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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 16 avril 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1156) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à midi et un quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Plusieurs gardes civiques de Bruxelles réclament l'intervention de la chambre pour que le règlement du 28 mars 1850, arrêté par le général commandant la garde civique de cette ville, soit retiré ou du moins considérablement modifié dans ses dispositions principales. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Orts. - Je demanderai, en outre, que la commission soit invitée à faire un prompt rapport : sans cela, la mesure dont on se plaint aura pu produire tous ses mauvais effets, avant que M. le ministre de l'intérieur ait pu examiner l'affaire.

- La proposition de M. Orts est adoptée.


« Plusieurs habitants de Molenbcek-Wersbeek prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l’enseignement moyen ou du moins de le modifier profondément. »

« Même demande de plusieurs habitants de Waenrode, Diest, Caggevinne-Assent, Messelbroeck, Webbecom, Winghe-Saint-George, Keersbeck, Deurne, Erps-Querbs, Rillaer, Louvain, Bierbeek, Cappellen, Wever, Becquevort, Cortenacken, Testelt, Binckom, Langdorp, Heverlé, Cortenbergh, Molenstede, Miscom, Suerbempde, Winxele, Rampsel, Wercken, Overlaer, Hougaerdcn, Handzaeme, Cuerne, Kessel, Leuze, Pondrôme, Meerdonck.

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


M. Dequesne, rapporteur. - Messieurs, d'après la décision qui a été prise hier par la chambre, il y a lieu d'ordonner l'impression de ces pétitions dans le Moniteur.

M. le président. - Cela est entendu. Toutefois, je dois faire une observation : c'est qu'il y a une cinquantaine de ces pétitions dont le texte est le même.

On se bornera à en insérer une, avec les signatures, et on donnera les signatures des autres, en se référant au texte précédent. (C'est cela!)


« Plusieurs habitants de Locre prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen. »

« Même demande de plusieurs habitants d'Everbeck, Tieghem, Steenkerke, Oombergen, Nieucappelle, Casier, Clercken, Corbais et Corroy le Grand, Rolleghem, Bertrix, Arendonck, Rethy, Watou, Bruges, St.-Georges-ten-Diestele, Frasnes, Templeuve, Tournay, et des habitants de Wyneghem qui demandent, en outre, que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans tous les établissements d'instruction secondaire des provinces flamandes. »

- Même décision que pour les pétitions ci-dessus.


Par deux messages, en date du 13 avril, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi fixant la délimitation entre la commune de Scy et celle de Muhiville (Namur), et le projet de loi qui ouvre des crédits supplémentaires au département de la justice.

- Pris pour notification.

M. le Bailly de Tilleghem, devant s'absenter, demande un congé de quelques jours.

- Accordé.


M. de Potter fait hommage à la chambre de 110 exemplaires d'une brochure intitulée : « De la liberté et de toutes les libertés, à propos du projet de loi sur l'enseignement moyen. »

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi sur l’enseignement moyen

Discussion générale

M. le président. - La parole est continuée à M. Lebeau.

M. Lebeau. - Messieurs, je demande pardon à la chambre de réclamer de nouveau son attention. La chambre sait que je n'ai pas l'habitude d'abuser de ses moments. Il faut, messieurs, l'importance, la solennité du débat actuel, le retentissement qu'il a dans le pays, le besoin de s'efforcer d'éclairer des populations qu'on égare, qu'on fanatise.

- Une voix. - Pas du tout.

M. Lebeau. - Le besoin, je le répète, d'éclairer des populations honnêtes mais crédules, pieuses mais ayant peu de lumières, pour que je prenne de nouveau la parole. Ce besoin, messieurs, ne devrait pas seulement être senti d'un côté de cette chambre; tous nous devrions le comprendre; nous devrions rivaliser d'efforts pour faire apprécier sainement, équitablement, la loi qui est actuellement en discussion. (Interruption do M. de Man.)

M. le président. - Pas d'interruption.

M. Lebeau. - Je n'ai pas compris l'honorable M. de Man; je ne trouve pas mauvais qu'il m'interrompe, mais je désirerais savoir au moins ce qu'il me dit.

M. de Man d'Attenrode. - C'est une conversation.

M. Lebeau. - Alors, je vous prierai de converser plus bas ou d'aller converser dans la salle des conférences, car vos conversations troublent mes idées.

Messieurs, la loi est attaquée sous deux points de vue : sous le point de vue religieux, sous le point de vue du droit des communes.

J'aborderai tout à l'heure la question relative à l'intervention du clergé, et je dirai toute ma pensée sur ce point, comme sur les autres parties de la loi.

Quant au grief que le projet de loi infère, dit-on, à la liberté de la commune, liberté que je respecte autant que qui que ce soit, bien que mon respect ne soit pas de la superstition, j'en dirai encore quelques mots.

J'ai déjà montré hier à quoi il faut réduire les attaques de l'opposition sur ce point. On y reviendra ; car on est tenté de croire que la tactique est de bonne guerre. Sur les bancs où j'ai l'honneur de siéger, on professe, autant que sur les bancs de l'opposition, un respect sincère pour la religion, pour les croyances religieuses. Mais peut-être, sur nos bancs, ne pousse-t-on pas, sous ce rapport, les scrupules et les prétentions aussi loin que sur les bancs de l'opposition.

Donc, sous ce rapport, il y avait peu d'espoir de nous diviser ; il a fallu changer de tactique. Ce sont les libertés communales qui sont attaquées! On s'est flatté que c'était un moyen plus facile d'entrer dans la place, de semer la division dans nos rangs, de faciliter peut-être, à quelques esprits craintifs ou à quelques caractères faibles, un moyen d'entente cordiale entre l'un et l'autre côté de la chambre.

Je crois, quant à moi, que tous mes honorables collègues de la majorité tous ceux au moins qui ont la prétention d'appartenir à l'opinion libérale sont au-dessus de l'espèce d'injure qu'on leur fait, par la supposition qu'ils chercheraient des prétextes pour voter contre la loi.

Mais enfin la tactique a une certaine valeur.

Malheureusement, l'opposition se sert d'une arme que depuis longtemps elle a brisée de ses propres mains ; je vais le démontrer.

L'histoire des variations d'une certaine partie de cette chambre à l'égard de la loi communale est véritablement assez curieuse, assez édifiante, pour que je demande la permission de la raconter très brièvement. Ce sera la seule vengeance que je me permettrai des accusations violentes et injustes qui sont dirigées contre nous, comme contempteurs des lois qui organisent la province et la commune.

Dans les premiers temps de notre organisation politique, il y avait une certaine opinion dans cette chambre, qui trouvait, comme aujourd'hui, qu'on ne pouvait pas assez enlever au pouvoir central, qu'on ne pouvait assez donner à la province et à la commune. Nous étions alors accusés de vouloir porter une main sacrilège sur les franchises communales et provinciales; nous étions accusés d'être des séides du pouvoir fort, en demandant que les franchises nationales ne fussent pas absorbées par les franchises locales; nous étions présentés comme des réactionnaires, comme les séides du pouvoir fort, comme quelque chose de bien pis, comme des « doctrinaires »!

Plus tard l'opinion que nous avons l'honneur de représenter ayant pris de grands développements dans les communes, dans les grandes communes surtout, oh! il s'opéra alors un revirement d'opinion subit, complet, analogue presque au nouveau revirement dont nous sommes aujourd'hui témoins. Les communes! il ne pouvait plus rien en sortir de bon. Les communes! mais en fait d'enseignement, elles ne pouvaient rien organiser que l'irréligion.

Ce fut vers 1840 que ces doctrines commencèrent à être professées.

Elles émanent d'abord d'un prélat célèbre, dont nous avons tous le droit de parler ici, puisqu'il est descendu dans l'arène des luttes politiques; il m'a même fait l’honneur de m'adresser ses livres.

Qu'on ne se trompe pas sur mes intentions. Je ne saurais parler de ce prélat que dans des termes, quant à moi, d'une véritable estime. Je prise très haut ses talents et sa science, et j'apprécie ce qu'elle vaut la sincérité, l'ardeur même de ses opinions.

Je lui dois cet hommage de reconnaissance que nul plus que lui n'a pris soin de nous initier à toute la pensée de certain parti. C'était peut-être une imprudence que souvent dans vos rangs j'ai entendu lui reprocher. Mais imprudence et défaut de sincérité sont deux choses qui s'excluent. L'imprudence est, pour moi, l'attestation la plus certaine de la sincérité, de la loyauté des opinions; mais à mon tour, je dirai à l'auteur de ces écrits, pour me servir du langage tenu déjà dans cette enceinte par un honorable ministre : C'est votre sincérité, c'est votre bonne foi qui m'épouvantent.

Voyons, messieurs, comment dès 1840, époque à laquelle on préludait aux travaux législatifs de 1841 et de 1842. monseigneur l'évêque de Liège parlait des franchises communales. Il s'agit de l'instruction. Voici ce qu'il écrivait en 1840 : « Nous avons remarqué que ces choix malheureux (d'instituteurs) tendent tous les ans a se multiplier même dans les parties les plus catholiques du pays, et si la loi sur l'instruction ne met pas positivement la direction de l'école entre les mains du clergé, si cette direction doit être laissée à la municipalité, le prosélytisme de (page 1157) l'intolérance !!! à qui tous les moyens sont bons, saura bien les multiplier de plus en plus.

« Non, ce n'est qu'en accordant formellement la direction, la surveillance de l'école à qui de droit, que la loi pourra rendre à peu près impossible un si funeste abus. La paix, la concorde, la confiance dans l'intérieur du pays, sont à ce prix. »

L'Etat n'a pas le droit de faire des écoles à sa guise; la Constitution le lui a dénié en statuant que l'instruction payée aux frais de l'Etat doit être réglée par une loi. Comment donc les communes et les provinces le pourraient-elles?

Si l'ordre intérieur de l'école appartient évidemment à l'Eglise, comment se peut-il que la loi communale ait attribué la nomination du maître, c'est-à-dire de celui dont cet ordre dépend presque entièrement, à l'administration extérieure de l'école.

Nous verrons plus tard, l'on, a déjà vu comment les actes ont répondu aux paroles. Et l'on parlera de respect pour la liberté communale! Je l'ai déjà dit, je ne conteste pas la sincérité de ces opinions, mais je demande qu'on veuille bien les concilier avec le respect qu'on professe pour les libertés communales.

On voit, d'après le système que je viens d'exposer et d'après les faits d'absorption bien connus, que le droit de la commune consiste à se faire l'esclave... du gouvernement ? Que le Ciel l'en préserve; du clergé, c'est autre chose.

Voilà les préliminaires de la loi sur l'enseignement primaire de 1842; sauf les expressions et les tournures de phrase un peu plus enveloppées de précautions oratoires, ce sont les mêmes opinions que celles de l'évêque de Liège, qui, lui, va droit au but, qui ne déguise pas sa pensée.

Vous allez voir, au début de la discussion de la loi sur l'instruction primaire, la même théorie sur la liberté communale, en matière d'enseignement.

L'exposé des motifs de M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, fait une justice exagérée, selon moi, des prétentions des défenseurs de la liberté communale. Ce n'est plus de la justice envers l'action communale en matière d'enseignement. Mais l'honorable rapporteur de la section centrale d'alors, l'honorable M. Dechamps, a singulièrement renchéri sur la doctrine de l'honorable M. Nothomb. Je serais bien tenté de mettre sous les veux de la chambre la théorie de M. Dechamps sur les droits de la commune en matière d'enseignement; mais je serais condamné à abuser de vos moments. Si la chambre le permet, j'insérerai ces extraits dans les Annales parlementaires.

- Plusieurs voix. - Lisez !

M. Dechamps. - Je professe toujours la même opinion; vous pouvez lire.

M. Lebeau. - Si M. Dechamps le désire, je m'empresse de déférer à son désir.

Je citerai d'abord un extrait de l'exposé des motifs : M. le ministre de l'intérieur s'exprime dans les termes suivants: « La Constitution, en proclamant pour tous les citoyens la liberté illimitée en matière d'enseignement, a voulu en même temps assurer à l'action sociale de la puissance publique sa part légitime d'influence. C'est pour cette raison qu'elle déclare que l'Etat aura aussi un enseignement à lui, à la condition que cet enseignement soit réglé par la loi, afin que l'action de tout pouvoir constitué sur les établissements d'instruction publique ne soit point abandonnée à l'arbitraire et au caprice.

« Le législateur a établi une distinction entre l'individu citoyen et les dépositaires de l'autorité publique.

