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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 13 mars 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 925) M. A. Vandenpeereboom fait l'appel nominal à deux heures et quart.

La séance est ouverte.

M. T’Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'nalyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants des hameaux de Ville-en-Waret et Houssois, dépendants de la commune de Vezin, demandent la réunion de ces hameaux en une commune distincte, sous le nom de Ville-en Waret. »

M. Lelièvre. - Je proposerai le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


- Cette proposition est adoptée.

« Quelques habitants de Bruxelles présentent des observations sur des articles du projet de loi relatif à l'enseignement moyen, concernant la langue flamande. »

-Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.


« Le conseil communal de Huy demande que le projet de loi sur l'enseignement moyen autorise le gouvernement à créer des collèges dans les villes chefs-lieux d'rrondissement. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.

Projet de loi prorogeant certaines dispositions transitoires de la loi sur l’enseignement supérieur

Rapport de la section centrale

M. Van Hoorebeke dépose le rapport sur le projet de loi ayant pour objet de proroger certaines dispositions transitoires de la loi sur l'enseignement supérieur.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met le projet à l'ordre du jour à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.

Projet de budget de la chambre pour l’exercice 1851

Rapport de la commission

M. de Man d'Attenrode dépose le rapport de la commission de comptabilité sur le budget de la chambre pour l'exercice 1851.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et décide, sur la proposition de M. Thiéfry, qu'elle s'en occupera à la fin de la séance de vendredi prochain.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la justice, pour la fabrication des toiles russias

Discussion générale

M. de Haerne. - Messieurs, la discussion qui s'est ouverte hier semble se rapporter à une seule question : Y a-t -il encore nécessité, utilité pour le pays en général, pour le progrès de l'industrie, à continuer la fabrication des toiles par le gouvernement, dans l'établissement de Saint-Bernard, non pas tant en ce qui concerne le travail des prisons, qu'en ce qui concerne le travail en dehors des prisons? Je n'hésite pas à dire, messieurs, que ce système est erroné, dangereux, comme je l'i déjà dit hier et comme je crois l'voir démontré en partie.

Je ne répéterai pas ce qui a déjà été allégué, à savoir que quatre sommités industrielles du pays ont offert de reprendre les ateliers dirigés par le gouvernement ; cette déclaration me semble déjà suffisante pour renoncer au travail par le gouvernement.

L'industrie privée a fait ses preuves dans plus d'une circonstance et, outre la preuve que j'i déjà citée hier sous le rapport des grandes exportations faites dans le genre russias, je puis encore alléguer celle qu' fournie la dernière exposition de Gand, où les fabricants qui avaient exposé cette espèce de toile ont obtenu des médailles et ont reçu les plus grands éloges de la part du jury de l'exposition.

Messieurs, en matière d'industrie, lorsqu'il s'git de l'intervention du gouvernement, la première question qu'on doive examiner est celle de savoir jusqu'à quel point il y a insuffisance de la part des efforts individuels, et c'est d'près le degré de cette insuffisance que l'on doit proportionner l'intervention du gouvernement. Lorsque cette intervention va au-delà, elle est toujours plus ou moins nuisible aux intérêts privés et par suite à l'intérêt général.

Nous avons, dans le temps, insisté vivement pour que le gouvernement fît sentir son action dans les relations commerciales pour faciliter l'exportation de nos produits, notamment de nos produits liniers, vers les pays transatlantiques.

Il est de fait, messieurs, que, sous ce rapport, il y a encore une grande lacune. Eh bien, cette lacune existant, l'intervention est très utile et même nécessaire, tant pour l’établissement de comptoirs que pour l'érection d'une société d'exportation. Mais je n'hésite pas dire que si l'industrie privée avait rempli cette tâche, si le commerce était suffisamment entré dans cette voie, le gouvernement devrait se retirer, comme il doit s'bstenir pour une fabrication quelconque, lorsque l'industrie privée peut suffire à cette fabrication. C'est toujours le même principe.

Messieurs, nous sommes souvent en dissidence à cet égard avec d’honorables représentants de notre métropole commerciale. Hier, vous avez entendu l'honorable M. Osy nous provoquer en quelque sorte, le mot n'est pas trop fort, en disant : « Si vous fabriquez des marchandises exportables, nous exporterons. »

Ce n'est pas la première fois que cet honorable membre nous fait ce reproche. Eh bien examinons un moment ce que cette allégation peut avoir de fondé.

Certes je crois que, pour certaines industries, le travail privé n' pas toujours été à la hauteur désirable; les crises qui ont accablé le pays, les circonstances politiques, d'utres raisons ont contribué à cette infériorité. Mais d'un autre côté, je crois que le commerce est bien plus en défaut que l'industrie, pour ce qui regarde nos relations directes avec les pays transatlantiques.

La preuve, je la puise dans la circonstance qui se présente même actuellement par rapport à l'exportation des russias ; car, de l'veu de tout le monde, ces tissus se fabriquent dans les conditions voulues à l'établissement de Saint-Bernard. Or, l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale vous apprennent que la plus grande quantité de ces toiles ne s'exportent qu'indirectement, c'est-à-dire par Hambourg, vers les pays transatlantiques. L'industrie est suffisante, et le commerce est en défaut. Je pourrais citer des faits semblables quant aux exportations que nous faisons par des ports français.

L'honorable M. Osy a dit encore qu'il avait entendu des plaintes sur les toiles fabriquées par l'industrie privée. Je ne le conteste pas; dans l'industrie la mieux montée, il peut se rencontrer des pièces de rebut ; sous ce rapport, les premiers industriels du monde peuvent donner lieu à des plaintes.

Je crois donc que l'ssertion de l'honorable M. Osy est très vraie, puisqu'il l'vance; mais, à mon tour, je lui dirai, et j'espère qu'il m'en croira aussi ; je lui dirai que, malgré les défauts qu'il a entendu reprocher à quelques industriels privés, pour ce qui regarde la fabrication des russias, il est à ma connaissance qu'un de ces industriels a reçu une commande de russias pour 500,000 francs, à condition que la fabrication de ce tissu ne continue pas à se faire sous les auspices de l'établissement de Saint-Bernard, parce que ceux qui font la commande craignent que cet établissement, entrant en concurrence avec l'industrie privée, ne doive fabriquer à tout prix et écouler à tout prix; et que, par conséquent, on ne peut jamais être sur des prix que fera cette administration dans l'venir.

Quant au projet de blanchisserie de Gand, auquel a fait allusion l'honorable M. Osy, je n'en parlerai pas; cela concerne les députés de Gand, plutôt que moi; cependant, je dirai en passant que les événements politiques ont été pour quelque chose dans la non-réussite de cet établissement.

Un autre point, que je regarde comme très essentiel, a été traité par notre collègue d'Anvers. Si j'i bien compris cet honorable membre, il a dit que nos filatures produisent presque tous les numéros au même prix que les filatures anglaises.

L'honorable M. Osy est dans une erreur complète à cet égard. S'il veut parler de la filature de Marchal, à Leeds, c'est possible, pour quelque spécialité de fils; mais là n'est pas la question.

La question est de savoir si dans les trois royaumes-unis on ne fabrique pas à des prix plus bas qu'en Belgique. Or je puis assurer que les fils irlandais sont à bien meilleur compte que les fils belges. J'i reçu le taux des prix de M. Mull Holland, à Belfast, portant la date de novembre 1849 ; j'y trouve que les numéros 55 à 90 se payent 4 schell. 3 p. le bush, ce qui fait 16 francs le bundel. Les mêmes numéros se vendaient à la même époque 19 francs en Belgique ; il y avait donc 18 p. c. en faveur des fils irlandais. Les numéros 100 à 120 sont cotés à 4 sch. 8 p. le bush, ce qui fait à peu près 17 francs le bundel; ils se vendaient, en Belgique, 21 francs; différence 25 p. c.

On dira que nos fils sont de meilleure qualité; je ne le contesterai pas; c'est ce que nous avons dit plusieurs fois quant à la différence de qualité qu'il y a entre le fil à la main et le fil à la mécanique. Que nous a-t-on répondu alors ? Il ne faut pas se préoccuper de la solidité en matière d'industrie, mais du bon marché. Je dirai, moi : il ne faut pas la solidité seule, mais le bon marché à côté.... L'honorable M. de Brouckere a l'ir de m'interrompre.

M. de Brouckere. - J'pprouve votre correction.

M. de Haerne. - Pour répondre à votre interruption indirecte ou tacite, je dirai qu'on nous a fait un reproche; on a dit que nous devions remplacer le fil à la main par le fil à la mécanique, quoique le fil à la main fût plus solide.

Donc ce n'est pas une correction de mon opinion. Seulement, je rectifie une opinion erronée par une autre qui est la mienne.

Eh bien, messieurs, puisque j'i été amené à dire un mot des fils à la main, j'jouterai, en passant, que nous serions dans la plus grande détresse, si nous n'vions pas les fils à la main. Aujourd'hui le fil (page 926) mécanique manque ; il est impossible d'en obtenir, argent sur la main. Si le fil à la main n'existait pas, dans le moment actuel, on ne fabriquerait pas le quart des toiles que l'on fabrique. Sans les comités de charité tant décriés aujourd'hui, il est probable que le fil à la main aurait presque entièrement disparu, et le tissage en grande partie avec lui.

J'jouterai que je connais un fabricant de russias qui, dans ce moment, fabrique du fil à la main sur une très grande échelle, pour la trame surtout, qui a pris ses mesures pour donner de l'ouvrage à deux mille personnes, en grande partie pour la fabrication des russias.

Le salaire qu'il peut donner aux ouvrières ira de 30 à 40 c.

A cette occasion, je ne puis trop insister sur la nécessité dont j'i déjà parlé plusieurs fois dans cette enceinte, à laquelle, si je ne me trompe, on a fait allusion dans la séance d'hier, sur la nécessité de nous procurer le fil anglais, pour tous les numéros, à charge de réexportation sous forme de tissus.

