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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 8 mai 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. H. de Brouckere, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1299) M. A. Vandenpeereboom fait l'appel nominal à une heure et quart.

M. de Luesemans lit le procès-verbal de la séance précédente; la rédaction en est approuvée.

Propositions de loi relatives au droit sur les sucres

Discussion générale

M. le président. - M. Delfosse vient de déposer les sous-amendements suivants aux amendements de M. le ministre des finances :

« Substituer l'article premier du projet de la section centrale à l'article premier du projet du ministre.

« A l'article 5, paragraphe premier, substituer le chiffre 64 au chiffre 68. Supprimer le paragraphe final du même article.

« A l'article 6, paragraphe premier, substituer 1,750,000 fr. à 1,600,000 fr., pour que le minimum des recettes soit de 3,500,000 fr. au lieu de 3,200,000 francs proposés par le ministre. Au même article, paragraphe final, substituer 4 millions à 3,700,000 et 64 à 66.

« Si ces sous-amendements étaient adoptés, il y aurait lieu de modifier l'article 10 des dispositions transitoires. »

Je propose à l'assemblée d'ordonner l'impression et la distribution de ces amendements.

- Adopté.

M. Coomans. - Messieurs, il y a bien des choses à dire sur la question des sucres telle qu'on l'a posée en Belgique. Les longs et fatigants débats dont elle est périodiquement l'objet dans cette enceinte, vous le démontrent assez. S'il suffisait d'avoir consacré beaucoup d'huile et d'encre à l'étude des problèmes qu'elle soulève, d'avoir séjourné et parfois erré, comme bien d'autres, dans cet inextricable dédale, j'aurais peut-être quelques titres aussi à votre attention. Eu supposant que le droit de faire des discours sur cette matière soit une compensation aux ennuis qu'elle cause à qui la remue, cette satisfaction d'amour-propre me serait un peu due. Je me repens, hélas! de l'avoir trop méritée. Je m'en repens d'autant plus qu'une solution lumineuse ne m'est pas encore apparue. Je m'avoue tout à fait indigne du diplôme de docteur en législation saccharine. Ce grade brillant n'appartient qu'aux adeptes qui ne doutent point, et qui ont le bonheur de pouvoir soutenir en conscience des conclusions utiles et définitives. Privé de cet avantage, je reste cloué sur les bancs de l'école avec plus de désir que d'espoir de rencontrer la solution satisfaisante que l'élite du pays cherche, depuis tant d'années.

Cet aveu très sincère, qui discrédite d'avance, je le reconnais, les observations que j'ai à vous soumettre, me défend d'entrer dans la discussion des détails de la demi-douzaine de projets de loi dont vous êtes saisis. D'honorables orateurs, du reste, se sont acquittés de cette tâche avec toute la profondeur désirable. La chambre est suffisamment éclairée à cet égard, ou elle ne le sera jamais. Tout ce que je puis me permettre, messieurs, c'est de vous présenter quelques remarques générales sur des principes à côté desquels on me semble avoir glissé avec moins de logique que d'habilité.

Les adversaires de la loi du 17 juillet 1846, que MM. Mercier et Cools ont replacée sur l'enclume parlementaire, se récrient bien haut contre la prime accordée aux sucreries. Ils y voient une atteinte exorbitante et ruineuse portée aux principes de la science et aux intérêts nationaux. Je ne puis partager leur manière de voir. La prime dont jouissent nos raffineries est exactement pareille à celle que palpent toutes les autres industries protégées par la douane. Elle est prise dans la poche du consommateur. Elle provient du renchérissement factice du sucre, c'est-à-dire de la différence qui existe entre le prix naturel du sucre raffiné et le prix artificiel réglé par l'accise. Le consommateur de sucre paye la prime dont il s'agit de la même façon que le consommateur de tissus, de charbons et de mécaniques paye la prime accordée aux producteurs de ces dernières marchandises. Tout droit de douane est une prime déguisée. Il n'a pas seulement pour effet de protéger le commerce intérieur, car très souvent il appuie l'exportation sur le levier de la consommation. Là git le secret de la prospérité industrielle de la Grande-Bretagne. En réservant son marché à ses propres travailleurs, l'Angleterre leur a donné un point d'appui pour leurs opérations avec l'étranger. Jamais elle n'aurait atteint le haut degré de puissance commerciale où elle est parvenue, si elle n'avait eu que des débouches exotiques. Ce qui se passe dans l'affaire des sucres, où le Belge contribue à la réduction du prix de la marchandise au profit de l'étranger, a également lieu dans une foule d'autres circonstances. Le monopole intérieur dont l'Angleterre a longtemps joui a été l'une des causes principales de l'avilissement de ses produits sur les marchés extérieurs, et la France ne nous procréerait pas à si bon compte ses tissus de laine et de soie si le droit de douane, qui frappe sa propre consommation, ne servait de prime de sortie.

J'ai lieu de croire, messieurs, que vous êtes rassasiés de chiffres; sinon je vous prouverais sans peine que, d'après la règle qui m'a été appliquée dans une autre circonstance par les honorables MM. d'Elhoungne et Ch de Brouckere, l'industrie des laines, des cotons et des houilles par exemple, prélève sur le consommateur belge une prime annuelle de trente à trente-cinq millions de francs. A côté de ces chiffres la prime de un à deux millions qu'on veut arracher aux sucres, n'est qu'une bagatelle. Toutes nos industries, hormis une seule, sont dans le même cas; toutes mettent, sans vergogne, le consommateur à contribution; toutes s'opposent à la concurrence étrangère, c'est-à-dire à la réduction des prix; toutes vendent leurs produits plus cher qu'ils ne valent, plus cher que le Belge ne se les procurerait si les marchandises étrangères étaient mises à sa portée. La prime s'attache de tous côtés au consommateur comme une armée de sangsues. La prime se colle à son habit, à ses hauts et bas de chausses, à ses souliers, à son chapeau, à sa perruque; elle escalade ses lunettes, elle pénètre en lui par tous les pores.

J'ai entendu d'estimables personnes, toutes couvertes de primes de la tête aux pieds, signaler avec indignation la prime qui se glissait dans le gousset du fabricant de betterave et du négociant en canne. Tant il est vrai de dire que la dose d'égoïsme dont nous sommes tous imbus est une infirmité naturelle qui nous empêche d'apercevoir nos propres primes, tout en nous scandalisant de la prime du voisin. C'est la millionième confirmation de l'apologue du fétu et de la poutre.

De toutes les primes connues (et Dieu sait si elles sont nombreuses par suite de leur habileté à revêtir des formes diverses pour s'imposer sournoisement aux bourses grandes et petites), de toutes les primes connues, la plus simple, la plus loyale, la plus raisonnable est celle qui se mesure sur la consommation, c'est-à-dire celle qui, s'ajoutant au prix de la marchandise, est payée par le seul consommateur.

La prime saccharine est acquittée par le mangeur de sucre de même que la prime cotonnière par celui qui use de cotonnades, la prime charbonnière par celui qui brûle la houille, etc. Ici la prime me semble être dans son droit, elle est alimentée par les siens, elle est librement supportée. S'y soustrait qui veut. Mais il est d'autres primes d'une nature complexe et équivoque, qu'il est plus diffîcile d'absoudre et dont s'accommodent pourtant à merveille certains adversaires de la prime des sucres. Je veux parler de la part d'impôts qu'on réclame des contribuables pour alimenter des spéculations en déficit, aux avantages desquelles la plupart ne participent pas. Le supplément de charges publiques qu'exige, par exemple, l'entretien du chemin de fer et des paquebots d'Ostende à Douvres, est une véritable prime concédée aux intérêts que favorisent ces établissements publics. La question n'est pas ici de savoir si cette dernière prime est utile ou non ; il me suffit de constater que c'en est une, et bien autrement anormale que la prime saccharine.

Messieurs, puisque la législature belge proclame la nécessité d'accorder des primes à l'industrie et au commerce, puisqu'elle leur a volé une prime monstrueuse qui s'appelait la British-Queen, puisqu'elle maintient la prime à mille suçoirs de la douane, puisqu'elle est sur le point de décréter des primes sous forme de comptoirs et de société d'exportation (genre de primes fallacieuses contre lesquelles il faut qu'elle se mette particulièrement en garde) ; puisque la législature, est engagée dans cette voie, elle aurait tort, ce me semble, de supprimer la prime des sucres, l'une des plus innocentes de la famille. Loin de l’abolir, je la conserverais volontiers, si elle est de nature, comme je le pense, à tenir lieu d'une société officielle d'exportation, de subsides directs à la navigation et au commerce. Il y a d'excellentes raisons de douter qu'il y ait une prime quelconque dont l'influence soit aussi sensible sur le mouvement commercial et maritime que la prime laissée aux sucres.

Veuillez le remarquer, messieurs, je ne fais pas ici le panégyrique de la prime, même sous la forme anodine qu'elle revêt en matière de drawback et de droits de douane. Je respecte trop la science, j'éprouve un trop vif désir de ne plus m'attirer les pensums que ses honorables organes, dans cette enceinte, m'ont administres naguère, pour commettre cette hérésie. Je ne dis pas que la prime soit orthodoxe, mais je n'hésite pas à déclarer qu'elle est souvent bonne, et que la Belgique aurait tort de se conformer à de beaux et sévères principes, afin de se ruiner honorablement selon les règles de la science. Les intérêts matériels sont positifs et prosaïques de leur nature. Ils aiment mieux prospérer à l'ancienne mode que mourir glorieusement d'après la nouvelle. Ils ont tort, sans doute, mais ils ne se corrigeront jamais de ce tort ; aussi les docteurs en économie politique feront-ils bien d’en prendre leur parti.

L'exemple que l'Angleterre nous donne à l'heure où je parle me vient à point. Dans ce pays aussi la prime a été furieusement traquée, surtout dans les livres. Les savants l’ont proscrite sans merci, et, à force de belles déclamations, ils sont parvenus à lui rogner un peu les dents et les ongles. Tout en appliquant les principes progressifs à l'agriculture, l’industrie et le commerce ont cédé la moindre portion possible de leurs privilèges. Déjà les libre-échangistes s'applaudissaient de ce succès et annonçaient la disparition prochaine de la prime à l'agonie, quand les protectionnistes, c'est-à-dire les partisans de la prime, reprenant courage, (page 1300) ont enrayé le mouvement du « free trade ». En ce moment même ils semblent avoir le dessus, sinon à la chambre dits communes, du moins dans l'opinion publique, et des esprits observateurs prétendent que l'Angleterre est sur le point de défaire l'œuvre des dernières années comme fatale aux intérêts essentiels de son commerce, de son industrie et de son agriculture.

Or, messieurs, si l'Angleterre, dont les immenses ressources lui assurent tant d'avantages sur ses rivaux, revient sur ses pas et relève la prime, serait-il prudent de notre part de la supprimer chez nous, où le travail national est bien moins capable de se suffire à lui-même?

La meilleure économie politique étant celle qui développe et assure le travail national, je souscris au système des primes dont l'effet immédiat est d'écarter la concurrence étrangère. Les défenseurs du sucre sont du même avis cette fois. Ils avouent aujourd'hui que le travail national mérite d'être protégé par des contributions publiques. C'est une concession importante dont je prends acte. Désormais la fabrique anversoise et gantoise me défendra, j'espère, contre de savants collègues, qui m'ont blâmé d'avoir dit que la main-d'œuvre belge doit être achalandée avant la main-d'œuvre exotique, et que le bon marché, trop systématiquement poursuivi, mène à la ruine générale.

La leçon vaut la peine d'être méditée. La fabrique anversoise et gantoise n'est pas de l'école de ceux qui prétendent que le pays doit tout acheter au plus bas prix possible. Elle jetterait les hauts cris si l'on proposait de lever la prohibition qui frappe les sucres hollandais. Elle prouverait que le bénéfice qui en résulterait pour les contribuables ne compenserait pas le chômage de ses usines et de ses ouvriers. La voilà, elle aussi, mise au ban de la science, car la science exige que nous acceptions nos sucres des mains de la Hollande, qui nous les livrerait à 60 centimes au lieu de 1 fr. 20 centimes.

En frappant les sucres hollandais d'un droit de douane égal au droit d'accise en vigueur, le trésor belge percevrait au-delà de cinq millions sans faire hausser la marchandise. Voilà ce que réclame la science, mais il paraît que la science et l'intérêt public ne marchent pas d'accord, car aucun des honorables partisans du libre-échange que nous avons le plaisir de voir assis dans cette enceinte, n'a demandé l'admission du sucre batave, bien qu'on nous l'offre parfaitement raffiné au prix que coûte notre sucre brut. L'honorable M. Lesoinne s'est même montré si conciliant sur ce chapitre, qu'au lieu de supprimer le drawback de l'honorable M. Frère-Orban, et la prime douanière de M. Mercier, il a promis de voter pour le statu quo, c'est-à-dire pour la plus forte des primes sollicitées. Cette large concession surprend de la part de M. Lesoinne qui défend ses convictions avec une si loyale énergie. L'honorable député, ennemi déclaré de la prime, a laissé échapper là une belle occasion de la détruire ; il eût mangé la prime hollandaise en admettant eu Belgique le sucre de nos voisins du nord !

J'admets donc la prime en théorie et en fait, à la condition expresse qu'elle soit équitable et générale. Protectrice du travail national, elle doit s'appliquer à toutes les industries, afin que ceux qui la payent puissent la recevoir à leur tour. Quand une prime ne sort d'une poche que pour y être remplacée aussitôt par une prime équivalente, la charge n'est nulle part et le bienfait est partout, car de ce grand mouvement d'affaires il n'y a d'exclu que l'étranger. Comme le nombre des producteurs est beaucoup plus considérable que celui des consommateurs oisifs, et comme ceux-ci, en définitive, vivent des bénéfices de ceux-là, il y a toujours avantage à favoriser le travail indigène. Mais il importe que la prime soit à la portée de chacun, qu'elle soit pour tous ou pour personne, d'abord parce que cela est juste, ensuite parce que la prune paye la prime, c'est-à-dire qu'une certaine catégorie de citoyens ne saurait longtemps supporter au profit d'une autre des charges sans compensation.

