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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 15 janvier 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 435) M. Dubus procède à l'appel nominal à 2 heures et demie. La séance est ouverte.

Il est procédé, par la voie du sort, à la composition des sections pour le mois de janvier.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance du 29 décembre 1849, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Quelques cabaretiers et boutiquiers du canton de Waremme demandent que les agents de l'administration qui sont chargés de vérifier les poids et mesures se fassent accompagner, dans leurs visites, d'un membre du collège échevinal, et qu’il leur soit défendu d'user de surprise ou de subtilité. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale d'Hamont demande que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les athénées et collèges des provinces flamandes, et qu'on y soit tenu de faire usage de cette langue pour l'enseignement de l'allemand et de l'anglais.»

« Même demande de plusieurs habitants de Roulers. »

M. Rodenbach. - Messieurs, plusieurs habitants notables de la ville de Roulers demandent que le gouvernement veuille bien faire enseigner la langue flamande dans les athénées et collèges des Flandres, comme on y enseigne la langue anglaise et la langue allemande. Ils disent que plus de deux millions d'habitants du pays parlent flamand, et qu'ils ont bien le droit de demander que leur langue soit mise au moins sur le même pied, dans l'enseignement, que des langues étrangères.

Je demanderai qu'il soit fait un prompt rapport sur les diverses pétitions qui concernent cette matière.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, des habitants de la Flandre occidentale demandent qu'on enseigne dans les divers collèges de cette province la langue flamande. On réclame un prompt rapport sur cette pétition. Je dois faire observer que le gouvernement est entièrement étranger à ce qui se passe dans la plupart des collèges de la Flandre occidentale : il ne subsidie que deux collèges dans cette province, et j'ai la conviction que la langue flamande s'enseigne dans ces deux collèges comme dans tous les collèges des provinces flamandes qui reçoivent des subsides de l'Etat. Il y a même plusieurs collèges dans les provinces wallonnes qui sont subsidiés par le gouvernement et qui comprennent aussi la langue flamande dans leur programme d'enseignement.

M. Rodenbach. - Je suis charmé d'apprendre que le gouvernement paraît vouloir exiger l'enseignement de la langue flamande dans les collèges auxquels il accorde des subsides; je crois cependant qu'il est des collèges subsidiés et autres où cette langue ne s'enseigne pas, car il faut bien supposer que les pétitionnaires savent ce qu'ils demandent.. S'ils sont dans l'erreur, j'en félicite le gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quant aux collèges libres, nous n'avons rien à leur prescrire, pas plus qu'aux collèges purement communaux ; nous avons une direction à donner à ceux qui reçoivent des subsides de l'Etat, mais il y a liberté et indépendance complètes pour tous les autres établissements.

M. Rodenbach. - Je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Rétois demande qu'un élève d'une école primaire ne puisse être admis dans une école voisine s'il ne produit un certificat de bonne conduite délivré par son dernier maître ou s'il ne consent à subir, dans, la nouvelle école, la punition à laquelle il a voulu se soustraire en quittant son école. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Cuvelier demande une loi qui assure la fermeture des cabarets après l'heure de la retraite. »

- Même renvoi.


« Plusieurs bourgmestres de communes dans la Flandre occidentale demandent des modifications à la loi du 3 avril 1848 concernant les dépôts de mendicité et les écoles de réforme. »

M. Rodenbach. - Je proposerai le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs fabricants et commerçants de Bruxelles demandent qu'il soit pris des mesures sévères pour empêcher les ventes publiques en détail de marchandises neuves et pour que les étrangers qui viennent en Belgique offrir et vendre des marchandises payent le droit de patente. »

M. Orts. - Messieurs, les pétitionnaires signalent des négligences dans la perception d'un impôt important. Je proposerai, dans l'intérêt du trésor, de renvoyer cette requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le conseil communal de Wespelaer présente des observations sur le projet de loi réglant le tarif des voyageurs sur les chemins de fer de l'Etat. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.


« L'administration communale d'Herzeele demande que le gouvernement prenne des mesures pour soulager la classe nécessiteuse et prie la chambre de modifier la législation sur le domicile de secours.»

« Même demande des administrations communales d'Overboelaere, Ideghem et Aygem. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Messancy présentent des observations contre la demande du conseil communal d'Aubange, tendante à faire transférer dans cette commune le chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal d'Aeltre prie la chambre d'allouer au budget les fonds nécessaires pour l'exécution du travail de canalisation de la Dendre ou d'y employer le cautionnement déposé par la société concessionnaire du canal latéral à la Dendre.»

« Même demande des administrations communales d'Hières, Lanquesaint et Ottignies. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Namur prient la chambre de rejeter les conclusions de la section centrale chargée d'examiner le budget de la guerre.»

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de ces conclusions.


(page 436) « Plusieurs habitants d’Audenarde, demandent le maintien de l’organisation actuelle de l'armée.»

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur le budget de la guerre.


« Plusieurs négociants à Eenaeme demandent une réduction sur les péages des canaux de Mons et Condé, et spécialement de Pommerœul à Antoing.»

« Même demande de plusieurs habitants de Barnissart-Blaton. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs membres d'un comice agricole dans le Brabant demandent que l'agriculture reçoive une protection analogue à celle dont jouissent les autres industries. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Le conseil communal d'Houtvenne demande le rétablissement de la loi de 1834, sur les denrées alimentaires.»

«Même demande du conseil communal de Hersselt et de plusieurs habitants du canton de Westerloo.»

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Le sieur Musch présente des considérations sur la nécessité d'établir un droit protecteur des intérêts agricoles. »

- Même dépôt.


«Plusieurs cultivateurs demandent que le projet de loi sur les denrées alimentaires soit remplacé, soit par la loi française qui régit les céréales, soit par des droits fixes suffisamment protecteurs. »

- Même dépôt.


« Le conseil communal d'Oeleghem demande une augmentation des droits d'entrée sur les céréales.»

« Même demande de plusieurs habitants de Melckweser. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« La société d'agriculture de Nivelles prie la chambre de porter à 2 fr. par 100 kilog. le droit à l'entrée des grains étrangers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


«Le conseil communal de Verviers prie la chambre de supprimer les droits d'entrée sur les denrées alimentaires ou tout au moins de ne pas augmenter les droits actuels. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Plusieurs habitants et cultivateurs du canton de Beeringen demandent une augmentation des droits d'entrée sur les céréales et sur toute espèce de bétail. »

- Même dépôt.


« Plusieurs cultivateurs à Ulbeek demandent un droit d'entrée d'au moins 2 fr. par 100 kilog. pour les céréales, et de 30 à 40 fr. pour chaque tête de gros bétail. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Plusieurs cultivateurs de la comme de Poucet prient la chambre de rejeter le projet de loi sur les denrées alimentaires, et de traiter l'agriculture comme l'industrie.

« Même demande des conseils communaux de Grand-Spauwen et de Petit-Spauwen.»

- Même dépôt.


«Le sieur François-Joseph Saigne, éclusier au canal de Charleroy, à Bruxelles, dont la demande en naturalisation a été rejetée, prie la chambre de revenir sur sa décision. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Quelques négociants à Ostende demandent que le droit d'entrée sur les farines soit porté à 6 fr. par 100 kil. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Plusieurs habitants d'Aerschot et les membres du comice du huitième district agricole, demandent le rétablissement de la loi de 1834 sur les céréales et le maintien intégral de l'armée de terre. »

M. de Luesemans. - Messieurs, cette pétition est signée par la plupart des habitants de la ville d'Aerschot; elle est vivement appuyée par le commissaire de l'arrondissement. Je demande que la pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux denrées alimentaires.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs habitants de Quaregnon demandent une loi qui interdise l'établissement des octrois dans les communes rurales. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par divers messages, le sénat informe la chambre qu'il a adopté les projets de lois relatifs aux objets suivants :

« Un crédit provisoire, au département des travaux publics;

« Un crédit provisoire au département de la guerre;

« Le service provisoire du caissier de l'Etat;

« La prorogation de la loi sur les denrées alimentaires ;

« Le contingent de l'armée pour 1850 ;

« L'abolition de la peine de la flétrissure;

« Des crédits supplémentaires au département de la justice;

«L'érection des communes de Durnal, dans la province de Namur, et de Ploegsteert (Flandre occidentale) ;

« Dos crédits supplémentaires au département des affaires étrangères;

« Le traité de navigation et de commerce conclu entre la Belgique et la France;

« Les vices rédhibitoires dans les ventes ou échanges d'animaux domestiques;

« L'interprétation de l'article 8, section VII, titre Ier, du décret du 28 septembre-6 octobre 1791 ;

« Les budgets des travaux publics, des dotations et des voies et moyens pour 1850. »

- Pris pour notification.


« Par deux autres messages, le sénat informe la chambre qu'il a pris en considération les demandes de grande naturalisation du sieur J. B. Remes, sergent au régiment des chasseurs-carabiniers, et de M. le comte E.-F-Ph.-F.-Ch. Hemricourt de Grunne, propriétaire, à Bruxelles.»

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 110 exemplaires, de l'Annuaire de l'observatoire royal de Bruxelles pour 1850.

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la chambre.


Il est fait hommage à la chambre, par M. J. Hollert, de 10 exemplaires d'un opuscule intitulé «Coup d'œil rétrospectif sur un opuscule ayant pour titre : La constitution et l'organisation du corps humain données pour type de la constitution el de l'organisation du corps social »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1850

Discussion générale

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, après les événements qui se sont passés en Europe dans ces derniers temps ; après la preuve évidente qui a été faite partout de la nécessité des armées pour le main-, tien de l'ordre public et de la paix ; après les services que notre armée a rendus, le dévouement, le patriotisme, la discipline qu'elle a montrés, je croyais que je n'aurais plus à défendre nos institutions militaires dans cette enceinte. Je croyais que personne n'aurait plus contesté la bonté, la solidité de notre organisation militaire après les épreuves qu'elle a subies ; j'espérais que chacun aurait enfin compris les inconvénients et les dangers qu'il y avait à mettre sans cesse l'existence de l'armée en question.

Et cependant, malgré ce qui s'est passé sous nos yeux depuis deux ans, malgré les dangers que nous avons courus et ceux qui nous menacent encore, malgré la situation si incertaine, si précaire de l'Europe, et alors que toutes les puissances ont augmenté et consolidé leur état militaire dans la prévision d'événements prochains on ne craint pas de vous demander de nouvelles réductions, sur le budget déjà si réduit du département de la guerre.

Ah ! messieurs, si nous avions le don de la prévoyance, ce don qui manque trop souvent aux gouvernements constitutionnels, bien loin de demander des réductions sur le budget de la guerre et d'affaiblir l'armée, nous nous entendrions plutôt tous pour la renforcer; nous préparerions d'avance, pendant que nous jouissons encore de la paix, les ressources nécessaires pour la mettre à même de remplir dans toute son énergie le rôle protecteur qu'elle peut être appelée à jouer bientôt ; nous suivrions enfin l'exemple judicieux que nous ont donné la plupart des puissances qui nous environnent, les plus fortes comme les plus faibles.

Je n'ai pas l'intention de répéter ce que j'ai eu l'honneur de vous dire dans li discussion du budget de la guerre des deux dernières années et ce qui vous a été dit si souvent avant moi, pour démontrer, pour prouver la nécessité d'une armée fortement organisée pour la Belgique; je craindrais de vous fatiguer en revenant sans cesse sur le même sujet. D'ailleurs, j'ai perdu l'espoir de convaincre mes adversaires et de les ramener à mon opinion.

Les événements qui se sont passés en Europe sont plus éloquents que toutes les démonstrations que je pourrais faire, et néanmoins ils ne leur ont pas ouvert les yeux, ils n'ont pas dissipé une seule de leurs illusions. Rappelez-vous ce qu'ils vous disaient, la veille encore du coup de tonnerre de février. Ils vous disaient : « La guerre est désormais impossible, nous sommes entrés dans une ère nouvelle, l'ère de la paix perpétuelle ; - les peuples sont trop éclairés peur s'entre-déchirer, - on ne tirera plus un coup de canon en Europe ; - la diplomatie aplanira toutes les difficultés » et que sais-je encore! car, que n'a-t-on pas dit et que ne dit-on pas tous les jours sur cette thèse de la paix perpétuelle et de la fraternité des peuples !

Et cependant les faits ne viennent-ils pas donner inutilement tous les jours le plus éclatant démenti à cette prédiction trompeuse?

Je le demande, messieurs, si l'on avait écouté ces rêveries, si l'on avait suivi cette politique de sentiment, où en serait l'Europe aujourd'hui? On peut dire, sans crainte d'être démenti, qu'elle serait plongée dans le désordre et l'anarchie, et qu'elle gémirait probablement sous le despotisme le plus intolérable.

Il faut le reconnaître, les armées, soutenues par le bon sens public, ont sauvé la civilisation.

