réservons de démontrer plus tard ce qui a été fait au point de vue de l'agriculture; ce qui a été fait dans les circonstances les plus difficiles qu'un gouvernement ait eu à traverser.

Le cabinet a dit aussi que « la situation des populations flamandes devait tenir la première place dans ses préoccupations et dans ses actes. »

Eh bien ! je soutiens que la situation des populations flamandes a constamment tenu la première place dans nos préoccupations et dans nos actes. Je dis qu'il y a aveuglement, ingratitude à nier les efforts constants que le gouvernement a faits pour venir en aide à la situation des Flandres. Tout à l'heure, je me réserve d'aborder d'une manière approfondie toute cette question.

« Le pays veut, et nous voulons pour lui, l'ordre et le calme avec la libre pratique et le sage développement de nos institutions. »

Je demande si jamais programme a été, sous ce rapport, plus loyalement, plus complètement accompli? Le pays n'a-t-il pas l'ordre et le calme? le pays ne pratique-t-il pas librement toutes ses institutions? Est-il en ce moment en Europe un pays où la liberté est pratiquée plus complètement, j'allais dire plus audacieusement ?

Maintenant, messieurs, il paraît que l'on reproche à notre administration certains ménagements pour une opinion. Il faudrait, bon gré mal gré, repousser par le dédain, par le mépris des hommes honorables, des concitoyens qui viennent nous tendre la main pour aider le gouvernement à conduire le pays dans ces circonstances difficiles. Il faudrait traiter sans miséricorde ni merci tout ce qui ne se présenterait pas à nous sous le drapeau libéral ou soi-disant tel, car nous distinguons, messieurs, entre les drapeaux. Il aurait fallu abattre, par exemple, dans les administrations communales tout ce qui portait le nom de catholique. Qu'avons-nous dit à cet égard dans notre programme ?

« Loin de nous la pensée d'une administration réactionnaire, étroitement partiale. Nous la voulons bienveillante et juste pour tous, sans distinction d'opinion politique. »

Voilà, messieurs, ce que nous avons dit dès le 12 août 1847, et notre programme a été accueilli avec sympathie par l'opinion libérale tout entière, celle au moins que nous considérons comme telle.

Il y a eu, messieurs, des changements et même des changements assez considérables dans nos administrations communales. Dans beaucoup de communes, les électeurs ont renversé une administration qui ne leur convenait plus. Quelle règle le gouvernement a-t-il suivie en général? Je dis en général, car enfin, sur 7 ou 8,000 administrateurs à renouveler,

Il serait bien étonnant qu'il n'y eût pas eu, par-ci par là, ce que j'appellerai quelques accidents administratifs. Eh bien, en général, le gouvernement a donné aux communes l'administration qui semblait le plus en rapport avec l'opinion dominante parmi leurs habitants. Voilà le principe que le gouvernement a appliqué. J'ai provoqué à cet égard des accusations précises, et je suis encore à les attendre.

Mais, dit-on, il n'est pas possible de donner des indications sous ce rapport, sans faire descendre la chambre dans des questions personnelles.

Sans doute, messieurs, il est plus facile de se livrer à des critiques générales. Mais, à mon tour, comment pourrais-je défendre l'administration, si l'on ne cite pas les faits que l'on reproche au gouvernement? À quoi peut se prendre la défense lorsque l'attaque manque de base ? Je soutiens, et la preuve en est là, que toutes les nominations, en principe, ont été conformes à l'esprit qui dominait dans les communes. Il est inouï, et c'est encore là une des preuves que le pays est animé du meilleur esprit, il est inouï que dans une rénovation générale de toutes les administrations communales venue à la suite d'une réforme électorale assez profonde, il y ait eu à constater, je ne dirai pas si peu de fautes, mais d'erreurs administratives; qu'il y ait eu si peu à reprendre dans la recomposition des collèges échevinaux. Je m'en étonne, quant à moi, et je m'en félicite.

Quand on tient compte de tous les petits intérêts, de toutes les petites passions qui, dans les petites localités, divisent en général les habitants, et particulièrement au moment des élections, je dis qu'il est étonnant que dans ce grand travail de recomposition de toutes les administrations communales du royaume, il ait éclaté si peu de reproches, que si peu de griefs aient été articulés ; j'ai annoté tous ceux qui sont parvenus à ma connaissance ; je n'en ai pas pu additionner 10 ; et je regrette, sous ce rapport, le silence de ceux qui se bornent à des accusations vagues.

Messieurs, j'approche de la question des Flandres. L'on nous reproche de nous être annoncés comme ayant en main des remèdes héroïques et infaillibles. Nous avons promis d'être les sauveurs des Flandres, et nous ne les avons pas sauvées !

Voyons donc encore ce que nous avions promis sous ce rapport.

Je lis à la fin de notre programme du 12 août :

« Animée du désir de voir le pays marcher dans la voie de tous les progrès sages et vrais, l'administration nouvelle n'a pas la prétention de tout réparer, de tout améliorer, de tout changer : elle sait que les réformes n'ont de chances de vie et de durée qu'à la condition d'avoir été éclairées par l'étude et mûries par l'expérience. Il y faut du temps et de la mesure. La mission que nous entreprenons est entourée de difficultés présentes; d'autres peuvent être prévues dans l'avenir....» et c'est au 12 août 1847 que nous disions ceci : « Ces difficultés ne nous ont pas fait reculer; saurons-nous en triompher? Il y aurait présomption à le promettre. »

Est-ce là ce langage ambitieux, sont-ce là ces promesses fallacieuses qu'on nous reproche?

« Nous n'osons répondre que d'une chose, c'est d'un dévouement sincère et infatigable aux intérêts généraux du pays. »

Voilà dans quel langage nous nous expliquions ; voilà quelles sages restrictions nous avions apportées d'avance aux promesses déposées dans notre déclaration.

Je passe maintenant aux actes que nous avons posés.

La chambre se rappellera peut-être que, vers le commencement de la session dernière, j'eus occasion de développer, dans un discours d'une certaine étendue, les vues du cabinet en ce qui concerne la question des Flandres. Si je ne me trompe, les idées qui furent exposées alors reçurent un accueil favorable dans cette chambre et même dans le pays.

Le 23 février de l'année dernière, le gouvernement résolut d'apporter aux chambres un projet de loi où, à des mesures d'intérêt général pour tout le royaume, se mêlaient un très grand nombre de mesures destinées particulièrement aux Flandres. Les circonstances n'ont pas permis à la chambre ni au gouvernement d'aborder la discussion de cette grande loi d'intérêt matériel, mais nous considérons les propositions déposées dans cette loi comme acquises au pays, comme acquises aux Flandres.

Permettez-moi de vous rappeler quelques-unes des dispositions principales de ce projet.

« Essais de nouveaux centres de population, tant en Flandre qu'en Campine et dans les Ardennes : fr. 500,000

« Essais d'émigration et de colonisation : fr. 500,000

« Introduction d'industries nouvelles : fr. 500,000

« Construction et ameublement d'écoles : fr. 1,000,000

Vous voyez que l'état et l'ameublement des écoles n'avait pas échappé à l'attention du gouvernement. Ceci en réponse à l'anecdote qui vous a été racontée hier.

(page 586) « Crédit pour l'amélioration d'établissements agricoles : fr. 1,000,000.

« Travaux d'hygiène publique ayant spécialement pour objet l'assainissement des villes et communes dans les quartiers occupés par la classe ouvrière : fr. 1,000,000

« Dépôts agricoles pour la mendicité : fr. 600,000

« Société d'exportation : fr. 3,500,000

« Section du canal de Zelzaete à la mer du Nord : fr. 870,000

« Section du canal de Deynze : fr. 800,000

« Amélioration des ports et canaux : fr. 600.000

« Travaux pour amélioration de l'Escaut : fr. 1,000,000

« Construction de canaux agricoles dans les Flandres et spécialement du canal de Stekene à Saint-Nicolas et canalisation de la Mandel : fr. 1,400,000

« Chemin de fer direct de Bruxelles à Gand : fr. 7,500,000

« Part dans l'achèvement des travaux du chemin de fer. »

Voilà, messieurs, de quelle manière le gouvernement avait cherché à réaliser, dès le 23 février 1848, les engagements qu'il avait pris et dans son programme et dans le discours qui lui a servi de développement.

