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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 24 avril 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1195) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces suivantes, adressées à la chambre.

M. Alph. Leroy, secrétaire, membre du congrès professoral, fait hommage à la chambre de 110 exemplaires de la deuxième publication de ce congrès. »

- Distribution aux membres.

Projet de loi réduisant le personnel de certaines cours et de certains tribunaux

Discussion générale

M. le président. - M. le ministre ne s'est pas rallié au projet de la section centrale.

La parole est à M. H. de Brouckere, qui a bien voulu remplacer le rapporteur.

M. de Brouckere. - J'ai demandé la parole pour donner à la chambre quelques explications. M. le ministre de la justice a fait distribuer samedi dernier un document de nature, selon moi, à simplifier singulièrement la discussion qui va s'ouvrir. Il en résulte que le gouvernement, qui était déjà d'accord avec la section centrale quant au personnel des cours de Grand et de Liège, accepte ses conclusions en ce qui concerne le personnel de la cour de cassation et celui de la cour d'appel de Bruxelles.

Vous savez, messieurs, que, d'après le projet primitif du gouvernement, le personnel de la cour de cassation, qui compte aujourd'hui dix-neuf membres, était réduit à quinze. La section centrale propose de fixer le nombre des membres de cette cour à dix-sept, et le gouvernement accepte ce chiffre. Il en résulte qu'il retire les articles 2 et 3 du projet primitif, lesquels articles modifiaient la législation actuelle réglant les cas où la cour de cassation et la cour d'appel devaient siéger en nombre double.

Quant à la cour d'appel de Bruxelles, son personnel actuel est de 27 membres. Le gouvernement proposait de le réduire à 20; la section centrale a proposé de le fixer à 21. Ce chiffre est accepté par M. le ministre de la justice. Ainsi pour la cour de cassation et pour les trois cours d'appel, le gouvernement et la section centrale sont entièrement d'accord.

Relativement aux tribunaux de première instance, il y a une légère différence d'opinion entre le gouvernement et la section centrale pour ce qui concerne les tribunaux de Mons, d'Alost, de Tongres, d'Anvers, de Namur. Il s'agit, pour ces différents sièges, d'un juge ou d'un substitut de plus ou de moins. Cela n'est pas d'une bien grande importance ; nous entendrons, du reste, les honorables représentants de ces localités.

Il restera pour la chambre trois questions, dont une surtout me semble très importante; c'est celle que j'indiquerai la première.

Elle consiste à savoir si la chambre adoptera le principe de la mise à la retraite forcée des magistrats inamovibles à un certain âge.

La deuxième question est celle de savoir si la loi autorisera le gouvernement à ne nommer par exception qu'un seul juge de paix pour deux cantons contigus.

La troisième question est relative aux appointements des greffiers près les cours et tribunaux et près les justices de paix. Elle est relative aussi aux traitements des greffiers des tribunaux de commerce de Bruxelles, Gand, Liège et Tournay. Elle fait l'objet de l'article 8.

M. Lelièvre. - Messieurs, le gouvernement s'étant rallié en majeure partie au système de la section centrale, le projet ne fait naître qu'une question importante, celle que soulève l'article 9, qui prononce la mise en retraite des magistrats de l'ordre judiciaire, lorsqu'ils ont atteint l’âge de 70 ans.

Cet article soulève la question de droit constitutionnel, si la loi peut fixer un âge auquel le magistrat sera nécessairement mis à la retraite; l'affirmative est évidente à mes yeux.

L'article 100 de la Constitution déclare que les juges sont nommés à vie. Pour bien comprendre cette disposition, il est nécessaire de ne pas perdre de vue que, dans l'interprétation des lois, l'on doit moins s'arrêter (page 1196) au sens littéral des mots qu'à la volonté du législateur. Scire leges non hoc est earum verba legere sed vim ac potestatem. L. 17, Dig. de legibus.

Or quelle a été l'intention qui a présidé à la rédaction de l'article dont il s'agit? Evidemment on a voulu que dans l'intérêt des justiciables, dans celui de la société et de la bonne administration de la justice, un magistral ne put être déplacé arbitrairement par le pouvoir exécutif ; mais ce but est rempli dès que le juge a atteint un âge auquel l’homme se trouve, sauf de rares exceptions, dans l'impossibilité physique ou morale de remplir des fonctions publiques. La nomination à vie doit s'entendre dans le sens raisonnable que comporte cette expression, c'est-à-dire, de la durée des fonctions jusqu'au moment où, d'après une règle ordinaire fondée sur l'expérience, on est devenu incapable de s'en acquitter.

Ainsi, à mon avis, un juge parvenu à l'âge de 75 ans, peut être mis forcément à la retraite, parce qu'en réalité sa carrière de magistrat est terminée; il a véritablement atteint le terme le plus long que l'on a pu convenablement assigner à sa vie de fonctionnaire public.

Il y a plus, il ne donne même plus alors à la société, sous le rapport des capacités, les garanties que l'article 100 de la Constitution a entendu créer, de sorte que son maintien dans la charge dont il est investi est en opposition directe avec le but que s'est proposé la disposition dont nous nous occupons, tant il est vrai de, dire que la lettre tue et que l'esprit vivifie.

Remarquez, du reste, que le bénéfice de l'inamovibilité est accordé au magistrat, non dans son intérêt privé, mais dans celui de la société; or, il est évident que l'intérêt général exige que les magistrats, parvenus à un âge trop avancé, cessent leurs fonctions, de sorte que vouloir, en vertu du principe de l'inamovibilité, maintenir sur son siège un magistrat qui se trouve en cette position, c'est réellement faire tourner contre la société une disposition créée en sa faveur et ayant pour objet de sauvegarder des intérêts importants que le système contraire à celui que je défends tend à compromettre.

Mais, dit-on, si le magistrat est incapable, on peut provoquer son remplacement en conformité de la loi du 20 mai 1845. Cette objection ne nous frappe pas ; en effet, qui ne sait que surtout dans l'hypothèse où il s'agit d'une impossibilité physique ou morale ayant sa cause dans un âge avancé, la mesure introduite par la loi de 1845 ne recevra jamais en fait son exécution? Il répugne à un homme de cœur de demander la retraite d'un collègue qu'on estime. Aucun homme généreux ne se résignera à porter, pour ainsi dire, le coup de la mort à un vieillard vénérable avec lequel le corps entier entretient les meilleures relations. Eh bien, ces condescendances si naturelles, fondées sur un sentiment honorable, auront pour conséquence nécessaire un état de choses contraire aux intérêts de la justice. Si la loi ne fixe un terme auquel s'arrête de plein droit l'exercice des fonctions de magistrat, il arrivera, ce que l'on remarque fréquemment aujourd'hui, que des hommes réellement incapables continueront de faire partie des corps judiciaires au grand détriment des justiciables et du bien-être du service.

Toutefois, je le déclare positivement, il est impossible, selon moi, de fixer le terme dont il s'agit, à 70 ans, parce qu'à cet âge beaucoup de magistrats sont encore en état de remplir convenablement leurs fonctions.

L'expérience démontre qu'un grand nombre de membres de nos cours et tribunaux jouissent encore alors de l'intégrité de leurs forces et de leur intelligence. Dès lors, il y aurait injustice à décréter une disposition qui frapperait nombre de magistrats dont les services peuvent encore être utiles à la chose publique. Il est donc nécessaire de déterminer un âge assez avancé pour que l'exécution de la mesure que je crois constitutionnelle ne donne pas lieu à des inconvénients sérieux et à des conséquences fâcheuses.

Je dirai quelques mots de la mesure dont on veut frapper le tribunal de Namur; non seulement on prétend le réduire à six membres, mais la section centrale propose d'enlever à notre siège l'un de ses substituts.

Messieurs, notre tribunal est composé de deux chambres ; or, le juge d'instruction, occupé exclusivement des informations, est, par la nature de ses fonctions, dans l'impossibilité de traiter les affaires civiles et correctionnelles. Par suite du projet, les chambres ne seront plus complètes et les juges suppléants seront chargés du service ordinaire. Or, on connaît assez les inconvénients d'un pareil état de choses. D'un autre côté, il faut prendre égard aux devoirs extraordinaires que doivent remplir les magistrats : les enquêtes, les interrogatoires, les descentes sur les lieux exigent le maintien du personnel actuel qui est loin d'être exagéré, puisqu'il est réduit à sept membres, y compris les président et vice-président. Il est nécessaire également de ne pas perdre de vus le service de la cour d'assises et le nombre d'affaires civiles et correctionnelles qui se traitent à Namur.

Quant au second substitut, le gouvernement en a tellement reconnu la nécessité qu'il l'a maintenu dans le projet, et, effectivement, je demande pourquoi il serait moins indispensable à Namur qu'à Mons, Bruges et Anvers, où l'on conserve trois officiera du ministère public? Le procureur du roi ne peut guère s'occuper que des affaires intérieures du parquet, de la correspondance administrative, du travail extraordinaire dont souvent on l'accable et des minutieux renseignements qu'on exige à chaque instant du magistral siégeant au chef-lieu de l'arrondissement. Le gouvernement, qui connaît parfaitement l’étendue de la besogne du titulaire, a compris qu'il était nécessaire de conserver deux substituts que rendent encore indispensables le service de la cour d'assises et le nombre d'affaires qui appellent le concours du ministère public.

(page 1196) Une considération qui me paraît encore militer puissamment en faveur du maintien du second substitut à Namur, c'est que, par suite de l’adoption du projet relatif à la compétence criminelle, la besogne du parquet est considérablement augmentée. Tous les jugements rendus en matière de simple police et d'instruction faite en première instance devront être l'objet d'un examen attentif de la part du procureur du roi pour s'assurer s'il y a lieu ou non à frapper d'appel la décision de première instance. La loi n'accorde même qu'un délai très court pour faire usage de cette faculté. Le parquet devra même entretenir une correspondance très active avec les officiers chargés de la défense des intérêts de la société près les tribunaux de simple police, notamment pour les diriger dans l'exercice des nouvelles et importantes attributions qui leur sont confiées. Le moment n'est, certes, pas opportun pour réduire outre mesure le personnel des parquets.

Du reste, un tribunal qui, je le dis avec orgueil, rend la justice avec une intelligence, un zèle et une impartialité qu'on rencontrerait difficilement dans des corps plus élevés, ne mérite certainement pas d'être amoindri, comme le propose la section centrale. Aussi j'ai la ferme conviction que vous ne sanctionnerez pas les réductions exorbitantes dont elle veut frapper le siège auquel j'ai l'honneur d'appartenir.

Je me réserve, messieurs, de proposer d'autres observations lors de la discussion des articles. Du reste, sauf quelques modifications que je soumettrai ultérieurement, je crois, en général, devoir donner mon assentiment au projet du gouvernement.

(page 1204) M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, puisque la question résultant de l'article 9 du projet a été soulevée à l'occasion de la discussion générale, je crois qu'il entrera dans les convenances de la chambre de continuer cette discussion. Je demanderai en conséquence la permission de présenter mes observations particulières au sujet de cette question. (Parlez ! parlez !)

Le gouvernement, par l'article 9 du projet, propose de mettre à la retraite les magistrats qui auraient atteint l'âge de 70 ans.

Pour constater les conditions d'admissibilité à la retraite, il serait procédé de la manière prescrite par l'article 8 de la loi du 20 mai 1845, qui a prévu le cas où des magistrats atteints d'infirmités graves et permanentes se trouveraient dans une position qui ne leur permettrait plus de remplir convenablement leurs fonctions.

Une disposition semblable avait été insérée dans le projet de loi sur l'augmentation des traitements de la magistrature, présenté en 1842 par l'honorable M. Van Volxem. Cette mesure était motivée sur ce que, à l'âge de 70 ans, le repos est devenu un droit pour le magistral, alors même qu'il ne serait pas un besoin, et sur ce que, bien rarement après cette époque, le magistrat peut prêter à ses collègues un concours actif et éclairé.

La section centrale de la chambre des représentants a repoussé cette proposition du gouvernement, non par aucun scrupule de constitutionnalité, comme on le fait aujourd'hui, mais parce que, dit le rapport présenté à cette époque par l'honorable M. Delehaye, plus d'un magistrat âgé de 70 ans remplissait convenablement ses devoirs, et qu'on écarterait ainsi de la magistrature les hommes qui auraient fait une étude plus spéciale de l'ancienne législation.

La commission du sénat, dont j'avais l'honneur d'être rapporteur, exprimait également l'opinion que des magistrats septuagénaires pouvaient avoir encore l'aptitude nécessaire pour leurs fonctions, que leur vieille expérience, leur jugement mûri par la pratique des affaires leur permettraient de prêter à leurs jeunes collègues un concours, sinon aussi actif, au moins aussi utile et plus éclairé.

Cette opinion que j'exprimais alors, je la partage encore aujourd'hui, et si notre organisation judiciaire devait rester la même, si le personnel de nos tribunaux ne devait subir aucune réduction, je reconnais que l'on pourrait sans inconvénient, et même quelquefois avec utilité, conserver dans les cours et tribunaux des magistrats, chez qui l'expérience et la pratique des affaires peut suppléer aux facultés que l'âge avancé et les habitudes d'une vie laborieuse ont pu affaiblir.