Aussi, est-il de l'honneur de toute nation qui tient à son indépendance, à l'estime, à la considération et au respect des autres peuples, de maintenir inébranlablement ses institutions militaires. Cela est d'autant plus essentiel pour nous que la réalisation des projets d'amoindrissement ou de réorganisation de notre armée jetterait le découragement et la perturbation dans ses rangs, et la désorganiserait infailliblement et promptement.

En présence de ce danger, c'est mon devoir de vous engager à vous tenir en garde contre des utopies, contre des projets qui n'ont de (page 437) véritablement sérieux et respectable que le sentiment qui les dicte, mais dont la réalisation, je le répète, entraînerait les plus funestes conséquences. En présence de l'opposition qui se manifeste contre le budget de la guerre, c'est aussi un devoir pour moi, ma conscience me le dit, de vous parler avec franchise, de vous dire sans réticences la vérité absolue sur notre état militaire et sur les dépenses auxquelles il faut que le pays se résigne, si la Belgique veut conserver sa sécurité et son titre de nation indépendante et libre.

On a toujours dit qu'il fallait oser dire la vérité aux rois; aujourd'hui, il n'y a ni grand mérite ni grand courage à cela ; depuis l'établissement des gouvernements constitutionnels, la presse et la tribune ne la leur ont jamais cachée et les ont habitués à l'entendre énoncée sans ménagements, et quelquefois aussi, permettez-moi de le dire, un peu crûment; mais, ce qui est beaucoup plus difficile, c'est d'oser dire la vérité tout entière aux électeurs, à la nation, et même à vous, messieurs, parce que l'expression de cette vérité peut compromettre quelquefois les intérêts et la position de celui qui l'émet, et l'exposer à une impopularité devant laquelle on recule trop souvent et qu'il faut savoir braver pour l'accomplissement de ses devoirs.

Pour ma part, je croirais manquer à ce que je dois au pays que je sers, au pays qui, dans une circonstance récente, m'a donné des témoignages de sympathie qui ont rempli mon cœur de reconnaissance et qui m'imposent un dévouement sans bornes, si j'hésitais un seul instant à vous dire toute ma pensée sur cette grande question de l'armée. Je puis d'autant moins hésiter à vous parler à cœur ouvert que, dans ma conviction, l'avenir, la prospérité, l'existence même de la Belgique, sont attachés à la décision que vous allez prendre.

Après avoir examiné très attentivement, très scrupuleusement notre organisation militaire et celle des autres puissances, après avoir fait cet examen avec le désir ardent et la ferme volonté de réaliser toutes les économies possibles, après m'être rendu un compte exact de notre situation politique, j'ai été forcé de persister dans l'opinion que j'ai toujours émise, et qui est partagée par tous les hommes compétents que j'ai consultés, qu'il y aurait un danger mortel pour la Belgique à affaiblir son armée et à en modifier l'organisation. J'ai déjà eu l'honneur de vous démontrer que cette organisation est simple, rationnelle, économique, libérale : l'armée fait tous les jours des progrès à l'abri des institutions qui la régissent, il serait par conséquent imprudent, dangereux de substituer à une organisation qui fonctionne régulièrement, qui répond à nos besoins éventuels, qui a subi des épreuves qu'on peut considérer 'comme décisives, une organisation nouvelle et qui remettrait tout en question; d'ailleurs, je l'ai déjà dit souvent aussi, et je le répéterai, ce n'est que par la stabilité que les institutions militaires peuvent acquérir tous leurs développements et donner de bons résultats.

Pour maintenir l'armée dans les proportions nécessaires afin qu'elle puisse utilement remplir sa mission, il est impossible, et j’appuie sur ce mot, il est impossible d'apporter d'autres réductions notables dans le budget de la guerre que celles qui sont indiquées comme dépenses extraordinaires, et qui cesseront avec le temps. Il faut donc se résigner, si l'on veut avoir une armée, à avoir un budget d'environ 26 millions et demi à 27 millions de francs.

Depuis bientôt trois ans je m'ingénie à extraire du budget, sou par sou, pour ainsi dire, toutes les sommes qu'il est possible à la rigueur d'en supprimer. Je suis parvenu, à force de recherches, d'efforts, de réductions même, à formuler un budget inférieur à celui que j’ai trouvé en voie d'exécution lorsque j'ai pris la direction des affaires de la guerre, d'une somme de deux millions six cent mille francs. Le budget de 1847, voté à mon prédécesseur, était de 29,400,000; le budget que je vous présente pour 1850, n'est plus que de 26,790,000 fr. : c'est donc une réduction de plus de deux millions et demi que j'ai réalisée sur les dépenses annuelles de la guerre. C'est le budget le plus réduit, le plus faible qu'on vous ait présenté depuis vingt ans! Dans tous les autres pays, au contraire, les dépenses de la guerre ont été sans cesse en augmentant!

J'espérais au moins que l'opposition m'aurait tenu compte de ce résultat, que je n'ai pas obtenu sans efforts et sans peines; mais je déclare à la chambre que je ne pourrai aller plus loin, que je ne pourrai descendre au-dessous du chiffre que j'ai indiqué, et que nous sommes arrivés à la limite extrême des réductions.

Vous voyez donc bien, messieurs, que si je vous annonçais que dans un avenir prochain on pourra apporter de grandes réductions dans le budget de la guerre, je vous tromperais, je tromperais le pays, je lui donnerais une espérance que je n'ai pas et qui ne se réalisera jamais, je le crois. Je suis profondément convaincu que si le budget descendait à un chiffre inférieur à celui que j'indique, nous n'aurions plus qu'une armée incomplète, sans consistance, sans force, sans énergie, dépourvue du matériel indispensable, incapable d'agir avec efficacité, et qui ferait forcément, fatalement défaut au pays le jour où il en appellerait à son intervention.

Aussi, je ne crains pas de le dire, si le système des réductions doit par malheur prévaloir, ce n'est pas d'un ou de deux millions qu'il faut réduire le budget de la guerre, mais de quinze ou vingt millions.

En effet, si l'armée ne conserve pas la force numérique qui lui est indispensable pour parer à toutes les éventualités, si elle ne possède pas des cadres complets, instruits, expérimentés, suffisants pour aligner toutes les réserves, si elle n'est pas pourvue d'un matériel en rapport avec ses forces, si elle ne peut pas s'appuyer sur des places de guerre bien armées, bien approvisionnées, parfaitement entretenues, l'armée sans confiance en elle-même, sera écrasée sans gloire; elle se fondra, elle s'évanouira à la première tempête intérieure ou extérieure, et vous aurez dépensé en pure perte des sommes considérables.

Si l'on ne veut pas faire tous les sacrifices nécessaires pour entretenir une armée en état de maintenir l'ordre public et de faire respecter les frontières, sacrifice que savent s'imposer toutes les nations qui ont le sentiment de leur dignité, il vaut mieux tout d'un coup s'abandonner aux hasards de l'avenir, vivre au jour le jour et renoncer à la virilité nationale. Nous n'en succomberons pas moins, ni moins promptement, avec une armée trop faible ou sans armée.

En fait d'organisation militaire, il n'y a point de milieu : il faut tout ou rien.

Le sort du pays peut, à un moment donné, reposer tout entier sur l'armée, en présence de cette grande éventualité, il faut savoir se résigner à faire toutes les dépenses rigoureusement nécessaires pour sa bonne organisation ou n'en faire aucune.

Mais avant d'entrer dans la voie extrême d'un désarmement partiel ou complet, alternative égale à mes yeux, veuillez jeter un regard sur ce qui se passe autour de nous.

En moins de deux ans, l'Europe a été bouleversée du Nord au Midi, de l'Orient à l'Occident. Vingt-quatre peuples de races diverses ont été en guerre ou en révolution. Les Prussiens et les Danois; les Autrichiens et les Italiens du Nord; les Napolitains et les Siciliens; l'Italie centrale est loin d'être calmée : Quatre puissances se sont disputé la tâche de la réduire, et remarquez bien ceci, et elles occuperont son territoire jusqu'à ce que le gouvernement romain soit parvenu à créer une armée régulière qui garantisse à l'Europe la tranquillité du pays. Puisse cet exemple nous servir de leçon ! Si nous désorganisions notre armée, nous serions bientôt exposés à cette ruineuse humiliation.

Le Piémont est agité par des dissensions intestines. L'Allemagne se transforme péniblement. La sanglante guerre de Hongrie était à peine terminée que la question des réfugiés a failli la ranimer en embrasant le continent tout entier.

Quant à la France, c'est le pays de l'imprévu, et nul ne peut prédire quel sera l'avenir de cette grande nation qui intéresse à un si haut degré la sécurité du monde et celle de la Belgique en particulier. Ne croyez pas, messieurs, que les causes qui ont donné lieu à de tels bouleversements soient d'une nature éphémère. Il ne s'agit pas de questions de fait mais de questions de principes dont une seule suffirait pour occuper l'esprit humain pendant une longue suite d'années. Si les disputes de religion ont duré des siècles, devons-nous espérer voir bientôt finir les luttes entre le principe de la souveraineté nationale et de l'autocratie comme entre les idées d'ordre et d'anarchie?

De ce que les grandes puissances ne se font pas la guerre dans ce moment, il ne faut pas conclure que la paix universelle existe et que les luttes qui viennent de se produire n'ont été que des accidents passagers. Rappelons-nous qu'au temps du plus grand calme ces puissances ont continué d'entretenir leur activité et de faire des conquêtes, témoin l'Algérie, l'Inde et le Caucase.

N'oublions pas non plus que quelle que soit la cause première des guerres, celles-ci se terminent souvent par des remaniements de territoires. Si le Danemark n'avait pas prouvé qu'il sait se défendre malgré son exiguïté territoriale, l'Allemagne eût infailliblement incorporé le Schleswig-Holstein à la confédération germanique.

Malgré les annonces si souvent répétées de désarmement, aucune puissance n'a encore licencié un régiment, et l'Europe entière se tient sur le qui-vive. Dans de telles conjonctures, irons-nous, faibles comme nous le sommes, au milieu de puissants voisins, adopter une politique d'indifférence et de quiétisme? Irons-nous, à rencontre de ce qui se fait partout, nous mettre dans l'impossibilité de nous défendre au moment du danger?

Rappelons-nous, messieurs, que tous les peuples qui ont laissé déchoir leur armée sont entrés en décadence, sont tombés dans la misère et l'anarchie, ou ont subi le joug étranger; que ceux, au contraire, qui ont maintenu leur état militaire, sont restés indépendants et forts.

La Pologne a péri victime de son anarchie et de l'incurie de ses diètes pour les affaires militaires. Si elle avait écouté les conseils de ses publicistes, de ses hommes d'Etat, et même de ses rois, elle serait encore debout et formerait un grand royaume entre la Baltique et la mer Noire.

Venise a été livrée à l'Autriche en échange des Pays-Bas parce qu'elle n'a pas su défendre son territoire. Quinze siècles d'existence lui avaient fait croire qu'elle était immortelle. Elle voulut, au dernier moment, lever une armée de cinquante mille hommes, et elle ne put soulever qu'un ramassis de paysans qui n'osèrent pas quitter leurs montagnes, parce qu'ils n'avaient pas d'officiers pour les conduire.

L'Espagne, après avoir tenu le sceptre de la civilisation, vit sa splendeur s'éteindre et elle ne compta plus pendant longtemps an rang des puissances militaires, pour avoir négligé ses armées.

Le royaume de Naples et le Piémont, de tous les Etats d'Italie, sont parvenus seuls à former des Etats prospères et réguliers, grâce à leur organisation militaire.

Mais l'exemple le plus frappant que je puisse vous citer, pour prouver les avantages d'un bon état militaire, est celui de la Prusse. Quand l'électoral de Brandebourg et le duché de Prusse furent érigés en royaume, en 1701, au profit de l'électeur Frédéric, ces deux pays ne comptaient pas ensemble deux millions d'habitants, mais ils possédaient déjà une (page 438) armée respectable. Grâce à cette armée, Frédéric-Guillaume 1er, second roi de Prusse, fut traité avec beaucoup d'égards dans les conférences d'Utrecht et de Rastadt, et les traités de 1713 et de 1714 sanctionnèrent toutes les acquisitions faites par son père.

Ce succès l'engagea à maintenir sur pied une armée de 66,000 hommes, bien que la Prusse n'eût pas alors une importance égale à celle de la Belgique actuelle. Malgré cet effort, qui vous paraîtra prodigieux, il laissa à sa mort une réserve de quatre-vingts millions et son royaume dans un état florissant.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler la politique et les exploits du grand Frédéric; qu'il me suffise de vous dire que nonobstant ses grandes guerres, et les revers qu'il essuya, il créa un royaume de six millions d'âmes, une armée de deux cent mille hommes, et un trésor de quatre cents millions.