Il est bien vrai que, sous prétexte de progrès, on a exclu des bénéfices de la prime les trois quarts des Belges, tout en la maintenant intacte en faveur du quart restant. Ce fait nous autoriserait à guerroyer contre la douane, dégénérée en privilège. Nous croyons toutefois devoir nous en abstenir pour le moment, attendu que ce nouveau régime économique nous parait transitoire.

Ce n'est pas faire injure aux chambres actuelles que de constater que l'élément industriel et commercial y domine. Elles ne tarderont pas à replacer l'agriculture dans le droit commun, dès qu'il leur sera démontré (ce moment est proche) que cette importante industrie s'affaisse sous les charges qui lui sont imposées, charges dont le paupérisme est la plus lourde et la plus cruelle.

Or donc, messieurs, la science économique n'a rien à voir dans la question des sucres. Dans cette question, comme dans bien d'autres, il y a des besoins et non des principes, et force est de satisfaire ceux-là, fùt-ce aux dépens de ceux-ci. L'homme d’Etat étudie les faits plutôt que de s'égarer dans de décevantes hypothèses. Il décrète la prime des sucres quand l’intérêt d'une grande industrie l'exige, quand la concurrence étrangère impose ce sacrifice, et il laisse pérorer les savants, qui, du reste, n'ont pas toujours le courage de leur opinion, témoin ce qui se passera dans le vote final.

Ou aurait tort de croire d'ailleurs que j'éprouve pour la prime des sucres une passion voisine du fanatisme. Il n'en est rien; je la tiens pour fâcheuse, et je me garderais bien de l'approuver si la Hollande ne s'en servait comme d'un stimulant commercial. J'ai dit mainte fois depuis quelques années qu'un accord international pourrait abolir la prime d'exportation sans nuire à la raffinerie et au commerce des deux pays où elle subsiste. Dans la sixième section et dans la section centrale, j'ai exprimé l'opinion qu'il serait sage d'ajourner la réforme de notre législation saccharine jusqu'à ce que le gouvernement belge eût fait des efforts sérieux auprès du cabinet de la Haye pour arriver de commun accord à ce résultat désirable. Mon avis n'a pas prévalu. On a craint qu'un pareil ajournement n'équivalût au renvoi de la question aux calendes turques (Interruption) grecques, si vous le voulez, messieurs, mais l'inadvertance est légère, car, pas plus que chez les anciens Hellènes il n'y a de calendes chez les Turcs. - Mon opinion donc n'a pas été admise. Et cependant tout autorise à croire que la Hollande nous prêterait l'oreille sans répugnance. L'état de ses finances ne vaut certes pas mieux que celui des nôtres. Et puis la suppression de la prime ne diminuerait pas le mouvement commercial; elle aurait pour résultat d'élever sur les marchés étrangers le prix des sucres raffinés, non de les y faire proscrire. Cessant d'être limitée par le chiffre de la consommation intérieure, l'exportation pourrait même se développer à l'aise. D'ailleurs, afin de soutenir la concurrence anglaise et française, et d'empêcher l’établissement de raffineries dans la Baltique et la Méditerranée, la fabrique hollandaise et belge pourrait conserver une prime de quelques francs par 100 kilog. cinq, six ou même huit francs.

Dans cette hypothèse, les quatre à cinq raillions de francs que les deux pays consacrent libéralement au commerce des sucres, alimenteraient un mouvement d'affaires deux à trois fois plus considérable. Il suffirait d'accorder la prime réduite dont nous parlons, aux sucres raffinés en entrepôt qui seraient destinés à l'extérieur. On doit reconnaître que la prime de 1,500,000 francs environ, supportée par la Belgique, est trop forte pour une exportation de six à dix millions de kilogrammes seulement. Une somme de cette importance pourrait être mieux employée. Je prends derechef la liberté d'appeler là-dessus l'attention du gouvernement.

M. Cools, rapporteur. - Messieurs, la tâche que j'ai à remplir s'agrandit tous les jours : jusqu'à présent j'étais chargé de défendre deux propositions, la mienne et celle de la section centrale qui viennent, du reste, se confondre en une seule ; une troisième est venue s’y joindre hier : un honorable député de Bruxelles a déposé un amendement qui reproduit exactement ma proposition, en d'autres termes. Ce que j'ai à dire s'applique donc à trois propositions différentes, lesquelles, au bout du compte, n'en font qu'une seule.

Ce qui me donne quelque confiance en moi-même, ce qui me fait espérer que je ne succomberai pas sous le fardeau, c'est que je m'aperçois que je gagne du terrain. C'est ainsi, par exemple, que hier, j'ai obtenu un triomphe dont j'ai lieu d'être fier: j'ai converti aux trois quarts M. le ministre des finances. Quel était le langage qui a été tenu jusqu'à présent? Les deux propositions soumises à la chambre conduisent exactement au même résultat : l'une supprime complètement le commerce d'exportation, l'autre aura indirectement le même effet. Avec votre proposition, le commerce des sucres est impossible. Aujourd'hui il n'en est plus tout à fait de même : on veut bien convenir que si ma proposition était accueillie, le commerce des sucres pourrait encore conserver quelque activité, il y aurait un certain mouvement commercial répondant a quelque chose comme 19,000,000 de kilogrammes.

Eh bien, je l'avouerai, c'est là une bien large concession, et cependant elle ne suffit pas à beaucoup près. Néanmoins, je l'accepte avec reconnaissance, parce que dans ces sortes de questions, le premier pas est toujours le plus difficile à faire. Je suis convaincu que si M. le ministre des finances veut bien me faire l'honneur d'écouter ce que j'ai à dire, il fera les autres et nous finirons par être parfaitement d'accord sur les effets qui découleront de l'adoption de ma proposition.

Un honorable représentant de Charleroy, qui siège derrière moi, m'a adressé une demande dans l'avant-dernière séance. Voici comment cet honorable membre s'est exprimé : « M. Cools nous disait hier qu'il fallait arriver à des termes clairs dans la discussion. Eh bien, je lui demande franchement comment il peut croire qu'une exportation de sucre raffiné soit possible avec le rendement qu'une recette de 4 millions suppose. Pour obtenir 4 millions, il est clair, à mes yeux, qu'il faudrait établir un rendement de 76 et bientôt de 8 p. c. Or, que mon honorable collègue veuille bien nous expliquer comment nous pourrions, avec un tel rendement, soutenir la concurrence de la Hollande pour le commerce d'exportation. »

Je fournirai à l'instant l'explication demandée. Seulement je dirai d'abord quelques mots concernant deux ou trois autres points. Je crois pouvoir promettre dès à présent que ma réponse sera complète.

M. le ministre des finances s'est beaucoup occupé, dans la dernière séance, du chiffre de la consommation. Il a dépensé beaucoup de temps et d'efforts pour démontrer que réellement la consommation nette en sucre ne s'élève pas à 11 millions. On conçoit les peines que M. le ministre s'est données, car, s'il venait à être démontré que la consommation nette s'élève, comme nous le soutenons, au moins à 11,500,000 kilog., absolument tout ce qui a été dit contre l'impraticabilité de notre proposition vient à tomber, notre proposition est parfaitement acceptable et sous le rapport fiscal et au point de vue commercial.

M. le ministre a eu seulement un tort dans cette longue dissertation, qu'il me permette de le lui dire; et sous ce rapport, il s'est départi quelque peu de la convenance parfaite qu'il avait mise dans le choix des termes dont il s'est servi pour se livrer à la réfutation de mon système. M. le ministre n'aurait pas dû dire, à chaque instant : « J'adopte les bases de M. Cools ; nous sommes parfaitement d'accord quant aux chiffres. » Ces mots répètes à tout moment, ont pu induire beaucoup de membres en erreur. Je suis donc force de démontrer à la chambre que (page 1301) des différences assez grandes nous séparent; et, à mon tour, je dois, à mon grand regret, m'occuper de la question de la consommation. Du reste, je promets d'être très bref.

Je n'entrerai pas dans tous les détails des chiffres, des petites rectifications; je réduirai la question à sa plus simple expression, et je m'appuierai sur le document que M. le ministre a fait distribuer pour satisfaire, je le reconnais, à un désir exprimé par l'honorable M. Jullien, document que tous les membres peuvent avoir sous les yeux; il leur sera donc très facile de suivre les quatre ou cinq rectifications que j'ai à faire et que je désire justifier.

Il y a, a dit avec raison M. le ministre des finances, une consommation officielle et une consommation non officielle. Il y a la consommation qui peut être contrôlée, qui tombe sous les yeux de l'administration, c'est la seule qui produise quelque chose; il y a ensuite une autre consommation sur laquelle le contrôle de l'administration ne tombe pas; celle-là est indifférente à la question qui nous occupe, car elle ne fournira jamais un écu. M. le ministre a eu raison en principe, voyons s'il a été aussi heureux dans l'application.

Nous nous sommes occupés de la consommation des cinq dernières années, mais dans quel but? Est-ce pour savoir quelle quantité a été contrôlée, en fait, ou bien n'est-ce pas plutôt pour savoir quelles quantités auraient pu être constatées avec les moyens de contrôle que le gouvernement a eu en ce moment en son pouvoir et dont il continuera à faire usage? Evidemment c'est dans ce dernier but.

Ce n'est qu'en sachant ce que le gouvernement aurait pu contrôler, ce qu'il pourra continuer à contrôler avec les moyens qu'il a maintenant à sa disposition, qu'on saura ce que la consommation pourra dans l'avenir fournir en produit.

Sous ce rapport, M. le ministre a fait droit en partie à l'observation que je viens de faire, mais seulement en partie. Toute la discussion porte sur la production en sucre de betterave. Je prends d'abord les chiffres constatés, et je trouve pour les 5 années tes chiffres suivants-.2,850,000 kil., 2.490,000 kil., 2,450,000 kil., 4,300,000 kil., et 5,700,000 kil.

Nous voyons la différence immense qu'il y a entre les trois premières années et les deux dernières.

Nous ferons contre ces chiffres deux espères d'objections. Nous disons: Vous n'avez pas bien contrôlé toutes les quantités de sucre dont vous avez approche; vous n'avez pas approché de toutes les quantités qui ont été produites.

Maintenant, M. le ministre, satisfaisant à la première observation, a modifié les chiffres; il a calculé les quantités qui ont été déclarées sur une autre base, celle que nous avions indiquée, et les chiffres se sont sensiblement augmentés. Nous trouvons 3,380,000 kil., 2,870,000 kil., 2,780,000 kit., 4,450,000 kil., 5,900,000 kit. Nous pensons que ce n’est pas assez ; il y a eu les premières années plus de sucre produit que ces étals ne constatent. Pour le prouver, voici ce que nous disions dans le rapport de la section centrale.

« Nous avons maintenant une observation importante à présenter par rapporta la production en sucre de betteraves des trois premières campagnes.

« La différence entre le chiffre de la production pour ces trois campagnes et celui des deux campagnes suivantes est énorme.

« D'autre part, le travail des fabriques est reste sensiblement le même, au moins jusqu'au commencement de la campagne de 1847-1848. Aucune fabrique importante n'a été érigée. Le nombre général des fabriques a même diminué. Ce nombre était de 32 au commencement de l’année 1843. Il est aujourd'hui descendu à 24. (Nous aurions pu ajouter que la culture de ta betterave n'a pas pris de l'extension. Le nombre d’hectares ensemencés en betteraves est resté sensiblement le même.)

» Ce rapprochement doit donner la conviction que pendant les premières années de la perception de l'accise sur le sucre indigène, la production a été plus forte que nous ne sommes parvenus à le constater.

« Ce fait peut s'expliquer de différentes manières. L'administration était encore aux tâtonnements; les employés étaient sans expérience, ils étaient guides par des instructions provisoires qui ont plus tard été reconnues insuffisantes; même alors qu'un régime de surveillance nouveau, celui du 13 août 1846, a fait sensiblement augmenter la recette, il a été démontré qu’on avait quelquefois recours à des moyens de fraude pour atténuer la densité du jus. (Voir Documents parlementaires, n°313, p. .1.)

« Qu'on adopte l'une ou l'autre explication, il nous est toujours démontré, par les résultats constatés peinant les deux dernières campagnes, que précédemment une quantité notable du sucre produit doit avoir échappé au contrôle de l’administration.

« Nous croyons que nous resterions en deçà de la vérité en évaluant la production du sucre de betteraves, pendant les trois premiers exercices, en moyenne à 4,000,000 de kilogrammes. »

Nous avons donc calculé à raison de 4 millions de kilog., évaluation évidemment modérée, car ces années la production officiellement constatée, a été de 4,300,000, 5,700,000 et 4,600,000.

Maintenant nous disons : Si pour ces trois premières campagnes vous aviez fait usage des moyens que vous avez maintenant à votre disposition : Si la surveillance sur les fabriques était organisée comme en ce moment ; Si vous aviez calculé à raison de1,400 grammes, comme en ce moment, vous auriez pu constater une quantité de 4,000,000 de kilogrammes par année.

Maintenant arrivons aux chiffres. Remarquez que cette quantité de 4 millions de kilog. fait une différence d'environ 3 millions à répartir sur les cinq années.

Le dernier chiffre du gouvernement est de 10,877,018 kilog. Ayant la moyenne que je viens d'indiquer, par la rectification des trois premières années, et qui constitue un chiffre de 593,453 kilog. par an, vous avez une consommation moyenne de 11,471,071 kilog.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela fait double emploi.

M. Cools, rapporteur. - Nullement. Je vais le démontrer. Le chiffre de 4,000,000 de kilog. comprend tout ce que vous avez constaté et tout ce que vous auriez pu constater. Le calcul à raison de 1,450 disparaît dans le total.

