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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 23 novembre 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 27) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

M. le ministre de la justice transmet à la chambre une demande en grande naturalisation et plusieurs demandes en naturalisation ordinaire avec les pièces relatives à chacune d'elles.

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi concernant les vices rédhibitoires dans les ventes ou échanges d’animaux domestiques

Rapport de la section centrale

M. de Luesemans. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi concernant les vices rédhibitoires dans les ventes ou échanges d'animaux domestiques.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué; à quel jour la chambre veut-elle en fixer la discussion?

- Quelques voix. - A lundi !

- D'autres voix. - A mardi !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La section centrale a-t-elle apporté de grandes modifications au projet du gouvernement?

M. de Luesemans, rapporteur. - Non, quelques modifications seulement sont proposées par la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans ce cas, on pourrait fixer la discussion à lundi.

- La mise à l'ordre du jour de lundi est adoptée.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. Destriveaux. - Messieurs, votre commission des naturalisations m'a chargé de vous présenter le rapport suivant : (Nous donnerons ce rapport.)

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Projet de loi portant interprétation de l'article 8, section VII, titre premier du décret du 28 septembre-6 octobre 1791

Discussion générale

M. d'Hondt. - Messieurs, quelle que soit ma profonde déférence pour les décisions de la cour suprême, il m'est impossible d'admettre l'interprétation que le gouvernement nous propose de consacrer.

D'abord, ne perdons point de vue, messieurs, que nous ne nous trouvons pas ici en regard d'une loi soumise aux principes généraux établis on matière de prescription par le Code d'instruction criminelle, mais en présence d'une loi spéciale à laquelle les règles de ce Code n'ont aucunement dérogé, comme il résulte des termes exprès de son article 643, ainsi conçu: « Les dispositions du présent chapitre ne dérogent point aux lois particulières relatives à la prescription des actions résultant de certains délits ou de certaines contraventions. »

Ceci dit, passons au texte qu'il s'agit d'interpréter. L'article 8, titre premier, section 7 de la loi du 28 septembre 1791, porte :

« La poursuite des délits ruraux sera faite au plus tard dans le délai d'un mois, soit par les parties lésées, soit par le procureur de la commune … faute de quoi, il n'y aura plus lieu à poursuite. »

Remarquons bien les termes, la poursuite aura lieu. La loi ne dit pas : La poursuite « sera ordonnée » ou bien « sera provoquée ». Il faut qu'elle ait réellement lieu. C'est comme si la loi disait : Le délinquant « sera poursuivi » au plus tard dans le mois.

Or, messieurs, une réquisition faite par un procureur du roi à un huissier à l'effet d'assigner le délinquant, est-ce bien réellement la poursuite du délit?

Je ne le pense pas. C'est tout simplement l'intention arrêtée par le procureur du roi, ou, si l'on veut, son ordre donné par écrit de poursuivre, mais ce n'est là nullement la poursuite elle-même.

Mais, dit-on, le réquisitoire constitue une véritable poursuite, par le motif qu'il a pour but de saisir le juge de la connaissance de l'affaire.

Il me semble que c'est là aller contre les termes et l'esprit de l'article que nous sommes appelés à interpréter.

D'après moi, la poursuite ne prend naissance qu'avec l'acte même qui de fait et en réalité saisit le juge, c'est-à-dire la citation, et non pas avec l'acte qui tend seulement à saisir le juge.

Et cela est tellement vrai, qu'aussi longtemps que le réquisitoire à l'effet de citer n'a pas reçu son exécution par la citation donnée au prévenu, le procureur du roi est maître absolu de le retirer, de l'annuler ; ce que cependant il n'est plus libre de faire, une fois que la citation a été notifiée.

Et pourquoi? Parce que alors, et alors seulement, le tribunal se trouve saisi.

C'est au reste ce qui résulte formellement de l'article 182 du code d'instruction criminelle, portant que le tribunal correctionnel sera saisi, entre autres modes, par la citation donnée au prévenu à la requête du procureur du roi.

Il faut donc plus qu'un réquisitoire, il faut une citation notifiée au prévenu.

Il est d'ailleurs à observer, messieurs, que l'article dont il s'agit place la partie lésée et la partie publique exactement sur la même ligne, quant au droit de poursuite. La poursuite, dit-il, sera faite au plus tard dans le délai d'un mois, soit par les parties lésées, soit par le procureur de la commune.

Faut-il donc supposer qu'en confondant ainsi dans une seule et même phrase, dans les mêmes termes, les droits du plaignant et du ministère public, la loi de 1791 ait cependant voulu que ce dernier eût la latitude de se placer, à l'exclusion de la partie lésée, dans une position privilégiée, et rien que par une simple ordonnance laquelle, après tout, n'est qu'un acte secret et tout à fait incertain?

Je dis incertain parce que, si nous décidons que le réquisitoire est interruptif de la prescription, il dépendra toujours du ministère public, pendant le mois entier qui suivra la date de son réquisitoire, de l'exécuter ou de ne pas l'exécuter, suivant qu'il lui plaira de le remettre ou de ne pas le remettre à l'huissier aux fins de signification.

Voyez donc, messieurs, la conséquence de l'interprétation que le projet nous propose.

C'est que là où le plaignant n'aura qu'un mois pour citer le prévenu, le ministère public saura, à son bon gré, s'en créer deux. Il n'aura qu'à dater et signer son réquisitoire le trentième jour du délit. S'il pose là un acte interruptif, la prescription prendra un nouveau cours d'un mois, et la citation sera encore utilement signifiée le soixantième jour du délit, c'est-à-dire non plus un mois, mais deux mois après le fait.

Eh bien, messieurs, croyez-vous que ce fût là l'intention du législateur ?

Devant la contexture de l'article 8 du Code rural, croyez-vous que le législateur ail voulu que pendant deux mois la citation d'un procureur du roi restât suspendue sur la tête d'un prévenu de simple délit rural, alors qu'il a eu soin de dire dans les termes les plus impératifs : La poursuite sera faite au plus tard dans le délai d'un mois ; et ce avec une rigueur telle qu'il ajoute: Faute de quoi, il n'y aura plus lieu à poursuite?

Mais, messieurs, pénétrons-nous des motifs qui ont dicté au législateur de 1791 cette courte prescription, cette sévère exigence de la poursuite endéans le mois.

Vous savez, messieurs, que tous les délits ruraux peuvent être constatés et sont le plus souvent constatés par le simple procès-verbal d'un garde champêtre.

Or, il était certes déjà assez exorbitant d'attribuer à un carré de papier que l'on qualifierait de procès-verbal, la présomption de vérité et par conséquent, la vertu d'entraîner forcément une condamnation, pour que le législateur portât de suite sa sollicitude sur la fraude ou l'erreur dont le prévenu pourrait se voir victime.

De là, messieurs, le droit de la preuve contraire. Mais le législateur a senti que cette preuve contraire serait le plus souvent, presque toujours, illusoire, chimérique, si le malheureux qui se trouve sous le coup d'un procès-verbal injuste, n'était averti dans un bien bref délai.

De là, l'obligation de le poursuivre dans le mois, c'est-à-dire de l'informer (page 28) officiellement qu’il a à se débattre, à rechercher des témoins, à recueillir tous moyens de justification.

D'ailleurs, messieurs, les éléments de preuve d'un simple délit rural sont le plus souvent si équivoques, si inconstants, si fugitifs, qu'il importe de les discuter, de les faire apprécier promptement par le juge. Ordinairement, au bout de peu de temps, les tracés de semblable délit s’obscurcissent ou disparaissent complétement.

Voilà les raisons d'équité et de vraie justice qui ont présidé à la prescription de l'article 8 du code rural, et l'on voudrait, après cela, au moyen d'une interprétation diamétralement défavorable au droit de la défense, accorder à la partie publique le droit de proroger à deux fois trente jours, par un simple réquisitoire, la citation qui doit mettre le prévenu en mesure de préparer sa défense !

Pour ma part, je ne puis souscrire à cette thèse.

Et, jusqu'ici, messieurs, nous avons envisagé la question dans l'hypothèse que le réquisitoire du ministère public eût bien réellement été daté et signé avant l'expiration du mois du délit.