Napoléon savait si bien que ce sont les armées, et non pas les populations seules qui font la force des Etats, que, non content de démembrer la Prusse après le désastre d'Iéna, il ne lui accorda la paix qu'à la condition qu'elle n'entretiendrait pas plus de 42,000 hommes de troupes pendant dix ans. (C'est un des articles secrets du traité de Tilsit.)

Après cette mutilation, qui la réduisit à une population de moins de cinq millions d'âmes, la Prusse ne craignit pas de remettre son état militaire sur un pied formidable. Et savez-vous comment elle s'y prit pour atteindre ce but, sans enfreindre le traité de Tilsit? Elle conserva les cadres de l'armée sur le pied de guerre , et elle y fit successivement passer les levées de milice, ne conservant à la fois sous les armes que l'effectif de 42,000 hommes, qu'elle ne pouvait pas dépasser.

En 1813, lorsqu'elle jugea le moment opportun, elle rappela toutes les classes de milice en réserve, et son armée fut instantanément portée au grand complet de guerre et prête à entrer en campagne à la grande surprise de l'empereur.

Vous savez si cette armée, composée de jeunes miliciens qui n'avaient qu'un ou deux ans de service, mais qui étaient bien encadrés, sut combattre vaillamment à Ligny et à Waterloo. La vigueur et l'énergie qu'elle sut déployer jusqu'à la fin de la lutte assurèrent de tels avantages à la Prusse, qu'à la paix elle est devenue une puissance de premier ordre.

Je ne vous ai pas cité cet exemple pour en conclure que la Belgique doive adopter la politique guerrière de la Prusse ; mais j'ai voulu vous faire remarquer seulement que les armées sont des éléments de prospérité et de conservation, et que les négociations diplomatiques réussissent rarement sans l'appui moral qu'elles leur assurent. J'ai voulu aussi vous démontrer que les petites nations peuvent faire de grandes choses, et que lorsqu'elles ont une armée comme la nôtre, elles peuvent résister avec succès aux violences d'un grand Etat et se préparer un glorieux avenir si elles ne désespèrent pas d'elles-mêmes.

Nous avons su dans ces derniers temps mériter l'estime et la considération de l'Europe, par notre calme, par notre attachement à nos institutions et par l'attitude à la fois ferme et sage que nous avons prise après la révolution de février. Ne lui donnons pas à croire aujourd'hui que, par un revirement d'opinion inexplicable, nous désespérons de nous-mêmes, que nous n'avons plus foi ni dans nos forces, ni dans notre courage, ni dans notre avenir et que nous nous préparons à abdiquer honteusement.

Craignons que l'Europe ne revienne sur les sentiments que nous lui avons inspirés et qu'elle ne suppose que, dans un premier moment d'entraînement et de surprise, elle nous a placés trop haut dans son estime en s'exagérant notre patriotisme et notre énergie.

En politique, la puissance d'une nation ne se calcule pas sur l'importance de son industrie et sur le roulement de ses capitaux, mais bien d'après l'énergie de ses citoyens et la force de son armée. Sachons donc maintenir une de nos institutions les plus utiles, les plus appréciées à l'étranger et qui fait la sécurité du pays. Prouvons que nous sommes réellement dignes d'être libres en maintenant résolument notre état militaire qui est la plus ferme garantie de nos droits et de notre existence, et montrons que si nous savons jouir honorablement des bienfaits de la paix, nous ne reculerons pas devant les charges et les dangers de la guerre, et qu'aucun sacrifice ne nous coûtera pour rester indépendants el libres.

Messieurs, persuadé, pour ma part, des dangers inévitables et prochains qui menaceraient la Belgique, si elle affaiblissait ou désorganisait son armée, c'était un besoin et un devoir pour moi de vous dire toute ma pensée, et de protester hautement contre toute réduction nouvelle dans notre état militaire, et contre toute modification à la loi d'organisation. Maintenant que j'ai rempli ce devoir, je sens ma conscience à l'aise et soulagée. Je ne sais quelle décision prendra la chambre; mais si, contre mon espoir, elle doit adopter le système que je combats, et qu'elle a repoussé jusqu'à présent, je lui demande de prendre acte de la résistance énergique que j'oppose, pour la troisième fois, à une mesure que je considère, si elle doit prévaloir, comme la plus grande calamité qui puisse frapper la Belgique. Je veux au moins qu'il soit constaté que j'ai fait tous mes efforts pour préserver mon pays d'un tel malheur, et que j'en ai décliné la responsabilité.

M. le président. - Il y a, messieurs, vingt orateurs inscrits, soit pour, soit contre, soit sur. Aux termes du règlement, je donnerai alternativement la parole à un orateur pour, à un orateur contre et à un orateur sur; mais je ferai remarquer qu'on ne peut parler «sur» que lorsqu'on propose un amendement. C'est le règlement qui l'exige.

Le premier orateur inscrit «pour», est M. De Pouhon.

M. De Pouhon. - M. le ministre de la guerre venant de parler «pour», il me semble qu'il conviendrait d'entendre maintenant un orateur contre.

M. le président. - Si la chambre l'entend ainsi, j'accorderai la parole à M. Thiéfry. C'est le premier orateur inscrit contre.

M. Pierre propose de nommer au sein de la chambre une commission chargée de procéder à une enquête sur la question de savoir s'il n'y a pas lieu de procéder à une nouvelle organisation de l'armée.

Cette proposition peut être considérée comme un amendement aux conclusions de la section centrale; la question est de savoir si M. Pierre, en faisant la proposition dont il vient de donner lecture, peut intervertir l'ordre de parole. (Non! non!) J'avais pensé que M. Pierre étant inscrit le cinquième, il développerait sa proposition, lorsque son tour de parole viendrait ; s'il en était autrement, il n'y aurait plus de tour de parole.

M. Pierre. - Messieurs, j'ai fait ma proposition au début de la discussion, précisément pour ménager les moments de la chambre ; j'ai cru qu'il était préférable de la présenter tout d'abord, pour que chacun put la rencontrer dans ses discours pour, contre ou sur le budget.

M. Manilius (pour une motion d'ordre). - Messieurs, nous venons d'entendre M. le ministre de la guerre s'opposer aux conclusions de la section centrale; je demanderai à la chambre s'il ne convient pas d'entamer d'abord la discussion sur les questions qu'a posées et résolues la section centrale. Il me semble qu'il est impossible d'aborder aveuglément, en quelque sorte, la discussion d'un budget qui n'a pas subi d'examen détaillé; il me semble que le débat devrait être d'abord restreint à la question de savoir s'il y a lieu d'admettre ou non les conclusions de la section centrale; il ne doit pas rouler sur les détails du budget de la guerre, tel qu'il est établi, mais sur la question préalable de la révision de la loi organique, dans le but de réaliser toutes les économies praticables.

M. le président. - Voici l'état du débat : A notre ordre du jour se trouvait en première ligne le budget de la guerre; on a ouvert la discussion générale sur le budget, et c'est cette discussion dont la chambre est actuellement saisie.

M. Lebeau. - Messieurs, il ne peut pas y avoir opposition à ce que l'on se conforme à la marche qui a été constamment suivie. La discussion générale a été ouverte ; M. le ministre de la guerre ne s'est pas rallié aux conclusions de la section centrale; le projet de la section centrale viendra comme amendement; mais qui dit discussion sur un amendement, dit évidemment discussion générale sur le projet principal; la discussion générale ne peut pas être restreinte à tel ou tel détail; sans cela ce ne serait plus une discussion générale.

Je demande donc qu'on suive l'ordre indiqué par M. le président.

M. Manilius. - Mais lorsque la discussion générale sera close, il faudra nécessairement passer aux articles ; or, je dois rappeler à la chambre qu'aucun des articles du budget de la guerre n'a été examiné par la section centrale, parce que cet examen a été écarté par la question de principe. Il me semble dès lors que la chambre doit d'abord ou décider que la section centrale a eu tort et l'inviter à faire un examen et un rapport détaillé, ou décider qu'elle a eu raison; et alors on doit résoudre avant tout la question préalable.

M. le ministre de la guerre, vous vous le rappellerez, messieurs, a dit, dans les deux sessions précédentes, et il vient encore de le dire, à la fin de son discours d'aujourd'hui : « Ce à quoi je résiste et résisterai toujours, c'est à l'idée de procéder à une nouvelle organisation de l'armée ; je ne puis consentir à ce qu'on touche à l'organisation actuelle de l'armée, et c'est pour cela que je maintiens tel qu'il est le budget, qui n'est que la conséquence de cette organisation. »

Qu'est-il résulté, cette année, de cette attitude prise par M. le ministre de la guerre? C'est que, dans toutes les sections, on s'est évertué à trouver le moyen de réduire les chiffres du budget de la guerre, et l'on a reconnu que l'unique moyen qui pouvait conduire à ce but consistait dans une révision de la loi organique de l'armée.

Eh bien, qu'a fait la section centrale? Elle a eu pour ainsi dire la main forcée par la volonté de cinq sections sur six; nous avons dû répondre aux questions posées par les sections; nous nous sommes demandé dès lors s'il fallait commencer par l'examen préalable de la question de savoir s'il y a lieu à réviser la loi de l'organisation de l'armée pour obtenir des économies, ou si l'on peut y parvenir par la révision du budget de la guerre lui-même.

La section centrale a décidé qu'il fallait nécessairement commencer par la révision de la loi d'organisation pour obtenir des économies, ou renoncer aux économies.

Je pense, en conséquence, qu'avant de discuter le budget dans ses chiffres, nous devons résoudre la question préalable : on ne peut pas sortir de là. Ouvrez la discussion générale sur le budget lui-même, et vous serez bientôt convaincus que c'est sur cette question seule que débat doit porter pour le moment.

M. le président. - La discussion générale sur le budget de la guerre a été ouverte. M. Manilius, faites-vous une proposition?

M. Manilius. - Non, M. le président; je me borne à poser des réserves, pour le moment où l'on arrivera à la discussion des articles, qui, selon moi, doit être précédée de la question préalable.

(page 439) M. le président. - Il n'y a pas de proposition ; la discussion générale continue.

M. Thiéfry. - Appelé pour la deuxième fois à émettre mon opinion sur le budget de la guerre, je viens indiquer les motifs qui m'engagent à réclamer la révision de la loi sur l'organisation de l'armée.

Je partage entièrement l'opinion émise par M. le ministre sur l'utilité d'une forte organisation militaire. J'en diffère complètement sur la bonté de celle qui existe.

Je commencerai par vous prier, messieurs, si j'en parle désavantageusement, de ne pas donner une fausse interprétation à mes paroles; il ne peut entrer dans mes intentions de porter la moindre atteinte ni au courage, ni à l'honneur de l'armée; elle a donné assez de preuves de dévouement au pays, d'attachement à nos institutions, et celui qui ne saurait pas que les Belges ont toujours été rangés parmi les meilleures troupes de l'Europe, en serait bien vite convaincu en lisant le discours que M. le prince de Chimay a prononcé dans cette enceinte, le 8 avril 1845, et qui rappelle une masse de faits d'armes qui font honneur à la Belgique. Je traite ici une question d'organisation, qui est applicable à d'autres pays qu'à la Belgique. Mon opposition provient de deux causes différentes, du manque d'économie, et de ce que l'organisation de l'armée est par trop défectueuse.

C'est au moment où le pays entier réclame des diminutions de dépenses, que l'on nous présente le budget de la guerre avec une économie de 293,000 fr. qui n'est pas permanente, puisqu'elle pourrait disparaître l'année prochaine, si les denrées subissaient une augmentation. On a poussé l'oubli des observations faîtes dans cette chambre, jusqu'à maintenir au budget plus de généraux que la loi n'autorise à y porter.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - C'est une erreur.

M. Thiéfry. - La loi d'organisation autorise la nomination de 18 généraux-majors dans le cadre d'activité, et 4 dans celui de réserve ; or, il y en a au budget 23, savoir : 18 en activité, 4 en réserve et 1 en disponibilité.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, quand on a discuté la loi d'organisation, il a été convenu qu'un certain nombre d'officiers, qui étaient au-dessus du complet, resteraient en disponibilité. Il est un général qui est resté dans cette position, qui y était à cette époque, et que, par des motifs que tout le monde comprend, on n'a pas pu rappeler à l'activité de service.

M. Thiéfry. - La loi dit que l'officier mis en disponibilité ne peut y rester que momentanément. On ne pouvait donc nommer un autre général-major sans placer celui du cadre de la disponibilité pour le faire entrer dans celui d'activité ou de réserve.

Quand je vois la Hollande opérer sur son budget une réduction de 2,683,829 francs, j'éprouve un sentiment pénible qu'on ne l'ait pas imitée, non pas précisément en raison de ce que le gouvernement a diminué ses dépenses, mais parce qu'il était possible d'obtenir de notables économies en formant une armée qui aurait plus consistance.