Mais ce qui était possible, lorsque nos cours et tribunaux étaient dotés d'un personnel qui excédait les besoins du service, le serait-il encore aujourd'hui que ce personnel va se trouver réduit au strict nécessaire par les résultats de la réforme proposée ?

Telle est la question que le gouvernement a dû se faire ; et il a pensé que si les corps judiciaires perdaient sous le rapport du nombre, ils devaient trouver une compensation dans le zèle et dans l'activité de leurs membres, afin que l'expédition des affaires ne pût en souffrir.

Ce sont ces considérations, messieurs, qui oui seules porté le gouvernement à vous représenter dans l'article 9 de ce projet la disposition qui n'avait pas été accueillie en 1845. Il ne s'agit pas, en effet, ici d'une mesure d'économie. Au contraire, la mise à la retraite de quelques anciens magistrats doit augmenter, dans un temps plus ou moins éloigné, la dépense des pensions. Mais il s'agit surtout de l'intérêt des justiciables; il s'agit d'assurer la bonne et prompte expédition des affaires judiciaires.

Il semble résulter, messieurs, du rapport de la section centrale que cinq sections de cette chambre auraient accueilli cette mesure et que la sixième section seule l'aurait rejetée par des scrupules constitutionnels qui ont également prévalu dans le sein de la section centrale et qui ont entraîné la majorité.

L'article 100 de la Constitution dit que les juges sont nommés à vie, et qu'aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un jugement. C'est sur le texte de cet article que s'appuie la majorité de la section centrale pour repousser comme inconstitutionnelle la disposition qui autorise la mise à la retraite des magistrats à l'âge de 70 ans, en observant les formalités prescrites par la loi du 21 mai 1847.

Il m'est impossible, messieurs, de partager cette opinion, et je dois nécessairement la combattre. Je concevrais que l'on pût ne pas approuver cette mesure de la mise à la retraite forcée des magistrats qui ont atteint l'âge de 70 ans. Je concevrais que l'on pût révoquer en doute l'utilité de cette mesure. Je concevrais que l'on pût, comme vient de le dire l'honorable M. Lelièvre ou comme il parait intentionné de le proposer, vouloir reculer l'âge de la retraite et la fixer, par exemple, soit à 72 ans, soit à 75 ans.

Si l'honorable M. Lelièvre présente l'amendement qu'il a annoncé à ce sujet, le gouvernement, messieurs, n'a aucune objection sérieuse à faire contre cette proposition et je crois qu'il s'en référera à la décision de la chambre. Mais en présence d'une fin de non-recevoir fondée sur une infraction prétendue à la Constitution, il nous est impossible de garder le silence et de laisser s'accréditer nue opinion que je considère comme complètement erronée et qu'il serait dangereux de laisser s'établir.

(page 1205) Nous n'avons pas, messieurs, à définir ni à rechercher le sens et la portée de l'inamovibilité. Ce mot n'est pas même prononcé dans la Constitution. Les garanties accordées aux juges par l'article 100, c'est d'abord d'être nommés à vie, et ensuite de ne pouvoir être privés de leur place ni suspendus que par un jugement.

Il y a, messieurs, dans ce texte deux dispositions distinctes. La première est celle qui exclut la nomination à temps. La seconde est celle qui consacre ce qu'on appelle l'inamovibilité, c'est-à-dire la garantie que le magistrat ne peut pas être arbitrairement privé de son siège.

En disant que les juges seront nommés à vie et en donnant à cette disposition une consécration constitutionnelle, le congrès national a voulu rendre impossible des expériences semblables à celles qui avaient été tentées à la fin du siècle dernier. Il a surtout voulu empêcher le retour d'une disposition analogue à celle qui figurait dans le sénatus-consulte du 12 octobre 1807, disposition portant que les premières nominations de juges n'auraient lieu que pour cinq années, délai à l'expiration duquel l'empereur jugerait s'ils étaient dignes d'être maintenus en place.

Pour se convaincre que ces mots « nommés à vie » n'ont d'autre portée que d'exclure la nomination à temps, il suffit de jeter les yeux sur les textes de l'ancienne législation que je viens de rappeler.

Par décret du 31 mars 1790, l'assemblée nationale posa la question suivante: Les juges seront-ils établis à vie ou seront-ils élus pour un temps déterminé? Et par décret du 4 mai 1790, la question fut résolue dans ce dernier sens, et la durée des fonctions des juges fut limitée à six années, tandis qu'un décret du S8mai suivant institua les officiers du ministère public à vie.

L'article 8 de la loi d'organisation judiciaire des 16-24 août 1790 reproduisit ces dispositions et, un peu plus tard, la Constitution du 3 septembre 1791 la répéta dans des termes différents en disant (article 2 du chapitre V), que « la justice serait rendue gratuitement par des juges élus à temps, lesquels ne pourraient être ni destitués que pour forfaiture dûment jugée, ni suspendus que par une accusation admise. »

La loi fondamentale de 1815 disait aussi (article 186): « Les membres de la haute cour, des cours provinciales et des tribunaux criminels, ainsi que les procureurs généraux et autres officiers ministériels près ces cours et tribunaux, sont nommés à vie.

« La durée des fonctions des autres juges et officiers ministériels est fixée par la loi.

« Aucun juge ne peut être privé de sa place pendant la durée légale de ses fonctions, que sur sa demande ou par un jugement. »

Le sens des mots nommés à vie est clairement fixé par ces citations.

Ils n'ont pas d'autre portée que d'exclure la nomination à temps.

Ils n'impliquent pas l’irrévocabilité, puisque nous voyons des fonctionnaires essentiellement révocables, nommés à vie en vertu de la loi constitutionnelle de 1815, tels que les procureurs généraux et autres officiers ministériels près des cours et tribunaux. Ces mots n'impliquent pas l'irrévocabilité, puisque l'irrévocabilité est garantie à tous les juges sans distinction et que, cependant, les juges autres que ceux qu'énumère le paragraphe premier peuvent n'être nommés qu'à temps.

Enfin, messieurs, ces mots comprennent tellement peu cette irrévocabilité que nous trouvons l'irrévocabilité stipulée dans une disposition différente qui accompagne toujours la première disposition, et nous le trouvons aussi bien dans les constitutions antérieures que dans la loi fondamentale de 1815 et dans la Constitution de 1831. C'est ainsi, messieurs, pour citer une loi d'une autre catégorie, que la loi du 25 ventôse an XI, sur le notariat, dit, dans son article 2, que les notaires sont nommés à vie, et, dans l'article 53, que les notaires ne pourront être destitués qu'en vertu d'un jugement.

Ainsi, vous le voyez, messieurs, ce qui résulte de la combinaison de tous ces textes, c'est que les deux idées de la nomination à vie et de l'irrévocabilité sont essentiellement distinctes. L'une peut exister sans l'autre. Un magistrat peut être nommé à vie, et cependant être essentiellement révocable.

Ainsi, aujourd'hui encore, les procureurs généraux et tous les officiers du ministère public, sont nommés à vie et ils sont essentiellement révocables. La seule différence qui existe entre le régime actuel et celui de la loi fondamentale, c'est qu'alors ils étaient nommés à vie, en vertu d'un principe constitutionnel, tandis qu'ils le sont aujourd'hui, en vertu de la loi.

D'un autre côté, un magistrat peut être nommé à temps, et cependant être inamovible. Je vous citerai les juges des tribunaux de commerce qui sont nommés à temps, et dont les fonctions expirent au terme fixé par la loi ; et certainement on ne prétendra pas que le gouvernement aurait le droit de révoquer arbitrairement, pendant le cours de ses fonctions, le juge d'un tribunal de commerce. Cependant ces magistrats ne sont pas nommés à vie, ils sont nommés à temps ; ils sont essentiellement irrévocables pendant la durée de leurs fonctions.

Le sens du premier paragraphe de l'article 100 étant ainsi bien déterminé, cessons de nous en occuper, puisqu'il est étranger à la question.

Voyons maintenant le paragraphe 2 qui caractérise de la manière suivante les conséquences constitutionnelles de l'inamovibilité :

« Aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un jugement. »

On ne garantit pas le juge contre une destitution ou une suspension, mais on détermine la forme suivant laquelle cette destitution ou cette suspension sera prononcée.

La Constitution exige un jugement, quelle espèce de jugement? Est-ce un jugement ou criminel, ou correctionnel, ou de simple police, ou civil, ou disciplinaire? La Constitution ne le dit pas; elle exige seulement un jugement, expression générique qui indique une forme impliquant garantie. Mais si vous interrogez la Constitution sur les cas dans lesquels le recours à cette voie, à cette forme, pourra avoir lieu, la Constitution garde le silence, ou plutôt elle vous renvoie au législateur.

C'est donc à la loi qu'il appartient d'indiquer les magistrats dont le jugement sera nécessaire, les conditions dans lesquelles ce jugement pourra être rendu. C'est ainsi que l'article 599 de la loi du 20 avril 1810 autorisait la destitution des magistrats dans le cas d'une condamnation même à une peine de simple police ; c'est ainsi encore que l'article 8 de la loi du 20 mai 1845 autorise la mise à la retraite forcée des juges qui ne peuvent plus remplir convenablement leurs fonctions par suite d'infirmités graves et permanentes.

Dans ces deux cas essentiellement différents, une décision judicaire intervient, et la forme d'un jugement est requise avec toutes les garanties qui résultent de l'emploi de cette forme. L'arbitraire est donc impossible; ces dispositions sont donc tout à fait constitutionnelles?

En quoi la disposition proposée par le gouvernement dans l’article 9 au projet de loi en discussion serait-elle moins constitutionnelle que celle de la loi de 1845? La même garantie n'est-elle pas accordée, et l'arbitraire des tribunaux est-il à redouter, puisqu'il s'agirait d'un fait presque toujours difficile à nier. Mais l'objection qu'on a faite, à savoir que le jugement n'aurait de judiciaire que la forme, cette objection nous paraît plutôt favorable que contraire.

Le but essentiel de l'inamovibilité consacrée par l'article 100 de la Constitution est de rendre les juges indépendants du pouvoir. Cette prérogative précieuse n'est pas accordée dans l'intérêt des magistrats; mais dans l'intérêt public. S'appuyer sur le principe de l'inamovibilité pour prétendre qu'un magistrat ne peut, quel que soit son âge, être mis à la retraite, c'est fausser ce principe en l'exagérant, c'est subordonner l'intérêt public à l'intérêt individuel, c'est enfin dépasser le but que la Constitution a voulu atteindre. Pour que ce but soit atteint, il suffit que le gouvernement ne puisse en aucune manière disposer de la position du magistrat et que la mise à la retraite soit prononcée par un jugement; c'est là la seule, mais aussi, c'est la meilleure garantie que la Constitution pouvait donner pour maintenir intact le principe de l'inamovibilité, en le conciliant dans son application avec les intérêts de la société.

L'article 100 de la Constitution , dit la section centrale, en proclamant le principe de la nomination des juges à vie, a voulu leur assurer l'inamovibilité comme garantie d'indépendance.

Je crois, messieurs, que raisonner de la sorte, c'est outrer la portée de cette disposition de notre Constitution, c'est rétorquer en quelque sorte contre la société un principe qui n'a été établi que dans son intérêt; c'est interpréter au profit des magistrats et contre les justiciables une disposition qui a été établie dans l'intérêt de ces derniers.

Pour que le juge puisse invoquer ce principe en sa faveur, il faut qu'il présente toutes les qualités propres à remplir les fonctions auxquelles il est appelé, et il appartient au législateur de déterminer l'âge auquel la carrière du magistrat devra être close. De même que la loi a pu dire que l'on ne pourrait être magistrat avant 25 ans, elle peut dire qu'on ne pourra plus l'être après 70 ou 75 ans, parce qu'après cet âge l'on n'est plus présumé conserver l'action et la force d'intelligence nécessaire pour remplir d'une manière suffisante et utile les fonctions de la magistrature.

Au surplus, s'il était vrai que le principe constitutionnel de l'inamovibilité dût être compromis par la disposition de l'article 9 du projet, il aurait déjà été violé par la loi du 20 mai 1845 qui autorise la mise forcée à la retraite pour cause d'infirmités graves et permanentes.

Vainement vient-on dire qu'il n'y a pas de comparaison à faire entre ces deux cas, puisque dans celui de la loi de 1845 la loi laisse aux corps judiciaires la faculté de porter un véritable jugement sur un fait contesté. Sans doute il peut arriver que le fait soit contestable, mais il peut arriver aussi qu'il soit aussi constant que l'âge même du magistrat, et cependant il faudra toujours un jugement pour que la mise à la retraite puisse être prononcée.