« L'action du citoyen est indépendante, tandis que le dépositaire d'une portion de l'autorité publique est le mandataire de la nation; il ne peut exercer ce pouvoir que suivant la loi, et non pas selon son bon plaisir.

« Le mot Etat devant être interprété dans le sens de l'ensemble des pouvoirs et des institutions constitutionnelles du pays, l'effet de la loi sur l'enseignement moyen doit s'étendre à tous les établissements entretenus aux frais d'une caisse publique quelconque, communale, provinciale ou centrale; et les établissements privés restent seuls en dehors de son action. »

Répondant à M. Savart, député de Tournay, qui revendiquait pour les communes une liberté d'enseignement égale à celle des simples citoyens, M. Dechamps prononçait, avec l'adhésion de ses amis politiques, les paroles suivantes :

« Messieurs, la section centrale a pensé que l'instruction primaire, donnée aux frais des communes, devait être réglée par la loi ; elle a pensé que le mot « État » qui se trouve écrit dans l'article 17 de la Constitution, est un mot générique, signifiant la nation tout entière, dont la commune est une simple subdivision. Nous n'aurions pas même l'article 17, que l'article 108 de la Constitution nous suffirait pour défendre le système de la loi ; car l'article 108 dit que la loi consacre l'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal, sans préjudice de l'approbation de leurs actes, dans les modes que la loi détermine. Ainsi cet article place, pour tout ce qui est d'intérêt général, la commune sous la tutelle des autorités administratives supérieures. Or, messieurs, quelqu'un oserait-il soutenir que la question d'instruction primaire n'est pas une question d'intérêt général?

« Ainsi donc, en vertu de l'article 108 de la Constitution, il est décidé que la loi peut régler tout ce qui est relatif à l'enseignement primaire dans les communes, et que les communes, sous ce rapport, se trouvent sous la tutelle du gouvernement central.

« Messieurs, s'il en était autrement, si l'interprétation que donne l'honorable M. Savart à l'article 17 était juste, il s'ensuivrait que toute loi sur l'instruction primaire serait impossible...

« Vous devriez aller plus loin. Vous ne pourriez, dans la loi, prescrire les matières d'enseignement, ni le mode de surveillance. En un mot, vous devriez vous conduire, à l'égard de la commune comme à l'égard des particuliers. Vous devriez vous taire, et la loi serait irréalisable.

« Mais il est clair que le Congrès national n'a pas voulu créer pour la commune une position supérieure à celle qu'il a voulu faire à l'Etat lui-même. Le Congrès, en défiance de ce qui s'était passe sous l'administration précédente, n'a pas voulu que le gouvernement pût régler ce qui concerne l'instruction primaire par voie d'ordonnances ; il a voulu que ce fût la législature qui réglât cette matière importante. Il a donc voulu qu'une loi intervînt pour diriger le gouvernement en cette matière. Et vous voudriez émanciper la commune, quand vous assujettissez l'Etat ! Vous auriez, à l'égard de la commune, moins de défiance qu'à l'égard du gouvernement, dans une matière où les lumières sont aussi indispensables !

« Il y a entre l'individu et la commune une différence radicale. L'individu peut faire tout ce que la loi ne lui défend pas, tandis que la commune ne peut faire que ce que la loi lui permet de faire. Dans cette distinction, elle est radicale, vous trouvez que vous ne pouvez, pour l'instruction primaire, assimiler la commune aux particuliers.

« La liberté d'enseignement, c'est le droit de la famille, c'est la liberté des individus; mais vous ne pouvez faire de la commune un Etat au petit pied, qui puisse prendre, à l'égard d'une question sociale de la plus haute importance, des mesures qui sont interdites au gouvernement.

« Ainsi, je n'aurais pas l'article 17 de la Constitution, que l'article 108 me suffirait pour soutenir que la commune ne peut se débarrasser de la haute tutelle du gouvernement; elle ne peut s'occuper des intérêts généraux, sans que le gouvernement vienne surveiller son action. Ainsi, d'après les idées du sens commun, comme d'après l'article 108, il me paraît impossible de donner à l'article 17 l'interprétation que l'honorable député de Tournay veut lui donner. »

M. Dechamps. - Je suis encore exactement du même avis. Je pense toujours que l'enseignement communal doit être réglé par la loi.

M. Lebeau. - L'honorable M. Dumortier venait au secours de l'honorable M. Dechamps. Je regrette de ne pas voir l'honorable M. Dumortier à son banc; mais je crois que, même en son absence, j'ai parfaitement le droit de relever ce qu'il a dit dans cette chambre. Dans une de nos dernières séances, l'honorable M. Dumortier disait :

« Sans doute, nous n'avons pas une loi en 60 articles qui règle l'instruction moyenne ; mais il y a une loi en un seul article qui est venue la régler : c'est la loi communale qui déclare que l'instruction est communale; c'est le noble décret du gouvernement provisoire qui émancipe les communes, qui leur donne le droit d'avoir des collèges et de les diriger. »

Ces paroles de l'honorable M. Dumortier auraient beaucoup plus de poids s'il parvenait à les concilier avec celles qu'il a prononcées dans la discussion de la loi sur l’enseignement primaire. Je ne citerai qu'un très court passage d'un de ses discours :

« La commission ne pouvait rien que par la loi. Dès lors, vous pouvez régler les dispositions relatives à l'instruction dans les communes, et vous le pouvez quant aux garanties religieuses comme pour le reste; sans cela, vous ne pourriez faire de loi sur l'instruction primaire.

« La disposition constitutionnelle que l'on invoque est dans le titre des Belges et de leurs droits, etc., non dans celui qui traite du pouvoir communal. »

(Séance du 8 août 1842.)

Voilà comment l'honorable M. Dumortier parlait de la liberté communale. Il ne se doutait guère alors de ce qu'avait proclamé le noble décret du gouvernement provisoire.

Ainsi, messieurs, l'Etat ne s'est pas arrêté un seul instant, quand il a fallu organiser l'enseignement primaire, aux scrupules qu'on élève aujourd'hui sur l'indépendance de la commune en matière d'instruction publique. On l'a moins fait encore dans les écoles primaires supérieures où l'action de la commune est complètement absorbée au profit du pouvoir central, bien que la commune en fasse en partie les frais, et que la dépense lui soit imposée par la loi, avec indication des moyens de coercition en cas de résistance.

Ainsi, le gouvernement d'alors, qui est en grande partie l'opposition d'aujourd'hui, ne se gênait nullement pour établir une concurrence à renseignement privé dans 2.500 communes du royaume.

Et maintenant on trouverait que le gouvernement viole les franchises communales, porte atteinte à la liberté d'enseignement, vise à la conquête de l'ancien monopole néerlandais, parce qu'il demande l'autorisation d'établir dix athénées et quelques écoles moyennes au-dessus de celles qui existent déjà sous le titre d'écoles primaires supérieures et dont le nombre n'est pas irrévocablement fixé.

Enfin, messieurs, ces scrupules sur l'indépendance communale ne se sont pas présentés à l'esprit, lorsqu'il s'est agi de rédiger des projets de loi sur l'enseignement moyen. Je rappellerai le projet de M. Van de Weyer, du grand coupable, car il proposait dix athénées et douze collèges. D'autres essais ont attesté que des franchises communales peuvent rester (page 1158) debout, peuvent exercer d'excellents effets, sous le rapport d'une décentralisation à laquelle j'ai poussé moi-même, sans que nous soyons le moins du monde gênés pour faire une loi sur l'enseignement moyen, pas plus que nous ne l’avons été pour faire une loi sur l'enseignement primaire.

Je ne parlerai pas davantage de l'œuvre de M. Van de Weyer, de cette œuvre qui a mis a une si heureuse épreuve la solidité du système mixte, qu'on n'a pas tardé à le répudier, à franchir d'un seul bond tous les intermédiaires, pour ne s'arrêter qu'au pôle opposé, et pour arriver au système des cabinets homogènes, homogènes comme jamais il n'en fut.

L'honorable M. de Theux, ce qu'il faut répéter sans cesse pour le dehors ; l'honorable M. de Theux entouré des honorables MM. Malou et Dechamps (je cite spécialement ces deux noms, et j'ai mes raisons pour cela), l'honorable M. de Theux a proposé, le 5 juin 1846 le projet de loi suivant, que je ne puis pas me laisser de reproduire :

« II sera établi immédiatement, au chef-lieu de chaque province et dans la ville de Tournay, un athénée de l'Etat.

« L'administration et la surveillance de ces établissements appartiennent au gouvernement.

« Il en nomme les directeurs et professeurs.

« Les communes sont tenues de fournir les locaux, le matériel et les collections et de contribuer pour un tiers dans les traitements du personnel. »

Il y a, dans ce style impératif, un certain luxe d'omnipotence qui donne à cela l'air d'un firman.

Je me flatte qu'il y a une assez grande analogie, sauf peut-être un peu plus de politesse dans l'expression, entre ce projet de loi et celui de l'honorable M. Rogier, quant aux athénées. (Interruption.)

Vous allez voir que j'allais énoncer immédiatement le correctif de ma phrase. Je craindrais qu'on n'exploitât ma première phrase et qu'on ne négligeât la seconde. Comme, dans les Annales parlementaires, non par une faute du sténographe, mais par une erreur typographique, on me fait voter au Congrès pour l'amendement de M. de Sécus, retiré par son auteur et reproduit par M. Fleussu, père, tandis que j'ai voté contre, je saisis l'occasion de cette interruption pour rectifier cet autre fait.

Le projet de l'honorable M. de Theux est beaucoup plus impératif que celui de l'honorable M. Rogier. D'abord, l'honorable M. Rogier ne désigne pas de localité.

Veut-on quelque chose de moins impératif encore, veut-on qu'on se serve des expressions du projet de 1834, où l'on dit simplement que le gouvernement pourra ou le gouvernement est autorisé? Veut-on que dans la loi le gouvernement n'ait qu'une simple faculté? Soit; si j'avais l'honneur d'être ministre de l'intérieur, je ne voudrais être armé que de pleins pouvoirs circonscrits dans le projet de M. Van de Weyer; et si par hasard il existait un conseil communal qui fût assez défiant pour craindre l'établissement chez lui d'un des athénées proposés par le projet de loi, eh bien, je n'aurais pas, malgré mon incontestable droit, la moindre envie de l'y contraindre. Je lui dirais :« Vous voulez votre indépendance, vous la voulez sans doute entière, soit; gardez-la; j'établirai l'athénée ailleurs; mais puisque vous voulez votre indépendance, vous trouverez bon certainement de ne pas y déroger en nous demandant des subsides ; vous ne voudrez pas réduire le gouvernement au rôle de caissier : c'est un rôle qui ne peut convenir au gouvernement ; si vous voulez être indépendant, soyez-le donc jusqu'à l'absence de tout subside inclusivement comme pour les universités libres. »

Messieurs, j'arrive à la partie la plus délicate de la loi, sur laquelle, j'ose le dire, on a le plus égaré l'opinion publique.

J'arrive à l'intervention du clergé. C'est ici que les reproches, même dans cette chambre, sont le plus énergiquement dirigés contre le projet du gouvernement. En dehors de cette chambre, c'est sur ce point qu'on a le plus faussé l'esprit des populations. Voyons les faits, précisons. Préciser les questions, c'est presque les résoudre. Je laisse de côté les projets antérieurs ; je prends celui de l'honorable M. de Theux; j'espère qu'on me permettra de prendre pour base de mon argumentation le projet de M. de Theux approuvé par MM. Malou et Dechamps. Je vois faire un signe négatif; si l'orthodoxie de l'honorable M. de Theux est mise en suspicion sur vos bancs, ce n'est pas moi qui dois me charger de la défendre, il s'en chargera sans doute lui-même.

L'honorable ministre des travaux publics a beaucoup abrégé la tâche que je m'étais donnée ; je n'aurai pas beaucoup à revenir sur ce point.

L'article 2 du projet de M. de Theux porte : « L'enseignement de l'athénée comprend 1° l'instruction religieuse. » Voilà une formule impérative, absolue ; mais vous la trouverez beaucoup moins absolue, quand vous l'aurez rapprochée d'autres parties du projet de loi.

Ah! si l'instruction religieuse, qui occupe la première place dans le programme de M. de Theux est obligatoire, si c'est une question d'existence pour l'établissement, je le reconnais : il y a alors une différence immense entre le projet de M. Rogier et le projet de M. de Theux.