Le compte des trois premières années est fait ; je n'ai rien à y ajouter. Il reste les deux dernières années.

Pour les deux dernières années, M. le ministre a calculé, comme je l'avais fait moi-même dans une autre circonstance, lorsque je me plaçais à un autre point de vue, à raison de 1,450 grammes. M. le ministre fait cette observation : A l'avenir, je ne puis plus constater qu'à raison de 1,400 grammes. Il y a donc là un excédant qui échappe à l'administration, qui tombe dans cette catégorie de produits qui ne rapportera jamais rien. Il faut donc diminuer le chiffre.

Cette observation est parfaitement juste.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a double emploi, sous d'autres rapports.

M. Cools. - Vous verrez mes calculs dans le Moniteur; je crois que vous les reconnaîtrez exacts.

Vous avez donc, pour ces deux années à déduire un chiffre de 351,747 kil., faisant en moyenne, pour les cinq années, 70,349 kil., ce qui réduit le chiffre de la consommation à 11,400,722 kil.

Remarquez, messieurs, qu'il y a une légère différence entre ce chiffre et celui que nous avions nous-même indiqué précédemment. Nous disions que le minimum de le consommation était 11,500,000 kil. et nous avions même diminué, en adoptant ce chiffre, les résultats auxquels nous étions arrivés, de quelques centaines de kilog. Mais pourquoi? C'est que nous avions calculé le déchet à raison de 3 p. c, et qu'ici, pour me placer sur le terrain de M. le Ministre, je l'ai calculé à 5 p. c.

Vous verrez à l'instant que cette question du déchet n'a pas d'importance au point de vue auquel nous nous plaçons en ce moment. Cependant comme on pourrait supposer qu'il y a une certaine contradiction entre les résultats auxquels nous arrivons aujourd’hui et ceux que nous avions contractés précédemment, je tiens à dire que si vous vous en tenez exclusivement à la consommation nette, le chiffre est supérieur à 11,500,000 kil.; parce qu'il est reconnu qu'en fait le déchet en moyenne, n'est pas de 5 p. c. Qu'il soit de 3 p. c, comme je l'ai dit, qu'il soit de 3 1/2, comme l'honorable M. Mercier l'a calculé, il est de fait qu'en réalité il s’approche beaucoup plus de 3 que de 5. C'est ce que les intéressés vous diront eux-mêmes en confidence. Nous avons d'ailleurs des documents. En 1846, les raffineurs d’Anvers se sont adressés à la chambre; ils ont parlé du raffinage de la Hollande. Eh bien, savez-vous à combien ils évaluaient le déchet en Hollande? Ils l'évaluaient en moyenne à 2 p. c. Si la moyenne est de 2 p. c. en Hollande, elle n'est pas de 5 p. c. ici.

Du reste, cette question je peux l'abandonner. Que l'on calcule le déchet à 3 ou à 5 p. c. nous arrivons au même résultat quant aux produits.

En effet, je crois l'avoir démontré dans une séance précédente, l'impôt est établi sur le sucre brut. Si vous voulez savoir ce que peut rapporter le sucre qui se consomme dans le pays, il ne faut pas calculer la quantité de sucre consommable ou consommée, mais il faut calculer la quantité de sucre brut nécessaire pour alimenter la consommation. Il est donc évident qu'il faut ajouter le déchet. Eh bien , ajoutant le déchet qui est, en moyenne, à 5 p. c, de 935,832 (chiffre rectifié comme conséquence des rectifications précédentes), vous obtenez en produit brut 12,336,574. Voilà donc couverte la différence que je signalais tout à l'heure.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous faites porter le déchet sur toutes les mises en raffinage et non sur l la quantité nécessaire pour produire la quantité nette de la consommation.

M. Cools. - J'accepte l'interruption ; supposons qu'il y ait erreur, je n'ai pas le temps de le vérifier ; elle ne serait, dans tous les cas, que d'un peu plus de 300,000 fr. et je vais vous faire une concession sur laquelle vous la retrouverez.

Je disais, donc, messieurs, que le produit brut est de 12,336,574 kil. Maintenant nous avons répété à satiété que ceci est le chiffre minimum, que nous avions des raisons de croire qu'il faut y ajouter encore cinq cent mille kilog pour avoir la consommation réelle. Nous avons calculé la consommation nette à 11,500,000 kil., tout en ajoutant que nous avions des motifs fondés de croire qu’elle se rapprochait beaucoup plus de 12 millions, que de 11,500,000 kil. Appliquant le même raisonnement au total auquel nous sommes arrivés, parce que nous n'avons pas fait de rectification de ce chef jusqu'à présent, nous devrions dire que la consommation brute est beaucoup plus près de 13 millions que de 12,500,000 kilog.

Maintenant, messieurs, j e ais faire une concession et elle est suffisante pour répondre à l’interruption de M. le ministre. Admettons que cette quantité de production nette 12,500,000 kilog. ne soit pas un minimum, mais que ce soit un maximum ; admettons que la production brute soit, au minimum, de 12 millions et au maximum, de 12,500,000 kil.

(page 1302) Eh bien ! savez-vous ce que cette production brute peut fournir de produits? Je vais vous le dire : Je calcule la production en sucre de betterave, à raison de 4,500,000 kilog., soit a raison d'un impôt de 38 fr. c'est une évaluation très modérée; j'arrive alors à ce résultat-ci : c'est qu'une production brute de 12 millions vous fournit un chiffre de 5 millions 85 000 fr. et le chiffre de 12,500,000 kilog. vous fournit un produit de 5,310,000 fr.

Maintenant, messieurs, vous avez sous les yeux les pièces du procès; je n'ajouterai plus un mot, parce que je crois que la cause est instruite, en ce qui concerne la question de la consommation ; je crois que je puis attendre avec confiance le verdict de la chambre.

Je passe à un autre point.

Il a été beaucoup question, dans cette discussion, de l'instabilité de nos lois. Ce sont surtout MM. les représentants d'Anvers qui ont fait entendre des doléances sur cette espèce de croisade qui est dirigée sans cesse contre le commerce des sucres, sur cette mobilité indéfinie de la législation. Comment, disent-ils, les raffineurs peuvent-ils avoir confiance dans leurs propres efforts? comment voulez-vous qu'ils introduisent des perfectionnements dans leurs procédés? Vous changez la loi tous les jours. Ah! faites comme en Hollande. On est bien plus sage en Hollande: Là les lois sont stables; là on ne fait pas les folies que nous faisons en Belgique; aussi là le commerce est prospère. Si nous avions imité l'exemple de la Hollande, nous serions à peu près dans la même position.

Messieurs, l'honorable M. Mercier a déjà fait observer que la cause de l'instabilité provient, en grande partie, des intéressés eux-mêmes; c'est parce que du moment que la question des sucres surgit, ils font des efforts inouïs pour amener le moindre changement possible, pour se tenir le plus près possible du statu quo, et lorsqu'une loi est votée, le lendemain ils recommencent leurs efforts pour la démolir pièce à pièce. Mais, messieurs, il y a une autre remarque à faire, c'est que les raisons qu'on donne pour nous inspirer le regret d'avoir modifié quelquefois notre législation sont complètement sans valeur. C'est que l'exemple sur lequel on s'appuie n'existe pas.

Partout où le système des primes existe, on le supporte avec impatience, on fait des efforts journaliers pour en être débarrassé.

Et je vais dire une chose qui étonnera beaucoup les représentants d'Anvers; j'en suis fâché pour eux, mais les changements ont été au moins aussi fréquents en Hollande que chez nous. (Interruption.)

J'ai les pièces en main. Je vais le démontrer : quelles lois avons-nous faites sur les sucres :

1° la loi d'Huart (8 février 1832).

2° la loi du 4 avril 1843.

3° la loi du 17 juillet 1846.

Voilà tout; et nous sommes occupés à faire la quatrième. La nomenclature n'est pas longue.

Je ne tiens pas compte de la petite loi du 25 mars 1841, qui a réglé la manière dont il faut s'y prendre pour concasser le sucre en entrepôt, afin d'éviter la fraude. Cette loi n'a pas eu une grande influence, mais je veux bien l'ajouter si on le veut, nous aurions ainsi quatre lois depuis la révolution.

Vous avez là quatre lois commerciales ; je ne cite que celles-là car c'est de la question commerciale que nous nous occupons.

Je ne parle naturellement pas des petites lois nue nous avons faites, depuis un ou deux ans pour régler la surveillance des fabriques de sucre de betterave; car elles n'ont aucune influence sur la question commerciale et c'est la seule dont nous nous occupons.

Nous n'avons donc que quatre lois.

Combien y en a-t-il en Hollande? Quatre également.

La première est du 2 janvier 1832 ; elle a élevé le rendement, qui était d'abord de 55 1/2, à 57-22.

Puis est venue la loi du 22 décembre 1833 (rendue, remarquez-le, 2 ans à peine après la précédente), qui a de nouveau élevé le rendement à 62-80.

Est venue ensuite une troisième loi, la loi du 30 décembre 1840, qui a élevé le rendement à 67.

Finalement est venue la loi du 3 avril 1846, qui a porté le rendement à 72-95.

Et remarquez bien que tous ces changements qui ont été successivement opérés avaient pour résultat de rendre la position des exportateurs de plus en plus mauvaise, de diminuer la prime.

La Hollande a chaque fois agi ainsi, sans négocier ; elle n'a pas cru devoir s'appliquer le conseil qu'on nous donnait naguère, de commencer par négocier; elle n'a pris conseil que de ses intérêts. La Hollande nous a donné l'exemple jusqu'à présent, et la dernière loi qui a été votée en Hollande a été présentée quatre ou cinq mois avant que l'honorable M. Malou eût déposé son projet.

Si la Hollande n'est pas allée plus loin, n'avons-nous pas quelques motifs de dire que c'est peut-être parce que nous n'avancions pas assez? Notre rendement étant plus faible qu'en Hollande, il en résultait que naturellement la Hollande nous devançait chaque fois et que nous la gênions, parce que notre position était maintenue meilleure que la sienne. Il est certain que si nous avions alors diminué davantage les primes, la Hollande serait allée plus loin. Je vais le prouver. Voici ce que disait le ministre des finances de Hollande, M. Vauhall, lorsqu'il a déposé son projet (c'était le 26 octobre 1845; ainsi, 4 ou 5 mois avant l'époque où M. Malou a présenté le sien aux chambres belges) : « Le gouvernement a tenu constamment ses regards fixes sur la législation des pays voisins, en ce qui concerne l'impôt sur les sucres, afin de saisir le moment où des moyens pourraient être employés pour diminuer les sacrifices que l'Etat s'impose pour cette industrie, sans qu'il en résultât un danger pour cette branche importante du commerce national. » Vous l'entendez, « afin de diminuer les sacrifices que l'Etat s'impose pour cette industrie.»

Ces paroles doivent nous rassurer sur la conduite que la Hollande tiendra dans l'avenir. Les faits sont là pour prouver que jamais la Hollande n'a profité des changements que nous avons introduits dans nos lois, pour nous supplanter sur les marchés étrangers; au contraire, elle a chaque fois, elle aussi, diminué les primes qu'elle accorde de son côté. Soyez en convaincus, messieurs, si cette fois nous faisons un bon pas en avant, la Hollande nous suivra. Ce qui doit nous en donner presque la certitude, c'est que sa position financière lui en fait une loi ; cette position est certainement beaucoup plus mauvaise que la nôtre ; la Hollande a donc le plus grand intérêt à sortir le plus tôt possible de ce système de primes.

Maintenant je crois qu'il est temps une fois pour toutes que nous aussi nous donnions exemple; la Hollande chaque fois a commencé; c'est à nous maintenant à prendre l'initiative.

J'arrive à une autre nature d'objections qui ont été faites contre ma proposition. On a dit : « Comment pouvons-nous accepter votre système? Le rendement le plus élevé qu'on peut obtenir en Belgique, c'est 75 p. c; eh bien, avec votre système, il faudrait élever le rendement à 76, 78 ou 80 p. c.»

D'abord, messieurs, il y a ici une confusion entre la décharge et le rendement. On en est encore à cette idée que rendement légal est synonyme de décharge. J'ai tâché d'expliquer la différence dans le premier rapport de la section centrale. Mais je n'insisterai pas sur ce point. C'est là une dissertation théorique à laquelle nous ne pouvons pas nous livrer en ce moment ; elle serait mal saisie par la chambre. Je veux donc bien me servir du langage de ceux qui me font l'objection, et dire rendement légal au lieu de décharge.

Je dirai que cette objection provient en grande partie de cette erreur, si généralement répandue, que ce sont les produits fins seuls qui supportent l'impôt.

On croit, par exemple, que si on fixait par la loi ce qu'on appelle le rendement légal, complètement au niveau du rendement le plus élevé qu'on peut obtenir, c'est-à-dire que si on accordait la restitution de la totalité du droit pour 75 kilog., alors que le fabricant ne peut obtenir, par exemple, que 75, il n'y aurait plus de prime. C'est là une erreur complète. Il y a encore les bas produits ; les bas produits jouissent d'une partie de la prime. Et cette prime est même assez forte à raison, non pas de la valeur de chaque kilog. de ces produits, mais au nombre de ces kilog. que le fabricant conserve indemnes de droits. Cette erreur est la cause de l'inexactitude des chiffres qui ont été donnés hier par M. le ministre des finances. Il suppose que la prime n'est plus aujourd'hui que de fr. 4-50, tandis que, d'après nos calculs, calculs qui ont été insérés dans le premier rapport de la section centrale, elle est réellement de fr. 14-79.