Je ne sais pas si quelqu'un a jamais pensé rendre le gouvernement belge responsable des événements du 24 février? Je ne pense pas non plus que l'exécution de ces propositions a été forcément ajournée par les circonstances, il ne s'ensuit pas que dans l'avenir elles ne puissent être reprises; il ne s'ensuit pas que rien n'ait été fait parce qu'il n'a pas été donné aux chambres de' discuter cette loi.

Dans la limite de nos ressources et sous la pression des circonstances, nous avons fait tout ce qu'on pouvait faire. Je pense qu'on peut nous savoir gré d'avoir, avec des ressources restreintes, maintenu le pays dans la bonne position où nous le voyons aujourd'hui. Je prie la chambre de remarquer que la série de mesures que je vais avoir l'honneur d'exposer à ses yeux a pu être prise au moyen de crédits très limités.

Les seules sommes que j'ai demandées à la chambre, depuis 1847, ont consisté dans un premier crédit de 500,000 fr., dont il a été rendu compte tout récemment ; ensuite, dans un crédit de 2,000,000 de francs, qui a servi, non seulement aux populations laborieuses des Flandres, mais à celles de tout le pays. Cette somme de 2,000,000, accordée pour les besoins de la situation jusqu'au 1er septembre 1848, nous l'avons dépensée avec tant de prudence, je dirai même avec tant de parcimonie, que nous avons pu aller non seulement jusqu'au mois de janvier, mais que peut-être nous serons en mesure de traverser l'hiver entier, sans avoir besoin de recourir aune demande de crédit extraordinaire.

Les moyens indiqués par tous les hommes pratiques pour venir en aide à la situation des Flandres peuvent se résumer en trois groupes : travaux publics exécutés sur une large échelle; en deuxième lieu, améliorations agricoles, et, en troisième lieu, améliorations à l'industrie linière elle-même et introduction d'industries nouvelles.

En ce qui concerne le premier point, les travaux publics, voici ce qui a été exécuté par le gouvernement.

Dans le courant de 1848, j'emprunte cette première partie à mon collègue des travaux publics, et puisque j'ai prononcé son nom, qu'il me soit permis de le dire, l’entrée de l'honorable représentant de Gand au ministère a réalisé cette dernière partie de notre programme, qui faisait appel aux hommes de cœur et de bonne volonté ; notre appel a été entendu par lui; nous avons pu, en nous l'adjoignant, donner encore une marque éclatante de notre sympathie pour les Flandres.

En 1848, il a été dépensé dans les Flandres, en travaux hydrauliques, d'une part, 242,000 fr.; d'autre part, 777,000 fr.

En 1847, il a été dépensé, en travaux de même nature, 1,768,000 fr.

Travaux de routes en 1847 et 1848 :

383,000 fr. dans la Flandre occidentale;

327,000 fr. dans la Flandre orientale.

Travaux hydrauliques à exécuter en 1849 :

Sur le budget : 432,000 fr.

Sur les crédits spéciaux : 750,000 fr.

Part dans les travaux du chemin de fer : 921,000 fr.

Voilà pour l'année 1849. Je passe maintenant aux travaux qui concernent plus particulièrement mon département, à la voirie vicinale. Les travaux de voirie vicinale exécutés dans la Flandre occidentale ont absorbé sur le budget de l'Etat une somme de 162 mille francs, répartie entre 112 communes. Dans la Flandre orientale, ces travaux ont absorbé nue somme de 176 mille francs, répartie entre 84 communes.

Les travaux de voirie vicinale, projetés pour 1849 consistent dans les suivants. Je ne les énumérerai pas tous ; mais vous me permettrez d'en citer quelques-uns, ceux qui ont un caractère d'utilité spéciale.

1° Exploitation d'une carrière de grès à Oosterzeele.

2° Emploi de cailloux dans quelques communes de l'arrondissement d'Ypres, ramassés par les indigents.

(Je demande pardon à la chambre, si quelquefois je descends à des détails minutieux. Mais je tiens à prouver que l'administration n'a rien négligé, qu'elle s'est occupée avec une sollicitude paternelle de toutes les mesures qui pouvaient avoir un côté utile. Peut-être pourrait-on dire que, sous ce rapport, les préoccupations du cabinet se portent d'une manière trop exclusive sur ces parties du pays.)

3° Projet de route de Ruysselede à la chaussée de Wyngene à Beernem. Emploi de pierres dites Veldsteen, gisant dans le sol de la commune de Wyngene.

Je parle de cette route, parce qu'elle se rattache à une institution agricole, une école de réforme que le département de la justice, avec le concours du département de l'intérieur, vient d'acquérir sur la commune de Ruysselede, et qui, je l'espère, pourra offrir des résultats au printemps prochain.

L'honorable voisin du député de Bruges pourra lui donner des renseignements, puisque le collègue de M. Sinave, ne se bornant pas à faire des discours, a bien voulu prêter son concours actif et personnel l'établissement de cette école, dont nous parlerons plus tard.

Projet de route empierrée de Schoorisse à la route de Nederbrakel à Renaix. Ce projet se rattache h la création d'un nouveau village entre Ellezelles, Renaix, Nukerke, Etichove et Schoorisse.

Route de Gavre à Schelderode.

Route de Nazareth à Astene, à travers une contrée exclusivement agricole.

Route de Poperinghe par Westvleteren à Oostvleteren.

Route de Gulleghem à Moorsele, ayant pour but de mettre ces deux communes en communication directe avec Courtray.

Route de Bruges à Middelbourg, par Sainte-Croix et Moerkerke.

Route de Clercken à Poelscappelle, par la forêt domaniale d'Houthulst, se rattachant au défrichement de cette forêt.

Je parle également de cette route, parce qu'elle se rattache à un projet déjà mûr et prêt à recevoir son exécution, au projet de défrichement de la forêt domaniale de Houthulst.

Tels sont les travaux principaux de voirie vicinale qui seront exécutés dans le courant de 1849.

M. Rodenbach. - J'entends avec regret qu'il n'y a rien de projeté pour les deux districts les plus pauvres, ceux de Roulers et de Thielt.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'en demande pardon à l'honorable M. Rodenbach. J'avais dit que je citerais une partie des travaux projetés, que je ne les citerais pas tous. S'il reste encore des routes vicinales à faire dans l'un ou l'autre de ces districts, on ne manquera pas de les proposer et de les exécuter, car ces deux districts sont l'objet de l'attenlion particulière du gouvernement...

M. Rodenbach. - Ce sont les deux districts les plus malheureux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous le savons, nous y pourvoyons autant que possible, et vous allez voir qu'ils n'ont pas été oubliés.

Nous ne nous sommes pas bornés à subsidier la voirie rurale ; nous avons autant que possible encouragé les travaux de voirie et d'assainissement dans les villes des Flandres.

Des subsides ont été accordés, dans ce double but, aux villes de Gand, Bruges, Courtray, Menin, Alost, Termonde, Thielt et Roulers.

Les subsides accordés aux villes de Thielt et de Roulers avaient principalement pour but la voirie vicinale. Je prie l'honorable M. Rodenbach de vouloir bien en prendre note.

Je poursuis cette espèce de compte rendu des actes posés par le gouvernement, en ce qui concerne les Flandres, et je passe aux améliorations agricoles.

On avait indiqué d'abord divers travaux de défrichement. Le gouvernement a entamé, après beaucoup de difficultés vaincues, le défrichement d'une bruyère importante connue sous le nom de Vrygeweid. Les travaux sont aujourd'hui aux trois quarts achevés; on me donne l'assurance qu'au printemps prochain, cette bruyère pourra être mise en état de culture.