Au surplus, pour apprécier s'il y a inconstitutionnalité, ce n'est pas le plus ou moins d'évidence du fait qui donne lieu à la mise à la retraite qu'il faut rechercher; la question n'est pas là; si la Constitution a voulu que le magistrat une fois nommé restât magistrat jusqu'au tombeau, si elle a voulu le mettre à l'abri des caprices du pouvoir et des caprices de la législature elle-même, il faut en conclure que la mise forcée à la retraite d'aucun magistrat ne peut avoir lieu pour aucune cause quelconque, pas plus pour cause d'infirmités graves et permanentes que pour cause de son âge avancé. En effet, si les mots « nommés à vie » signifient jusqu'à la mort ou pour tout le temps que l’on a à vivre, s'ils impriment au magistrat un caractère indélébile, il n'était pas plus permis de la lui enlever dans un cas que dans l'autre, et la loi de 1845 aurait consacré la première la violation de la Constitution ; or je pense que personne n'oserait prétendre que cette loi fût inconstitutionnelle.

Je me résume : la fin de non-recevoir qu'oppose la section centrale, fondée sur la prétendue inconstitutionnalité de la disposition, me paraît dénuée de fondement. Je soutiens que ce n'est pas dans le premier paragraphe de l'article 100 de la Constitution qu'il faut chercher le principe de l’inamovibilité des magistrats à vie, que les mots « nomination à temps » n'ont d'autre sens que d'exclure la nomination à temps. Le principe de l’inamovibilité est consacré par le paragraphe suivant, qui dit qu’aucun juge ne peut être privé ni suspendu que par un jugement. Or, par cela même que la Constitution décide que le magistrat peut être privé ou suspendu de ses fonctions par un jugement, sans rien déterminer de plus à cet égard ; elle a abandonné à la législature le soin de déterminer les formes, la condition et les circonstances d’un semblable jugement.

(page 1197) M. Van Hoorebeke. - Messieurs, dans ma pensée la question qui est agitée est assez simple. Elle se réduit à ceci : en présence d'un texte formel et impératif de la Constitution, faut-il rechercher les motifs qui ont pu dicter ce principe de l'inamovibilité?

Je dois dire, quant à moi, que si je m'en rapportais aux motifs qui ont pu dicter ce principe de l'inamovibilité, je n'éprouverais aucune répugnance à fixer une limite à l'exercice des fonctions des magistrats. Je partage, sur ce point, la manière de voir de l'honorable M. Lelièvre. Il est évident que si l'on admet cette vérité incontestable, à savoir que le magistrat est institué pour rendre la justice et concourir sans interruption, du moins habituelle, à son administration, il faut admettre aussi avec l'honorable M. Lelièvre que l'intérêt du justiciable, que l'intérêt de la société sont des intérêts supérieurs, que ces intérêts ne doivent jamais fléchis; qu'ainsi l'inamovibilité devrait être subordonnée à l'exercice possible des fonctions judiciaires et que dès que le magistrat est reconnu se trouver dans l'impossibilité de remplir ses fonctions, il ne devrait plus être protégé par le principe de l'inamovibilité.

C'est ainsi qu'on l'entend en Angleterre. Les statuts disent formellement que les magistrats sont inamovibles quamdiù se bene gesserint ; c'est-à-dire tant qu'ils remplissent leurs fonctions. En Amérique la même disposition existe.

Je dois ajouter que si je m'en rapportais aux principes qui étaient admis dans le droit ancien, je n'éprouverais encore aucune répugnance à accepter la manière de voir de l'honorable M. Lelièvre. En effet, dans l'ancien droit le magistrat ne pouvait perdre son office que par forfaiture, démission ou mort, mais il est à remarquer que les anciennes compagnies judiciaires exerçaient dans leur propre sein un droit de discipline absolu, illimité ; elles pouvaient contraindre, elles contraignaient même souvent leurs membres à résigner leurs fonctions.

On ne doit pas perdre de vue non plus qu'anciennement les magistrats étaient possesseurs de leurs offices, qu'ils pouvaient les transmettre à leurs enfants, et que dès qu'ils se trouvaient dans l'impossibilité d'en tirer profit, il n'y avait plus pour eux le moindre intérêt à les conserver.

Ainsi, au point de vue des intérêts généraux et au point de vue de la raison, comme au point de vue des traditions du passé, je le répète, je serais tenté d'adopter la disposition insérée dans le projet présenté par M. le ministre de la justice. Mais je dois dire que dans cette matière comme en toute autre, je suis esclave du texte, et je ne veux pas interpréter une loi, rechercher les motifs qui l'ont dictée, lorsque le texte en est formel, en est exprès, impératif. Or, en présence du texte de la Constitution, je dis qu'il n'est pas douteux que l'inamovibilité qui y est consacrée, n'est pas une inamovibilité momentanée, une inamovibilité temporaire, une inamovibilité à échéance fixe, comme celle qu'on veut établir; mais que c'est une inamovibilité viagère. Et, à cet égard, si l'on avait consulté les cours en Belgique, peut-être se seraient-elles rencontrées avec l'opinion qui a été émise à ce sujet par la cour de cassation de France, qui a été consultée sur la même question. Car cette question s'est aussi produite en France, il y a quelques mois.

Le gouvernement provisoire, après les événements de février, avait proposé une disposition qui rendait, non pas obligatoire, mais facultative, la mise à la retraite des magistrats qui avaient atteint l'âge de 70 ans. Heureusement, des événements sont survenus qui ont permis à la cour de cassation, qui renferme dans son sein les hommes les plus éminents, les Troplong, les Portalis, d'émettre son avis, et voici ce que je lis dans les considérations qu'elle a présentées: « La cour n'accepte que malgré elle, en quelque sorte comme pis aller, la disposition projetée, consacrée par l'article 102. » Elle ajoute :

« Les magistrats qui approcheront de l'âge fatal perdront chaque année quelque chose de l'opinion qu'on a de leur indépendance. Ils se trouveront dans une position analogue à celle des juges nommés à temps, position équivoque dont Merlin a si bien relevé les inconvénients. L'autorité des arrêts auxquels les magistrats concourront en sera affaiblie. On ne saurait surtout de nos jours éviter avec trop de soin tout ce qui peut porter atteinte à la chose jugée.

« Craint-on que le service en souffre? Redoute-t-on les tristes suites de la caducité des magistrats? Mais la loi de 1822 y a pourvu. Et en ce qui concerne la cour de cassation, nous avons à dire qu'une disposition qui en aurait exclu les magistrats septuagénaires aurait été une véritable calamité. Les magistrats les plus vénérables, les plus savants, ceux qui l’ont le plus honorée ont dépassé de beaucoup l'âge de 70 ans dans l'exercice de leurs fonctions et n'ont jamais rendu de meilleurs services, ni mieux été appréciés du public. Henrion de Pansey était plus que septuagénaire quand il fut appelé à la première présidence aux acclamations du barreau et de la magistrature. »

L'honorable ministre de la justice a dit que si l'on rejetait la disposition qui rend obligatoire la mise à la retraite des magistrats à l'âge de 70 ans, on devrait, avec non moins de fondement, rejeter la disposition de la loi de 1845 qui, comme vous le savez, introduit une sorte de procédure domestique à la suite de laquelle le magistrat peut être privé de son, siège. Eh bien, messieurs, je partage entièrement cette manière de voir de M. le ministre de la justice. Je crois que ces dispositions de la loi de 1845 sont contraires à la dignité de la magistrature; elles n'ont, d'ailleurs. jamais reçu d'exécution et elles n'en recevront jamais. Elles sont contraires à l'autorité morale dont les magistrats doivent être entourés.

Ces dispositions, on les a introduites dans la loi française de 1822. Eh bien, déjà alors les magistrats les plus éminents faisaient ressortir lest inconvénients qui devaient en résulter; déjà alors on faisait remarquer que ces dispositions rendaient le maintien de la position des magistrats simplement facultatif; on faisait remarquer qu'il était peu digne des graves devoirs dont les magistrats sont chargés, de les appeler, en quelque sorte à constater la nature, la durée et les effets des infirmités dont leurs collègues pouvaient être atteints. On faisait remarquer que la magistrature n'était pas instituée pour délivrer des bulletins de santé, mais pour rendre la justice.

Ainsi, messieurs, je donnerais mon entier assentiment à toute proposition qui serait faite pour faire disparaître non seulement la disposition qui consacre la mise à la retraite obligatoire, mais aussi les dispositions de la loi de 1845, qui, d'après moi, sont contraires à la dignité de la magistrature et qui, je le répète, n'ont jamais reçu d'application et n'en recevront jamais.

M. de Brouckere. - Messieurs, après le discours que vous venez d'entendre, j'abuserais de vos moments si j'entrais dans de longs développements pour réfuter l'opinion qui a été soutenue par M. le ministre de la justice et par l'honorable M. Lelièvre. Ces deux orateurs ont longuement argumenté et de l'intention du législateur, et de l'esprit de la loi ; et du but qu'elle a voulu atteindre.

Nous leur répondons en leur présentant un texte formel, un texte précis, un texte parfaitement clair. Or, ces honorables membres, qui sont jurisconsultes, connaissent sans doute un principe qui est incontestable et qui reçoit parfaitement ici son application, c'est que quand un texte de loi est clair, il n'y a point lieu à interprétation. Or, messieurs, que voulez-vous de plus clair, et de plus tranchant, que le texte de l'article 100 de la Constitution : « Les juges sont nommés à vie. Aucun juge ne peut être privé de sa place, ni suspendu que par un jugement. » Et (page 1198) en présence d'un semblable texte, on voudrait faire décréter une disposition qui établirait le principe de la mise à la retraite forcée des magistrats inamovibles, à un certain âge. Il y a contradiction manifeste entre l'article 100 et une semblable disposition.

M. le ministre de la justice, pour tourner la difficulté, a prétendu que l'inamovibilité n'est pas établie par la première disposition de l'article 100, mais bien par la deuxième disposition. Selon lui, « les juges sont nommés à vie » cela voudrait dire seulement qu'ils ne sont pas nommés à temps, et le principe de l'inamovibilité serait établi par la deuxième disposition, qui statue que la faculté de suspendre les magistrats ou de leur ôter leur place, n'existe que moyennant un jugement préalable.

Eh bien, messieurs, c'est là une erreur manifeste et il suffit de consulter la discussion qui a eu lieu au congrès à propos de l'article 100, pour reconnaître que l'intention du congrès a été d'établir l'inamovibilité par la première disposition et qu'il n'a décrété la deuxième disposition que comme exception à la première.

« Les juges sont nommés à vie, » cela signifierait donc, selon M. le ministre de la justice, que les juges ne pourront pas être nommés à temps et tout en produisant ce commentaire, M. le ministre de la justice défend une disposition qui aura pour effet réel, qu'à l'avenir les juges ne seraient plus nommés qu'à temps ! Quel que soit l'âge auquel une personne sera appelée à une place inamovible, on pourra calculer en effet pour combien de temps elle y est appelée : si elle a 40 ans, elle sera nommée pour 30 ans; si elle en a 50, elle le sera pour 20 ans. Ainsi, d'après le principe que M. le ministre de la justice voudrait faire consacrer par la chambre, il établirait précisément ce que la Constitution défend de faire, c'est-à-dire qu'à l'avenir les juges seraient nommés à temps.

Mais, dit M. le ministre de la justice, il y aura un jugement; or la Constitution permet d'ôter aux magistrats leur siège, moyennant un jugement préalable. Il y aura un jugement ! Mais, messieurs, quand un magistral a un jugement à rendre, c'est que nécessairement il peut prendre une décision en deux sens contraires ; or le jugement que M. le ministre voudrait faire rendre ici par la magistrature, serait tel qu'elle ne pourrait prononcer que dans un seul sens : on soumettrait à une cour supérieure un acte de naissance, et le jugement consisterait à déclarer que, d'après l'acte de naissance, le magistrat auquel il est question d'ôter sa place a bien atteint 70 ans. Ce n'est pas là un jugement dans le sens de la loi.

Messieurs, la thèse que je défends est tellement simple, que je crois inutile d'entrer dans d'autres développements, et je reste convaincu que le principe que M. le ministre de la justice voudrait faire prévaloir doit être rejeté par la chambre comme évidemment contraire à un texte formel de la Constitution.

M. Lelièvre. - Deux systèmes vous sont soumis en ce moment : les uns, se fondant sur la lettre de la loi, prétendent que les magistrats étant nommés à vie doivent être maintenus en fonctions jusqu'au dernier souffle de leur existence; les autres, invoquant l'esprit de la Constitution, disent qu'il appartient à la loi de déterminer l'âge auquel les magistrats réputés incapables de remplir leurs fonctions peuvent être mis à la retraite.

C'est ce dernier système que je défends, parce qu'à mes yeux, il est évident que le principe de l'inamovibilité, écrit dans l'article 100 de la Constitution, n'a rien d'incompatible avec la mesure à laquelle je donne mon assentiment et ayant pour objet d'assurer la régularité du service, de même que la bonne administration de la justice, dans l'intérêt même de la société.

Pour moi, messieurs, j'examine quelle a été l'intention du législateur, et je suis amené à reconnaître qu'un magistrat parvenu à un âge où la plupart des hommes sont hors d'état de remplir des fonctions publiques, a recueilli tout le bénéfice d'une nomination à vie.

Il me paraît évident que le but du principe de l'inamovibilité est complètement atteint et que même ce serait abuser de l'inamovibilité et lui faire produire des effets contraires à ceux qu'on a voulu réaliser par cette garantie constitutionnelle, que de lui donner la portée dont parlent nos contradicteurs.