Nous allons voir ce qui en est. Le projet ajoute : « L'enseignement de la religion est donné par les ministres du culte de la majorité des élèves. » Je ne m'arrêterai pas à la singulière position qu'on faisait aux élèves de la minorité. Fussent-ils 40 contre 60, ils n'auraient reçu aucune instruction religieuse, à moins qu'on ne les convertît à la croyance de la majorité. Enfin arrive la disposition suivante : « Si les conditions de ce concours pour un ou plusieurs athénées étaient reconnues, par le gouvernement, incompatibles avec les principes de la présente loi, l'enseignement de la religion serait suspendu. »

Qui sera juge? Le gouvernement; c'est le gouvernement qui, en cas de conflit, est juge et partie, c'est-à-dire que le clergé aura, à son égard, la position la plus singulière que vous puissiez lui donner.

Le clergé n'a absolument rien à dire; si une contestation s'engage entre lui et le gouvernement, il n'a rien à dire, il se retire. L'établissement tombe-t-il ? Non, il reste debout.

L'honorable M. de Theux et ses amis, fussent-ils de nouveau ministres, l'établissement, ainsi dépourvu de l'enseignement religieux, conserverait son budget; il continuerait à être entretenu aux frais des contribuables; et cependant l'enseignement religieux y serait suspendu ; et vous trouvez dans un pareil système, une garantie plus forte que celle de l'article 8 du projet actuel, pour la dignité, pour l'indépendance du clergé! Il faut fermer les yeux à la lumière pour trouver là des garanties supérieures à ce qui est écrit dans le projet de M. Rogier.

Oh! il y a une formule terrible, une espèce d'interdit, un anathème éventuel inscrit dans le projet de M. de Theux, qui n'est pas dans le projet de M. Rogier.« L'enseignement religieux serait suspendu. »

On n'a pas dit si ce sera annoncé au public, pour ne pas le tromper, au moyen d'un écriteau immense appliqué sur les murs de l'établissement condamné, et portant : Ici, l'enseignement religieux est suspendu.

Eh bien ! faut-il le dire ? cet anathème, je puis le craindre, je puis le redouter, je puis aussi le braver. Je le crains, je le redoute pour l'établissement si le clergé a raison ; car si le clergé a raison, bien évidemment raison, la cause sera gagnée aux yeux de l'immense majorité des catholiques el des libéraux.

Si on a rendu au clergé son ministère difficile, si on ne lui a pas permis d'exercer convenablement le concours que, dans son indépendance, par amour de la religion dont il est pénétré, il a bien voulu prêter, alors anathème à l'établissement qui ne s'est pas prêté à ce concours ! il doit tomber, il tombera. Mais si, sous le prétexte de garantir l'enseignement de la religion dans un établissement laïque, si, sous ce prétexte, ce sont des vues d'accaparement qu'on veut réaliser, c'est la faculté d'espionner la conduite des professeurs jusqu'en dehors de l'établissement, de choisir en réalité ou d'expulser les professeurs, alors tous les interdits du monde fussent-ils écrits en lettres majuscules et placardées sur tous les murs du collège, les pères de famille protesteraient, des populations d'enfants ne cesseraient pas d'y affluer. Voyez, par ce qui se passe à Tournay, à Liège, à Gand, quelle serait la valeur d'un interdit lancé dans de pareilles conditions.

L'honorable M. Lelièvre, avec le bon sens dépourvu de prétention qui le caractérise, a déjà parfaitement éclairci les questions que soulève cette partie de la loi. Donc, avec le projet de M. de Theux, le gouvernement actuel resterait aussi complètement libre qu'avec le projet qu'il présente.

Mais le projet que nous discutons, par une prétérition bien coupable, bien irrespectueuse, ne désigne pas même l'enseignement religieux lorsqu'il va jusqu'à désigner la gymnastique ! L'enseignement religieux n'a pas trouvé place dans le programme, alors que la gymnastique et la musique y sont inscrites. De là de très belles antithèses, qui ont défrayé les feuilles de nos adversaires, lesquelles ne sont pas toujours aussi plaisantes qu'elles aspirent à l'être.

Je demanderai à ceux qui ont reproduit ce reproche, ce qu'ils penseraient si on lisait dans la loi quelque chose approchant à peu près de ceci :

« L'enseignement moyen comprend la religion, la musique, la gymnastique, etc.. etc. »

Trouveriez-vous ce rapprochement très convenable , très respectueux?

Le projet ne fait-il pas plus que de consigner l'enseignement de la religion dans la nomenclature des matières? Il lui fait l'honneur de lui consacrer une disposition spéciale, tant aux yeux du gouvernement, il y a là de quoi de faire une honorable exception, et d'y consacrer une disposition spéciale. Le projet contient une disposition formelle qui témoigne, plus que la formule que vous regrettez, de son respect, qui est en outre le plus éclatant hommage rendu à l'indépendance absolue du clergé belge, indépendance qui est une des plus belles conquêtes que le clergé ait faites en 1830, et qui est peut-être sans analogue dans toute l'organisation politique du continent européen.

Oublie-t-on d'ailleurs la différence entre les personnages? Mais, si je veux un maître de gymnastique, il suffit que j'insère une annonce dans les journaux pour en avoir dix, entre lesquels j'aurai à faire mon choix. Demanderai-je un aumônier, un professeur de religion de la même manière? N'aurai-je pas à débattre avec lui les conditions morales de son concours, alors que je n'ai à débattre avec les maîtres de gymnastique que le taux du salaire !

Vous voyez que c'est là une très mauvaise querelle faite à la loi, et qui ne tient pas devant un simple mais sérieux examen.

Mais l'invitation est-elle facultative? Dépend-il du gouvernement d'inviter ou de ne pas inviter le clergé à prêter son concours à la commune et à l'Etat dans l'enseignement moyen? Mais évidemment non. La formule est impérative; il faut que les ministres des cultes soient invités. La prescription est on ne peut plus impérieuse, on ne peut plus rigoureuse.

Ne nous plaignons pas, je vous en conjure. Je vous demanderai si le gouvernement, dans le projet de l'honorable M. Rogier, ou dans le projet de l'honorable M. de Theux, n'est pas exactement dans la même situation vis-à-vis du clergé? M. Rogier ne fait-il pas au clergé une position aussi digne, aussi respectable que celle que lui faisait M. de Theux?

(page 1159) Est-ce qu'un ministère, quel qu'il soit, on supposant que l'hypothèse de l'honorable M. de Theux pût se réaliser, que l'enseignement religieux fût suspendu, que le concours du clergé vînt à manquer, est-ce que le ministère n'aurait pas à répondre immédiatement à l'interpellation qui lui serait adressée au sein des chambres législatives?

Ne serait-il pas tenu de déduire les motifs pour lesquels l'invitation du gouvernement, soit dans le système de M. de Theux, soit dans le système de M. Rogier, est restée sans effet?

Voilà notre garantie à tous. Il est impossible que cette partie de la loi reste dépourvue d'exécution, sans que tous (je ne parle pas de la minorité, car il n'y aurait plus alors ni majorité ni minorité ; tous nous veillerions d'un zèle égal à l'exécution de la loi), nous nous donnions la main pour que les motifs d'un si affligeant refus de concours (je le dis sans détour, sans hésitation) dussent être produits dans cette enceinte !

Si, par suite de tels événements imprévus, qui se présentent quelquefois, quand les imaginations sont agitées par de nouvelles doctrines, si dans une commune, par une déviation de ce bon sens, de ces principes de moralité (ce que je ne prévois pas dans notre sage Belgique) venaient s'infiltrer des doctrines démagogiques, des doctrines socialistes, auriez-vous à l'égard de cette commune indépendante, votre droit de contrôle et d'interprétation, votre droit de vindicte parlementaire?

En aucune façon, si la commune n'est pas subsidiée. Si la commune n'est pas subsidiée, rien à y redire. Vous seriez réduits à gémir sur le mal et à confesser votre impuissance.

Pourquoi (je m'adresse à votre bon sens, à vos consciences), pourquoi le gouvernement ne serait-il pas jaloux d'obtenir pour ses établissements la recommandation, la sanction morale de l'enseignement du clergé, cet élément de la confiance de tant de pères de famille? Est-ce qu'il repousse le concours du clergé, quand il est libre de le demander ou de le délaisser ?

Est-il une loi qui oblige le gouvernement à demander que l'enseignement de la religion soit donné à l'école militaire, à l'école vétérinaire? Est-ce qu'il y a une loi qui oblige le ministre de la guerre à nommer des aumôniers dans l'armée ? Existe-t-il une loi qui oblige le ministre de la justice à peupler toutes nos prisons (nous lui en savons tous gré) de dignes ecclésiastiques qui travaillent si efficacement avec le gouvernement à l'œuvre philanthropique de la moralisation des détenus ?

Voilà des actes parfaitement libres, parfaitement spontanés, qui déposent d'autres intentions que celles que les populations indignement trompées attribuent aujourd'hui au ministère!

Disons-le donc sans détour (je ne voudrais pas vous blesser, quoique peut-être j'en eusse le droit), les vrais motifs d'opposition sont ici ceux qu'on ne dit pas.

Un homme d'Etat célèbre a dit que la parole avait été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. Il croyait que c'était simplement un aphorisme à l'usage de la diplomatie : il oubliait que c'était aussi trop souvent un aphorisme à l'usage des assemblées parlementaires.

Ce que vous voulez, que vous vous en rendiez compte ou non, c'est la continuation d'une sorte de monopole de fait, qui s'est développé, qui s'est fortifié, on peut dire, par la complaisance, par la complicité trop prolongée du pouvoir civil. Voilà ce qu'on veut. La liberté communale, la liberté religieuse, la moralisation des populations ne sont ici que des prétextes. Toul le passé de l'opposition atteste que c'est là ce qu'on regrette, ce qu'on veut. Tant de collèges absorbés par l'autorité religieuse déposent-ils donc d'un si profond respect pour la liberté communale? Cette absorption a été telle, elle menaçait tellement d'envahir toutes nos écoles qu'un ministère dont vous ne sauriez suspecter les intentions, que MM. de Theux, Malou et Dechamps ont été jusqu'à inscrire dans leur projet de loi la défense formelle de faire à l'avenir ce triste abandon des prérogatives communales au clergé. C'est l'honorable M. de Theux qui l'a inscrit dans son projet.

Ce qu'on veut, si on le dissimule ici, on l'avoue ailleurs ; et ce n'est pas seulement l'instruction inférieure qu'on veut absorber au profit du clergé, ce n'est pas seulement l’enseignement moyen. C'est même, le dirai-je? l'enseignement supérieur.

Voici ce que le prélat dont j'ai parlé tout à l'heure a écrit dans un livre qu'il m'a fait l'honneur de m'adresser :

« Notre opinion est maintenant bien connue, qu'il n'y a point de bonne instruction, ni primaire, ni moyenne, ni universitaire, sans religion, et que le libéralisme, c'est-à-dire l'absence de toute religion positive, n'étant pas un culte, mais bien plutôt la négation de cultes. Il n'a constitutionnellement aucun droit à des écoles primaires, secondaires, universitaires de son espèce, à des écoles sans religion positive ; ces écoles sont radicalement mauvaises. »

Mais je fais ce qu'on va répondre : c'est une opinion vieille déjà et de plus, une opinion isolée; une opinion contre laquelle on a protesté même dans le sein du clergé, tout au moins de l'opinion catholique.

Messieurs, je ne sais si cette opinion est vieille; mais je sais qu'elle n'est pas sans écho même aujourd'hui, il y a, je dois le dire, des hommes à qui vraiment la leçon du malheur ne profite pas. Croirait-on que lorsque tant d'hommes politiques sont tombés victimes de la justice électorale, lorsque plusieurs ministres sont tombés en expiation de l’espèce d'appui qu'ils semblaient prêter à de telles opinions, ces opinions sont encore professées aujourd'hui? J'ai le droit d'en parler. On m'a envoyé, sous forme de brochure, un sermon. Il paraît qu'on fait beaucoup de sermons dans ce moment contre le projet et qu'ils vont de pair avec les pétitions.

A Dieu ne plaise que je me livre ici à une plaisanterie inconvenante; mais celui qui a émis l'opinion dont je parle, l'a émise dans toute la sincérité de son âme; il est très connu de l'honorable M. Dechamps

Voici ce que je trouve dans la brochure qui m'a été envoyée, c'est pour cela que j'ai le droit d'en parler. Vous venez si les doctrines de M. l'évêque de Liège ne sont pas encore littéralement et crûment professées aujourd'hui?