Mais serait-il donc impossible de rencontrer des cas d'antidaté ?

Loin de moi, messieurs, de soupçonner un seul officier de parquet capable de souiller son caractère de magistrat en antidatant sciemment et frauduleusement un réquisitoire, dans le but de paralyser une prescription accomplie et acquise!

Ce n'est point-là que je place la question. La fraude, la mauvaise foi, je les regarde comme impossibles de la part de nos magistrats.

Mais pour ceux qui sont plus ou moins au courant de ce qui se pratique dans les parquets, ceux-là sauront que les réquisitions et les citations correctionnelles, comme besogne routinière et matérielle, sont le plus souvent l'œuvre de simples commis.

Les magistrats de parquet signent de pure confiance une masse d'ordonnances dont ils ne songent pas toujours à vérifier les dates.

Eh bien, ne se peut-il pas qu'un commis, coupable de négligence pour avoir laissé écouler le mois sans rédiger l'ordonnance de poursuite, cherche à réparer la faute de son oubli en soumettant à la signature du procureur du roi des réquisitoires en blanc ou antidatés?

Et ne verra-t-on pas de la sorte enlever à des prévenus des droits définitivement acquis à la prescription?

Et, notez, messieurs, que si nous consacrons l'interprétation qui nous est soumise pour la prescription en matière de délits ruraux, par analogie, par identité de principes nous la consacrons pour toutes les autres matières, par exemple, pour les délits de chasse.

Or, en fait de chasse plus qu'en toute autre matière, ne pourrait-on pas avoir à craindre que, par des antidates, l'on ne parvînt à réparer des prescriptions que l'oubli ou l'inadvertance aurait laissées se consommer?

D'ailleurs, messieurs, il est à remarquer que pendant plus d'un demi-siècle l'on a exécuté l'article 8 du Code rural, en quelque sorte, sans songer à lui prêter l'extension qu'on a voulu lui donner depuis quelques années.

Enfin, messieurs, consultons nos lois récentes, et nous nous convaincrons que le législateur belge y a sanctionné le principe que, pour qu'il y eût lieu à interruption de prescription, il fallait la notification d'une citation au prévenu.

C'est ainsi que la loi du 18 mars 1833 sur les barrières, dans son article 14, statue formellement que l'action sera prescrite si la signification de la citation n'a pas été faite dans le mois de la date du procès-verbal.

Toutes ces considérations me déterminent à refuser au réquisitoire d'un procureur du roi le caractère interruptif de la prescription, et à adopter le système contraire qui a été sanctionné non seulement par les tribunaux d'Arlon et de Namur, jugeant en degré d'appel, mais encore et précédemment par arrêts de la cour d'appel de Bruxelles, du 23 novembre 1843, et de la cour de Gand, du 10 avril 1844.

Telle est aussi l'opinion que professe M. Petit dans son Traité de la chasse, tome 2, page 169.

Vous voyez donc, messieurs, que si l'interprétation qu'on nous demande d'adopter législativement a pour elle le poids de la cour régulatrice, celle que nous défendons repose aussi sur de bien graves autorités.

J'ai l'honneur de présenter l'amendement suivant :

« Le réquisitoire écrit du ministère public à l’effet de faire assigner le prévenu d'un délit rural, n'est pas un acte de poursuite dans le sens de l'article 8, section 7, titre premier, du décret du 28 septembre-6 octobre 1791; il ne peut avoir pour effet d'interrompre la prescription s'il n'a été notifié au prévenu au plus tard dans le mois du délit. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je viens combattre l'amendement proposé par l'honorable M. d'Hont, qui est la contrepartie du projet présenté par le gouvernement. La question d'interprétation que la chambre est appelée à résoudre est extrêmement simple. L'article 8 du titre premier de la section VII de la loi du 28 scplcmbre-6 octobre 1791 est conçu en ces termes :

« La poursuite des délits ruraux sera faite au plus tard dans le délai d'un mois, soit par les parties lésées, soit par le procureur de la commune ou ses substituts, s'il y en a, soit par des hommes de loi commis à cet effet par la municipalité; faute de quoi, il n'y aura plus lieu à poursuivre. »

La question est de savoir si le réquisitoire écrit du procureur du roi aux fins d'assigner le prévenu d'un délit rural devant le tribunal correctionnel constitue un acte interruptif de la prescription aux termes de l'article que je viens de citer.

Le tribunal de Neufchâteau a résolu cette question négativement. Le tribunal d'Arlon, adoptant les motifs du premier juge, a confirmé le jugement purement et simplement. La cour de cassation a cassé le jugement rendu par le tribunal d'Arlon en degré d’appel, et a renvoyé devant le tribunal de Namur, qui a jugé dans le même sens que les deux tribunaux du Luxembourg. Un nouvel arrêt de la cour de cassation est intervenu. De sorte qu'il y a lieu à interprétation législative, en vertu de la loi du 4 août 1832.

Il s'agit donc de déterminer ce qu'on entend par poursuites dans l’article 8 (section VII, titre premier) de la loi de 1791. Eh bien, il me paraît incontestable que le mot poursuites, dans cet article, comme le disent les deux arrêts de la cour de cassation et le rapport de votre section centrale, doit s'entendre de tout acte qui a pour but la recherche et la constatation des délits; et comme le dit encore le premier arrêt de la cour de cassation :

« Il n'est pas indispensable que l'acte atteigne immédiatement la personne même de l'inculpé, mais il constitue une poursuite indépendamment de cette condition, si, par sa nature et la qualité de l'officier dont il émane, il aboutit nécessairement à saisir de la prévention les juges qui doivent en connaître. »

Or tel est le résultat d'un réquisitoire que le procureur du roi, en sa qualité, adresse à un huissier, pour qu'il ait à citer un prévenu afin d'être jugé sur les faits qui lui sont imputés. D'ailleurs les article 637 et 638 du Code d'instruction criminelle ont fixé les principes de la prescription en matière de crimes et délits commis. Et il résulte positivement des termes dans lesquels ils sont conçus que les actes d'instruction et de poursuite sont de droit interruptifs de la prescription.

Mais, a dit l'honorable M. d'Hont, il s'agit d'une matière spéciale, de délits ruraux; et l'article 8 de la loi de 1791 exige que la poursuite soit intentée dans le mois à partir du jour où a été commis le délit qu'il s'agit de punir.

Je crois, messieurs, que cet honorable membre est dans l'erreur a cet égard. La loi de 1791 est sans doute une loi spéciale, quant au délai de la prescription. Elle a déterminé une prescription plus courte que celle établie pour les délits communs. Mais hors de là, toutes les règles générales en matière de prescription sont applicables aux délits spéciaux, comme aux délits communs.

Contester ce principe, se serait décider qu'il n'existe aucune règle positive quelconque, en ce qui concerne la prescription établie par les lois spéciales ; car, je le répète, les lois spéciales n'ont pas déterminé les principes généraux qui régissent la prescription des délits dont elles s'occupent. Elles se sont bornées à fixer un délai plus court pour ces délits que pour les délits ordinaires, et pour le surplus il faut recourir au droit commun.

Si les actes d'instruction n'étaient pas, en matière de délits ruraux, interruptifs de la prescription, quelle en serait la conséquence?

La conséquence serait que quand le délinquant n'aurait pas été découvert dans le mois à partir du jour où le délit aurait été constaté, la prescription serait acquise de plein droit et toute poursuite deviendrait impossible. C'est donc l'impunité en matière de délits ruraux que vous consacreriez par le système que l'honorable M. d'Hont vient de préconiser. Et, en effet, comment voudriez-vous que le ministère public qui ne connait pas l'auteur du délit, pût interrompre la prescription, si ce n'est par des actes d'instruction, par des procès-verbaux, par l'audition de quelques témoins, en un mot par des actes qui ont toujours été considérés, en matière criminelle, comme des actes interruptifs.

Ainsi, veuillez y faire attention, le système que l'on vous propose consacrerait, dans une foule de circonstances, l'impunité en matière de délits ruraux.