Les communes ont été invitées à mettre en culture les bruyères qui leur appartiennent et, sous ce rapport, un commencement d'exécution a eu lieu à Oedelem, à Ruysselede, à Berlaere, à Sainte-Croix.

Le gouvernement a voulu lui-même prêcher d'exemple. Il s'est occupé des moyens d'arriver au défrichement d'une grande partie de la forêt domaniale de Houthulst. C'est un des points de la Flandre occidentale où le paupérisme sévit avec le plus d'intensité. Des études approfondies ont eu lieu. Un comité d'hommes d'expérience et de bonne volonté, composant en partie le comice agricole de Thourout, s'est livré à un examen approfondi de cette affaire.

J'annonce avec plaisir à la chambre que très incessamment le gouvernement sera mis en mesure de commencer les défrichements. Je n'attends pour cela que le rapport du comité des Flandres, auquel je dois des remerciements pour le concours qu'il veut bien prêter à l'administration. Il doit, je pense, terminer son travail aujourd'hui même.

Le gouvernement avait cru devoir engager, par une circulaire pressante, les propriétaires des Flandres à procéder au dérodement de leurs bois.

Cette circulaire, je dois le dire, n'a pas produit les effets que j'en attendais. Il paraît que les conseils n'ont pas suffi et qu'il faudrait aux propriétaires un stimulant plus énergique, plus efficace. Nous avons examiné la question de savoir si des primes ne pourraient pas être accordées en raison du nombre d'hectares dérodés; si des avances remboursables ne pourraient pas être faites, ainsi que cela a lieu en Angleterre, à certains agriculteurs, afin de faciliter la mise en culture des terrains incultes et des terrains boisés. Le gouvernement anglais, sous ce rapport, a donné aux autres pays un exemple d'autant plus remarquable qu'il a (page 587) la réputation de rester entièrement étranger à ce genre d'entreprise. L'Angleterre, à cet égard, ne professe pas de principes absolus. On sait quels efforts elle a faits et, malheureusement, avec peu de succès, dans la question irlandaise. On sait aussi qu'elle a des lois pour encourager l'assainissement des terres au moyen du drainage.

L'établissement de centres nouveaux de population figure au nombre des remèdes proposés.

Dans les Flandres, alors que la population est trop pressée sur certains points, d’autres localités sont en quelque sorte désertes. On a pensé que, dans les Flandres mêmes, il pourrait s'opérer utilement des déplacements de population, et des mesures propres à créer de nouveaux centres de population ont été étudiées avec soin. Elles sont arrivées maintenant à maturité, et très incessamment nous pourrons commencer les premiers travaux. A l'instant même je quitte un ecclésiastique zélé d'une de nos communes des Flandres qui était venu me trouver pour remercier le gouvernement des efforts qu'il a faits et lui offrir les sommes qu'il a réunies à l'effet d'établir un nouveau centre de population sur le territoire de la commune d'Aeltre,

Un essai pourra commencer sur trois points à la fois. Ces essais, nous ne le bornons pas aux Flandres ; nous voulons les étendre à d'autres provinces. Nous croyons qu'il y a quelque chose à faire dans la Campine, et là aussi, nous commencerons bientôt les travaux nécessaires pour la création de nouveaux centres de population.

Remarquez, messieurs, que je ne vous présente pas ces essais comme des actes d'une haute portée, comme devant atteindre d'immenses résultats. Ce sont là des innovations à introduire avec mesure, avec prudence, et j'aurai soin, de ne pas y engager légèrement le trésor public.

Il faut, messieurs, ici encore que l'action individuelle vienne fortement en aide à l'action du gouvernement. Il ne faut pas que les individus, que les communes, que les provinces, se retranchent constamment derrière l'Etat : Le gouvernement est tout puissant; c'est au gouvernement à tout faire. Non, messieurs, tel ne doit pas être le rôle du gouvernement. Le rôle principal du gouvernement est d'éclairer, de stimuler, d'encourager, de récompenser enfin les efforts de ceux qui travaillent. Voilà le véritable rôle du gouvernement. En fait d'innovation, il doit en quelque sorte donner l'exemple, mettre en train les choses, indiquer les moyens à employer. C'est assez, et c'est déjà beaucoup. Mais ce serait une doctrine fatale, une doctrine qui pourrait conduire droit au despotisme, que celle qui voudrait charger le gouvernement de tout faire, de tout entreprendre, se mettant en lieu et place des provinces, des communes, des particuliers. L'énergie individuelle s'y perdrait et les libertés y courraient les plus grands dangers.

Ce que je dis ici, messieurs, ne doit pas être suspect. Car dès longtemps j'ai professé cette doctrine d'une large intervention de l'État dans les travaux publics. Cette doctrine, je la maintiens comme bonne. Je crois qu'un gouvernement, s'il n'est pas établi pour tout faire, n'existe pas non plus pour ne rien faire. Seulement il faut une limite à son action; il faut une division du travail, en matière administrative comme en toute autre matière.

Je ne puis trop insister, messieurs, sur cette tendance qui consisterait à concentrer toute action dans le gouvernement, à répudier toute autre intervention. N'a-t-on pas été jusqu'à trouver mauvais, par exemple, que le gouvernement consultât les conseils provinciaux des Flandres sur ce qu'il y avait à faire pour les Flandres? Ne lui a-t-on pas fait un reproche d'avoir demandé aux Flamands quel remède ils croyaient convenir le mieux pour guérir le mal dont ils se plaignaient?

Je dirai, en passant, que les délibérations des conseils des Flandres ont approuvé, en quelque sorte, tout ce qui avait été fait ou tout ce qu'on se proposait de faire, et que tout ce qui a paru praticable dans les indications données par eux a été mis à exécution.

On avait indiqué, messieurs, comme moyen de fertilisation, l'acquisition à faire par l'Etat, de l'établissement de Ruysselede. Cet établissement rentre dans les attributions de mon collègue, M. le ministre de la justice. Il est destiné à recevoir une double école, une école pour 500 garçons et une école pour 400 filles. La disposition de l'établissement permet la séparation. Le gouvernement a déjà mis la main à l'œuvre. Le département de la justice a été aidé par celui de l'intérieur au moyen d'un prélèvement sur le crédit de 2 millions; M. le ministre de la justice m'a également demandé l'envoi d'un certain nombre d'instruments agricoles ; ce qui a été fait.

On avait signalé comme un mal l'état falsifié dans lequel la graine de lin arrivait aux cultivateurs. Le gouvernement a pris des mesures pour empêcher ces falsifications. Il croit avoir aujourd'hui atteint le résultat désiré. Les plaintes ont cessé, et le gouvernement n'a plus aucune charge à supporter de ce chef. Il peut laisser la dépense à charge du commerce.

On a conseillé aussi (je crois que c'est un des quatre grands moyens tenus en réserve par l’honorable député de Bruges), la propagation des engrais à prix réduit. Déjà nous avons essayé le système des dépôts d'engrais dans une province qui mérite également toute notre sollicitude. Je veux parler de la province de Luxembourg, province occupée par une race pauvre, mais active et laborieuse, et qu'on n'énerve pas par des discours décourageants. Dans cette province, nous avons prescrit avec beaucoup de succès, et nous le continuerons à le faire, l'établissement de dépôts de chaux.

Nous arriverons à introduire dans les Flandres des mesures analogues. Le guano, le noir animal et tous les engrais qui offrent une grande action fertilisante sous un petit volume, pourront être mis, avec l'intervention du gouvernement, à la portée des petits cultivateurs.

Messieurs, on avait recommandé au gouvernement, non pas seulement ces moyens de perfectionnement agricole direct, mais aussi le perfectionnement indirect par le secours de l'instruction. Le gouvernement a arrêté la publication et la distribution à bon compte, parmi les classes ouvrières, de livres industriels, de livres agricoles, de journaux agricoles et, j'en demande bien pardon, d'images agricoles. Les livres agricoles seront traduits ou de l'allemand, ou de l'anglais, ou empruntés aux meilleurs ouvrages français avec des additions dues aux connaissances spéciales que ceux qui les rédigent possèdent dans la science agricole de la Belgique.