« L'instruction en général, ou l'enseignement scientifique, à ses trois degrés, est inévitablement lié par sa nature à la question religieuse, et il sera nécessairement ou positivement chrétien ou positivement anti-chrétien, sans pouvoir tenir dans un milieu chimérique. »

Le même orateur applique ces principes à l'histoire, à la géographie aux sciences naturelles, à la philosophie, etc.

Vous croiriez peut-être que les innocentes mathématiques échappent à la surveillance de l'honorable prédicateur. Il n'en est rien. Les mathématiques ne peuvent pas être données convenablement sans la surveillance du clergé. Messieurs, c'est tellement invraisemblable que j'ai besoin de lire: « Les principes des mathématiques, dit-il, se confondent avec la plus haute vérité métaphysique, dont l'harmonie avec les vérités révélées est l'un des plus intéressants objets de la science de la foi. »

Messieurs, la conséquence de ces prémisses, c'est-à-dire de la nécessité de concilier l'enseignement des mathématiques avec les vérités révélées, savez-vous à quoi elle aboutirait encore aujourd'hui ? A empêcher M. le ministre de l'intérieur de nommer professeur de mathématiques l'illustre Galilée, s'il existait encore, attendu qu'il ne serait pas d'accord, je pense, avec Josué sur certaines théories astronomiques.

Messieurs, l'honorable M. de Liedekerke a cité les Etats-Unis, et je dois le dire, il l'a fait à peu près avec autant d'à-propos qu'il avait cité l’Angleterre; et je m'en étonne encore. Car je répète volontiers devant l'honorable M. de Liedekerke que de telles erreurs m'étonnent de la part d'un esprit aussi cultivé que le sien.

« Le caractère principal de la démocratie américaine, a dit l'honorable membre, c'est l'énergie des sentiments religieux. »

Oui, messieurs, cela est vrai, j'ai quelque peu étudié aussi la législation et les mœurs des Etats-Unis, et autant toutefois qu'on le peut dans des livres, et je suis entièrement de l'avis de l'honorable M. de Liedekerke ; les Etats-Unis d'Amérique sont un des pays les plus religieux. Aux Etats-Unis d'Amérique, messieurs, on observe, par exemple, tellement le dimanche, que si l'on s'avisait de faire ce jour-là de la musique, de telle façon qu'on l'entendît dans la rue, on serait exposé à se voir faire un mauvais parti. Aux Etats-Unis, les séances parlementaires commencent par la prière, et on n'y fait jamais défaut, prière qui est dite successivement par des membres des différentes communions.

Eh bien ! vous allez voir ce qui se passe aux Etats-Unis.

D'abord l'intervention administrative niée par l'honorable M. de Liedekerke, et il a très bien pu nier cela, parce que les Etats-Unis d'Amérique forment un Etat très différent du nôtre ; c'est, comme on sait, un Etat complexe, une fédération; il se pourrait donc que l'honorable M.de Liedekerke eût vu qu'on ne faisait pas dans un Etat ce qu'on fait dans d'autres; cela dépend des renseignements auxquels il a puisé. Eh bien, voici ce que je trouve dans une des brochures qui nous ont été envoyées :

« Dans l'Etat de Pennsylvanie, qui compte une population de moitié inférieure à la nôtre, les impôts levés dans les communes pour l'instruction s'y élèvent à environ 2 millions de francs. Les mêmes impôts affectés à la même destination par l'Etat montent à environ 1 million.

« Dans l'Etat de Connecticut, composé de 350,000 habitants, les dépenses de l'instruction publique s'élèvent à 600,000 francs. En 1840, on ne trouvait parmi les adultes que 526 personnes ne sachant écrire. Quelle différence avec ce que présente l'Angleterre? »

Tout ceci est extrait de documents officiels.

« Nulle part, ajoute-t-on, dans aucune des catégories d'écoles, ni dans aucun programme, il n'est question de religion. Le peuple des Etats-Unis est cependant un peuple éminemment religieux, et par conséquent peu disposé à laisser cette importante matière à l'arrière-plan. D'où vient donc qu'il l'ait en quelque sorte exclue des écoles publiques? C'est que le peuple des Etats-Unis, s'il est religieux, est également tolérant, et qu'il ne conçoit pas que, sous le prétexte de religion, on introduise dans les écoles, soit l'oppression d'une communion religieuse sur les autres, soit l'anarchie et la lutte, etc. »

J'ai lu très attentivement cette brochure, quoiqu'elle émane d'une opinion qui n'est pas suspecte de complaisance pour la mienne, et qui n'a pas l'habitude de me ménager. Mais je prends la vérité où je la trouve. Cette brochure est intéressante, parce qu'elle est pour ainsi dire composée de documents officiels.

Une autre brochure, qui est loin d'avoir le même caractère, résume ainsi les théories qu'elle défend :

« L'instruction publique ne doit être livrée à aucun parti. »

C'est mon opinion. Cette vérité me paraît incontestable, autant, messieurs, que la faiblesse humaine le comporte. Mais quel est le moyen, dans un gouvernement ou la liberté d'enseignement est aussi absolue que chez nous, quel est le moyen le moins impartial de présenter au public une instruction qui ne soit livrée à l'influence d'aucun parti ? Je n'en connais qu'un seul, imparfait peut-être, mais il n'y a que celui-là, c'est l'intervention de l'Etat. Supposez, messieurs, les universités de (page 1160) Bruxelles et de Louvain, seules en présence ; supposez-les toutes deux absolues dans leur opinion; que fera celui qui les trouve trop tranchées l'une et l'autre? Il ira à Gand ; il ira à Liège. Vous trouverez peut-être, dans le personnel des élèves à Gand et à Liège, la représentation des opinions les plus diverses ; vous y trouverez les fils des familles, dont les opinions sont peut-être le plus opposées en politique ; pourquoi? Parce que là il y a nécessairement un enseignement plus impartial de sa nature. Il est impossible qu'il en soit autrement.

Je vais plus loin, messieurs, je vais prouver que, dans l'intérêt catholique lui-même, l'intervention de l'Etat est une chose parfois excellente, parfois indispensable. Vous avez souvenir des disputes très-vives, très-passionnées qui se sont élevées dernièrement entre une partie de l'opinion catholique et une autre partie de cette opinion, entre Louvain et l'organe d'une société fameuse à l'occasion des écrits de M. de Bonald, sur l'origine des idées et sur l'enseignement philosophique. Namur et Louvain, sous ce rapport, se sont fait une guerre acharnée, une guerre accompagnée d'expression, que je ne voudrais pas reproduire ici. Eh bien, messieurs, je le demande, entre cette opinion extrême, soutenue à Namur par une société fameuse et l'opinion soutenue à Louvain, bien des pères de famille préfèrent envoyer leur enfant à l'athénée de Namur, comme restant impartial entre tous les extrêmes.

Ainsi, messieurs, dans l'intérêt des catholiques eux-mêmes, l'intervention de l'Etat peut offrir des avantages aux personnes qui ne veulent pas d'opinions extrêmes.

Croyez-vous, messieurs, que le gouvernement sera plus partial que les établissements libres? C'est le contraire ; pour le gouvernement, le premier des devoirs en matière d'enseignement, c'est de ne donner de griefs à aucune opinion respectable, c'est de chercher à ne faire prévaloir surtout aucune couleur politique dans l'enseignement, c'est de veiller exclusivement à l'intérêt de la science.

De plus, messieurs, à la différence des partis, le gouvernement a une responsabilité. Il a la responsabilité la plus sérieuse. Tous les jours le gouvernement, s'il méconnaissait son devoir au point de vouloir, à l'aide de l'enseignement, faire de la propagande politique à son profit, s'il voulait rabaisser l'instruction publique à ce rôle subalterne, mais chaque membre de la minorité pourrait l'interpeller, pourrait lui jeter à la face les reproches les plus sanglants, et, dans ce cas, la minorité ne serait pas seule; il n'y aurait, à cet égard, qu'une opinion dans cette chambre. Le gouvernement, on ne saurait trop le dire, n'est jamais autant de son parti qu'une majorité. Il a d'autres devoirs à remplir. Le gouvernement fait de la politique sans doute, mais il fait aussi de l'administration, et quand le gouvernement est administrateur, il participe en quelque sorte de la nature du magistrat. Que le gouvernement, quand il nomme des employés, préfère pour les emplois politiques des hommes qui partagent son opinion, je le veux; mais que diriez-vous d'un gouvernement qui consulterait l'opinion de ceux qui demanderaient une concession de mines, une concession de travaux avec lesquels il traiterait d'un acte quelconque d'administration? Mais vous diriez qu'il prévarique, qu'il forfait à tous ses devoirs. Eh bien, je n'hésite pas à dire que s'il faisait intervenir la politique dans l'enseignement, il manquerait également à ses devoirs.

Bien des changements de cabinet se sont succédé depuis quelques années. Où sont les professeurs des universités qui ont été destitués ? Qu'a-t-on changé comme conséquence de ces révolutions ministérielles? Est-ce que les professeurs nommés par l'honorable M. de Theux, aussi longtemps qu'ils ont voulu rester en place, n'y sont pas restés? Est-ce que l'honorable M. Rogier a jamais songé à y toucher ? Est-ce que l'honorable M. de Theux lui-même a songé à porter les mains, dans un intérêt politique, sur les professeurs nommés par ses prédécesseurs? Vous voyez donc, messieurs, qu'on se fait illusion lorsqu'on s'imagine que le gouvernement, s'il est honnête, fera de la politique dans la direction de l'enseignement donné aux frais de l'Etat. Ce sont de pures chimères.

Déjà deux fois, messieurs, l'honorable M. Rogier a fait des nominations de membres du jury d'examen. La loi lui donne des pleins pouvoirs à cet effet; il a exercé ces pouvoirs sous les yeux d'une majorité considérable et en face d'une minorité bien faible aujourd'hui. Eh bien! je le demande à l'honorable M. de Theux, aurait-il procède autrement que l'honorable M. Rogier, dans la nomination des membres du jury d'examen? Je m'en rapporte volontiers à la loyauté de sa réponse.

Qu'a fait encore l'honorable M. Rogier? Mais il a fait ce que fait toujours un gouvernement qui se respecte, il a fait justice des craintes exagérées, des craintes si peu fondées qui avaient été exprimées à l'occasion de la collation des bourses.

On avait dit que lorsque le gouvernement aurait la collation des bourses à donner exclusivement aux élèves des établissements de l'Etat, par une conséquence naturelle, ceux qui voudraient fréquenter les établissements libres n'obtiendraient jamais aucun secours de l'Etat. Eh bien, ! messieurs, le Moniteur vous a appris, il y a quelques jours seulement, que l'honorable M. Rogier, fidèle aux opinions qu'il avait exprimées dans le cours de la discussion, a accordé à des élèves des universités de Bruxelles et de Louvain des subsides destines à leur fournir le moyen de faire face aux frais de leurs études.

Voilà, messieurs, comment se conduit un gouvernement jaloux de mériter l'approbation des chambres et du pays.

Mais, messieurs, j'ai entendu dire ceci, non pas ici, on s'en gardera bien, mais pas très loin de cette salle : Oh si M. Rogier devait toujours être ministre, nous n'aurions pas peur : nous connaissons sa haute probité. Je demande pardon à mon honorable ami de lui renvoyer ainsi par ricochet, un coup d'encensoir sur la figure. Puisse mon indiscrétion servir au moins de compensation à toutes les accusations qui lui ont été prodiguées et qui sans doute ne lui feront pas encore défaut. Cet éloge est parti de l'un de ses adversaires; je ne suis pas sûr qu'il ne le fasse pas lui-même expier à l'honorable M. Rogier, lorsqu'il aura à faire un discours officiel et public.

Eh bien, quoique cet éloge soit adressé à l'un de mes honorables collègues et qu'il me fasse beaucoup de plaisir, il ne m'aveugle pas au point de croire que mes honorables amis ont le monopole de la loyauté politique.

Je suis convaincu que l'honorable M. de Theux appliquerait la loi sur le jury à peu près exactement, peut-être, comme l'honorable M. Rogier. Si l'ancienne loi existait encore, il est possible que, comme député, l'honorable M. de Theux votât avec ses honorables amis ; mais, comme ministre, l'honorable M. de Theux a toujours fait des choix assez impartiaux; du moins je ne connais, quant à moi, rien qui m'empêche de lui rendre cet hommage.

Mais pourquoi le faisait-il? Parce que l'honorable M. de Theux était ministre et qu'il sentait que, comme ministre, il avait à remplir d'autres devoirs que ceux d'un membre de la majorité.