D'ailleurs, messieurs, veuillez le remarquer : il ne s'agit pas ici d'un simple acte de recherche ou d'instruction ; il s'agit en réalité d'un acte de poursuite. Le ministère public requiert l'huissier d'assigner le prévenu devant le tribunal qui doit connaître du délit dont il a à répondre devant la justice. N'est-ce pas là, je le demande, un acte de poursuite bien caractérisé et même la base obligée de toute poursuite judiciaire, puisque l'huissier ne pourrait assigner le prévenu de son autorité, et sans réquisitoire?

Remarquez, messieurs, qu'en matière criminelle comme en matière civile, la prescription est toujours basée sur cette présomption, que celui à qui appartient l'action est censé y renoncer lorsqu'il n'a pas agi dans un délai déterminé.

Or, celle présomption existe-t-elle, alors que le ministère public, le fonctionnaire chargé par la loi de diriger l'action publique, requiert par écrit l'officier ministériel de donner l'assignation et pose ce premier acte de la poursuite dans le délai fixé par la loi et avant que la prescription ne soit accomplie?

L'honorable M. d'Hont vous a dit que d'après l'article 8 de la loi de 1791, le ministère public et la partie lésée étaient soumis à la même règle, que le délai de la prescription était le même pour l'un et pour l'autre, et que, si le système admis par la cour de cassation et proposé par le gouvernement devait prévaloir, il serait facultatif au ministère public de prolonger indéfiniment le délai de la prescription.

Je crois que c'est encore là une erreur. S'il est vrai, comme le dit l'arrêt de la cour de cassation, que la disposition de la loi de 1791 met sur la même ligne la poursuite faite par la partie lésée et celle faite par le ministère public, il n'en est pas moins vrai qu'il existe une différence essentielle, résultant de la nature des choses, entre le réquisitoire du (page 29) magistrat qui constitue un acte d'autorité, faisant foi de sa date, et l'ordre écrit donné par la partie lésée qui n'a pas ce double caractère. La partie lésée ne peut interrompre la prescription que par une citation directe en justice. Quant au ministère public, il agit dans un autre ordre de formalités; il a d'autres droits, d'autres attributions qui lui sont conférés par la loi et il peut, par un simple réquisitoire qui engage la poursuite, interrompre la prescription.

Mais il n'en est pas moins vrai que pour l'un comme pour la partie civile, le délai de la prescription reste le même, c'est-à-dire la prescription mensuelle, établie par la loi de 1791.

Messieurs, lorsqu'une question, après avoir été décidée en sens contraire par plusieurs tribunaux et cours et par la cour de cassation, arrive pour être interprétée, devant la législature, il va de soi que cette question est sujette à controverse, et qu'elle a nécessairement divisé et les auteurs et la jurisprudence. Cependant je crois pouvoir dire que les meilleurs auteurs sont d'accord pour adopter l'opinion consacrée par les deux arrêts de la cour de cassation.

Je citerai entre autres un auteur qui jouit, en France, de la plus grande réputation dans ces sortes de matières; je veux parler de M. Mangin, ancien conseiller à la cour de cassation de France, et qui a fait sur la matière de l’action publique un traité qui, en France et dans notre pays, est considéré comme devant faire autorité.

Eh bien, cet auteur déclare positivement que les réquisitions écrites du ministère public sont et doivent être considérées comme des actes de poursuite interruptifs de la prescription.

D'autres auteurs, tels que Legraverend, Morin et d'autres encore que je pourrais citer, ont également soutenu cette opinion. Merlin avait émis dans la première édition de son Répertoire l'opinion contraire; mais il est revenu à celle que nous soutenons aujourd'hui, et il cite dans ses Questions de droit, aux mots « délits ruraux », paragraphe 3, un arrêt de la cour de cassation de France, du 18 août 1809, qui a adopté le système que la cour de cassation de Belgique a également consacré dans deux arrêts successifs.

Je demanderai à la chambre la permission de donner lecture de trois motifs de cet arrêt de la cour de cassation de France, car ils sont décisifs.

« Attendu qu'on doit entendre par poursuites tous les actes qui sont faits en justice par les personnes que la loi autorise et dont le but est de parvenir à constater un délit, à en connaître et à en faire punir l'auteur.

« Que c'est une erreur de la part de la part de la cour criminelle du département de Montenotte d'avoir fait seulement commencer les poursuites à la date de l'assignation donnée au prévenu, lorsque le plus souvent cette assignation ne peut avoir lieu qu'en conséquence des poursuites qu'il a fallu faire antérieurement pour connaître l'auteur du délit.

« Que ce système, qui réduirait infiniment le délai utile pour réprimer les délits ruraux, en assurerait l'impunité toutes les fois que le coupable aurait pris quelque précaution pour se cacher, et se trouve d'ailleurs en opposition, soit avec l'esprit du législateur, soit avec les termes dont il s'est servi. »

Messieurs, cet arrêt répond à ce qui a été dit erronément tout à l’heure par l'honorable M. d'Hont, que c'était une jurisprudence nouvelle qu'on voulait introduire et qui n'existait pas plus en France qu'en Belgique. Or, voilà quarante ans, vous le voyez, qu'elle existe en France et qu'un auteur de poids et de gravité, tel que Merlin, l'a adoptée et enseignée dans ses ouvrages.

A ces autorités, messieurs, j'ajouterai celle d'un auteur beaucoup plus rapproché de nous; je veux parler de l'honorable M. Van Hoorebeke, qui, dans un ouvrage estimé qu'il a publié sur la prescription en matière pénale, a précisément soutenu et enseigné l'opinion qui a prévalu depuis devant la cour de cassation et que le gouvernement vous propose aujourd'hui de sanctionner. L'honorable M. Van Hoorebeke établit parfaitement que l'article 8 de la loi de 1791 ne renferme pas une dérogation au Code d'instruction criminelle quant aux principes régulateurs de la prescription, et que le mot « poursuites », dont parle l'article que vous avez à interpréter, doit s'entendre de tous actes d'instruction ou de poursuite qui peuvent interrompre la prescription dans le sens de l'article 637 du Code d'instruction criminelle.

Je dois donc compter, messieurs, sur l'appui de l'honorable M. Van Hoorebeke, pour prouver mieux que je n'ai pu le faire, que le système de la cour de cassation est le seul qui puisse être adopté légalement, juridiquement, et qu'il serait très dangereux d'adopter le système contraire, qui résulterait de l'amendement proposé par l'honorable préopinant. Le système de cet amendement tendrait en effet à affaiblir considérablement l'action de la justice répressive en matière de délits ruraux, et à l'anéantir même dans beaucoup de circonstances.

M. Lelièvre. - Messieurs, la question qui vous est soumise doit être résolue par vous, non pas comme législateurs, mais comme juges. De la solution qu'elle recevra dans cette enceinte, dépend la condamnation ou l'acquittement des prévenus, et les frais faits devant les différentes juridictions qui ont été saisies de la cause donnent même au résultat une importance peu en harmonie avec l'exiguïté du fait incriminé.

Cette considération doit nous engager à certaine circonspection dans l'appréciation d'une affaire qui nous appelle à remplir une mission de justice et d'impartialité. Notre attention spéciale doit être portée sur une question que nous devons résoudre au point de vue d'une loi antérieure et de manière à sauvegarder les intérêts engagés antérieurement à notre décision.

La difficulté que nous devons trancher consiste à savoir si un réquisitoire du ministère public à l'effet de faire assigner le prévenu d'un délit rural interrompt la prescription d'un mois établie par l'article 8, section 7, titre premier du décret du 28 septembre-6 octobre 1791.

La cour de cassation a résolu cette question affirmativement les tribunaux d'Arlon et de Namur n'ont pas partagé cette opinion qui, nous nous hâtons de le dire, a aussi été repoussée par les cours de Gand et de Bruxelles.

Un arrêt de cette dernière cour, du 23 novembre 1843, rendu sur la plaidoirie de l'honorable président de cette chambre, et une autre décision de la cour de Gand, en date du 10 avril 1844, ont décidé qu'un simple réquisitoire donné à l'huissier, à l'effet de citer directement les prévenus ne constitue pas un acte de poursuite, dans le sens de la loi de 1791.

