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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 5 mai 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)

Appel nominal

(page 1281) M. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

Lecture du procès-verbal

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, dans la séance du 27 avril, MM. les ministres de la justice et des finances ont présenté à la chambre un projet de loi ayant pour objet d'obtenir un crédit supplémentaire de 800,000 francs au département de la justice, crédit devant servir à la fabrication de toiles pour l'exportation.

La chambre a renvoyé ce projet à la section centrale chargée de l'examen du budget de la justice. Cette section centrale s'est réunie aujourd'hui et après avoir terminé l'examen du budget, elle s'est occupée de ce projet ; mais elle a trouvé qu'il entrait plutôt dans les attributions de la commission permanente du commerce et de l'industrie et elle m'a chargé de prier la chambre de vouloir bien ordonner le renvoi du projet à cette commission.

-- Ce renvoi est ordonné.

M. H. de Brouckere. - Je prierai le bureau de vouloir bien inviter la commission à se réunir le plus tôt possible, car le projet qui vient de lui être envoyé est urgent.

Propositions de loi relatives au droit sur les sucres

Discussion générale

M. Dechamps. - Messieurs, je suis l'un des auteurs de la loi de 1846, ou pour me servir d'une expression plus conforme à la pensée des adversaires de cette loi, je suis l'un des coupables de cette loi. J'ai eu l'honneur de siéger au banc ministériel avec l'honorable M. Malou qui a présenté cette loi dont j'ai défendu à côté de lui, le système et les principes. Dans l'absence regrettable de ce collègue, je crois de mon devoir de défendre cette loi si attaquée et j'ajoute, si injustement attaquée.

On a dit que les auteurs de la loi de 1846 s'étaient trompés dans leurs prévisions. Messieurs, personne ne peut prétendre à l'infaillibilité ; moins encore dans la question des sucres qu'en toute autre matière ; chacun s'est plus ou moins gravement trompé dans l'appréciation des résultats éventuels de l'une ou l'autre des législations qui ont été adoptées.

Mais voyons s'il est vrai que nous nous soyons autant trompés dans nos prévisions, examinons si l'expérience a parlé contre les adversaires de la loi ou contre ceux qui l'ont défendue.

Quelles ont été nos prévisions en 1846? Nous avions voulu, on l'a dit bien des fois, atteindre un triple but : un but commercial, un but industriel et un but financier.

Le but commercial, c'était de développer le mouvement maritime, le mouvement général du commerce national, d'augmenter l'importation de sucres exotiques, en même temps que l'exportation des sucres raffinés et de donner ainsi un aliment à la navigation du pays et aux expéditions de nos produits industriels.

Le but industriel, c'était d'établir la coexistence des deux industries, coexistence sérieuse et efficace.

Le but financier était d'assurer au trésor une recette de 3 millions.

Reprenons chacun des points que je viens d'indiquer.

La coexistence des deux industries était niée en 1846; elle était niée des deux côtés, mais surtout par les défenseurs du sucre indigène.

On regardait cette coexistence comme impossible à réaliser, et l'antagonisme entre ces deux sucres comme une situation permanente.

Eh bien, l'honorable M. Cools l'a reconnue, la loi de 1846 a exercé une heureuse influence sur la fabrication de deux sucres. La coexistence existe. Pendant que le mouvement commercial doublait, qu'il était porté de 24 à 40 millions; pendant que l'exportation triplait, qu'elle s'élevait de 4 à 10 millions; pendant que le transit doublait, de 7 à 15 millions, le sucre indigène voyait, de son côté, doubler sa protection. Ainsi la coexistence a été établie par la loi de 1846 ; et ce résultat inespéré n'avait été atteint par aucune des législations antérieures.

L'accord, dont on a parlé dans la discussion actuelle et que bien à fort selon moi, l'on a blâmé, cet accord entre les fabricants des deux sucres pour demander le maintien des principes de la loi de 1846, prouve bien que cette coexistence est devenue sérieuse.

Messieurs, nous avons soutenu, en 1846, que les prix des sucres qui avaient subi une déplorable dépréciation par suite des effets de la loi de 1843, que ces prix, dis-je, se relèveraient. Nous avons prétendu que la prime de mévente, qui s'était élevée jusqu'à 60 et même 64 p. c., disparaîtrait : les prix se sont relevés et la prime de mévente a disparu dès le lendemain de la mise à exécution de la loi.

Nous avons soutenu, au grand scandale des adversaires de la loi, que la question du rendement, cette vieille querelle entre les deux sucres, n'était pas une question posée entre les deux industries ; que le sucre indigène exporterait, à l'aide de l'égalité de la décharge, aussi bien que le sucre exotique.

Les résultats nous ont donné raison. Les deux tiers de la fabrication de sucre indigène ont été exportés.

Vous le voyez donc, messieurs, sur ce point encore ce sont les adversaires de la loi qui se sont trompés.

Relativement au commerce maritime, on a cité déjà des chiffres bien concluants.

En 1846, sur 56 navires, venant de la Havane, 47 étaient étrangers, neuf étaient belges. En 1847, lorsque la loi avait pu exercer son influence, sur 72 navires arrivant de la Havane, 48 étaient étrangers, 24, c'est-à-dire la moitié, étaient belges, et le tonnage de la navigation belge était doublé.

Ainsi, messieurs, au point de vue des résultats industriels et des résultats commerciaux, toutes nos prévisions se sont vérifiées; c'est contre les adversaires de la loi que les faits ont prononcé.

Comparez ces résultats à ceux qu'a produits la législation de 1843 pour laquelle ceux dont je combats l'opinion avaient une prédilection marquée: Elle avait amené une grande souffrance dans les deux industries, qui toutes deux périclitaient; l'intérêt commercial et industriel avait été compromis, et l'intérêt financier n'avait pas été sauvegardé, puisque la recette moyenne ne s'était élevée qu'a la somme de 2,400,000 fr. Ainsi la loi de 1843 qu'on voulait conserver en faisant aux industries une situation désastreuse, n'avait produit au point de vue du trésor que des résultats moins favorables que ceux de la loi qu'on veut renverser.

On va nous dire : Oui, vos prévisions se sont réalisées au point de vue commercial et industriel, mais c'est au dépens du trésor public. Voyons si l'intérêt financier a été aussi positivement sacrifié par la loi de 1846, qu'on veut le prétendre.

Nous avions voulu que la loi produisît une recette de 3 millions de francs. Examinons les résultats financiers de la loi en 1847, 1848 et 1849.

En 1847, il est vrai, la loi n'a produit qu'une recette de 1,400,000 fr. Les adversaires de la loi, il faut le reconnaître, ont habilement choisi le moment où ce déficit était constaté, pour attaquer la loi à laquelle ils attribuèrent ce déficit. Eu 1848, la recette a atteint 3,059,000 fr. M. Cools prétend que cette recette est due à des payements faits par anticipation. Nous examinerons tout à l’heure quelle est la valeur de cette assertion et quelle sera la recette probable de 1849. Mais revenons à l'exercice 1846-1847.

Est-il bien vrai que si la recette de 1847 ne s'est élevée qu'à 1,400,000 fr., ce déficit doive être attribuée à la loi de 1846? Messieurs, rien de plus facile que de démontrer clairement à la chambre que la loi de 1846 est complétement étrangère à ce déficit. Il y a trois causes de ce déficit.

La première cause, c'est la suspension même de la loi de 1846; c'est la suspension de cette loi, précisément dans les deux garanties qui y étaient écrites pour assurer la recette de 3 millions de francs, c'est-à-dire dans l'élévation graduelle du rendement et dans le contrôle rigoureux relativement à la fabrication des betteraves. Cette suspension, c'est-à-dire la loi du 16 mai 1847.

M. Mercier. - Pourquoi l'avez-vous votée?

M. Dechamps. - Parce que les circonstances l'exigeaient : La crise alimentaire et industrielle sévissait; il y avait en Angleterre des opérations colossales en sucre contre lesquelles il fallait se prémunir.

La loi a donc été suspendue dans la double garantie qu'elle renfermait pour empêcher une diminution dans les recettes que la loi devait produire.

C'est parce que ces garanties existaient, que le gouvernement déclarait que la recette de 3 millions lui paraissait assurée. Il savait aussi bien que personne que lorsque les moyens de fabrication se perfectionneraient, que lorsque le commerce d'exportation prendrait plus de développement, les recettes diminueraient. Mais il avait le remède en main pour éviter ce résultat, c'était l'élévation graduelle du rendement et les mesures de contrôle à l'égard de la fabrication des betteraves pour empêcher ce qu'on a appelé la protection de fait.

Ces garanties ayant été suspendues par la loi du 16 mai 1847, le déficit dans les recettes ne pouvait pas être évité; mais il est souverainement injuste d'attribuer le déficit à la loi, lorsqu'il ne provient que de l'inexécution même de cette loi.

La deuxième cause du déficit de 1847, c'est qu’il y avait dans la consommation, quand la loi de 1846 a été mise à exécution, une quantité assez considérable de sucre fin provenant des exercices écoulés. Chacun (1282) sait que la loi de 1843, par le système de la retenue des dixièmes, avait produit un encombrement sur le marché intérieur ; il en est résulté, et personne ne niera ce fait, qu'il y avait un trop plein qui a pesé sur les exercices suivants.

La troisième cause, messieurs, c'est la diminution de la consommation elle-même, et en ceci je suis d'accord avec l'honorable M. Mercier, qui a dit avec raison que, malgré tous les chiffres officiels, il est impossible de nier qu'en 1846 et en 1847, la consommation du sucre a du diminuer sous le coup de la crise alimentaire qui a frappé sur cet objet d'accises, comme elle a frappé sur tous les autres, sur le genièvre, la bière, etc., et à plus forte raison, puisque le sucre est une denrée de luxe.

Je le demande à tous les membres de la chambre, et il ne faut pas, pour cela, se livrer à des calculs de difficile appréciation, une diminution dans la recette ne devait-elle pas nécessairement avoir lieu, lorsque la loi de 1846 était suspendue dans les garanties essentielles qui devaient en assurer le résultat financier; lorsqu'un trop plein de l'exercice écoulé pesait sur l'exercice courant; lorsque, d'un autre côté, une diminution plus ou moins notable de la consommation intérieure a dû résulter de la crise alimentaire et industrielle ? J'affirme que ce déficit aurait été créé sous toute autre législation possible.

Examinons maintenant les effets de la loi sur l'année 1848.

Il faut d'abord se rappeler que les mêmes causes, dont je viens de parler, ont agi jusqu'à un certain point sur l'année 1848. Malgré cela, les recettes se sont élevées au chiffre de 3,059,000 fr. Mais, a dit l'honorable M. Cools, cette recette de 3,059,000 fr. a été obtenue d'une manière factice : il a été opéré en juin 1848 des payements anticipés. D'abord, messieurs, je ne puis pas admettre l'exactitude de cette expression. On accordait aux raffineurs un crédit de six mois; ce crédit était trop long, on l'a reconnu, et la durée en sera abrégée, mais enfin ce crédit de six mois était accordé; on ne peut pas dire qu'il y a payement par anticipation, lorsque le raffineur, qui a intérêt à conserver son capital jusqu'au dernier jour, ne paye qu'à l'échéance même du terme de crédit. C'est un payement tardif, ce n'est pas une anticipation.

Mais je veux me placer au point de vue de l'honorable M. Cools, je suppose un moment qu'il y ait eu, en juin, anticipation véritable de payement. L'honorable M. Cools prétend que, sans ces payements anticipés, les recettes de 1848 ne se seraient pas élevées au-dessus de celles de 1847, c'est-à-dire au-dessus de 1,400,000 francs. Ainsi, les payements anticipés auraient dû correspondre, suivant l'honorable membre, à une somme de 1,600,000 francs. Eh bien, messieurs, j'ai sous les yeux le tableau qui a été dressé au département des finances, des recettes mensuelles opérées depuis le 1er juillet 1847 jusqu'au 1er juillet 1848, et voici le résumé de ces tableaux :

Les recettes ont suivi un mouvement normal, et surtout depuis le mois de janvier 1848. La moyenne des cinq premiers mois a été de 256,237 francs; en juin la recette a produit 851,700 francs.

La différence constituerait ces versements par anticipation présumée; or cette différence n'est que de 594,000 francs. Ainsi donc la loi, au point de vue même où s'est placé l'honorable M. Cools, aurait produit, sans cette anticipation, 2,500,000 francs, et cela malgré les causes de déficit que les circonstances avaient créées.

Ainsi, il me paraît établi qu'en 1847 c'est à une toute autre cause que la loi elle-même qu'il faut attribuer le déficit; et qu'en 1848, la recette de 3,059,000 francs a été opérée d'une manière naturelle et non factice.