Cette distinction a été admirablement exprimée par l'honorable M. Vilain XIIII à propos de la loi sur le jury d'examen proposée en 1844 par M. Nothomb. Voici ses paroles:

« Je n'hésite pas à le dire, si les chambres eussent eu seules la nomination du jury, ces choix seraient déplorables ; ils seraient entachés de la plus révoltante partialité ; mais en faisant ces choix, les chambres savaient que le gouvernement était là pour rétablir l'équilibre.

« Séance du 25 mars 1844. »

Aveu bien précieux et qui, traduit en langue vulgaire, veut dire ceci :

« Nous, membres de la majorité, sous le sceau du scrutin secret, agissant sans responsabilité ni contrôle, nous donnions pleine carrière à nos passions politiques, sachant très bien que le ministre de l'intérieur, accomplissant ses devoirs, rétablirait la balance et serait juste pour nous. »

L'honorable M. de Theux, député, disait, à propos de la loi sur l'enseignement primaire que, si l'intervention du clergé devait cesser, la chute de l'école en était la conséquence immédiate. On sait l'orage que cette déclaration a produit dans cette chambre, et comment l'honorable M. Nothomb a été obligé de modifier ce qu'il y avait de trop absolu dans l'opinion de l'honorable M. de Theux et dans la sienne. L'honorable M. de Theux, député, défendait ici la convention de Tournay, et, devenu ministre, il maintient les écoles où l'action du clergé a cessé, et l'honorable M. de Theux, par son projet de loi, condamne la convention de Tournay, et la frappe de nullité par une disposition spéciale.

J'irai plus loin : député, l'honorable M. de Theux a pu pousser très loin sa déférence pour le haut clergé. Comme ministre, je le sais et je l'ai dit dans d'autres circonstances, il lui est arrivé plus d'une fois de résister aux évêques; et pourquoi ne l'aurait-il pas fait? N'avons-nous pas vu par les correspondances qui ont été mises sous les yeux de la chambre, il y a quelques années, que l'honorable M. Nothomb lui-même n'a pas accordé aux évêques tout ce qu'ils lui demandaient?

J'ai donc raison de dire que, quels que soient les ministres auxquels la loi actuelle sera confiée, vous pouvez être sûrs que la partie relative à l'intervention du clergé sera scrupuleusement respectée par eux. Qui voudrait, je le demande, qui voudrait dans une école quelconque, supérieure, moyenne ou primaire, qui voudrait un enseignement irréligieux ?

Personne, assurément, à moins que ce ne soit ou un fanatique ou un insensé!

Qu'il me soit permis de citer ici une opinion qui a un grand poids par l'autorité dont elle émane :

« Il faut que les législateurs des démocraties et tous les hommes honnêtes et éclairés qui y vivent s'appliquent sans relâche à y soulever les âmes el à les tenir dressées vers le ciel.

« Que s'il se rencontre parmi les opinions d'un peuple démocratique quelques-unes de ces théories malfaisantes qui tendent à faire croire que tout périt avec le corps, considérez les hommes qui les professent comme les ennemis naturels de ce peuple.

« Le matérialisme est chez toutes les nations une maladie dangereuse de l'esprit humain ; mais il faut particulièrement la redouter chez un peuple démocratique, parce qu'il se combine merveilleusement avec le vice de cœur, le plus familier a ces peuples.

« La démocratie favorise le goût des jouissances matérielles. Ce goût, s'il devient excessif, dispose bientôt les hommes à croire que tout n'est que matière; et le matérialisme, à son tour, achève de les entraîner avec une ardeur insensée vers ces mêmes jouissances.

« Lorsqu'une religion quelconque a jeté de profondes racines au sein d'une démocratie, gardez-vous de l'ébranler; mais conservez-la plutôt avec soin comme le plus précieux héritage des siècles aristocratiques. Ne cherchez pas à arracher aux hommes leurs anciennes opinions religieuses, pour en substituer de nouvelles, de peur que dans le passage d'une foi à une autre, l'âme, se trouvant un moment vide de croyance, l'amour des jouissances matérielles ne vienne à s'y étendre et à la remplir tout entière. »

(page 1161) Je pense que tout le monde approuvera ce langage; j'ignore si tout le monde approuvera les ligues qui suivent :

« Je ne suis pas du nombre de ceux qui jugent que, pour relever la religion aux yeux des peuples et mettre en honneur le spiritualisme qu'elle professe, il est bon d'accorder indirectement à ses ministres une influence politique que leur refuse la loi. Je me sens si pénétré des dangers presque inévitables que courent les croyances quand leurs interprètes se mêlent des affaires publiques, et je suis si convaincu qu'il faut à tout prix maintenir le christianisme dans le sein des démocraties nouvelles, que j'aimerais mieux enchaîner les prêtres dans le sanctuaire que de les en laisser sortir. »

C'est M. de Tocquevillc qui a étudié de près les institutions américaines, qui siège parmi les conservateurs de l'assemblée législative de France et qui a été successivement ministre des affaires étrangères et ambassadeur de France, qui a écrit ces belles paroles, paroles auxquelles j'adhère entièrement.

Je ne veux pas plus longtemps abuser des moments de la chambre. J'ai encore des observations à lui présenter; je me propose de les produire ultérieurement, soit dans la discussion générale, soit dans la discussion des articles.

M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, en examinant le projet de loi soumis à nos délibérations, je me suis aussi, comme bien d'autre membres de cette assemblée, posé cette première question : Le système nouveau que le gouvernement veut inaugurer est-il conforme à l'esprit de nos institutions, ou n'est-il pas plutôt un triste retour vers des principes hautement condamnés par le pays en 1830?

Le résultat de cet examen, je dois le déclarer, n'a pas été favorable aux prétentions du gouvernement. Si vous voulez bien m'accorder quelques moments d'attention, j'exposerai devant la chambre quelques-uns des motifs sur lesquels mon opinion se fonde.

D'abord, messieurs, je ne suis nullement d'accord avec le gouvernement, la section centrale et les défenseurs du projet sur l'interprétation et surtout sur la portée donnée à l'article 17 de la Constitution.

D'autres orateurs, qui m'ont précédé dans la discussion, et notamment l'honorable M. de Brouckere, ont établi d'une manière qui me semble irréfutable le véritable sens et la véritable portée de cet article; l'on n'a pas répondu à cette partie du discours de l'honorable député de Bruxelles, ancien membre du Congrès et rapporteur du premier chapitre de la Constitution, et l'on n'y répondra pas, pour une bonne raison, c'est que l'évidence ne se réfute pas.

Quant à moi, messieurs, je ne reviendrai pas sur un objet déjà longuement débattu; d'ailleurs vouloir ajouter mon autorité à celle que je viens de vous citer, ce serait afficher une prétention que vous pourriez taxer de ridicule. Je dirai seulement qu'il eût été sage et prudent de la part du gouvernement de ne pas chercher à faire dériver des droits, dont il exagère singulièrement l'étendue, d'un article de la Constitution sujet à controverse : lui donner, de sa propre autorité, un sens déterminé, un sens absolu, c'était exciter la juste défiance des partisans d'une liberté plus largement entendue, et il me semble que l'opinion des hommes qui ne partagent pas sur ce point délicat la manière de voir du gouvernement avait droit à quelque ménagement.

Messieurs, je ne viens pas cependant contester au gouvernement, d'une manière absolue, le droit d'intervenir dans l'enseignement moyen; ce serait là pousser le scrupule constitutionnel jusqu'à ses dernières limites. Le gouvernement peut imprimer aux études une sage direction, peut fonder des établissements-modèles, comme il les appelait lui-même dans le projet de loi de 1834, sans pour cela violer en rien le principe de la liberté de l'enseignement; mais c'est cependant à une condition : celle de ne pas faire à cette liberté une concurrence écrasante, de la considérer au contraire comme un puissant auxiliaire et non comme un principe hostile qu'il serait appelé à combattre.

Se placer à un autre point de vue, ce serait créer une lutte qui ne tarderait pas à devenir fatale au pays, et qui, dans tous les cas, tournerait au détriment de la jeunesse dont nous devons avant tout sauvegarder les intérêts.

Mais examinons les progrès que l'opinion que je combats a faits depuis quelques années et voyons où nous allons.

Que fit le gouvernement en 1834, alors que les traditions du Congrès ne s'étaient pas encore effacées? Vint-il présenter à la chambre un projet de loi en se fondant sur les prescriptions impératives de la Constitution? Fit-il, en invoquant ce même article 17, quelque tentative pour étendre l'action gouvernementale sur tous les établissements communaux de la Belgique? Il ne le fit pas et je le dis hardiment, il n'eût pas osé le tenter à cette époque !

Chaque fois que je les relis, je suis étonné de la simplicité des dispositions de cette loi de 1834; elle se résume, en ce qui concerne l'enseignement moyen, en quelques articles, et chacun de ces articles témoigne du respect que l'on avait alors pour la liberté d'enseignement et pour les libertés communales.

Tout se réduisait alors à trois athénées modèles: d'écoles moyennes ou autres, il n'en était guère question.

Quant aux communes, loin de songer à leur enlever aucune prérogative, l'article 31 portait que les écoles moyennes communales, même lorsqu'elles recevraient des subsides, continueraient à être librement administrées par les communes.

J'y trouve encore cette disposition :« Lorsque les communes établissent à leurs frais des écoles, elles jouissent, comme tous les citoyens, d'une liberté entière. » Veuillez remarquer ce rapprochement entre la liberté des citoyens et celle des communes; il y a loin de cette idée à celle qui' consiste à représenter la commune comme se confondant avec l'Etat, et perdant par ce fait son caractère particulier et par conséquent toute son indépendance.

Pour vous faire apprécier jusqu'où l'on avait poussé le respect pour la commune, je vous citerai encore l'article de cette même loi relatif aux inspections de l'enseignement moyen.

« Les inspecteurs de l'enseignement moyen, y était-il dit, pourront visiter les écoles secourues par le gouvernement et donner des avis aux administrations communales, pour améliorer l’instruction et la mettre en rapport avec les besoins des localités. »

Ainsi, rien d'impératif. Aucunes conditions imposées aux communes. Respect poussé, je dirais presque jusqu'au scrupule, pour toutes leurs prérogatives.

Qu'il y a loin de ces dispositions aux prescriptions du projet de loi actuellement soumis aux chambres. Et qui eût pu croire que le projet de 1834 eût été le précurseur de celui de 1850 ?

Messieurs, je n'ai cité le projet de loi de 1834 que pour vous prouver qu'à une époque encore rapprochée de celle où fut votée la Constitution, on était loin de l'interpréter comme aujourd'hui: je sais du reste que depuis ce temps des faits se sont produits, d'autres projets de loi qui ont étendu considérablement l'action du gouvernement ont été présentés, mais quels que soient ces faits, quels que soient ces projets, toujours est-il vrai que nos institutions sont restées les mêmes, nous pouvons aujourd'hui comme en d'autres temps les invoquer comme notre sauvegarde contre les empiétements possibles du pouvoir, et ce serait méconnaître le caractère de la nation que de croire qu'elle serait disposée à faire bon marché en 1850 d'une liberté qu'elle a su conquérir en 1830.

Mais si les projets présentés depuis 1834 offrent des différences notables lorsqu'on les compare au projet primitif, vous devez convenir que celui que nous discutons a fait faire un pas de géant à la question de l'enseignement organisé par l'Etat.

En effet, entre autres dispositions nouvelles de ce projet de loi, vous avez un article 6.

Cet article renferme des dispositions exorbitantes, et qui consacrent au plus haut point l'arbitraire ministériel en faisant dépendre de sa volonté l'existence de tous les établissements communaux.

J'ai besoin de dire, messieurs, que mes observations ne s'adressent directement à personne. J'examine les conséquences que peuvent avoir les dispositions mauvaises d'une loi dans toutes les circonstances au milieux desquelles nous pouvons nous trouver, car les ministres passent, les ministères se succèdent, mais les mauvaises lois restent.

Pour motiver ce que l'on pourrait appeler ma trop grande susceptibilité, j'établirai une comparaison par force d'hypothèse.

Ainsi, messieurs, je suppose que la nation belge ait été appelée à discuter sérieusement la loi fondamentale qui était notre charte avant 1830. Arrivé au chapitre de l'enseignement, l'on propose un article rédigé en ces termes : « L'instruction est un objet constant des soins du gouvernement.» Mais des membres de l'assemblée, un peu chatouilleux à l'article de la liberté, font observer que pareille disposition est trop vague, qu'il peut en résulter certain danger pour la liberté ; qu'elle peut prêter à l'arbitraire; et à l'instant ces membres sont traités de malintentionnés, d'exagérés, j'allais presque dire de visionnaires.