C'est une nécessité. Tous les fabricants réclament cette faveur ou plutôt cette justice du gouvernement.

On avance, dans l'exposé des motifs de même que dans le rapport de l'honorable M. Bruneau, qu'on a résolu le grand problème du travail dans les prisons et, pour la production des russias, du travail dans l'telier gouvernemental, sans faire concurrence au travail national.

Lorsque l'entreprise de St-Bernard a commencé, j'voue que la concurrence était pour ainsi dire nulle. Mais on ne peut plus en dire autant à l'heure qu'il est. Par conséquent, on ne peut pas dire que cette question a reçu une solution.

J'i déjà eu l'honneur de dire à la chambre que, pour le travail des prisons, il y avait lieu de faire une exception, à cause d'un principe de moralité supérieur aux principes économiques qui doivent nous guider au point de vue industriel.

Le problème n'est pas résolu; seulement la difficulté, au lieu d'être tranchée, a été transportée dans un autre lieu : c'est-à-dire que la concurrence, au lieu de se faire dans l'intérieur, se fait sur les marchés transatlantiques. C'est toujours une concurrence entre rivaux. Par conséquent, le problème reste toujours sans solution.

J'voue que si l'on avait toujours des produits nouveaux à fabriquer, on pourrait dire que la difficulté est tranchée. Mais c'est là ce qui est très difficile, pour ne pas dire impossible.

Dans le rapport de la section centrale, on nous dit : « Dans certaines circonstances le principe doit fléchir. »

On avoue que le principe qu'on invoque contre la production gouvernementale est vrai ; mais, dit-on, il doit fléchir dans certaines circonstances, de même qu'on le fait fléchir en d'utres matières.

On cite les ateliers de charité, on cite les droits protecteurs sur les étoupes ; on cite les primes.

Messieurs, il y a une très grande différence entre l'établissement de Saint-Bernard et les mesures de protection dont je viens de parler. J'voue que les anciens comités de charité avaient une grande ressemblance avec la commission de Saint-Bernard. Cependant ce n'est pas tout à fait la même chose. Car le capital était insignifiant en comparaison de celui qu'on demande aujourd'hui pour la commission de Saint-Bernard ; ensuite il ne s'gissait pas d'une seule et même direction; c'étaient des industries communales plutôt que gouvernementales. Puis les fabricats n'étaient pas toujours des toiles; c'étaient, pour les neuf dixièmes, des fils. On transportait la marchandise fabriquée sur les marchés où tous les fabricants pouvaient se la procurer, de manière que la concurrence faite par le gouvernement se réduisait à peu de chose. Mais enfin c'était toujours une intervention très prononcée du gouvernement dans l'industrie.

Du reste, si des particuliers se présentaient pour alimenter les comités de charité, comme il y en a qui se présentent pour les russias, je ne voudrais pas rétablir les comités au moyen de subsides.

Quant aux droits qui frappent les étoupes, il y a une différence du jour à la nuit.

Car en fait de droits protecteurs, l'intervention du gouvernement dans l'industrie est indirecte et partielle; pour ce qui regarde la fabrication, l'intervention est directe.

Quant aux primes, c'est encore un principe tout différent. En effet, tous les gouvernements accordent des primes, comme ils établissent des droits protecteurs. Mais je ne sache pas qu'il y ait un gouvernement qui mette en principe la fabrication par l'Etat.

Tous les auteurs sont unanimes à cet égard et proscrivent la fabrication gouvernementale.

Si l'on admettait le raisonnement du rapporteur, il faudrait dire que dans les intérêts matériels l'Etat ne peut toucher à rien. Il est donc évident qu'il faut distinguer ici entre l'intervention directe et l'intervention indirecte de l'Etat, entre l'intervention complète et l'intervention partielle.

Messieurs, si la commission de Saint-Bernard voulait entrer dans un plan qui lui a été proposé déjà, l'nnée dernière, et dont j'i eu l'honneur de parler encore hier ; si la commission de Saint-Bernard, au lieu de fabriquer elle-même les toiles qui lui sont commandées, les faisait fabriquer par d'utres, en les mettant en adjudication, la question serait tout autre; la commission de Saint-Bernard se transformerait ainsi en société d'exportation, au lieu d'être une société de fabrication ; de cette manière, elle satisferait le vœu du pays. Car vous savez que depuis longtemps une société d'exportation a été demandée par les organes de l'industrie du pays.

A cet égard, permettez-moi de vous rappeler ce qui s'est fait, il y a quelques années. Une enquête a eu lieu sur cette question ; toutes les chambres de commerce ont été consultées, et elles ont été unanimes pour s'opposer à une société de fabrication, tandis que la plupart d'entre elles ont demandé une société d'exportation.

De cette manière, messieurs, il y aurait moyen de s'entendre, et les industriels ne s'opposeraient aucunement à l'ction de la commission de Saint-Bernard.

L'honorable ministre de la justice nous disait hier que l'ction de la commission de Saint-Bernard se retirera partout où elle ne sera plus nécessaire. Si je comprends bien la pensée exprimée par ces paroles, qui, je crois, se trouvent aussi dans le rapport de la section centrale, cela revient à dire que l'on établira des ateliers là où il n'en existe pas aujourd'hui, et qu'on en supprimera quelques-uns de ceux qui existent. Messieurs, cela ne résout aucunement la question, car la concurrence, selon moi, la grande concurrence n'est pas tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, la grande concurrence se rencontre sur les marchés transatlantiques.

Ainsi les industriels privés se trouvent toujours en présence d'un rival redoutable, qui est le gouvernement, outre la concurrence anglaise qui, comme on comprend, les presse d'utant plus qu'elle jette plus de produits sur les marchés.

En disant qu'on se bornera à établir des ateliers pour compte du gouvernement, là où le besoin s'en fait sentir, on donne encore une fois à entendre que l'industrie privée n'y peut suffire. Mais il faut remarquer que l'industrie des russias et l'industrie des toiles en général, s'exerce aujourd'hui sur une grande échelle, par ateliers. Les grands fabricants ont leurs ateliers, non seulement dans le lieu de leur résidence, mais ils en ont qui se trouvent répandus quelquefois à cinq ou six lieues à la ronde, de manière que si telle localité, par exemple, éprouve le besoin de s'donner à la fabrication des russias et désire un atelier, elle n'a qu'à s'adresser à l'un ou à l'utre fabricant, résidant à Gand, à Malines, à Courtray, etc., et l'on ne sera pas en peine de se mettre en relation avec les fabricants qui y maintiendront le travail.

Il est positif, messieurs, que la fabrication, telle qu'elle est organisée aujourd'hui, a ses ramifications dans tout le pays. Ces besoins partiels qu'on met en avant ne sont qu'un moyen pour pouvoir continuer l'entreprise indéfiniment.

Je tâcherai, messieurs, d'bréger autant que possible. Je regretterais d'utant plus d'être trop long, que plusieurs orateurs sont impatients de prendre la parole.

Mais il est une question que je crois devoir aborder telle qu'elle est posée dans le rapport de la section centrale. Il s'git du bénéfice réalisé par la commission de Saint-Bernard. Ce n'est pas là une question fondamentale à mes yeux; car, enfin, qu'il y ait bénéfice ou qu'il n'y en ait pas, le grand inconvénient c'est que la concurrence reste toujours la même. Cependant il n'est pas hors de propos d'examiner cette question, d'utant plus qu'elle est traitée dans l'exposé des motifs.

Il me semble, messieurs, que pour ce qui regarde la dépense on a omis une chose essentielle ; on n' pas tenu compte de l'intérêt du capital. Or, comme nous l'vons vu hier, l'intérêt monte à 20,000 fr. ; si l'on ajoute 20,000 fr. à la dépense faite, on trouve un chiffre notablement supérieur à celui de l'exposé des motifs, et au lieu d'rriver à un bénéfice de 49,000 fr., on ne trouve plus qu'un bénéfice de 30,000 francs.

Maintenant vous direz que c'est encore un bénéfice de 6 1/2 p. c.,. bénéfice que l'on peut dire raisonnable ; mais je ferai remarquer qu'il y a ici une autre question à examiner, c'est celle des rebuts, que l'honorable M. Bruneau traite aussi dans son rapport ; il avoue qu'il y a des rebuts pour une somme de 55,000 fr., prix de revient.

Mais, dit-il, ces toiles ont déjà été employées en partie par l'dministration des prisons et elles seront toutes utilisées dans les services publics. Messieurs, cela ne répond pas à la question ; car enfin si ce sont des toiles de rebut, leur mauvaise qualité se fera nécessairement sentir dans l'usage et au lieu d'un il faudra peut-être deux ou trois; ce sera, en définitive le gouvernement qui supportera la perte. La question est de savoir quel usage peuvent faire ces toiles.

Vous voyez donc, messieurs, que nous sommes ici devant l'inconnu pour fixer le bénéfice de la commission de Saint-Bernard, si tant est qu'il y ait bénéfice.

Je crois, messieurs, être bien informé, en disant qu'il y a d'utres rebuts à Saint-Bernard, ce sont des rebuts de fil.

M. Bruneau. - Qui proviennent des comités.

M. de Haerne. - Je fais le compte total, et je dis qu'il y a des rebuts de fil.

M. Bruneau. - Ce n'est pas de cette opération-ci.

M. de Haerne. - Il y a des rebuts de fil crémé qui proviennent, m'-t-on assuré, de cette opération-ci.

Je dis donc qu'on ne peut pas évaluer le bénéfice, qu'on ne peut pas même constater qu'il y a bénéfice, et à cet égard je crois que la chambre de commerce de Courtray est tout à fait dans son droit lorsqu'elle dit qu'u lieu de bénéfice, il serait très possible qu'en définitive on rencontrât de la perte.

Puisque je viens de nommer la chambre de commerce de Courtray, je me permettrai de dire un mot en réponse à la critique dont la pétition qu'elle adressée à la chambre a été l'objet de la part de l'honorable rapporteur. Il a trouvé que le ton de cette pétition est acerbe.