Messieurs, pour répondre une bonne fois pour toutes à ce préjugé généralement répandu, qu'il n'y aurait que les produits fins qui supportent l'impôt, je ferai cette simple question : Si l'impôt n'atteint que les produits fins, pourquoi la loi accorde-t-elle une restitution pour l'exportation de la cassonade et du sirop? Une restitution de quoi ?... Je crois que cette simple demande suffit pour démontrer la fausseté de l'idée. Si les bas produits ne supportent pas une partie du droit, la législation actuelle n'a aucun sens.

M. le ministre des finances est tombé également dans quelques erreurs à l'égard de la prime qui continuera à subsister, si sa proposition est accueillie, mais c'est en partant également de ces fausses prémisses. Il a prétendu que j'en avais commis une dans la réponse que je lui avais fournie dans une séance précédente, en ce que sa proposition diminue la prime actuelle, tandis que j'aurais prétendu qu'elle reste sensiblement la même. Ce n'est pas là une question à traiter dans ce moment; il ne faut pas embrouiller davantage la discussion qui est déjà assez confuse; je me réserve de répondre à ce point en temps opportun.

Je dirai seulement, quant à présent, à M. le ministre que l'objection qu'il m'a faite provient d'une simple méprise. Ce que j'ai dit est parfaitement exact ; seulement, M. le ministre n'a pas bien saisi le sens de mes paroles; il n'y a rien d'étonnant à cela. C'est une réponse improvisée que je faisais à la fin d'une séance. Je n'ai pas pu entrer dans des développements. M. le ministre et moi, nous ne différons que sur une question de mots; du reste, la question reviendra plus tard.

Mais, messieurs, ces objections ont encore une autre origine : c'est qu'on ne se rend pas bien compte du mécanisme de la loi de 1846, c'est qu'on ne saisit pas bien la lutte qui s'établit entre la recette et l'oscillation de la décharge.

Du reste, ces objections ne sont pas nouvelles; elles se sont produites à l'époque où l'honorable M. Malou a défendu son projet. Il s'est donné beaucoup de peine pour détruire des préjugés qui existaient dans quelques esprits; il n'y est pas parvenu complètement, à ce qu'il paraît; car les mêmes objections ont été reproduites, dans la discussion actuelle, par des membres qui faisaient alors partie de l'assemblée. A cet égard, je n'entrerai pas dans une longue démonstration, car probablement je ne serais pas plus heureux que ne l'a été l'honorable M. Malou. Je démontrerai, lorsque le moment sera venu, qu'il y a une erreur complète dans les effets qu'on suppose que ma proposition aura sur l'élévation du rendement ; dans aucun cas, il n'est nécessaire de le porter à 76, 78, 80 p. c. pour que ma proposition puisse recevoir son exécution. Le rendement ne sera (page 1303) pas porté au-delà de ce qu'on peut obtenir, il restera même au-dessous, et malgré cela, les 4 millions seront obtenus. Cela sera démontré plus tard ; nous n'en sommes pas encore là. Toutes ces objections reviennent du reste à la question qui m'a été posée par M. Dechamps, et qui peut se résumer en ces termes : Pour avoir quatre millions, il faudra abaisser la décharge au-dessous de la décharge hollandaise ou, en d'autres termes, élever le rendement au-dessus du rendement hollandais : or cela est impossible. J'arrive à la réponse que je lui ai promise.

Dans une séance précédente, j'ai dit qu'avec ma proposition, il pouvait y avoir encore une exportation de 8 millions de kil. environ. Vous vous rappelez que j'ai dit que je ne pouvais pas indiquer le chiffre à un million de kil. près; je dois dire maintenant que, pour arriver à ce chiffre de 8 millions, je me suis précisément placé sur le terrain de mes adversaires, j'ai supposé que le rendement ne serait pas, ne pourrait pas être porté au-dessus du rendement hollandais. J'ai supposé qu'il resterait légèrement au-dessous.

Depuis la séance où j'ai énoncé ce fait, je me suis livré à quelques calculs; ils confirment à peu de chose près l'exactitude de l'évaluation que j'ai faite une première fois. Je me suis posé celle question : Quel est le mouvement commercial possible avec la décharge à fr. 62, répondant à un rendement de fr. 72-68, quand on veut obtenir un minimum de recette de 4 millions? C'est bien là, je pense, la véritable question. Eh bien, pour la résoudre, je me suis servi des modèles de tableaux fournis par l'auteur de la loi de 1846. L'expérience a démontré que les calculs contenus dans ces tableaux étaient parfaitement exacts.

J'avais cru un instant (on peut reconnaître ses erreurs dans une question semblable), j'avais cru un instant, dans le premier examen que j'ai fait dans l'intervalle des sessions, que les faits n'étaient pas entièrement conformes aux calculs, parce que j'avais attaché trop d'importance aux faits constatés pendant la première année de l'exécution de la loi. Sous ce rapport des explications très satisfaisantes ont été données par l'honorable M. Dechamps. Je reconnais qu'on ne peut pas juger de l'effet d'une loi la première année de son exécution, et dans cette circonstance moins que dans une autre, car le marché intérieur se trouvait encore encombré du produit des 4/10, formant un legs de la législation immédiatement précédente.

Dans les années suivantes, les calculs de M. Malou ont été confirmés. Ces calculs présentent cependant des résultats un peu trop brillants; voici la cause, c'est qu'il a opéré à raison d'une consommation de 12,000,000 kil.; je crois que cette consommation est légèrement exagérée. Je n'ai plus une foi aussi robuste dans cette opinion depuis les recherches faites en dernier lieu. Voulant toujours me placer sur le terrain de la modération, j'ai fait des calculs sur une consommation de 11,500,000k.

Maintenant, il y a une remarque à faire : le mouvement commercial dépend un peu de la quantité de sucre de betterave qui est produite. Cependant cette influence n'est pas aussi forte qu'on pourrait le supposer. Il y a seulement une légère différence.

Pour avoir tous mes apaisements, je me suis posé deux hypothèses. J'ai supposé une mise en raffinage pour le sucre de betterave de 5,900,000 kil., c'est un peu plus que la production officielle de l'année dernière; j'ai supposé ensuite une mise en raffinage de 4,500,000 kil., c'est un peu moins que celle de cette année.

Je ne donnerai pas ici les détails des calculs, je compte les faire insérer dans le Moniteur. Il faut que chacun soit rassuré sur les effets d'une proposition dont on a singulièrement exagéré le danger ; on l'a exagéré de bonne foi, j’en suis convaincu, des préventions existaient dans les esprits, il m'importe de les détruire. Mes calculs pourront être contrôlés, voire même les disséqués, espèce de travail qui paraît avoir un attrait particulier pour quelques personnes.

Pour le moment je me bornerai à faire connaître les résultats auxquels je suis arrivé. Je trouve dans un cas une exportation de 7,700,000 kil. et dans l'autre une exportation de 7,850,000 kil. Je suis donc bien près des 8 millions que j'avais supposés d'abord. Ces chiffres répondent à un mouvement commercial qui dans un cas est de 22 millions 300 mille kil. et dans l'autre à un mouvement de 23 millions 400 mille kil. Le mouvement commercial est aujourd'hui de 28 millions à 28 millions et demi.

Maintenant on fera peut-être cette réflexion : Le mouvement commercial ne se règle pas à volonté. Puisque vous maintenez un rendement inférieur à celui de la Hollande, il est possible qu'on exporte plus que les 8 millions de kilog. que vous indiquez. Le mouvement pourra s'élever, qui le sait? à 25, 27, 28 millions de kilog. Qu’arrivera-t-il alors? Ce qui adviendra, c'est que la recette de 4 millions commencera par ne pas être complétée; à l'instant même il arrivera de deux choses l'une : le gouvernement réduira la décharge, au-dessous de la décharge hollandaise, ou bien les exportateurs continueront à faire ce qu'ils ont fait jusqu'à présent, ils compléteront la différence; ils payeront par anticipation, et on maintiendra la décharge à 62 francs, répondant à un rendement intérieur à celui de la Hollande.

Maintenant, pour terminer, je me hâte d'ajouter que j'ai fait, comme on fait toujours dans des discussions de cette nature ; j'ai tâché de ne pas livrer trop de prise à mes adversaires ; j'ai choisi la plus mauvaise de toutes les hypothèses. J'ai des motifs fondés de croire, ce n'est là qu'une espérance, je l’avoue, mais enfin, ces motifs ont fait naître dans mon esprit presque une conviction que les résultats seront meilleurs que ceux que j'ai indiqués ; vous en comprendrez de suite la raison. : Tous ces calculs que j'ai faits sont basés sur une consommation de 11,500,000 kilog. Or, je pense que la consommation est notablement plus forte.

Une autre raison, c'est que je crois que la décharge peut être abaissée en Belgique pas beaucoup, mais un peu, soit 1 fr. ou 2, au-dessous de la décharge admise en Hollande.

Je crois que cette opinion peut être justifiée par un grand nombre de raisons ; l'honorable M. Mercier en a dit une; il en existe plusieurs autres; je me réserve de les indiquer dans un autre moment.

Toujours est-il que revenant aux tableaux qui seront insérés au Moniteur, je puis dire que l'objection de l'honorable M. Dechamps est complètement détruite. La recette sera réalisée, sans que le rendement doive être élevé au-delà du rendement de Hollande, si l'on restreint les exportations de manière à répondre à un mouvement commercial de 22 à 23 millions de kilog.

Est-ce donc une situation si mauvaise pour avoir un million de recettes de plus?

Comparons-nous cette situation non pas avec la dernière année, la meilleure de toutes, mais en prenant, comme nous l'avons fait jusqu'à présent, une période de cinq ans : 1848 28,814,000 kilog., 1847 25,716,000 kilog., 1846 19,919,000 kilog., 1845 1, 200,000 kilog. et 1844 21,500,000 kilog.

C'est-à-dire que la situation serait légèrement inférieure à celle de 1847 et qu'elle serait de beaucoup supérieure à celle des trois années précédentes.

Voilà tout ce que vous avez à redouter pour faire produire à l'impôt un million de plus dans la plus mauvaise de toutes les hypothèses.

Mais remarquez qu'indépendamment de ce produit d'un million, vous aurez des produits indirects. Je vous ai démontré, il y a quelques jours, que de ce chef il ne pourrait y avoir qu'une perte d'une cinquantaine de mille francs ; M. le ministre des finances a évalué ces produits indirects à 400,000fr. Admettons son évaluation et vous aurez dans ce cas un produit total de 4,350,000 fr.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne pense pas que la discussion générale doive encore se prolonger longtemps. Aussi je me hâte de prendre la parole pour rectifier des erreurs qui, selon moi, sont évidentes, et sur lesquelles repose toute l'argumentation de l'honorable préopinant. C’est relativement au chiffre de la consommation.

Je rappellerai à la chambre qu'on peut quitter le champ des hypothèses, si l'on veut considérer les inductions que j'ai eu l'honneur de vous soumettre hier à l'assemblée; elles constaient ce qui sera consommé dans l'année commencée le 1er juillet 1848, et qui finira au 30 juin 1849. Celle-là n'est pas problématique, nous avons les quantités livrées à la consommation pour neuf mois, il y a là une certitude ; et s'il y a quelque doute relativement aux trots derniers mois, la proportion que j'ai prise est telle qu'on peut affirmer que la consommation n'ira pas au-delà du chiffre que j'ai eu l'honneur d'indiquer. Elle ne sera dans cette hypothèse (brute) que de 11,165,112 kil.

C'est là un fait de la plus haute gravité, parce que cette démonstration, relativement à l'année où nous nous trouvons, fait tomber toutes les inductions, fait disparaître tous les calculs de probabilités sur les quantités soustraites à l'impôt pendant un temps plus ou moins long.

Je rappelle donc à l'attention de la chambre cette observation capitale.

Voici maintenant les deux erreurs que l'honorable M. Cools vient de commettre.

Il dit du'après avoir calculé la charge à 1,450 grammes pour toute la période de 1843 à 1848, il doit encore y ajouter 600,000 kilog., pour chacune des années pendant lesquelles la surveillance n'a pas été complète.

Il y a là double emploi manifeste. Pourquoi, d'après les indications de l'honorable M. Cools, calcule-t-ou les charges à raison de 1,450 grammes au lieu de 1,400 grammes? Précisément pour retrouver les parties qui avaient été soustraites à l'impôt.

M. Cools. - Vous n'avez pas compris.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai parfaitement compris. C'est pour retrouver cette partie, et je vais le démontrer par la manière même dont vous opérez à l'égard de l'année 1847, pendant laquelle, de votre propre aveu, la surveillance a été exercée de manière à rendre la fraude impossible. Que faites-vous? Vous dites que cette année, la fraude n'ayant plus été possible, il n'y a plus de motif de calculer les prises en charge à 1,450 grammes, qu'il faut les calculera 1,400 grammes. C'est une preuve incontestable que vous commettez un double emploi.

Autre preuve: lorsque l'honorable M. Mercier et le gouvernement, avant d'avoir adopté la base indiquée par l'honorable M. Cools, c'est-à-dire le calcul des prises en charge a raison de 1,450 grammes, étaient à la recherche des quantités qui avaient été soustraites à l'impôt, que faisait le gouvernement? Il estimait que les quantités soustraites à l'impôt étaient, pour ces années, de 500,000 kilog. par an, et il les ajoutait au chiffre officiel de la consommation ; ainsi en plus, pour trois années, 1,500,000 kilog. L’honorable M. Mercier estimait au contraire que les quantités soustraites à l’impôt étaient de 600,000 kilog; il les ajoutait a ces années, par conséquent 1,800,000 k log. Eh bien non seulement vous ajoutez ces l,800,000 kilog. qui entraient dans les calculs de l'honorable (page 1304) M. Mercier, mais vous y ajoutez encore la charge au taux de 1,430 grammes.

Vous voyez donc que le double emploi est clairement établi.