Les défenseurs de cette formule anodine ne manquent pas de dire qu'il est impossible qu'un ministre puisse jamais faire mauvais usage d'une pareille disposition, que de semblables intentions ne peuvent pas se supposer à un ministre, que ce que l'on prétend est sans exemple, que toujours les ministres se tiendront en dehors ou au-dessus, des partis pour les dominer, qu'en un mot le gouvernement ne peut faire qu'un excellent usage d'une disposition d'ailleurs si inoffensive.

Eh bien, messieurs, de cette disposition inoffensive sont sortis les arrêtés de 1825. Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis cette époque, mais le pays ne les a pas oubliés; les jeunes gens qui furent victimes de ces actes arbitraires sont aujourd'hui des hommes, et ces impressions du premier âge ne les ont guère disposés à se montrer favorables à tout ce qui, de loin comme de près, pourrait nous ramener à un pareil régime.

S'il a suffi, en d'autres temps, de la sollicitude d'un gouvernement pour fermer des établissements qui avaient la confiance des pères de familles, ne peut-il pas se présenter un autre genre de sollicitude qui porte le gouvernement à refuser cette autorisation nécessaire pour le maintien d'un grand nombre d'établissements communaux qui ont aussi aujourd'hui la confiance des familles?

Entre le refus d'approbation et les arrêtés de 1825 la différence est-elle donc si grande?

Les arrêtés de 1825 supprimaient des établissements d'instruction, le refus d'approbation ne les supprime-t-il pas également ?

Parmi les établissements qui ne pourront subsister sans votre approbation, n'en est-il pas plusieurs que vous considérez comme de nature à vous faire concurrence, et vous gouvernement, réduit au rôle de maître d'école et d'instituteur, ne serez-vous pas juge dans votre propre cause ?

Lorsque vous êtes venus déclarer vous-mêmes à cette tribune que vous érigiez monopole contre monopole, quelle garantie d'impartialité peut-il nous rester?

Préoccupés sans cesse de cette idée, ne croirez-vous pas voir et rencontrer (page 1162) partout ce prétendu monopole? Je dis donc que le disposition que je combats doit être effacée de la loi.

Et les conseils communaux ,quelle est la position que vous leur faites? Ne les déclarez-vous pas tous en état de suspicion? Ne leur donnez-vous pas à tous un espèce de brevet d'incapacité? Leurs résolutions devront être soumises à l'approbation du gouvernement. Pourquoi? Sans doute parce qu'elles pourraient, dans certains cas, blesser l'intérêt général; dans d'autres cas, parce que vous supposez les conseils communaux incapables de juger quels sont les besoins de leurs localités en fait d'enseignement moyen.

Mais vous avouez que c'est là une appréciation très peu flatteuse pour les conseils communaux ; remarquez aussi que ces résolutions doivent également être soumises à l'avis de la députation permanente, ce qui n'a pas même paru suffisant; ainsi, conseillers communaux, membres de la députation sont également déclarés incapables, également indignes de votre confiance. C'est pousser trop loin la défiance.

Et pourquoi veut-on créer ce nouvel état de choses ? Lisez l'exposé, lisez le rapport, vous en connaîtrez les motifs. La commune, y est-il dit, a usé des droits inscrits en termes généraux dans la loi communale. C'est donc là cette énormité dont il faut la punir. Elle a fait alliance, dans certaines circonstances, avec le clergé qui a apporté dans ses collèges son principe d'ordre, une autorité incontestée et des influences vivaces.

Ainsi faire appel à un principe d'ordre, à un principe d'autorité, à des influences vivaces, voilà le grief que vous avez à leur reprocher. Mais lorsque vous aurez combattu, anéanti ces tendances, croirez-vous alors avoir fait beaucoup pour la société? Mais veuillez me dire par quoi vous les remplacerez?

Messieurs, une période de vingt ans s'est écoulée depuis l'époque de notre émancipation politique; nous avons pendant tout ce temps vécu sous le régime que vous condamnez si hautement aujourd'hui; une génération entière a pu se former dans ces établissements mis à l'index : c'est celle qui doit naturellement déployer par son âge le plus d'activité, c'est celle chez laquelle les tendances bonnes ou mauvaises doivent se faire sentir davantage et se développer au milieu de la société.

Nous avons donc des résultats ou plutôt des faits à apprécier et à opposer à vos allégations.

Examinons ces résultats et ces faits.

D'abord sous le rapport de la science. Nous lisons, il est vrai dans le rapport, qu'il y a diverses causes de décadence des études et que leur niveau a baissé depuis 1830. L'honorable rapporteur ne me semble pas avoir fourni des preuves à l'appui d'une pareille allégation. Je ne puis donc la réfuter. Pour le moment, je m'en rapporte à l'évidence.

Quoi! nous avons en Belgique quatre universités toujours fréquentées par un grand nombre de jeunes gens, qui à leur sortie de ces établissements, passent des examens présentant les résultats les plus satisfaisants. Des académies, des sociétés qui s'occupent de recherches savantes se sont formées sur tous les points de la Belgique ; notre littérature nationale, notre littérature flamande a produit des œuvres remarquables que l'étranger admire et sait apprécier mieux que nous peut-être ! Toutes les routes qui conduisent aux carrières libérales sont encombrées de jeunes gens qui se coudoient ne demandant qu'un peu d'air, un peu d'espace, pour développer les talents qu'ils ont été puiser dans nos écoles! Et lorsqu'une place devient vacante, et ici je puis invoquer le témoignage même de MM. les ministres, vingt, trente concurrents ne se présentent-ils pas, tous munis des certificats constatant leur capacité, tous réunissant les conditions de talent et d'aptitude nécessaires pour servir utilement l'Etat. de manière que chaque choix devient un embarras pour le gouvernement? Et c'est en présence d'un pareil état de choses que l'on vient vous dire que l'enseignement en Belgique est dans un état pitoyable! Est-on bien fondé à tenir un pareil langage, car où cette jeunesse a-t-elle été formée? N'est-ce pas dans les collèges et les établissements d'enseignement moyen, actuellement existants?

Jusqu'à ce jour cependant, ce sont les communes qui en très grande partie ont fondé, dirigé ou patronné les établissements d'enseignement moyen; un blâme formulé en présence de pareils résultats me semble donc immérité, et je ne puis, pour ma part, m'associer à un jugement aussi sévère.

Examinons la question sous une autre face.

Personne ne contestera, je pense, que la direction donnée à l'enseignement est destinée à exercer la plus grande influence sur l'avenir de la société. Qu'il s'agisse d'une petite ou d'une grande nation, les résultats seront les mêmes, parce que les mêmes causes doivent toujours produire les mêmes effets. Donnez à l'enseignement une direction mauvaise et vous ne tarderez pas à vous repentir des mauvais résultats que vous aurez provoqués par votre imprudence; élevez au contraire votre jeunesse en lui inspirant le sentiment du devoir, et en développant dans son cœur ces sentiments religieux qui sont la source d'où découlent les qualités qui doivent faire de l'adolescent devenu homme, un citoyen ami de l'ordre et dévoué aux institutions de son pays, et vous aurez pour longtemps assuré la tranquillité.

Permettez-moi une courte application de ce qui précède à la Belgique ; il serait difficile de soumettre un pays à une épreuve plus décisive que celle que nous avons subie. Mais si nous avons conservé le calme lorsque tout était agitation autour de nous, où faut-il en chercher la cause ?

Dans la bonté de nos institutions et dans la sagesse de l'auguste chef de la nation ! Oui, je le reconnais hautement! Mais ne faut-il pas aussi faire la part de cette génération agissante dont je vous parlais tout à l'heure, de cette génération formée sous l'empire de nos institutions, de cette génération élevée dans ces établissements que vous condamnez si hautement aujourd'hui!

Comparez ce qui s'est passé en Belgique avec ce qui s'est passé ailleurs ; comparez les résultats des divers systèmes d'enseignement.

Après un examen calme et impartial, condamner ce qui s'est fait en Belgique depuis vingt ans, faire la guerre aux influences qui ont si puissamment contribué à maintenir chez nous cette position que l'étranger nous envie, n'est-ce pas là ce qu'il est permis d'appeler sans exagération, à un déplorable aveuglement?

Messieurs, je vais maintenant répondre quelques mots à ce qui a été dit dans une séance précédente par l'honorable M. Fontainas relativement à plusieurs conseils communaux qui, selon lui, n'auraient pas eu grand souci de leur pouvoir et de leurs attributions, parce qu'ils auraient confié la direction d'établissements d'instruction au clergé. D'après l'honorable membre, d'un côté l'on aurait vu des évêques s'emparant de l'instruction, et de l'autre des conseils communaux légitimant cette espèce de confiscation par des sacrifices assez lourds.

J'appartiens, messieurs, à une localité où nous avons le bonheur d'avoir un établissement d'instruction moyenne où s'enseignent les humanités, c'est-à-dire un collège, parfaitement bien organisé, répondant à tous les besoins de la localité, ayant au plus haut point la confiance des pères de famille, ce qui est déjà quelque chose, et cependant cet établissement a le malheur d'être sous la direction du clergé, l'honorable M. Fontainas vous a parlé l'autre jour de la résolution du conseil qui lui accordait cette direction. C'était sans doute là une de ces faiblesses de la part des conseils communaux qu'il vous signalait.

Eh bien, messieurs, cette faiblesse je la considère comme un excellent acte d'administration.

A un collège désorganisé et où régnait l'anarchie, à un collège désert faire succéder un établissement où afflue la jeunesse studieuse, où règnent les principes d'ordre et les influences vivaces dont je parlais tantôt, où l'enseignement scientifique ne laisse rien à désirer; voilà ce que j'appelle un excellent acte d'administration.

Fournir aux pères de famille un établissement d'instruction digne de toute leur confiance, voilà ce que j'appelle agir en magistrats sages et éclairés.

Vous parlez d'établissements-modèles. Eh bien, je vous cite comme modèle le collège auquel je fais allusion; avant de jeter le blâme sur cet établissement, allez-le visiter, et nous verrons si vous aurez encore le triste courage de pousser à sa désorganisation.

Parmi les dispositions restrictives de la liberté du projet de loi, je dois signaler surtout celles qui concernent la nomination des professeurs, el ici ce ne sont pas seulement les libertés de la commune, mais c'est la liberté d'enseignement tout entière qui reçoit une rude atteinte.

Après avoir proclamé un principe qui ne souffre pas d'exception dans la Constitution vous allez cependant établir des privilégies, en faveur de la science officielle ; le talent, le mérite, les capacités ne seront plus des titres pour être admis à parcourir la carrière du professorat; il faudra avant tout avoir passé par les écoles normales de l'Etat, car les diplômes de capacité nécessaires pour occuper une place dans l'enseignement ne seront délivrés qu'aux seuls élèves sortant de ces établissements. Pour tous les autres, l'exclusion.

Que l'on exige certaines garanties de capacité de la part des professeurs, je ne puis le blâmer, bien que la nécessité d'une pareille disposition ne me soit pas clairement démontrée; mais faire de cette condition un privilège, une faveur, n'est-ce pas là une restriction et une entrave apportée à la liberté d'enseignement? Vous demandez des garanties, mais ces garanties ne doivent consister que dans la preuve donnée par les aspirants professeurs qu'ils possèdent les connaissances nécessaires pour enseigner, et cette preuve, vous pourrez l'acquérir en nommant un jury devant lequel ils pourront se présenter sans qu'on leur demande : D'où venez-vous et à quelle source avez-vous puisé votre science?

Si vous croyez utile d'entretenir auprès des universités de l'Etat un enseignement normal pédagogique, ce n'est pas un motif de créer en faveur des élèves qui le fréquenteront un privilège exclusif; qu'ils soient appelés à passer un examen comme tous ceux qui se présenteront, devant un même jury nommé pour tous, et alors vous aurez maintenu, en fait d'enseignement, la liberté en tout et la liberté pour tous.

Messieurs, un mot sur les libertés communales.

Lorsque nous venons réclamer en faveur des libertés communales, on sourit, on nous taxe d'exagération, on irait même, si l'on n'était retenu par le respect des convenances parlementaires, jusqu'à appeler notre conduite et les opinions que nous émettons, le résultat d'une tactique.