La comparaison du budget de la Hollande et de la Belgique m'a amené au résultat suivant. La Hollande, pour avoir une armée de 60,000 hommes sur le pied de guerre, aura en 1850 un budget de 19,223,262 francs, non compris les pensions. En augmentant ce chiffre d'un tiers pour avoir le budget d'une armée de 80,000 hommes, on trouve une somme de 25,631,000 fr., ce qui présente une différence en moins de 1,161,000 fr., sur le montant de notre budget qui est de 26,792,000 fr.

Et cependant la Hollande consacre 466,909 francs de plus pour le matériel de l'artillerie et du génie, et les denrées y sont à un taux plus élevé qu'en Belgique.

Un des motifs de cette différence, c'est qu'il y a en Belgique des états-majors beaucoup plus nombreux qu'en Hollande, et dans ce dernier pays, il y a, proportionnellement au nombre d'officiers, moins d'officiers supérieurs et plus d'officiers subalternes.

Si l'on peut considérer comme officiel le résumé général des dépenses de 1849 que l'on a publié à Berlin, on trouve que les dépenses tant ordinaires qu'extraordinaires, pour tout ce qui concerne le militaire, s'élèvent à 26,999,163 thalers. Le montant des pensions à déduire est de 2,707,894 thalers. La Prusse a par conséquent dépensé en 1849 pour une armée qui est sur le pied de guerre de 340,000 hommes la somme de 24,291,279 thalers. A raison de 35 fr. 75 c. cela fait 91,092,296 francs.

Proportionnellement au coût de cette armée, le budget belge pour 80,000 hommes ne devrait être, sur le pied de paix, que de 21,435,481 fr.

Je sais bien que le système prussien irait difficilement à nos mœurs; j'ai voulu seulement, en citant ces deux exemples, faire voir que notre organisation n'était pas la plus économique.

Je ne parlerai pas de la nécessité d'une armée fortement constituée sur le pied de paix, tout le monde en sent le besoin : si le bon esprit qui règne parmi la population et la garde civique semble faire croire que la Belgique peut se contenter d'une bien faible armée; d'un autre côté, les événements de 1848 et l'agitation qui en est résultée dans toute l'Europe, prouvent suffisamment qu'il faut dans tous les gouvernements des soldats qui restent assez de temps sous les armes, pour y puiser un excellent esprit militaire, et être à l'abri de l'influence des clubs.

Cependant l’armée, pour être bonne et forte, a-t-elle besoin de conserver les états-majors et les cadres tels qu'ils sont aujourd'hui? Je ne le pense pas, si surtout on établit une large compensation en substituant, pour les soldats, la qualité à la quantité. J'ose le proclamer du haut de la tribune, ce sera pua ce changement de système aussi utile au maintien de l'ordre, qu'à la nationalité, que l'on diminuera considérablement les dépenses du budget de la guerre; et cela est devenu une nécessité absolue pour tous les pays : c'est ce qui a fait dire au général Paixhans : « La question n'est pas de savoir s'il faut ou s'il ne faut pas réduire les dépenses militaires; elle est de savoir comment et de combien on peut les réduire sans faire descendre la puissance, la dignité, la sûreté nationale au-dessous du niveau où elles ont besoin d'être maintenues. »

Je n'en dirai pas davantage sur ce point; dans une question aussi importante, d'où peut dépendre un jour le maintien de notre indépendance, l'économie est, à mes yeux, d'une importance bien moindre que l'objet principal du débat, l'organisation militaire.

Parmi les conditions essentielles pour obtenir une bonne armée, il faut compter la durée du service, une juste proportion entre le pied de paix et le pied de guerre, et avoir les parties constitutives en rapport avec une bonne organisation. Ces trois conditions manquent dans notre armée.

L'infanterie surtout a une organisation des plus défectueuses; j'ai l'intime conviction que toutes celles qui en ont une semblable ne sauraient résister, en rase campagne, à l'attaque de troupes fortement constituées comme en France et en Prusse.

Je demande un effectif plus élevé du bataillon et de la compagnie, et que les miliciens restent plus longtemps sous les armes, sans être renvoyés et rappelés à chaque saison.

Jusqu'au moment d'avoir des renseignements positifs sur la durée du service des miliciens, j'avais pensé qu'ils restaient 18 mois sous les armes, M. le ministre nous l'a encore assuré à la session dernière. Aujourd'hui, il est de mon devoir de signaler à la chambre une des causes de l'affaiblissement de cette arme.

Les miliciens de 1846 ne sont restés que cinq et six mois et demi dans les régiments : leur envoi en permission a été motivé sur le rappel de deux classes en une seule année, mesure provoquée par le changement de la loi sur la milice.

Cette raison n'existait plus pour la classe de 1847, et cependant incorporée le 26 mai 1848, elle fut successivement envoyée en congé à la fin de 1848, en janvier et mai 1849 ; un très petit nombre ayant trop de dette à la masse, ont été renvoyés chez eux dans le mois d'août; ces miliciens n'ont donc servi que pendant six, sept et douze mois, quelques-uns quatorze, le plus grand nombre sept mois.

Déjà aussi des miliciens de 1849, qui ont été incorporés le 5 mai dernier, ont été envoyés en congé à la fin d'août ; il doit y en avoir 190 à 200 par régiment; ces hommes n'ont été que trois mois et demi sous les armes; ayant passé ce temps au camp, ils ne connaissaient pas un seul officier de leur compagnie ; on les a bien rappelés le 1er janvier dernier, mais c'est en remplacement d'une partie de la même classe qui a obtenu des permissions avec congé illimité. Ceux qui sont rentrés le 1er janvier iront à leur tour en grande permission dans les premiers jours du mois de mai, au moment où les miliciens de 1850 seront incorporés; de sorte que la plupart n'auront servi que pendant huit mois!

Or, je le demande à tout militaire, ce laps de temps suffit-il pour former un soldat? Oui certes il suffit, il suffit pour combattre les Bavarois, les Piémontais et les armées qui, comme la nôtre, ne conservent leurs soldats que quelques mois sous les drapeaux.

Mais, est-ce là où nous devons chercher des exemples ? Non, messieurs, nous avons seulement à comparer notre organisation militaire avec celle des peuples qui peuvent menacer notre indépendance. Que l'on appartienne à un petit pays ou à un grand, cela importe peu pour la durée du service. Si l'infanterie d'un petit pays doit être appelée à lutter contre celle de son puissant voisin, il faut qu'elle ait une organisation telle qu'elle puisse, en rase campagne, se mesurer, à nombre égal, contre ses ennemis.

J'admets que nous n'ayons rien à craindre de l'armée hollandaise. En est-il de même vis-à-vis de la France et de la Prusse ?

En France, la durée du service est de 7 ans, les soldats de l'infanterie restent au moins 5 années consécutivement sous les armes, ceux de la cavalerie et de l'artillerie presque toujours 7 ans. D'après le nouveau projet d'organisation, présenté par le général Lamoricière, il est question d'instruire les soldats dans leur arrondissement, puis de les faire servir pendant 3 ou 4 années dans les régiments.

On se garde bien de vouloir diminuer le temps de service, comme en Belgique. En supposant l'adoption de ce projet, nous rencontrerons toujours pour adversaires des hommes qui auront beaucoup plus de service et plus d'expérience.

Le contingent en France est de 80,000 hommes; dans les années ordinaires, on n'en incorpore que la moitié, et l'autre moitié forme la réserve; mais celle réserve reste dans ses foyers, sans instruction militaire aucune. C'est une réserve de recrues. Le projet du général Lamoricière a pour but de l'instruire et de l'incorporer ensuite. Notre système consiste, comme en Prusse, à mettre dans la réserve les soldats qui ont déjà reçu l'instruction sous les drapeaux ; ce système, à mon avis, est bien préfèrable.

Le siège de Rome nous a fourni un exemple frappant des avantages de la durée du service. On lit dans la relation de ce fait d'armes : Les (page 440) tirailleurs visent avec une telle justesse, que lorsqu'un artilleur romain a allumé la mèche sur un des bastions, il est à l'instant renversé par une balle. On assure même qu'un chasseur a successivement mis hors de combat 7 canonniers d'une pièce ennemie. Cette grande justesse est due, à la vérité, à un fusil de nouvelle invention, mais on ne peut l'obtenir que par beaucoup d'exercices : ce n'est certainement pas en un an qu'on a pu former de semblables soldats, et 10 d'entre eux valent 100 conscrits.

M. le ministre nous a dit que les hommes, en Prusse, restaient moins de temps sous les armes qu'en Belgique, qu'ils n'étaient qu'un an en activité ; c'est là une erreur, M. le ministre a pris l'exception pour la règle; en effet, messieurs, il n'y a que les jeunes gens qui ont fait preuve d'un degré convenable d'instruction qui peuvent satisfaire au terme exigé du service par un engagement volontaire d'une année ; ils doivent s’équiper et s'entretenir à leur frais ; et, dans la cavalerie, avoir leur propre cheval. Leur nombre est limité et même fort restreint.

Pour vous persuader, messieurs, qu'il n'y a pas l'ombre d'une comparaison entre les deux organisations, permettez-moi de vous donner quelques détails sur le système prussien.

Le remplacement est interdit, tout homme sans distinction aucune doit être soldat.

Le service est de 5 ans dans l'armée permanente, 7 dans le premier ban de la Landwehr, et 7 dans le deuxième, chacun fait alors partie de la Landsturm jusqu'à 50 ans.

25,000 hommes environ sont incorporés annuellement dans l'armée.

La Landwehr est constamment organisée, le premier ban forme une partie intégrante de l'armée.

Le deuxième ban est destiné à la défense des places, et à renforcer l'armée au besoin.

La Landsturm n'est organisée que quand le pays est menacé d'une invasion, elle est chargée du maintien de l'ordre intérieur et de l'escorte des convois dans le voisinage du théâtre de la guerre.

Le service dans l'armée est fixé à 3 ans et 2 ans dans la réserve. On a pendant quatre années environ, par mesure d'économie, envoyé en permission les fantassins après 18 mois de service dans les 3, 4 des régiments d'infanterie : depuis 2 ans tous indistinctement servent 3 ans et même plus

Dans la Landwehr les commandants des régiments, des bataillons, et des escadrons appartiennent à l'armée permanente; les officiers valides qui quittent l'armée sont obligés de servir dans la Landwehr; le surplus des officiers est nommé directement par le roi, qui les choisit toujours parmi ceux qui ont servi; si le nombre est insuffisant on en détache de l’armée.

Eu Belgique, les hommes qui retournent chez eux ne font plus aucun exercice; en Prusse, au contraire, le premier ban de la landwehr exécute des grandes manœuvres, et des manœuvres ordinaires; ces dernières sont annuelles et durent 15 jours ; pendant tout ce temps les hommes sont cantonnés dans les villages voisins du lieu du rassemblement, ils sont exercés comme de vrais soldats; indépendamment de ces exercices, chaque homme a 12 cartouches à balle qu'il tire à la cible le dimanche.

La cavalerie el l'artillerie sont exercées d'une manière analogue, chaque détachement d'artillerie de 200 hommes tire 200 coups à boulet ou obus pendant la durée des exercices; lorsque les forteresses sont à proximité, on leur apprend à tirer des bombes.

Les grandes manœuvres doivent avoir lieu tous les 3 à 4 ans, elles sont quelquefois retardées dans des vues d'économie, elles durent six semaines, et alors tous les hommes bivaquent comme la troupe en campagne. ;

L'armée déverse chaque année 25,000 hommes dans le premier ban de la Landwehr où ils restent jusqu'à 32 ans; ce contingent accumulé donne de la consistance au premier ban. Cette institution, comme on l'a dit, date de 1807. Lorsqu'en 1815, la Prusse se leva en masse, elle prouva le parti que l'on pouvait tirer de cette organisation.

La différence qu'il y a entre la Landwehr et la garde civique, c'est que la Landwehr est organisée pour la défense du pays; presque tous les hommes qui en font partie ont servi 5 ans dans l'armée et ils sont encore exercés pendant un certain temps comme des soldats, ils entrent en ligne avec l'armée permanente.

En Belgique, au contraire, le plus grand nombre des hommes qui .composent la garde civique n'ont jamais fait partie de l'armée, et cette garde, jusqu'aujourd'hui, n'est organisée que pour le maintien de l'ordre intérieur.

J'ai cru devoir donner ces explications pour prouver que vis-à-vis de la Prusse, comme vis-à-vis de la France, nos soldats en rase campagne auront un degré d'infériorité qu'il est de notre intérêt de faire disparaître.

Vouloir résister, avec des hommes qui restent si peu de temps sous les drapeaux, contre des armées si fortement organisées, c'est une véritable illusion : ce serait commettre une imprudence d'autant plus grande que la perte de la première bataille aurait des conséquences bien fâcheuses pour tout le pays.