Et la preuve, c'est que s'il y avait eu anticipation, comme le pense l'honorable M. Cools, la recette du trésor, les mois suivants, aurait été nulle; or, de juin à décembre, la recette a été d'un million de francs.

Mais la recette en 1849, ne s'est élevée, dit-on, jusqu'ici, qu'à la somme de 1,400,000 francs; on en conclut que le trésor aura reçu à peine 2,000,000 au 1er juillet.

Pour moi, je suis convaincu que la recette de trois millions est acquise au trésor pour 1849; je suis persuadé que M. le ministre des finances est complètement rassuré à cet égard.

Et en effet, je viens de dire que les raffineurs, à cause des longs termes de crédit, ont intérêt à utiliser leur capital jusqu'au dernier jour. C'est ce qu'ils ont fait, surtout sous le coup de la menace des projets de révision de la loi.

Mais il y a, au moment où je parle, pour 3 1/2 millions de francs de prises en charge qui représentent environ 6 millions de kilog. de sucres fins. Or, pour peu que l'on soit initié aux faits relatifs à la fabrication du sucre, on sera convaincu que ces 3 1/2 millions de prises en charge ne peuvent avoir leur représentation en sucres dans la fabrication. Il est matériellement impossible qu'il y ait dans la fabrication pour plus d'un million et demi de francs; j'ai consulté des intéressés qui trouvent ce chiffre exagéré.

Il en résulte que de ces 3 1/2 millions de prises en charge, le trésor recevra environ 2 millions de francs. Si vous y ajoutez les 140,000 fr., recette déjà opérée, vous pouvez être certains que la recette de 3 millions sera complétée le 1er juillet 1849.

Le gouvernement a présenté un système qui conserve les bases de la loi de 1846 ; il modifie cette loi sous trois points de vue ; il veut atteindre une recette de 3,200,000 fr.; il rapproche les termes de crédit, et il admet un rendement indéfini.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eventuellement. Ce n'est pas un but, c'est un moyen, une menace, pour assurer la recette.

M. Dechamps. - Je le comprends; mais il vous sera impossible de réaliser cette menace, au-delà du taux du rendement hollandais,, sans compromettre les résultats que vous voulez atteindre. Je reviendrai tout à l'heure sur ce point.

Je désire présenter à la chambre un calcul d'une vérification facile qui démontre que le chiffre de 3,200,000 fr. sera obtenu.

Je prends les chiffres réels de 1847 : La mise en fabrication en sucre de betterave et de canne, en 1847, a été de 22,600,000 kilogrammes; à 40 fr. pour le sucre indigène et 48 fr. pour le sucre de canne, cela donne 18,480,000 fr.; déduisez l'exportation de 10 millions de kilogrammes à 70 fr. au lieu de 68, c'est-à-dire 7 millions de francs ; il reste pour le trésor public un produit net de 3,480,000 fr.

Vous voyez qu'une marge suffisante est laissée pour l’exportation des cassonades et des sirops.

Quant au rendement, je suis partisan d'un rendement élevé, le plus élevé possible, parce que je suis partisan d'un grand mouvement commercial et du perfectionnement des procédés de fabrication qu'un rendement élevé provoque.

Mais nous avons une limite qui nous est imposée ; c’est la limite du rendement hollandais. Tous les chiffres viendront échouer devant cette considération que si vous élevez le rendement au-dessus du rendement hollandais toute exportation doit cesser.

L'honorable M. Cools s'est emparé d'une contradiction dans laquelle M. le ministre des finances est tombé pour défendre son projet.

M. le ministre a démontré quelle importance nous devions attacher au commerce des sucres, au point de vue de notre commerce, de notre navigation et de nos exportations industrielles; il nous a prouvé qu'il ne fallait pas sacrifier légèrement un tel intérêt.

Or, il est clair que cet intérêt on le sacrifie, si on élève le rendement indéfiniment, s'il dépasse dans une certaine proportion le rendement hollandais.

M. Cools s'est armé de cette contradiction, pour prétendre que son projet n'entravera pas le commerce du sucre plus que ne le fait le système du ministère qui repose, comme le sien, sur le principe du rendement indéfini; mais à mes yeux cela ne justifie aucunement les appréciations de l'honorable M. Cools.

M. le ministre vient, du reste, de vous le dire; il regarde ce rendement indéfini comme une menace suspendue sur les fabricants pour assurer la recette. Mais pourquoi l'écrire dans la loi, si on est décidé à ne pas la réaliser?

Ce que je conseille au gouvernement, c'est de négocier avec la Hollande pour amener l'abolition complète du système des primes.

Je suis de l'avis de l'honorable M. Mercier ; je crois que la Hollande a le même intérêt que nous à renoncer au système de 1822. L'intérêt du trésor hollandais, comme celui du trésor belge, y est engagé ; les raffineurs hollandais peuvent, sans inconvénient, renoncer aux primes le jour où les raffineurs belges y renonceront.

M. Mercier nous conseille de commencer et de donner l'exemple ; c'est aussi le conseil que donnent les partisans du « free trade », el que personne ne suit. Si nous donnions l'exemple de l'abolition du système des primes pour les sucres, ce serait une raison pour qu'on ne le suivît pas en Hollande, car la Hollande, débarrassée de notre concurrence, verrait se développer son commerce de sucre, et se garderait bien de faire revivre cette concurrence belge qu'on aurait écartée pour longtemps. Elle sacrifierait l'intérêt de son trésor à ce résultat commercial.

- Un membre. - Elle ne consentira pas à ne rien recevoir.

M. Dechamps. - Elle ne recevrait rien comme aujourd'hui.

M. Mercier. - Elle reçoit quelque chose.

M. Dechamps. - Peu de chose. J'ai prononcé le mot de prime: on a singulièrement exagéré l'importance de cette prime. La prime c'est la protection pour l'industrie des sucres, comme le droit de douane est la protection des autres industries. Celte protection dans l'un comme dans l'autre cas est payée par le consommateur.

Je ne vais pas jusqu'à prétendre que le prix en consommation s'élève de toute la valeur du droit protecteur de douane; la concurrence intérieure modifie cet effet; mais il est certain que le droit de douane, comme la prime des sucres, pèse sur le consommateur de la même manière.

D'après M. le ministre des finances, une loi de consommation ne pourrait pas produire au-delà de 4 millions de francs. L'honorable M. Mercier croit, à tort selon moi, pouvoir atteindre 5 millions. En prenant pour base le chiffre de M. le ministre des finances, la prime du sucre mise à la charge du consommateur ne serait que de 400,000 à 500,000 francs.

Or, je le demande, quelle est l'industrie, en Belgique, qui ne jouit pas d'une prime, d'une protection plus élevée? Pour l’industrie cotonnière, on a calculé que la protection équivalait à 5 millions de francs. C'est une exagération; mais je suis convaincu que le consommateur paye à l'industrie cotonnière, comme aux autres grandes industries protégées, une prime plus élevée que celle établie par notre législation sur les sucres.

Messieurs, je le déclare franchement, si je n'étais pas préoccupé avant tout de la question commerciale qui domine ce débat, je donnerais, la préférence au projet de M. Mercier. C'est une loi de consommation qui doit produire, non ce que son auteur en attend, mais un résultat financier d'une certaine importance. Si j'avais, comme l'honorable membre, la conviction que la question commerciale est secondaire, je voterais avec empressement pour son projet, qui nous dispenserait de recourir à de nouveaux impôts.

Le projet de M. Mercier vaut miens que celui de M. Cools, qui n'est qu'une transaction inefficace qui produira, au même degré que le projet de M. Mercier, la ruine du commerce des sucres, sans donner une recette aussi élevée.

Quand M. le ministre des finances a apprécié les résultats probables du système de M. Mercier, il a adopté peut-être un chiffre de consommation trop faible, mais il a fait, sous un autre rapport, une concession que je regarde comme beaucoup trop large; il a admis que le sucre de canne fournirait encore la moitié de la consommation. Il me paraît qu'avec une loi de consommation comme celle que présente M. Mercier, le commerce des sucres exotiques est complètement supprimé.

La raison en est simple : le prix des sucres exotiques est extrêmement variable, comme chacun sait; souvent le prix de vente s'élève, en peu de temps, de 50 à 80 francs. Or, en présence de la concurrence du sucre indigène sur le marché intérieur, et sans la ressource de l'exportation, comment la fabrication du sucre exotique pourrait-elle subsister, quand les prix s'élèveraient ainsi brusquement ? Le seul moyen de permettre au sucre exotique de vivre, sous le régime d'une loi de consommation, serait l'établissement d'une échelle mobile, comme M. Smits l'a proposé en 1843.

En 1843, M. Smits, alors ministre des finances, croyant que la fabrication du sucre indigène était nuisible aux intérêts du pays, comme l'honorable M. Mercier croit que la fabrication exotique est nuisible à ces intérêts, avait proposé nettement aussi la suppression de l'industrie indigène, mais avec indemnité. Aujourd'hui, messieurs, serait-ce une revanche que l'on voudrait prendre? Je ne sais, mais dans tous les cas, on serait moins généreux qu'on ne voulait l'être en 1843 : alors on supprimait avec indemnité; aujourd'hui on supprimerait sans indemnité.

L'honorable M. Mercier se persuade que, dans son système, il n'entraverait pas le mouvement d'importation de sucre exotique, et il a donné pour preuve les résultats de l'année 1843.

M. Mercier. - De plusieurs années.

M. Dechamps. - Oui; mais principalement de l'année 1843. Je le reconnais, il y a eu, en 1843, un mouvement d'importation de sucre brut considérable, sans que cependant il y ait eu un mouvement d'exportation de sucres raffinés correspondant. Mais ce résultat peut aisément s'expliquer, et déjà, dans la discussion de la loi de 1846, j'ai eu occasion de l'indiquer.

Généralement les raffineurs se sont fait une grande illusion sur les effets de la loi de 1843 : des ordres nombreux ont été donnés, à cette époque, aux colonies ; l'importation s'est accrue, mais lorsqu'on s'est aperçu qu'on s'était trompé, qu'est-il arrivé? On a dû expédier, par transit, le trop plein de cette importation, qui n'avait pu trouver place sur le marché intérieur. C'était donc un transit forcé, et dont, par conséquent, on ne peut pas argumenter.

L'honorable M. Cools, s'appuyant sur les faits de 1844, a prétendu que, dans son système, l'exportation des sucres raffinés n'était pas totalement perdue.

Il espère même que cette exportation ne se réduirait que de 10 millions à 8 millions de kilogrammes, et voici comment il a raisonné. Il a pris l'année 1844 pour exemple et il a dit: En 1844, le trésor a reçu 3,600,000 fr., et l'on a exporté 6 millions de kilogrammes de sucre raffiné ; pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui? Voici pourquoi : en 1844, on était sous l'empire de l'illusion dont je viens de parler, sur les résultats possibles de la loi de 1843; mais, dès 1845, cette illusion fut dissipée. Les faillites se sont succédé, de nombreux désastres ont eu lieu; l'exportation n'a été que de 4 millions, et le mouvement commercial est tombé à 14 millions, et la recette à 2,600,000 fr. Voilà les résultats. Je le demande à M. Cools, peut-il, en présence de ces faits, conserver l'espérance dont il se berce?

L'honorable M. Cools nous disait hier qu'il fallait en arriver à des termes clairs dans la discussion. Eh bien ! je lui demande franchement comment il peut croire qu'une exportation de sucre raffiné soit possible avec le rendement qu'une recette de 4 millions suppose. Pour obtenir 4 millions, il est clair, à mes yeux, qu'il faudrait établir un rendement de 76 et bientôt de 80 p. c. Or, que mon honorable collègue veuille bien nous expliquer comment nous pourrions, avec un tel rendement, soutenir la concurrence de la Hollande pour le commerce d'exportation.

L'honorable membre, dans ses premiers développements, avait cru découvrir que l'accise en Hollande était moins élevée qu'en Belgique, et il avait espéré que cette marche laisserait aux fabricants belges la possibilité d'exportation ; c'est évidemment une erreur; l'honorable membre l'a reconnue depuis. Mais je le lui demande, cet argument qui était la base de ses espérances lui échappant, quel motif lui reste-t-il de croire qu'avec un rendement plus élevé qu'en Hollande, l'exportation serait encore possible?

J'arrive maintenant à la question commerciale; et, pour moi, je le dis hautement, c'est le point culminant de ce débat.

Si la loi ne devait avoir que des résultats commerciaux insignifiants, il faudrait, en présence des besoins du trésor, admettre une loi purement fiscale. Mon honorable ami, M. Mercier, a cette conviction.