Messieurs, je crois que cette pétition a été dictée sous une impression (page 927) assez pénible, à la vue de ce que l'on avait mis sous les yeux des membres de la chambre de commerce. Je dois le dire, il y a certaines circonstances sur lesquelles nous n'étions pas nous-mêmes d'bord, bien éclairés et qui, dans la section centrale, ont provoqué des propos qui avaient aussi quelque chose d'cerbe.

Le mécontentement provenait surtout du refus fait par l'dministration, de faire connaître son principal correspondant. Eh bien, tous les négociants à qui j'en ai parlé ont jeté les hauts cris, en apprenant le silence gardé par l'dministration à cet égard, et son obstination à refuser de faire connaître ses correspondants.

L'honorable rapporteur a cherché à justifier la commission de Saint-Bernard de ce refus, en disant que les usages du commerce l'y autorisent. Je ne sais pas, messieurs, si l'on peut bien invoquer les usages du commerce en faveur d'une administration subsidiée par l'Etat, et qui doit agir entièrement dans l'intérêt du public. Remarquez bien que je n'ccuse personne; seulement je veux examiner les faits et faire voir qu'il n'est pas étonnant qu'il y ait eu quelque chose d'un peu acerbe dans le document auquel je fais allusion.

Je dis donc que l'honorable rapporteur cherche à justifier l'dministration de St-Bernard, en invoquant les usages du commerce, et surtout en disant que ce sont les correspondants eux-mêmes qui refusent de se faire connaître. Je comprends qu'un vendeur ne fasse pas connaître ses correspondants, mais je ne comprends pas qu'un acheteur ne veuille pas se faire connaître des vendeurs; il lui importe, au contraire, d'être connu d'eux. Cela lui donne l'vantage du choix.

Il est vrai qu'on dit dans le rapport que les correspondants ne veulent pas que l'on connaisse à la Havane l'origine belge des russias qu'ils y placent. Mais je dirai d'bord que les industriels privés y envoient beaucoup de russias. On ne doit donc pas craindre, avec le correspondant A, que la réputation des toiles belges ne soit pas assez bien établie sur les marchés extérieurs, pour que l'origine de nos toiles ne puisse pas y être connue.

Et, à cet égard, j'invoquerai l'exposé des motifs. Il nous apprend que dans les commencements de cette fabrication, il a fallu se servir d'une marque étrangère pour faire passer la marchandise ; mais que plus tard on a pu prendre la marque de Belgique, que cette marque était même recherchée. S'il en est ainsi, il n'y avait aucun motif pour dissimuler l'origine belge des toiles. Je ne comprends donc pas les allégations qu'on prête au correspondant A.

Je dis cela pour justifier la chambre de commerce de Courtray, d'voir pris un ton un peu acerbe. Mais enfin puisque ces MM. d'Anvers nous ont déclaré connaître les personnes, puisque notre honorable rapporteur est allé sur les lieux pour vérifier les choses, je ne puis contester la vérité du fait; mais, je le répète, je ne le comprends pas; et j'joute qu'il n'est pas étonnant que partout ailleurs on n'it pas eu cette opinion.

Messieurs, les pétitions qui ont été adressées à la chambre sont rangées dans le rapport en deux catégories : d'bord, les pétitions contraires au projet, ensuite celles qui lui sont favorables. Les premières sont les plus nombreuses; elles sont couvertes d'un plus grand nombre de signatures; quelques-unes émanent de corps très respectables; j'voue qu'il y en a de pareilles en faveur du projet. Mais la plupart de ces dernières pétitions, à l'exception de celle de la chambre de commerce d'Anvers, demandent une chose que les pétitionnaires peuvent à peine connaître.

Les directeurs d'teliers, par exemple, demandent qu'on alloue deux millions pour les russias. Peuvent-ils juger de la somme nécessaire pour faire marcher les ateliers dont ils ne connaissent pas le nombre? Peuvent-ils apprécier la question dans son ensemble? Ces pétitions n'ont donc pas une grande valeur à ce point de vue. Quelques-uns de ces pétitionnaires m'ont dit qu'ils ne tiennent pas au chiffre pourvu que leur atelier continue à marcher. Ils ne tiennent pas au chiffre, mais le chiffre c'est toute la question !

Que la chambre me permette d'invoquer aussi l'opinion publique. L'opinion publique, manifestée par ses organes naturels, par les journaux, nous est favorable. Les journaux qui se sont occupés de la question se déclarent pour nous, dans la proportion de trois sur quatre.

La grande question est celle de la concurrence, comme je l'i dit tout à l'heure. La concurrence, faite par l'établissement de Saint-Bernard, se fait sentir principalement sur les marchés étrangers; elle résulte surtout de ce que l'dministration de Saint-Bernard n' aucun risque à courir : elle marche avec les fonds du gouvernement. Une telle administration peut se lancer dans la fabrication et faire une immense concurrence aux industriels libres.

J'jouterai une observation qui répond à des objections qui ont été faites plusieurs fois : c'est que les ateliers favorisés par le gouvernement et dirigés par l'dministration de Saint-Bernard mettent celle-ci à même de faire une grande concurrence aux fabricants.

On a dit que si les fabricants particuliers payent un salaire plus élevé que celui qui est accordé par l'dministration de Saint-Bernard, ils doivent attirera eux tous les tisserands, et que par conséquent la concurrence n'est plus à craindre.

Mais c'est une erreur, car il faut savoir comment l'dministration de Saint-Bernard a organisé sa fabrication ; elle marche, appuyée par le gouvernement, ayant partout à sa disposition les ateliers et les métiers fournis par le gouvernement. Et remarquez que la plupart des ouvriers, attachés à ces ateliers, n'ont pas d'outil chez eux, et dès lors sont forcés de continuer à y travailler; les ouvriers ne peuvent pas échapper à l'dministration de Saint-Bernard, quel que soit le salaire qu'on leur donne. La concurrence est donc flagrante.

J'jouterai qu'il y a, de la part de l'dministration de Saint-Bernard et de la part de quelques fonctionnaires de l'Etat, une tendance à favoriser la fabrication par l'Etat, au détriment des particuliers.

Je sais qu'il y a du désintéressement chez plusieurs personnes qui prennent part à la fabrication de St-Bernard : mais dans cette administration répandue sur plusieurs points du territoire, il y a d'utres personnes qui sont portées, soit par intérêt, soit par amour-propre, à continuer l'œuvre commencée, et c'est là, pour le dire en passant, c'est là un des grands embarras qu'on se crée, dans toute fabrication gouvernementale ; on organise une armée de fonctionnaires industriels, et l'on ne peut plus s'en débarrasser quand on veut.

Voilà la tendance que je remarque dans cette administration prise dans sa généralité, car je ne voudrais pas laisser planer de soupçon sur personne en particulier.

Je crains une concurrence d'utant plus grande en ce que tous ceux qui appartiennent à cette administration font de grands efforts pour tenir les ateliers et les métiers perfectionnés concentrés entre les mains de la commission de Saint-Bernard.

Cette commission fait une autre concurrence à l'industrie privée par l'chat du fil, qui est très rare. Un fabricant qui a monté des tissages dans trois ou quatre endroits des Flandres, a écrit aux bourgmestres qu'il lui était impossible de se mettre à l'œuvre faute de fil.

Est-ce dans un pareil moment qu'une administration du gouvernement peut enlever une masse de fil à la fabrication privée? Ajoutez à cela que la concurrence augmente en ce que St-Bernard n' pas de charges à supporter quant au loyer, quant aux contributions et à la patente. Elle n' pas à payer l'intérêt de son capital; et pour tout dire en un mot, quand elle perd tout, elle ne perd rien.

Voici encore une objection qu'on nous a présentée comme étant assez grave : l'dministration de Saint-Bernard a pris des engagements, il faut qu'elle les remplisse.

Eh bien, j'oserai dire que c'est peut-être une raison pour faire tout le contraire de ce qu'elle nous demande, pour ne pas accorder le crédit qu'elle sollicite, car en prenant des engagements pour l'venir, elle s'est écartée de la ligne qu'elle devait suivre. Cela justifie ce que je viens de dire, qu'une administration de cette nature s'rrête difficilement. Si elle a déjà pris des engagements sur des crédits futurs, en lui accordant ces crédits, vous la rendrez plus forte pour en contracter dans l'venir, et elle viendra vous demander l'nnée prochaine, non pas 2 millions, mais 3 ou 4 millions.

Je dis que l'dministration de Saint-Bernard peut remplir ses engagements en s'dressant à l'industrie privée, soit au moyen de l'djudication, soit par une autre voie.

Permettez-moi de citer quelques paroles que j'i trouvées dans le rapport. On y dit que la commission de Saint-Bernard ne fera pas difficulté de faire connaître à ses correspondants les fabricants qui voudront s'dresser à elle. Qu'elle fasse donc un appel aux fabricants, qu'elle fasse connaître ensuite leurs noms à ses correspondants, en ayant la complaisance de dire que ces fabricants se tirent bien d'ffaire, qu'ils ont déjà expédié plus de russias qu'elle-même dans les pays transatlantiques cl qu'ils sont en état de remplir les engagements qu'elle avait contractés un peu en dehors des règles tracées; en agissant ainsi avec franchise et loyauté, les choses pourront s'rranger sans difficulté. Il suffit d'gir avec bonne foi.

Je me résume. Je demande pardon à la chambre de l'voir entretenue aussi longtemps. Mais il m'était impossible de ne pas rencontrer les arguments présentés hier dans le cours de la discussion, et je devais parcourir aussi les documents que nous avions sous les yeux pour faire connaître mon opinion et les motifs sur lesquels je l'ppuie.

Je dis donc que, dans mon opinion, l'industrie privée peut suffire sauf les essais à faire en prison pour des fabricats nouveaux.

Bien que j'dmette le travail dans la prison d'une manière absolue, je désire qu'on s'y applique à des essais nouveaux, encore une fois, pour faire le moins de concurrence possible à l'industrie privée.