L'honorable M. de Brouckere nous répond que dans tous les cas où le texte légal est clair, il n'y a pas lieu à interprétation; mais remarquez, messieurs, que dans l'occurrence actuelle, il est impossible de s'attacher au sens littéral des mots; et la raison en est claire, l'interprétation littérale, que j'appellerai judaïque, nous conduit dans l'espèce à l'absurde. S'il est vrai, en effet, que la nomination à vie doive s'entendre dans le sens que donne à cette disposition l'honorable M. de Brouckere, il en résulte que le magistrat dont les facultés intellectuelles ont dépéri doit, aux termes de la Constitution, conserver les effets de sa nomination.

Il en résulte que la loi même de 1845 est inconstitutionnelle, puisqu'il est inconciliable avec une nomination à vie, comme on la comprend, et l'honorable M. Van Hoorebeke a été forcé de pousser son système jusqu'à cette limite extrême.

Nous l'avons déjà dit, messieurs, pareille nomination, entendue comme le veulent nos adversaires, aurait pour conséquence de compromettre l'administration de la justice que l'article 100 a au contraire voulu assurer.

L'interprétation littérale tue donc la disposition même de la charte. En cet état de choses, il est bien évident que c'est l'esprit de la loi qui doit prévaloir.

Or, nos contradicteurs eux-mêmes sont forcés de convenir qu'il repousse leur système, lequel par conséquent ne saurait recevoir votre sanction.

(page 1203) M. Destriveaux. - Il était assez difficile de s'attendre à une interprétation de la Constitution telle que celle que vous ont présentée les deux orateurs qui m'ont précédé dans la discussion. J'avoue qu'en présence du texte si formel de la Constitution, il me semblait impossible de trouver, excepté dans un jeu d'esprit, aucun moyen d'interprétation contraire à mon opinion. La lettre tue, dit-on, et l'esprit vivifie. Je dirai, moi, qu'en fait de Constitution, la lettre protège et les interprétations sont de nature à tuer. Ce n'est pas une loi comme celle qui nous régit depuis 1831 qui doit être subordonnée à des interprétations plus ou moins spécieuses prises dans les documents auxquels notre Constitution est restée entièrement étrangère.

Le premier orateur que vous avez entendu, l'honorable M. Lelièvre, a fait une distinction qui est assez subtile en apparence, mais qui au fond disparaît devant la lettre de la loi. Il a dit : La nomination à vie, je ne me servirai pas du mot inamovibilité, n'est pas déterminée par la loi fondamentale dans l'intérêt exclusif de celui qui est nommé; la nomination à vie est établie dans l'intérêt de tous les justiciables.

Il ne faut pas séparer ces deux intérêts. L'intérêt des justiciables est que la justice se rende avec fermeté, avec indépendance. Pour y parvenir, il importe que le juge soit mis à l'abri de toute espèce de tentative de séduction et de toute espèce de menace. Il faut lui donner une tranquillité complète, le placer dans une inaltérable sécurité. C'est ainsi que ce qui semble fait pour le juge seul devient un gage certain de sécurité pour les justiciables. Il ne faut pas séparer le juge des fonctions; les fonctions sont données à vie afin que le juge soit placé au-dessus de toute espèce d'influence particulière, examine le droit, n'examine que le droit, ne voie devant lui que ceux qui viennent lui demander justice et la leur rende avec fermeté et impartialité; ce n'est pas en faveur des juges que l'institution de la nomination à vie est faite. Les justiciables comme les juges et plus que les juges ont intérêt à ce que la nomination à vie soit exécutée loyalement sans commentaires, parce que devant les commentaires plus ou moins spécieux disparaît la force de la loi.

Si dans les lois ordinaires, lorsque le texte est clair, l'interprétation est repoussée, à plus forte raison doit-elle l'être pour la Constitution. Cette loi fondamentale n'est pas faite pour les jurisconsultes, pour les publicistes seulement ; elle est faite pour la nation, pour gouverner, pour rassurer la nation dans toutes les classes où peuvent la placer les inégalités impossibles à éviter dans l'ordre social. Voilà pourquoi la Constitution en fait doit échapper à toute espèce de commentaire, lorsque la lettre est aussi claire que pour la question qui s'agite en ce moment.

Ainsi je crois avoir réduit à sa juste valeur l'observation de l'honorable M. Lelièvre. Je crois avoir montré l'inanité de son système, quand il prétend qu'il s'agit moins des intérêts du juge, que des intérêts du justiciable. Il faut que la justice soit rendue avec impartialité, mais avec un discernement parfait. Il faut donc que celui qui est appelé à des fonctions si élevées y apporte toute la force de sa pénétration, de son intelligence, de son attention. Mais afin que rien ne vienne troubler cet ordre de choses si désirable, il faut que le magistrat soit dans un état de sécurité complète. Voilà pour la nomination d'un côté, pour la durée des fonctions de l'autre. Voilà où les deux choses viennent se confondre dans une garantie commune.

Retirez la nomination à vie, le magistrat n'a plus de sécurité. Ainsi il"faut conserver le principe dans toute sa pureté. Arrière donc toute interprétation qui viendrait y porter une atteinte!

Le second orateur, le très honorable ministre de la justice, nous a reportés à des temps bien éloignés de nous, mais cependant dont quelques-uns ont conservé le souvenir. Est-ce donc dans les lois de l'assemblée nationale de France, est-ce dans les lois qui se sont succédé, sous la république, le consulat et l'empire, que nous devons chercher l'esprit de notre Constitution?

La constitution de 1791 et celles qui l'ont suivie portent-elles le même cachet que la nôtre? Les constitutions impériales reposent-elles sur les' principes déclarés fondamentaux par la nôtre? Sous les constitutions et le régime impérial, aurait-on osé rêver notre Constitution de 1831?

Non, il y a là l'empreinte de l'émancipation d'un peuple, il y a l'empreinte d'une raison publique mûrie par l'expérience et par le malheur, et par l'assujettissement même qui était contraire à son esprit. Prenons donc la Constitution comme elle est; n'allons pas chercher des moyens d'interprétation dans des législations qui contiennent de salutaires avertissements sur les excès où l’on peut tomber quelquefois et la dépendance où l'on peut être placé.

L'article 100 de la Constitution est partagé en deux paragraphes, le premier ne parle pas de l'inamovibilité, mais d'une nomination à vie. Le deuxième paragraphe prévoit le cas de déplacement.

Dans le cas prévu par le dernier paragraphe, l'amovibilité ne peut s'exécuter qu'en vertu d'un jugement. Mais la nomination à vie exclut en soi toute pensée d'amovibilité. La nomination à vie, c'est l'inamovibilité pendant toute la vie. Il faut que le juge nommé reste. Mais si en vertu d'un jugement on trouve nécessaire, indispensable de l'éloigner, de lui infliger une peine, on juge, il y a là garantie ouverte pour tous les citoyens. Il y a un acte de justice, un acte raisonné, un acte d'autant plus mûri qu'il est rendu par les pairs de celui qu'il s'agit de juger, auquel il s'agit d'appliquer une peine, qui seule détruit la nomination à vie. Voilà quel est le mécanisme de cette disposition de l'article 100.

Maintenant à la disposition du deuxième paragraphe de l'art. 100 que substitue-t-on ? Une présomption, rien qu'une présomption. Ainsi voyez donc comment la garantie du juge disparaît, comment le principe de la Constitution est froissé. Au lieu du jugement, c'est une présomption générale. Mais la loi, dira-t-on, peut établir une présomption générale. N'a-t-elle pas décidé que l'âge de 25 ans était nécessaire pour être appelé aux fonctions respectables de juge? Mais la Constitution ne dit rien à cet égard; elle a laissé à la loi secondaire le soin de fixer l'âge, mais elle a étendu la durée des fonctions à la durée de la vie.

Donc si l'on peut fixer l'âge auquel l'accès à la magistrature est ouvert, il est impossible de fixer l'âge auquel on devrait en sortir. Cette impossibilité redouble quand, pour y parvenir, on est contraint de substituer la présomption à un jugement.

Mais on a été obligé de le reconnaître, le premier orateur auquel j'ai l'honneur de répondre a dit qu'à 70 ans il y a des magistrats honorables qui possèdent la plénitude de leurs facultés. Il a même fait de cette observation un motif de suspendre l'amendement qu'il semble vouloir présenter. Mais vous aurez beau présenter ou amendement, vous aurez beau reculer l'âge, le fixer à 72, à 73, à 75 ans, vous admettrez toujours l'action d'une présomption au lieu de celle d'un jugement.

On dira : Mais si toutes les facultés sont abaissées, si l'intelligence est voilée complètement, si la perception est incertaine, que ferez-vous d'un juge? Aura-t-il la force de rester sur sou siège? Et s'il en a le triste courage, il n'y aura pas de remède.

Pourquoi n'y aura-t-il pas de remède? Pourquoi le jugement qui serait rendu dans une autre occasion, ne pourrait-il pas l'atteindre? On dira : Le fait n'est pas aussi patent qu'un autre fait. Mais votre présomption est-elle patente? Il faut bien que les faits soient patents pour qu'on prononce la cessation des fonctions. Ce n'est pas sur une simple présomption que l'on peut établir l'existence du fait d'incapacité. Comment! quand il faut un jugement pour donner un conseil judiciaire à un citoyen sans aucun caractère public, sur une simple présomption, on ira éloigner de ses fondions un magistrat qui était fait encore pour les honorer! On sent, messieurs, que l'interprétation de la Constitution poussée jusque-là, ne peut être admissible, si toutefois l'interprétation du texte clair et précis d'une Constitution pouvait être admise.

Mais puisque, avec beaucoup de facilité, les mois viennent au secours de quelques argumentations, nous pourrions dire aussi qu'en admettant la possibilité de l'existence de la présomption, on finit par aller directement contre le texte de la Constitution. Car si vous nommez les juges de telle sorte qu'à l'âge de 70 ou de 72 ans, on les éloigne de leur siège par présomption, eh bien, vous les nommez pour ce temps. Dira-t-on qu'on a nommé à vie jusqu'à l'âge de 70 ans? Après cela il est mort, non pas physiquement, mais il est mort pour ses fonctions, il est mort pour ses concitoyens; ses talents, ses capacités, son expérience, tout cela est mort. La présomption le condamne. Et voilà le changement heureux qu'où aurait fait à la Constitution!

Non ! non ! gardons-nous de toucher facilement à ce que nous appelons, à ce que nous devons appeler, comme on l'a toujours fait, l'arche sainte de nos libertés. Nous agitons aujourd'hui, messieurs, un immense sujet. J’aurai, si l'assemblée veut bien le permettre, quelques autres observations à faire sur la question générale. En ce moment je me borne à ce qui a été spécialement soulevé. J'y réponds de conviction, messieurs, sans aucun esprit d'opposition systématique. Je dois l'avouer avec fierté, la pensée d'une opposition systématique est aussi loin de mon esprit qu'elle est loin de mou cœur, et je serais méprisable à mes yeux si je l'y laissais pénétrer.

(page 1198) M. de Luesemans. - Messieurs, j'ai demandé lu parole pour répondre quelques mots à la dernière partie du discours de l'honorable M. Lelièvre.

Et d'abord, je partage l'opinion des honorables orateurs qui ont soutenu que l'article 100 de la Constitution est tellement clair qu'il me semble impossible d'arriver à une interprétation d'après laquelle la législature se croirait autorisée à fixer un délai déterminé après lequel le juge devra nécessairement être mis à la retraite.

L'honorable M. Lelièvre a prétendu que l'interprétation que nous donnons à la loi conduirait à des conséquences absurdes, « Ainsi, par exemple, a dit l'honorable membre, lorsqu'un juge se trouverait dans l'impossibilité physique ou morale de continuer ses fonctions, il faudrait cependant, d'après l'opinion de mes contradicteurs, les lui continuer ; il faudrait le laisser sur son siège. »

Je réponds que, dans ce cas-là, la Constitution a prévu ce qu'il y avait à faire...

M. H. de Brouckere. - La loi de 1845!

M. de Luesemans. - J'y arriverai...

La Constitution a prévu ce qu'il y avait à faire. Le paragraphe premier de l'article 100 a dit que les juges sont nommés à vie. Je pense que ce paragraphe doit avoir pour conséquence ceci, que le juge conservera ses fonctions, aussi longtemps que durera sa vie (erratum, page 1211) physique, voilà la règle ; mais le deuxième paragraphe a dit qu'aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un jugement.

Eh bien, partant de la faculté établie par le paragraphe 2, la loi de 1845, dans le cas que prévoit l'honorable M. Lelièvre, autorise à solliciter un jugement, qui sera un jugement réel, car il serait rendu sur une contestation née de l'état moral ou physique du juge, tandis que le jugement, tel que le projet de loi a pour objet de le consacrer, devrait être rendu sur un objet qui n'est pas le moins du monde contestable, sur un acte de l'étal civil qui a une date certaine.