Je ne puis la partager. Je regarde la décadence du commerce du sucre colonial, que son système détermine, comme le signal de la décadence de notre commerce maritime, déjà si restreint.

L'honorable M. Mercier nie complètement l'influence exercée par les sucres sur le mouvement maritime et sur les exportations de nos produits industriels. C'est là, permettez-moi de le croire, une opinion que la chambre ne partagera pas; c'est l'opinion diamétralement opposée à celle que l'honorable M. Mercier et moi avons défendue en présentant la loi des droits différentiels. En proposant cette loi, nous avons cru qu'en augmentant le mouvement des importations coloniales, non pas des importations de toutes provenances, veuillez-le remarquer, mais des importations directes et pour compte belge, nous devions développer notre commerce d'exportation transatlantique.

L'honorable M. Mercier est allé plus loin : il a dit que le commerce des sucres raffinés avait une influence fatale sur nos exportations industrielles, pourquoi? Parce que, dit-il, les sucres raffinés ont usurpé la place que pouvaient occuper d'autres articles de notre fabrication; mais l'honorable membre a semblé oublier que, dans une grande partie de son discours, il aurait rappelé qu'un grand nombre de navires partaient sur lest, avec un tonnage considérable que nous aurions pu utiliser pour l'exportation. (Interruption.) Je demande comment, dans l'opinion de mon honorable collègue, les sucres raffinés ont pu usurper, dans les cargaisons de sortie, la place d'autres fabricats belges, quand les navires laissent une aussi grande quantité de tonneaux disponibles.

Mais, messieurs, quelle est la vérité dans tout cela ? Le commerce des sucres n'a pas eu plus d'influence sur nos exportations lointaines, que les autres moyens qu'on a employés. Nous avons déploré souvent, chaque fois qu'il s'est agi des questions commerciales, cette infériorité de nos exportations industrielles, comparativement à l'importance des importations coloniales. Douze à quinze millions d'exportation vers les Amériques et les Indes, en regard de 80,000,000 d'importations coloniales, ce n'est pas là une situation que nous devions considérer comme normale et définitive.

Mais qu'a-t-on fait pour changer cette situation, pour tâcher de combler, en partie du moins, cette lacune regrettable, pour modifier les termes de cette déplorable proportion ? Nous avons, M. Mercier et moi avec M. Nothomb, proposé la loi des droits différentiels, destinée précisément à augmenter les importations directes, à créer le commerce de compte propre en Belgique. On a créé le chemin de fer belge rhénan, dont le but était d'attirer un grand commerce d'importation et de transit.

Nous avons subsidié des lignes de navigation; nous avons fait le traité avec les Etats-Unis. Le ministère actuel a accordé des primes pour l'exportation des cotons et des toiles. Nous avons proposé l'établissement d'une société d'exportation avec des comptoirs sur les principaux marchés lointains. Or, tous ces efforts tendent à accroître nos relations avec les contrées lointaines, en facilitant et en multipliant nos échanges.

Mais n'est-il pas évident que le moyen qui suppose tous les autres, que le moyen sans lequel tous les efforts seront impuissants, c'est un grand mouvement d'importation directe.

L'honorable M. Mercier a souvent confondu deux idées. Il nous a parlé d'un grand nombre d'arrivages, de la grande quantité de navires entrés et sortis de nos ports. La question n'est pas là. La question est de savoir comment ces importations s'effectuent; si elles sont faites par le commerce indirect d'entrepôt et en commission, nous l'avons dit bien des fois, cela ne peut exercer qu'une action très faible sur nos exportations. Si donc le résultat, que mon honorable ami M. Mercier indique, était aussi vrai qu'il le suppose, ce ne serait pas au commerce des sucres qu'il faudrait s'en prendre, mais à la situation générale de notre commerce maritime.

Etudions maintenant la question au point de vue spécial du commerce des sucres.

Je veux d'abord établir que, s'il était prouvé ce que je conteste, que l'influence du commerce des sucres est nulle sur notre mouvement commercial, on ne pourrait en tirer aucune des conclusions qu'on en a tirées, et voici pourquoi :

Avant 1844, avant la loi des droits différentiels, il n'y avait aucune distinction de provenance pour les sucres importés, entre les entrepôts européens et les pays de production. Il en est résulté qu'en 1843, par exemple, sur 11 millions de kil. d'importation de sucre, les ports d'Europe, et l'Angleterre en grande partie, en fournissaient pour 8 millions. La chambre comprend aisément que ces 8 millions d'importation de sucre des ports d'Angleterre par cabotage, ne pouvaient en rien influer sur nos exportations vers les pays producteurs de sucre.

Depuis 1844, la loi des droits différentiels n'a été exécutée, par rapport aux sucres, que transitoirement, en quatre années, de manière que ce n'est qu'en 1848 qu'elle a reçu sa complète exécution, et encore la loi du 16 mai 1847 a suspendu le système différentiel en autorisant pour les sucres la relâche à Cowes.

Ce n'est donc que depuis hier que cette loi, favorisant notre commerce directe, a pu commencer à avoir une action quelconque.

Je dis donc qu'en supposant que le commerce des sucres ait été aussi inopérant que M. Mercier le suppose, la conclusion qu'il en tire pour l'avenir ne serait pas légitime.

Il a lui-même fourni dans son discours une preuve à l'appui de ma thèse. Il nous a dit qu'en 1847, sur une importation générale de sucre de 30 millions de kilogrammes, les navires étrangers et les ports d'Europe figuraient pour 25 millions, les 5/6, et le pavillon belge, le commerce direct, seulement pour 1/6, pour cinq millions et demi.

Dans une situation pareille, serait-il étonnant que le commerce de sucre n'eût pas augmenté nos exportations vers les pays tropicaux?

Je vais citer un fait qui démontrera à toute évidence ce que nous devons attendre du commerce des sucres, quand les importations s'opéreront par le commerce direct.

(page 1284) Il s'agit du café, par rapport à notre commerce avec le Brésil. Malgré l'exception à la loi différentielle, en ce qui concerne les 7 millions de kilog. que nous avons dû accepter dans le traité avec la Hollande en échange d'autres conditions industrielles, cette loi a eu une action remarquable sur nos relations avec le Brésil.

Je veux le faire remarquer : nous avons résisté courageusement aux insistances que je me permets d'appeler intelligentes, d'une partie du commerce d'Anvers, et qui avaient pour but d'autoriser, pour les importations du café surtout, le commerce indirect qu'on a appelé la relâche à Cowes. Nous avons résisté; nous avons voulu créer le commerce de compte propre en Belgique; nous avons réussi ; ce commerce, pour le café venant de Brésil, est créé.

Le café brésil nous arrivait presque totalement par la navigation indirecte. Aujourd'hui il nous arrive presque en totalité directement et pour compte belge. Il en est résulté qu'une des maisons principales d'Anvers a établi une succursale à Rio-Janeiro; en 1845 nos exportations industrielles au Brésil n'étaient que de 1,700,000 fr.; ce chiffre s'est élevé, en 1847, à 3 millions et il dépassera 4 millions en 1848. Vous voyez quelle a été l'influence irrécusable des importations directes de café brésil sur nos exportations industrielles vers le Brésil.

Je le demande à mon honorable ami M. Mercier, par quel motif le sucre ne produirait-il pas les mêmes résultats, quand les importations se feront pour compte belge directement ?

Mais est-il bien vrai que le commerce des sucres ait eu une influence aussi insignifiante sur notre mouvement maritime et sur nos exportations industrielles ? Nous avons des documents qui ont été faits avec soin par des hommes compétents. D'un côté, c'est le travail de l'honorable M. Mercier dont il a reproduit les données dans son discours ; d'un autre côté, c'est le travail publié par l'honorable M. Veydt, lorsqu'il était au département des finances, et que l'honorable M. Frère a complété dans le discours qu'il a prononcé à l'ouverture de cette discussion.

Eh bien ! il faut le constater, la base des calculs repose en partie sur des hypothèses dans le travail de M. Mercier, elle repose sur des faits réels dans le travail de M. Veydt.

L'honorable M. Mercier cherche à apprécier les relations isolées qui existent entre les ports belges et les ports producteurs de sucre et celles qui existent entre les ports belges et les ports vers lesquels nos sucres raffinés sont exportés.

Mais pour que les conclusions fussent exactes, il faudrait que le navire qui prend du sucre à la Havane ou à Manille, exportât invariablement nos produits vers ces contrées et non pas ailleurs. Or il arrive très souvent que le navire qui part de la Belgique et qui se dirige, par exemple, vers les Etats-Unis ou vers l'Amérique centrale, avec des produits belges, relève pour aller prendre en retour du sucre à la Havane. On a cité un autre fait plus significatif encore: M. Mercier a fait remarquer, dans l'un des documents qu'il a publiés, que nos exportations vers Valparaiso avaient pris une importance croissante depuis plusieurs années, et il avait ajouté que cependant Valparaiso n'est pas une colonie à sucre. Eh bien, messieurs, quels sont les faits? C'est que les trois quarts peut-être des navires qui servent à ces exportations vers Valparaiso n'exportent que parce qu'ils prennent en retour du sucre dans les îles Philippines ou à Batavia.

L'honorable M. Osy a cité un exemple frappant : il a rappelé que le navire le Charles-Quint venait de partir d'Anvers en destination du Chili avec une cargaison d'une valeur de 500,000 fr. de produits belges, et que dans la combinaison de l'armateur ce navire devait prendre à Manille des sucres en retour. Je citerai un autre fait connu de nos honorables collègues d'Anvers. Le navire Rubens, chargé de produits belges, est parti aussi l'année dernière en destination de Valparaiso, et d'après les renseignements que j'ai pris, il est attendu tous les jours à Anvers avec une cargaison de sucre qu'il a chargée aux îles Philippines ou à Batavia.

L'honorable M. Mercier a mis un zèle très intelligent dans les négociations qui ont eu lieu avec la Hollande et qui ont amené le traité du 29 juillet 1846; mon honorable ami sait fort bien que nous avons insisté fortement dans ces négociations pour obtenir la suppression des droits de sortie à Batavia, pour une certaine quantité de sucre et de café en destination des ports belges : quel était le but de cette insistance ? Evidemment c'était de favoriser la navigation de long cours, la navigation dans les Indes, et de donner à cette navigation des moyens nouveaux de retours assurés et avantageux.

L'honorable M. Veydt, dans le travail qu'il a présenté, a fait reposer ses calculs non pas sur des hypothèses, mais sur les faits tels qu'ils se sont passés : il a pris chaque navire importateur et exportateur de sucre, il l'a suivi dans toutes les opérations dont il a été l'occasion.

Or, deux faits significatifs ressortent du travail de M. Veydt, complété par M. le ministre des finances actuel, c'est qu'un mouvement d'importation de 23 millions de francs, occasionné par le commerce des sucres, a provoqué une exportation de 12 millions et demi de francs de produits belges, c'est-à-dire la moitié, tandis que pour tous les autres articles coloniaux d'encombrement réunis, une importation de 42 millions n'a produit qu'une exportation industrielle de 8 millions de francs, c'est-à-dire le cinquième. Le deuxième fait, c'est que sur un mouvement total de 915 navires en importations coloniales, la part du commerce des sucres est de 66 p. c.

Que répond à cela M. Mercier? M. Mercier s'est appesanti sur ce que j'appelle le côté complètement accessoire de la question ; il a fait remarquer que l'importation de sucre brut ne peut avoir qu'une influence insignifiante sur l'importation des autres produits coloniaux et des marchandises venant des pays d'Europe. Il a dit que quelques importations de sucres, venant des Etats-Unis ou de l'Angleterre n'avaient pu déterminer les autres importations faites par ces pays. Soit; mais qu'est-ce que cela fait à la question qui nous occupe? que m'importe de connaître l'influence que le sucre a pu avoir sur les importations de coton en laine des Etats-Unis ou sur les importations des fabricats anglais ? que m'importe de savoir si les navires importateurs de sucres renfermaient quelques kilogrammes de miel ou de cochenille ? La question est, avant tout, d'apprécier l'action exercée par le commerce du sucre sur notre mouvement maritime et sur nos exportations, et les faits nous disent que cette action est loin d'être aussi faible qu'on le prétend.

Mais dit l'honorable M. Mercier, les occasions d'expédition ne vous ont pas manqué, et il énumère tous les navires partis sur lest et le tonnage considérable qui est resté disponible pour le transport de nos produits. Messieurs, je l'ai dit tout à l'heure, il ne s'agit pas de savoir si nous avons eu beaucoup d'importations; il faut se demander comment les importations ont eu lieu.

Nos importations coloniales se sont-elles faites par le commerce direct? Toute la question est là pour moi.