Je ne puis accepter le crédit tel qu'il est formulé, et comme je l'i dit hier, je dois le limiter, parce que les circonstances étant plus favorables que l'nnée dernière, il n'y a pas de motif pour l'ugmenter ; il y en aurait au contraire pour le diminuer.

J'ccorderai, outre les fonds nécessaires pour continuer le travail dans les prisons, un crédit pour le continuer également pendant quelque temps dans les ateliers qui marchent pour le compte du gouvernement, jusqu'à ce qu'ils aient pu être remis à des industriels privés.

Quant à la quotité, j'urai l'honneur de présenter un amendement avec quelques honorables collègues quand nous serons arrivés à la discussion des articles. Toutefois je ne pense pas qu'il doive dépasser 800,000 fr., c'est-à dire la somme allouée l'nnée dernière.

Une dernière considération sur laquelle je dois, en terminant, appeler l'ttention de la chambre.

Il est un fait incontestable, c'est que si vous continuez jusqu'à concurrence de deux millions la fabrication par le gouvernement, vous allez jeter le découragement dans l'industrie privée. C'est là un grand mal, c'est un danger réel que vous attireriez sur le pays, et, en particulier sur les Flandres, au moment où elles sortaient d'une longue léthargie, dans laquelle les avaient plongées des circonstances qu'ucune force humaine ne pourrait maîtriser, au moment où elles s'pprêtent à se lancer dans les industries nouvelles, dont le gouvernement, je le reconnais, leur a préparé, en partie, la voie, mais où elles (page 928) doivent marcher par les efforts combinés du génie industriel et du capital libre. N'étouffez pas le génie, n'effrayez pas le capital.

Ne perdez pas de vue que l'Industrie est fille de la Liberté.

M. Cumont. - Je ne veux pas entrer dans do grands développements pour justifier le bien que la commission de Saint-Bernard a opéré; tout le monde est d'ccord à ce sujet. Mais la question qui nous divise est celle de savoir si la marche suivie jusqu'à présent doit être continuée, oui ou non.

Les adversaires du projet qui nous est présenté conviennent que si l'on refusait le crédit demandé, on arrêterait la fabrication, et que ce serait un mal.

Nous sommes parfaitement d'ccord là-dessus; nous sommes donc fort près de nous entendre, car nous ne différons d'opinion que pour une somme assez minime. Le gouvernement ne demande point deux millions, mais seulement 1,500,000 fr., l'honorable M. de Haerne est d'vis d'llouer 800,000 fr.; la différence se réduit donc à 700,000 fr. Les engagements pris ont donné l'impulsion à l'industrie; doit-on arrêter l'élan qu'elle a reçu pour une somme aussi minime? Voilà toute la question, selon nous.

Le point important sur lequel on s'ppuie pour refuser le crédit demandé, c'est la concurrence que Saint-Bernard vient faire à l'industrie privée. Cette concurrence, je la cherche et ne la trouve pas.

La chambre de commerce de Courtray nous annonce que 400,000 ouvriers liniers travaillent dans nos deux Flandres. Combien d'ouvriers la société de Saint-Bernard emploie-t-elle sur ces 400,000? Douze cents. 1,200 sur 400,000. Le calcul n'est pas difficile, cela fait trois par mille. Il reste donc à l'industrie privée 907 ouvriers sur 1,000. Les autres 3 ouvriers que Saint-Bernard emploie gagnent, d'près ce que nous a dit hier l'honorable M. Rodenbach, un malheureux salaire de 75 centimes. D'utres disent que ce salaire peut aller jusqu'à 1 franc. Que l'industrie privée donne seulement aux tisserands 10 centimes de plus par jour et toute concurrence disparaît.

Voilà donc le débat arrêté.

C'est le principal grief que l'on ait formulé contre l'établissement de Saint-Bernard. Je vous disais tout à l'heure que je cherchais la concurrence et que je ne la trouvais pas. Je pense que vous serez d'ccord sur ce point avec moi; car quand sur 1,000 ouvriers tisserands on n'en enlève que 3 à l'industrie privée, on peut dire que la concurrence est nulle.

Je conclus à ce que le gouvernement maintienne la commission de Saint-Bernard dans la voie qu'elle a suivie avec tant de succès et de bonheur jusqu'à ce jour.

Ce n'est pas que je trouve qu'il n'y ait absolument rien à dire de la manière dont on opère. J'ppelle l'ttention de M. le ministre sur ce point que la commission ne suit pas l'impulsion gouvernementale, et ne fait pas connaître les correspondants avec lesquels elle traite.

Pour éviter toutes les réclamations de l'industrie privée, on doit lui faire connaître toutes les relations que la commission de Saint-Bernard, par son intelligence et par sa bonne fabrication, est parvenue à se procurer.

Ainsi vous éviterez des réclamations qui me paraissent assez fondées.

Quant aux 1,500,000 fr. (car il ne s'git pas de 2 millions, puisque 500,000 fr. sont employés) je les voterai, en raison des engagements qui ont été pris, et du bien qui peut en résulter, tout en engageant le gouvernement à restreindre ce chiffre pour concentrer autant que possible la fabrication dans les maisons de détention. Un des grands biens que la commission de St-Bernard a opérés et sur lequel on n' pas assez appuyé, c'est qu'on a opéré la transformation de notre fabrication, qui avait perdu les débouchés qu'elle avait, parce que notre fabrication avait dégénéré.

En régénérant cette fabrication, en créant des relations que n'vait pas notre industrie, la commission de Saint-Bernard a opté en faveur de l’industrie linière un bienfait dont nous devons lui tenir compte, bienfait que l'industrie privée était impuissante à lui procurer, que nous pourrions attendre longtemps encore, tandis que nous avons à nous féliciter du bien que la commission a opéré aujourd'hui.

Un autre bienfait que la commission de St-Bernard a opéré c'est qu'elle a détruit le préjugé que nous étions dans un degré d'infériorité pour notre production, relativement aux autres pays. La vente de nos produits en concurrence avec les produits anglais nous prouve que, pour tout ce qui est industrie linière, nous pouvons rivaliser avec toutes les puissances du monde.

Cette conviction, je l'vais depuis longtemps.

Le seul motif qui empêchait le développement de notre production, c’est que nous n'vions pas de relations. La commission de Saint-Bernard nous en a procuré quelques-unes. Mais nous devons réclamer du gouvernement qu'il nous aide à créer d'utres relations.

Ce qui ne peut s'opérer efficacement qu'u moyen d'une grande société d'exportation.

J' examiné quel était le chiffre des ventes que nous faisons à l'étranger.

Voici ce que j'i trouvé :

En 1846 nous avons exporté en produits liniers pour 391,921 francs, en 1847 pour 246,504 fr., en 1848 pour 397,301 francs, et en 1849, par suite de l'élan donné par la commission de Saint-Bernard, il a été exporté par l'industrie privée pour 857,132 francs, et par Saint-Bernard 471,693, environ quatre fois plus que nous ne faisions précédemment.

Ce n'est là qu'une faible fraction de ce que nous pourrions faire si nous avions des relations dans les pays ou la vente de nos produits est facile.

La France, qui est dans des conditions de production bien inférieures aux nôtres, a exporté, en 1849, pour près de 40 millions.

Et nous, qui sommes dans des conditions supérieures à celles même où se trouve l'Angleterre, nous n'vons exporté qu'un million, c'est-à-dire la 140ème partie de ce que font les autres pays.

Ce n'est pas à l'infériorité de nos produits, c'est au manque de relations qu'il faut s'en prendre.

Je prie donc le gouvernement de prendre ces faits en considération et d'viser à nous doter d'une société d'exportation bien organisée comme le seul moyen de venir en aide d'une manière efficace à toutes nos industries.

Tout le monde connaît la perspicacité et la rectitude de jugement avec lesquelles le Roi sait discerner la direction convenable qu'il importe de donner pour le bien du pays, non seulement à la politique gouvernementale, encore à nos intérêts matériels.

Pendant deux ans, le discours du trône nous a promis une société d'exportation. Nous sommes encore à l'ttendre! Il est profondément regrettable que MM. les ministres s'obstinent à ne pas tenir cette promesse. Car c'est, je le répète, le seul moyen efficace de venir en aide à l'industrie. Ce qui le prouve, c'est que la commission de Saint-Bernard, quand elle est entrée dans cette voie, a quadruplé nos exportations.

Si nous avions une société d'exportation bien organisée (ce qui est plus facile que le gouvernement ne se l'imagine), et en supposant que nous n'exportions que le quart de ces 140 millions qu'exportent l'Angleterre et la France, il n'y a là aucune exagération , toute la misère des Flandres disparaîtrait alors.

Pourquoi n'vons-nous pas de relations établies? Parce que nous n'vions pas de confiance dans notre propre production. Mais aujourd'hui l'opération de Saint-Bernard prouve que nos produits sont aussi bons et à aussi bon marché que ceux des anglais.

On nous dit : le capital nous manque. Mais quand je considère toutes les sommes allouées pour favoriser l'industrie, je ne puis admettre cette assertion; je vois en effet qu'u budget des affaires étrangères, chapitre 3, 4, 5, 6, 7 et 8, il est alloué pour l'industrie une somme de 324,900 fr. Au ministère de l'intérieur on a alloué l'n dernier 2,000,000 fr. Plus au chapitre 13 pour encouragements à l'industrie linière et autres 231,300 fr.

Viennent aujourd'hui les 2 millions qu'on nous demande pour Saint-Bernard ; cela fait une somme de 4,556,200 fr. Pour peu qu'on ait de bonne volonté et qu'on veuille encore allouer un million ou un million et demi, nous arrivons au chiffre de 6 millions, qui pourrait former la première part du gouvernement dans la société d'exportation qui incontestablement donnerait des résultats bien autrement importants que ceux que nous avons aujourd'hui. Car au moyen de ces 4,556,200 francs, mis à la disposition du gouvernement, il ne s'est opéré en définitive, pendant 1849, qu'une augmentation d'environ 1,200,000 fr. dans nos exportations.