Pour moi, messieurs, je préfère cette jurisprudence à celle adoptée par la cour régulatrice, et j'exposerai brièvement les considérations sur lesquelles mon opinion est fondée.

Le ministère public a deux moyens pour poursuivre un délit, la voie d'information et celle d'action directe.

S'il procède par information, c'est-à-dire par réquisitoire adressé au juge d'instruction tendant à faire informer sur le fait incriminé, je conçois que le réquisitoire qui saisit le juge compétent de l'affaire ait la vertu d'interrompre la prescription. Mais s'il procède par action directe devant le tribunal, il est évident que le premier acte de poursuite est celui qui saisit le juge et par conséquent la citation même aux termes de l'article 182 du Code d'instruction criminelle.

Méditez attentivement cette dernière disposition. Dès qu'on procède par voie d'action, l'article dont il s'agit ne conçoit pas d'acte antérieur à la citation, ce qui du reste est conforme à la nature même des choses. En cette hypothèse, il en est des matières correctionnelles comme des matières ordinaires et nous ne rencontrons dans le Code criminel aucune disposition qui déroge sur ce point aux principes du droit commun. Or le Code civil ne conçoit d'interruption delà prescription qu'au moyen d'une citation. (Art. 2244.)

La loi du 22 frimaire an VII, article 64, porte qu'en matière de recouvrement des droits dus au trésor, la contrainte est le premier acte de poursuite. Pourquoi en serait-il autrement en matière répressive, et où rencontre-t-on à cet égard une disposition exceptionnelle?

Il est cependant évident que nous devons nous référer aux principes généraux qui dominent la législation en général du moment qu'aucun texte légal n'établit une exception relativement à la matière spéciale dont nous occupons.

A ce point de vue, messieurs, le réquisitoire du ministère public adressé à l'huissier ne peut, à mon avis, avoir une valeur que la loi attache seulement à une citation régulière.

Ce n'est pas tout. Le réquisitoire en question n'est pas un acte reconnu par la loi, nul texte n'en fait mention, il ne doit pas précéder la poursuite, il n'est pas essentiel à son introduction, le Code d'instruction criminelle ne reconnaît comme acte légal que la citation.

Le réquisitoire dont il s'agit est donc inutile, et par conséquent on ne saurait attribuer force interruptive à un acte frustratoire que le ministère public n'est par aucune disposition de la procédure criminelle appelé à poser, à un acte dont on cherche en vain les traces dans l'instruction réglée par nos lois ; mais pour être conséquent, il faudrait admettre que la simple remise d'une citation faite de la main à la main à un huissier par le procureur du roi doit avoir pour effet d'interrompre la prescription. Un réquisitoire n'a cependant pas plus de valeur.

Une autre considération qui ne doit pas être perdue de vue, c'est que, pour apprécier quel acte de poursuite interrompt la prescription sous la loi de 1791, il faut évidemment recourir aux principes reçus à cet égard sous l'ancienne jurisprudence.

Or, les meilleurs auteurs, et notamment Merlin, Répertoire, au mot Prescription, nous apprennent que d'après principes en vigueur lors de la loi dont nous nous occupons, la poursuite interruptive ne pouvait résulter que d'un acte saisissant le tribunal.

La cour de cassation a, selon moi, oublié qu'il s'agissait de l'interprétation d'une loi spéciale, et que, par conséquent, pour en déterminer le véritable sens, il est essentiel de la mettre en harmonie avec les règles générales admises à l'époque où elle a vu le jour.

Or, comme nous venons de le dire, l'ancienne jurisprudence ne reconnaissait comme interruptif que l'acte qui saisissait le juge, l'acte qui atteignait directement et immédiatement le prévenu.

Le système de la cour de cassation me semble également repoussé par les principes du droit qui n'ont jamais confondu les actes de poursuite avec les mesures préalables qui en sont indépendantes.

Or, le réquisitoire du ministère public adressé à l'huissier révèle tout au plus l'intention de poursuivre, mais il ne constitue pas la poursuite elle-même. Cela est d'autant plus évident, que le réquisitoire est inconnu dans les dispositions légales, et que dans aucun texte il n'en est question comme d'un acte devant sortir le moindre effet.

Du reste, messieurs, le doute devrait être interprété en faveur du prévenu, et dans l'hypothèse où, comme dans l'espèce, il s'agit de délit sans gravité, dont nous avons cru pour ce motif devoir attribuer la connaissance aux tribunaux de simple police, il est même essentiel de se tenir à une procédure sommaire et rapide en rapport avec l'exiguïté du fait.

(page 30) Le système de la cour de cassation aurait, du reste, pour résultat de mettre le délai de la poursuite à la merci du ministère public qui, la veille du jour où il expire, pourrait adresser à un huissier un réquisitoire qu'il serait même facile d'antidater, le soin de rédiger semblables pièces étant souvent laissé à de simples commis.

Ces considérations m'engagent à adopter une disposition contraire à celle qui vous est proposée par le projet de loi et à la soumettre à votre sanction.

Il me reste à dire quelques mots en réponse au discours de M. le ministre de la justice.

M. le ministre pense que la prescription est fondée sur ce qu'en négligeant d'exercer l'action dans certain délai, le ministère public est censé renoncer à l'action. Or, dit-il, le procureur du roi ayant manifesté l'intention de poursuivre la répression du délit rural, par le réquisitoire adressé à l'huissier, n'a certainement pas renoncé à se pourvoir contre le prévenu.

Messieurs, il est évident qu'il y a erreur dans cette argumentation. En effet, le procureur du roi n'est pas maître de l'action publique ; il n'en a que l'exercice et dès lors il ne peut légalement l'abandonner.

La prescription en matière criminelle est fondée sur d'autres considérations, la loi, après certain intervalle de temps, éteint l'action par mesure d'ordre public, parce qu'elle présume qu'après le délai qu'elle établit, les traces du délit sont effacées et que la société n'est plus intéressée à le réprimer.

On ne peut donc se prévaloir de l'intention que révèle le réquisitoire pour en induire que cet acte doit avoir la valeur d'interrompre la prescription, pareille intention ne pouvant remplacer la poursuite exigée par la loi.

En conséquence, messieurs, je formule le projet d'interprétation dans les termes suivants : (L'orateur en donne lecture).

Comme vous le voyez, mon projet diffère de celui déposé par l'honorable M. d'Hont en ce que, selon moi, la simple notification du réquisitoire ne suffit pas pour constituer un acte de poursuite, si en même temps le prévenu n'est assigné devant le tribunal. La signification pure et simple du réquisitoire sans citation ne saurait à mes yeux avoir aucune valeur d'après les principes que j'ai développés. Sous ce rapport je crois devoir maintenir ma proposition.

M. le président. - L’amendement de M. Lelièvre est ainsi conçu :

« Le réquisitoire du ministère public, à l'effet de faire assigner le prévenu d'un délit rural, n'est pas un acte de poursuite dans le sens de l'article 8, section 7, titre premier, du décret du 28 septembre-6 octobre 1791, et il n'interrompt pas la prescription lorsqu'aucune citation n'a été signifiée dans le délai d'un mois, à compter du jour du délit. »

- L'amendement est appuyé.

M. Rodenbach. - Messieurs, à propos de la discussion à sur le projet de loi interprétative de l'article 8 du décret de 1791 sur les délits ruraux, je crois qu'il n'est pas inopportun d'appeler quelques instants l'attention de M. le ministre de la justice sur la police rurale. (Interruption.)

Comme on paraît croire que cela n'a pas rapport à l'objet en discussion, je saisirai une autre occasion pour en entretenir la chambre.

M. Jullien. - Messieurs, signataire de l'amendement de l'honorable M. d'Hont, je viens en appuyer et le fond et les termes. J'ai suivi avec attention l'argumentation de M. le ministre de la justice ; elle m'a paru reposer principalement sur ce que les règles du Code d'instruction criminelle sur l'interruption delà prescription devraient être appliquées pour interpréter la loi de 1791.

Je regrette de ne pouvoir partager l'opinion de l'honorable ministre de la justice sur ce point.