Je demanderai à l'honorable M. Mercier s'il croit qu'il suffit que beaucoup de navires entrent dans nos ports pour fournir des occasions réelles d’expédition? Bien souvent il est arrivé qu'aucun navire ni belge, ni étranger ne s'est mis sur les rangs pour obtenir la prime élevée qui est accordée en faveur de l'établissement de lignes de navigation régulière ; cela est arrivé 8 fois en trois ans; les navires préféraient partir sur lest; pourquoi, messieurs? Mais c'est que les marchandises d'encombrement manquaient, c'est que le capitaine du navire aurait dû attendre pendant trop longtemps pour compléter sa cargaison, c'est qu'il trouvait dans les ports voisins, à Hambourg, à Rotterdam ou en Angleterre, de meilleurs frets de sortie.

Puis les ordres que le navire a reçus ne lui permettent pas toujours de prendre des expéditions chez nous.

Je demanderai à l'honorable M. Mercier comment il se fait que nos fabricants de verres à vitres et de clous ont attendu souvent deux et trois mois pour trouver à Anvers une occasion d'expédier à un fret convenable vers Hambourg ou le Levant.

Une pétition a été adressée à la chambre par les fabricants de verres à vitres et de clous du district que je représente ici, qui appuient les conclusions favorables au commerce des sucres, et cela se conçoit parfaitement.

Ils savent très bien que lorsque nous avons peu d'expéditions de sucre raffiné vers Hambourg, Constantinople et Trieste, les occasions convenables d'expédition deviennent plus rares et les frets s'élèvent souvent de moitié.

Dans le rapport de l'honorable M. Veydt, je trouve les chiffres suivants à l'appui de ce que j'avance : dans les expéditions des produits belges, les navires qui ont pris part au commerce des sucres figurent, quant au Levant, pour 118 p. c, et quant à la Baltique, pour 80 p. c.

Je ne suivrai pas l'honorable M. Mercier dans le détail de nos relations avec les chances des pays dont il a parlé : je serais trop long. D'ailleurs, je récuse la base même de ses calculs, qui consiste à examiner l'état de ces relations isolées, de port à port, du port belge au port du pays de production.

Cependant je comprends que l'honorable M. Mercier pourra me répondre qu'en 1846 j'ai adopté la même argumentation.

M. Mercier. - Oui, c'est à vos arguments que je répondais.

M. Dechamps. - Mais je répondais moi-même à l'honorable M. de La Coste dans cette chambre et à l'honorable M. Vilain XIIII au sénat, qui avaient reproduit les arguments de vos discours antérieurs. Mais j'avais eu soin ne déclarer d'avance que j'attachais peu importance à la réfutation de ces calculs.

Examinons toutefois l'un de ces faits signalés par l'honorable M. Mercier, le plus important de tous, puisqu'il concerne nos relations avec la Havane, d'où la plus grande partie des sucres nous sont importés.

J'avais cité en 4846, en ce qui concerne nos rapports commerciaux avec Cuba et Portorico, les années 1840, 1841,1842 et 1843, et les conclusions que j'en avais tirées étaient exactes. L'honorable M. Mercier a pris d'autres années; il a choisi les années 1839,1843 et 1844, et puis il est arrivé à des conséquences diamétralement opposées à celles que j'ai moi-même indiquées.

J'ai voulu vérifier, j'ai pris un nombre d'années plus considérable, de 1837 à 1847, c'est-à-dire onze années; eh bien, j'ai vu que 8 fois sur 11, il est arrivé qu'il y avait corrélation entre l'augmentation et la diminution des importations de sucre, et l'augmentation ou la diminution de l'exportation de nos produits industriels vers la Havane, et que trois fois il y a eu exception ; de plus, que l'année 1840 qui est l'année maximum pour l'importation du sucre brut, est aussi l'année maximum pour l'exportation de nos produits industriels ; que l'année 1845 qui est l'année minimum pour l'importation de sucre brut, est en même temps l'année minimum pour l'exportation de nos produits industriels.

Je ne veux tirer de ceci aucune conclusion exagérée, je veux seulement démontrer à l'honorable M. Mercier qu'en raisonnant même à son point de vue, les faits sont plutôt favorables à la thèse que je soutenais en 1846, qu'a la sienne.

Il est un argument qui me paraît péremptoire. J'invoque la vieille expérience de l'Angleterre. Que fait l'Angleterre?

(page 1285) Ce pays possède un grand intérêt colonial qui est en même temps un grand intérêt politique; personne ne le niera; l'Angleterre attachait une importance majeure à proclamer le principe de l'abolition du travail des esclaves. Ce triple intérêt colonial, politique et maritime avait longtemps prévalu en Angleterre ; or, dans ces dernières années, l’intérêt industriel a dominé. L’intérêt britannique a prétendu qu’il fallait renoncer à la protection coloniale, relativement aux sucres, afin de pouvoir nouer des relations meilleures avec le Brésil et le Havane.

L'enquête anglaise de 1840 avait établi que si le sucre du Brésil et de la Havane pourrait être importé librement en Angleterre, le mouvement d'exportation des produits industriels anglais vers ces colonies doublerait. Le gouvernement anglais a sacrifié le triple intérêt colonial, maritime et politique, à cet intérêt industriel que l'honorable M. Mercier déclare nul.

Si l'opinion de l'honorable M. Mercier est fondée, s'il est vrai que le commerce du sucre n'exerce aucune influence sur l'exportation des produits industriels, l'Angleterre s'est étrangement trompée : Elle aurait sacrifié d'immenses intérêts à une pure illusion. Ne m'est-il pas permis de croire que si quelqu'un se trompe ici, ce n'est pas l'Angleterre, mais mon honorable ami M. Mercier?

Messieurs, l'industrie linière attache, avec raison, une importance de premier ordre à la conclusion d'un traité avec l'Espagne. Il est certain que si la Belgique qui déjà a signé avec l'Espagne un traité que malheureusement l'Espagne n'a pas ratifié, pouvait parvenir à conclure un traité avec ce pays et ses colonies ; il est certain, dis-je, que ce traité aurait plus d'influence sur l'avenir de l'industrie linière que tous les autres moyens qui ont été préconisés. Je demande si nous devons renoncer à l'espérance de traiter avec l'Espagne? Je puis en parler sciemment, puisque j'ai pris part à cette négociation; j'affirme qu'il ne faut pas songer à un traité avec l'Espagne, si le sucre n'en forme pas la base.

Croyez-vous que vous puissiez attirer l'attention sérieuse de l'Espagne dans cette négociation, si vous n'avez à lui offrir que des concessions sur les oranges, les fruits secs, les noix et le sel ? Sans commerce de sucre colonial, tout espoir de conclure un traité avec l'Espagne s'évanouit.

J'ajoute que vous devez aussi renoncer à l'idée de former une société d'exportation, de créer des comptoirs lointains. On l'a dit, et cela n'a pas besoin d'être prouvé, une des conditions essentielles d'une société d'expropriation, combinée avec des comptoirs, c'est un mouvement maritime d'importations coloniales, et parmi les éléments de ces importations, figure en première ligne le sucre et le café. Le café, nous avons dû le sacrifier en partie dans notre traité avec la Hollande; notre commerce de tabac a été réduit dans un intérêt financier; nous n'aurons un marché important de coton que lorsque le Zollverein recevra le coton en laine au lieu du twist anglais.

Restent donc les sucres comme élément principal de notre commerce d'importation. Si vous y renoncez, et on y renonce en adoptant une loi de consommation sur les sucres, nous devons renoncer à la loi des droits différentiels, la société d’exportation aux comptoirs belges à l’étranger, ainsi qu’à nos projets de traités avec l’Espagne et le Brésil ; tout cela devient impossible

Pour moi qui me suis toujours préoccupé de la question commerciale, qui crois sincèrement qu'elle prime de beaucoup, au point de vue du pays, la question de savoir si le sucre produira une recette éventuelle de 600,000 fr. de plus ou de moins, je ne puis sacrifier un intérêt aussi majeur à un intérêt important sans doute, mais qui ne peut exercer la même influence sur notre richesse publique et sur notre avenir.

M. David. - Messieurs, après les discours remarquables de M. le ministre des finances, de M. le ministre des affaires étrangères et ceux si substantiels de MM. Veydt, Loos et Dechamps, j'aurais pu m'abstenir de prendre part à ce débat important; mais son importance même d'où peut jaillir la ruine de l'une de nos principales industries, l'affaiblissement ou le dépérissement de plusieurs autres me force de m'en occuper. Dévoué aux intérêts généraux du pays et représentant d'une localité industrielle imporlante.je dois me préoccuper de l'intérêt de l'arrondissement de Verviers, dont les habitants si industrieux ont su par leur courage, leur énergie, leur intelligence se créer des débouchés sur tous les points du globe. La loi qu'on vous propose aurait pour résultat de diminuer considérablement sinon d'anéantir. Les exportations de l'arrondissement de Verviers vers ces contrées d'outre-mer forment les deux cinquièmes de toute la production. Les retours en contre-valeur se fout presque toujours en denrées coloniales : sucres, cafés, riz, tabacs, coton, indigos, cuirs, épices, etc., etc.

Il est, je pense, essentiel que je vienne indiquer de quelle façon ces échanges se font; vous verrez qu'il est impossible d'obtenir d'autres couvertures en payement que des produits des contrées transatlantiques.

Par exemple, si j'expédie des étoffes de laine sur un point quelconque des Amériques, mon commissionnaire commence par les vendre; il reçoit directement, quelquefois en payement, des produits du sol; mais le plus souvent ce sont des acceptations ou promesses d'acheteurs qui se rendent après leurs affaires terminées dans l'intérieur du pays ; ces titres ne sont négociables que sur les lieux et n'auraient aucune valeur en Europe. Force est nécessairement à mon commissionnaire d'escompter les acceptations ou promesses, d'échanger ces titres ou contre du papier sur l'Europe, ou contre des espèces ou contre des marchandises.

S'il veut convertir ces acceptations en valeur à bonnes et solides signatures sur l'Europe, il est obligé de payer 10 et 12 p. c. d'avance ou d'agio; pour qu'il ait recours à ce moyen de retour, il faut qu'il y ait une immense disproportion entre le prix des denrées coloniales dans le pays et celui qu'on peut en obtenir en Europe, où il ne peut avoir recours à ce premier mode de payement. S'il veut échanger ces promesses en espèces, il rencontre d'autres obstacles très sérieux. Les monnaies sont prohibées à la sortie dans la plupart de ces pays et dans d'autres elles sont chargées d'un énorme droit de sortie; celui qui vous les donne d'un autre côté vous fait encore payer un agio considérable et vous êtes loin de pouvoir les réaliser à Londres ou à Paris au prix auquel vous les avez reçues.

La seule ressource offrant quelque chance de profit, est donc de transformer ces acceptations en marchandises et de les expédier en Europe. Restreindre le choix des marchandises qu'on peut envoyer en retour en Europe, c'est porter un coup fatal à toutes les industries et en particulier à l'industrie de Verviers. Vous sentez que je ne pourrais concourir à une mesure aussi désastreuse qui aurait pour résultat la réduction du travail, l'abaissement des salaires, l'appauvrissement des classes laborieuses que nous nous efforçons cependant de relever par des sacrifices ou des combinaisons de toute espèce.

Nos adversaires, ainsi qu'un certain parti politique, prétendent que le sucre est un objet de luxe et que les contribuables peu aisés sont chargés d'impôts, afin de faire manger le sucre à bon marché aux riches. Ces assertions, je les renvoie à ceux qui les émettent. On a prouvé avant moi que c'est la ruine du commerce des sucres qui serait funeste aux classes laborieuses qui, en ne permettant plus les mêmes exportations, réduirait leurs moyens d'existence.

Nous devons être logique si nous voulons une Belgique industrielle et prospère. Nous devons prendre les moyens propres à arriver à ce résultat dans la question qui nous occupe; facilitons les échanges contre les produits transatlantiques, favorisons le retour vers la Belgique de riches cargaisons. Les mesures proposées par nos adversaires sont en contradiction flagrante avec cette saine ligne de conduite, et le corollaire indispensable de leur proposition, devrait être la suppression des droits différentiels, des primes pour construction de navires, des subsides pour encourager la navigation, l'abandon de l'idée de créer une société d'exportation et de la régénération industrielle des Flandres; nous devrions renvoyer à des temps meilleurs où les intérêts de la Belgique seraient mieux compris, les constructions de routes, de canaux, de chemins de fer, tout cela étant inutile quand on n'a plus de concurrence à soutenir à l'étranger, qu'on ne peut plus vendre qu'à l'intérieur.

Pourquoi plus de droits différentiels? parce que nous n'aurons plus de marine à protéger.