Puisque j'ai la parole, j'ajouterai que l'interprétation de M. le ministre de la justice et de l'honorable M. Lelièvre nous conduirait à une conséquence, je ne dirai pas absurde, mais qui pourrait devenir fatale.

Ainsi, par exemple, M. le ministre de la justice a déterminé l'âge de 70 ans; l'honorable M. Lelièvre veut le prolonger jusqu'à 75; mais pourquoi ne pas le fixera 50? Pourquoi pas 60? Vous pourriez donc déterminer un âge plus rapproché que celui auquel vous attribuez la présomption d’incapacité, et vus arriveriez à ce que M. le ministre de la justice a voulu interdire, c’est-à-dire une nomination à temps, tandis qu’il soutient que le paragraphe premier de l’article 100 est un obstacle à une nomination de ce genre. Ce serait là une conséquence fatale dont, dans des circonstances politiques données, on pourrait abuser. Or, entre cette conséquence et celle que l'honorable M. Lelièvre a prévue, mon choix ne peut être douteux. Je déclare que je voterai contre cette disposition du projet de loi ; par conséquent, j'opinerai pour le maintien du juge sur son siège, aussi longtemps qu'un jugement, conforme à ce que prescrit la Constitution, et formulé dans les termes de la loi de 1845, n'a pas établi qu'il se trouve dans l'impossibilité physique ou morale de continuer ses fonctions.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, les honorables préopinants qui ont combattu l'article 9 du projet, ont reconnu que nous avions pour nous l'esprit et les motifs de la loi.

C'est déjà beaucoup. .Mais avons-nous contre nous le texte, ainsi qu'ils le prétendent? Voilà sur quoi je ne puis partager leur opinion.

Mes honorables adversaires voient l'inamovibilité écrite dans le paragraphe premier de l'article 100 de la Constitution qui dit que « les juges sont nommés à vie. » Or, comme j'ai eu l'honneur de le faire observer à la chambre, en lui citant les textes précis des constitutions antérieures à celle de 1831, jamais ces mots « nommés à vie » n'ont impliqué l'idée de l'inamovibilité.

Il n'a été rien répondu à l'argument que j'ai tiré de l'article 186 de la loi fondamentale de 1815, d'après lequel les procureurs généraux et autres officiers ministériels près les cours et tribunaux étaient nommés à vie. Or, on n'a jamais prétendu que ces magistrats nommés à vie ne fussent pas en tout temps révocables au gré du gouvernement. Ce qui prouve que les mots « nommés à vie » n'impliquent pas par eux-mêmes l'idée de l'inamovibilité.

J'ai également eu l'honneur de faire observer qu'un juge peut être inamovible quoique nommé à temps. Il n'a été rien répondu encore à l'exemple que j'ai cité pour appuyer cet argument.

Je suis donc autorisé à ne voir le principe de l'inamovibilité écrit que dans le second paragraphe de l'article 100 de la Constitution. C'est là que le législateur constituant a voulu le placer ; mais par cela même que dans cet article il a autorisé la privation ou la suspension des fonctions judiciaires par un jugement dont il n'a déterminé ni la forme, ni le mode, il a nécessairement abandonné à la législature le soin de déterminer la forme et les conditions de ce jugement.

Je dis donc que le texte de la Constitution est mal interprété par nos honorables contradicteurs ; et que l'interprétation que nous lui donnons est la seule rationnelle, la seule qui soit en rapport avec le texte de l’article (page 1199) 186 de la loi fondamentale et des constitutions antérieures que j'ai citées, c'est au moins mon intime conviction ; et si, aux moyens que nous invoquons a l'appui de cette interprétation, nous ajoutons l'aveu de nos honorables adversaires que nous avons pour nous les motifs et l'esprit de la loi, et que la disposition de l'article 100 de la Constitution, entendue dans le sens qu'ils lui donnent, doit produire des effets regrettables, et qu'ils ne l'acceptent que comme résultant d'un texte rigoureux dont il faut bien subir les conséquences, je dis qu'un pareil aveu vient singulièrement fortifier l'opinion que nous soutenons ici.

L'honorable M. de Luesemans nous a fait une objection. De ce que vous fixez l'âge de 70 ou 75 ans pour l'admission des magistrats à la retraite forcée, vous pourriez donc, dit-il, fixer également l'âge de 50 ou de 60 ans? Sans doute, messieurs, et je pense que si l'intérêt général, l'intérêt public exigent dans certaines circonstances que la carrière du magistrat fût finie à l'âge de 50 ou 60 ans, il appartiendrait à la législature de lui assigner ce terme aussi bien que celui de 70 ou 75 ans. Je ne reconnais à cet égard aucune espèce de limite au pouvoir de la législature. De même, s'il était reconnu que le personnel de la magistrature est trop considérable, et que plusieurs sièges sont devenus inutiles, la législature aurait le pouvoir de supprimer ces sièges et d'admettre à la retraite les magistrats qui les occuperaient, sans que l'on puisse lui contester ce droit en invoquant le principe constitutionnel de l'inamovibilité.

(page 1204) M. Destriveaux. - Je regrette de me trouver encore en désaccord avec M. le ministre de la justice. En ce qui me concerne, j'ai été loin de reconnaître que M. le ministre de la justice et M. Lelièvre eussent pour leur système l'esprit de la loi fondamentale. J'ai dit qu'en présence d'un texte aussi clair, aussi formel, on ne pouvait pas, par une interprétation, chercher un esprit qui n'était pas manifeste par la lettre.

M. le ministre nous reproche d'avoir interprété la Constitution de 1831. Qui donc interprète, de celui qui prétend avoir trouvé l'esprit d’une disposition, ou de celui qui humblement se place en présence d'un texte qu'il trouve tellement clair qu'il exclut toute espèce de recherche d'esprit? Le texte le domine et il obéit. C'est parce que j'ai obéi au texte que je me suis élevé contre le projet de loi. J'ai dit : Il faut appliquer l’article de la Constitution dans toute son étendue parce qu'il est clair.

M. le ministre a cité la loi fondamentale de 1815, d'après laquelle certains magistrats, d'après l'opinion que nous défendons, auraient dû être considérés comme inamovibles et ne pouvaient pas l'être, car il s'agissait des membres du parquet.

Il me semble que les exemples ne sont pas des raisons péremptoires. Laissons la Constitution de 1815, à laquelle nous avons échappé en 1830, et prenons le texte de notre Constitution. L'article 100 porte : « Les juges sont nommés à vie ».

En présence d'un texte si clair, ai-je à rechercher un esprit qui ne se manifeste pas ? Les juges des tribunaux de commerce, dit M. le ministre, ne sont nommés que pour un terme et sont cependant inamovibles pendant ce terme. Les juges des tribunaux de commerce sont temporaires, prenons les termes dans leur valeur; pendant la durée de leurs fonctions ils ne peuvent pas être déplacés arbitrairement. Peut-on tirer une conséquence d'un fait qui se produit avec un caractère temporaire pour l'appliquer à une nomination à vie et prétendre que l'un entraine la même conséquence que l'autre? Il n'y a pas d'analogie; on ne peut pas établir de comparaison entre des juges temporaires et des juges nommés à vie.

Je persiste donc dans mon opinion malgré la grande sagacité que M. le ministre a apportée dans les objections qu'il m'a opposées, car je pense qu'il n'a pas prouvé que j'avais tort.

Maintenant, puisque j'ai la parole, si la chambre me le permet, je présenterai quelques considérations générales sur la législation qui nous est proposée.

Depuis quelque temps, la perturbation est jetée dans toutes les institutions judiciaires; on a fait un remaniement général de l'institution des juges de paix; on change les attributions, les juridictions, ou étend la compétence, etc. ; mais sont-ils si grands les inconvénients, les abus que présentait l'administration de la justice? Quel est donc le motif de tout ce mouvement? C'est l'économie.

Il importe que la magistrature soit honorée, environnée du respect de tous. Je ne suis pas très grand partisan du respect factice que demandent certaines institutions, quelquefois certains fonctionnaires; la magistrature par elle-même indépendamment des hommes qui l'exercent, commande un respect général. La hauteur à laquelle elle est placée, la gravité des intérêts qu'elle est appelée à protéger, à défendre, fait un devoir de l'entourer du respect de tous les citoyens. N'est-ce pas la mettre en quelque sorte en suspicion et gratuitement sous prétexte d'économie que de compter sans cesse avec elle, de lui demander la raison de ce qu'elle a fait et de ce qu'elle n'a pas fait, de calculer le nombre des causes qu'elle a examinées, des audiences qu'elle a tenues?

Peut-on chercher si dans ces causes et ces audiences qui ont occupé les hommes les plus savants et les plus consciencieux, leur conscience n'a pas été souvent agitée, quand de leur décision dépendait l'honneur ou la fortune entière de leurs concitoyens? Peut-on avec de l'or leur donner le prix de leur tranquillité perdue, de leur santé compromise? Peut-on les indemniser des inquiétudes prudentes et loyales qui viennent troubler jusqu'à leur sommeil?

Peut-on venir leur dire : Vous n'avez fait que cela : je vous supprime ou je vous diminue la rémunération, je la réduis à la proportion de votre travail. Je m'exagère peut-être le vice de cette situation, mais j'avoue que c'est avec regret que je vois la législature belge consentir à s'occuper de pareilles questions dans les temps où nous sommes. La Belgique est fière dans sa tranquillité, c'est le repos de la force; mais, qu'on y prenne garde! C'est en touchant constamment aux institutions les plus élevées, en abaissant la magistrature, qu'on habitue les citoyens à douter de tout, à ne s'attacher à rien, à n'aimer rien et à renoncer facilement aux garanties qui sont déposées dans nos institutions.

(page 1199) M. de Brouckere. - Je ne répondrai qu'un seul mot à l'honorable préopinant, c'est qu'il résulte de l'article premier de la loi, que les réductions de personnel dans les cours et tribunaux n'auront lieu qu'au fur et à mesure des vacances; de sorte qu'aucun magistrat n'est donc menacé de perdre sa place, et qu'aucun ne pourra même être changé de siège, sans son consentement préalable. Ainsi les magistrats ne peuvent rien voir d'inquiétant pour eux dans le projet que nous discutons.

Je répondrai maintenant un mot à M. le ministre de la justice qui est revenu sur un argument, qu'il avait déjà fait valoir et tiré de l'article 186 de la loi fondamentale des Pays-Bas. Cet article porte que non seulement les juges, mais les officiers du parquet seront nommés à vie; M. le ministre en tire cette conséquence que comme personne n'a jamais songé à prétendre que les officiers du parquet fussent inamovibles, sous l'empire de la loi fondamentale de 1815, les mots « nommés à vie » ne pouvaient pas être considérés comme l'équivalent d'inamovibles.

M. le ministre est dans l'erreur, il est évident que l'art. 186 de la loi fondamentale établissait l'inamovibilité des officiers du parquet, tout aussi bien que celle des juges ; mais je dois ajouter qu'en réalité cette disposition n'a jamais reçu d'exécution, parce que l'organisation judiciaire n'avait pas eu lieu avant 1830. C'était si bien ainsi qu'on entendait cet article 186, qu'un des membres les plus distingués du congrès, l'honorable M. Destouvelles, a présenté la même disposition à l'occasion du paragraphe premier de l'article 100 de la Constitution. Il voulait, à l'occasion de ce paragraphe, qui, comme je l'ai dit, consacre réellement l'inamovibilité, que la Constitution décidât non seulement l'inamovibilité des juges, mais aussi celle des officiers du ministère public, comme l'article 186 de la loi fondamentale de 1815. La proposition de M. Destouvelles a été rejetée par le congrès qui, par suite de ce rejet, a volé l'article 100 portant que « le Roi nomme et révoque les officiers du ministère public près des cours et des tribunaux. »

(page 1204) M. Destriveaux. - Je remercie l'honorable préopinant de m'avoir rappelé une observation qui m'avait échappé. Je sais bien que l'on ne supprime pas le juge. J'aurais voulu qu'en procédant par voie d'amortissement, on eût, à défaut de la magistrature, consulté l'expérience qui ne manque jamais à l'appel qu'on lui fait, et suspendant le remplacement des magistrats que la mort aurait frappés, on eût pu juger si le personnel pouvait être diminué sans inconvénient, ou si la dignité de la magistrature et les nécessités de l'administration de la justice devaient faire maintenir le nombre actuel.

Voilà ce que l'expérience aurait appris, ce qui aurait prévenu des discussions dont peut-être on regrettera le résultat plus tôt qu'on ne pense.

(page 1199) - La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

La chambre passe à l'article premier, ainsi conçu :

« Art. 1er. Le personnel de la cour de cassation, des cours d'appel et des tribunaux de Bruges, Mons, Arlon, Tongres, Anvers et Namur, est composé conformément au tableau annexé à la présente loi.

« Les réductions du personnel actuel, s'il y a lieu, seront opérées au fur et à mesure de la vacance des places. »

- Adopté par la section centrale, sauf les modifications du tableau auquel cet article renvoie, et auquel M. le ministre de la justice a présenté des amendements.