Les articles 637 et 638 du Code d'instruction criminelle ne peuvent recevoir la moindre application, pour l'interprétation d'une loi faite en 1791, lorsque ce Code dispose expressément que les règles qu'il trace ne sont pas applicables à la prescription des délits régis par des lois spéciales.

Il me suffira de mettre sous les yeux de la chambre l'article 643 du Code d'instruction criminelle qui, dans la généralité de ses expressions, repousse l'applicabilité des articles 637 et 638 à la loi de 1791. Voici dans quels termes cette disposition est conçue :

(L'orateur en fait lecture).

Il n'échappera à aucun de vous que les articles 637 et 638 se trouvent dans le même chapitre que la disposition de l'article 643; il est donc clair que les dispositions qui forment la base du système de M. le ministre de la justice doivent être mises complètement à l'écart, à moins qu'on n'établisse que la législation de 1791 était assise sur les mêmes principes. L'on a soutenu qu'il fallait appliquer les principes du droit commun en matière de prescription. Nous sommes tous de cet avis. Nous aussi nous disons qu'il faut appliquer les principes généraux en matière de prescription, mais les principes qui étaient en vigueur quand fut portée la loi de 1791.

Vous ne pouvez, en effet, vous emparer des règles toutes nouvelles d'une loi faite en 1810, et les faire rétroagir pour interpréter les dispositions d'une loi faite en 1791, contrairement à l'esprit même de cette loi.

Quels étaient les principes généraux en matière de prescription en 1791 ? Mais l'honorable M. Van Hoorebeke, dont l'autorité a été invoquée dans cette enceinte vous le dit. Voici comment il s'explique à cet égard, en définissant les actes d'instruction et do poursuite interruptifs de la prescription sous l'empire du Code d'instruction criminelle.

« On peut dire que, d'après l'esprit elle texte de la loi, il faut, en général, envisager comme tels tous actes qui ont pour but, soit de rechercher les délits ou d’en rassembler les preuves, soit d'en découvrir les auteurs et de les livrer aux tribunaux; même les réquisitions du ministère public aux officiers de police judiciaire, au juge d'instruction ou aux agents de la force publique.

« Notre droit moderne s'écarte donc sur ce point de l'ancienne jurisprudence criminelle, d'après laquelle ni la plainte, ni l'information, ni le décret même, s'il n'était pas exécuté, n'interrompaient pas la prescription. »

Vous l'entendez, de l'aveu de l'honorable M. Van Hoorebeke, sous la législation pénale de 1791, en vigueur au moment de l'émanation du Code rural, ni la plainte, ni l'information, ni le décret lui-même, quand il n'était pas exécuté, ne constituaient pas un acte interruptif de la prescription.

Là, messieurs, est la base de l'interprétation que nous devons donner à la disposition qui nous occupe.

Il en ressort que le réquisitoire du ministère public, renfermant l'ordre d'assigner, n'avait jamais la force d'un acte interruptif de la prescription.

Messieurs, l'honorable ministre de la justice s'est appuyé sur l'autorité des arrêts de la cour de cassation rendus dans la matière; il a réemployé les considérations sur lesquelles la cour suprême s'est basée pour soutenir que le simple réquisitoire d'un parquet, non suivi de notification, devait être envisagé comme acte interruptif de la prescription, en se fondant avec la cour régulatrice sur ce que ce réquisitoire devait nécessairement aboutir à la mise en jugement des prévenus; ce sont les propres termes des arrêts de la cour. Cette considération pourrait être de quelque poids s'il était vrai que le réquisitoire dût nécessairement aboutir à la mise en jugement du prévenu. Il n'en est pas toujours ainsi.

Le ministère public qui a signé son réquisitoire peut, en effet, en faire fruit, l'expédier à ses huissiers, mais aussi il peut le garder dans les cartons de son parquet et n'en faire aucun usage.

Dans ce dernier cas, il abandonne de fait la poursuite sans qu'il intervienne de mise en jugement. Sous ce rapport il existe une différence notable entre le réquisitoire et une assignation suivie d'un désistement. Quand il y a assignation lancée, la mise en jugement existe, la justice répressive doit prononcer quand même il y a désistement du ministère public.

Vous voyez qu'il n'est pas exact de dire que le réquisitoire du ministère public non suivi de notification a pour effet nécessaire la mise en jugement du prévenu. Cette considération vient donc à tomber.

Mais, dit-on, le système contraire aux arrêts de la cour de cassation, conduirait à l'impunité; il assurerait l'impunité des délinquants inconnus, par cela même qu'il paralyserait l'action du ministère public en la restreignant dans le délai d'un mois, endéanq lequel il ne pourrait faire aucun acte d'information capable d'interrompre la prescription.

Ne perdons point de vue, messieurs, que nous sommes appelés à interpréter la loi pour l'appliquer à un cas où les auteurs du débit étaient connus, pouvaient être atteints et ont été atteints par la partie publique; en fait, l'argument manque donc de base.

Mais en supposant que le ministère public fût désarmé, s'il ne découvre les auteurs d'un délit rural dans le mois, cela ne prouverait qu'une chose, c'est qu'il existe dans la loi de 1791 une lacune qu'il importe de combler ; mais ce n'est pas quand nous procédons par voie d'interprétation que nous pouvons combler une lacune de ce genre. C'est au moyen d'une loi toute spéciale qu'il devrait y être pourvu.

Remarquons d'ailleurs que lorsque les auteurs d'un délit ne sont pas connus, le ministère public ne peut pas lancer de réquisitoire aux fins de les assigner. L'objection ne peut dès lors être admise.

En résumé nous pensons que la loi rurale de 1791, sainement interprétée d'après la législation de cette époque, a voulu un acte réel de poursuites atteignant le prévenu dans le délai d'un mois; elle a voulu que la partie publique ne put procéder dans l'ombre, que le prévenu fût touché d'un acte important et ayant à ce titre tous les caractères propres à constituer un acte interruptif de la prescription.

Il me reste deux mots à vous dire sur la préférence que vous devez accorder à l'amendement que j'ai signé avec M. d'Hont sur l'amendement de M. Lelièvre.

L'honorable M. Lelièvre propose d'interpréter la loi de 1791, en ce sens que l'assignation seule lancée dans le délai d'un mois, serait le seul véritable acte interruptif de la prescription. Il y a cette nuance entre l'amendement de M. Lelièvre et celui de M. d'Hont, que l'honorable M. d'Hont et moi, nous proposons, d'accord avec les honorables MM. Destriveaux et Moxhon, d'insérer, dans la loi d'interprétation, que le réquisitoire du ministère public, afin d'assigner un prévenu, serait un acte interruptif de la prescription, dits qu'il aurait été notifié au prévenu dans le mois du délit.

Nous avons donné cette forme à notre amendement, parce que nous n'avons pas voulu sortir du cercle de l'interprétation qui nous est déférée. Appelée à interpréter une loi, pour en faire l'application à un cas donné, la chambre est dans la nécessité ou de se rallier à l'opinion des tribunaux dont les décisions ont été cassées, ou d'adopter l'opinion de la cour suprême.

S'il en est ainsi, si nous ne pouvons sortir de cette alternative et si la chambre repousse le projet ministériel, nous devons adopter l'interprétation proposée par l'amendement de M. d'Hont, parce qu'elle rentre |dans le système consacré par le tribunal correctionnel de Neufchâteau, qui n’a été saisi de l'affaire en première instance et dont le jugement a été confirmé par les tribunaux d'Arlon et de Namur siégeant en degré d’appel.

En effet, le tribunal de Neufchâteau n'a point dit qu'il fallait une assignation lancée dans le mois pour interrompre la prescription; son jugement laisse cette question indécise. Vous allez en acquérir la preuve par la lecture même des trois considérants du jugement. Ils sont ainsi conçus:

« Attendu que l'article 8, titre premier, section 7, do la loi de 1791 précitée, se borne à dire que la poursuite des délits ruraux sera faite, au plus tard, dans le délai d'un mois, sans s'expliquer autrement sur la nature de la poursuite;

« Attendu, en admettant que, par ce mot poursuite, il faille entendre non seulement la citation, mais encore tous actes ayant pour objet la recherche et la constatation du délit, toujours est-il que ces actes doivent au moins présenter certain caractère de publicité ;

« Attendu que le réquisitoire du ministère public étant un acte isolé, purement personnel au magistrat de qui il émane, dont nul n'a été touché dans le délai prescrit, n'ayant, en un mot, reçu aucune espèce de publicité avant la citation, l'on ne peut lui attribuer pour effet d'interrompre la prescription. »

Le tribunal correctionnel, saisi le premier de l'affaire, a donc décidé in terminis que, pour qu'un réquisitoire du procureur du roi, à l'effet de faire assigner un prévenu, fût un acte interruptif de la prescription, il devait être notifié au prévenu. Mais il n'est pas allé jusqu'à décider qu'il fallait une assignation lancée dans le mois.