La première série de ces livres agricoles va être incessamment publiée. J'en dirai autant de la première série des livres industriels. Un journal agricole s'est fondé à Gand. A la condition de n'occuper les campagnards que de choses agricoles et scientifiques et de ne pas faire de politique, à cette condition, qui a été acceptée, le gouvernement n'a pas hésité a accorder un subside pour propager ce journal, qui paraît rédigé dans les meilleures conditions, et qui n'est nullement destiné, qu'on le sache, à faire de la propagande au profit du cabinet.

On a plaisanté hier assez agréablement à propos des images. Il paraissait que le gouvernement s'était borné, en fait de mesures prises dans l'intérêt des classes ouvrières, à décréter la propagation d'images : on, traite cela du haut de son dédain. Répandre des images dans le peuple; quel enfantillage! Messieurs, nous considérons la propagation d'images bien choisies comme un des moyens les plus efficaces d'agir sur l'esprit du peuple. Le paysan anglais orne son habitation d'images agricoles où les animaux sont représentés dans leurs diverses variétés et sous, leurs meilleures formes; les portraits des hommes qui ont rendu des services à l'agriculture y figurent de même ; croyez-vous que de pareilles images, répandues dans les maisons de nos campagnards, y feraient mauvais effet? Je m'arrête à ce point; je n'y attache pas une importance considérable, mais je crois qu'on peut apprécier cette mesure comme indiquant, de la part du gouvernement, le désir de répandre, par tous les moyens, parmi les classes populaires, l'instruction et les connaissances utiles.

On a conseillé de propager l'enseignement agricole et horticole au moyen de l'instruction primaire. Qu'avons-nous fait sous ce rapport? Nous avons adjoint des cours d'enseignement agricole et horticole à deux écoles normales. Nous avons ensuite décidé qu'autant que possible, il serait annexé à chaque école primaire un jardin qui soit en même temps un moyen d'instruction pour les élèves et un moyen de délassement pour l'instituteur. C'est ce qui se passe dans les écoles d'Allemagne.

A l'avenir, aucune école nouvelle ne sera bâtie qu'à la condition qu'un hectare ou un demi-hectare de terrain soit adjoint à l'établissement. Un cours d'horticulture spéciale a été institué dans la ville de Gand. Enfin, messieurs, nous nous sommes adressés à un assez grand nombre de propriétaires, et ici je dois remercier publiquement ceux de MM. les propriétaires qui ont bien voulu venir en aide à l'action du gouvernement ; des négociations sont entamées, plusieurs transactions sont intervenues afin d'établir dans les campagnes des écoles pratiques d'agriculture où les fils des cultivateurs puissent venir recevoir de bonnes leçons théoriques et de bonnes leçons pratiques. Je crois, messieurs, que nous devons attendre les meilleurs résultats de ces écoles. Je suis convaincu qu'il ne faudra pas dix années d'expérience pour qu'on apprécie leurs bons effets.

Ce que l'on a reproché, ce que l'on reproche, en général, aux campagnards, ce qui fait leur faiblesse, c'est leur isolement ; nous avons cru, et cette mesure, pour être générale, n'en doit pas moins produire de bons résultats, spécialement pour les Flandres, nous avons cru qu'il fallait pousser les cultivateurs à former des associations.

Je ne m'étendrai pas sur l'exposition de 1847, ni sur celle de 1848. Elles avaient donné lieu d'abord à beaucoup d'attaques, mais elles y ont répondu par un immense succès. Ce qui est sorti encore de ces expositions, c'est une institution permanente très utile, ce sont les comices agricoles répandus sur toute la surface du pays. Cela doit grandir encore et se perfectionner, mais ce qui est réalisé jusqu'à présent constitue déjà un résultat avantageux. Dans la Flandre orientale, il y a 11 comices ; dans la Flandre occidentale, il y en a 10. Plusieurs de ces comices ont déjà concouru à Bruxelles, et la plupart se proposent de donner des concours eux-mêmes en 1849.

Ici, messieurs, je dois le dire, les vues du gouvernement ont été parfaitement comprises et parfaitement exécutées et, c'est un hommage que j'aime à rendre aux Flandres. Elles se sont particulièrement distinguées dans cette grande lutte agricole, qui a eu lieu à Bruxelles, au mois de septembre dernier. La Flandre occidentale surtout s'est fait remarquer. Voici le résumé de ce qu'elle a fait pour concourir à l'éclat de cette exposition, qui a fait à son tour rejaillir beaucoup d'éclat sur la Flandre occidentale elle-même.

Dans le nombre des exposants, la Flandre occidentale occupe le premier rang; sur 1,705 exposants, elle en comptait 485. Ces 485 exposants ont pris part à 992 concours sur 3,800, et sur le nombre de 731 distinctions, la Flandre occidentale en a obtenu 215. Voilà, messieurs, des résultats qui prouvent qu'on n'est pas encore aussi accablé dans les (page 588) Flandres qu'on vient de le dire, qu'il y a encore là du courage et de la vie. Je voudrais, messieurs, que chacun de nous s'occupât à les relever à leurs propres yeux; je voudrais que des discours encourageants fussent substitués à ces plaintes continuelles qui ne peuvent faire aucun bien, qui peuvent faire beaucoup de mal et qui, la plupart du temps, sont exagérées.

J'espère que la Flandre occidentale maintiendra le rang respectable qu'elle a conquis à notre grand concours national ; qu'elle tiendra à honneur de se faire admirer par le pays dans la Flandre même, et que l'exposition agricole annoncée à Gand, appellera en masse les agriculteurs de la Flandre occidentale qui viendront donner la main à leurs frères de la Flandre orientale, pour étaler aux yeux du pays leurs richesses communes.

Messieurs, je crains de fatiguer l'attention de la chambre ; j'ai cependant encore beaucoup de choses à dire. (Parlez ! parlez !) J'ai maintenant à aborder le côté industriel de la question; je prévois que cela va me conduire assez loin ; je demande pardon à la chambre de l'occuper si longtemps ; je crois qu'il vaut mieux finir tout d'un coup.

Le côté important de la question, c'est évidemment le côté industriel, et dans cet ordre d'idées, l'industrie linière occupe nécessairement la place essentielle. L'industrie linière doit être considérée comme l'industrie-mère des Flandres. Il n'est jamais entré dans la pensée du gouvernement de vouloir supprimer dans les Flandres cette belle et importante industrie qui est si intimement liée à la prospérité de l'agriculture.

Qu'est-il arrivé? Cette industrie a été frappée dans ses produits. Ou le consommateur s'est retiré d'elle par un changement de goût, ou les gouvernements l'ont repoussée; de là encombrement. La Flandre, qui autrefois trouvait dans la seule industrie linière des ressources suffisantes, des richesses même ; la Flandre ne songeait pas à faire autre chose que ces tissus qui étaient si recherchés; tous faisaient la même chose, et tous le faisaient de la même manière; tous faisant la même chose, et la consommation se restreignant, il y a eu nécessairement encombrement, et bientôt absence de travail.

De quoi devaient s'occuper les hommes qui s'intéressaient à ces questions? Ils devaient conseiller aux Flamands de ne pas faire tous la même chose, mais de faire d'autres choses en rapport avec leur aptitude. Voilà la ligne de conduite que le gouvernement a suivie, pour autant qu'il avait à intervenir dans cette transformation de l'industrie linière ; il a conseillé de perfectionner d'abord le mode de fabrication de .l'industrie linière, il a dit :« Faites autrement, et il a ajouté: « Appliquez-vous aussi à faire autre chose. »

N'y a-t-il pas autre chose à faire que des produits liniers? Sans doute; nous croyons qu'il y a autre chose à faire que de la toile; qu'il serait fort désagréable pour les producteurs d'étoffes de coton et de laine, que, dans un accès de patriotisme, tout le monde, en Belgique, se mit à porter de la toile pour toute espèce de vêtement, en toute espèce de saisons.

M. Coomans. - J'ai parlé de tous les fabricats.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je crois me rappeler que vous aviez cité particulièrement la toile.