M. de Brouckere. - Je proposerai en mon nom personnel le paragraphe additionnel suivant :

* Le gouvernement est autorisé à conserver leur ancien traitement aux magistrats qui auront accepté ou qui accepteront une place moins rétribuée que celle qu'ils occupaient dans une cour ou dans un tribunal dont le personnel est réduit par la présente loi, ou l'a été par une loi antérieure. »

Je crois que cet amendement se justifie lui-même. Il peut arriver, je dirai même qu'il est déjà arrivé qu'un magistrat appartenant à un tribunal d'un ordre supérieur dont le personnel est réduit, se contente d'occuper une place analogue dans un tribunal d'une classe inférieure; il est juste alors qu'on laisse à ce magistrat qui consent à son déplacement le traitement dont il jouissait.

Ainsi, par une loi antérieure, nous avons diminué le personnel du tribunal d'Arlon de trois juges; par suite de cette réduction, un des juges de ce tribunal a consenti à être placé dans un tribunal d'un ordre inférieur. N'est-il pas juste que ce magistrat continue à jouir du traitement qu'il avait dans le tribunal qu'il a volontairement quitté, parce qu'il sentait que sa présence y était inutile, qu'il n'y rendait plus les services qu'il est à même de rendre?

Cela est de toute justice, et la disposition que je présente est toute dans l'intérêt du trésor.

M. Toussaint. - Messieurs, je prie M. le ministre de la justice de bien vouloir nous dire si, au moyen de la composition actuelle des tribunaux des chefs-lieux des ressorts d'appel, il y aura moyen de pourvoir au service des cours d'assises duquel nous venons de charger ces tribunaux par une loi récente.

Si le nombre des magistrats ne suffit pas, et suivant moi pour deux de ces tribunaux il ne suffira pas, n'y aurait-il pas lieu de saisir l'occasion du présent projet de loi pour le mettre en rapport avec les besoins du service.

Pour le tribunal de Bruxelles que je connais particulièrement, je suis intimement convaincu qu'il faudra augmenter le nombre des juges, pour que le tribunal puisse faire le service de la cour d'assises dont il va être chargé.

Actuellement, il y a à ce tribunal deux chambres civiles très occupées et qui doivent constamment siéger. Il y a en outre une chambre correctionnelle qui rend annuellement 4 à 5 mille jugements. Par suite de la loi sur la compétence correctionnelle, le nombre de ces affaires sera réduit peut-être de 5 mille à 3 mille ou 2,800. Mais encore, pour ce chiffre de 2,800 affaires, il est de toute nécessité qu'il y ait une chambre correctionnelle spéciale, et cette chambre sera la plus occupée du royaume.

Il serait donc impossible au tribunal de Bruxelles de se charger du service de la cour d'assises sans augmentation de personnel.

Je désirerais savoir de M. le ministre de la justice s'il n'y aurait pas moyen de pourvoir à cette nécessité dans la présente loi, pour ne pas jr revenir par une loi postérieure.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne pourrais affirmer que plus tard on ne reconnaîtra pas la nécessité d'augmenter d'un ou de deux juges le personnel des tribunaux dont a parlé l'honorable préopinant. Mais, pour le moment, il n'y a rien à faire à cet égard. Cette question doit être réservée. Les lois qui viennent d'être votées par la législature amèneront nécessairement un déplacement dans les affaires et réduiront le nombre des affaires correctionnelles portées devant les tribunaux de première instance.

Je pense donc que pendant un certain temps nous devons essayer de marcher avec le personnel actuel et que peut-être la nécessité d'augmenter ce personnel dans les deux sièges dont a parlé l'honorable membre ne se fera pas sentir, surtout en ayant recours aux juges suppléants qui existent dans tous les tribunaux de première instance. Ainsi, à Bruxelles, il y a 13 juges effectifs, dont 3 juges d'instruction et 10 juges qui sont répartis en trois chambres. Eh bien, deux juges de la chambre correctionnelle pourraient être attachés au service des assises, et pendant la durée des assises, ces juges seraient remplacés soit par des juges de la chambre civile qui ne siège pas le même jour, soit par des juges suppléants qui sont attachés en grand nombre au tribunal de Bruxelles, comme à tous les tribunaux de première instance.

Je crois donc qu'il n'y a rien à décider à cet égard et que nous devons attendre que ces lois, qui vont être mises à exécution, aient produit les résultats qu'on peut en attendre (résultats qui sont toujours plus ou moins incertains), avant de prendre une résolution sur la nécessité d'augmenter d'un ou de deux membres le personnel de quelques tribunaux de première instance. Dans tous les cas, si cette nécessité se révélait, elle entraînerait une dépense très peu considérable et qui ne pourrait être mise en balance avec l'économie importante qui résultera du projet actuel et qui ne s'élèvera pas à moins de 166,000 francs, tandis que la nomination de deux ou trois juges de première instance en plus n'entraînerait qu'une dépense de 10,000 à 12,000 fr.

M. Delfosse. - D'après le paragraphe 2 de l'article premier, les réductions du personnel doivent être exercées au fur et à mesure de la vacance des places.

Dans les autres administrations, où le principe de l'inamovibilité n'est pas établi, les réductions s'opèrent immédiatement par la mise en disponibilité des fonctionnaires qui excèdent le nombre fixé par la loi.

Je suppose que le principe de l'inamovibilité, qui protège les juges, est la seule raison qui empêche M. le ministre de la justice de nous demander l'autorisation d'en mettre un certain nombre en disponibilité, aux conditions admises pour les autres fonctionnaires.

Mais il peut y avoir des magistrats qui ne demanderaient pas mieux que d'être mis en disponibilité avec deux tiers de solde; je crois donc devoir soumettre à la chambre un amendement par lequel le gouvernement serait autorisé à les mettre en disponibilité sur leur demande.

Cette disposition ne présenterait pas le moindre inconvénient, puisque la mesure serait prise de commun accord, et il pourrait en résulter une économie.

- Un membre. - Aucun magistrat ne fera la demande.

M. Delfosse. - J'en connais un qui accepterait volontiers la position de disponibilité, avec deux tiers de solde ; il y en aura peut-être d'autres.

- Un membre. - Le magistrat mis en disponibilité pourra-t-il être replacé par le gouvernement?

M. Delfosse. - Sans doute. Le gouvernement a toujours le droit de faire cesser une mise en disponibilité; mais le magistral mis en disponibilité ne pourra pas être appelé à un autre siège, sans son consentement.

M. Dolez. - L'amendement de l'honorable M. Delfosse me paraît (page 1200) utile, mais il faut que le gouvernement puisse refuser la demande de mise en disponibilité.

M. Delfosse. - C'est ainsi que je l'entends; mon amendement porte : « le gouvernement pourra, etc. »

- La discussion sur l'article premier est close.

M. le président. - Avant de se prononcer sur l'article premier, la chambre doit voter le tableau annexé à la loi.

« Cour de cassation

« Premiers présidents: 1

« Présidents de chambre et vice-présidents : 1

« Conseillers : 15

« Procureurs généraux : 1

« Avocats généraux : 2

« Substituts : $. »

- Adopté.


« Cour d’appel de Bruxelles

« Premiers présidents et présidents : 1

« Présidents de chambre et vice-présidents : 2

« Conseillers: 18

« Procureurs généraux et procureurs du roi : 1

« Avocats généraux : 3

« Substituts : 2. »

- Adopté.


« Cour d’appel de Gand

« Premiers présidents et présidents : 1

« Présidents de chambre et vice-présidents : 1

« Conseillers: 11

« Procureurs généraux et procureurs du roi : 1

« Avocats généraux : 2

« Substituts : 2. »

- Adopté.


« Cour d’appel de Liége

« Premiers présidents et présidents : 1

« Présidents de chambre et vice-présidents : 1

« Conseillers: 13

« Procureurs généraux et procureurs du roi : 1

« Avocats généraux : 2

« Substituts : 2. »

- Adopté.


« Tribunal de première instance

« Présidents : 1

« Vice-présidents : 1

« Juges : 6

« Procureurs du roi : 1

« Substituts : 2. »

- Adopté.


« Tribunal de première instance de Bruges

« Présidents : 1

« Vice-présidents : 1

« Juges : 5

« Procureurs du roi : 1

« Substituts : 2. »

- Adopté.

M. de Brouckere. - La section centrale propose de laisser 6 juges au tribunal de Bruges, tandis que le gouvernement propose le chiffre de 5 juges.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je crois qu'à Bruges 7 juges, y compris le juge d'instruction, suffisent amplement à l'expédition des affaires. Le chiffre des affaires civiles est à Bruges fort peu considérable relativement à celui du tribunal de Mons, auquel on laisse le même personnel que la section centrale propose d'accorder au tribunal de Bruges. Si nous laissons au tribunal de Mons 8 juges, c'est afin' que, dans certaines circonstances, lorsqu'il y aura encombrement d'affaires, il puisse faire ce qu'il a déjà fait, diviser la première chambre, composée de 4 juges et de deux suppléants, en 2 sections pour pouvoir siéger la semaine entière. A Bruges au contraire, cela n'est nullement nécessaire.

On introduit à Mons, année commune, 471 affaires civiles, tandis qu'à Bruges on en introduit moins de la moitié ; or je pense que cette différence considérable entre le chiffre des affaires de ces deux sièges, justifie suffisamment la réduction d'un juge à Bruges; je maintiens donc à cet égard la proposition du gouvernement.

- La proposition du gouvernement est mise aux voix et adoptée.


« Tribunal de première instance de Anvers

« Présidents : 1

« Vice-présidents : 1

« Juges : 4

« Procureurs du roi : 1

« Substituts : 2. »

M. Veydt. - Messieurs, la chambre vient de fixer, pour Bruges, le nombre des juges à cinq. M. le ministre n'en propose que quatre pour Anvers.

Est-ce assez? La comparaison avec Bruges me laisse des doutes. Je prie M. le ministre de donner les motifs qui le portent à croire que le cours de la justice ne sera pas ralenti par la réduction plus forte du personnel des magistrats à Anvers. S'il pouvait en être ainsi, même éventuellement, l'économie ne devrait pas l'emporter.

La section centrale a été d'avis qu'il faut cinq juges à Anvers.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Cela résulte, en effet, messieurs, des statistiques judiciaires et surtout de ce que les affaires correctionnelles sont beaucoup plus nombreuses à Bruges qu'à Anvers, de même que les affaires criminelles. Il n'y a Anvers, en moyenne, que vingt-deux affaires portées devant les assises, tandis qu'à Bruges, il y en a cinquante-cinq. Il en résulte qu'à Bruges le juge d'instruction est à peu près constamment occupé de l'instruction des affaires criminelles. Mais à Anvers, il n'en est point de même : là le juge d'instruction peut consacrer une partie de son temps aux travaux ordinaires et se réunir quelquefois à ses collègues pour les audiences civiles ou correctionnelles.

D'un autre côté, je crois que nous devons, en Belgique, chercher à utiliser autant que possible les juges suppléants, non seulement dans un but d'économie, mais aussi, en quelque sorte, dans l'intérêt même de la magistrature : les juges suppléants peuvent être considérés comme la pépinière de la magistrature assise; c'est souvent parmi eux que l'on recrute les magistrats, et il importe de les employer le plus possible, afin de les habituer à la pratique des affaires judiciaires. J'ajouterai à cette occasion, et qu'en général, lorsqu'une place de juge suppléant est vacante dans un tribunal de première instance, il se présente pour l'obtenir beaucoup de jeunes avocats de talent et de capacité, parmi lesquels on ne peut faire que de bons choix. Je dis donc, messieurs, qu'au moyen des juges suppléants on pourra toujours, à Anvers, composer deux chambres, lorsque le juge d'instruction sera retenu par l'exercice de ses fonctions habituelles, et l'administration de la justice n'aura pas à en souffrir.

M. Loos. - Messieurs, d'après les statistiques, les affaires correctionnelles ont toujours été aussi importantes à Anvers qu'à Bruges; ce n'est que dans les dernières années que le chiffre de Bruges a été plus élevé, et cela s'explique parfaitement par la situation actuelle des Flandres.

Quant à ce que M. le ministre de la justice a dit des juges suppléants, je crois qu'on peut l'appliquer aussi bien à Bruges qu'à Anvers, à Mons aussi bien qu'à Bruges; en un mot, que c'est d'une application générale, et qu'on ne peut nullement l'appliquer d'une manière spéciale à Anvers. Partout ailleurs les suppléants pourraient être appelés à siéger plus souvent.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, comme j'ai eu l'honneur de le dire, la différence que nous établissons entre les tribunaux de Bruges et d'Anvers résulte de la différence entre le nombre des affaires correctionnelles et surtout des affaires auxquelles s'applique le Code pénal et que je distingue de celles qui tombent sous l'application de lois spéciales, parce qu'elles sont généralement plus importantes. Les affaires correctionnelles de la première catégorie s'élèvent, à Bruges, au chiffre moyen de 846 par an, tandis qu'à Anvers le nombre n'en est que de 594. Quant aux affaires d'assises, il y en a à Bruges 55 par année, en moyenne, et à Anvers, il n'y en a que 22, c'est-à-dire beaucoup moins que la moitié.