Pourquoi plus de primes à la construction des navires et de subsides à la navigation? parce qu’on n'aura plus aucun intérêt à construire des navires et que les objets de retour venant à manquer, il n'y aura plus de navigation lointaine.

Mais, me dira-t-on, pourquoi plus de société d'exportation? Je répondrai, parce qu'il ne suffit pas d'exporter pour vendre et que, pour vendre dans les pays lointains, il faut prendre des produits du pays en échange, et que dorénavant la matière de retour la plus importante, le sucre, nous manquera.

Pourquoi pas de régénération dans les Flandres? parce que la consommation intérieure seule ne leur suffira pas à l'absorption de tous leurs produits, et qu'il leur faut nécessairement au loin des débouchés qu'on veut leur ravir.

Pourquoi plus de routes? parce qu'il deviendra parfaitement inutile de faire des dépenses de ce genre-là, alors que nous n'aurons plus à rechercher les moyens de produire à bon marché pour soutenir la concurrence étrangère au-delà des mers.

Je ne puis croire qu'une chambre aussi éclairée que celle qui siège dans cette enceinte puisse décréter l'anéantissement presque complet de notre industrie et de notre commerce. Pour ma part, je ne concourrai jamais à une pareille mesure.

M. Lesoinne. - Je ne me propose pas, messieurs, de traiter la question des sucres. Je me trouve ici placé en présence de deux industries qui vivent de la protection et même du monopole, puisque le sucre raffiné étranger est prohibé à l'entrée, et, à ce titre, aucune des deux n'a mes sympathies. Je dirai seulement aux honorables ministres qui envisagent la question au point de vue de l'intérêt du trésor, que, selon moi, le droit de consommation est assez élevé, et qu'il y aurait même danger de voir diminuer la recette si l'on élevait le droit d'accise en offrant un appât à la fraude.

Sous le rapport commercial, je dois le dire, je ne puis partager la manière de voir de M. le ministre des affaires étrangères, qui fait consister la prospérité future de notre commerce d'exportation dans le commerce des sucres. Je conviens cependant que le commerce des sucres, tel qu'il est établi, procure quelques occasions d'expédition de plus aux négociants et aux commerçants d'Anvers; mais ces occasions d'expédition sont achetées par le monopole et par les primes.

Plusieurs honorables membres ont fait valoir, en faveur de la prime dont jouissent les raffineurs de sucre, cette considération que beaucoup d'industries jouissent de privilèges analogues; et ils ont cité, par exemple, la réduction des péages sur les canaux. Mais je ferai remarquer que cette faveur, accordée à plusieurs industries du pays, profite, en définitive, au gouvernement, car elle a pour effet de déplacer des produits qui, sans cela, ne sortiraient très probablement pas du pays, et les recettes des canaux s'en accroissent sans qu'il en coûte un sou aux contribuables.

(page 1286) Au reste, messieurs, nos ports de mer jouissent encore d'autres privilèges : on leur a accordé le privilège exclusif d'introduire le sel et même le sucre dans le pays, car si nous voulions faire arriver du sucre étranger pour le raffiner dans la province que j'habite, nous ne pourrions pas, avec la loi existante, le faire venir de la Hollande par la Meuse.

Mais, messieurs, toutes ces récriminations ne servent qu'à démontrer une chose bien évidente, c'est le vice du système dans lequel nous sommes entrés, et, sous ce rapport, les propositions du gouvernement me semblent en contradiction avec l'engagement que le ministère a pris, lors de son avènement, de ne pas s'avancer davantage dans le système projecteur. En effet, dans la question qui s'agite actuellement devant vous, messieurs, le ministère, au lieu de suivre franchement cette voie, augmente de trois francs la différence de droit qu'avait établie la loi de 1846 entre le sucre indigène et le sucre exotique.

Il s'expose par là à de graves embarras dans l'avenir, en appelant les capitaux vers des industries qui ne vivent que de la protection et du monopole.

Depuis quelque temps déjà, vous avez reçu plusieurs pétitions qui tendent à obtenir le dégrèvement des droits à l'entrée sur des matières qui servent à la fabrication de diverses industries de notre pays. Le gouvernement lui-même a fait un essai heureux en admettant libres de droits les fils étrangers pour la confection de certaines qualités de toiles gui trouvent déjà un débit avantageux à l'étranger. Cela vous prouve, messieurs, qu'il est temps enfin de changer de système et de remplacer le tarif protecteur par un tarif fiscal. Ce qui est juste pour les fils de lin, l'est également pour les fils de coton ; c'est ce qui a déterminé les fabricants de Saint-Nicolas à demander aussi un dégrèvement des droits qui frappent ces matières de fabrication. Il en est de même pour les fils servant à la fabrication des tulles et pour d'autres objets encore.

Je pense donc, messieurs, que le gouvernement ferait bien de peser mûrement ces faits et d'examiner s'il ne serait pas temps enfin de réviser les tarifs, afin de les mettre plus en harmonie avec les besoins de notre industrie.

Ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire déjà, dans une autre occasion, l'essai que nous avons fait du système protecteur doit être aujourd'hui complet : il est temps de mettre nos industriels dans les conditions les plus favorables de produire à bon marché ; c'est la condition première de tout succès en matière d'exportation. Le système qui a été suivi jusqu'à ce jour a fait ressortir suffisamment ce fait qu'il tend à un renchérissement général des moyens producteurs et, en définitive, c'est sur le salaire des ouvriers, dont on prétend protéger le travail, que retombe la baisse de prix que l'on est obligé de subir pour pouvoir vendre à l'étranger.

Je ne puis adopter non plus les propositions de l'honorable M. Mercier, parce que je ne veux pas procéder par secousses ; je veux donner aux industriels qui ont engagé leurs capitaux dans des industries protégées, le temps de les en retirer avec le moins de perte possible. J'aurais donc désiré que l'on procédât par voie de dégrèvement ; et ce que je demande pour l'industrie du sucre, je le demande également pour toutes les autres industries du pays.

Je ne puis donc qu'engager avec instance le gouvernement à réviser ses tarifs, et à remplacer le tarif protecteur qui nous régit par un tarif fiscal. Ce travail demande une grande attention, mais la confiance que j'ai dans les idées libérales, en fait d'industrie, des hommes qui sont actuellement au pouvoir, me donne la certitude qu'ils ne failliront pas à cette tâche. Jusque-là je repousserai toutes les propositions qui seraient de nature à augmenter la protection dont jouissent les deux industries du sucre indigène et du sucre explique, et je voterai provisoirement pour le maintien du statu quo.

M. Mercier. - Messieurs, je répondrai à quelques-unes des observations qui ont été faites dans cette séance et dans la séance d'hier pour contester les faits et les considérations que j'ai exposés à la chambre.

Je dirai d'abord, messieurs, que je ne puis comprendre la conclusion de l'honorable député qui vient de s'asseoir. Il est adversaire des droits protecteurs, el voilà qu'il annonce l'intention de voter pour le statu quo, c'est-à-dire pour le maintien de tout ce qu'il y a de plus exagéré dans le système protecteur.

M. Lesoinne. - Je demande la révision des tarifs.

M. Mercier. - Si l'honorable membre veut que l'on fasse un travail d'ensemble, je crois qu'il attendra longtemps avant qu'il voie s'accomplir la réalisation de ses idées; avec un pareil raisonnement il ne pourra plus saisir l'occasion de voter le moindre changement au système protecteur. Nous voyons bien qu’on l'aggrave quelquefois en multipliant les primes d'exportation pour certains produits et en empêchant la sortie des étoupes, mais nous ne voyons guère qu'on s'en départisse, si ce n'est toutefois à l'égard des céréales, mesure que l'honorable membre a cependant admise isolément.

L'honorable M. Dechamps est tombé dans une erreur de fait, en disant tout à l'heure que les produits de la loi de 1843 n'avaient été en moyenne que de 2,400,000 francs. L'honorable membre ne doit pas compter comme ayant été influencée par la loi de 1843, la recette qui a été faite en 1843, puisque par suite des termes de crédit qui sont accordés et d'autres circonstances, les effets d'une nouvelle loi sur les sucres ne se font sentir que plus de six mois après sa promulgation. Mais en 1844, 1845 et 1846, la loi de 1845 a produit une recette moyenne de plus de 3 millions.

Quant à la loi de 1846, si nous faisions le calcul que l’honorable M. Dechamps a emprunté à l'honorable M. Veydt, nous trouverons que la loi du 17 juillet 1846 n'ayant produit que 9,000 en 1846, nous trouverions qu’en y joignant les produits de 1847 et de 1848, la moyenne de recette annuelle faite en vertu de cette loi, n’aurait été, jusqu’au 1er janvier 1849, que de 1,880,000 fr. ; mais ce résultat ne prouverait rien ; ce qu’il importe de constater, c’est la moyenne de la recette pendant les années 1847 et 1848; eh bien, messieurs, cette moyenne n'a été que de 2,225,000 francs.

L'honorable M. Dechamps nous fait observer que le produit a été moindre par suite de la suspension de la garantie que renfermait cette loi Mais pourquoi donc l'honorable membre a-t-il voté lui-même cette suspension ? Pourquoi le gouvernement a-t-il soutenu à cette époque, malgré mes dénégations, qu'une diminution d'un p. c. de décharge ne pouvait amener qu'une diminution de 100,000 fr. dans le produit? Un régime qui donne lieu à de tels mécomptes peut-il être maintenu? Nous voyons que la quantité de sucre consommée en 1847 a été de 11,345,000 kil. ; on n'est donc pas resté bien loin de la consommation moyenne ; cette année n'a pas été si désastreuse pour les raffineurs.

Dès lors il me semble qu'on a eu grand tort de suspendre les effets de cette seule garantie du trésor; les recettes eussent pu être de trois millions sans détruire l'exportation des sucres raffinés ; ceux qui ont donné leur adhésion à cette mesure doivent s'attribuer le tort qui en est résulté pour nos finances, et l'impression fâcheuse qu'une telle réduction de recettes a produite sur beaucoup de personnes.

Si nous élevons, dit l'honorable membre, notre rendement au-dessus du rendement hollandais, il n'y a plus d'exportations possibles.

Messieurs, à mon avis, M. le ministre des finances a très bien fait d'insérer dans la loi qu'il propose une déposition qui rend possible cette élévation du rendement. On inspirera ainsi tout au moins une crainte salutaire à ceux des intéressés qui voudraient se soustraire au payement des droits.

Dans tous les cas, je ne suis pas de l'opinion de ceux qui pensent que toute exportation cesserait avec un rendement supérieur à celui qui est établi dans les Pays-Bas, et voici pourquoi : Il ne faut pas croire que dans le système en vigueur chez nous ou dans les Pays-Bas, l'exportation des sucres avec primes est illimitée pour un pays. Elle est subordonnée à la consommation intérieure, et si, dans ce moment, on a atteint déjà dans les Pays-Bas, tout le montant des primes en charge au compte des raffineurs sauf seulement la faible partie réservée au trésor, et qui ne fournit guère, je pense, qu'une recette de 400,000 à 500,000 florins; l'exportation des sucres raffinés ne peut plus augmenter dans une bien forte proportion, et que, moyennant l'abandon même de cette partie réservée, il resterait donc encore sur les marchés étrangers une place pour les sucres raffinés qui seraient exportés de Belgique, alors même que le rendement serait plus élevé.

L'honorable préopinant trouve que la consommation moyenne que j'ai indiquée est exagérée. Je ne veux pas entrer pour le moment dans de nouvelles explications à ce sujet. J'ai établi mes calculs ; je voudrais les voir discuter. En attendant je maintiens mon évaluation comme n'étant pas exagérée. Je n'ai adopté que des chiffres officiels; on reconnaîtra du moins que parmi ceux que j'ai donnés, il n'y en a qu'un seul qui soit susceptible de quelque contestation sous ce point de vue, c'est la production du sucre indigène pendant la campagne de 1845 à 1846. Mes chiffres étant exacts, ou subissant même une réduction de 500,000 kil., il y aurait entre les résultats de ma proposition et les produits qu'on nous promet, non pas une différence de 4,000,000 à 500,000 fr., mais une différence de 2 millions.

L'honorable M. Dechamps a supposé que je pensais que l'industrie du raffinage du sucre exotique était nuisible au pays. Non, je trouve, au contraire, cette industrie très utile pour la consommation intérieure. Mais lorsque ce raffinage se fait pour l'exportation au moyen d'une prime qui égale toute la main-d'œuvre donnée à un produit étranger, je trouve cette industrie ruineuse pour le pays. Voilà ce que j'ai dit. Il ne faut pas négliger cette distinction.