Mon opinion sur la prolongation du service serait, sans doute, de peu de poids, si elle n'était pas d'accord avec celle des vieux généraux qui ont une longue expérience de la guerre. Oui, messieurs, elle a été dcmandée par tous ceux qui se sont occupés d'organisation.

Si on ne voit le fantassin que superficiellement, si on ne calcule que le temps nécessaire pour apprendre le maniement des armes, et marcher en troupe alignée, on trouvera, sans doute, que quelques mois suffisent, on peut même leur donner cette instruction dans leur village ; mais ce n'est là qu'une faible partie de l'éducation du fantassin. Il faut encore qu'il sache se plier à la discipline, qu'il apprenne à faire abnégation de sa personne envers l'Etat, qu'il acquière une grande confiance dans la force de son arme, pour ne pas craindre la cavalerie, et qu'il se fasse un point d'honneur de préférer la mort à l'abandon de son drapeau. Cet esprit militaire ne pénètre jusqu'au cœur qu'à l'aide d'un service continu de plusieurs années, pendant lequel les officiers et les vieux soldats trouvent l'occasion d'inculquer ces principes parmi les recrues.

C'est une erreur de croire que l'instruction du fantassin ne peut pas être aussi bien soignée en hiver qu'en été : on doit le faire servir dans toutes les saisons. Pendant l'hiver, on lui apprend le service de garnison, l'exercice dans l'intérieur de la caserne, la manière de démonter et de remonter son arme, on lui apprend à exécuter des marches comme si l'on était devant l'ennemi.

L'envoi des hommes en permission pendant l'hiver a toujours lieu au détriment de l'instruction et de la discipline; d'ailleurs, le ralentissement des travaux pendant cette période de l'année est cause qu'un certain nombre de ces soldats devient une charge pour la famille.

Je vous avoue, messieurs, que je suis très étonné de rencontrer l'honorable général comme adversaire à l'occasion de la durée du service, lui qui partageait mon opinion, il y a deux ans. Pour vous en convaincre, je vous citerai une partie du discours que M. le minisite a prononcé :

« Un an, a-t-il dit, ne suffit pas pour ébaucher l'éducation d'un soldat d'infanterie. De toutes les armées de l'Europe, c'est le soldat belge qui reste le moins longtemps sous les armes, et si l'on a obtenu quelque succès dans son instruction, c'est aux efforts incessants, au zèle, à l'intelligence des adjudants et des officiers qu'on le doit, et j'ai fait dernièrement le relevé des adjudants-majors qui sont morts à la peine, qui se sont tu»s à ce métier ingrat et fatigant; ils sont au nombre de 40! »

Voici, dit M. Chazal, ce que le général Rognat a écrit dans ses Considérations sur l'art de la guerre :

« La bonne infanterie a toujours été regardée comme l'arme principale dans une armée bien constituée : mais on ne peut la former qu'avec beaucoup de temps cl de persévérance. »

M. le ministre cite ensuite l'opinion émise par le maréchal Soult dans la séance de la chambre des députés, le 25 mars 1845.

« Je me borne, dit le maréchal, à donner l'assurance qu'en prenant beaucoup de temps pour former le soldat d'infanterie, non seulement on le rend plus propre à faire tout ce que les situations les plus difficiles peuvent exiger de lui , mais en même temps on fait une économie prodigieuse des hommes en les conservant. Ainsi, quand je partis de Boulogne, les soldats avaient été endurcis pendant trois ans à toutes les fatigues militaires. Nous arrivâmes à Austerlitz sans avoir laissé dix hommes en arrière.

L'honorable ministre termine en rappelant que Bonaparte disait à l'amiral Truguet, qui prétendait que l'on pouvait former un fantassin en six mois : « C'est une erreur; il serait très dangereux de la propager, elle nous mènerait à n'avoir plus d'armée. Pourquoi les Romains ont-ils fait de si grandes choses? C'est qu'il leur fallait six ans d'éducation pour former un soldat. Une légion de 3,000 hommes en valait 30,000. Avec 15,000 hommes comme la garde, j'en battrais 40,000. Je me garderais bien de faire la guerre avec une armée de recrues. »

Après ces opinions citées par M. le ministre, en 1847, j'aurais dû m'attendre à le voir partager mes idées et admettre un contingent moindre pour conserver constamment les miliciens pendant trois ans sous led armes.

Ce n'eût pas été du seul ministre de la guerre belge que je me serais honoré de partager les principes. Les généraux Evain, Goblet, Dupont, tous trois anciens ministres, les généraux Goethals, l'Olivier, de Brias, Duroy, tous ont demandé que les miliciens restent trois ans sous les armes et que les compagnies soient de 75 hommes. Ces généraux peuvent, comme je l'ai dit, invoquera l'appui de leur opinion, une longue expérience de la guerre, pendant laquelle ils ont eu à commander des vieux soldats et des conscrits.

« Il a été reconnu, nous a dit M. le ministre, que, lorsque l'armée n'est pas appelée à faire des guerres de conquêtes, à porter la guerre au loin, sous divers climats, il n'est pas nécessaire d'avoir des soldats qui ont passé de nombreuses années sous les armes ; que lorsque l'armée n'a à soutenir qu'une guerre défensive, on peut parfaitement se contenter de soldats qui n'ont passé qu'un an ou 18 mois sous les armes. »

Si nous n'avions que nos places fortes à défendre, je croirais que cette opinion, sans être tout à fait exacte, peut ne pas être contestée ; mais pour tenir la campagne contre des troupes qui restent plus de temps sous les armes et qui ont un effectif qui leur permet de soigner tous les jours leur instruction, qui ont en outre acquis une certaine expérience, je soutiens que c'est une grande erreur. N'ai-je pas vu de mes propres yeux, chaque fois que l'on exécute des manœuvres à feu, combien il est difficile de tenir les rangs serrés? Il y a toujours des hommes blessés, des soldats dont l'habillement est brûlé par ceux du troisième rang. Si cela arrive quand rien ne motive la perte du sang-froid, que serait-ce devant l’ennemi ? Alors que le premier rang ne met jamais le genou à terre !.. Comment ces hommes résisteraient-ils à une charge de cavalerie, après avoir essuyé quelques coups de canon à mitraille ?

J'ai dit que l'effectif de paix n'était nullement en rapport avec celui de guerre ; en effet, l'on veut porter l'infanterie sur le pied de guerre à (page 441) 61,000 hommes. Il y aurait par conséquent 51,000 soldats. Nous n'en avons sous les armes que 13,574. Il y aurait donc à incorporer 37,426 soldats.

C'est plus des 5/7 de la totalité : parmi les 13,574 qui sont sous les armes, il y a environ 7,000 recrues de l'année; ainsi ce sera autour de 6,500 hommes que viendront se grouper 44,500 recrues ou miliciens, ayant servi une armée, plus ou moins. Cette armée ne présentera aucune consistance, parce que le noyau principal n'a pas assez de solidité.

La solde des cadres des états-majors de l'armée, et du grand nombre de régiments que l'on veut conserver, empêche d'avoir une quantité suffisante de soldats d'infanterie pour le service et surtout pour l'instruction : il en résulte que la troupe, quoi qu'en ait dit M. le ministre, doit monter trop souvent la garde, qu'elle n'a pas, dans certaines garnisons, le nombre de nuits voulu pour le repos.

Le peu de soldats retenus sous les armes, comparativement au contingent à incorporer, oblige le ministre à renvoyer en congé des miliciens qui n'ont que quelques mois de service. Ces troupes brillent bien dans des manœuvres de parade, mais quel esprit militaire peuvent avoir ces conscrits? Quelle consistance auront des régiments ainsi composés? Cette organisation est d'autant plus dangereuse, que le pays, faisant de grands sacrifices pour payer son armée, compte sur les services qu'elle devrait rendre, et au jour du danger les illusions se dissiperont, parce qu'il est impossible qu'une telle armée sache résister à une troupe aguerrie. Je répète ici ce que j'ai dit en commençant, je ne parle pas du soldat belge en particulier, mais bien de toutes les armées organisées comme la nôtre.

Pouvons-nous avoir la prétention de savoir mieux organiser une armée que nos deux voisins qui depuis de longues années ont fait une étude spéciale de la force publique, et qui ont été si souvent obligés de faire la guerre? Contrairement à ce qui se pratique chez eux, et dans le but d'avoir une armée considérable qui puisse lutter avec les leurs, nous avons des cadres nombreux, et des soldats dont la plus grande partie est toujours en congé.

En France et en Prusse, le bataillon n'est jamais en dessous de 520 hommes ; il peut donc manœuvrer tous les jours; en Belgique, dans 14 régiments il a atteint tout au plus la moitié de ce nombre en 1849. Si notre effectif du bataillon et de la compagnie était suffisant pour l'instruction, pourquoi les puissances qui tiennent à une bonne institution militaire et qui ont autant besoin d'économies que nous, pourquoi ne l'adoptent-elles pas? Le tableau suivant vous mettra à même de faire des comparaisons et de voir si mes observations sont fondées.

(Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

Vous voyez, messieurs, que nulle part on n'a poussé aussi loin qu'en Belgique la diminution des soldats dans les bataillons et les compagnies. On en est arrivé à une véritable annulation de l'infanterie. Les compagnies sont tellement amoindries que pour fournir 170 soldats pour la surveillance de St-Bernard, c'est-à-dire 2 compagnies ordinaires du pied de paix, on est obligé de prendre tous les soldats disponibles dans 8 compagnies, et il y a 7 cadres de compagnie qui restent à Anvers sans aucun soldat!...

Pour la surveillance de Vilvorde c'est la même chose ; il y avait en décembre dernier 2 compagnies du cinquième régiment, qui devaient fournir18 hommes de garde; leur effectif était insuffisant, il y avait dans l'une 13 hommes et dans l'autre 17 en subsistance, c'est-à-dire des hommes pris dans d'autres compagnies. Ainsi voilà encore des compagnies complètement annulées!...

Les compagnies du 5ème ont été relevées le 1er janvier dernier par les grenadiers et la 4ème compagnie du 4ème bataillon du 6ème régiment.

Est-il vrai que cette compagnie de grenadiers ne comptait au 8 janvier que 25 hommes présents dont 17 soldats, et la première compagnie 27 hommes dont 15 soldats, et que pour satisfaire au besoin du service, 2 sergents et 46 soldats ont été tirés des autres compagnies, pour être placés en subsistance dans la première ?...

Si tel était l'état des choses, le mal serait encore plus grand que je l'ai supposé.

Cette situation avait été prévue par le général Evain, qui, à propos de l’organisation, a dit dans son rapport. « Mieux vaut avoir en temps de paix 24 bataillons convenablement organisés, avec un effectif suffisant que d'en avoir 36 dont l'effectif dépasse à peine 240 soldats. »

J'ajouterai que tous les raisonnements doivent disparaître devant les faits, devant l'effectif adopté dans les autres pays, et je ne connais pas, comme je viens de le dire, une infanterie dont les compagnies sont aussi faibles.

Le maréchal Soult en a fixé le minimum à 80 hommes, officiers compris.

«Dans la compagnie au-dessous de 60 à 70 hommes dit le général Paixhans, le cadre est vide, oisif, impuissant et découragé.»

Si quelquefois on a considéré les membres de cette chambre comme incompétents dans la question d'organisation, on ne récusera pas, j'espère, la haute autorité que je vais invoquer, celle du premier organisateur du siècle, celle de Napoléon. Dans une lettre du 20 décembre 1807, adressée à son ministre de la guerre, l'empereur avait fixé l'effectif du bataillon à 600 hommes sur le pied de paix et celui de la compagnie à 100 hommes ; ce n'était qu'après une longue paix qu'il admettait la réduction du bataillon à 480 et celui de la compagnie à 80. Entre cet effeectif et le nôtre la distance est immense!...

Si le système est bon, qu'on nous dise quel est le pays où le tiers environ de l'infanterie est dans l'impossibilité matérielle d'exécuter l'école de bataillon et les évolutions de ligne. Cette partie de l'armée en est réduite faute de soldats, à ne faire que l'exercice du bataillon au cordeau. C'est exactement comme si un jeune homme voulait être avocat, sans avoir fait aucune étude.

Si l'on m'indique une bonne armée obtenue par des moyens semblables, je reconnaîtrai sur-le-champ mon erreur; j'abandonnerai à l’instant mon opposition; si, au contraire, l'on ne peut me citer aucun exemple, je serai en droit de dire à mon pays : Prenez-y garde ! si un jour vous avez la guerre contre une armée aguerrie, il est à craindre que vous n'éprouviez le même sort qu'en 1831, ou celui du Piémont en 1849. Je citerai à l'appui démon opinion les paroles que M. le ministre a prononcées dans cette enceinte : « Les événements de 1831, qu'il faut oser rappeler pour en tirer une leçon profitable, démontrent qu'une puissante organisation militaire est indispensable pour triompher d'une armée régulière et que l'enthousiasme, le dévouement inexpérimenté ne préservent plus des grands désastres. »

Oui, messieurs, la bravoure doit être organisée, disciplinée, instruite, sinon elle viendra, comme les Turcs et les Arabes, échouer devant des murs d'airain.