Nous disons qu'il y a autre chose à faire, autre chose à porter que de la toile, tout en continuant de proclamer que nous considérons l’industrie linière comme l'industrie essentielle des Flandres et qu'il faut se garder de la supprimer.

Pour perfectionner la toile, quels sont les moyens qui ont été mis en œuvre ? Et ici je n'entends pas attribuer à l'administration actuelle seule tout ce qui a été tenté; mes devanciers avaient commencé l'œuvre, et voici notamment quelques indications que je n'ai fait que suivre.

Ainsi, on avait commencé, avant nous, à distribuer des métiers, des rouets, des dévidoirs perfectionnés ; nous avons continué cette distribution ; nous avons complété les ateliers de perfectionnement, notamment pour le fil de mulquinerie, destiné à la batiste; pour ce dernier tissu, le fil à la mécanique ne peut pas encore égaler le fil à la main; nous avons en même temps encouragé la fabrication de la batiste dans les Flandres.

On avait longtemps réclamé comme un remède souverain une mesure qui avait pour but d'introduire un système uniforme de classement et de numérotage pour les fils. Après d'assez longs tâtonnements, nous sommes arrivés à publier cette mesure qui, je l'espère, aura satisfait ceux qui s'en montraient les plus grands partisans.

Les ateliers de perfectionnement pour les toiles, en ce qui concerne l'industrie linière, sont au nombre de huit dans la Flandre orientale, et de seize dans la Flandre occidentale. Je ferai connaître tout à l'heure quelques appréciations relatives à ce qui se passe dans ces ateliers. Il a été établi à Courtray, avec le concours du gouvernement, une fabrique où l'on emploie à la fois le fil mécanique et le fil à la main; je ferai connaître aussi comment cet établissement est apprécié par ceux qui l'ont visité.

On a bien voulu nous reprocher d'avoir fondé à Anvers un établissement de blanchiment et d'apprêt pour les toiles. Je ne pense pas que ce soit l'établissement même qu'on ait voulu critiquer, car il a toujours été indiqué comme un des moyens les plus efficaces d'aider à l'exportation de nos toiles. Le gouvernement a d'abord offert à un certain nombre d'industriels appartenant aux Flandres, de fonder dans les Flandres mêmes l’établissement dont il s'agit. Une convention a été passée; des fonds ont été mis à la disposition de la société qui s'était formée. Après plusieurs mois d'inaction, dont je suis loin de lui faire un reproche, le gouvernement lui a demandé si elle était décidée ou non à exécuter la convention; elle a fait savoir qu'elle ne le pouvait pas. Qu'a fait alors le gouvernement?

Il a cherché ailleurs les moyens de fonder cet établissement qu'on considérait comme devant sauver en partie l'industrie linière. Nous l'avons fondé à Anvers. Je comprends le reproche : nous avons voulu peut-être favoriser un électeur anversois ?

Messieurs, nous sommes restés étrangers au choix qui a été fait ; des négociants et industriels flamands nous ont indiqué l'établissement de M. Wood, comme présentant les meilleures conditions pour arriver à un bon blanchiment. M. Wood est un industriel qui sait faire progresser l'industrie, qui va s'enquérir de ce qui se passe dans les pays étrangers, en Angleterre, et rapporte en Belgique les perfectionnements qu'il a rencontrés ailleurs.

Les hommes éclairés et zélés qui avaient bien voulu se charger de la création de l'établissement de blanchiment et d'apprêt nous ont indiqué eux-mêmes M. Wood.

Nous nous sommes empressés de conclure avec cet industriel un arrangement qui a été beaucoup plus favorable au trésor que ne l'aurait été l'exécution de la convention à laquelle nous avons renoncé ; de ce chef une grande économie a été faite.

J'ai encore à parler d'un autre établissement qui touche à Anvers.

L'administration de la prison de Saint-Bernard est composée d'hommes actifs et de bonne volonté.

Elle a trouvé moyen de donner, à l'heure qu'il est, de l'ouvrage à près de 500 tisserands flamands appartenant aux districts de Roulers et de Thielt.

- Un membre. - Au moyen de fils anglais.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui, au moyen de fils anglais.

Ces fils sont fabriqués en excellentes toiles qui se vendent parfaitement à l'étranger. Ces toiles ont, il est vrai, le malheur d'être, en grande partie, tissées avec du fil anglais; mais les tisserands belges y trouvent leur avantage. L'administration des prisons de Saint-Bernard ne peut pas en faire fabriquer assez.

Le gouvernement l'a encouragée dans ses efforts; le gouvernement se paye à lui-même des droits sur les fils et ils sont livrés aux tisserands qui en ont fait l'usage que j'ai ait.

M. de Haerne. - Pour l'exportation, il ne faut pas payer les droits; dans la loi sur les droits différentiels, il y a un article qui donne la faculté d'introduire des fils en franchise, quand ils sont destinés à faire de la toile pour l'exportation.

MiR. - Si vous interprétez la loi comme cela, nous sommes bien près de nous entendre.

Messieurs, l'on a quelquefois reproché aux prisons de faire concurrence à l'industrie privée ; sous ce rapport, l'attention du gouvernement a été éveillée ; j'ai écrit à mon collègue de la justice de faire en sorte, autant que possible, que dans les prisons on s'abstînt de travaux faisant concurrence à l'industrie privée, et notamment à l'industrie linière ; aujourd'hui ce ne sont pas les prisons qui enlèvent le travail aux ouvriers libres; elles viennent en quelque sorte réparer, en leur procurant de l'ouvrage, le mal qu'elles ont pu leur faire.

En outre, dans le courant de l'année dernière des quantités considérables de fil ont été achetées à nos fileuses pour les prisons. Aujourd'hui les prisons ne livrent plus à l'armée que la moitié des toiles que l'armée consomme. J'avais prié mon collègue du département de la guerre de faire autant qu'il le pourrait des commandes pour les besoins de l'armée à l'industrie flamande. Il s'est empressé de satisfaire à ce vœu ; il a fait des commandes, notamment pour les sacs destinés aux campements des troupes. Mais qu'est-il arrivé. Au lieu de lui livrer des toiles de lin, on lui a livré des toiles d'araignée.

Je cite ce fait, parce qu'il a de l'importance. Si, alors qu'on a à faire au gouvernement, on donne des produits aussi mauvais, que fera-t-on pour les toiles exportées à l'étranger, pour lesquelles aucun contrôle immédiat n'est possible ? Ce fait nous a affligés. Je le signale, parce que j'espère qu'un pareil abus ne se renouvellera pas.

J'espère, pour l'honneur de la Belgique, que de tels produits n'ont pas été exportés. Il y aurait de quoi discréditer à jamais la qualité de nos toiles en pays étranger.

Nous avons donc, autant que nous avons pu, aidé au perfectionnement, à la propagation des tissus de toile. Nous sommes d'avis avec tout le monde qu'il ne s'agit pas seulement de produire, qu'il faut encore vendre; qu'il ne suffit pas de vendre à l'intérieur, quoique ce soit toujours là le marché principal, le marché préférable, qu'il faut aussi tâcher de vendre à l'étranger ce qu'il veut bien accepter de nos produits.

De là la nécessité proclamée souvent d'une société de commerce qui mette les produits belges en rapport avec l'étranger.

Le gouvernement maintient le principe de la création d'une société d'exportation qu'il a déposé dans le projet de loi de février 1848, où ce projet figure avec un crédit de 3 millions et demi. Je sais que l'établissement d'une société d'exportation est réclamé par beaucoup de bons esprits, comme le remède le plus efficace qui puisse être employé pour les Flandres. Mais je demande si, dans les circonstances actuelles, il n'y aurait pas eu une sorte de charlatanisme à venir proposer aux chambres l'établissement d'une société d'exportation. Rien n'eût été plus facile que de déposer un projet de loi.

(page 589) Mais nous tenons à ne faire que des choses sérieuses et réalisables; et nous ne pensons pas que, jusqu'ici, il eût été possible de faire, avec quelque chance de succès, un appel aux capitaux pour la création d'une société d'exportation.