Quant à la coexistence des deux industries, je la crois très possible sans la prime d'exportation. La différence éventuelle de prix que signale l'honorable membre existera dans un système comme dans l'autre. Si le prix des sucres étrangers vient à se réduire considérablement, le sucre indigène ne pourra supporter la concurrence, même pour l'exportation; de manière que l'objection de l'honorable membre subsiste, soit qu'il y ait des primes, soit qu'il n'y en ait pas. Dans un cas comme dans l'autre ; nous n'avons rien de mieux à faire que de régler la différence de droits de telle sorte que la coexistence des deux espèces de sucres soit assurée le mieux possible, pour qu'ils se partagent le marché intérieur.

Mes honorables adversaires, dans cette question, semblent s'être donné le mot pour me faire le reproche d'avoir présenté nos relations commerciales avec tel ou tel pays pris isolément. On oublie de dire qu'après avoir établi nos relations avec chaque pays, pris isolément, je les ai aussi examinées dans leur ensemble, et notamment dans l'ensemble des relations que nous avons avec tous les pays transatlantiques.

L'honorable ministre des affaires étrangères lui-même n'a pas dédaigné d'avoir recours au même moyen en faisant la même prétention. C'est une manière très facile de se donner raison.

Si je n'avais parlé que de nos relations générales, que de notre navigation générale, on n'aurait pas manquer de répondre. Qu'importe que tant de moyens de transport, que tant d'occasions d'exportation s'offrent à nos produits si c'est précisément vers les lieux où nous pourrions les exporter que ces moyens et ces occasions nous font défaut? Les navires si (page 1287) nombreux qui se dirigent vers le Nord n'exporteront pas nos produits vers l'Orient, vers les pays transatlantiques. Oui si je n'avais fait qu'un travail superficiel c'est ainsi qu'on m'aurait combattu et les illusions, les erreurs n'eussent pas été dissipées.

Ce qui était surtout important à analyser ce sont nos relations avec pays transatlantiques, il se trouve qu'avec chaque contrée prise isolément sauf le Chili, de même qu'avec tous les pays transatlantiques réunis nous sommes dans une telle infériorité dans nos échanges que nos exportations pourraient être quintuplées; que pour chaque partie isolée comme pour le tout, ni les marchandises de retour, ni les moyens de transport ni les occasions ne nous feraient défaut pour arriver à ce résultat, quand même il y aurait la réduction d'importation que j'ai indiquée dans le commerce de sucre.

On faisait aussi grand étalage de l'aliment que le sucre donnait à notre marine marchande. J'ai été obligé de signaler à la chambre que, sur une quantité de 30,179,000 kil. importés en 1847 en Belgique, les navires belges n'ont concouru que pour 9,928,000 kil., dont 3,300,000 kil. seulement ont été importés directement des pays transatlantiques.

Mon honorable ami, M. Dechamps, est dans l'erreur lorsqu'il suppose que j'ai attribué le peu d'importance relative de nos exportations dans les pays transatlantiques à cette circonstance, que les importations directes de ces pays ne sont pas plus considérables. J'ai fait remarquer, au contraire, que malgré des importations directes très considérables qui se font des pays transatlantiques, nous n'avons qu'une exportation très restreinte de produits belges dans ces contrées. En effet, on importe dans nos ports une valeur de 70 millions de francs de marchandises des pays transatlantiques, et nous n'expédions dans ces pays que 15 millions de marchandises belges, ou 19 millions en y ajoutant les marchandises étrangères.

De ce fait et d'autres que j'ai indiqués, j'ai tiré cette conséquence, que cette partie du sucre brut importé qui est corrélative au sucre raffiné que nous exportons au moyen de primes ruineuses était inutile ou surabondante pour nos échanges avec les pays transatlantiques. Qu'on veuille bien répondre directement à mes observations; je vois que la plupart du temps on passe à côté, à défaut de pouvoir les combattre.

Je n'ai pas prétendu davantage que le sucre ne serait pas un élément d'échange comme toutes les autres marchandises coloniales, cela serait absurde. Mais il doit être évident pour tous que dans l'état actuel de nos relations avec les pays transatlantiques, alors que nos exportations ne s'élèvent pas au quart des importations qui se font directement de ces pays, une diminution dans les importations de sucre ne pourrait nuire en rien à nos exportations. Voilà ce que j'ai dit et ce que je maintiens.

Si nous touchions à l'extrême limite de ces 70 millions que l'on importe, si nous exportions, par exemple, pour une valeur de 68 millions, mon argumentation pourrait être contestée.

Mais hélas! nous sommes bien loin d'un pareil résultat.

L'honorable M. Dechamps déciare qu'il n'attache pas de prix aux arguments qui se rattachent aux importations générales; mais là encore une fois, je n'ai fait que répondre au travail qui a été déposé par l'honorable M. Veydt.

Deux observations m'ont suffi pour démontrer que ce travail n'avait aucune portée, aucune signification : l'honorable M. Dechamps est d'accord avec moi en ce qui concerne les importations ; je ne doute pas qu'un examen plus ample ne lui donne la même conviction pour ce qui est relatif aux exportations.

Quant aux primes de navigation qui n'auraient pas été acceptées, je ne saurais répondre à cette observation, car j'ignore à quelles conditions ces primes ont été offertes ; tout ce que je puis dire, c'est que le plus simple bon sens indique que les capitaines de navires qui entrent dans un port seraient charmés d'y trouver des chargements plutôt que d'être dans la nécessité de les chercher ailleurs.

J'ai parlé de nos relations avec Cuba, sous un double point de vue; d'abord en réponse à des observations qui avaient été faites antérieurement; j'ai prouvé que souvent nos exportations dans cette île avaient été en raison inverse de ses importations de sucre en Belgique, et que nos relations avec les Etats-Unis étaient relativement beaucoup plus favorables à notre industrie que celles que nous avons avec Cuba, qui cependant nous fournit les 7/8 des sucres qui nous arrivent des pays transatlantiques pour être raffinés en Belgique; mais, je l'ai déclaré, j'attachais moins d'importance à ces observations qu'à la différence énorme qui existe entre les importations générales qui se font de cette île chez nous, et nos exportations, restées stationnaires alors que les importations ne faisaient qu'augmenter d'année en année. Quoi qu'en puisse dire l'honorable M. Loos, les exportations ne sont que d'un million environ.

Un honorable député de Gand a débuté hier en qualifiant d'étrange la proposition que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre; je ne relèverais pas cette épithète si j'étais seul en jeu dans cette' affaire; mais l'honorable membre, avec un peu plus de réflexion, se serait aperçu qu'il s’appliquait également aux sections de la chambre qui ont adopté ma proposition.

L'honorable membre ne peut avoir oublié que, l'année dernière, cinq sections sur six on' donné leur plein assentiment à ma proposition, et que la seule section qui ne lui a pas donné une adhésion formelle voulait, elle aussi, une augmentation de produit, et a demandé s'il ne serait pas possible de maintenir le système du rendement, simultanément avec le système de ma proposition, en le portant à un taux tel qu'il n'en résulte pas de prime indirecte. En 1849, une seule section se prononce pour le statu quo. Deux sections donnent une adhésion formelle à ma proposition. Une autre en approuve également le principe, mais elle voudrait que la Hollande le mît également en pratique.

Les deux autres veulent un produit minimum de 4,500,000 fr., ce qui, aux yeux de l'honorable membre lui-même, implique l'adoption élu système que j'ai proposé.

En aussi bonne compagnie, je me consolerai facilement de ce que l'honorable député de Gand trouve ma proposition étrange.

Le même honorable membre a dit qu'en supprimant dès à présent les primes d'exportation nous ferions les affaires d'un pays voisin.

Moi qui ai la conviction qu'il n'y a pas là profit, mais un dommage considérable, un dommage auquel je voudrais soustraire le pays, je ne crains pas de faire un pareil présent à nos voisins et de compléter en cela ce que l'Angleterre a déjà fait avant nous. On me reproche de n'avoir pas été assez prudent en disant que j'oserais prédire que le système des primes ruineuses ne subsisterait plus deux ans, même dans les Pays-Bas; que leur situation financière, et à mon avis, leur intérêt bien entendu, les ferait renoncer à de tels sacrifices; quoique au point de vue de la question qui nous occupe, ils se trouvent dans une situation tout à' fait différente de la nôtre. Ce n'est là assurément, messieurs, qu'une simple conjecture; pour les raisons que j'ai déjà exposées, je n'oserais pas me prononcer avec autant de conviction sur leur intérêt dans cette question, que je le fais sur le nôtre. Mais pour autant que je puisse m'en rapporter à mes lumières et aux connaissances, peut-être insuffisantes des circonstances qui se rapportent aux intérêts néerlandais, je pense que là comme ici les contribuables sont victimes d'une funeste erreur et d'un privilège excessif.

Un honorable député d'Anvers s'est trompé en disant que nos exportations au Chili atteignent le chiffre de 2 millions. Quant à moi, je n'ai trouvé que le chiffre de 961,000 fr., ou de 1,087,000 fr. en y ajoutant les produits étrangers. J'ai pris ce chiffre dans le tableau du commerce de 1847, et je n'en connais pas d'autre; il comprend d'ailleurs 258,000 francs en sucres raffinés, de sorte que nos autres produits n'y entrent que pour 703,000 francs.

Quant aux reproches que m'a fait l'honorable M. Loos, en ce qui concerne la disposition relative aux tabacs, je ne puis non plus les accepter. L'honorable M. Loos prend pour terme de comparaison 2 années tout à fait anormales, 2 années où, par suite de diverses circonstances, l'importation des tabacs a été très considérable dans notre pays; ce sont les années 1842 et 1843. Pendant ces années, l'importation des tabacs a été, en moyenne, de 9,720,000 kilog.; mais la moyenne de consommation pour les années 1834 à 1840 n'avait été que de 5,392,000 kilog., et en prenant les 4 années qui ont précédé immédiatement celles que l'honorable M. Loos a choisies, c'est-à-dire, les années 1838 à 1841, je trouve une moyenne de 5,450,000 kilog.

Maintenant, quant aux années 1842 et 1845, on ne peut pas les faire réagir sur la consommation antérieure; elles doivent entrer dans une période subséquente, car évidemment si, pendant les années suivantes l'importation a diminué, c'est parce que les approvisionnements avaient été très considérables en 1842 et 1843. L'honorable membre a donc eu bien tort en comparant ces deux années à celles qui les ont suivies, pour dire que l'importation avait diminué par l'effet de l'augmentation de l'impôt, impôt qui est encore très modéré, puisqu'il n'est que de 10 fr.

Messieurs, nous avons un même exemple en 1843 ; cette année-là, nous avons eu une importation de 7,272,000 kil. de tabac. C'était encore une année extraordinaire ; aussi, dans les années subséquentes, il y a eu une réduction dans les importations. En 1834, l'importation n'a plus été que de 4,907,000 fr. Qu'aurait dit l'honorable M. Loos, si on avait augmenté le droit en 1835? Il aurait dit, comme il le fait aujourd'hui : L'importation a diminué parce qu'on a augmenté le droit. Eh bien, elle a diminué bien qu'on n’ait pas augmenté les droits, mais pour les raisons que j'ai déduites.

En 1835, une nouvelle diminution est encore produite. C'est, messieurs, je le répète, que l'année 1832 a été exceptionnelle comme l'ont été les années 1842 et 1843.

Naturellement les effets d'une très forte importation pendant deux ans ont dû se faire sentir plus fortement que ceux d'une seule année en 1832; cependant les importations ne sont guère descendues au-dessous des moyennes antérieures, sauf seulement en 1845; dès 1846, elles se sont élevées à 4,930,000 kil., c'est-à-dire 462,000 kil. de moins seulement que la moyenne des années 1834 à 1840; en 1848, elles ont atteint de nouveau cette moyenne.

Il est à observer cependant qu'il est possible que la fabrication du tabac ait diminué jusqu'à un certain point. Chacun sait que l'administration française a pris des mesures énergiques pour repousser la fraude. Ces mesures ont eu pour effet de réduire ce commerce qu'on est convenu d'appeler honnêtement le commerce interlope. Ainsi, en supposant qu'il y ait eu une certaine réduction dans les importations, dans la mise en fabrication chez nous, c'est à la surveillance plus sévère qui a été établie sur une frontière voisine qu'il faut l'attribuer.

Les défenseurs du sucre exotique nous disent : « Vous demandez trois millions à cette industrie, y a-t-il dans le pays beaucoup d'industries qui (page 1288) fournissent trois millions au trésor? Vous taxez cette industrie à une memxc ;fi so vous n'agissez pas de même envers les autres. »

Il me semble que c'est une manière un peu insidieuse de présenter la question. Comment ! le consommateur paye un droit de consommation dont le produit devrait être de 5 millions; et le commerce du sucre ne verse dans le trésor que 3 millions ! et l'on se plaint !