Eh bien, messieurs, ne devez-vous pas demander, comme moi, un effectif plus élevé du bataillon? Ai-je tort de dire, qu'en cas de guerre, nous aurons des miliciens sans instruction, sans esprit militaire? Il m’en coûte de le dire, mais mon devoir est de faire connaître cette organisation défectueuse pour qu'on y apporte un remède quand il en est temps encore. Il faut mettre l'organisation en rapport avec l'effectif ou bien, l'effectif en rapport avec l'organisation, c'est-à-dire qu'il faut diminuer les cadres ou augmenter les soldats.

En donnant plus de force au bataillon, le service se fera avec plus de satisfaction, le commandement aura de l'importance, les officiers se formeront mieux, et nous ne devons pas craindre de voir leur talent militaire devenir stérile par le défaut d'instruction de leurs soldats.

Je ne parlerai pas des parties constitutives, c'est-à-dire des cadres; je m'en suis expliqué longuement lors de la dernière session, et mon opinion n'a pas changé depuis ; je dirai seulement que si l'on maintient l'organisation actuelle, il faut féliciter M. le ministre d'avoir, dans le budget de 1850, augmenté le nombre des sergents-majors, des sergents et des enfants de troupe ; car pour mettre l'armée sur le pied de guerre, il manquera beaucoup de sous-officiers! Si, au contraire, on conservait les miliciens pendant trois ans, on aurait une pépinière de bons sous-officiers et caporaux.

Pour n'apporter aucun changement, on a invoqué l'exemple de la France, dont l'organisation militaire, a assuré M. le ministre, n'avait pas varié depuis l'empire, sauf la création de quelques régiments spéciaux, nécessitée par la guerre d'Afrique. Cette affirmation a dû avoir une certaine influence sur plusieurs d'entre vous. Eh bien, messieurs, c'était de la part de M. le ministre une très grande erreur. Je ne connais pas une armée en Europe dont l'organisation ait subi plus de modifications; état-major général, infanterie, cavalerie, tout enfin, a été modifié tous les quatre, cinq ou six ans, tant sous le rapport du nombre des généraux et de leurs appointements, que sous celui du nombre des régiments et de leur subdivision.

J'ai ici le relevé des ordonnances; j'en ai compté plus de 80. Je rappellerai, entre autres, l'ordonnance du 9 mars 1834, qui supprima 50 escadrons, 1 par régiment; celle du 8 septembre 1841, qui supprima 1 bataillon par régiment, 4 compagnie par bataillon, et il y a cent régiments d'infanterie en France ; l'arrêté du 3 mai 1848, qui réduisit le cadre des généraux en activité de 240 à 195. Je dirai encore que les divisions territoriales qui étaient de 23 en 1816, à 21 en 1820, à 20 en 1831 et à 17 en 1846.

J'ajouterai que l'organisation française doit encore être revue, puisque l'assemblée constituante a décidé que les cadres de l'armée actuelle seront fixés par des lois spéciales qui devront être présentées avant le 1er mai 1850.

(page 442) Et à aucune des époques que j'ai rappelées, on ne s'est jamais permis de dire que l'armée française avait été désorganisée. Et ici, messieurs, j'ai besoin de protester contre ces idées émises que si l'on apportait le moindre changement on désorganiserait l'armée : ce sont là des moyens employés pour effrayer ceux qui n'ont pas les connaissances spéciales.

J'ai cité des exemples uniquement pour prouver qu'en modifiant l'organisation on ne ferait rien de si extraordinaire, rien de nouveau.

J'ai prouvé que l'organisation française a varié très fréquemment, mais quand même il serait vrai que la France ne l'eût pas changée, est-ce une raison pour ne pas modifier la nôtre, s'il est reconnu qu'elle est défectueuse? Si le budget de la guerre pèse trop lourdement sur les contribuables, ne devons-nous pas en diminuer les dépenses? Ce raisonnement, nous le croyons logique et dans l'intérêt du pays.

J'ai entendu dire, par des membres de cette chambre, que si l'on diminuait le nombre des régiments, cela retarderait l'avancement dans certains grades ! Je répondrai à mes honorables collègues, sans me prononcer sur le système à admettre, que je ne pense pas que ces retards puissent être bien long, et que cet inconvénient n'a pas empêché la France en 1814, 1815, 1820, 1829, 1831, 1833, 1834 et 1841, ni les Pays-Bas à plusieurs reprises, d'apporter aussi des réductions dans le nombre des régiments ; il y a seulement à voir si la mesure est utile, en en l'exécutant comme le propose la section centrale, l'économie complète ne serait pas, à la vérité, immédiatement atteinte, mais au moins on ne froisserait aucun intérêt, on respecterait toutes les positions acquises. MM. les ministres, venant en aide au département de la guerre, ne sauraient-ils donner des emplois civils aux officiers et aux sous-officiers qui en solliciteraient ? De cette manière les cadres rentreraient bientôt dans leur état normal. Puis des permissions d'un an à deux tiers de solde procureraient encore, et j'en suis certain, une économie notable, etc., etc. On ne ferait ainsi aucun mécontent. Les officiers qui resteraient sous les drapeaux se féliciteraient d'avoir des soldats à commander, le pays aurait une bonne armée et le budget en serait moins élevé.

L'escadron des chasseurs, des lanciers et des guides, est de 111 hommes et 100 chevaux. La nécessité de l'augmentation de l'effectif de l'escadron ressort de la composition même des escadrons. L'arrêté royal de 1831 en avait fixé l'effectif sur le pied de paix à 147 hommes et 125 chevaux. Tous les officiers de cavalerie, tant en Belgique qu'en France sont unanimes pour le considérer comme le minimum de la force de l'escadron. Il est évident qu'en ce qui concerne l'effectif nécessaire pour l'instruction et les manœuvres, nous ne saurions avoir de meilleurs modèles que les grandes puissances qui nous entourent. Eh bien, messieurs, je vais présenter à la chambre un tableau qui en dira plus que tous mes raisonnements.

(Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée)

Comparez cet effectif avec le nôtre, qui est de 111 hommes et 100 chevaux, et vous verrez si la Belgique n'est pas dans une position exceptionnelle, par rapport aux pays que j'ai cités, et si elle n'entretient pas par là trop de régiments. Cette opinion mérite bien d'être méditée, puisqu'elle est basée sur l'exemple des autres puissances.

Si la faiblesse de l'escadron n'était pas des plus nuisible pour l'instruction et pour le passage au pied de guerre, il n'y aurait pas unanimité de la part des hommes les plus compétents pour réclamer une plus grande force de l'escadron.

Dans l'état actuel des choses, il nous faudrait, en cas de guerre, 2,715 chevaux pour la cavalerie seulement ; la conséquence de ce grand nombre de chevaux manquants est facile à saisir ; à moins d'avoir un an ou deux devant soi, on ne pourra se procurer ceux qui sont nécessaires; et quand on les aura, il faudra attendre six mois pour qu'ils soient dressés.

Il est d'ailleurs bon de remarquer que les autres puissances auront des besoins non moins grands que la Belgique, car décidément nous ne mettrons pas notre armée sur le pied de guerre sans que la plupart des pays de l'Europe ne portent les leurs au complet.

Quand il nous faudra faire des acquisitions, la France, la Prusse, l'Autriche, la Bavière, la Sardaigne seront dans le même cas. Pour apprécier les difficultés que nous rencontrerons alors, il suffit de dire qu'en supposant les armées sur le pied de paix, et la France ayant le nombre de chevaux porté au budget de 1848, cette puissance en aura besoin de plus de 56,000, la Prusse 40,000, l'Autriche 19,000, la Bavière, 7,000, la Sardaigne 7,000, la Belgique 7,000. C'est un total de 136,000 chevaux pour ces six pays seulement!.... Où ira-t-on les chercher? Et faut-il, quand l'impossibilité de se les procurer est reconnue, entretenir constamment des cadres qui sont ruineux pour le pays?...

Voici comment s'exprime le général Marbot en parlant d'un ouvrage du lieutenant général de la Roche-Aymon ; « Nous partageons la manière de voir de l'auteur lorsqu'il fait des vœux pour qu'on augmente l'effectif de nos régiments de cavalerie et dit : « De gros régiments de cavalerie ont le double avantage de mieux former les officiers supérieurs de cette arme, et d'éviter les frais inutiles employés à payer ces nombreux états-majors que nécessitent un plus grand nombre de régiments moins forts. »

Ces vœux ont été compris, et les escadrons français sont fortement constitués.

Le général Prévôt a dit, en s'adressant à la chambre des députes en 1835 :« Un faible effectif est onéreux par l'entretien inutile d'état-major, d'officiers et de sous-officiers ; il l'est encore par la nécessité d'employer les chevaux et le harnachement sans cesse et à toute main; il l'est par le bouleversement de l'administration qu'entraîne le mélange de tous les escadrons, dès qu'il faut en faire marcher quelques-uns. Il est nuisible à l'instruction qui veut que chaque escadron manœuvre sur lui-même ; il exige, au moment de la guerre, une brusque augmentation qui ne présente des résultats que pour la moitié de la dépense. Enfin cette faiblesse de l'effectif porte une véritable atteinte à l'esprit d'unité, de confiance, de force qu'on doit entretenir soigneusement entre les éléments d'une même troupe, »

Les budgets qui ont été présentés à la chambre depuis trois ans renferment en eux-mêmes la preuve évidente que MM. les ministres ont reconnu que l'effectif en chevaux était trop faible. En effet, d'après l'annexe jointe au projet de loi sur l'organisation, il ne devait y avoir que 100 chevaux par escadron; et depuis 1847 on a porté les escadrons de cuirassiers à 112 chevaux. Quoiqu'il y ait ainsi 90 chevaux en plus qui coûtent au-delà de 47,000 francs, je ne m'en plains pas, je sais qu'ils sont nécessaires pour l'instruction, et qu'il est très difficile de se procurer des chevaux de cuirassiers au moment du passage au pied de guerre. Je veux seulement constater que MM. les ministres ont apprécié l'inconvénient d'avoir des escadrons trop faibles.

Chose remarquable, c'est qu'en France, en Autriche, dans les pays où il y a un effectif différent pour la grosse cavalerie et la cavalerie légère, celui des escadrons de cavalerie légère est toujours beaucoup plus élevé, et c'est précisément le contraire qui arrive en Belgique. Je ne cesserai pas, messieurs, de réclamer une plus grande force de l'escadron, et si M. le ministre de la guerre veut ouvrir les cartons déposés dans ses bureaux, il y trouvera des rapports des lieutenants généraux inspecteurs qui demandent, comme moi, l'augmentation de cet effectif.

Il est, je crois, inutile de dire que si 3 années de service sont nécessaires pour le fantassin, à plus forte raison, demanderai-je le même laps de temps pour le cavalier et l'artilleur. Le premier reste ordinairement 2 ans, le second 1 an à 18 mois; c'est trop peu pour obtenir des résultats satisfaisants.

Pour conserver l'organisation actuelle de la cavalerie et de l'artillerie, on a fait valoir l'effectif de l'armée à l'époque où nous avions la guerre avec la Hollande; on a dit que nous avions eu 110,000 et même 112,000 hommes, non pas sur le papier, mais présents sous les armes. Je ne le conteste pas puisque M. le ministre l'affirme; cependant il pourrait bien y avoir erreur, en voici la raison. Pour avoir 112,000 hommes sous les armes, il faudrait une armée de 140,000 hommes. Or, j'ai fait le relevé de tout le personnel qui a figuré au budget de 1839, en y comprenant 27,277 hommes en congé, 16,000 en réserve, les employés aux hôpitaux, etc., etc., et je n'ai trouvé que 94,717 hommes.

Au surplus, quand même cette armée aurait existé, elle n'empêcherait pas mes prévisions d'être justes ; car il ne faut pas perdre de vue que nos places fortes étaient dégarnies de troupes, que l'on a eu huit années pour former l'armée sur le pied de guerre ; et à combien de siècles faut-il remonter pour trouver deux peuples voisins entretenant, pendant tant de temps, des armées aussi nombreuses en égard à leur population, à leur ressources, et toujours prêtes à en venir aux mains!...Je crois que cela ne s'est jamais rencontré; on peut donc affirmer de la manière la plus positive que cette situation ne se représentera plus et que si nous avons la guerre il faudra avoir son armée formée très promptement, et ses forteresses garnies de troupes.

Le nombre des batteries d'artillerie devant être en rapport avec les autres armes, je ne m'étendrai pas sur leur réduction possible; je dirai seulement quelques mots sur une question que j'ai soulevée à la dernière session.