On dit : l'industrie privée devrait participer à la formation de la société d'exportation. Pourquoi, messieurs, l'industrie privée n'-t-elle pas apporté ses capitaux dans cette société? Parce qu'on avait la malheureuse prévention que nous ne pouvions vendre nos toiles en concurrence avec les Anglais et les Français, et qu'on ne veut pas prendre part à une opération qui paraît n'offrir que des pertes. Cette prévention est aujourd'hui détruite par les résultats obtenus par Saint-Bernard. C'est encore là un de ces grands bienfaits dont nous devons tenir compte à la commission.

Messieurs, si vous voulez avoir des capitaux privés pour ajouter à votre premier capital de 6 millions, je vais avoir l'honneur d'indiquer à M. le ministre de l'intérieur un moyen de les attirer. Toutes les fois que la société d'exportation prendra chez un industriel quelconque pour une somme de 2,000 fr.de marchandises, qu'elle lui paye 1,500 fr. en numéraire et 500 fr. en actions de la société. J'dmets que ces actions perdront 10 p. c. ; il y aura donc pour le fabricant 50 fr. de perte sur une somme de 2,000 fr. Cela fera 2 1/2 p. c.de perte.

Messieurs, il n'y a pas un seul fabricant qui, dans un moment de gêne et même dans les moments ordinaires, quand il s'git de vendre à une société qui donne des garanties de payement certain, ne consente à ce sacrifice de 2 1/2 p. c. De cette manière, d'ici à un an ou deux, vous aurez un capital assez considérable pour opérer sur des sommes importantes, et qui donneront la vie et l'élan à toutes nos industries.

Messieurs, je n'entrerai pas dans de plus longs développements. Je crois que le gouvernement comprendra enfin que le seul moyen efficace pour sauver, non seulement notre industrie linière, mais encore les autres, c'est de faire en grand ce qui a été fait sur une petite échelle par la commission de Saint-Bernard.

Quant aux ateliers, ils ont certainement été établis dans de très bonnes intentions. Mais ce n'est pas la production qui manque, c'est le trop plein qui nous gêne, et ce trop plein, malheureusement, je le vois arriver dans un avenir peu éloigné.

Dans un an, dans dix-huit mois peut-être, vous allez arriver de nouveau à un trop plein.

Vos ateliers d'pprentissage auront contribué à ce trop plein. Je reconnais les bonnes intentions du gouvernement; je ne le blâme pas, nais je crois devoir lui dire qu'il se trompe dans les moyens qu'il (page 929) emploie dans le but de venir en aide à nos industries. Si à côté de vos ateliers vous n'vez pas une société d'exportation, vous arriverez au résultat diamétralement opposé à celui que vous vous proposez.

M. Boulez. - Messieurs, je crois que le gouvernement a bien mérité du pays et particulièrement de nos populeuses provinces en propageant, par les soins de l'dministration de St-Bernard, la fabrication des toiles dites russias, connues, il y a quelques années, sous le nom de blondines de Gand. Je lui adresse de ce chef des félicitations sincères.

La législature a aussi des droits à notre reconnaissance; en allouant, le 17 juin dernier, le crédit de huit cent mille francs que le gouvernement sollicitait pour cet objet, elle a contribué pour sa part à relever une industrie en souffrance ; elle a facilité l'ouverture d'un débouché considérable pour les produits l'industrie nationale, enfin, et c'est pour nous un point essentiel, elle a provoqué une certaine reprise de travail favorable aux tisserands des Flandres.

Ce travail, il est vrai, a été jusqu'ici peu rétribué, et il n' produit généralement qu'une rémunération inférieure aux premiers besoins de l'existence ; mais il a été continu. C'est un grand bienfait ; car il a chassé de la demeure de nos malheureux ouvriers l'extrême misère, c'est-à-dire le seul fléau qui puisse vaincre leur patience religieuse.

Mais aujourd'hui, que les affaires ont repris un certain essor et que les tisserands peuvent être occupés par l'industrie privée, à des conditions plus favorables, je crois qu'il est inutile de consacrer les deniers de l'Etat à l'encouragement de cette fabrication hors des prisons, car là où s'rrête le besoin, là doivent s'rrêter aussi les sacrifices du trésor public, qui est la fortune de tous.

D'un autre côté, si les opérations commerciales peuvent offrir des bénéfices, elles sont exposées à des pertes.

Dans cette éventualité, je crois inutile et même imprudent que l'Etat veuille continuer une industrie que les particuliers veulent prendre à leur charge aux mêmes conditions.

Veuillez remarquer encore, messieurs, que pour la fabrication dont il s'git on emploie des fils d'Ecosse, c'est-à-dire qu'elle nous oblige de favoriser les industries étrangères qui nous font concurrence, et cela pour donner aux tisserands d'un pays qui suffit à presque toutes les productions de ce genre, un misérable salaire de cinquante à soixante et quinze centimes par douze heures de travail.

Les tisserands qui sont obligés de se déplacer pour chercher leurs fils et rapporter leurs toiles quelquefois à trois lieues de leurs demeures pendant deux jours de travail, se trouvent ainsi dans des conditions encore plus défavorables.

Le seul avantage que je reconnaisse à cette fabrication, c'est que l'on peut y employer des apprentis, mais d'une part et même avec cette facilité de production, l'industrie privée ne peut soutenir la redoutable concurrence de l'dministration de Saint-Bernard qui, subsidiée par l'Etat, ne paye aucun intérêt des fonds qu'elle exploite, et de l'utre pourquoi imposer aux tisserands un labeur sans profit et sans avenir et au-dessous de leur capacité productrice, tandis qu'il est possible de leur en garantir un autre ?

Telles ne sont pas, sans doute, messieurs, les intentions du gouvernement, j'ime à le croire et je serais aux regrets de me tromper, car il suivrait de là que l'on voudrait faire de l'Etat un exploitant et un concurrent à l'industrie privée, lequel serait toujours sur de réussir, parce qu'il puiserait nécessairement dans la caisse de la nation.

Je ne demande pas, pour ma part, la suppression absolue du crédit alloué l'nnée dernière; je crois même qu'il est utile d'ccorder une certaine somme pour liquider les entreprises faites, pour entretenir le travail pendant cette année dans les ateliers d'pprentissage, mais je ne crois pas qu'il soit bon d'ugmenter ce crédit. Et je viens d'exposer les motifs sur lesquels repose mon opinion. Que la chambre veuille bien les examiner sérieusement et les prendre en considération.

Comme l'a fort bien dit hier l'honorable M. de Haerne, il manque dans presque toutes les localités des métiers à tisser perfectionnés pour occuper tous les bras qui, faute de ressources, ne peuvent s'en procurer; et s'il y avait moyen d'introduire à la campagne des métiers mécaniques pour filer à la main et occuper les fileuses, les Flandres reprendraient bientôt leur ancienne splendeur.

Je suis même forcé, en terminant, de mettre une condition formelle à la continuation du crédit pour une année, c'est que l'dministration de Saint-Bernard soit tenue de communiquer à l'industrie privée le secret de ses opérations et de lui donner tous les renseignements utiles ou nécessaires relativement aux débouchés qu'elle a créés, afin que les particuliers puissent aussi en profiter; cette réserve m' paru indispensable, parce que, si on ne la stipulait pas formellement dans la loi, on se lancerait dans la voie du monopole semblable à celui qui a justement soulevé la conscience publique contre l'ncien gouvernement. C'est ce que personne de nous ne saurait vouloir ni désirer. Je voterai, messieurs, dans le sens de mes explications.

M. Loos. - Le gouvernement, dit-on, messieurs, ne peut faire de l'industrie. En principe, je crois que nous sommes tous d'ccord et que personne, dans cette enceinte, ne voudrait voir le gouvernement s'établir industriel.

Messieurs, si l'intervention du gouvernement dans l'industrie n'était purement accidentelle et nécessairement temporaire, je serais certainement le premier à voter contre le crédit qui vous est demandé. Mais si le gouvernement ne peut se faire industriel, faut-il qu'il se fasse distributeur d'umônes? C'est ainsi que la question était envisagée d'bord.

Les honorables membres qui viennent combattre le crédit qui est demandé pour faire travailler les tisserands, étaient, si je me le rappelle bien, les premiers à demander des subsides au gouvernement, pour distribuer en secours aux tisserands des Flandres. Cette position, messieurs, que l'on faisait au gouvernement, était au moins aussi anormale que celle que l'on combat aujourd'hui et que, pour ma part, je combattrai aussi en principe.

Le gouvernement ne doit pas plus se faire industriel que distributeur d'umônes. C'est là aussi le langage que tenait un des organes des Flandres, un des membres de la députation de Gand, qui est venu vous dire, avec son éloquence ordinaire, que les Flandres protestaient contre la continuation de ces secours distribués en aumônes; que c'était de l’ouvrage qu'elles demandaient et qu'elles seraient heureuses de recevoir.

I Le gouvernement a répondu aux désirs des amis éclairées des Flandres en cessant de distribuer des secours et en cherchant à introduire dans ces provinces des industries nouvelles qui pussent occuper les bras. C'est dans ce sentiment aussi que le gouvernement, s'dressant aux commissions administratives des prisons, est venu leur dire qu'il désirait qu'on cessât de faire concurrence à l'industrie privée en fabriquant dans les prisons les toiles nécessaires à la consommation de l'rmée et des prisons elles-mêmes.