Il est un second point à rectifier; c'est relativement au déchet. L'honorable M. Cools a dit : Nous faisons bon marché de la discussion sur le point de savoir si le déchet doit être porté à 3, 3 1/2, 4 ou 5 p. c, car le droit se perçoit sur les quantités brutes. Par conséquent ajoutons à la quantité nette de la consommation, la quantité représentant le déchet, et nous aurons exactement la consommation. J'arrive ainsi, continue l'honorable membre, à une consommation de 12 millions 900,000 kilogrammes.

Savez-vous, messieurs, comment opère ici l'honorable M. Cools? L'honorable membre ajoute à la quantité nette de la consommation, la totalité du déchet sur toutes les mises en raffinage. Il y a là une erreur si manifeste qu'elle a dû vous frapper à la simple énonciation. En d'autres termes, si l'on veut reprendre le tableau, l'inexactitude devient si éclatante, qu'on ne comprend pas qu'elle ait été commise.

La quantité nette de la consommation, accusée par le tableau, est de 10,877,618 kilog. Le déchet sur ta totalité des mises en raffinage est de 952,439 kilog. L'honorable membre ajoute toute cette dernière quantité à la quantité nette de la consommation. En bien, cela n'est évidemment pas admissible. Que faut-il ajouter à la quantité nette de la consommation, à 10,877.618 kil.? Il faut y ajouter ce qui constitue la différence entre la quantité nette et la quantités brute ; il faut ramener la quantité nette de 10,877,000 kil. à la quantité brute. C'est-à-dire au chiffre de 11,449,000 kilog.

Ce sont là, messieurs, des erreurs si évidentes qu'elles ne peuvent avoir échappé à aucun d'entre vous. C'est ainsi que l'honorable membre est trompé sur les conséquences possibles de sou projet. C'est ce qui le conduit, de très bonne foi, mais manifestement en s'égarant, à une exagération très considérable relativement à la consommation.

Messieurs, l'honorable membre vous a dit que je m'étais abusé touchant la prime, parce que j’avais supposé que l'impôt ne portait que sur les quantités de sucre fin, tandis que les autres produits supportent également l'impôt. Il a dit : La prime, au lieu d'être de 4 fr. 50, comme M. le ministre des finances l'a prétendu, est de 14 fr.

L'honorable membre se trompe. En supposant qu'il soit vrai que toutes les qualités de produits supportent l'impôt, la prime serait non pas de 14 fr., mais de 10 fr. 50 c. Cela est facile à vérifier. L'impôt étant de 45 francs, la décharge de 66, le rendement admis de 75 en sucre fin, de 10 en cassonade, de 10 en sirop, il est clair que la décharge de 66 fr. donne, pour 75 kilog., fr. 49-50, et qu'on trouve fr. 4-50 pour les 10 kilog. cassonade et fr. 1-50 pour les 10 kilog. sirop, ensemble fr. 55 50, soit, comparativement à l'impôt de 45 fr., une différence en plus de fr. 10 50.

Mais c'est là, messieurs, une pure illusion. Dans le système de la loi de 1846, comme dans le système de nos propositions respectives, à l'exception de celle de l'honorable M. Mercier, l'impôt n'est assis que sur le sucre fin. C'est ce que j'ai énoncé lorsque, dans la première discussion, j'ai expliqué comme je l'entendais, le mécanisme de la loi. C'est évidemment la pensée de la loi. Maintenant, vous dirai-je qu'en fait le vendeur ne cherche pas à récupérer sur tous les produits une partie de l'impôt? Je dirais une chose qui manifestement serait absurde. Oui, il cherche à se récupérer ; mais en vendant le sucre fin à un moindre prix, il reprend sur les produits inférieurs ce qu'il a dû abandonner sur le sucre fin. Mais cela ne prouve pas que les bas produits supportent également l’impôt de 45 fr. En voulez-vous la preuve? Il n'y a qu'à consulter le prix des cassonades dans la consommation comparé au prix du sucre brut en entrepôt. Eh bien! voici un relevé du prix courant de janvier 1847 inclus le 4 mai 1849, qui détruit complètement cette supposition.

Au 1er janvier 1847, le prix du sucre brut en entrepôt, Havane blond deuxième qualité, était de 69 fr. 83 c. La cassonade clair brun, répondant à cette qualité de sucre brut, se vendait 113 fr. 03 c. ; différence 43 fr. 20 c. Ainsi l'impôt n’était pas retrouvé. Et il faut tenir compte que dans le prix de la cassonade on doit comprendre une certaine valeur représentant les frais de la manipulation du sucre brut.

M. Mercier. - C'est le contraire. La cassonade est un bas produit.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Permettez; il y a là une manipulation; il y a quelque chose à payer. Toujours est-il que l'impôt n'est pas retrouvé en comparant les prix.

Ce chiffre de 43 fr. 20, je le cite à dessein, parce que c'est le plus élevé des prix. Vous verrez, par exemple, qu'à la date du 1er janvier 1849, le prix de cette même cassonade en consommation n'est plus que de 78 fr. 30.

A cette époque, le sucre brut Havane blond deuxième qualité, était coté en entrepôt à 57-13. Il n'y avait ainsi qu'une différence de 21 fr. 17.

Il est clair comme le jour que l'impôt n'est pas retrouvé.

Au surplus, messieurs, ceci est assez secondaire dans la question qui nous occupe; ce n'était que pour répondre à l'observation faite par M. Cools, que j'ai cru devoir donner cette indication à la chambre. Mais il reste démontré, ce me semble, que l'honorable membre s'est trompe lorsqu'il a évalué la consommation à un chiffre si élevé.

M. le président. - Voici un amendement qui vient d'être déposé par M. Ch. de Brouckere :

« L'accise est fixé à 30 francs par 100 kilog.

« Aucun droit ne sera restitué à la sortie du pays, mais le raffinage peut se faire en entrepôt. »

Cet amendement sera imprimé et distribué.

(page 1319) M. de Brouwer de Hogendorp. - Si je prends la parole dans ce débat, c'est moins pour combattre les propositions ministérielles que pour rectifier certaines idées qui ont trouvé de nombreux interprètes dans cette enceinte, et qui me semblent très dangereuses. On infère des propositions faites par deux honorables membres, que les adversaires de la loi de 1846 se laissent guider, avant tout, par des considérations fiscales. C'est là une suspicion contre laquelle, pour ma part, j'ai besoin de protester. Ce ne sera jamais un intérêt fiscal qui me guidera, car je vois que c'est un mauvais guide , un guide qui conduit le plus souvent à un but bien éloigné de celui que l'on veut atteindre. L'intérêt fiscal est presque toujours le destructeur de la prospérité des intérêts auxquels il s'attache, et de cette façon il tarit les sources du revenu s'efforce de faire couler abondamment ; car, ne l'oubliez pas, messieurs, il n'y a de ressources réelles et permanentes pour le trésor public que dans la prospérité du commerce, de l'industrie, de l'agriculture. C'est dans cette prospérité, et là seulement, que nous trouverons les moyens d'améliorer notre situation financière.

Si je me pose donc en adversaire de la loi de 1846, ce n'est pas parce que je crois que le sucre devrait fournir une part plus forte au trésor ; une telle considération est secondaire pour moi ; si je ne veux plus de la loi de 4846, c'est parce que je crois que, sous une pareille législation, sous une législation basée sur de si faux principes, le commerce et l'industrie du sucre ne parviendront jamais à acquérir la vigueur avec laquelle je voudrais les voir fleurir.

A mon avis, le commerce du sucre a une grande importance, et ses effets sur les autres branches de la prospérité publique pourraient être très puissants. Je suis loin de nier, comme l'honorable Mercier, l'influence que les importations du sucre exercent sur le placement de nos produits. Je reconnais avec lui que les échanges directs auxquels ces exportations ont donné lieu sont très peu importants ; mais évidemment, les échanges indirects qu'elles ont provoqués ont dû nous procurer des avantages ; je ne rechercherai pas comment nous n'avons payé ces importations que par des exportations faites les unes directement vers les pays de provenance du sucre, les autres indirectement vers d'autres pays, d'Europe peut-être, mais qui pour cela n'en ont pas moins servi à payer nos importations de Cuba, de Brésil et de Java.

Nous avons payé ces sucres comme l'Angleterre paye les grains, le suif, le chanvre, le lin, le bois que lui livre la Russie pour un montant annuel de 6 millions de livres sterling, tandis qu'elle ne parvient pas à exporter en Russie pour plus de 1,700,000 livres sterling de ses produits, et cependant ce que l'Angleterre reçoit de la Russie devient pour elle une cause aussi infaillible, aussi lucrative, d'exportation de ses marchandises et dans une proportion tout aussi égale, que si la Russie les prenait directement en payement.

La Russie a besoin de sucre, de café, de coton, d'indigo, de bois de teinture, d'épices; le Brésil, Cuba, la Caroline, les îles de l'Archipel asiatique, n'ont pas besoin des produits naturels de la Russie, et ses produits manufacturés ne leur conviennent pas ; mais ce dont ils ont besoin c'est de toiles de coton, telles qu'on en fabrique à Manchester, de toiles de lin telles qu'on en fabrique à Belfast, de mousselines telles qu'on en fait à Glasgow. Ne pouvant donc payer directement la Russie au moyen de ses manufactures, l'Angleterre les transporte là où elle peut les échanger contre des produits dont la Russie a besoin; mise à même d'acheter du sucre, du café, du coton, etc. dans la proportion de ce qu'elle a reçu et de ce qu'elle doit, à la Russie, Cuba, le Brésil, l'Archipel, les Indes, peuvent lui acheter ses manufactures dans une proportion égale ; et la Russie, payée par des produits transatlantiques importés soit des docks de Londres, soit directement sur des crédits ouverts en Angleterre, est payée eu dernier résultat par des produits anglais tout aussi bien que si un échange direct avait eu lieu entre les deux nations. Il serait difficile de suivre les transactions auxquelles nos importations de sucre ont donné lieu ; mais quelque faibles qu'aient été nos exportations directes vers les pays de provenance, je n'hésite pas à croire qu'elles ont provoqué des échanges indirects qui nous ont été avantageux, pour les quantités surtout mises en raffinage pour la consommation intérieure et celles que nous avons revendues hors du pays à l'état brut. Sous le rapport donc du commerce du sucre brut, je ne puis pas partager l'opinion beaucoup trop absolue de l'honorable M. Mercier ; mais je suis complétement de son avis en ce qui concerne le prétendu commerce du sucre raffiné.

Est-ce un commerce que celui qui consiste à vendre à l'étranger un produit fabriqué au prix que coûte la matière première? Où est le bénéfice qui est le but de tout commerce ? Où est la rémunération du travail que la fabrication a occasionné ? Quel nom donner à un commerce, qui, loin de créer aucune valeur, d’être simplement improductif, détruit des valeurs? Je pense avoir le droit de parler ainsi quand je vois que le sucre raffiné belge, n° 2, était coté, vendredi dernier, à Londres en entrepôt, à 27 schellings 6 deniers, soit 34.fr. 92 c. par quintal de 112 livres ou environ à 56,80 kil., et cela nonobstant la fermeté des prix qui résulte de l'espoir que l’on a de voir admettre prochainement en Russie les lumps pilés. Si je déduis de ce prix de 27 schellings 6 deniers, une somme de 2 schellings pour fret et frais de toutes espèces, je reste dans cette évaluation probablement au-dessous de la vérité, puisque je remarque qu'un membre du gouvernement anglais lui évaluait, dans la séance du parlement du 21 juillet 1848, à 2 schellings et 6 deniers, si je déduis, dis-je une somme de 2 fr. 54 c. du prix que le raffineur belge vend son sucre raffiné sur le marché de Londres, je trouve qu'il lui r este net 63 fr. 74 c. pour cent kil. de sucre raffiné. Or, si je compare à ce prix celui du sucre Havane blond 20 et 30 qualité sur la place d'Anvers, qui était de 54 fr. 34 c. à 65 fr. 80 c., moyenne 62 fr. 57 c., je trouve en prenant la moyenne une différence de prix en faveur du sucre raffiné de 1 fr. 17 c. ou en prenant le prix le plus élevé une différence en faveur du sucre brut de 2 fr. 06 c. Et ne croyez pas, messieurs, que ce soit là un fait exceptionnel; on trouverait le même résultat si on faisait les mêmes calculs sur les ventes des sucres raffinés belges qui se font à Hambourg et dans les ports de la Méditerranée. Maintenant aux frais de qui se font ces transactions onéreuses? Elles se font aux frais du consommateur belge. Si elles se faisaient aux frais du raffineur, elles cesseraient bientôt ; elles se font au moyen de la prime et appauvrissent la nation dans la proportion exacte de cette prime. Que l'on dise après cela que l'exportation des sucres raffinés devient une occasion d'exporter d'autres produits belges, je répondrai que cet avantage que l'on exagère étrangement, mais que je veux bien, pour un instant, admettre dans toute sa totalité, ne compense aucunement la perte que fait le pays d'un autre côté.