Mais nous répétons que le principe subsiste dans la pensée du gouvernement, et, à la première occasion favorable, il présentera un projet de loi ayant pour but la création d'une société d'exportation.

En l'absence d'une société d'exportation, le gouvernement est-il resté inactif? N'a-t-il pas cherché à suppléer autant que possible à ce moyen?

Voici ce qu'il a fait : Il a accordé des primes de sortie pour nos tissus principaux, et cela, messieurs, a produit de bons résultats.

Il a fait des avances à la condition d'exporter hors d'Europe des tissus de lin et de coton pour le double ou le triple de la valeur de l'avance.

Il a aidé à la formation d'un établissement commercial sur la côte d'Afrique. Je ne sais pas ce que deviendra cet établissement. Tout ce que je sais, c'est qu'un navire avec une cargaison de produits belges, composée surtout de tissus, est partie au mois de novembre pour cette destination.

Il a établi une agence commerciale à Paris même. Je n'ai pas besoin d'entrer dans des détails à ce sujet.

Il vient de fonder des bourses de commerce, ayant pour but de fournir à des jeunes gens le moyen de voyager à l'étranger dans un but commercial.

Nous croyons qu'en général les Beiges ne voyagent pas assez. La Suisse nous donne, sous ce rapport, un exemple bon à suivre. On trouve des Suisses établis partout; on ne trouve des maisons belges presque nulle part.

Cependant cette apathie commence à diminuer. Il faut aider à la secouer de plus en plus. On donne des bourses de voyage aux lauréats de nos académies et de nos universités; nous avons pensé que cette institution pourrait utilement être appliquée au commerce. Nous croyons qu'un jeune homme, qui a beaucoup et bien voyagé, rapporte au pays un capital intellectuel au moins équivalent au capital financier que son voyage a pu coûter.

Voilà, messieurs, ce que nous avons fait pour l'industrie linière au point de vue commercial.

Ce sont, je le veux, de premiers efforts, des essais plutôt que des actes complètement efficaces.

Mais, nous ne sommes pas restés inactifs, et nous avons fait assez peut-être pour mériter du moins qu'on ne nous désapprouve pas.

L'industrie dentellière qui occupe une large part dans le travail des Flandres, surtout pour les femmes, n'a pas échappé à notre sollicitude. Des subsides spéciaux ont été accordés aux villes de Bruges, Ypres, Courtray, Grammont.

Ces subsides étaient destinés à favoriser autant que possible le maintien du travail dans la classe si intéressante et généralement si pauvre des dentellières.

Le gouvernement a appliqué ici le même système que pour les toiles ; il a cherché à stimuler le perfectionnement et la variété dans les produits.

Nous venons tout récemment, à la recommandation d'un honorable député de Courtray, de l'honorable M. de Haerne, d'encourager la fabrication des dentelles de soie.

Parmi les bourses de voyage, deux seront destinées à favoriser les explorations vers les pays où nous croyons que notre industrie dentellière peut trouver d'utiles débouchés.

J'arrive aux industries nouvelles que le gouvernement a cherché à introduire dans les Flandres.

Notre but ni notre ambition, messieurs, ne sont pas de transformer le gouvernement en fabricant, en mécanicien, en marchand. Le gouvernement ne peut et ne veut ici qu'éclairer, que stimuler, qu'encourager par des subsides, comme il pourra récompenser par des distinctions ceux des industriels qui, dans des circonstances données, auront fait preuve de zèle, de capacité et d'énergie.

Le gouvernement, à vrai dire, n'a que deux ateliers sous sa direction spéciale: celui de Courtray et celui de Wetteren.

A Courtray, l'atelier a pour but de démontrer pratiquement tous les détails de la fabrication des tissus nouveaux.

A Wetteren, les fabricants pourront venir expérimenter, sur des métiers qui sont mis à leur disposition, les industries nouvelles qu'ils voudraient entreprendre.

Quant aux autres ateliers , ce sont des établissements privés, et nous tenons à leur conserver autant que possible ce caractère; ce sont des établissements privés que nous subsidions conditionnellement ; l'industriel subsidié s'engage à recevoir un certain nombre d'apprentis, à leur donner un salaire déterminé, à admettre dans l'atelier tous les industriels qui voudront connaître les procédés mis en pratique par lui; à occuper pendant un certain temps les apprentis qui sortent de ses ateliers ; à les céder à d'autres industriels.

Voilà les conditions principales imposées aux fabricants qui reçoivent un subside pour entreprendre des ateliers nouveaux.

L'énumération de toutes les industries nouvelles introduites dans les Flandres est assez longue. Cependant il sera intéressant pour vous d'en avoir la liste.

J'ai eu l'occasion d'apporter dernièrement à la chambre un registre d'échantillons, puisqu'il est donné au gouvernement de descendre à ces détails. Ce livre d'échantillons est déposé dans un des bureaux du ministère à la disposition de tons les industriels et de tous les membres de la chambre.

Voici, messieurs, les industries nouvelles qu'on a cru pouvoir encourager avec succès dans les Flandres.

Velours de coton.

Je dirai que ce premier tissu promet de venir occuper une très large place dans la consommation du pays et de l'étranger.

Châles communs de Nîmes.

Mousseline de coton unie et brochée.

Tapis de table, genre allemand.

Tissus damassés pour meubles, genre Roubaix.

Velours d'Utrecht.

Etoffes légères eu laines et mélangées. Orléans, paramattas.

Thibets, mérinos.

Tissus légers pure laine pour châles imprimés.

Teinture et apprêt des tissus.

Tissus de soie unis et façonnés, foulards de soie.

Ganterie ordinaire.

Ganterie et bonneterie (coton, laine et soie).

Broderies en mousseline de coton (genre Saint-Gall).

Batiste.

Tissus élastiques.

Tissus de coton spécialement destinés à certaines contrées. Côte d'Afrique.

Tissus de fil de lin pour pantalons (genre Roubaix).

Dentelles noires, application de Bruxelles.

Tissus de coton, articles Roubaix.

Tissus de coton brochés au plu métis.

Rubans de soie.

Mousseline de laine.

Etoffes pour robe en laines imprimées.

Tapis imprimés.

Tels sont, messieurs, les divers produits dont on essaye la fabrication dans les divers ateliers modèles que je vous ai signalés tout à l'heure.

Ne vous effrayez pas, messieurs, du nombre de ces ateliers, et ne croyez pas que le gouvernement a dépensé des sommes énormes pour leur venir en aide. Le gouvernement n'a pas eu besoin de demander des crédits supplémentaires à la chambre pour subsidier ces différents ateliers; avec les ressources ordinaires, il a pu faire face à tous les besoins.

Messieurs, comme couronnement de ces diverses mesures, le gouvernement a cru utile de mettre en avant une idée qui a été, je dois le dire, accueillie avec beaucoup de faveur dans les Flandres. Il a cru que les Flandres feraient bien de montrer elles-mêmes au pays et à l'étranger ce qu'elles étaient capables de faire en matière industrielle.

A la suite de tous ces différents essais, il nous importait aussi de savoir où nous allions, à quoi nous aboutissions; si nous ne faisions que poursuivre des chimères ou si nous avions créé des choses sérieuses et vivaces.

Nous avons donc conseillé aux provinces des Flandres une exposition, où chaque fabricant viendrait révéler sa force industrielle, où chaque produit nouveau, récemment introduit dans les Flandres, viendrait montrer sa valeur intrinsèque.

Cette idée, dis-je, a été accueillie avec empressement. Déjà on s'occupe à Gand, avec beaucoup de zèle, des moyens d'organiser l'exposition. A l'exhibition industrielle viendra se joindre une exposition agricole, et je ne mets pas en doute que l'année prochaine les Flandres ne prennent soin elles-mêmes de se venger de ceux qui les calomnient, en les déclarant mortes ou frappées d'une maladie désespérée.