Voilà pourquoi le juge d'instruction à Anvers peut n'être pas constamment occupé de ses fonctions ordinaires et peut consacrer une partie de son temps aux affaires civiles ou correctionnelles. C'est le motif pour lequel nous croyons que six juges, y compris le juge d'instruction, suffisent pour former deux chambres permanentes, sauf à appeler un juge suppléant lorsque cela sera nécessaire.

M. Lebeau. - Messieurs, je viens d'entendre M. le ministre de la justice déclarer qu'il est utile d'encourager l'institution des juges suppléants. Je pense que ceci a besoin d'explications. Je voudrais savoir, par exemple, si M. le ministre pense que l'encouragement peut aller jusqu'à laisser siéger deux juges suppléants avec un juge titulaire, ce qui s'est déjà fait. Je crois que la législation n'est pas très claire à cet égard. On parait même douter du fait. Eh bien, il y a dans cette chambre d'anciens magistrats qui m'ont attesté, aujourd'hui même, avoir vu siéger un juge inamovible à côté de deux juges suppléants. Je sais bien que les juges suppléants sont indestituables, mais je demanderai s'ils présentent bien la garantie d'indépendance que l'on a voulu obtenir, par l'inamovibilité, des juges institués?

Je ne le pense pas ; on me dit que c'est en matière de répression que le fait s'est passé; raison de plus, puisqu'en matière correctionnelle, il s’agit de l'honneur, de la liberté des citoyens. Il est vrai, toutefois, que les délits politiques et de presse doivent être jugés par le jury et par les cours d'appel. Quoi qu'il en soit, je crois qu'en thèse générale, et ici il ne s'agit que d'hypothèses, je n'ai nulle application personnelle dans la pensée, on ne peut pas trouver la même garantie d'indépendance dans les juges suppléants que dans les juges institués.

Beaucoup de juges suppléants sont en quelque sorte les postulants naturels des sièges vacants de la magistrature, et il me suffit d'indiquer cette situation pour faire comprendre à la chambre l'inconvénient qu'il y aurait à généraliser le fait exceptionnel que j'ai cité tout à l'heure.

Je pense donc que, sous ce rapport, il faut accueillir avec certaine réserve les paroles de M. le ministre de la justice. Il est à remarquer que, dans les hautes sphères de la judicature, on n'admet pas l'institution des juges suppléants; c'est une sorte d'anomalie qu'on n'a introduite jusqu'ici que dans les tribunaux de première instance ; il n'y a en effet de suppléants ni à la cour de cassation ni aux cours d'appel. Je me demande que devient, en ce cas, la garantie d'inamovibilité pour laquelle tout à l'heure on professait un respect que je trouve jusqu'à un certain point exagéré.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, ce n'est point par une espèce d'anomalie qu'on a admis les juges suppléants près les tribunaux de première instance, et qu'on ne les a pas admis prè3 les cours d'appel.

Il est indispensable d'avoir des juges suppléants près les tribunaux de première instance, parce que le personnel de ces tribunaux n'est pas assez nombreux pour qu'on puisse se passer de ces magistrats supplémentaires.

Il n'en est pas de même des cours d'appel. Si un, deux ou trois membres d'une cour d'appel sont dans l'impossibilité de siéger, on appelle un, deux ou trois autres membres qui siègent à leur place.

La ressource de ces remplacements, par des collègues du même corps ne saurait, par exemple, exister pour les tribunaux de première instance composés de trois juges; j'ai occupé le siège du ministère public près d'un tribunal de cette catégorie. Je demande à l'honorable M. Lebeau ce que l'on aurait fait, s'il n'y avait pas eu de juges suppléants, alors qu’un des juges institués était empêché par un motif quelconque de siéger. En bien, le cas dont a parlé l'honorable M. Lebeau s'est présenté assez souvent dans le tribunal auquel je fais allusion ; il est arrivé plus d'une fois (page 1201) que deux des juges du tribunal, étant empêchés, par une maladie ou par une autre cause, de siéger, ils ont été remplacés par deux juges suppléants, et je dois déclarer que je n'ai jamais entendu s'élever des plaintes de ce chef.

M. Lebeau. - Messieurs, l’honorable préopinant n’a pas bien compris ma pensée ; il semblerait que j’ai demandé l’abolition de l’institution des juges suppléants ; je n’en ai pas dit un mot. J’ai dit, et je répète, que c'est une sorte d'anomalie dans notre régime judiciaire, et vous n'avez pour la justifier qu'un motif d'économie; c'est-à-dire que le personnel des tribunaux de première instance n'est pas assez nombreux pour se passer de suppléants. Si ce personnel était assez nombreux, il n'y aurait pas de raison pour établir l'institution des juges suppléants à ce degré de juridiction plutôt qu'à un autre.

Mais je fais la part de la nécessité; je n'ai pas demandé qu’on supprimât les juges suppléants; j'ai seulement exprimé une sorte de réserve à l'égard de quelques paroles de M. le ministre de la justice ; et j'ai appelé son attention sur ce fait que quelquefois on avait vu siéger un juge institué à côté de deux juges suppléants. Je ne pense pas que cela soit dans l'esprit de nos institutions judiciaires.

- La discussion est close.

La section centrale propose cinq juges et le gouvernement quatre pour le tribunal d'Anvers.

Le chiffre de la section centrale est mis aux voix et n'est pas adopté.

Le chiffre du gouvernement est ensuite mis aux voix et adopté.


« Tribunal de première instance de Namur

« Présidents : 1

« Vice-présidents : 1

« Juges : 4

« Procureurs du roi : 1

« Substituts : 2. » $ou suppléants ?

M. Lelièvre. - J'ai l'honneur de proposer de porter à 5 le nombre de juges pour le tribunal de Namur.

Vous venez, messieurs, de conserver le même nombre de juges au tribunal de Bruges. Cependant, en consultant le tableau dressé par M. le ministre de la justice, on se convaincra que le nombre des affaires civiles soumises au tribunal de Namur excède celui des causes de même nature expédiées par le tribunal de Bruges. Il est donc juste de maintenir à Namur un personnel égal à celui de ce dernier siège. Déjà notre tribunal a été, il y a quelques années, réduit de deux membres, et je ne conçois pas quelle considération peut motiver la nouvelle réduction dont on veut le frapper.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, il me semble que la décision qui vient d'être prise, relativement au personnel du tribunal d'Anvers, doit être suivie à plus forte raison, relativement au tribunal de Namur, parce que le chiffre des affaires portées devant ce tribunal est inférieur à celui qui est porté devant le tribunal d'Anvers. J'ajouterai que les affaires criminelles sont heureusement à Namur extrêmement rares ; il n'y a que 17 audiences d'assises en moyenne chaque année, de sorte que le juge d'instruction à Namur doit être très peu occupé. Dès lors, six juges, y compris le juge d'instruction qui pourra être remplacé, au besoin, par un suppléant, suffisent amplement pour que le tribunal de Namur, composé de deux chambres, pourvoie convenablement à tous les besoins de l'administration de la justice dans cet arrondissement.

M. Moncheur. - Messieurs, je dois faire remarquer que, bien que le nombre des affaires introduites devant le tribunal d'Anvers soit d'après les tableaux statistiques supérieur à celui des affaires qui sont introduites devant le tribunal de Namur, les affaires qui se traitent devant ce dernier tribunal doivent sans doute être d'une nature plus compliquée et plus graves que celles qui se traitent devant le tribunal d'Anvers ; car il résulte des mêmes tableaux que les audiences sont devant le tribunal de Namur au nombre de 116 pour le civil et de 125 pour le correctionnel, tandis qu'au tribunal d'Anvers ces audiences ne sont respectivement que de 93 et 96.

Messieurs, cela dépend peut-être de deux causes. On sait que la place d'Anvers est essentiellement commerciale et que la plupart des affaires importantes qui s'y traitent sont portés devant le tribunal de commerce. D'un autre côté la province de Namur étant essentiellement industrielle, les affaires y sont en général plus compliquées; cela explique le nombre plus considérable d'audiences que le tribunal de Namur doit consacrer à ces affaires. Ces réflexions détruisent celles présentées par M. le ministre; et il n'est pas exact de dire qu'on doit attribuer au tribunal de Namur un moins grand nombre de juges qu'à celui d'Anvers, puisque c'est le contraire qui résulte des tableaux statistiques qu'on nous a distribués et que la besogne est plus considérable au tribunal de Namur qu'à celui d'Anvers.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il est vrai, comme l'a fait remarquer l'honorable M. Moncheur, que le chiffre des audiences civiles et correctionnelles est plus élevé à Namur qu'à Anvers. Mais il serait difficile de tirer une conséquence de cette différence dans le nombre des audiences, car cela dépend d'abord de la durée des audiences et peut-être aussi de la longueur des plaidoiries.

Il y aurait inconséquence, après avoir donné six juges au tribunal d'Anvers, d'en donner sept au tribunal de Namur. Je pense que ce tribunal doit être réduit au personnel nécessaire pour composer deux chambres : une chambre civile et une chambre correctionnelle. En tenant le nombre d'audiences indiqué dans le tableau statistique, chacune des deux chambres du tribunal de Namur n'aura pas même encore trois audiences par semaine.

M. Lelièvre. - Je demanderai itérativement à M. le ministre à quel titre il ne conserve que quatre juges au tribunal de Namur, tandis qu’on vient d'en donner cinq au tribunal de Brimes ; cependant le tribunal de Bruges n'a jugé l'année dernière que 185 affaires civiles, tandis que le tribunal de Namur en a terminé 252. Le nombre d'audiences a également été plus considérable à Namur qu'à Bruges. M. le ministre attribue cette dernière circonstance à la longueur des plaidoiries; à cet égard la chambre a dans les discours que j'ai eu l’honneur de prononcer devant elle un échantillon du laconisme ordinaire de mes plaidoiries.

Il est nécessaire qu'à Namur les deux chambres soient complètes ; le juge d'instruction qui doit s'occuper des informations ne peut assister aux audiences civiles, il peut encore moins siéger aux audiences correctionnelles, et à cet égard je pense même que l'intervention de ce magistrat dans les affaires de cette nature, et que souvent il a lui-même instruites, présente de graves inconvénients. Il est donc nécessaire de maintenir le personnel actuel du tribunal de Namur.

Du reste, messieurs, je pense, comme l'honorable M. Lebeau, qu'en règle générale il ne convient pas d'appeler les juges suppléants des différents tribunaux au service ordinaire des audiences; ils ne présentent pas évidemment les mêmes garanties que les titulaires inamovibles. Leur opinion peut être influencée par des questions identiques qu'ils ont plaidées comme avocats.

Aussi ce n'est qu'exceptionnellement que la loi les a appelés à concourir à l'administration de la justice. C'est là, messieurs, un nouveau motif qui appuie mon amendement.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il n'y a aucune analogie entre le tribunal de Bruges et celui de Namur. Il est vrai que, sous le rapport des affaires civiles, le tribunal de Bruges a moins d'affaires que celui de Namur, mais c'est à cause du grand nombre d'affaires criminelles portées devant les assises de Bruges qu'il est nécessaire de conserver outre les six juges nécessaires pour former les deux chambres un juge d'instruction spécialement occupé de ce genre d'affaires.

Vous voyez par la statistique que 55 affaires criminelles sont portées devant la cour d'assises de Bruges, tandis que 17 seulement sont portées devant les assises de Namur; et encore la moitié viennent de l'arrondissement de Dinant, et l'instruction n'en est pas faite par le juge d'instruction de Namur ; celui-ci peut donc consacrer une partie de son temps aux affaires civiles et correctionnelles et siéger, avec ses collègues.

- L'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix. Il n'est pas adopté.

La proposition du gouvernement est adoptée.


M. le président. -Nous passons au tribunal d'Arlon :

« Tribunal de première instance d’Arlon

« Présidents : 1

« Juges : 3

« Procureurs du roi : 1

« Substituts : 1. »

- Adopté.


« Tribunal de première instance de Tongres

« Présidents : 1

« Juges :34

« Procureurs du roi : 1

« Substituts : 1. »

- Adopté.

Le tableau proposé par le gouvernement et le paragraphe premier de l’article 1er se trouvent adoptés.


« § 2. Les réductions du personnel actuel, s'il y a lieu, seront opérées au fur et à mesure de la vacance des places. »

- Adopté.

La disposition additionnelle proposée par M. Delfosse est mise aux voix et adoptée.

La disposition additionnelle, proposée par M. de Brouckere, est également adoptée.

L'ensemble de l'article premier, ainsi amendé, est adopté.

Articles 2 et 3

Les articles 2 et 3 deviennent sans objet.

Articles 4 à 6

« Art. 4. Le gouvernement, sur l'avis des cours d'appel, pourra fixer, pour chacune des chambres, tant de ces cours que des tribunaux de première instance, ainsi que pour les tribunaux de commerce et les justices de paix, le nombre et la durée des audiences. »

- Adopté.


« Art. 5. Lorsque, dans le cas prévu par l’article116 du Code de procédure civile, les juges continuent la cause à une des prochaines audiences pour prononcer le jugement, ils fixent le jour de cette prononciation, laquelle , doit avoir lieu dans le mois à partir de la clôture des débats ou du réquisitoire du ministère public; si la prononciation ne peut avoir lieu dans ce délai, il sera fait mention, au plumitif de l'audience, de la causé de retard. »

- Adopté.