Messieurs, on se tromperait sur mes intentions si on inférait de ce que je viens de dire que, sous une législation différente, l'exportation des sucres raffinés ne pourrait point devenir un commerce utile pour le pays, si on en inférait que je veux accuser nos raffineurs de ce qu'il y a de fâcheux dans notre situation. C'est avec la loi du 21 mars 1819 qu'est né le germe du mal : si le droit de consommation dont cette loi a imposé le sucre, n'était pas venu frapper le sucre dans son état brut, mais seulement après le raffinage, il n'aurait jamais été question de prime à la sortie, et ce commerce, qui aurait pu contribuer puissamment à la richesse de la nation, ne serait point devenu une lourde charge; libre de toutes entraves, mais libre aussi d'une protection exagérée, il aurait pris un essor plus rapide que chez aucun autre peuple; car, nous jouissions d'avantages que d'autres n'avaient point, et il aurait largement contribué au bien-être général. Maintenant au contraire, quel est le spectacle que l'industrie du raffinage nous présente? Protégée par la plus forte de toutes les mesures protectionnistes, par la protection absolue des produits similaires, le raffinage ne peut exister que si à cette protection vous ajoutez la prime; supprimez l'accise, les droits de douane sur le sucre brut, accordez l'immunité complète, et les raffineurs vous diront que vous les condamnez à mourir. Eh bien ! la cause d'une position aussi anormale a été la loi de 1819 ; en frappant le sucre d'une accise à l'état brut, il a fallu restituer l'accise à l'exportation; ce qui d'abord dans l'esprit du législateur ne devait être qu'une restitution est devenu prime, et la prime est devenue un obstacle an progrès. Si en 1843 la législature avait continué à accorder à la betterave la prime immense dont elle jouissait, pensez-vous (vie cette industrie aurait fait les progrès immenses qu'elle a réalisés? Croyez-vous qu'aujourd'hui elle serait en état de lutter comme elle le fait avec la canne sous un régime de presque égalité de droits? Croyez-vous qu'elle serait en état de produire aujourd'hui 6 millions de kilogrammes? C'est sous le régime de la concurrence que de tels progrès ont été réalisés, des progrès qu'en 1843 on aurait regardés comme chimériques. Il n'en aurait pas été autrement pour le raffinage du sucre de canne si la législation qui a régi cette branche d'industrie eût été plus sage, ce ne serait pas dans une proportion de 20,000 tonneaux que la Belgique prendrait part à un commerce qui depuis 1828 seulement s'est élevée dans la proportion de 200 p. c. La production du sucre qui à cette époque était de 332,000 tonneaux, excède aujourd’hui 1,060,000 tonneaux, et nous n'avons pas su profiter de cette progression !

Je disais en commençant que c'était en vue de redresser quelques erreurs que je prenais la parole dans cette occasion. En effet, l'argument que j'ai entendu répéter par beaucoup d'orateurs est celui-ci : il serait imprudent d'élever le rendement ; nous ne pourrions plus soutenir la concurrence avec la Hollande. Le rendement n'atteint en réalité que 75 p. c.

Vous n'admettez pas qu'on puisse augmenter le rendement sans vous placer dans des conditions défavorables par rapport à la Hollande. Je dis, moi, que nous pouvons porter le rendement à 75, et à ces conditions nos raffineurs auront encore un avantage, à rendement réel égal, rendement dont ils sont les maîtres ; il ne s'agit pour cela que de sortir de la vieille routine ; d'adopter les bons procédés ; ils auront encore un avantage sur leurs concurrents hollandais. Voyons les faits. L'accise est en Hollande de 13 fl. 50 cents, la retenue au profit du trésor est de 5 p. c. soit en principe de fl. 0 67 1/2; 48 additionnels fl. 0 32 1/2; 10 p. c. timbre collectif 0 10, faisant un total de fl. 1 10 c. par 100 kilog.

La décharge est de fl. 18-50, ce qui revient à un reniement de 73. On s'arrête ordinairement à ce chiffre sans tenir compte de l’influence qu'exerce la retenue sur la position du raffineur. Cette retenue produit en Hollande l'effet qu'elle a produit chez nous sous le régime de la loi de 1843. La retenue a pour effet d'encombrer le marché intérieur et d'avilir les prix. Voici ce que dit à ce sujet le principal raffineur d'Amsterdam, M. de Brel a, dont j'ai un écrit devant moi :

« Le raffineur ne peut réaliser la prime et ne peut se rembourser de la somme qui constitue le prélèvement, qu'en vendant pour la consommation intérieure ! Naturellement chaque raffineur veut la même chose et chacun se hâte de réaliser ; il en résulte une concurrence qui pèse de (page 1320) plus en plus sur les marchés, et qui, donnant lieu à des réductions des prix en consommation de plus en plus grandes, finira par les réduire aux prix d'exportation. »

Je ne m'arrêterai qu'à l'effet que l'encombrement du marché produit sur les quantités que le raffineur est obligé par la loi de livrer à la consommation et pour lesquelles il a payé la somme que je viens d'indiquer de fl. 1 10. Cet encombrement a pour effet d'avilir les prix à un tel point que le raffineur ne parvient à récupérer que 10 à 20 p. c. de la retenue qui ui a été faite. Je vais encore laisser parler M. de Bruyn :

« Des onze florins que les raffineurs, dit-il, doivent verser au trésor par 1,000 kil. de sucre brut, ils ne récupéreront qu'une bagatelle, c'est-à-dire 10 a 20 p. c. et au lieu de jouir d'une prime à l'exportation, ils perdent par 1,000 kil., de fl. 8 80 à fl, 9 90. »

Sur fl. 1-10 par 100 kil. que les raffineurs hollandais doivent verser au trésor, ils ne parviennent à recouvrer, d'après M. de Bruyn, que de 10 à 22 cents. Supposons que ce calcul soit exagéré, disons qu'ils en récupèrent 50, quelle influence la retenue au profit du trésor que doivent subir les raffineurs hollandais exerce-t-elle sur leur position comparativement aux raffineurs belges ? Il est évident que la perte qu'ils font sur cette retenue vient en déduction de la somme que l'Etat leur restitue à l'exportation; la perte qu'ils font de ce chef produit, en dernier résultat, exactement le même effet que si l'accise était élevée d'une somme égale. Or calculez, messieurs, quel est le rendement si en maintenant la décharge à fl. 18-80 l'on porte l'accise à fl. 14-10; vous trouverez qu'il est bien près d'atteindre 75.

Je dis qu'à égalité de rendement nos raffineurs auraient encore un avantage sur leurs concurrents hollandais; cet avantage, je le trouve dans l’influence que la retenue forcée exerce en Hollande sur le prix des quantités indemnes. Mais il y a en Hollande encore le timbre. On dit que nous avons les droits de douane dont les raffineurs hollandais sont presque entièrement affranchis ; le timbre compense bien largement cette charge : des cargaisons de sucres raffinés expédiées pour l'Amérique du Sud ont payé pour droit de timbre seulement jusqu'à 900 fl.

Ne croyez point, messieurs, que la prime dont jouissent les raffineurs hollandais soit pour eux d'un aussi grand avantage, qu'ils soient bien jaloux de la conserver. Ils savent que c'est à la prime qu'est dû l'encombrement du marché intérieur et qu'elle arrête le mouvement commercial; aussi voudraient-ils la voir abolir. C'est cela surtout que demandent les raffineurs qui ont fait des progrès. Ce qu'ils demandent ensuite, pour le cas où le gouvernement voudrait continuer à les protéger malgré eux, c'est que le rendement soit augmenté.

«Si le gouvernement et la représentation nationale, dit M. de Bruyn, ne pouvaient point se résoudre à l'abolition complète du droit sur les sucres, que la loi du moins soit modifiée, que l'on abolisse la retenue forcée et qu'on réduise la décharge à 18 fl. De cette façon les raffineurs seront obligés et mis en état d'exporter une plus grande quantité de leurs produits. »

En Angleterre on sait parfaitement à quoi s'en tenir sur les prétendus avantages que la prime accorde aux raffineurs hollandais. Il s'agissait, il n’y a pas longtemps, d'admettre leurs produits en concurrence avec les produits anglais sur le marché même de l'Angleterre. Voici ce que disait dans cette occasion, un membre du gouvernement, mon honorable ami, M. James Wilson, dans la séance du parlement du 21 juillet 1848 :

« Un de nos raffineurs m'a assuré, dit-il, qu'il ne craint point la concurrence des raffineurs hollandais, et que la protection que les résolutions du gouvernement lui assurent le satisfait complètement. »

Je dois vous dire, messieurs, quelle était la protection qui rassurait si complètement ce raffineur anglais, c'était une différence de droit de 4 schillings 8 d. entre le sucre brut terré et le sucre raffiné par quintal.

Voici ce que de son côté disait le chancelier de l'échiquier :

« En ce qui concerne la prime donnée par le gouvernement hollandais, je suis d'opinion que les raffineurs anglais qui raffinent en entrepôt sont parfaitement en état de concourir avantageusement avec les raffineurs hollandais dans les pays étrangers. La prime est de peu ou de point d'utilité aux raffineurs hollandais.

« J'ai été informé qu'ils y attachent eux-mêmes très peu d'importance, et je sais qu'ils se sont adressés au gouvernement afin qu'il leur fût permis d'adopter le système suivi dans ce pays, c'est-à-dire le raffinage en entrepôt. »

J'en viens à un deuxième point sur lequel de grandes erreurs se sont produites dans cette chambre. On a dit que le maximum du rendement devait être calculé à raison de 75 p. c. produits fins sur 100 kilog. sucre brut.

C'est dans les discussions qui ont eu lieu en Angleterre, à propos de la dernière loi sur les sucres, que je puiserai la preuve que le rendement réel excède de beaucoup le chiffre qui a été produit ici.

Le bill amendé par le comité et présenté le 21 juillet 1848 à la chambre des communes proposait d'admettre les sucres étrangers aux droits suivants :

Sucres candis et doubles raffinés liv. 1 7 9,

Sucres simples raffinés liv. 1 4 8

Sucres bruts blancs terrés liv. 1 1 7

Sucres bruns terrés liv. 1 0 0

Sucres bruns moscovades liv. 0 18 6.

Examinons quelle est la proportion entre ces droits.

36,08 kil. sucre simple raffiné sont admis au même droit que 50.80 kil. moscovade ; 41.18 kil. simple raffiné sont admis au même droit que 50.80 kil. sucre brun terré ;44.42 kil. simple raffiné payent autant que 80.80 blanc terré. La proportion des droits qui frappent les sucres doubles raffinés et les sucres moscovades, bruns terrés et blancs terrés est de kil. 33.86, 36.61 et 39.49 à kil. 50.80 sucre brut.

Ces droits étaient donc basés sur les rendements suivants :

100 kil. moscovade rendement 74.96 en simples raffinés.

100 kil. brun terré, rendement 81.06 en simples raffinés

100 kil. blanc terré, rendement 87.44 en simple raffinés

100 kil. moscovade, rendement 66.29 en doubles raffinés.

100 kil. brun terré, rendement 72.06 en doubles raffinés.

100 kil. blanc terré, rendement 77.75 en doubles raffinés.

Je ferai remarquer, messieurs, avant d'aller plus loin, qu'il n’y avait rien de capricieux, rien d'arbitraire dans la fixation de ces droits; voici ce que dit à ce sujet l'auteur de la loi, M. James Wilson, dans la séance du 21 juillet 1848.

« La question est de savoir si le droit qui est mis sur le sucre raffiné étranger est l’équivalent du droit dont est frappé le sucre brut étranger. Un grand nombre d’expériences ont été faites à cet égard dans une grande raffinerie et par le Board of Trade, lesquelles ont établi l'exactitude des chiffres adoptés par le gouvernement. »

Je ferai remarquer aussi que les droits fixés pour les sucres raffinés n'ont pas pour base unique la différence de leur valeur avec les sucres bruts, mais qu'ils comprennent en outre une certaine protection accordée sur le produit fabriqué au raffineur anglais. Cela ressort des discussions du parlement; mais je n'oserais pas me hasarder à dire dans quelle proportion il a été tenu compte, dans la fixation des droits, de cette protection. Mais ce que j'affirme hardiment, c'est que dans le but de cette protection les rendements sont fixés au-dessous de leur taux réel. Vous vous en convaincrez d'ailleurs vous-mêmes, messieurs, lorsque je vous aurai fait connaître les rendements fixés pour les importations des colonies et pour les exportations avec drawback.

Les droits sur les sucres coloniaux étaient fixés comme suit :

Sucres candis et doubles-raffinés, liv. 0.18.0

Sucres simples raffinés, liv. 0.16.0

Sucres bruts blancs terrés, liv. 0.15.2

Sucres moscovades, liv. 0.13.0

Ces droits établissent la proportion suivante entre les sucres raffinés et les sucres bruts :

41.27 kilog. sucre simple raffiné représentent 50.80 kil. sucre moscovade; 36.68 kilog. sucre double raffiné représentent 50.80 kil. sucre moscovade. Ce qui correspond aux rendements de 81.24 kil. sucre simple raffiné pur et 72.20 kil. sucre double raffiné par 100 kilog. moscovade.

Ici, messieurs, ce sont les rendements réels qui ont servi de base à la fixation des droits. Voici ce que disait à cet égard le chancelier de l'échiquier :

« Le droit de 16 schellings sur le sucre raffiné provenant des colonies est tel que je pense qu'il sera dorénavant indifférent au producteur colonial de payer un droit de 13 schellings sur le sucre brut ou de l'importer comme sucre raffiné. »

Et lord G. Bentinck, le grand défenseur des intérêts coloniaux, déclare que cette proposition assure au planteur anglais un avantage considérable.

Remarquez bien, messieurs, qu'il s'agit ici non point d'un rendement de 75 avec des sucres terrés de la Havane, comme en emploient presque exclusivement nos raffineurs, mais d'un rendement de 81.24 avec des sucres moscovades.

J'arrive maintenant aux droits à restituer en cas de mutation. Ce» droits sont :

Sucres doubles raffinés, liv. 0.18.6

Sucres simples raffinés, liv. 0.15.9

Sucres bâtards, liv. 0.13.0

Ces restitutions correspondent aux rendements de :

82.53 sucres simples raffinés par 100 kilog. sucre moscovade.

70.27 sucres doubles raffinés par 100 kilog. sucre moscovade.

96.29 sucres simples raffinés par 100 kilog. sucres terrés blancs.

81.98 sucres doubles raffinés par 100 kilog. sucres terrés blancs.

Nous nous trouvons ici devant des rendements de plus de 82 pour sucres moscovades et de 96 de sucres terrés.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais on n'exporte pas à ces conditions.

M. de Brouwer de Hogendorp. - C'est vrai, les exportations sont très faibles, mais pour une bonne raison, c'est que le raffinage à l'entrepôt est là où l'on raffine avec des sucres qui présentent de plus grands avantages que les sucres coloniaux qui sont plus chers, même en entrepôt, à cause des droits différentiels qui existent en leur faveur. Les sucres que les Anglais exportent, sont des sucres étrangers, et ces exportations sont loin d'être peu importantes. Voici les chiffres : (tableau non repris dans la présente version numérisée.)