Les autres industries ne sont pas du tout dans la même position. Accordons-nous aux brasseries ou aux distilleries des millions pour primes d'exportation? On ne peut pas taxer ces industries, parce que toute la fabrication est soumise à l'impôt, et l'impôt rentre directement dans le trésor. Si les consommateurs de bière payaient pour l'impôt plus que le trésor n'en reçût, je dirais alors que nous accordons la même faveur aux brasseurs. Mais il n'est pas ainsi.

L'industrie du raffinage n'aurait donc qu'à se louer encore, si on n'exigeait d'elle, par exemple, qu'un produit de 4 millions et demi ; dans ce cas, messieurs, elle serait encore privilégiée et jouirait encore d'une prime de 500,000 fr. (Interruption.)

On me dit qu'une loi établit une prime pour les boissons distillées. Il est possible que le drawback soit réglé de manière à laisser une légère prime; mais elle est très inoffensive, puisqu'il ne se fait pour ainsi dire d'exportations. S'il y avait abus, personne ici ne le soutiendrait ; quant à moi, je le constaterais comme je le fais pour le sucre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable membre parlait tout à l'heure des brasseurs ; mais s'il y a des parties soustraites à l'impôt, le brasseur perçoit une certaine prime au moyen des quantités indemnes de droit livrées à la consommation...

M. Mercier. - S'il en était ainsi, ce serait au gouvernement qu'il faudrait en faire le reproche; il faudrait établir un contrôle tel que rien n'échappât à l'impôt. Ce serait une fraude. Nous n'admettons pas que la fraude se fasse ; si elle se fait, il faut recourir à d'autres moyens pour la réprimer. Pour les sucres, la loi elle-même accorde la prime.

Messieurs, l'honorable M. Delehaye qui n'est pas présent, m'a interpellé dans la séance d'hier ; entre autres aménités, il a dit que ma proposition n'était pas sincère; il m'a demandé si du raffinage à l'entrepôt, j'attendais une exportation quelconque de sucre raffiné.

Si l'honorable membre avait lu les documents qui ont été distribués sur cette question, il aurait vu que je n'avais pas attendu son interpellation pour me prononcer à cet égard. Dans le rapport de la section centrale dont j'avais l'honneur d'être l'organe, j'avais dit que je ne m'attendais pas à une exportation considérable.

L'honorable membre a prétendu que l'Angleterre n'exporte que dans ses colonies. C'est une erreur. L'Angleterre, dont on se propose d'adopter le système n'exporte pas seulement dans ses colonies, elle exporte principalement en Russie, en Italie, en Turquie, dans d'autres pays encore qui ne sont pas ses colonies. J'ai vu, dans un ouvrage, que ses exportations de sucre raffiné en 1846 se sont élevées à 13,500,000 kilog., et dans les tableaux qui sont à la bibliothèque, j'ai trouvé que les exportations se faisaient principalement, comme je viens de le dire, en Russie, en Italie et en Turquie. Ainsi, c'est à tort que l'honorable membre a avancé que l'Angleterre n'exporte du sucre raffiné que dans ses colonies.

Messieurs, un autre honorable membre m'a, en quelque sorte, mis personnellement en cause, en faisant remarquer que je n'avais pas présenté la proposition qui fait l'objet de ce débat, lorsque j'étais moi-même au ministère. Mais, messieurs, toutes les questions ne peuvent se résoudre en un jour ; il en est qu'une plus longue expérience fait mieux apprécier. Cependant je me suis préoccupé de celle-ci dès 1840, en proposant quelques légères modifications. J'ai annoncé que la question, sous un point de vue plus général, était à l'étude.

Ce qui a bien modifié les opinions relativement à la législation des sucres, ce qui a porté bien des personnes à en venir à une proposition plus sévère, c'est ce qui s'est passé il y a quelques années. A peine la loi de 1843 était-elle votée, qu'on en demandait la suppression; on ne laissait ni paix ni trêve au gouvernement. En arrivant au ministère, je ne pouvais pas faire la proposition de modifier cette loi, il n'y avait que deux mois qu'elle était votée. Mais dès 1844 j'ai provoqué une enquête, l’honorable M. Veydt ne peut pas l'ignorer. J'ai fait préparer un travail considérable ; j'ai demandé des explications catégoriques aux chambres de commerce d'Anvers, de Gand et d'autres localités. Le gouvernement n'a rien obtenu.

L'honorable M. Malou, mon successeur immédiat, a déclaré qu'on n'avait reçu que des réponses vagues, qu'on s'était tenu dans des généralités. En soumettant cette question aux chambres de commerce, je voulais éclairer la chambre et amener la question sur son véritable terrain.

La loi de 1846, telle qu'elle est sortie des mains de ses premiers rédacteurs, pouvait être bonne, mais les concessions faites pendant la discussion, l'ont rendue très défectueuse ; on a abandonné les seules garanties données au trésor; en 1847, ou a profité d'une crise financière pour demander la suspension de cette loi, déjà si mutilée par suite des concessions du ministère ; il est arrivé que pendant cette année le produit n'a été que de 1,450,000 fr.

J'ai protesté contre cette mesure ; j'ai dit que c'était une véritable spoliation du trésor public; on était, au moment de la discussion, à la veille de la séparation des chambres; l'honorable M. Malou proposait une suspension de 6 mois; M. Loos y a m:s le comble en la faisant admettre avec l'assentiment du ministre, pour une année entière ; il est résulté de là plus de 3 millions de francs de perte dans une seule année. Ce n’était pas assez ; on invoque sans cesse l’intérêt de la navigation nationale, l’utilité des voyages au long cours ; eh bien on a demandé la suspension de la loi des droits différentiels, c’était la une triste preuve de l’intérêt qu’on porte à cette navigation. C’est là qu’on a porté un grand nombre de membres à désirer qu'on mît enfin un terme à une législation si onéreuse et c'est ce qui a contribué en 1848 à me déterminer à déposer ma proposition.

M. Loos. - J'ai demandé la parole, quand j'ai entendu l'honorable M. Mercier contester les conséquences du peu de calculs statistiques que j'ai présentés à la chambre, après avoir hier critiqué les siens. Il vous a dit que j'avais pris quelques années à ma convenance, et pour prouver ce que j'avais intérêt à démontrer à la chambre, à propos des malheureux effets de la loi sur les tabacs ; si j'ai parlé de la loi de 1844 si j'ai voulu vous en faire apprécier les résultats, c'est pour engager la 'chambre à ne pas accorder au système de l'honorable M. Mercier une confiance trop absolue.

Je disais que, quand la loi de 1844 a été discutée, l'honorable M. Mercier rassurait tout le monde sur les conséquences qu'on signalait; il disait à ceux qui défendaient le commerce du tabac, ne craignez pas les conséquences de la loi que je propose, bien qu’il demandait beaucoup plus que la chambre n’a voté, car il proposait un droit d’accise sur les tabacs, il ne voyait pas que c’était la ruine du marché des tabacs si péniblement créé en Belgique.

L'honorable M. Mercier disait que toutes les objections qu'on mettait en avant n'étaient que des raisons spécieuses; l'ayant entendu répéter la même phrase dans le discours qu'il a prononcé dans une précédente séance, j'ai dit que c'était la répétition de 1844 ; et j'ai tenu à démontrer quelles avaient été les conséquences de cette loi.

J'ai cité le tableau le plus étendu que j'ai pu me procurer au département des finances depuis 1839 ; je n'ai pas cité 1859, parce que je n'ai pu me procurer que le chiffre de mise en consommation, sans le produit de l'impôt.

Je tiens en main le tableau, je puis démontrer que la Belgique était parvenue à faire une conquête sur la Hollande, la conquête du marché des tabacs dont Rotterdam était jusque-là resté en possession. En 1830, des efforts furent faits pour amener ce marché sur la place d'Anvers; ces efforts ont eu plein succès et vous pouvez voir la progression du marché d'année en année par le tableau que j'ai donné. Cette progression a été très forte de 1841 à 1842.

L'honorable M. Mercier dit que ce n'est pas un chiffre normal; pour lui, il faudrait, pour que les chiffres fussent normaux, qu'ils fussent en quelque sorte stationnaires, que l'importation de 1840 ne fût pas plus élevée qu'en 1839, que l'importation de 1841 fût encore la même que celle de 1839; mais j'ai dit que c'était une conquête que nous avions faite sur la Hollande; pour que cela fût vrai, il fallait qu'il y eu progression ; car si les chiffres d'importation avaient toujours été les mêmes qu'en 1832, je n'aurais pas pu me vanter d'une conquête faite par la Belgique sur la Hollande.

Depuis 1830, à peu près chaque année, le chiffre des importations, augmente. Je ferai remarquer qu'en 1840, il a été de 5,600,000 kilog.; en 1841, de 6,200,000 kilog.; en 1842, de 10,200,000 kil.; en 1843, de 9,360,000 kil., et en 1844, nous tombons à 4 millions; en 1845, à 3,500,000, et en 1846 à 4,100,000 kilog.

Je ne fais que citer les chiffres que j'ai pris au département des finances. Ils vous démontrent, malgré les observations de M. Mercier, que le peu de statistique que j'ai fait (je ne tiens pas à en faire beaucoup), est plus concluante que la sienne ; chacun peut remonter aux causes dont je ne fais qu'indiquer les effets.

Puisque j'ai la parole, je répondrai encore quelques mots à l'honorable M. Mercier et à l'honorable M. Cools.

L'honorable M. Cools nous disait, hier : Vous voyez bien, que quand vous forcerez les raffineries à produire plus de 4 millions, le commerce d'exportation ne cessera pas complètement.

L'honorable M. Cools, rappelant les résultats de l'année 1844, a dit aussi que les recettes avaient atteint 3,600,000 à 3,700,000 francs et qu'on n'avait pas moins continué à exporter du sucre jusqu'à concurrence de 6 millions.

Avancer des chiffres, sans donner aucune explication, est un moyen qui peut éblouir un instant; mais pour peu qu'on examine ces choses de plus près, et qu'on en veuille sincèrement rechercher l'explication, on l'obtient sans difficulté. Ainsi, en 1844, l'année qui a amené l'introduction de la loi, dans quelle situation était l'industrie du raffinage en Belgique ? Cette industrie, vous le savez, messieurs, s'exerce principalement à Gand et à Anvers. Eh bien, dans ces deux localités, un grand nombre de raffineries ont été forcées à cette époque de suspendre leurs travaux.

On ignorait alors complètement les effets que devait produire la loi de 1843, et c'est ce qui a occasionné cette déplorable situation. Cette question intéressant particulièrement Anvers, j'avais pris intérêt à la discussion à laquelle elle donnait lieu dans cette enceinte ; eh bien, j'espère en donner l'assurance à la chambre, les industriels d'Anvers ne prévoyaient pas les conséquences que devait avoir cette loi, ils ne l'ont appris plus tard qu'à leur dépens, et si en 1844 ils ont continué à exporter, c'est qu'alors ils étaient encore encombrés de sucres qu'ils n'avaient pu vendre sur le marché intérieur et qu'ils ont dû exporter pour subir des pertes moins considérables.

Les quatre dixièmes de retenue, avec l'excédant des rendements, avait (page 1289) complètement embarrassé le marché, et il valait encore mieux subir une perte quelque considérable qu'elle fût, en exportant, que d'éprouver une perte presque complète en conservant ces produits en Belgique.

Voilà, messieurs, l'explication de l'exportation qui a été constatée en 1844 et 1848.

Dans le discours qu'il vient de prononcer, l'honorable M. Mercier, a contesté ce fait, que du moment où l'on outrepasserait le rendement fixé en Hollande, notre exportation ne cesserait pas complètement. Pour établir cette opinion, l'honorable membre a prétendu qu'en Hollande on ne peut pas tout exporter; qu'on doit laisser 5 p. c. à la consommation; qu'on ne peut donc exporter que 95 p. c. des produits bruts qui y sont importés. (Interruption.)

L'honorable M. Mercier me dit que les besoins de la consommation intérieure ne permettent pas d'exporter davantage, et qu'ainsi la concurrence hollandaise n'est pas à redouter. Mais en Hollande la position des raffineries est telle aujourd'hui par suite de la stabilité des systèmes financiers, qu'elles peuvent toutes se perfectionner au point que le rendement peut, sans inconvénient, être porté à un chiffre beaucoup plus élevé qu'en Belgique. Cela est tellement vrai, que ce sont les industriels eux-mêmes qui demandent l'élévation du rendement, et dès qu'ils l'auront obtenu, leurs exportations pourront s'étendre encore et nous évincer des marchés étrangers où nous nous présenterions dans des conditions d'infériorité. Eh bien ! nous serions peut-être arrivés au même résultat aujourd'hui si, au lieu de remanier nos lois fiscales tous les six mois, on les eût maintenues plus longtemps, afin de permettre à l'industrie de se perfectionner, et elle l'eût certainement fait si elle avait pu compter sur plus de stabilité.