Pour conserver les quatre régiments d'artillerie, on nous a dit que cette création avait procuré 52,000 francs d'économie, que nous pouvions nous en assurer par le budget. Je ne pouvais me rendre compte d'un fait aussi extraordinaire, j'ai voulu le vérifier.

C'est en 1842 que le 4ème régiment d'artillerie a été formé, et j'ai effectivement trouvé qu'en 1843 on avait demandé 55,849 fr.05 c. de moins qu'en 1842; mais il y a au budget de 1842 337.093 fr. 75 c. de plus qu'en 1841; il y a en outre une déduction pour la solde des hommes envoyés en congé, elle est de 11,343 fr. 05 c. au budget de 1842, tandis qu'elle est de 121,155 fr. au budget de 1843. Rien d'étonnant alors que les dépenses de cette partie du budget aient été inférieures à celles de 1842.

La vérité est qu'on a augmenté le nombre des emplois, non seulement pour la création d'un 4ème régiment, mais encore pour l'état-major de l'arme ; la dépense en a été majorée de 34,232 fr. 85 c. pour l'état-major de l'arme, et de 66,031 fr. 80 c. pour la solde et les chevaux de l’état-major du 4ème régiment et pour les frais de bureaux; ensemble, (page 443) 100,264 fr. 65 c, sans y comprendre encore la moindre somme pour les généraux.

Toutes les observations que j'ai présentées pour la réduction de l’artillerie en 3 régiments restent entières, même celles qui concernent les régiments français, qui sont bien commandés par des colonels. Je doute qu'il y ait à chacun d'eux un général, comme nous l'a dit M. le ministre, puisque l'on compte 14 régiments et seulement 9 généraux commandants de l'artillerie : on peut s'en assurer par l'annuaire de 1849.

Si les généraux sont si nécessaires près des régiments, je demanderai à M. le ministre pourquoi à Bruxelles, qui ne possède qu'une seule batterie, il y a deux généraux d'artillerie, et à Anvers, qui est la ville où il y en a le plus, car on y compte 8 batteries, il ne se trouve aucun général de cette arme.

Je demanderai enfin si, quand l'empire d'Autriche a toute son artillerie organisée en 5 régiments, la Belgique ne peut pas avoir la sienne divisée en 3 ?

En vérité, messieurs, je ne connais pas d'économie plus juste, plus facile à réaliser que cette réduction des régiments d'artillerie; il n'est pas un seul militaire qui ne l'indique; aussi le maintien au budget des sommes qui sont destinées à la solde des cadres des 4 régiments, nous fait voir clairement que l'on ne veut opérer aucune diminution dans les dépenses.

L'armée doit servir au maintien de l'ordre intérieur, et être assez forte pour faire respecter notre neutralité.

M. le ministre nous a dit que, pour atteindre ce double but, elle devait être de 80,000 hommes sur le pied de guerre. Pour prouver l'utilité d'une révision de l'organisation, je ne contesterai pas même ce chiffre. Je me bornerai à rappeler les observations présentées par la commission des généraux, elle dit dans son rapport :

« Il n'est donc pas supposable que l'ensemble des forteresses exigeât moins de 50,000 hommes, et par conséquent, si l'armée était de 80,000 hommes, il en resterait seulement 30,000 pour tenir la campagne. »

Plus loin elle ajoute :

« Le calcul de 50,000 hommes pour les places fortes et de 30,000 pour tenir la campagne, se rapporte au cas où nos ennemis et nos alliés nous étant connus, il faudrait immédiatement garnir, au complet, les forteresses évidemment menacées ; mais il pourrait arriver d'abord que notre position ne fût pas dessinée aussi nettement, et qu'en attendant que les événements nous désignassent à la fois nos alliés et nos adversaires, nous fussions obligés de mettre en même temps toutes nos places fortes à l'abri d'hostilités également probables pour toutes.

« Si les événements n'avaient encore que ce caractère d'incertitude, l'armée en campagne pourrait s'élever beaucoup au-delà de 30,000 hommes; il suffirait de 36,000 hommes pour mettre toutes les forteresses à l'abri d'un coup de main, et il resterait alors une force mobile de 44,000 hommes; mais 14,000 hommes devraient en être distraits pour passer dans celles des forteresses menacées au moment où l'altitude de nos adversaires nous aurait fait connaître la frontière qui réclamerait nos plus grands moyens de résistance.

« On ne doit jamais perdre de vue que la grande importance de la Belgique consiste dans la conservation de ses forteresses; elles seules donnent des garanties certaines à sa neutralité. »

Ainsi, messieurs, la commission a bien reconnu qu'il ne pouvait y avoir en campagne qu'un corps d'armée de 30,000 hommes, admettons même 34,000 ; mais que l'on n'ait alors que la cavalerie et l'artillerie nécessaire à cet effectif, et que l'on n'entretienne pas des cadres pour des armées imaginaires qui n'existeront jamais, et pour l'entretien desquels il faut annuellement dépenser d'énormes sommes.

Savez-vous bien, messieurs, que si l'on restait dans cette limite de 34,000 hommes en campagne, en conservant les cavaliers qui sont aujourd'hui sous les armes, et en donnant aux escadrons de cavalerie légère l'effectif réclamé par tous les généraux, savez-vous, dis-je, que les dépenses du budget diminueraient de plus d'un million, rien que sur ces deux armes?

« La commission a passé ensuite à l'examen de la question de savoir si les cadres de l'armée, telle qu'elle est constituée aujourd'hui (1842), offrent les moyens d'une organisation régulière de ces 80,000 hommes.»

Et elle dit:

« Ainsi le chiffre de 80,000 hommes, fixé par la loi pour le complet de guerre de l'armée, est une illusion sous le rapport de ses cadres constitutifs qui ne comportent pas ce nombre. »

Depuis lors les cadres de l'infanterie ont encore été diminués, par conséquent, les difficultés sont aujourd'hui d'autant plus grandes.

De l'ensemble des observations présentées par des hommes certainement très compétents, il résulte que l'organisation renferme en elle-même des vices radicaux qui causent la faiblesse de l'armée.

J'ai prouvé que l'effectif des soldats dans les différentes armes n'était en rapport ni avec le service, ni avec l'instruction ; j'ai cité celui des autres pays pour que vous puissiez vous assurer, messieurs, qu'on s'est écarté des vrais principes, des règles fixées par les autorités militaires les plus renommées. J'ai fait voir que, sans le maintien des miliciens pendant trois années consécutives, il est impossible d'obtenir une armée qui ait quelque consistance, et qui puisse se mesurer à nombre égal avec celle de nos voisins.

Tels sont, messieurs, les motifs qui m'engagent à réclamer la révision de la loi sur l'organisation de l'armée.

Je ne me reconnais pas les talents nécessaires pour vous présenter un projet ; il me suffit de vous avoir convaincus à évidence que l'organisation actuelle est des plus défectueuses, pour faire sentir la nécessité de la changer.

M. De Pouhon. - Messieurs, je n'éprouve aucune répugnance à vous avouer que nul n'est plus ignorant que moi de tout ce qui tient à l'organisation d'une armée ; mais je ne me crois pas moins fondé à émettre une opinion sur l'utilité de cet instrument et sur son importance. L'industriel qui commande une machine à vapeur n'a pas besoin d'en connaître le mécanisme pour apprécier la force que sa destination réclame.

Je hasarderai donc, messieurs, de vous soumettre quelques idées que me suggère le rapport de la section centrale sur le projet de budget du ministère de la guerre.

Je crois, messieurs, que la Belgique doit entretenir, en tout temps, une armée proportionnellement plus forte que d'autres pays. Cette nécessité ne résulte point de la probabilité plus grande de conflits personnels avec ses voisins ; au contraire, la seule nation limitrophe avec laquelle nous pourrions lutter de force a le même intérêt que nous à entretenir des rapports intimes, et des sympathies de la Hollande répondent maintenant à la haute estime que nous professons pour elle. Une bienveillance mutuelle et des intérêts communs éloignent tous les jours davantage la possibilité de collisions.

La Belgique ne peut isolément faire la guerre à ses voisins de l'Est et du Midi, la partie serait trop inégale; mais sa position géographique la placerait au milieu de conflits qui pourraient survenir entre d'autres puissances. Il vous est possible, messieurs, de lui donner une très grande force pour une semblable éventualité, d'abord en pénétrant l'Europe de son amour de l'indépendance et de sa résolution de la défendre à tout prix. Une nation, profondément animée de ces sentiments, n'attend pas le moment critique pour s'armer des moyens de résistance à toute démonstration hostile, et pour peu qu'elle soit douée de prudence, elle prend ses précautions alors qu'elle peut les combiner et les organiser de sang-froid. Si nous nous montrons bien déterminés, on tentera moins de répandre la désunion parmi nous; les autres Etats seront avertis des obstacles que nous opposerions à leurs desseins hostiles.

Ce serait s'exposer à une cruelle déception que de se reposer sur la neutralité que les traités ont garantie à la Belgique. La neutralité est son droit, elle l'oppose d'abord à toute menace d'infraction ; mais la guerre une fois engagée, les traités ne nous serviraient plus qu'à en faire un labarum pour enflammer nos soldats contre les violateurs de la foi jurée.

Ce ne serait pas avec des traités à la main, mais appuyée sur une bonne armée, que la Belgique pourrait arrêter une invasion. Il faut que cette armée soit telle que l'on doive compter avec le pays qui en disposé; il faut qu'une puissance, si formidable qu'elle soit, se dise, à moins d'être prise de vertige, que cette armée pour ou contre soi peut peser dans les destinées de la guerre.

D'ailleurs, messieurs, les cinq grandes puissances représentées à la conférence de Londres n'ont pas entendu faire un acte de munificence en constituant la neutralité de la Belgique. Avant notre révolution, on était parvenu à admettre que si la maison de Bourgogne avait été érigée en monarchie indépendante , elle aurait prévenu deux grandes guerres des derniers siècles. C'est cette idée que la conférence de Londres a voulu réaliser en établissant une barrière entre la France et l'Allemagne, un Etat neutre qui servit de boulevard à la France contre l'Allemagne et à l'Allemagne contre la France.

Cette mission, la Belgique doit la remplir honorablement. Elle exigerait, dans les circonstances actuelles, des sacrifices peut-être plus grands que ceux qui nous sont demandés, je n'hésiterais pas un instant à les voter convaincu que je suis, que nous en serions glorieusement dédommagés à la suite d'une guerre continentale.

La Belgique, satisfaite de son existence tranquille, loin d'éprouver de sentiment hostile envers aucune nation étrangère, s'est constamment attachée depuis 19 ans à mériter la bienveillance de toutes, ainsi que de leurs gouvernements; mais ses bons procédés et son bon droit la protégeraient peu en cas de guerre; elle serait exposés soit du Nord, soit du Midi.

Ne le dissimulons pas, messieurs, ne nous le dissimulons surtout pas à nous-mêmes; c'est de la France que le danger nous menacerait le plus dans la situation actuelle de l'Europe. Cette grande nation a beaucoup de générosité dans le cœur, mais aussi beaucoup de mobilité dans l'esprit, et les factions l'entraînent trop facilement hors des voies de la prudence et de la raison.

Je vous demande la permission de vous rappeler, messieurs, une circonstance qui a pu s'effacer de votre souvenir, et dans laquelle j'ai vu un avertissement que nous ne devons pas négliger à l'occasion du vote du budget de la guerre.

Les journaux, et entre autres le Moniteur belge du 18 juillet 1848, rendirent compte d'une discussion qui avait eu lieu dans le comité des affaires étrangères de l'assemblée nationale de France. Ils reproduisirent un discours que M. de Lamartine avait prononcé en réponse à un orateur qui n'avait proposé ri plus ni moins que la dissolution de la Belgique et de l'Espagne.

Je vais avoir l'honneur de vous lire ce que le chef du gouvernement provisoire disait à propos de la Belgique.

«Tout le monde sait que si la révolution du 24 février eût voulu porter (page 444) toute sa puissance insurrectionnelle et toute son armée du Nord de 30,000 hommes en Belgique, dans le premier mois qui a suivi la révolution du 24 février, la Belgique pouvait tomber dans nos mains, ou être effacée momentanément de la carte (…)

« Nous n'avons pas voulu que la Belgique se révolutionnât au moment même où la France était en révolution et la paix en problème, et nous avons bien fait. Nous nous sommes dit en hommes prudents et prévoyants: si la Belgique se révolutionne, deux partis vont à l'instant surgir dans son propre sein : l'un qui voudra rester indépendant, l'autre qui voudra se donner à la France. .