La commission administrative de la prison de Saint-Bernard, répondant au vœu du gouvernement, a aussitôt cherché à faire cesser cette concurrence; et, grâce à l'intervention d'un industriel éclairé qui n'entendait pas les intérêts de l'industrie de la même manière que certains industriels des Flandres et qui avait adopté la marche progressive suivie en Angleterre, la commission de Saint-Bernard est parvenue à réaliser une fabrication qui ne fit pas concurrence à l'industrie privée, qui ne fit concurrence qu'à l'industrie étrangère et sur les marchés étrangers. C'est, messieurs, contre cette fabrication que quelques honorables membres viennent protester aujourd'hui, tout en rendant hommage aux intentions et à l'ction de la commission de Saint-Bernard. Mais, dit-on, cette action doit cesser aujourd'hui, l'industrie s'est émancipée dans les Flandres et, comme ajoute mon honorable voisin, en bon père de famille, le gouvernement doit mettre aujourd'hui entre les mains de l'industrie privée ce qu'il a su créer et si bien administrer jusqu'à présent. Si ce que dit cet honorable membre est vrai, si l'industrie est réellement émancipée dans les Flandres et s'il faut lui confier désormais le sort des travailleurs, le gouvernement, en effet, aurait rempli sa mission.

Mais, messieurs, cela est-il vrai? L'industrie linière se trouve-t-elle réellement émancipée? Pour vous le prouver, on vous dit que ce n'est pas seulement la commission administrative de St-Bernard qui peut donner une direction utile à l'industrie, qui peut faire fabriquer des russias, que tout le monde fabrique des russias aujourd'hui, aussi bien et mieux, que la commission administrative de St-Bernard, et que, dès lors, il n'y a plus rien à faire pour cette administration.

Messieurs, comment l'dministration des prisons est-elle arrivée à faire fabriquer des russias, c'est-à-dire à imiter ce qu'on faisait dans d'utres contrées, pour trouver l'exportation de ces tissus? Je vous ai cité tout à l'heure, messieurs, l'intervention éclairée d'un membre de la commission de St-Bernard; mais j'jouterai tout de suite que l'opinion et l'expérience de ce membre se trouvaient sanctionnées par des écrits, des écrits qui sont passés sous nos yeux et auxquels, probablement, les industriels si éclairés des Flandres n'vaient pas prêté la moindre attention.

Le gouvernement a chargé, dans le temps, un homme très éclairé en fait d'industrie, d'examiner quels moyens on pourrait employer pour faire participer l'industrie belge à l'exportation des produits liniers qui se faisait de l'Angleterre. En 1846, M. Moxhet, consul général de Belgique à New-York, adressa donc au gouvernement un rapport, à la suite d'une exploration industrielle dans la Grande-Bretagne, où il s'était rendu en vue d'étudier la fabrication des toiles destinées aux Etats-Unis.

Ce rapport, la commission administrative de Saint-Bernard l'vait lu avec attention; elle y avait vu la conduite qu'elle avait à tenir, le mode de fabrication qu'elle avait à adopter, si elle voulait parvenir, comme l'industrie anglaise, à exporter les produits belges. Voici, messieurs, ce que je vois tout d'bord dans ce travail :

« C'est en Irlande surtout que se fabriquent les toiles destinées pour les Etats-Unis. J'i vu dans ce pays beaucoup de toiles pour cette destination. Les Etats-Unis, qui importent annuellement des toiles de lin pour une valeur de 18 à 20 millions de francs, sont le principal débouché des toiles irlandaises. Ces toiles diffèrent essentiellement des autres par la qualité qui est plus légère et par les apprêts. Je me suis convaincu, par ma tournée en Belgique, que nous ne faisons pour le moment rien de semblable ni en toiles en fil à la main, ni en toiles en fil mécanique.

« Je me suis demandé en voyant ces toiles s'il nous serait possible de leur faire concurrence avec avantage. Ce point commercialement parlant résume à lui seul toute la question si difficile, si compliquée de notre industrie linière. »

Ainsi l'honorable M. Moxhet s'était convaincu, envoyant les produits de l'industrie anglaise, qu'il était très facile à la Belgique de les imiter et de leur faire concurrence avec succès.

Plus loin, M. Moxhet cite l'importance que cette industrie avait acquise en Irlande à l'époque où il visitait ce pays :

« Dans les comtés de Down et d'Antrim, il y avait en 1841 vingt-cinq filatures de lin en activité mues par la vapeur; aujourd'hui il y en a (page 930) cinquante, la plupart à Belfast et dans les environs ; trois dans le Derry, deux en Armagh et cinq en cours d'exécution, sans compter plusieurs petites filatures à moteur hydraulique. Ces filatures à la vapeur présentent un total d'à peu près 280,000 broches filant le lin et l’étoupe. Leur capital engagé est estimé à 50 millions de francs et leur capital roulant à 15 millions. Elles emploient directement 15,000 ouvriers, etc. »

Plus loin, M. Moxhet ajoute :

« Quand on compare cette situation avec celle de l'industrie linière en Belgique, on ne peut qu'être vraiment frappé du contraste et de l'immensité des changements qui se sont opérés pendant un espace de temps aussi limité, pendant les cinq dernières années. Au moyen du fil mécanique l'industrie linière a pris partout un vaste développement ; en France, en Irlande, dans toutes les fractions du Royaume-Uni ; la production irlandaise nommément a plus que doublé, ses produits s'expédient sur tous les marchés du monde, tandis que les nôtres voient diminuer chaque année leurs débouchés, malgré tous les efforts faits par le gouvernement pour les conserver et les agrandir. Dans deux ou trois années, alors que les nouvelles filatures projetées en France seront en activité, nos exportations, je le crains, deviendront tout à fait nulles. Il est bien difficile, en présence de ces faits, d'ttendre de bons résultats des efforts que l'on fait pour maintenir sur une grande échelle le filage à la main.

« Et cependant aucun pays n'est, je ne dirai pas mieux, mais aussi bien situé que la Belgique pour la fabrication linière. Il n'y a pas si longtemps que nos toiles, les toiles des Flandres, jouissaient d'une réputation universelle et étaient préférées sur tous les marchés. Le sol produit la matière première en quantité surabondante et de la meilleure qualité. Notre culture du lin fait l'dmiration de tous les étrangers et des Irlandais principalement.»

Je pourrais, messieurs, citer à peu près tout le rapport de l'honorable M. Moxhet; il est plein d'enseignements utiles qu'il donne à l'industrie. Eh bien, ces enseignements, dont la commission administrative de Saint-Bernard a profité pour réaliser ce que vous connaissez aujourd'hui, ces enseignements semblent avoir passé complètement inaperçus dans les Flandres; personne n'y a trouvé les indications dont la commission administrative des prisons a profité. Il semble réellement que tout ce qu'on dit à l'industrie linière, tous les conseils qu'on lui donne, ne sont bons à être suivis que pour autant qu'ils soient donnés par des personnes appartenant aux Flandres.

Cependant la commission administrative de Saint-Bernard n' fait autre chose que suivre les enseignements donnés par M. Moxhet, qui a vu les pays étrangers et les centres de fabrication.

Je me permettrai, messieurs, de citer encore un court passage de ce rapport :

« Il y a une remarque importante à faire, c'est que, à part les circonstances du moment, les filatures irlandaises vendent leurs fils à des prix plus bas que les filatures belges n'ont vendu les leurs jusqu'à présent. Or pour la consommation intérieure ou pour notre exportation pour la France où nous avons un traitement différentiel, on conçoit que cela puisse se faire jusqu'à un certain point et pour quelques mois encore; mais si nous voulons porter notre exploitation vers d'utres pays, en concurrence avec nos rivaux à conditions égales (comme je suis convaincu que cela est absolument nécessaire), il faudrait d'bord que nos filateurs livrassent leurs fils aux fabricants au même prix que les filateurs étrangers. »

Eh bien, messieurs, voilà toute l'énigme de ce qu' fait la commission administrative de St-Bernard. Elle a vu, en effet, que les fils, tels qu'on les produisait en Belgique, étaient à un prix trop élevé pour permettre à l'industrie linière de concourir avec l'industrie rivale tant de l'Angleterre que de la Russie. Elle a demandé au gouvernement la faculté d'employer les fils anglais, à charge d'exportation des tissus fabriqués avec ces fils, vers les marchés d'outre-mer. Le gouvernement ayant souscrit à cette condition, la fabrication des russias a commencé à l'établissement de St-Bernard.

Comment se fait-il qu'une commission composée, comme on l' dit, d'vocats et de rentiers, dans laquelle, en un mot, ne siégeait qu'un seul industriel, ait découvert, dans les enseignements qui lui étaient donnés, le moyen de faire fabriquer pour l'exportation? Comment se fait-il qu'ucun des fabricants pétitionnaires des Flandres, dont l'honorable M. de Haerne nous a fait un si brillant éloge, n'it profité du même enseignement? Comment aucun industriel n'est-il venu dire au gouvernement :

« Voilà où git le mal : le prix de la matière première est trop élevé ; permettez-moi d'importer librement le fil, et nous ferons concurrence à l'Angleterre sur les marchés d'outre-mer. »

Aucun industriel, que je sache, n'est venu tenir ce langage au gouvernement; le gouvernement n' été sollicité, pour l'introduction du fil anglais, que par la commission de Saint-Bernard.

Messieurs, après avoir fait l'éloge de l'ction de la commission de Saint-Bernard, l'honorable M. de Haerne lui a contesté l'initiative de cette fabrication; il a dit : « Si la fabrication des russias s'est propagée dans le pays, il ne faut pas croire que ce résultat soit dû à la seule action de la commission de Saint-Bernard; il est dû à l'introduction du fil anglais. »

Soit! Mais qui donc, je le répète, a eu le premier l'idée d'importer dans le pays du fil anglais, si ce n'est la commission de Saint-Bernard? Pourquoi les pétitionnaires des Flandres n'ont-ils pas compris que là se trouvait le moyen de mettre un terme au paupérisme des Flandres, paupérisme dont les députés de ces deux provinces nous ont offert si souvent le plus triste, le pins sombre tableau?

On dit que l'intervention du gouvernement dans l'industrie devrait cesser aujourd'hui, c'est-à-dire que les Flandres sont sauvées, qu'il n'existe plus de tisserands sans ouvrage; on a même dit que les bras manquaient.

Mais il y a ici une singulière contradiction! Car en même temps qu'on déclarait que les bras manquaient dans les Flandres, on avouait que les tisserands émigraient vers la France. Je ne puis concilier dans mon esprit ces deux opinions. (Interruption.)