(page 1321) Ces sucres qui ne jouissent d'aucune faveur, qui n'ont point joui de la prime comme les sucres belges et hollandais, viennent cependant lutter avec ces sucres surtout sur les marchés de la Méditerranée et de la Turquie, où ils trouvent en outre la concurrence des Américains qui eux aussi ne jouissent pas d’une prime.

Mais je retourne à la législation anglaise de 1848; je n’ai rien dit encore de la loi qui a été définitivement adoptée et qui est actuellement en rigueur. Les propositions du bill du 21 juillet ont été modifiées sous quelques rapports; c'est ainsi que, ne faisant plus de distinction entre les sucres doubles et simples raffinés, elle admet les sucres de toutes espèces au droit de liv. 1.6.8. Le sucre brun terré est admis au droit de liv. 1; la proportion est donc de 38.09 kil. sucre raffiné pour 50.80 kil. sucre brun terré, ce qui représente un rendement de 78.98. Pour le sucre moscovade colonial le rendement est calculé à raison de 75 p. c. enfin le drawback, qui est l'indicateur précis du rendement réel, l'établit à 81.24 pour sucre de toutes espèces.

Je suis entré, messieurs, dans ces détails de chiffres, moins pour combattre aucune des propositions que pour vous faire connaître ce qu'il y a de réel dans cette question du rendement et mettre vos esprits à l'aise sur ce point; je dois déclarer cependant dès à présent qu'aucune des propositions qui vous sont faites ne me satisfait. Je ne puis pas accepter celle de l’honorable M. Mercier, parce qu'elle n'a pas ce caractère de ménagement dont il faut user quand on se trouve devant des intérêts protégés. Le commerce des sucres raffinés tel qu'il se fait aujourd'hui est ruineux, mais je ne voudrais pas, en entrant trop brusquement dans une autre voie, m'ôter les moyens d'en faire un commerce lucratif; sortons graduellement des erreurs de la législation existante; ne tuons pas, par trop de brusquerie, une industrie, qui peut renfermer un bon germe.

Ne plus permettre dès à présent le raffinage pour l'exportation qu'en entrepôt aurait à mon avis cet effet. Nos raffineries sont arriérées parce qu'elles ont vécu de la prime; forçons-les à faire des progrès rapides. Il y a un autre motif encore qui me fait repousser la proposition de l'honorable M. Mercier. En voulant que tous les produits du raffinage soient exportés, je crains qu'il n'y ait un déclassement dans les qualités de sucre livrées à la consommation.

Le sucre soumis au raffinage pour la consommation intérieure ne donnerait pas assez de bas produits, et ce sont ces bas produits, les sirops surtout, qui sont le sucre, le luxe du pauvre. Gardons-nous de les lui enlever.

Quant à d'autres propositions et à celle du gouvernement, je leur trouve un caractère trop fiscal. Je ne veux pas qu'une industrie quelconque, pas plus celle du raffinage qu'une autre, vienne nous reprocher de l'avoir rançonnée à somme fixe.

Je repousse encore la proposition du gouvernement par un autre motif, c’est qu'elle augmente l'accise. Au lieu d'augmenter l'accise, je voudrais la diminuer si la situation du trésor nous permettait de faire un sacrifice temporaire qui bientôt, j'en suis sûr, se transformerait en bénéfice par l'augmentation du produit de l'impôt abaissé, par suite de l'augmentation de la consommation.

Laissez-moi, en finissant, vous dire quels sont les chiffres tirés encore une fois de l'histoire financière de l'Angleterre sur lesquels ma croyance se base.

De 1844 à 1848, les droits sur les sucres coloniaux ont été réduits de 25 schellings 2 deniers à 13 schellings; ceux sur les sucres étrangers de 66 schellings à 21 schellings, et dernièrement à 18 schellings 6 deniers. Voici l'effet que ces réductions ont opéré sur le revenu, 1844 5,473,000, 1845 3,870,000, 4846 4,060,000, 1847 4,605,000, 1848 5,000,000. De façon que l'abandon apparent fait en 1845 de 2,300,000 se trouve presque entièrement compensé, en 1848, par l'accroissement qu'a pris la consommation sous l'influence de la diminution de l'impôt.

(page 1304) M. Jullien. - Plus le débat se prolonge, plus l'attention de la chambre doit se fatiguer; aussi je ne la réclamerai que pour quelques instants seulement.

La question si difficile, si compliquée des sucres devient saisissante, lorsqu'elle se présente dégagée des nuages de chiffres dans lesquels on l'enveloppe. Quelle est l'importance de la prime d'exportation dont jouit le raffinage du sucre, d'après la loi du 4 avril 1843, combinée avec celle du 17 juillet 1846? C'est ce que nous devons rechercher en premier lieu.

Pour apprécier cette importance, il suffit de se demander quel serait le produit intégral de l'accise, quelle somme rentrerait au trésor, si ce produit était en totalité perçu selon la base de ces deux lois? La prime d'exportation représente en réalité la perte que le trésor éprouve par le non-encaissement de la différence entre le produil.de l'accise et la somme de trois millions de francs qui lui reste acquise.

Il est reconnu que l'importation du sucre brut exotique donne droit à une accise de 45 fr. ; il est admis que du moment que les prises en charge de sucre de betterave atteignent la quantité de 4,500,000 kilog. le sucre de betterave lui-même subit une accise de 40 fr. Ce qu'il y a de plus vrai encore, et d'après le texte formel et d'après l'esprit des deux lois que j'ai citées, c'est que l'accise se perçoit sur les quantités brutes de sucre, sans distraction aucune d'un déchet quelconque.

Ces principes posés (et ils sont incontestables), nous devons nous fixer sur le chiffre des quantités brutes de sucre entrant dans la consommation.

Trois chiffres vous ont été présentés dans la discussion :

L'honorable M. Mercier indique un chiffre de 12,720,000 kilog.

L'honorable M. Cools, 12,000,000 »

L'honorable ministre des finances, 11,449,000 »

Eh bien, prenons ce dernier chiffre, soit 11,500,000 kilog. Décomposons ce chiffre, assignons à la betterave 5 millions de kilog. au sucre de canne, 6,500,000 kilog, et voyons quel aurait été l'impôt de l'accise réalisée par le trésor, si l'accise fût entrée en entier dans les caisses de l'Etat.

Le calcul, messieurs, en est simple; 5 millions de sucre de betterave, imposés au taux de 40 fr., donnent une accise de 2 millions de francs; 6,500,000 kil. de sucre de canne imposé au taux de 45 fr., donnent lieu à une accise de 2,925,000 fr., l'accise totale que le trésor aurait dû percevoir, s'il n'y avait point eu de prime d'exportation, aurait donc été de 4,925,000 fr. Le trésor ne perçoit aujourd'hui que 3 millions, par conséquent il essuie une perte de l,925,000 fr. qui forme bien le montant de ce qui est distrait de nos ressources financières pour être converti en prime d'exportation.

M. le ministre des finances, dans la séance d’hier, s'est efforcé d'amoindrir l'importance de cette prime. Il est allé, messieurs, jusqu'à prétendre qu'elle ne s'élèverait qu'à 4 fr. 50 c. Aujourd'hui, messieurs, il a reconnu son erreur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout.

M. Jullien. Aujourd'hui force lui a été d'avouer que cette prime, en ce qui concerne le sucre de canne, pourrait atteindre 10 fr. 50 c., si, comme cela doit être, l’on suppute la prime d'exportation non seulement sur la quantité de 75 p. c de sucre fin exporté, mais encore sur les quantités de cassonade et de sirop qui y donnent ouverture, puisque la loi permet également d'accorder une décharge à l'exportation de ces produits.

Mais, dit-on, on n'exporte pas de cassonade ni de sirop ou du moins on en exporte très peu. Messieurs, moins on exporte de cassonade et de sirop, plus on exporte de sucre fin raffiné, el comme l'exportation de ce sucre donne droit à une prime plus élevée, le producteur a intérêt à en exporter au lieu de sirop et de cassonade. Quoiqu'il en soit, si l’on n’exporte la cassonade et le sirop qu'en faible quantité, c'est aussi parce que les raffineurs livrent ces produits au commerce intérieur ; et soyez-en bien sûrs, ils ont bien soin de faire payer à la consommation la prime qu’ils négligent de demander à l'exportation. Sous ce rapport, donc, la position des raffineurs reste entière, et ils jouissent, comme vous le voyez, de l'intégralité de la prime.

Messieurs, je vous ai fait connaître quel est, selon mon appréciation, le produit de la prime d’exportation. Il s'élève, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, à un minimum le 1,925,000 francs. Une industrie qui prélève annuellement sur le trésor une somme de 1,925,000 fr., peut enrichir les industriels qui reçoivent cette somme, mais à coup sûr elle est ruineuse pour le trésor qui la paye, alors qu'il la paye sans recevoir une compensation équivalente.

J'ai vainement cherché dans la discussion la démonstration que le mouvement commercial, provoqué par 1 exportation du sucre, serait de nature à indemniser le pays de la perte annuelle d'une valeur de 1,925.000 francs, dont il se dépouille en faveur du raffinage. C’est cependant cette démonstration qu'on aurait dû faire pour légitimer la prime d'exportation.

(page 1305) Comme principe d'économie politique, M. le ministre des affaires étrangères vous l'a dit lui-même, le système des primes n'est pas soutenable. Cependant jusqu'à certain point, on comprend que l'honorable ministre des affaires étrangères, cédant à la majorité du cabinet, ait été fatalement entraîné à défendre, dans l'intérêt des raffineries de sucre, un système dont il ne se dissimule pas lui-même les vices ; mais ce que l'on ne comprend pas, ce que l'on ne s'explique pas, c'est que l'honorable M. Lesoinne, lui, le défenseur le plus ardent du « free trade », soit venu vous déclarer hautement qu'il tolérait pour le statu quo du régime de faveur, sous lequel vit l'industrie du raffinage des sucres.

Désormais nous devons reconnaître au sucre une propriété nouvelle : il a toute l'action du chloroforme sur les doctrines du libre-échange, telles que les professe l’honorable M. Lesoinne.

On a signalé une coalition, toute de sucre, entre les raffineurs de la canne et ceux de la betterave. Cette coalition n'aurait-elle pas étendu ses ramifications? L’avenir nous l'apprendra.

Messieurs, je considère le système des primes comme un système déplorable lorsqu'il ne profile point au consommateur qui les supporte, et lorsqu'il a pour conséquence, comme dans la matière qui nous occupe, de faire profiter l'étranger du produit de la main-d'œuvre indigène, et cela pour ainsi dire gratuitement.

Que résulte-t-il du système actuel des primes en faveur du raffinage du sucre? Il en résulte un privilège exorbitant, au regard des autres industries qui ne sont pas dotées de primes; et quoi qu'en ai dit l'honorable M. Coomans, il dst beaucoup d'industries qui ne sont pas dotées de primes. Les industries qui n'en reçoivent pas pourraient demander compte au gouvernement de ses sympathies particulières pour l'industrie des sucres; elles aussi pourraient dire au gouvernement: Nous concourons au travail national; nous nous imposons des sacrifices plus considérables peut-être que ceux que s'imposent les raffineurs, et cela pour fabriquer des produits que nous ne pouvons écouler, précisément parce que nous ne jouissons pas de primes.

Les intérêts du contribuable ne sont-ils pas d'ailleurs ostensiblement froissés par ce large système de primes? N'est-ce pas à ce système que nous devons ces prélèvements sur le trésor public, prélèvements qui, successivement opérées, aujourd’hui pour telle industrie, demain pour telle autre , engendrent la nécessité d'emprunts et d'impôts ?

Est-il, au surplus, bien rationnel de demander au sel, objet de première nécessité, un impôt de 5 millions, alors que le sucre, objet de luxe qui répand dans la consommation une valeur imposable supérieure, donnerait un produit moindre ! Evidemment, il y a là une anomalie flagrante; cette anomalie, il est du devoir de la législature de la faire cesser.

Déterminé par ces considérations, déterminé par les prémisses du discours de l'honorable M. de Brouwer de Hogendorp, dont je n'adopte cependant nullement les conclusions, je voterai pour la proposition aie l'honorable M. Mercier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M. Jullien a recherché quelle pouvait être la prime dont jouissaient les raffineurs. Il s'est dit : « Rien n'est plus facile à déterminer; nous avons entendu une longue discussion, sur la consommation; trois honorables membres ont varié sur cette consommation. L’honorable M. Mercier l'a portée, en dernier lieu, à 12,720,000 kil.; l'honorable M. Cools, à 12,000,000, et M. le ministre des finances à 11,449,000 kil., soit 11,500,000; prenons la consommation minimum, nous déterminerons ainsi facilement quel aurait dû être le produit de l'impôt, et partant quel est le produit réel de la prime. »

L'honorable membre a ajouté : « Je suppose que dans cette consommation de 11,500,000 kilog., la betterave figure pour 5 millions, et la canne, pour 6,500,000; l'une, au taux de 40, donne 2,000,000 et l'autre au taux de 45 fr. donne 2,925,000. Le produit aurait donc dû être, pour l'accise, de 4,925,000 francs. Or, comme le trésor perçoit seulement trois millions, la différence est de 1,925,000 francs ; la prime est donc de 1,925,000 francs. »

Je présume que la chambre aura saisi immédiatement l'erreur. Le trésor ne peut pas percevoir 4,925,000 francs. La consommation, même ramenée au chiffre de 11,500,000 kil., n'est pas la consommation officielle, celle sur laquelle seulement l'accise peut être perçue. L'accise ne peut être perçue sur autre chose que sur les prises en charge officielles, et non pas sur les quantités qu’on parvient à soustraire à l'impôt ; cela est de toute évidence. Il y a donc là une déduction à opérer.