Je suis convaincu que l'énergie reviendra aux Flandres avec la confiance. Si j'en crois ma correspondance journalière et de fréquents entretiens avec des personnes bien informées, il y aurait comme un réveil dans les Flandres.

Permettez-moi, messieurs, et j'espère pouvoir finir par là cet exposé beaucoup trop long, je le sens; permettez-moi de vous soumettre quelques appréciations des résultats déjà obtenus et de la situation générale.

Je vous ai parlé de l'établissement formé à Courtray et ayant pour but de favoriser la fabrication des tissus mélangés de fils à la main et de fils mécaniques. Voici l'avis de la chambre de commerce de Courtray sur cet établissement.

« Cette fabrication date depuis trop peu de temps et les circonstances ont été trop défavorables pour qu'elle ait pu prendre de grands développements. Toutefois il est à notre connaissance que plusieurs fabricants l'ont essayée avec succès; il en est même qui déjà font cette fabrication sur une échelle assez vaste et qui sont décidés non seulement à la continuer, mais encore à l'étendre autant que le permettront les circonstances.

« L'influence sur le salaire de l'ouvrier en est des plus heureuses, en ce qu'elle n'occupe pas seulement les hommes, ainsi que cela a lieu pour la fabrication des toiles exclusivement mécaniques, mais aussi les femmes qui, tout en vaquant aux petits soins du ménage, gagnent en moyenne leurs trente centimes par jour, ce qui, pour les femmes de la campagne, constitue un honnête salaire. »

« Extrait du rapport de la commission de surveillance de l'atelier modèle de tissage établi à Roulers :

« 89 élèves fréquentent actuellement l'atelier; 83 élèves ont été formés (page 590) du 24 septembre 1847 au 24 octobre 1848. Ces jeunes gens, qui ont quitté l'atelier, sont aptes à pourvoir aujourd'hui à leur existence ; plusieurs même sont en état de servir comme contremaîtres.

« Les élèves abondent à l'atelier. Les métiers y peuvent à peine suffire aux nombreux travailleurs. »

« Extrait d'un rapport de M. le bourgmestre de Courtray sur l'atelier modèle de cette ville.

«. 40 ouvriers tisserands ont été formés à la fabrication des velours ; la plupart travaillent au dehors pour le compte de divers fabricants. Un particulier vient de bâtir un atelier spécialement destiné à cette fabrication; dans une autre fabrique de Courtray, on a aussi commencé à s'occuper du velours d'après les mêmes procédés et suivant les instructions données à l'atelier modèle. Des coupeuses ont été formées sous la direction des maîtres coupeurs venus d'Amiens Quatre d'entre elles seraient capables même d'aller dans les fabriques. ,

« On peut raisonnablement espérer que cette fabrication prendra une grande extension ; c'est une nouvelle industrie décidément acquise à la Belgique. »

« Extrait du rapport de la commission directrice de F atelier modèle de tissage établi à Thielt.

« Depuis une année, 174 tisserands de Thielt et des communes environnantes ont fait leur apprentissage pour le tissage à la navette volante, et travaillent à domicile sur leur métier approprié au nouveau système. Dire que tous ces tisserands sont venus à l'atelier faire cet apprentissage avec leur propre fil, c'est à-dire travailler à leurs risques et périls et non à façon ; dire que plus de 300 tisserands (et tous les jours leur nombre va en augmentant) se sont fait inscrire chez le contremaître pour faire leur apprentissage dans les mêmes conditions ; c'est suffisamment prouver, pensons-nous, que les effets qui résultent pour la classe ouvrière de l'institution de l'atelier modèle à Thielt ne sont point stériles, et que la classe ouvrière en sait apprécier les bienfaits. »

« Extrait d'une lettre adressée par un négociant de Bruxelles au fabricant qui a établi à Gulleghem un atelier pour la fabrication des châles de laine imprimés, industrie nouvelle pour le pays.

« Pour la saison prochaine vous pouvez compter pour moi sur une vente de 200 châles 5/4, mousseline de laine imprimée et même plus par jour (soit 1,200 châles par semaine).

« Votre rouge est excellent, et si vos autres couleurs y correspondent, nous pouvons vous prédire que cette industrie vous sera entièrement acquise pour la Belgique. »

On a cité tout à l'heure, messieurs , l'opinion d'un administrateur de province, du gouverneur de la Flandre occidentale. Je pense que je puis bien à mon tour citer l'opinion de ce même fonctionnaire.

Voici, messieurs, l'appréciation de M. le gouverneur de la Flandre occidentale sur l'état de l'industrie et du commerce. Son rapport et du 28 janvier courant :

« Industrie et commerce.

« Des appréciations tout à fait exactes sont extrêmement difficiles. Il est cependant des faits bien remarquables, établis par quelques autorités communales, et qui, j'en suis sûr, n'auront pas échappé à votre attention. Si, pendant une crise aussi générale que celle produite par la révolution de février, j'ai pu vous adresser, le 17 novembre dernier, une lettre de l'administration communale de Roulers, ville où se fabriquent des tissus de divers genres, portant que tous les tisserands de cette localité avaient du travail; si j'ai été à même de vous dire que l'état industriel et commercial de Menin s'était considérablement modifié ; qu'à Wervicq, il n'y avait pas d'ouvriers sans travail ; si j'ai pu, par des rapports spéciaux, vous informer que le nombre de métiers pour la fabrication d'étoffes de laine, etc., avait éprouvé une augmentation; si, dis-je, après cette crise, de pareils faits ont été constatés, c'est, à mes yeux, un signe certain de l'existence, dans un assez grand nombre de localités, d'éléments efficaces d'amélioration et de progrès. Nous aurions pu espérer des résultats plus significatifs et surtout plus généraux, si les événements de février n'étaient pas venus interrompre ou bouleverser complètement les transactions commerciales et industrielles.

« L'industrie linière, si importante pour cette province, continue malheureusement à être dans une situation très fâcheuse. L'introduction de métiers et d'ustensiles perfectionnés a pour but de fournir aux ouvriers les moyens de travailler mieux et plus vite que précédemment. Les nouvelles industries sont destinées à diversifier la fabrication, et à procurer de l'occupation aux bras qui ne peuvent plus être employés assez utilement à l'industrie linière. Avec une sollicitude incessante, votre département poursuit, sans relâche, la réalisation de ses vues bienfaisantes. De là, les diverses mesures qu'il a successivement adoptées dans l'intérêt des Flandres; je citerai spécialement l'érection d'ateliers de perfectionnement et d'apprentissage dans un assez grand nombre de localités. Cette érection exerce une influence favorable sur l'esprit des populations. Partout où les ateliers fonctionnent, on se félicite des résultats qu'ils amènent.

Vouloir que ces ateliers, tant pour l'amélioration de la fabrication toilière que pour l'implantation d'industries nouvelles, produisent en peu de temps une transformation industrielle dans l'intérêt des classes ouvrières, c'est demander une chose impossible, c'est obéir à des sentiments d'impatience irréfléchis, plutôt que de prêter l'oreille à l'enseignement de l'expérience et de la froide raison. Une pareille transformation ne s'opère que lentement.

« Des efforts continus, pendant une période assez longue, peuvent seul généraliser les avantages qu'on est fondé à attendre de l'ensemble des dispositions intervenues. L'industrie linière n'a point passé tout à coup sans transition à un état de crise ; ce n'est aussi que par degrés que l'on peut espérer de la relever. »

Je suis amené à vous lire aussi l'extrait suivant d'une appréciation de M. le gouverneur de la Flandre orientale. Sa lettre est du 12 janvier :

« Une amélioration sensible se manifeste dans la situation de l'industrie et du commerce; eu égard surtout à la saison où nous sommes entrés, on peut même dire que cette situation est favorable.

« Cette amélioration se fait surtout remarquer dans les industries cotonnière, lainière et sucrière.

« Les branches d'industrie les plus importantes de l'arrondissement et de la ville de Saint-Nicolas, celles des filatures et des tisseranderies de laine et de coton, ont repris une activité tout à fait inespérée.