On me dit que c'est parce qu'on donne à l'ouvrier une prime pour partir; mais la meilleure prime qu'on puisse lui donner pour rester, c'est un salaire égal à celui qu'il reçoit en France, égal à celui que donne la commission de Saint-Bernard qui ne voit point émigrer les ouvriers qu'elle emploie dans les Flandres.

Et puisque je parle de salaires, j'jouterai que si on avait constamment donné aux malheureux tisserands un salaire égal à celui que paye la commission de Saint-Bernard, et surtout si on s'était tenu à le payer de la même manière, c'est-à-dire en argent, vos tisserands ne se seraient pas trouvés dans une misère aussi grande à certaine époque, et aujourd'hui ils n'éloigneraient pas vers la France.

La chambre ignore peut-être comment l'industrie se pratiquait sur certains points des Flandres quand la commission de Saint-Bernard a commencé ses opérations. Les salaires y étaient de 30 à 50 centimes, et quand la commission administrative de Saint-Bernard est allée porter son premier travail dans les Flandres, elle a été reçue comme une providence.

Le prix d'un franc était devenu fabuleux dans la plupart des districts. Le salaire, en grande partie, se payait en nature, en pain, en huile ,en vêtements, et jamais intégralement en argent. Au bout de huit jours de travail, le tisserand recevait quelquefois un franc comme appoint en numéraire à son salaire de toute la semaine.

Il est une circonstance qui vous prouvera à quel point ce payement était usuraire et l'est encore dans certains arrondissements du pays; c'est que des ouvriers à qui il était fait des payements en nature, ont demandé que le pain n'y fût plus compris, attendu qu'il était trop mauvais; on y a consenti, à la condition que l'ouvrier payerait à celui qui l'employait le bénéfice que ce dernier avait sur la fabrication du pain.

Je vous demande, messieurs, où une pareille organisation devait finir par conduire les ouvriers !

Eh bien, on se plaint, non de la concurrence que la commission de Saint-Bernard est venue faire, mais de sa manière d'opérer ; elle a déraciné cet abus; c'est là ce qui provoque les clameurs dans certains districts des Flandres.

Messieurs, vous pouvez en être convaincus, en examinant les pétitions qui ont été adressées à la chambre contre le projet. Ces pétitions émanent de la chambre de commerce de Courtray, ainsi que d'industriels de certaines localités; mais aucune administration communale n' réclamé contre le projet de loi ; toutes les pétitions que des conseils communaux nous ont adressées, demandent avec instance que la fabrication, entreprise par le gouvernement, soit continuée.

Les administrations communales qui ont à secourir les ouvriers, quand ils tombent dans la misère, n'ont pas les mêmes vues que le fabricant qui proteste contre le projet; celles-là défendent l'intérêt de l'ouvrier, et le défendent quelquefois contre le fabricant.

Il eût été à désirer sans doute que l'intervention du gouvernement eût pu venir à cesser; nous aurions voulu voir s'établir dans les Flandres de grandes associations, seules capables de remplacer l'établissement de Saint-Bernard ; mais rien de semblable n'existe jusqu'à présent. Il y a dans les Flandres quelques entrepreneurs d'industrie, employant généralement des ouvriers pour la consommation intérieure. Voilà ce qui existe pour l'industrie linière proprement dite, et puis l'ouvrier travaillant pour son compte et livrant au marché, aucun grand établissement complet, de blanchisserie et d'pprêt.

Je dois reconnaître cependant que dans quelques districts des Flandres, et notamment dans l'rrondissement de Courtray, il y a des fabricants qui agissent à l'égard de leurs ouvriers d'une autre manière que les entrepreneurs d'industrie dont j'i parlé tout à l'heure. Il s'est introduit dans les Flandres d'utres industries que l'industrie linière. Dans certaines parties, les industriels ont fait des progrès, ils ont adopté des industries qui s'exerçaient dans leur voisinage, et ils ont parfaitement réussi dans cette fabrication.

Pour ceux-là, j'en conviens, l'intervention du gouvernement est tout à fait inutile; elle serait même dangereuse; parce que pour ceux-là il n'y a rien à faire ; mais pour l'industrie linière, je dirai que l'intervention des entrepreneurs n' pas toujours été bienfaisante pour les ouvriers. J'jouterai que pour déraciner la coutume malheureuse dont j'i déjà parlé, la commission a été puissamment secondée par quelques hommes généreux, par quelques ecclésiastiques qui comprenaient que leur mission est de venir en aide aux malheureux, de protéger le faible contre le fort.

Tous les bras sont-ils maintenant occupés dans les Flandres, et l'ction du gouvernement doit-elle cesser?

J'i été appelé à la section centrale, j'i soumis le tableau des demandes de travail adressées à la commission de Saint-Bernard; ce ne sont pas des particuliers, ce sont des administrations communales qui réclament (page 931) l'intervention de la commission pour donner de l'ouvrage, ici à 200, là à 300 tisserands.

Si les assertions que nous avons entendues hier et aujourd'hui étaient vraies, que les bras manquent, que l'industrie privée donne un franc de plus par pièce que la commission de Saint-Bernard, je ne comprendrais pas qu'un si grand nombre d'ouvriers soient sans ouvrage et vinssent s'dresser à la commission. Si l'industrie privée donnait un franc de plus que la commission, ces administrations communales ne s'dresseraient pas à la commission. Un pareil fait est inexplicable, je préfère croire qu'il n'existe pas.

Messieurs, si l'industrie linière était réellement dans la position qu'on accuse, on ne se serait pas borné à copier tout simplement la fabrication qui se fait à Saint-Bernard.

La commission a si bien compris que la fabrication qui se fait pour le compte de l'Etat devait être temporaire que, dans une circonstance récente, en vue d'introduire, dans l'industrie, une fabrication nouvelle, elle a exposé aux regards des industriels des Flandres, à l'exposition de Gand, des produits nouveaux propres à l'exportation. Pourquoi la commission de Saint-Bernard a-t-elle envoyé ces fabricats à l'exposition de Gand?

Parce qu'elle espérait qu'yant sous les yeux des produits d'une fabrication qu'on garantissait propre à l'exportation, les industriels flamands s'empresseraient de s'en emparer sans attendre que la commission de St-Bernard s'en occupât.

Jusqu'à présent que je sache cette exposition de produits exportables n' pas déterminé l'industrie privée à faire le moindre essai ; et cependant les produits dont on avait eu soin d'indiquer les prix, ayant été remarqués par les étrangers, ont valu de nombreuses commandes à la commission de Saint-Bernard.

Les industriels se sont bornés à faire des russias, ce qui se fabriquait depuis un an et plus à Saint-Bernard pour compte du gouvernement. Pourquoi ne suivait-on pas les avis donnés par des hommes compétents? J'i vu dans le Moniteur un rapport fait par le consul belge à la Havane, il indiquait les toiles d'une défaite facile sur ce marché, citait les noms, indiquait comment on devait fabriquer; toutes les indications données se trouvaient déjà réalisées par la commission administrative de Saint-Bernard; diverses pièces avaient été fabriquées à Saint-Bernard, et il avait été démontré qu'on pouvait avec avantage les placer sur les marchés étrangers concurremment avec les produits anglais.

Pourquoi, au lieu de fabriquer exclusivement des russias, l'industrie privée ne s'est-elle pas emparée de l'industrie qu'on lui présentait et dont la commission de St-Bernard consentait à ne pas s'occuper ?

En fait d'industrie linière, les choses ne sont donc pas aussi avancées qu'on veut bien le dire. Ce dont on se plaint, ce n'est pas de la concurrence faite à l'industrie privée, c'est de l'extirpation des abus ou du moins de la guerre qu'est venue leur faire la commission de St-Bernard, car je ne puis pas admettre comme sérieuse la concurrence dont on se plaint et qui serait faite par les produits de St-Bernard aux produits de l'industrie privée sur les marchés étrangers.

On l' déjà dit : le marché de la Havane reçoit pour 13 millions de produits liniers. Nous y avons paru pour un million à peu près. Le marché des Etats-Unis, d'près M. Moxhet, en reçoit pour 20 millions; la Belgique y paraît pour 12,000 fr. Au Mexique, au Chili, au Pérou, dans toute l'Amérique méridionale l'industrie belge ne paraît pas encore, et vous vous plaignez de la concurrence que vous fait la commission de Saint-Bernard en faisant fabriquer pour deux millions de produits qui doivent lutter avec l'industrie anglaise qui en exporte pour 70 millions! Cette fabrication de 2 millions vous ferait concurrence au lieu de la faire à l'étranger. L'exagération de ce thème en est la meilleure réfutation.

Vous comprendrez sans peine que la commission de Saint-Bernard, si elle fait concurrence, c'est aux produits anglais, russes ou allemands et non à l'industrie privée du pays qui paraît à peine sur les marchés transatlantiques.

Messieurs, d'près l'honorable M. de Perceval, la concurrence est redoutable; mais après lui l'honorable M. Rodenbach, défendant la même cause, a prétendu que l'ction de la commission de Saint-Bernard était insignifiante.

Je crois qu'il y a exagération de part et d'utre, et que l'ction de la commission de Saint-Bernard n' pas été insignifiante; j'i dit sous quel rapport elle a été bienfaisante.

L'honorable M. de Perceval accuse la commission de Saint-Bernard de faire beaucoup trop; l'honorable M. Rodenbach l'ccuse de faire beaucoup trop peu.

M. Rodenbach. - 55 mille francs pour la main-d'œuvre aux ouvriers. Voilà tout!

M. Loos. - Du reste, l'honorable M. de Perceval reconnaît que ce concours n' pas été onéreux pour tout le monde, notamment pour l'ouvrier pour qui il a élevé le prix de la main-d'œuvre.

L'honorable membre ajoute en ce moment qu'il reconnaît que cette concurrence a été utile à l'ouvrier, mais qu'elle doit cesser aujourd'hui.