Il y a, vous le voyez, une nuance marquée entre l'opinion de M. Lelièvre et l'opinion du tribunal de Neufchâteau, confirmée par les tribunaux de Namur et d'Arlon.

Nous pensons donc que si la chambre croit devoir adopter un amendement, ce ne peut être que celui de l'honorable M. d'Hont.

M. Dolez. - La question qui occupe en ce moment la chambre est d'une très haute gravité ; il est impossible de le méconnaître. Toutefois, messieurs, nous ne devons pas perdre de vue que dans le conflit qu'elle a soulevé entre plusieurs tribunaux du pays et la cour de cassation, une grande autorité doit s'attacher à l'opinion de cette cour, opinion émise par deux arrêts, dont un rendu toutes chambres réunies.

Les observations qui viennent d'être présentées par les honorables préopinants contre le projet du gouvernement ne m'ont pas convaincu. Je prie la chambre de me permettre de lui soumettre quelques considérations en faveur de ce projet; peut-être ne les trouvera-t-elle pas dépourvues de toute autorité.

Il est un point sur lequel on me paraît généralement d'accord, c'est que si l'article 637 du Code d'instruction criminelle est applicable à la prescription des délits ruraux, la réquisition écrite du procureur du roi doit être admise comme constituant un acte de poursuite, et partant comme interrompant la prescription.

L'honorable M. Lelièvre et d'autres orateurs ont été, je pense, complètement de cet avis. Mais voici où naît le dissentiment : on soutient que la loi de 1791 ne doit pas être soumise aux dispositions de l'article 637 du Code d'instruction criminelle.

Suivant moi, c'est là une erreur. Sans doute la loi de 1791 contient une disposition qui établit une prescription spéciale. Mais elle se fait quant aux règles d'instruction criminelle qui étaient suivies à l'époque où cette loi a été portée. Aussi l'honorable M. Jullien, pour établir ce qu'il faut entendre, suivant lui, par le mot poursuites dont se sert cette loi, a-t-il dû recourir, non pas aux dispositions qu'elle renferme, mais aux règles de procédure existant à cette époque. Or, ces règles de procédure ont fait place à celles que le législateur de 1806 a déposées dans le Code d'instruction criminelle. Il est de la nature des lois de procédure de s'appliquer à toutes les actions qui s'intentent après leur promulgation, bien que puisant leur origine dans des droits ou dans des lois antérieurs.

Il en résulte que si, avant la promulgation du Code d'instruction criminelle , c'était aux règles de procédure criminelle alors admises qu'il fallait faire appel, pour reconnaître par quels actes pouvait se produire la poursuite du ministère public, aujourd'hui c'est à ce Code seul qu'il faut recourir. Eh bien, le Code d'instruction criminelle, qui forme le droit commun en cette matière, non seulement dit d'une manière évidente, dans son article 637, que l'action du ministère public s'exerce valablement par de simples actes d'instruction, mais va plus loin encore en en appliquant les effets même aux personnes non comprises dans ces actes, disposition qui pourrait paraître exorbitante, si l'on ne tenait compte qu'elle est motivée par les intérêts les plus graves de la société.

Que devient, en présence de cette disposition, la doctrine de l'honorable M. Lelièvre, qui ne veut admettre comme actes interruptifs de la prescription de la loi de 1791 que les actes de poursuites notifiées à la partie prévenue. Il est évident que cette doctrine aboutirait à introduire dans notre législation pénale deux modes d'instruction criminelle.

Si je ne me trompe pas, messieurs, c'est parce qu'on n'a pas distingué ce qui tient au droit en lui-même de ce qui tient à la procédure, qu'on est arrivé à la divergence d'opinions que la législature est appelée à résoudre par voie d'autorité.

En réalité, il ne s'agit en définitive que d'une question de forme.

La loi de 1791 dit d'une manière évidente, que personne ne songera à contester, qu'il faut une poursuite pour que la prescription soit interrompue. Mais que faut-il entendre par le mot poursuite ? La loi de 1791 ne le dit pas. A quelle loi appartient-il de le dire? Mais à la loi do procédure du temps où l'action s'intente. Or, cette loi, quelle est-elle? C'est le Code d'instruction criminelle, et ce Code, dans son article 637, admet que l'action se formule à l'effet d'interrompre la prescription, non pas seulement par une citation en justice, mais par des actes d'instruction. Peut-on méconnaître dès lors, que quand le ministère public agit conformément à la loi du temps où cette action se poursuit, il fait acte de poursuite et que parlant la prescription des délits ruraux par l'acte qu'il a posé, doit être interrompue?

Il me semble donc, messieurs, que si la chambre réduit, comme il me paraît qu'il importe de le faire, la question qui nous occupe à ses véritables termes, c'est-à-dire à une question de procédure, il est impossible de méconnaître que le système de la cour de cassation doit être accueilli. C'est dans ce sens que je voterai.

J'ajouterai que si, contre ma manière de voir, la chambre devait se prononcer pour un autre système, l'amendement de l'honorable M. Lelièvre ne pourrait en aucun cas être accueilli, parce que cet amendement sort du cercle de la loi interprétative que vous êtes appelés à voter. Il faudrait alors admettre l'amendement de l'honorable M. d'Hont. Mais je le répète, je ne puis voter ni pour l'un ni pour l'autre des amendements.

M. Fontainas. - Messieurs, en législation plus qu'en toute autre matière, il faut respecter la pureté du langage, la propriété des termes. Il faut, comme le dit Montesquieu, que les paroles de la loi réveillent chez tous les hommes les mêmes idées. Ces principes, ces vérités incontestables, il me semble que le projet de loi les méconnaît ouvertement. Je m'explique :

Un conflit existe. Il nécessite l'interprétation de l'article 8, paragraphe 7, de la loi du 28 septembre 1791. Voici le texte que nous devons interpréter :

« La poursuite des délits ruraux sera faite au plus tard dans le délai d'un mois, soit par les parties lésées, soit par le procureur de la commune, etc.; faute de quoi, il n'y aura plus lieu à poursuivre. »

Les tribunaux d'Arlon et de Namur, siégeant en degré d'appel, entendent par le mot « poursuite » un acte présentant au moins certains caractères de publicité; ils soutiennent que le réquisitoire du ministère public étant un acte isolé purement personnel au magistrat dont il émane, n'ayant reçu aucune espèce de publicité avant la citation, on ne peut lui attribuer pour effet d'interrompre la prescription.

Je préfère cette interprétation sage et généreuse à celle de la cour régulatrice.

Dans une hypothèse, celle des tribunaux, le délinquant est prévenu. Dans l'autre hypothèse, celle de la cour de cassation, le délinquant peut être victime d'une véritable surprise. Un exemple rendra cette vérité plus claire.

Je suppose qu'un individu ait commis un délit rural. Le mois (délai pour la prescription) s'écoule, et l'inculpé n'a point été inquiété, aucune signification ne lui a été faite. Dès lors, il compte, il peut et doit compter sur le bénéfice de la prescription. Eh bien, messieurs, c'est une illusion. Le ministère public (pardonnez-moi la trivialité du mot) tirera de sa poche un réquisitoire qui dormait là fort paisiblement, et le cours de la prescription sera tenu pour interrompu, et l'inculpé aura, mais en vain, compté sur la protection de la loi.

Je dis que ce système présente quelque chose de boiteux et de peu sincère ; et voilà pourquoi je me refuse à l'appuyer de mon vote.