« Dans le pays de Waes, il se manifeste aussi une amélioration depuis quelques semaines, dans le commerce des lins, si important pour ce canton. Les demandes sont plus actives et la hausse sur les prix est de 5 à 10 p. c. selon les qualités.

« A Saint-Nicolas, les salaires des ouvriers employés dans l'industrie et dans l'industrie cotonnière, qui était en 1847 de 45,000 fr. par semaine est aujourd'hui de 54,000 fr.

« A Gand, il y a au-delà de 1,500 ouvriers en plus occupés dans les filatures de coton qu'en 1847.

« La baisse survenue dans les prix des bois promet une amélioration, prochaine à la saboterie, industrie qui n'est pas sans importance pour nos communes rurales.

« La corderie, qui a beaucoup souffert à la suite des événements politiques de cette année, a aussi une reprise de travail depuis quelque temps.

« L'amélioration qui se manifeste peut être constatée par le plus grand nombre d'ouvriers employés, par le travail en plein des ateliers en activité et par la confiance même qui provoque la reprise des affaires. Il est hors de doute aussi que l'état de la classe ouvrière est plus satisfaisant. Le sentiment de malaise et de découragement qui, à pareille époque, pendant les trois dernières années, était répandu dans presque toutes les classes de la société a, pour ainsi dire, disparu dans beaucoup de localités et a fait place à l'espoir d'un avenir meilleur.

« Dans quelques communes, les habitants commencent à se ressentir des effets que produisent les ateliers d'apprentissage et de perfectionnement qui y ont été établis ; les ouvriers, convaincus par les faits qu'après quelque temps d'apprentissage ils peuvent gagner un salaire suffisant à leur existence, se présentent en grand nombre pour y être admis. »

Voici un renseignement officiel qui m'est parvenu de Saint-Nicolas; je supplie les honorables députés de cette localité de me détromper, si j'étais dans l'erreur ; je ne cherche qu'à m'éclairer ; je tâche d'exposer la situation telle qu'elle est et telle que je la vois.

Un honorable député d'Alost m'annonçait il y a peu de jours qu'il venait d'établir un atelier nouveau qui donne de l'occupation à cent ouvriers.

Messieurs, quand j'ai eu l'honneur d'adjoindre au département de l'intérieur un comité pour les affaires des Flandres, je n'ai pas entendu me retrancher derrière ce comité.

J'accepte la responsabilité de ce qui se fait, et de ce qui ne se fait pas pour les Flandres ; ce sont des lumières que j'ai voulu chercher dans ce comité, non un bouclier. Cette commission est, d'ailleurs, composée d'hommes trop honorables et trop indépendants, pour qu'on puisse les soupçonner de donner au gouvernement des avis complaisants.

Eh bien, voici un extrait du rapport qui m'a été soumis, le 11 janvier, par le comité des Flandres.

« Le comité n'hésite pas à reconnaître que les mesures prises par le gouvernement ont répondu à son attente. Elles ont directement contribue à maintenir le travail manufacturier, et leur action indirecte n'a pas contribué avec moins d'efficacité au même résultat. En effet on voit d'ordinaire l'intervention de l'Etat décourager, écarter les capitaux privés ; ici c'est le contraire qui a eu lieu. L'intervention de l'Etat a produit un effet moral très heureux. Sa confiance a été communicative en quelque sorte. Elle a rassuré les capitaux privés qui se cachaient sous le coup de la crise, ou qui se retiraient avec un dangereux empressement de l'industrie et du commerce.

« Quand l'intervention de l'Etat n'aurait fait qu'arrêter ce mouvement, c'eût été déjà un grand service; mais le comité croit ne pas se tromper en affirmant que les encouragements et les avances du gouvernement ont eu une large part dans le rétablissement partiel du crédit, et par conséquent, dans le mouvement d'affaires qui en est résulté. »

Enfin, messieurs, qu'il me soit permis de joindre à ces témoignages un autre témoignage, venant d'une source beaucoup plus modeste, mais qui n'en est pas moins précieux à nos yeux, en ce qu'il nous semble être l'expression naïve d'un sentiment populaire. Voici, messieurs, une dépêche que j'ai reçue, il y a quelque temps, de la part de l'administration de l'atelier de la commune de Sleydinge; c'est le curé qui écrit au nom du comité :

« Du 11 janvier 1849.

« La commission administrative de l'atelier de Sleydinge.

« A M. le ministre de l'intérieur à Bruxelles. « M. le ministre,

« A l'occasion du nouvel an, bien des paroles ont fait épanouir des (page 591) cœurs de joie et d'espérance; mais aucune, M. le ministre, n’y a laissé une impression plus profonde que les arrêtés royaux du 31 décembre dernier, par lequel Sa Majesté le Roi a daigné accorder un subside en faveur de notre atelier. Nous renonçons, M. le ministre, à vous dépeindre la métamorphose qui s'est faite en nous : de tristes et abattus que nous étions, nous sommes devenus joyeux et pleins de zèle pour continuer à travailler pour le bien-être de nos pauvres malheureux.... »

Je suis forcé de retrancher la fin de la lettre, qui renferme, à l'adresse du ministère, des paroles trop bienveillantes; mais je conserverai cette lettre comme un témoignage de sentiments vrais de la part de personnes que n'aveuglent pas des passions injustes ; je conserverai cette lettre comme un dédommagement des injures quotidiennes qui nous sont libéralement distribuées par un bon nombre des organes de la presse flamande. Ces injures, ces attaques peuvent parfois nous attrister; mais elles ne nous décourageront pas.

Nous continuerons, dans les limites de nos ressources, dans les limites surtout de ce que nous croyons juste et praticable, de vouer tous nos efforts au succès de cette cause.

Nous le répétons, c'est tromper les Flandres que de leur dire que le gouvernement est coupable de la situation où quelques-uns de leurs districts se trouvent; c'est tromper les Flandres que de leur dire que le gouvernement ne fait rien pour elles, que les chambres ne veulent rien faire pour elles; les chambres n'ont jamais refusé de s'associer aux mesures qui leur ont été proposées en faveur des Flandres, et elles continueront, je l'espère, à aider le gouvernement dans l'accomplissement de la tâche si difficile qu'il a entreprise.

Ne demandons, messieurs, de prodiges à personne; mais que chacun fasse son devoir; que chaque commune fasse le sien, que les provinces elles-mêmes y concourent, et j'espère que nous atteindrons ce grand but que tous nous avons si fort à cœur : l'amélioration de la situation matérielle et morale des Flandres.

Et quand nous parlons de la population malheureuse des Flandres, ce n'est pas à dire que nous devions perdre de vue la situation, en général, de nos classes ouvrières ; nous croyons que le gouvernement, les chambres leur doivent un redoublement d'intérêt et de sollicitude; nous espérons que les chambres mettront le gouvernement à même de concourir de plus en plus à l'amélioration matérielle et morale des classes laborieuses; mais aussi, messieurs, quand vous demanderez au gouvernement beaucoup d'efforts, souvenez-vous que vous aurez aussi à lui accorder des ressources suffisantes: il ne faut pas d'une main vouloir dépenser une partie du trésor public au profit des classes laborieuses, et de l'autre main tarir les sources les plus certaines qui doivent l'alimenter.

J'ai fini pour aujourd'hui; j'avais entrepris d'exposer les actes et les idées du gouvernement en ce qui concerne les Flandres. Un honorable orateur a bien voulu nous annoncer qu'il proposerait un remède radical, héroïque, auprès duquel tout ce que nous avons fait serait de la plus haute insignifiance.

Nous attendrons que les divers projets de loi annoncés par lui soient déposés sur le bureau; nous donnerons toute l'attention qu'elles peuvent mériter aux idées de l'honorable représentant de Bruges ; et puisqu'il paraît que les observations auxquelles je me suis livré dernièrement lui ont paru trop vives, je veux bien lui dire que dans ces observations rien ne lui était personnel. Je crois l'honorable M. Sinave animé de bonnes intentions et d'un zèle auquel je ne puis reprocher que d'aller peut-être trop loin.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.