On accuse aussi le commerce et l'industrie des sucres de n'avoir pas produit des résultats plus importants pour l'exportation de nos autres produits manufacturiers. Je répondrai que ce fait est dû particulièrement à l'instabilité de nos lois, qui ne permet pas au commerce et à l'industrie de prendre tout le développement dont ils sont susceptibles.

En effet, voici ce qui est arrivé en 1846 : On croyait que le système nouveau aurait eu quelque stabilité; beaucoup d'industriels, du moins, étaient dans cette croyance, d'autres n'ont pas eu la même foi: les précédents de la législature autorisaient suffisamment, du reste, cette défiance; mais enfin qu'ont fait ceux qui croyaient à la stabilité du nouveau système ? Ils ont étendu leur fabrication ; les deux principales usines du pays, qui depuis longtemps étaient inactives, ont repris leurs travaux.

Je citerai notamment l'usine qui existe à Bruxelles ; cette usine, la plus importante que nous ayons, était autrefois exploité par une société ; et bien ! celle-ci a dû liquider par suite, en grande partie, des effets de la loi de 1843. A Anvers, plusieurs négociants ont fait revenir des navires en voyage; je crois même qu'en 1844 deux navires ont été construits expressément pour la navigation vers les Antilles. En 1847, de nouveaux navires ont également été construits dans le même but. Eh bien ! je dis, à ne juger que par les effets immédiats qu'à eus la loi de 1846, que si le commerce avait pu compter sur plus de stabilité, le mouvement qui s'est déclaré alors se serait sans contredit considérablement accru.

Mais, dit-on, comment se fait-il que la protection accordée au commerce des sucres n'ait pas imprimé plus d'activité à notre commerce d'exportation. Mais, messieurs, peut-on attribuer aux sucres le défaut d'exportation vers les colonies? On nous a parfaitement démontré que la plupart de nos produits, nos tissus liniers, par exemple, trouvaient difficilement à se placer aux colonies.

J'ai fait connaître à la chambre quel sort avait subi notre industrie sur un marché très important, celui de la Havane, et ce qui avait permis à l'honorable M. Mercier d'établir que, dans les années précédentes où il avait été fait moins d'exportations en sucres, notre industrie avait placé plus de produits sur le marché de la Havane.

J'ai partagé cette opinion ; j'ai dit qu'autrefois la Belgique était presque exclusivement en possession de la Havane et que petit à petit les Anglais nous ont supplantés sur ce marché en y apportant des produits mieux appropriés à la consommation et à des prix infiniment réduits. Il est résulté de là que nous avons perdu insensiblement ce débouché. Aujourd'hui, un autre mouvement s'opère dans l’industrie; on cherche à imiter les Anglais, en produisant à meilleur marché qu'eux, et j'ai la conviction pour ma part, pour peu qu'il y ait de stabilité dans nos lois de finances, que nous finirons par déranger le commerce des sucres.

Je suis convaincu qu'avant peu d'années et dès l'année prochaine peut-être, nous aurons supplanté les Anglais dans le commerce des toiles à la Havane.

Déjà, et je crois que mon honorable ami M. Osy vous l'a dit, des toiles appropriées à la vente à la Havane y ont été envoyées depuis peu et y ont provoqué des ordres plus considérables que ceux que l'on peut exécuter dans cette espèce de toiles. Il est à ma connaissance qu'on n'a pas pu exécuter des ordres très considérables qui ont été envoyés en Belgique depuis la réception des toiles de la nouvelle fabrication.

Je sais qu'il en est de même pour d'autres colonies. Je sais que des résultats aussi satisfaisants ont été obtenus à Rio qu'à la Havane, et que de ce côte aussi des ordres considérables vont être passés.

L'honorable M. Mercier disait encore, pour vous empêcher de persister dans le système de la loi de 1846, que si une nation voisine était disposée à faire des sacrifices pour son commerce, nous ne devions pas l'imiter, que nous n'avions pas les mêmes intérêts. C'est la reproduction d'une phrase qui se trouve dons le rapport de l'honorable M. Cools, et qui indique pourquoi nous ne devons pas imiter la Hollande.

L'honorable M. Cools dit dans son rapport que nous n'avons pas les mêmes intérêts que la Hollande, parce que nous n'avons pas de ports de mer aussi nombreux qu'elle, parce que nous n'avons pas de colonies. Mais je crois que ce sont là des raisons de plus pour faire des sacrifices pour notre commerce. Si nous avons moins de ports de mer que la Hollande, nous avons plus d'intérêt à tirer un bon parti de ceux que nous possédons; et si nous n'avons pas de colonies, c'est une condition d’infériorité pour notre industrie, c'est une difficulté de plus pour elle à trouver des placements avantageux. Nous devons donc nous adresser aux colonies avec lesquelles nous pouvons avoir un commerce suivi.

Et quelles sont ces colonies? Ce sont celles qui produisent le sucre et le café. Quant au commerce de café, nous avons dû, on vous l'a dit, en sacrifier la moitié à la Hollande; c'est un élément qui vient à manquer à notre marine marchande. Il lui reste le sucre. Otez-lui ce produit, et j'ai la conviction que vous verrez avant peu tout commerce maritime détruit en Belgique.

M. H. de Baillet. - Messieurs, sans avoir la prétention de contribuer à éclairer la question qui vous occupe depuis plusieurs jours, qu'il me soit permis de prendre un instant la parole, afin de motiver mon vote.

Le commerce et l'industrie ont besoin de stabilité dans les conditions que la législation leur a faites pour pouvoir prospérer; les fréquents changements de la loi tuent nécessairement l'esprit d'entreprise, qui ne naît et ne vit que de la confiance; sur la foi de la loi de 1846, des armateurs ont construit des navires destinés au commerce des sucres, des raffineurs ont introduit à grands frais des perfectionnements dans leurs usines, les ont agrandies, de nouvelles raffineries ont été établies. Est-il sage, est-il équitable de venir inopinément jeter la perturbation dans tous ces intérêts, tout miner et tout détruire ?

On reproche parfois à notre commerce de n'être pas suffisamment animé de l'esprit d'entreprise, de se borner à faire la commission sans faire pour son propre compte des exportations de nos productions nationales, ce qui serait surtout utile à l'industrie ; mais on ne s'aperçoit pas que le système de mobilité de nos lois est la cause du mal qu'on accuse. Il serait par trop téméraire, en effet, pour le négociant d'engager ses capitaux dans de grandes entreprises dont les succès dépend de la stabilité des conditions que la loi lui a faites, tandis que cette loi elle-même n'offre aucun caractère de stabilité.

Eh! réfléchit-on suffisamment à l'importance des intérêts mis en jeu? Il résulte de la discussion que le commerce et l'industrie des sucres donnent lieu dans le pays à un mouvement général de près de 52 millions. Les dépenses des navires chargés de sucre, entrés en 1847 dans nos ports, peuvent être évalués à 10 millions de francs, et celle de la mise en fabrication, absorbée exclusivement par la main-d'œuvre, à 3 millions; il faut en outre tenir compte des divers droits de port, des droits de douane, de timbre, de transport par le chemin de fer, des patentes, etc., que le commerce de sucre paye au gouvernement outre les droits d'accises de trois millions.

Tous ces avantages, on veut les sacrifier à une majoration de l'impôt direct de quelques cent mille francs, sans songer que les avantages indirects, dont je viens de faire mention, produisent peut-être autant au gouvernement, et que même on compromet les trois millions que l'on perçoit aujourd'hui ; car si la loi actuelle venait à tomber, sans doute, au moyen de la fraude, à travers nos longues frontières, la Hollande alimenterait, en partie, notre propre consommation.

Qu'on n'oublie pas l’histoire banale de la poule aux œufs d'or.

Tandis que le pays s'impose tous les jours de pénibles sacrifices pour soutenir des industries qui sont en décadence, et fournir du travail aux classes ouvrières, est-il concevable qu'on veuille tuer une industrie pleine de vie, d'activité et qui occupa tant de bras que celle des sucres?

Est-il concevable que, tandis qu'il est reconnu que la loi de 1846 est le pain de notre marine marchande, on veuille lui ôter ce pain et mettre ainsi obstacle à l’extension de la navigation nationale qui pourrait servir si efficacement à l'exportation de tous les produits du pays, si le commerce osait compter davantage sur la stabilité de nos lois ?

En fait d’industrie et de commerce se complairait-on sur des ruines ? Faudrait-il ajouter de nouveaux désastres aux désastres des Flandres? Les forces vitales de la nation sont-elles destinées à s'épuiser eu efforts continuels et impuissants pour relever des débris ?

Et sur qui tomberaient les premières rigueurs des projets en discussion, s'ils pouvaient être admis? Evidemment sur les petits raffineurs qui, dès le moment qu'il ne s'agira plus que de satisfaire au besoin de l’intérieur, ne pourront pas soutenir la concurrence, et seront d'abord ruinés ; sur des manouvriers, des ouvriers raffineurs, des petits artisans et gens de métier qui, en masse, vivent de l’industrie qu'on veut tuer ; tous gens dont le bien-être préoccupe spécialement aujourd'hui tous ceux qui s'occupent de la chose publique. C'est aujourd'hui que vous voulez jeter tout ce monde désœuvré sur la rue! Vraiment, le moment est bien choisi !

Ce serait le peuple qui serait frappé dans sa consommation ; sa denrée en enchérirait. En effet, le peuple consomme les bas produits, la mélasse, la cassonade, q t'il obtient aujourd'hui à bas prix, à cause de la grande abondance provenant du raffinage des sucres pour l'exportation. Qu'on fasse cesser ce raffinage, les bas produits viendront à manquer, et la denrée du pauvre sera au même prix que celle du riche.

(page 1290) Ainsi les projets de loi en question n'ont aucun côté populaire. Ils priveraient à la fois le peuple d'ouvrage et de sucres à vils prix.

Et au profit de qui veut-on priver la Belgique d'une branche d'industrie qui prospère, qui est pleine d'avenir et qui promet une grande extension à la navigation nationale, qui doit être le véhicule de toutes les productions de notre industrie? Au profit de la navigation et de l'industrie d'une nation voisine et rivale, qui saura profiter de nos fautes, s'emparer de nos marchés à l'extérieur, et parviendra peut-être même, au moyen de la fraude, à fournir en partie à nos propres besoins, par suite des conditions respectivement-faites aux industries des deux pays.

Car vous ne pouvez pas supposer, malgré l'assurance qu'on vous en a donnée, que la Hollande ne tarderait pas à imiter la Belgique et à renoncer au système des primes ; il est bien plutôt à présumer qu'elle s'empresserait de profiter de nos fautes et de se substituera nous sur tous les marchés à l'étranger.

Le système de M. Mercier, ainsi que celui de M. Sinave, frapperaient d'une mort instantanée le commerce des sucres et la fabrication pour l’importation. Le système de M. Cools leur accorderait la faveur d'une agonie; en définitive, tous trois conduisent à la mort et seraient désastreux pour le pays.. C'est pourquoi je les repousserai de mon vote. Quant aux modifications que le gouvernement propose d'introduire dans la loi de 1846, pour mieux garantir les intérêts du trésor et en augmenter les revenus, je regrette que cette loi ne puisse rester intacte.

Sous ses auspices il y a eu progression dans la production du sucre indigène, progression dans l'importation du sucre brut, progression dans le raffinage, la navigation nationale a reçu de l'extension et le trésor a obtenu les 3 millions qui lui ont été promis.

Toutefois je reconnais les exigences du trésor, auxquelles il y a lieu de satisfaire, c'est pourquoi j'adopterai celles des modifications proposées par le gouvernement qui, par suite de la discussion des articles, me paraîtront de nature à pouvoir être admises, sans entraîner la ruine des raffineries et du commerce de sucre, qui serait une véritable calamité pour le pays.

M. le président. - Voici un amendement déposé par M. Manilius :

« Par sous-amendements aux amendements de M. le ministre des finances, je propose :

« A l'article premier de substituer le chiffre 45 à celui de 48, et le chiffre 37 à celui de 40;

« A l'art. 5 de substituer le chiffre 63 à celui de 67 et le chiffre 62 à celui de 66. »

- Cet amendement, sera imprimé et distribué.

La séance est levée à 4 heures et demie.