Mais ce qui se passe dans le pays ne mérite-t-il pas de fixer votre attention ? Ces pétitions nombreuses qui nous arrivent chaque jour n'ont-elles aucune signification ? Ces délibérations des conseils communaux de nos principales villes, ces adresses souvent votées à l'unanimité, vous ne voyez là que de la tactique ?

Eh bien, messieurs, j'y vois autre chose, moi, qu'une tactique; j'y vois l'expression de sentiments véritablement nationaux.

Mais, si je me reporte quelques années en arrière, si je relis les discussions qui eurent lieu au conseil communal de la ville de Gand, notamment dans les séances du 28 novembre 1841, du 27 janvier 1842, l'opposition qui se manifeste aujourd'hui ne doit plus étonner.

Des cœurs généreux, des voix éloquentes surent défendre la liberté communale dans cette vieille capitale des Flandres toujours si jalouse (page 1163) de ses franchises : là furent définis et les droits de l'Etat et les droits de la commune, et pour condamner aujourd'hui le système du gouvernement je n'aurais qu'à reproduire ici les paroles chaleureuses et si empreintes de véritable patriotisme qui furent prononcées dans cette circonstance.

Voulez-vous que je vous dise ce que les communes demandent? « C'est de conserver intact le droit de pouvoir approprier l'instruction aux besoin spéciaux des localités. »

Savez-vous ce qu'elles disent encore : « qu'il s'agit pour elles d'une question de dignité et de liberté communale dont elles ont le droit d'être jalouses. »

Savez-vous ce qu’elles ne veulent pas : « c'est que le gouvernement acheté au moyen de subsides des attributions nouvelles en dehors de la Constitution. »

Savez-vous enfin à quoi elles s'opposent : « à ce que l'existence des établissements d'instruction publique soit livrée aux fluctuations du personnel ministériel et aux changements de principes qui en sont presque toujours la conséquence inévitable. »

Voilà au moins ce que demandait en 1841 et 1842 la commune de Gand par l'organe de ses principaux représentants.

Non ! ne nous méprenons pas sur le caractère de l'opposition que l'on fait à la loi : parcourons avec calme quelques pages de notre histoire et nous aurons l'explication de ce qui se passe aujourd'hui et de l'émotion qu'éprouve le pays. Nous y verrons clairement quels ont été les grands traits du caractère belge à toutes les époques. On me dira : C'est là de l'histoire ancienne, autres temps, autres mœurs; c'est vrai, je le reconnais ; mais comme les fils ont toujours conservé quelque chose de leurs pères, on ferait toujours sagement de ne pas méconnaître les leçons du passé, car si l'on y regardait de bien près, on verrait qu'il y a toujours chez le vrai Belge quelque chose du vieil homme qui perce!

Et l'on nous dit à propos des pétitions : Qu'ont à faire les communes rurales avec la loi sur l'enseignement moyen? Il ne peut être question d'y établir des écoles moyennes ! Assurément les communes rurales ne viendront pas invoquer leurs franchises pour faire de l'opposition à la loi !

Mais, remarquez-le bien, messieurs, il ne s'agit pas ici d'administrations communales, ce sont les pères de famille qui réclament, et certes ils ont droit d'être entendus. N'avons-nous pas dans nos communes rurales bon nombre d'habitants aisés qui envoient leurs enfants dans les villes pour y profiter de l'enseignement organisé par les soins des administrations locales? D'un autre côté, si vous créez des athénées aux frais de l'Etat, ou, pour parler plus juste, aux frais des contribuables, les habitants des campagnes comme les habitants des villes ne sont-ils pas intéressés à ce que cet enseignement puisse profiter à tous ?

Et pour qu'il puisse profiter à tous, il faut qu'il offre aussi à tous des garanties morales et religieuses inscrites en toutes lettres dans la loi.

Messieurs, j'aborde maintenant la question qui est pour moi, sans contredit, la plus importante, je veux parler de l'enseignement religieux. La loi stipule-t-elle à cet égard des garanties suffisantes pour le père de famille? Telle est la question que je veux examiner succinctement, car je pense que c'est à l'article 8 que cette discussion doit trouver plus naturellement sa place. Je n'hésite pas à répondre négativement; et lorsque je viens déclarer que je considère ces garanties comme insuffisantes, lorsque j'insiste fortement pour qu'il soit fait droit à nos justes réclamations, c'est parce que je désire sincèrement que la loi que nous discutons puisse être adoptée par tous. Je ne veux pas voir la jeunesse belge divisée en deux catégories, commençant, dès l'âge qui devrait être uniquement consacré aux études. cette lutte, cet antagonisme qui ne divisent que trop les hommes dans la société et qui tirent leur origine de l'absence chez les uns, de l'oubli chez les autres, de ces grands principes de morale et de religion qui doivent former la base de l'enseignement dans tous les établissements ouverts à la jeunesse, qu'ils soient gouvernementaux, provinciaux, communaux ou libres. Ne rompons pas le seul lien qui puisse avoir la force de maintenir parmi les hommes d'une même nation les véritables sentiments d'une véritable fraternité !

On me demandera peut-être : Mais quelles sont ces garanties ?

Messieurs, je puis les formuler en peu de mots.

Je demande que vous proclamiez en principe dans la loi l'enseignement de la morale et de la religion obligatoire dans tous les établissements soumis au régime de la loi et que vous déclariez que cet enseignement sera donné et surveillé par les ministres des cultes délégués à cet effet par leurs chefs; en d'autres termes, je demande que vous mainteniez dans la loi sur l'enseignement moyen le principe que vous avez inscrit dans la loi sur l'enseignement primaire.

Alors, messieurs, le vague de l'article 8 disparaîtra, et vous devez reconnaître qu'une chose aussi importante que l'enseignement de la religion ne doit pas être laissée dans le vague et dépendre du plus ou moins d'entente qui existerait entre le clergé et le pouvoir exécutif.

Je sais tout ce que l'on ne manquera pas de m'objecter. J'ai prêté une scrupuleuse attention à tout ce qui a été dit ou écrit à cet égard, et toutes les objections aboutissent à ce raisonnement : Mais si le clergé refuse son concours ou met à ce concours des conditions inacceptables, que ferez-vous, quelle sera la position du gouvernement?

D'abord, ce refus de concours que vous prévoyez de la part du clergé est déjà un premier acte de méfiance; pour trouver des impossibilités, vous vous placez sur le terrain des exceptions. Pour des faits qu'en législateurs nous ne devriez pas prévoir, parce qu'ils constituent une déviation de la règle générale, vous abandonnez ce grand principe qu'avant tout vous avez les intérêts de la société à sauvegarder. Si des accidents imprévus surgissent, laissez à la sagesse des hommes qui seront à la tête, soit du gouvernement, soit de la province ou de la commune, le soin de les aplanir. Si vous apercevez partout, le mauvais vouloir, la lutte, oh ! alors je comprends qu'en présence de pareilles préoccupations il sera bien difficile de s'entendre; mais aussi, je le dis à regret, la loi votée sous l'empire d'impressions aussi fâcheuses portera en elle un principe de mort, un vice originel qui la rendra suspecte à une partie de la nation : ce sera une loi de parti, ce sera une loi mauvaise.

Je dis donc que le principe général à inscrire dans la loi, c'est l’enseignement obligatoire de la religion à donner et à surveiller par le clergé. Le cas d'abstention, c'est l'exception.

Or, les lois sont l'expression écrite de principes généraux.

Négliger le principe général pour ne vous occuper que de l'exception, c'est évidemment faire fausse route, c'est abandonner le but vers lequel vous sembliez vouloir vous diriger, pour aller vous égarer dans des chemins détournés.

Et lorsque nous demandons que vous inscriviez dans la loi sur l'enseignement moyen, les principes, en matière d'enseignement religieux, de la loi sur l'enseignement primaire, sommes-nous donc si exigeants ? Est-ce que nous vous demandons autre chose que de faire aujourd'hui ce que vous faisiez hier? Quel inconvénient est-il résulté de l'adoption du principe que nous réclamons? A quel conflit a-t-il donné lieu? De bonne foi, où avez-vous rencontré du mauvais vouloir de la part du clergé dans l'exécution de la loi de 1842? Je fais appel à tous les magistrats communaux qui ont été en rapport, à l'occasion de cette loi, avec des membres du clergé.

Et ici, messieurs, il y a une contradiction qui doit frapper tous les yeux.

Lorsque l'on prétend que le pouvoir central n'a pas le droit d'étendre aussi loin son action sur tous les établissements d'enseignement moyen,, que les communes doivent conserver toute liberté dans la direction de leurs établissements, on se hâte de répondre que des principes contraires ont été admis dans la loi sur l'enseignement primaire ; c'est là un précédent, dit-on, dont il faut tenir compte : on invoque ici en quelque sorte l'autorité de la chose jugée, à laquelle il faut se soumettre.

Mais si, au contraire, en fait d'enseignement religieux , on s'étonne de ne pas retrouver dans le projet de loi actuel les principes posés dans la loi de 1842, alors on tient un langage tout opposé : l'application faite de ce principe était mauvaise.

Ainsi cette loi est tantôt bonne, tantôt mauvaise, selon les besoins de la cause.

S'agit-il de centraliser l'enseignement, s'agit-il d'imposer d'étroites limites à la liberté des communes, on invoque de suite la loi de 1842 ; s'agit-il, au contraire, de l'enseignement religieux, invoque-t-on comme précédent les principes posés dans cette loi, on vous répond alors que les législateurs de 1842 n'ont rien compris à ce qu'ils faisaient, que, sur 78 membres qui prirent part au vote, trois seulement n'étaient pas frappés de cécité.

Eh bien, je tire une conséquence tout opposée de cette prétendue contradiction de la loi de 1842; j'en conclus que cette loi était ce qu’elle devait être en présence de nos principes, une loi de transaction : chaque opinion se faisait quelque concession et l'on était parvenu à s'entendre. Aujourd'hui une de ces opinions, tout en conservant ce qui lui a été concédé, veut reprendre les concessions qu'elle avait faites. Je vous laisse à apprécier la générosité d'un pareil procédé.

Messieurs, en ouvrant cette discussion on a fait appel à notre franchise; j'espère qu'on ne m'accusera pas d'avoir déguisé ma pensée, je la complète en déclarant que si j'ai cru devoir combattre un système d'enseignement peu conforme à nos institutions et dans lequel la religion n’occupait qu'une place accessoire et indéterminée, je serais heureux de voir amender la loi de manière à pouvoir lui donner un vote favorable. Si je me suis mis en mesure de combattre, c'était pour arriver plus facilement à conclure une paix honorable . J'ai suivi la maxime : Si vis pacem, para bellum.

M. Orts. - Messieurs, la matière grave que nous discutons en ce moment a fait une fois déjà l'objet de l'examen de cette chambre depuis son renouvellement intégral, lors de la discussion de la loi de l'enseignement supérieur. Je me suis alors prononcé contre cette loi. Je me suis prononcé contre cette loi, parce que je voulais tenir de la loi, de la volonté fixe du législateur ce que, je le reconnais, nous tenons aujourd'hui de la bonne volonté et de l'impartialité du ministre de l'intérieur actuel. Je ne me repens pas du vote que j'ai émis en cette circonstance, et si les motifs de ce vote devaient encore aujourd'hui me dicter une résolution négative sur la question qui nous sera soumise, si ces motifs devaient encore aujourd'hui me déterminer à rejeter le projet actuel, je le rejetterais, quelle que soit la communauté d'opinion existant entre moi et les hommes qui le proposent à l'appréciation de cette chambre. Mais je ne crois pas aujourd'hui la grande question de la liberté d'enseignement engagée dans le débat de manière à ne pouvoir, sur le projet actuel, m'amener à donner un vote affirmatif, sauf une correction que je me réserve de demander. Cette correction fait l'objet de l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau, et que je suis appelé à développer maintenant.

Tout d'abord, je le déclare, je ne suis pas de ceux qui pensent que la (page 1164) présentation du projet de loi actuel, que sa discussion à l'époque où nous nous trouvons, soit une chose inopportune. Je ne partage pas cette manière de voir. Je crois que le projet devait être présenté ; que cela a été une bonne chose que sa présentation, politiquement et administrativement.

Au point de vue administratif, je crois qu'il est temps que l'enseignement moyen, dans l'intérêt de la science et des études, reçoive une forte organisation, par l'intervention, à titre d'autorité, de l'Etat, de la commune et de la province, mais de l'Etat, de la commune et de la province seulement.