« Art. 6. Dans le cas où des membres de l'une des chambres d'une cour ou d'un tribunal seront empêchés, le président pourra requérir l'assistance des membres de l'autre chambre.

- Adopté.

Article 7

« Art. 7. Le gouvernement pourra nommer un seul juge de paix pour deux cantons contigus.

« Cette nomination n'entraînera aucune augmentation du traitement fixe; elle donnera seulement droit aux émoluments.

« Le juge de paix résidera au chef-lieu de l'un des cantons : il ne pourra changer de résidence qu'avec l'autorisation du gouvernement.

« Les audiences en matière civile et de simple police seront tenues au chef-lieu de chaque canton. »

La section centrale a tenu cet article en suspens.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - La section centrale fait-elle une proposition quelconque? Combat-elle cette disposition?

M. H. de Brouckere. - Messieurs, vous voyez par le (page 1202) rapport de la section centrale qu'elle ne s'est pas prononcée sur cette question. La section centrale, en règle générale, veut qu'il y ait un juge de paix par canton ; ce qu'elle désire encore, et elle exprime formellement ce vœu, c'est que le juge de paix soit tenu de résider au chef-lieu du canton. Mais elle n'a pas méconnu que, dans certaines localités, dans des cas exceptionnels, il pouvait être utile et convenable de réunir deux cantons en un seul. Si elle ne s'est pas prononcée, c'est parce qu'elle aurait désiré que M. le ministre de la justice indiquât quels sont les cantons où il compte opérer cette réunion.

Elle a très bien compris, du reste, que cette indication pouvait présenter certaines difficultés. Je suis persuadé que M. le ministre de la justice expliquera quelles sont ces difficultés, dont je n'ai pas quant à moi de peine à me rendre compte.

En résumé la section centrale n'est pas opposée à ce que, dans certains cas exceptionnels, deux cantons puissent être réunis en un seul.

Seulement elle émet le vœu que le gouvernement n'use de cette faculté, si elle est accordée, que dans des cas rares, véritablement exceptionnels, et après s'être assuré que l'administration de la justice ne souffrira pas de cette réunion.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Comme le dit l'honorable M. de Brouckere, le gouvernement est bien décidé à n'user de cette faculté qu'avec la plus grande réserve, et quand l'administration de la justice cantonale n'aura aucunement à en souffrir. Mais il serait difficile, impossible même au gouvernement de déterminer quels seront les cantons où il y aura lieu de faire usage de cette faculté. Cela dépend d'une foule de circonstances aussi variables que multiples.

Il peut arriver qu'un canton où il n'y aura pas d'affaires puisse être convenablement réuni, pour l'administration de la justice, à un canton voisin, et cependant cela ne pourrait pas se réaliser, parce que, dans le canton voisin, il y aurait un juge de paix très âgé n'ayant pas assez d'activité pour desservir deux cantons

Le nombre d'affaires peut aussi varier suivant les circonstances. Enfin, alors même que le petit nombre d'affaires pourrait justifier la réunion, l'intérêt de la police judiciaire peut exiger parfois qu'un juge de paix soit maintenu dans chaque canton.

Toutes ces circonstances sont telles qu'il serait impossible de dire à l'avance, d'une manière précise, quels sont les cantons où le gouvernement pourrait user de cette faculté qu'il s'agit de lui conférer.

Tout ce que je puis dire, c'est que, d'après la statistique des affaires portées devant les juges de paix et des audiences que donnent ces magistrats, sur 200 justices de paix, il y en a environ 90 où les juges de paix n'ont pas assez d'affaires pour donner régulièrement une audience civile ou de simple police par semaine. Il est donc évident qu'en général ces magistrats sont trop peu occupés. Nous verrons si, avec les nouvelles attributions que les lois récemment votées leur ont conférées, leur besogne augmentera d'une manière sensible; quant à moi, je crois qu'il y aura beaucoup de cantons où cette augmentation sera peu importante, et où l'on pourra, non pas réunir deux cantons, comme le porte le projet, mais charger le juge de paix voisin de desservir provisoirement le canton contigu. Je proposerai donc, dans ce but, un changement de rédaction qui consiste à réunir les deux paragraphes de l'article en un seul en ces termes :

« Le gouvernement pourra, si les besoins du service le permettent, charger un juge de paix de desservir un canton contigu. Ce juge de paix n'aura droit de ce chef qu'aux émoluments. »

Je crois nécessaire de présenter cette rédaction, afin qu'il ne soit pas douteux que cette mesure pourra n'être que temporaire, c'est-à-dire que si le besoin s'en faisait sentir, le gouvernement pourra toujours nommer un juge de paix dans un canton momentanément desservi par le juge de paix du canton voisin. Avec la rédaction primitive, peut-être aurait-on pu soutenir que c'était impossible sans porter atteinte au principe de l'inamovibilité.

Or, telle n'est pas l'intention du gouvernement, et je ne crois pas non plus que ce soit l'intention de la chambre ; il faut que le gouvernement puisse toujours révoquer cette mesure et nommer un juge de paix dans un canton dont momentanément il aura confié le service à un juge de paix voisin.

M. Moncheur. - Lorsque les juges de paix avaient conservé leur véritable caractère, c'est-à-dire celui de la conciliation, la nomination d'un seul juge pour deux cantons aurait déjà présenté beaucoup d'inconvénients. Mais à présent qu'on a étendu, outre mesure, selon moi, la compétence des juges de paix, je ne crois pas que l'on puisse faire desservir deux cantons par un seul magistrat. En effet, il est évident que les juges de paix qui sont compétents aujourd'hui pour juger une quantité de délits que l'on a fait rentrer dans la classe des contraventions, ne doivent pas être des magistrats ambulants , allant sans cesse d'un canon dans un autre, et par conséquent toujours éloignés de leurs justiciables.

Vous avez, messieurs, par une loi précédente, mis dans la compétence des juges de paix tous les délits ruraux, les délits de mendicité et de vagabondage, les injures, etc.; vous avez donc augmenté considérablement cette compétence. Dès lors les juges de paix devront évidemment se trouver constamment au lieu de leur siège, c'est-à-dire au chef-lieu du canton.

En effet, lorsque, par exemple, des mendiants seront amenés à la justice de paix pour y être jugés, et que l'officier du ministère public requerra audience pour le lendemain, à cet effet, il faut que le juge puisse satisfaire à ce réquisitoire, car vous savez d'ailleurs que rarement il y a près les justices de paix des prisons convenables pour tenir des prévenus en détention préventive. Or si le juge est requis en même temps dans deux cantons différents de fixer audience, comment voulez-vous qu'il puisse y satisfaire? Il ne peut se partager, il résultera donc de là de graves inconvénients.

J'avais demandé la parole pour réclamer de M. le ministre de la justice les renseignements que la section centrale avait déjà désiré obtenir de lui, à savoir, dans quels cantons celle mesure pourrait être appliquée. Je croyais que M. le ministre de la justice avait à cet égard des données certaines et pourrait nous en faire part, mais je vois que cette question reste dans le vague.

M. le ministre nous promet (et je prends acte de cette promesse), qu'il n'usera de la faculté que l'article 7 tend à lui donner, que dans des cas excessivement rares.

Mais j'avoue que je ne crois pas qu'il puisse arriver que le ministre de la justice puisse jamais en faire usage, surtout en présence de la loi sur la compétence des juges de paix en matière correctionnelle, sans compter un autre projet de loi que M. le ministre a présenté naguère à la chambre et qui augmenterait encore d'une manière excessive la compétence des juges de paix tant en matière civile qu'en matière commerciale.

Sans donc vouloir m'opposer à l'adoption de cet article, je crois qu'il sera une lettre morte dans la loi et que jamais il ne sera question d'en faire usage.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ai pas dit que le gouvernement n'userait de cette faculté que dans des cas exclusivement rares. Mais j'ai dit qu'il n'en userait qu'avec beaucoup de réserve. En effet, messieurs, le gouvernement pèsera toutes les circonstances qui pourront justifier cette mesure ; il s'entourera des avis de la magistrature locale et des parquets des cours d'appel, et ce ne sera qu'après s'être éclairé de toutes les manières qu'il se décidera à prendre une mesure de cette espèce.

J'ai dit tout à l'heure qu'il y avait 80 ou 90 cantons dans lesquels le juge de paix n'a pas même une audience par semaine. Je veux dire par là que toutes les justices de paix qui sont dans ce cas pourraient être utilement desservies par des juges de paix des cantons voisins. Mais n'y eût-il que 30 ou 40 cantons auxquels la mesure pût être appliquée, que déjà il en résulterait une économie de 06,000 à 80,000 francs; et certes une semblable économie, lorsqu'on peut la réaliser sans entraver en rien l'administration de la justice, ni la police judiciaire, n'est pas à dédaigner.

Il résulte des tableaux statistiques que j'ai sous les yeux, et que je n'ai pas cru devoir faire imprimer parce qu'ils sont assez volumineux, qu'il y a des cantons de justice de paix, où chaque année, malgré l'extension de compétence résultant de la loi de 1841, le juge de paix suffit à la besogne, en tenant 15 ou 20 audiences pendant toute l'année. La nouvelle loi de compétence dont a parlé l'honorable membre ne viendra pas augmenter considérablement la besogne de ces juges de paix; leurs cantons fourniront très peu sous ce rapport. Voilà donc des cantons qui, lorsque des places viendront à vaquer, pourront être réunis sans inconvénient à l'un ou l'autre des cantons voisins.

Je crois, messieurs, que l'on s'exagère la portée des lois qui viennent d'être votées quant à l'extension de compétence des juges de paix. L'augmentation des affaires sera assez considérable dans quelques grandes villes, mais dans les cantons ruraux, elle sera très peu importante.

Quant aux mendiants qui pourraient être amenés devant les juges de paix, dans presque toutes les justices de paix, il y a deux suppléants qui pourront, au besoin, remplacer le juge, lorsqu'il ne s'agira que de prononcer sur un délit de mendicité.

M. Moncheur. - Je ne répondrai qu'une chose à M. le ministre de la justice, c'est que ce ne sont pas toujours les juges de paix qui jugent le plus d'affaires, qui travaillent le plus; mais bien ceux qui empêchent le plus de procès par la conciliation.

Il ne faut donc pas déterminer la besogne que font les juges de paix par le nombre d'audiences qu'ils donnent.

M. Toussaint. - Messieurs, si la section centrale a tenu l'article en réserve, c'est qu'elle a compris que réellement il y avait bon nombre de cas où la réunion de deux cantons est possible. En effet, il y a bon nombre de cantons qui ont un chef-lieu commun. Or, dans ces cas, lorsque le juge de paix se trouve au centre de deux cantons, la réunion est extrêmement facile. Elle sera même avantageuse à la justice. Car plus le juge de paix sera appliqué, plus il s'adonnera à la jurisprudence et aux affaires.

Il suffit, messieurs, qu'il y ait quelques cas où la réunion puisse être utile pour que l'article soit admis. Je prends acte de la promesse qu'a faite M. le ministre de la justice de n'user de cette faculté qu'avec une extrême réserve. La section centrale n'a pas pensé que le gouvernement réunirait facilement des cantons dont les chefs-lieux seraient éloignés et qu'il pût résulter de l'usage qui serai; fait de la mesure des inconvénient pour le service.

- La discussion est close.

La rédaction proposée par M. le ministre de la justice en remplacement des deux premiers paragraphes de l'article est adoptée.

L'article ainsi modifié est adopté.

Ordre des travaux de la chambre

M. Lebeau (pour une motion d’ordre). - Messieurs, quelques sections n'ont pas encore terminé l'examen des budgets. Dana la section à laquelle j'appartiens, cet examen est très avancé.

Si l'on maintient la décision de la chambre qui veut que les sections s'occupent demain du projet de loi sur l'enseignement supérieur, il faudra suspendre l'examen des budgets.

Je demanderai si l'on ne jugerait pas convenable de différer d’un ou de deux jours l'examen du projet de loi sur l'enseignement supérieur.

M. le président. - Les sections ont aussi à s'occuper du projet de loi allouant 2 millions au département de l'intérieur. La chambre a décidé que les sections s'occuperaient demain de la loi sur l'enseignement supérieur, mais peut-être ne verra-t-elle pas d'inconvénient à différer l'examen de cette loi d'un jour ou deux.

Ainsi demain on continuerait à s'occuper des budgets, puis du projet de loi relatif au crédit de deux millions ; viendrait ensuite la loi sur l'instruction.

M. Delfosse. - Il faut qu'un jour soit fixe dès à présent pour la loi sur l'instruction, afin que tout le monde soit prévenu et puisse prendre part à l'examen de cette loi.

M. le président. - Veut-on décider qu'on s'occupera vendredi prochain du projet de loi sur l'instruction?

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - Demain et après-demain, on s'occupera des budgets, puis du crédit demandé par M. le ministre de l'intérieur.

- La séance est levée à 4 heures et demie.