Mais que faut-il entendre par le mot poursuite, le seul dont se serve le texte qu'il s'agit d'interpréter? Par ce mot, il faut entendre un acte public, la manifestation positive et sans équivoque d'une volonté contraire, c'est-à-dire un acte de notification quelconque apprenant ou tiers que pour lui la prescription cesse de courir.

J'aime, en législation, à m'inspirer du Code civil, dont la rédaction, toujours correcte, présente presque toujours un sens clair et facile.

Il y a, dans le Code civil, tout un système sur la prescription, tout un système sur les moyens d'interrompre le cours de la prescription. Eh bien, que disent les articles 2244 et 2245 qui traitent de la matière? Je cite les textes :

« Une citation en justice, un commandement ou une saisie signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, forment l'interruption civile.

« La citation en conciliation interrompt la prescription, du jour de sa date, lorsqu'elle est suivie d'une assignation en justice donnée dans les délais de droit. »

Donc, en matière civile, et là peuvent être engagés d'immenses intérêts, la prescription n'est interrompue que par une notification ou exploit d'huissier.

Je sais fort bien, et je réponds à cette objection possible, qu'il ne faut pas nécessairement conclure des principes du droit civil à ceux qui régissent la procédure criminelle. Mais quand un principe est sage, il est bon, il est utile d'en étendre l'application.

Et puis, est-ce à dire que le Code d'instruction criminelle contrarie ce système? Nullement. Voici le texte invoqué par mon honorable contradicteur :

« L'action publique et l'action civile résultant d'un crime de nature à entraîner la peine de mort ou des peines afflictives perpétuelles, ou de tout autre crime emportant peine afflictive et infamante, se prescriront, etc., si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ni de poursuite.

« S'il a été fait, dans cet intervalle, des actes d'instruction ou de (page 32) poursuite non suivis de jugement, l'action publique et l'action civile ne se prescriront qu'après dix années révolues, etc., etc. »

Je dois répondre à l'objection : La loi de 1791 sur les délits ruraux, est une loi spéciale, et les lois spéciales doivent s'entendre d'après le système qui leur est propre. Elles ne doivent, selon tous les principes, se référer aux lois générales que dans les points qu'elles ne règlent ni expressément ni implicitement.

La loi spéciale de 1791 parle expressément d'un mode d'interrompre la prescription : c'est la poursuite. Parle-t-elle aussi de tous actes d'instruction, comme moyens d'interruption? Nullement. Reste donc la poursuite. Or, je soutiens que, dans le sens usuel ou pratique, ce mot signifie un acte public par lequel on s'attaque à son adversaire ou au délinquant. Et, messieurs, ne l'oubliez pas ; si vous voulez que la fiction en vertu de laquelle nous sommes tous censés connaître la loi, ne soit pas chose dangereuse et compromettante, faites que la loi, dans ses termes, soit claire et à la portée de tous ; faites que le justiciable, qui est censé connaître la loi, ne doive pas, pour la comprendre, s'adresser à un académicien.

Partant de ces considérations, je vous demande, messieurs, s'il n'est pas vrai pour tous que par le mot « poursuite » on entend généralement une citation ou, tout au moins, une notification quelconque.

Je ne prétends pas me livrer à d'autres développements, et j'accepte avec empressement la doctrine que mes honorables collègues, MM. Lelièvre, Jullien et d'Hont, ont produite avec tant de logique et de talent.

Je voterai contre le projet de loi.

M. Jullien. - Messieurs, je n'ai que quelques mots à dire pour répondre à l'honorable M. Dolez.

L'honorable M. Dolez a porté la question sur un terrain qui ne lui convient nullement. Il l'a envisagée comme une simple question de procédure ; il a dit que c'est à la législation actuelle que nous devons recourir pour connaître en quelle forme il faut procéder en matière répressive.

Personne de nous ne conteste ce principe ; mais est-ce donc une simple formalité de procédure que le point de savoir s'il y a, oui ou non, dans un acte posé, interruption de la prescription? Est-ce que l'exception de la prescription est un simple moyen de forme? Une exception d'ordre public peut-elle être ainsi qualifiée ? La négative ne peut être douteuse.

L'honorable M. Dolez a persisté à invoquer à l'appui de son système les articles 637 et 638 du Code d'instruction criminelle ; mais je lui demanderai ce qu'il fait de l'article 643 ? Il en fait bon marché, il le met de côté. Mais l'article 643 dit, en termes formels, que les articles 637 et 638 ne sont pas applicables lorsqu'il s'agit de la prescription de délits prévus par des lois particulières.

Encore un mot, messieurs. Si la chambre adoptait le projet qui lui est soumis, elle admettrait implicitement que l'ordre purement verbal, donné par le ministère public, de citer un prévenu, aurait aussi tous les caractères d'un acte interruptif de la prescription. Existe-t-il, nous le demandons, une loi qui exige d'abord la nécessité d'un réquisitoire, à l'effet d'assigner, et qui veuille que ce réquisitoire soit écrit? Pourquoi donc accorderiez-vous plus de force à un réquisitoire écrit qu'à un réquisitoire verbal? Parce qu'il resterait des traces du premier. Mais le second ne pourrait-il pas être prouvé par témoins?

Le système que je combats pourrait donc nous conduire à cette conséquence exorbitante et tout à fait inadmissible, qu'un acte purement verbal d'un parquet enjoignant à un officier ministériel d'assigner, serait un acte interruptif de la prescription.

M. Lelièvre. - L'honorable M. Jullien pense que la proposition que j'ai formulée ne peut être admise, parce qu'elle sort des termes dans lesquels elle a été résolue par les tribunaux de première instance.

J'accepte, messieurs, ce terrain, et je dis que c'est précisément la manière dont le tribunal de Namur a résolu la question qui doit faire prévaloir ma rédaction.

Il est une chose qu'il ne faut pas perdre de vue : nous sommes saisis par suite de l'arrêt de la cour de cassation qui a annulé le jugement rendu par le tribunal de Namur.

Or, que lisons-nous dans la décision de première instance cassée par l'arrêt?

« Attendu en fait que le procès-verbal rédigé à charge des prévenus ici intimés porte la date du 23 avril 1847, jour où le délit a été constaté et que la citation à comparaître devant les premiers juges ne leur a été notifiée que le premier juin suivant; qu'ainsi, à défaut de poursuite dans le délai légal, l'action se trouve éteinte. »

Rien de plus clair, le tribunal de Namur attribue à la citation toute la force d'interrompre la prescription. Eh bien, puisque, de l'aveu de l'honorable M. Jullien, il faut résoudre la question dans les termes où l'a placée la décision qu'a annulée la cour de cassation et qui a fait naître le conflit que nous sommes appelés à faire cesser, il s'ensuit nécessairement que si l'interprétation proposée par le gouvernement n'est pas accueillie, c'est sur celle admise par le tribunal de Namur, dans les termes de ma proposition, qu'il est nécessaire de se prononcer.

Du reste, messieurs, que signifie la simple notification d'un réquisitoire qui n'est qu'un mandat donné à l'huissier, si elle ne renferme sommation au prévenu de comparaître à l'audience ?

Mais le réquisitoire n'est exécuté qu'au moyen de la citation. Il tend à faire assigner le prévenu, l'huissier n'accomplit son mandat que pour autant qu'il assigne.

Si donc on suppose que la notification ne contient pas citation, le réquisitoire est resté une lettre morte, et il n'a pas été obéi; la signification qui en a été faite n'a dès lors aucune valeur.

M. Dolez. - L'honorable M. Jullien a de nouveau fait appel à l’article 643 du Code d'instruction criminelle. Il maintient, messieurs, qu'en vertu de cet article le Code d'instruction criminelle est rendu inapplicable à la loi de 1791. Mais sur quoi porte cet article? Uniquement sur les conditions établies par le Code d'instruction criminelle pour la prescription elle-même. J'admets donc qu'il est incontestable qu'on ne pourrait pas argumenter des dispositions de ce Code pour effacer la prescription d'un mois établie par la loi du 1791. Mais telle n'est pas la question qui occupe la chambre en ce moment. Il s'agit uniquement de savoirs qu'il faut entendre par le mot « poursuites » dont parle cette loi, et je le demande à l'honorable M. Jullien, est-ce la loi de 1791 qui lui donne cette définition?