Je me demande comment l'honorable membre justifie la cessation de l'intervention du gouvernement pour améliorer le sort de l'ouvrier. Trouve-t-il par hasard que le salaire de 75 c. par jour soit trop élevé?

Ceci me rappelle qu'à l'époque où la commission de Saint-Bernard commençait la fabrication dans les Flandres, ce que tout le monde critiquait, ainsi que beaucoup de membres de cette chambre, c'était le salaire modique qu'on accordait.

Faisant partie de la commission administrative des prisons, je me rappelle l'insistance du gouvernement (qui cédait aux sollicitations des membres de la chambre) pour faire augmenter le salaire de l'ouvrier. La commission a toujours dit qu'il fallait maintenir les salaires au taux modique où ils étaient, parce que les élever ce serait faire concurrence à l'industrie privée.

Le salaire est resté ce qu'il était en commençant; on ne l' augmenté que pour couvrir certains frais d'ppropriation pour le tissage. Depuis lors, il est resté ce qu'il était, c'est-à-dire qu'un tisserand peut gagner 75 centimes, 1 franc; le plus habile 1 franc 10 centimes. Je ne crois pas que ce salaire soit exagéré. Je ne crois pas non plus qu'il faille l'ugmenter. Mais je crois qu'il faut maintenir ce qui est, et que l'ction bienfaisante de la commission de St-Bernard continuera à se faire sentir, que l'ouvrier aura à se féliciter de cette concurrence, parce qu'elle maintiendra le payement en numéraire, et qu'elle lui évitera les chicanes qui accueillaient toujours la fourniture de ses toiles aux entrepreneurs d'industrie.

Si au lieu d’insister auprès du gouvernement et de la chambre pour faire cesser l'ction de la commission de Saint-Bernard, les industriels des Flandres demandaient au gouvernement ce que la commission a demandé, c'est-à-dire l'introduction des matières premières à des conditions plus favorables, ou la possibilité de les introduire, à charge d'exporter les tissus, je comprendrais que l'on veut sérieusement faire prospérer l'industrie des Flandres. C'est là pour moi qu'est son salut. Ce qu'on a éprouvé pour les russias, on l'éprouvera pour tous les autres tissus : il faut permettre à l'industrie de se procurer les matières premières au meilleur marché possible, si vous voulez qu'elle puisse concourir avec l'industrie étrangère.

Je crois donc qu'on a entouré de beaucoup trop de formalités, de formalités presque inexécutables l'introduction des fils étrangers.

Je crois que l'ction du gouvernement serait entièrement inutile si l'on dispensait le fabricant des formalités qui entourent l'introduction de fils anglais. C'est alors que je crois que les bras pourraient manquer au bout d'un certain temps. Vous reconnaîtriez alors que notre industrie peut lutter avec avantage (le prix de la main-d'œuvre étant fort peu élevé) contre l'industrie de l'Angleterre, contre l'industrie allemande et russe.

Cette condition me semble tout à fait nécessaire ; son absence rendrait impossible la prospérité de l'industrie.

Quelques personnes dans cette chambre et au-dehors pensent que le crédit de 2 millions qui est demandé comme une avance, devant rentrer, dans le courant de l'nnée, dans les caisses de l'Etat est réellement un subside qu'on réclame en faveur de l'industrie. Je vous assure que je ne croyais pas qu'une semblable opinion put exister. Mais on m' assuré que cette opinion avait trouvé quelque créance dans cette chambre.

Je suis bien aise de trouver l'occasion de relever cette erreur.

Les 800,000 fr. que vous avez votés l'nnée dernière sont rentrés, la même année, dans la caisse du gouvernement. Ces 2 millions que vous voterez aujourd'hui rentreront, avant la fin de l'nnée, dans la caisse de l'Etat. C'est une avance à gros intérêt, puisqu'elle lui rentre avec un bénéfice de 10 à 12 p. c.

Tout en se plaignant de la concurrence de la commission de Saint-Bernard, j'i entendu tout à l'heure l'honorable M. de Haerne nous dire qu'il y avait des fabricants qui ont reçu des commandes de 500,000 fr., à la condition qu'elle ne serait pas exécutée dans la prison de Saint-Bernard.

L'honorable rapporteur de la section centrale vous a dit qu'il avait vu des commandes faites à la commission de Saint-Bernard, mais à la condition que ce serait elle qui l'exécuterait, et surtout à la condition qu'on ne ferait pas connaître les noms de ceux qui lui feraient la commande.

Ainsi indépendamment de tous les bienfaits que la commission de Saint-Bernard a répandus sur l'industrie linière, elle a encore produit ce bon résultat de procurer des commandes aussi considérables, d'en procurer dans les Flandres, à la condition de les faire exécuter par l'industrie privée. Il y avantage pour tout le monde. Personne ne peut se plaindre si ce n'est les fabricants étrangers.

Un autre fabricant, d'près ce qu' dit l'honorable M. de Haerne, emploie deux mille personnes à la fabrication au moyen de fil fait à la main des russias. C'est une conquête que nous devons à la commission de Saint-Bernard, puisqu'en définitive, sans son intervention, on n'urait besoin ni de fil à la mécanique, ni de fil à la main pour la fabrication des russias. C'est donc la fabrication des russias qui donne de l'ouvrage à ces 2 mille ouvriers : tisserands et fileurs.

Mais, dit l'honorable membre, si la commission de Saint-Bernard, au lieu de fabriquer se chargeait seulement d'exporter, nous aurions en réalité une société d'exportation. Cette société d'exportation doit en définitive guérir tous les maux de l'industrie. Je crois qu'il n'en serait rien, et que les industriels eux-mêmes aurait soin de faire jouer fort peu de temps la commission de Saint Bernard le rôle de la société d'exportation.

Aujourd'hui, et malgré tous les soins de la commission de St-Bernard, l'honorable M. de Haerne vous l' dit tantôt, il existe beaucoup de rebuts, c'est-à-dire beaucoup de pièces mal fabriquées. Que serait-ce, messieurs, si la commission devait borner son rôle à recevoir les produits qui lui seraient fournis par les Flandres, pour les expédier à ses risques et périls? Si c'est ainsi qu'on entend la formation d'une société d'exportation, (page 932) je prédis qu'elle n'existera pas un an et qu'elle aura absorbé le capital qu'on voudra bien lui confier.

Messieurs, on insiste beaucoup pour la formation d'une société d'exportation; mais je pense que les industriels se font illusion. Ils croient que dès l'existence de cette compagnie ils n'uront plus à s'occuper de l'exportation ni du placement de leurs produits ; que les produits, tels qu'ils les font aujourd'hui, seront exportés par cette compagnie. Mais, messieurs, cette compagnie, si elle venait à exister, devrait vous tenir le même langage que vous tient l'étranger, que vous tient en un mot le commerce d'Anvers qui vous dit; faites des toiles exportables et nous les exporterons.

On a toujours prétendu, quand cette objection était faite par Anvers, que c'était une fin de non-recevoir qu'on opposait à toutes les instances des fabricants. Aujourd'hui, messieurs, vous avez la preuve du contraire. Vous faites des produits exportables, c'est-à-dire réunissant la qualité et le bas prix, et ces produits sont demandés de tous les côtés, d'Anvers comme de l'étranger.

Je dirai même qu'il ne faut pas une société d'exportation pour la vente de ces sortes de produits. Faites des produits exportables, et alors même que le commerce d'Anvers, ne comprenant pas sa mission, ne voudrait pas les exporter, on viendrait vous les prendre.

Il vous arriverait ce qui arrive à la commission de Saint-Bernard qui, quoique n'yant ni voyageurs, ni solliciteurs, reçoit des ordres directement, parce que ses produits répondent tout à fait aux besoins de la consommation et sont demandés sans qu'il faille pour cela solliciter ni s'dresser à une société d'exportation.

Messieurs, l'honorable M. de Perceval a terminé son discours en demandant qu'il fût adjoint à la commission de Saint-Bernard deux industriels qui seraient chargés de l'éclairer de leurs avis ou qui contrôleraient, me dit l'honorable membre, les opérations da Saint-Bernard.

Messieurs, on a critiqué l'bsence dans la commission de Saint-Bernard, d'hommes spéciaux. On a dit qu'il n'en existait qu'un seul. Eh bien, si avec la présence d'un seul industriel la commission de Saint Bernard a réalisé ce que les industriels dos Flandres n'vaient osé tenter, je craindrais fort que la présence d'eu plus grand nombre d'industriel dans la commission ne servit qu'à entraver les opérations. Je suis persuadé, en présence des sentiments hostiles qu'ils témoignent dans toute leurs pétitions, qu'elle serait plutôt nuisible qu'utile au but qu'on a proposé.

Serait-ce, messieurs, une marque de défiance vis-à-vis la commission et à la suite des louanges dont elle a été l'objet dans cette enceinte, se rait-ce en définitive un acte de défiance que l'honorable M. de Perceval voudrait poser contre la commission administrative de Saint-Bernard?

M. de Perceval. - Non ! non !

M. Loos. - Non, dit l'honorable membre ; alors je lui demandera ce que ces deux industriels viendraient faire dans la commission? (Interruption.)

L'honorable M. de Perceval veut donner à l'industrie privée ses représentants naturels. C'est là une phrase; mais je voudrais bien qu'on m'en expliquât la portée. Les protecteurs naturels de l'industrie ! Il me semble que les rôles sont quelque peu intervertis, et que, jusqu'à présent les protecteurs les plus éclairés de l'industrie, c'est plutôt la commission administrative de Saint-Bernard que les industriels des Flandres. Aussi je crois que l'intervention de ces deux industriels dans la commission serait un dissolvant, c'est-à-dire qu'on arriverait au résultat qu'on sollicite aujourd'hui, le gouvernement devrait cesser ses travaux.

J'jouterai que cet acte de défiance posé vis-à-vis de la commission aurait pour conséquence immédiate, infaillible et certaine, la retraite de tous ses membres.

- La séance est levée à 4 heures et demie.