Messieurs, dans la séance d'hier, je vous avais signalé précisément ce que l'honorable M. Jullien a réitéré aujourd'hui.

Il y a, entre la proposition de l'honorable M. Mercier et celle du gouvernement, une différence de 4 à 500,000 fr., si l'on ne peut percevoir dans le système de l’honorable M. Mercier, comme je crois l'avoir établi, qu'une somme de 4,100,000 fi.; la seule perte qu'essuie le trésor est donc de 500,000 fr. environ, juste le montant de la prime que propose d'allouer l'honorable M. de Mérode. J'ai eu soin d'ajouter que la somme que supporte le pays, mais que le trésor ne pourrait pas recevoir, est supérieure à cette différence. Pour le trésor, le sacrifiée est de 500,000 fr. ; pour le pays, il est supérieur. J'ai dit : « Voulez-vous l’estimer même au triple? Vous aurez 1,500,000 fr. » L'honorable membre, par ses calculs, arrive à 1,925,000 fr. Mais, outre que l'honorable membre n’a rien appris qui ne fût parfaitement connu de la chambre, il n'y a aucun argument à tirer de ses observations. La question est de savoir ce que peut produire au trésor un impôt de consommation sur le sucre. Au taux actuel pour l'un et l'autre sucre dans le système de l'honorable M. Mercier, la récolte ne saurait pas être supérieure à 4,100,000 fr. Ainsi, dût la prime être abolie, si élevée qu'on veuille la supposer; sa suppression ne saurait pas profiler au trésor de l'Etat.

M. Julliot. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour motiver mon vote. Je ne chercherai donc pas à détruire les paralogismes économiques entasses les uns sur les autres, lois que sucres des pauvres, balance du commerce, travail national et autres utopies, dont plusieurs de nos honorables collègues nous ont fait l'exposé. Mais je dirai quelques vérités que j'engage le pays à méditer.

Je ne suis pas protectionniste, messieurs, vous le savez; aussi je me garderai de vous demander des protections. J'espère que mes prémisses seront d'accord avec mes conclusions. Je me bornerai à vous reprocher d'avoir deux poids et deux mesures; le régime que vous voulez maintenir est injuste et odieux à l'égard du travailleur agricole.

Le sucre jouit de deux primes à la fois, une de plus de 100 francs par 100 kil. à l'entrée du sucre raffiné, une autre est acquise au sucre raffiné en Belgique alors qu'il est exporté.

La position qu'occupe cette denrée dans le pays est l'expression la plus saisissante de privilège mercantile et industriel qu'il soit donné d'inventer.

Le consommateur belge paye un impôt considérable de consommation, trois cinquièmes de cet impôt entrent au trésor, les deux cinquièmes restants sont partagés entre les privilégiés qui affinent le sucre et les étrangers qui le mangent.

Il faut au moins que le pays sache que, par l'application d'une saine économie, le droit supporte par le consommateur rentrerait entièrement au trésor, el qu'alors le contribuable ne se verrait plus à tout instant sous la menace de charges nouvelles, qui, encore sous forme de privilège, reviendront infailliblement à la terre.

Certains protectionnistes de la chambre refusent la protection au travailleur agricole tout en conservant des protections exagérées pour eux-mêmes. La partialité est trop flagrante; par vos protections vous associez indirectement nos paysans à toutes vos industries factices pour qu'ils supportent une part dans les pertes, jamais de part dans les bénéfices.

C'est ainsi que vous les obligez à payer une part dans le prix des sucres que mangent les Allemands, les Italiens et les Turcs.

C'est ainsi que, par une prime à la sortie des cotons de Gand, ils concourent habiller de leurs écus les sauvages dans les Indes. C'est ainsi encore que vous avez rendu nos fermiers actionnaires malheureux de quelques millions dans les chemins de fer prussiens, pour que le froment d'Allemagne vienne déprécier le leur sur le marché de Liège.

On impose les travailleurs agricoles sous toutes les formes, et l'on emploie souvent le produit de leurs sueurs contre eux. En vérité, messieurs, je serais tenté de croire qu'on distingue entre les sueurs des grandes villes et celles de la campagne. Messieurs, ne nous faisons pas illusion, nos populations ne sont pas si simples qu'on se l'imagine, tous ces impôts occultes se joignant aux impôts apparents pour tout le monde, grossissent outre mesure le poids de nos charges et aggravent la gêne du peuple agricole. Il me semble impossible, qu'un seul député d'un arrondissement rural méconnaisse ces vérités.

Croyez-moi, messieurs, renonçons à faire de la philanthropie aux quatre points cardinaux du globe, concentrons notre fraternité sur nos compatriotes, et gardons-nous, en confectionnant nos lois, de méconnaître les principes de justice et d'égalité de droits et de devoirs pour tous. Renonçons à la poésie de l'industrialisme et rentrons dans la vie réelle des peuples.

Je voterai donc la proposition de l'honorable M. Mercier, en le remerciant, ainsi que M. Cools, pour le courage qu'ils ont déployé, en dévoilant aux yeux du pays comment, encore une fois, le contribuable est traité dans cette occurrence.

M. Christiaens. - Messieurs, trois systèmes d'impôt sont présentés à l'examen de la chambre sur l'industrie des sucres.

Tous les trois ont la prétention du résoudre au mieux le difficile problème de concilier le triple intérêt que la question embrasse dans son ensemble, à savoir : l'intérêt du trésor public, l'intérêt du commerce et celui qui est à mes yeux le plus difficile à contenter, l'intérêt des fabricants de sucre.

Un de ces trois systèmes promet au trésor cinq millions de francs de recettes et au-delà ; un deuxième, quatre millions, et le troisième, celui du gouvernement, qui ne promet pas, mais qui assure, par le mécanisme de la loi qu’il propose, d'abord trois millions deux cent mille francs de recettes directes, et ensuite environ un demi-million qui entrerait dans le trésor public d'une manière indirecte, à l'occasion du mouvement commercial produit par les raffineries de sucres, mouvement que son système prétend mieux garantir que les deux systèmes rivaux.

Je ne dirai rien de la législation qui régit actuellement les sucres, contre laquelle tout le monde réclame; bien que quelques-uns en demandent le maintien.

Il est à remarquer, messieurs, que les trois nouveaux systèmes proposes ne sont d'accord qu'en un seul point capital, à savoir : le maintien du la coexistence de l'industrie de la canne et de celle de la betterave, et que le moyen commun à tous les trois pour garantir cette coexistence, c'est un droit différentiel en faveur du sucre de cette dernière espèce. Or, ce droit différentiel n'étant ni plus ni moins qu'une première prime de vingt pour cent de l'impôt en faveur des fabricants du sucre de betterave, je ne sais si une semblable protection, au profil d'un produit indigène, sera agréée par les libre-échangistes de la chambre. J'ignore de même si les protectionnistes (page 1306) consentiront encore à vouloir stipuler, en faveur d'un très petit nombre de grands industriels du pays, une protection identique à celle qui naguère leur a été refusée par la loi sur les denrées alimentaires; protection qu'ils réclamèrent pourtant, au nom de l'intérêt, bien entendu selon moi, de la grande moitié de la nation entière.

Je viens de dire en quoi les trois systèmes qui nous sont soumis sont d'accord entre eux.

N'oublions pas que c'est sur un point d'économie politique, très controversé aujourd'hui, à savoir la consécration d'un droit protecteur en faveur d'un produit indigène, en vue de favoriser le travail national.

La chambre doit en tenir note et s'en souvenir à l'occasion.

Mais le système de l'honorable M. Mercier diffère des deux autres, en ce qu'il supprime la prime d'exportation accordée jusqu'ici aux sucres raffinés des deux catégories.

Le gouvernement et l'honorable M. Cools, au contraire, restent doublement protectionnistes en maintenant les deux primes à la fois , la prime de fabrication en faveur de l'une d'abord et la prime d'exportation en faveur des deux industries ensuite, tandis que l'honorable M. Mercier ne veut rester que simple protectionniste pour la betterave seule. Voilà la différence fondamentale qui distingue le système de l'honorable M. Mercier des deux autres.

Messieurs, il résulte clairement des débats auxquels la chambre vient de se livrer que, par la législation qui jusqu'à ce jour a régi l'industrie des sucres, cette industrie a absorbé, au moyen de primes non avouées, une partie très considérable de l'impôt de consommation dont le sucre est frappé au profit du trésor public.

Ces primes énormes doivent-elles plus longtemps peser sur tous les contribuables du pays, au profit de quelques-uns, en vue ou sous le prétexte de produire un certain mouvement commercial dans nos ports de mer, et dont on prétend que ces ports seraient aussitôt privés que l'on viendrait à faire cesser ces primes? Voilà toute la question.

Pour ma part, s'il m'était clairement démontré que la suppression de la prime d'exportation établie en faveur des sucres raffinés n'opérerait pas d'une manière très considérable contre le mouvement commercial dans le pays, mouvement dont on prétend que cette prime est la cause principale, je me prononcerais sans hésiter en faveur du système de l’honorable M. Mercier. Mais il me reste des doutes à cet égard, et dès lors je dois craindre que la suppression de la prime dont il s'agit ne nuise au commerce d'exportation du pays et n'entrave, par conséquent, le débouché d'autres fabricats de nos industries que le commerce favorise.

Mais, messieurs, sans supprimer complètement cette prime d'exportation sur les sucres raffinés, doit-elle rester aussi élevée qu'on la demande encore aujourd'hui?

Voilà la question que je me suis posée en partant de mon point de vue, c'est-à-dire en partant de la supposition qu'il y a nécessité de maintenir une certaine prime pour entretenir l'exportation de sucres raffinés.

Ou a beaucoup parlé dans cette discussion.de coalition entre les raffineurs et les fabricants de sucre. On y a même fait intervenir le gouvernement et l’on serait ainsi arrivé à la combinaison qui nous est soumise en ce moment de sa part.

J'ai lieu de croire qu'il en est quelque chose. On ne l'a pas nié d'ailleurs. Pour ma part, je ne trouve rien de blâmable dans ce fait.

Mais, acceptant cette coalition avec les conditions qu'on lui suppose, ce qui me semble alors être le devoir de la chambre dans cette occurrence, c'est de se mettre de la partie, de dire son mot haut et ferme et de stipuler des conditions en faveur des contribuables.

Je suis persuadé que ni l'un ni l'autre des coalisés n'a posé son ultimatum dans cette négociation el qu'il n'y a eu de leur part qu'un ballon d'essai lancé.

Je pense qu'il y a toujours eu dans cette question des sucres beaucoup de diplomatie. Or, diplomatie n'est pas toujours synonyme de vérité.

Voici donc, à mon avis, le mot à prononcer par la chambre :

1° Ne pus admettre dans la loi la disposition qui donne au gouvernement la faculté d'élever indéfiniment le rendement légal ;

2° Fixer tout à coup et définitivement ce rendement à 72 p. c;

5" Elever l'accise sur le sucre de betteraves à 42 francs au lieu de 40.

De cette double augmentation résulterait une diminution de la prime d'exportation qui conserverait au trésor public une somme de trois à quatre cent mille francs, y compris l'augmentation sur le sucre de betterave. Je suis persuadé que les choses étant une fois établies sur ce pied, toutes les parties contractantes s'accommoderaient très bien du résultat de la négociation; que les fabricants continueraient de fabriquer, les raffineurs de raffiner et que le commerce d'importation et d'exportation n'en souffrirait pas le moins du monde.

Messieurs, dans cette longue discussion, j'ai beaucoup entendu parler de marchandises encombrantes et de matières pondéreuses. On a dit que ces matières sont indispensables à la navigation. Une idée m'est venue à ce propos. Permettez-moi, messieurs, de la communiquer a la chambre, ça ne sera pas long.

L'Angleterre et la Hollande, pays maritimes et commerciaux par excellence, s'occupent de la fabrication de fromages durs qu'ils envoient au-delà des mers.

Pourquoi la Belgique ne cherche-t-elle pas à implanter sur son sol cette industrie qui serait nouvelle pour elle ?

Il me semble que l'exemple que nous fournissent sous ce rapport les deux pays que je viens de citer n'est pas à dédaigner.

Le fromage dur est un objet pondéreux et d'encombrement utile pour la navigation transatlantique. Est-ce que la Belgique n'est pas en état de produire cette denrée, dont la fabrication dans le pays la soustrairait à un tribut payé à l'étranger? Dans tous les cas il me semble que oui. Il ne faudrait peut-être qu'un peu d'encouragement accompagné d'une petite prime pendant quelques années pour faire prendre racine à cette industrie nouvelle.

Et puis, la fabrication de cette denrée nouvelle s'allierait on ne peut mieux avec les produits naturels de notre sol ; et de plus elle serait parfaitement conforme à la nature de travail que la situation de la Belgique exige en ce moment.

Et une fois cette industrie établie chez nous, le fromage dur ne serait pas un embarras continuel pour le gouvernement comme l'est la betterave depuis qu'on en fait du sucre.

Autre avantage. Cette nouvelle industrie ne serait pas exploitée exclusivement par une douzaine de gros capitalistes et par une ou deux sociétés anonymes qui en réaliseraient tous les bénéfices; mais elle serait desservie par un nombre considérable de petits industriels disséminés sur toute la surface du sol de la Belgique.

Si, dans le cours de la discussion, on ne présente pas de combinaison qui fasse diminuer la prime d'exportation, soit en augmentant le rendement, soit en diminuant la décharge, je voterai pour la proposition de M. Mercier.

- La discussion est continuée à demain.

Pièces adressées à la chambre

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer le rapport sur la situation des universités de l'Etat pendant l'année 1848.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué.

Projets de lois modifiant les limites territoriales de plusieurs communes

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer divers projets de loi de délimitations de communes.

- Ces projets seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen de commissions spéciales nommées par le bureau.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.