« Que fera la France? Si elle combat son propre parti en Belgique, et si elle refuse de s'incorporer un pays qui voudra se donner à elle, elle encourra auprès des républicains français le reproche de lâcheté ou de trahison du principe démocratique en Belgique; si elle s'incorpore la Belgique, elle fera acte d'ambition et de conquête, elle sera à l'instant en guerre avec la Hollande, avec l'Angleterre et avec la Prusse, par l'Angleterre et la Hollande en guerre avec la Russie, avec le continent tout entier .Voilà pourquoi nous ne l'avons pas voulu; nous pouvons le dire loyalement à nos amis et à nos ennemis. Il ne faut pas se vanter, mais il ne faut pas rougir de sa propre prudence. »

Tel est, messieurs, le langage que tenait M. de Lamartine.

Il y a plusieurs inductions à en tirer.

La première, c'est que le gouvernement français avait admis que si la Belgique se révolutionnait, il se formerait dans son sein un parti qui voudrait la réunion. Voilà, messieurs, le préjugé que nous devons combattre, et nous ne le détruirons certainement pas en marchandant sur les dépenses du budget de la guerre.

La seconde induction, c'est que ce n'est pas par respect pour les traités ni par sentiment d'équité que le gouvernement français ne dirigea pas d'entreprise contre la Belgique; il ne fut arrêté que par le sentiment de sa propre conservation. Attenter à l'indépendance de la Belgique, c'était à l'instant, de l'aveu de M. de Lamartine, la guerre contre l'Angleterre et contre le continent tout entier. Cette conséquence, personne n'en doute et si le premier ministre de France l'avait dissimulée, le chef du cabinet anglais nous l'aurait appris un mois plus tard.

A la chambre des communes, lord John Russell, faisant allusion aux efforts de certains membres du gouvernement provisoire de France pour pousser à une invasion en Belgique, déclarait que cet événement eût provoqué une guerre européenne.

L'homme éminent de France dont j'ai rapporté les paroles nous fournit une donnée dont je pars pour établir la force nécessaire de notre armée.

Si la révolution du 24 février, dit M. de Lamartine, avait voulu porter toute sa puissance insurrectionnelle et toute son armée du Nord de 30 mille hommes en Belgique, la Belgique pouvait être effacée momentanément de la carte.

Messieurs, la puissance insurrectionnelle de la France avait pu être irrésistible après la révolution de 17S9, qui portait dans ses flancs la liberté, l'égalité des droits et la destruction des abus du moyen âge; mais une révolution née d'un caprice, que ne légitimait aucun besoin social, et qui, loin de marquer un progrès de la civilisation, semble avoir commencé une ère de décadence, une telle révolution ne peut avoir de force insurrectionnelle dans le pays du sens commun par lequel, pour rappeler les paroles si nobles et si vraies de l'honorable M. Delfosse : La liberté n'a pas besoin de passer pour faire le tour du monde.

Quant aux moyens matériels d'invasion, c'est donc toute l'armée du Nord de 30,000 hommes que la France aurait à diriger contre la Belgique. Il faut même la supposer de 40,000 hommes, quoiqu'en se décidant à l'invasion, la France dût diriger désarmées sur toutes ses frontières à la fois. Dans cette éventualité, notre tâche est toute tracée : il faut pouvoir arrêter l'armée du Nord le temps nécessaire pour attendre les armées hollandaises, anglaises et celles de toutes les puissances qui se coaliseraient contre l'ennemi commun.

Si vous ne croyez pas que notre armée puisse suffire à cette tâche pendant 8, 13 jours, renforcez la gendarmerie et supprimez le budget de la guerre, car l'armée devient sans objet.

Mais s'il est possible d'atteindre le but que j'indique, comme j'ai l'orgueil de n'en pas douter, votez libéralement, messieurs, les fonds nécessaires pour assurer d'autant plus le succès.

Ainsi, il nous faut une armée suffisante à opposer à l'armée d'invasion et il faut des troupes pour garder nos forteresses.

La révolution de février a encore plus d'une phase à traverser avant d'avoir parcouru tout son cours. La Belgique doit s'imposer des sacrifices pour garantir son indépendance et pour se mettre en position de profiter des éventualités que les événements pourront amener.

Je vous soumettrai, messieurs, une considération puisée en dehors des nécessités propres de notre pays et qui lui commande aussi les dépenses d'un établissement militaire de certaine importance. C'est un devoir de confraternité nationale.

Depuis la révolution de février, les armées ont sauvé la civilisation en Europe; sans elles, la république rouge et les théories infernales qu'elle devait mettre en lumière, auraient pu triompher au Nord comme au Midi. Elles sont domptées, mais non anéanties. Elles s'agitent souterrainement dans des pays qui ne sont pas loin de nous, et il n'est pas encore permis de se considérer à l'abri du vandalisme. Le bon sens des populations de Belgique éloigne ce danger quant à nous. Mais ne pensez-vous pas, messieurs, que si l'hydre du communisme parvenait à dominer chez des nations voisines, il y aurait, pour les pays en jouissance d'une armée disciplinée et morale, un devoir d'Immunité à remplir ? Quant à moi, j'admets la possibilité de malheurs tels qu'ils commanderaient une croisade plus sainte que celles auxquelles nos provinces ont fourni au moyen égale principal contingent. Il y aurait communauté d'intérêts et de sentiments pour combattre des barbares bien autrement redoutables que les Sarrasins.

C'est en présence de si légitimes motifs d'appréhensions que votre section centrale vous propose de ne pas voter un budget de la guerre consacrant des dépenses moindres que celles que le pays s'imposait lorsque la situation de l'Europe semblait si affermie, alors qu'aucun danger ne se révélait à l'horizon politique; c'est dans des circonstances où il est si nécessaire de maintenir l'union entre toutes les classes de citoyens, où le dévouement de l'armée peut être à chaque instant mis à l'épreuve,, que l'on vous propose une réorganisation qui serait son affaiblissement. Oui, messieurs, son affaiblissement ; car discuter à présent l'organisation de l'armée c'est l'affaiblir.

Réorganiser l'armée ! mais sur quelle autorité le décideriez-vous? Je ne vois parmi nous aucun homme de guerre dont l'avis put vous imposer.

Je le sais, il existe dans l'armée comme dans toutes les classes de citoyens, des rivalités, des déceptions, des amours-propres et des intérêts froissés. En dehors de l'armée, il est aussi des officiers qui en sont sortis plus tôt qu'ils ne le désiraient. Si nous consultons des hommes qui croient avoir à se plaindre, ne sont-ils pas naturellement disposés à exagérer leurs observations critiques? Lorsque j'étais encore plus novice ici, j'ai également reçu les avis que des officiers voulaient bien me donner; je les avais accueillis avec d'autant plus de facilité qu'ils flattaient des idées préconçues sur la surabondance des officiers de hauts grades. Avant d'être appelé à l'honneur de siéger dans cette enceinte, et avant les événements de février, j'avais été scandalisé en voyant de fréquentes promotions qui ne me paraissaient pas s'accorder beaucoup avec l'état de paix et les besoins d'une sage économie. Bien d'autres abus m'avaient aussi été signalés. J'étais donc porté à appuyer les réclamations qui seraient faites dans cette chambre. J'ai complètement changé de résolution.

Dans le cours de la discussion du précédent budget de la guerre, j’eus l'occasion d'observer que les officiers que j'avais consultés considéraient les questions à un point de vue trop restreint, au point de vue de la position qu'ils avaient occupée ou qu'ils occupaient dans l’armée. Un officier, à moins d'avoir une portée très rare dans l'esprit, a particulièrement l'attention fixée sur son arme spéciale; le commandant de cavalerie méconnaît le mérite de l'infanterie, de l'artillerie et vice-versa. Descendez-vous dans les grades? le point de vue se rétrécit et les idées s'y proportionnent. On voit des abus dans ce qui n'est souvent que l'effet d'une combinaison faite en prévision de l'état de guerre. Il faut bien satisfaire à ces exigences puisque l'armée elle-même n'est créée que pour la guerre.

Vous ne serez pas assez téméraires, messieurs, pour assumer la responsabilité, dans les circonstances actuelles, d'une réorganisation de l'armée que vous n'êtes pas aptes à apprécier et en cédant à des avis peut-être intéressés ou inspirés par des sentiments peu louables.

Dans la session dernière, j'entendis parler très savamment de l'organisation de l'armée par deux honorables collègues qui font partie de la section centrale. Je suppose que leur système fût le meilleur en pratique comme en théorie. Eh bien, messieurs, il manquerait encore de la condition essentielle, celle qui double la valeur du soldat, la confiance de l'armée. Quelle sécurité, en effet, voulez-vous que le soldat éprouve s'il se sent mouvoir, marchant à l'ennemi, dans une armée dont l'organisation aurait été imposée sur l'opinion de membres de cette chambre le moins compétents à ses yeux et malgré l'avis contraire d'un ministre de la guerre déclarant cette organisation insuffisante?

Quant à moi, qui ne suis pas à même d'apprécier les arguments de ces honorables membres, voici le raisonnement que je fais : Ces messieurs veulent faire prévaloir leur système d'organisation de l'armée, le ministre de la guerre le condamne. Ayant à prononcer sur le différend, la question revient à savoir si je voudrais voir passer le portefeuille de la guerre des mains de M. le généra Chazal dans celles de l'honorable rapporteur de la section centrale. La question ainsi posée, je n'hésite point et je me dis : Le ministre actuel est un homme qui depuis dix-neuf ans a appliqué toute son intelligence, et une intelligence d'élite, à l'étude de l'art de la guerre; il a servi dans différentes armes, dans des grades divers, il a donc acquis de l'expérience; il occupe une position qui lui permet d'embrasser les moyens de défense du pays dans leur ensemble, dans leur corrélation, de les étudier en détail; il est entouré d'officiers de mérite avec lesquels il ne manque sans doute pas de discuter tous les points sujets à controverse.

Depuis quelques années, la chambre retentit de la demande de réorganisation et d'économies ; j'ai la conviction que le ministre a cherché tous les moyens de la satisfaire, et qu'il ne s'est arrêté qu'à la limite du possible. Je crains même qu'il n'ait dépassé la limite de la prudence.

Je le craignais tantôt, je n'en doute plus depuis que je viens d'entendre l'honorable M. Thiéfry : je suis alarmé d'apprendre que notre armée soit réduite à des cadres vides ou à moitié garnis de miliciens qui n'ont pas passé au régiment le temps indispensable pour acquérir l'exercice, l'esprit militaire et le désir de se battre. Je trouverais coupable le ministre qui, cédant à la pression de la chambre pour des économies, aurait laissé affaiblir à ce point les moyens de défense du pays. J'espère qu'il nous rassurera à cet égard par des explications.

(page 445) La conséquence que je tire du discours de l'honorable M. Thiéfry, c'est la nécessité de mettre à la disposition du gouvernement des fonds suffisants pour entretenir plus longtemps les miliciens sous les drapeaux.

Cette nécessité n'existerait pas moins si vous adoptiez l'idée de la réorganisation de l'armée, puisque la section centrale vous propose, dans cette hypothèse, de conserver dans les régiments, avec solde entière, les officiers au-dessus du complet. Il faudrait tout de même de l'argent pour remplir les cadres.

Je reprends la suite de mon discours, et parlant du ministre actuel, je dis: Il possède la confiance de l'armée; c'est un homme d'honneur, dont aucune circonstance de sa vie n'a jamais permis de suspecter ni la probité, ni le patriotisme, ni le dévouement. C'est donc lui que je veux maintenir, et mon vote d'opposition serait assuré à tout officier qui le remplacerait pour expérimenter sur l'organisation de l'armée.

Voilà, messieurs, mes motifs déterminants. Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait des abus dans l'armée; il est impossible qu'il n'y en ait point, car l'armée se compose d'hommes, et son chef est homme aussi. Mais espérez-vous qu'un officier quelconque qui sera placé à sa tête n'apportera pas d'exagération de système, du sien ou de celui que vous lui aurez imposé? qu'il n'aura pas d'amis ? qu'il sera exempt de faiblesses? Si vous conceviez de pareilles illusions, elles ne tarderaient pointa se dissiper. La grande majorité de cette assemblée ne les partagera pas, mais il ne restera pas moins de nos discussions, comme conséquences très regrettables, l'altération de l'enthousiasme de l'armée et de la sécurité morale du pays. J'ai l’intime conviction que je serais fort au-dessous du niveau des sentiments de la nation si je ne protestais de toutes les forces de mon âme contre les conclusions de la section centrale.

Projet de loi interprétant les articles 1322 et 1328 du code civil

Dépôt

Projet de loi interprétant l’article 360 du code d’instruction criminelle

Dépôt

Projet de loi révisant partiellement le code pénal militaire

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi d'interprétation des articles 1322 et 1328 du Code civil; un projet de loi d'interprétation de l'article 360 du Code d'instruction criminelle et un projet de loi de révision partielle du Code pénal militaire.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation des projets des lois qu'il vient de déposer. Ces projets et les motifs qui les accompagnent seront imprimés, distribués aux membres et renvoyés à l'examen des sections.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.