Cette définition est ailleurs; elle n'est que dans les lois d'instruction criminelle du temps où la poursuite se produit; elle est aujourd'hui dans les règles du Code de 1806, dans les règles qu'il trace aux magistrats chargés de veiller aux intérêts de la société et d'exercer l'action publique. Or, ce code dit en termes formels qu'un simple acte de poursuite ou d'instruction, quel qu'il soit, est un acte constitutif de l'exercice de l'action publique, puisqu'il interrompt la prescription.

On a parlé tout à l'heure, à mes côtés, d'intérêts moraux. Mais savez-vous bien, messieurs, quelle position l'on vous demande de consacrer? On vous demande de dire que les règles en matière de prescription seront plus bienveillantes quand il s'agira d'un délit rural que quand il s'agira d'un crime ; que, dans ce dernier cas, un acte sera réputé acte de poursuite, tandis qu'il ne suffira point dans l'autre, ce qui tend à donner à l'accusé d'un crime des garanties moins grandes qu'à l'accusé d'un simple délit rural!

Si la question qui nous occupe en ce moment vous était soumise relativement à un crime entraînant la peine capitale, on reconnaîtrait que le réquisitoire du ministère public doit entraîner l'interruption de la prescription, et alors qu'il s'agit d'un intérêt minime, on viendrait dire que la loi doit au prévenu des garanties plus étendues.

Voilà, messieurs, la disparate qu'on nous demande d'introduire dans notre législation criminelle.

Pour moi, ce que je demande, c'est que les règles d'instruction criminelle soient les mêmes pour tous.

Je reconnais que si la loi de 1791 avait défini ce qu'elle entendait par poursuite, nous devrions respecter cette définition; mais quand, de l’aveu de tout le monde, il faut s'adresser à d'autres règles pour reconnaître ce qui constitue la poursuite, c'est uniquement dans le Code d'instruction criminelle qu'il doit être permis de les chercher.

Or, d'après ce Code, le ministère public ne fait-il acte de poursuite que quand il lance une citation en justice? Non, messieurs, l'article 637 dit positivement, non seulement que le ministère public peut agir par de simples actes d'instruction, et il ajoute même que ces simples actes interrompent la prescription, même à l'égard des personnes qui y sont le plus complètement étrangères.

Messieurs, on vous demande en réalité de changer le système de notre Code d'instruction criminelle. Et ne croyez pas d'ailleurs que je veuille faire consacrer la doctrine étrange à laquelle aboutissait l'argumentation de l'honorable M. Jullien, quand il vous disait que, dans le système qu'il combattait, une parole du ministère public adressée à un huissier, interromprait la prescription.

Personne n'a jamais dit cela: témoin la loi interprétative qui nous est soumise. Que porte, en effet, cette loi?

« Le réquisitoire écrit du ministre public, à l'effet de faire assigner le prévenu d'un délit rural, est un acte de poursuite dans le sens de l'article 8, section VII, titre premier du décret des 28 septembre et 6 octobre 1791, et il interrompt la prescription lorsqu'il est fait au plus tard dans le délai d'un mois. »

Si donc l'honorable M. Jullien avait voulu relire le texte du projet de loi, il aurait vu que son argument n'avait rien de sérieux.

Une simple parole du ministère public n'est pas un acte ; or, ce que requiert la jurisprudence de la cour de cassation, ce que requiert le projet qui vous est soumis, c'est un acte, c'est-à-dire un écrit officiel du ministère public. Et c'est dans cet écrit que repose la preuve de la volonté active et manifestée du ministère public de poursuivre le délit ou le crime, et c'est en définitive à la manifestation officielle de cette volonté de poursuivre, que la loi s'est arrêtée.

M. Liefmans. - Messieurs, je commence par déclarer que je partage entièrement l'avis de l'honorable M. Lelièvre et de ceux de ses collègues qui croient que la décision de la cour de cassation n'est pas à l'abri de la critique. En effet, messieurs, on doit considérer comme un principe de droit incontestable que, pour bien interpréter les dispositions d'une loi, il faut se reporter à l'époque où cette loi a été promulguée. Si l'on applique ce principe à la question actuelle, il s'agirait d'examiner quels actes devaient être considérés, sous la loi de 1791, comme interruptifs de la prescription prévue par l'article 8. Il s'agirait de se demander si un réquisitoire écrit par un membre du ministère public empêchait alors la prescription. Posée ainsi, la question devrait se résoudre négativement; car, comme l'a fort bien dit M. Lelièvre, sous l'empire de la loi de 1791, il fallait une citation pour interrompre la prescription; et c'est bien là la doctrine professée par M. Merlin. Sous l'empire de la loi de 1791, un réquisitoire du ministère public ne suffisait pas pour empêcher la prescription, il fallait une citation.

(page 33) Donc, s'il y a lieu de faire application de la loi de 1791, il faudrait, par voie de conséquence, décider que ses dispositions ne peuvent être appliquées qu'on observant les conditions que cette loi elle-même a consacrées. C'est là l'opinion, messieurs, des différents tribunaux dont, les jugements ont été annulés par la cour régulatrice. Il me paraît superflu de justifier encore cette opinion. Les raisons qu'ont fait valoir en sa faveur l'honorable M. Fontainas, MM. Julien et d'Hont me paraissent trop concluantes, et je n'y reviendrai pas, pour ne point, abuser de vos moments et de votre indulgence. Qu'il me suffise de dire, d'après toutes les observations que nous venons d'entendre, qu'on peut déclarer en droit que l'interprétation proposée n'est pas celle que l'on doit accueillir comme la meilleure. Je crois cependant pouvoir aller plus loin ; je crois pouvoir dire que même s'il était vrai, comme le supposent et la cour de cassation et l'honorable ministre de la justice, qu'en matière de contravention, sous l'empire du Code d'instruction criminelle, le réquisitoire du ministère public interrompt, dans tous les cas, la prescription établie par une loi spéciale, que les règles du Code d'instruction criminelle sont applicables même en matière de délits ruraux; qu'alors encore il faudrait s'opposer au projet de loi, rédigé comme il l'est actuellement. Ce projet, messieurs, ne semble inacceptable et pour le fond et pour la forme.

En effet, messieurs, que veut-on faire décider par la chambre? Non pas la question de savoir si, sous l'empire de la loi de 1791, le réquisitoire du procureur de la commune interrompait la prescription ; mais bien, me paraît-il, la question de savoir si, sous le Code d'instruction criminelle, le réquisitoire du ministère public interrompt la prescription même en matière de délits ruraux. Or, messieurs, décidez cette dernière question dans le sens que vous le désirez, l'article 8 de la loi de 1791 n'en deviendra ni plus ni moins intelligible. Ce qui restera toujours vrai, c'est que, comme M. Lelièvre vous l'a dit, sous la loi de 1791, il fallait une citation pour interrompre la prescription. Ce n'est donc pas cet article qu'il s'agit d'interpréter. Il s'agit de savoir si la loi de 1810 a dérogé à la loi de 1791, dans ce sens que le réquisitoire du ministère public constitue actuellement un acte portant interruption de prescription, tout comme la citation seule pouvait le faire sous la loi de 1791. Or, messieurs, est-ce bien là ce que porte le projet de loi ? Pas le moins du monde. On veut nous faire déclarer, ce qui n'est pas, que le réquisitoire écrit du ministère public est un acte de procédure, dans le sens prévu par l'article 8 de la loi de 1791, sert à empêcher la prescription. Je ne saurais jamais messieurs, me ranger de cet avis; car la loi de 1791 n'a prévu, comme acte interruptif de la prescription, que la citation donnée au prévenu. Je n'en dirai pas davantage, messieurs, mais je voterai contre le projet de loi.

- La discussion est close.

Vote sur l’article unique

La chambre décide qu'elle votera d'abord par appel nominal sur l'article unique du projet du gouvernement, et qu'en cas de rejet, elle votera sur les amendements qui ont été proposés à ce projet.

- L'appel nominal constate que la chambre n'est plus en nombre.

La séance est levée à 4 heures et demie.