Au point de vue politique, je crois que la présentation du projet de loi est opportune. Je le pense, messieurs, parce que, dans peu de jours, les hommes que le changement de politique, opéré en 1847, a amenés dans le parlement et que les élections de 1848 y ont conservés pour la défense de cette politique nouvelle, inaugurée en 1847, reparaîtront devant le corps électoral.

Il est bon que, par cette épreuve, et à ce moment, le corps électoral puisse s'assurer que la politique nouvelle, que le pays a voulu inaugurer, est encore la même ; surtout dans une matière aussi grave que l'enseignement public.

Je crois cette épreuve d'autant plus nécessaire qu'à cette politique de 1847 j'ai entendu plus d'une fois faire le reproche, non pas de marcher trop vite, mais, sinon de reculer, au moins de rester dans la route, en se bornant trop souvent à marquer le pas.

J'irai plus loin ; maintenant cette discussion est indispensable, car, dans ce débat même, j'ai entendu imputer à crime au projet actuel de s'être inspiré précisément aux traditions du grand fait qui a remis en un seul faisceau tous les éléments du libéralisme belge en 1846, au fait qui a produit ces élections de 1847, auxquelles l'honorable M. Osy faisait naguère le compliment d'avoir sauvé la Belgique.

Cependant, messieurs, tout en reconnaissant que les élections de 1847, faites sous l'empire de ce qui constituait alors le programme du libéralisme, tout en reconnaissant que ces élections avaient fait un bien immense à la Belgique, que disait l'honorable M. Osy? Il reprochait au projet de loi de s'être inspiré au programme du congrès libéral, et cette parole, il la répétait d'après une autorité aussi respectable que la sienne.

Eh bien, messieurs, selon moi, c'est l'honneur du projet de loi de représenter exactement les opinions à l'aide desquelles le libéralisme confédéré a triomphé, et qu'il est arrivé à se constituer en majorité parlementaire.

N'oublions pas que c'est après le congrès libéral de 1846 que le grand mouvement électoral dont je parlais s'est manifesté, que c'est le congrès libéral qui a influé d'une manière évidente, frappante, sur le résultat des élections de 1847. En voulez-vous la meilleure preuve? Souvenez-vous que les élections de juin 1847 ont amené au sein du parlement 26 membres du congrès libéral de 1846 et que, dans la chambre qui m'écoute maintenant, il en siège encore 23.

Quanta moi, je le déclare, l'opinion à laquelle on reproche au projet de loi d'être allé s'inspirer, c'est mon opinion, c'est mon drapeau, c'est mon programme que le programme du congrès libéral de 1846, et je dirai à son honneur une seule parole : De tous les programmes qui ont subi l'épreuve des événements de 1848, c'est le seul auquel on ne puisse reprocher ni d'avoir menti, ni d'avoir cédé.

Que maintenant une discussion de cette espèce soulève quelque agitation dans le pays, cela doit-il nous arrêter? Cela doit-il nous empêcher de débattre ici des intérêts si importants que, quelle que soit l'époque où on les discute, l'agitation nécessairement s'ensuivra? Le pays, comme l'a dit M. le ministre des travaux publics au début de son discours, le pays est assez fort pour soutenir l'agitation d'un semblable débat; il peut le traverser sans péril.

Quant à moi, si je ne crains pas cette agitation, je ne puis cependant m'abstenir de dire que je ne puis ni l'approuver ni lui faire l'honneur d'y attacher une importance sérieuse. Non que je dédaigne le sentiment public dans son expression ; mais cette agitation, pour moi, n'est pas sincère. Elle n'est pas sincère, car elle n'est pas motivée; elle n'est pas sincère, parce que le péril qu'on prétend exister n'existe pas, et que l'agitation n'a pas eu lieu quand le péril existait.

Quoi ! messieurs, le projet actuel pourrait être considéré comme menaçant pour la liberté, comme menaçant pour les institutions! Quoi ! le danger résultant de cette menace serait assez grand pour que, désespérant de la justice de ceux qui gouvernent le pays et de ceux qui le représentent, on dût recourir, pour sauvegarder notre liberté, nos institutions, à la justice d'en haut. Je crois que des agitations de cette espèce sont impuissantes par leur exagération même.

Elles ne sont pas sérieuses; la preuve en est que quand notre existence nationale et celle de nos institutions s'est trouvée sérieusement menacée par les périls extérieurs, il y a deux ans, je ne me souviens pas avoir ouï convier les fidèles à des prières publiques pour le salut de nus chères institutions, je ne me souviens pas avoir entendu appeler du haut de la chaire l'attention des populations sur les dangers qui grondaient autour du pays.

Laissons de côté cette agitation factice, et occupons-nous de la loi en elle-même, voyons ce qu'elle a de bon, ce qu'elle peut avoir de mauvais et s'il n'est pas possible d'arriver, sur ce dernier point, à une entente, à une conciliation, de façon à satisfaire à tout ce qu'exige l'éducation de la jeunesse en Belgique.

Pour moi j'ai entendu, dans les trois reproches si souvent adressés à la loi, des choses qui m'ont touché; d'autres qui ne me touchent pas. J'ai entendu reprocher au projet une tendance à l'envahissement, j'ai entendu reprocher au projet de vouloir, poursuivant sa pensée envahissante, substituer, pour ce qui concerne l'enseignement, à l'action libre des communes d'une manière trop générale l'action du gouvernement; action de l'Etat que je reconnais dans une certaine mesure indispensable au bien-être de l'enseignement moyen.

J'ai entendu dire qu'en voulant absorber au profit de l'Etat l'action des communes, le projet de loi contrarie l'exercice des droits que la Constitution concède aux communes, qu'il contrarie encore nos habitudes et nos traditions nationales, à nous simples citoyens.

J'ai entendu reprocher enfin au projet de ne pas tenir un compte suffisant de la liberté du culte, au point de vue de l'enseignement de la morale et de la religion.

Les deux premiers vices reprochés au projet me semblent pouvoir se guérir par un seul et unique remède, c'est celui que j'ai cru pouvoir apporter en présentant mon amendement. Cet amendement a pour but de rendre indépendantes, en matière d'enseignement moyen, les communes et les provinces qui voudraient faire de l'enseignement moyen à leurs frais exclusifs, sans recourir à l'intervention de l'Etat ou d'une autre autorité.

Quant au dernier reproche adressé au projet, je me trouve singulièrement embarrassé ; j'avoue que si dans cette chambre on était venu me proposer quelque chose qui pût remplacer avantageusement ce qui nous est offert sous ce rapport par le projet de loi, si j'avais trouvé une formule meilleure ou sans inconvénient, je l'aurais acceptée; j'aurais le premier donné ici encore l'exemple de la conciliation. Mais ceux qui combattent le projet de loi, ceux qui combattent la formule du gouvernement ne font que la moitié de la besogne qui leur incombe; ils ne présentent aucune formule nouvelle pour remplacer celle qu'ils blâment.

Acceptez, leur dirai-je alors, la formule du gouvernement ou proposez-en une autre qui la remplace. Car, que voulez-vous que nous fassions? Nous devons inscrire l'enseignement religieux dans la loi; tout le monde est d'accord ; le gouvernement propose une formule dans ce but ; on n'en veut pas et on n'en propose pas d'autre. Si l'on suivait la voie dans laquelle on nous engage, nous repousserions donc la formule que nous propose le gouvernement et il en résulterait, quoi? qu'il, n'y aurait aucun enseignement religieux à aucun titre donné d'après la loi. Le but vers lequel chacun semble vouloir marcher ne serait, donc pas atteint.

Je dis qu'il n'y a pas de formule proposée. Je ne considère, en effet, ni comme une formule versée dans le débat, ni comme une formule différente de celle du projet, la formule qui se trouve inscrite dans le projet amendé sous le ministère de M. de Theux.

Pour ma part, en effet, je vois qu'en vertu de cette formule aussi bien qu'en vertu de celle du projet actuel, le droit du clergé est le même. Je ne trouve entre les formules qu'une légère différence et pourtant, en m'appuyant sur cette différence toute de mots, je vais dire pourquoi je préfère la formule du projet actuel à celle du projet de 1846.

Par l'une et par l'autre formule, le clergé n'est atteint en aucune façon dans sa liberté d'enseigner.

Aux termes du projet de M. de Theux, comme aux termes de celui-ci, le clergé ne peut être contraint d'enseigner la religion, ni empêché d'enseigner ce qui eût été également contraire à la liberté. Là où il lui plaît d'enseigner il peut enseigner, là où il ne lui plait pas d'enseigner on ne peut le contraindre à le faire.

Cette position légale est sans conteste une position de liberté. C'est la reconnaissance la plus formelle, dans la loi, de l'indépendance constitutionnelle du clergé vis-à-vis de l'Etat. Quelle conséquence résulte de ce principe? Si les écoles de l'Etat sont bonnes, morales, que nous voulons avec tous les pères de famille, le clergé invité à venir y donner l'enseignement religieux, y viendra. L'esprit de sagesse engagera le clergé à accepter l'invitation ; il aurait un compte trop grave, trop sévère à rendre aux populations, si, recevant l'invitation de se rendre dans des écoles bonnes et morales il n'y répondait pas.

Si les écoles de l'Etat sont, par impossible, mauvaises, le clergé n'y viendra pas et l'opinion publique se rangera du côté du clergé. Seulement dans le cas où le clergé croit devoir se retirer des écoles de l'Etat, surgit la différence entre le projet de M. de Theux et le projet de 1850, et pour cette différence je préfère la formule de ce dernier projet. La loi de 1846 déclarait que dans les écoles d'où le clergé se retirerait l'enseignement religieux serait suspendu. Cette déclaration officielle n'est au fond que la constatation d'un fait, mais une constatation opérée avec fracas; c'est pourquoi je n'en veux pas. Je veux la chose, mais sans bruit; le bruit est inutile. Que le clergé se retire quand il le juge convenable, mais je ne veux pas qu'il le fasse avec trouble, avec scandale. Comparez les deux formules : pour toute différence, vous verrez qu'il n'y a que fracas et que bruit de plus dans le projet de 1846.

Mettant de côté ce projet de 1846, qu’ai-je entendu proposer par les adversaires absolus de la loi ? Des formules vagues; ils ont énoncé des principes: mais de conclusions nettes, aucune; encore moins ont-ils produit une rédaction. Toutefois, j'ai entendu émettre une opinion qui a paru rallier la majorité de ces adversaires du projet, c'est l'opinion émise en dernier lieu par l'honorable M. Vanden Branden de Reeth avec franchise et netteté. Ce que nous demandons, a-t-il dit, c'est ce qui a été inscrit dans la loi de 1842 pour l'instruction primaire. L'honorable (page 1165) M. de Liedekerke, si je me rappelle bien cette partie de son remarquable discours, avait formulé en passant la même prétention. L'honorable M. Thibaut, en disant ce qu'il voulait, allait, il est vrai, plus loin. Voici le résumé de son système en quatre propositions :

« Tout enseignement, » tout - donc, sans exception aucune - ce qui va loin.

« Tout enseignement aura pour base les principes de la religion professée par la majorité des élèves. »

« Les ministres du culte » sans doute « de la majorité... »

M. Thibaut. - Evidemment.

M. Orts. - « Les ministres du culte, partout où ils seront présents, pourront exercer la surveillance sur les mœurs et la conduite des élèves.

« Aux ministres du culte » - toujours de la majorité - « seuls appartient le droit d'enseigner la religion. »

« Le cours de religion est obligatoire. » Sans exception encore et toujours la religion de la majorité.

C'est quelque chose de plus, messieurs, que la loi de 1842. Par conséquent, M. Thibaut peut être compris dans ceux qui veulent au moins le projet de 1842. Examinons cette prétention, et disons, sans hésiter, qu'elle est inadmissible; qu'elle n'eût pas été admise, même en 1842, par la majorité de cette époque.

L'analogie est inadmissible, par diverses raisons; parce qu'en 1842, d'abord, on s'occupait d'une autre instruction ; on voulait que cette instruction fût appropriée aux besoins d'une autre catégorie de personnes que celles qu'a en vue le projet dont nous nous occupons.

En effet, en 1842, il s'agissait d'instruction primaire, et l'instruction primaire et l'instruction moyenne ont des besoins différents. L'instruction primaire s'adresse à la généralité du pays.

A la différence de l'instruction moyenne, elle doit pénétrer dans la plus minime de nos communes, descendre jusqu'à la dernière limite de l'échelle sociale. Plus elle ira dans cette voie, en s'abaissant, plus elle sera utile.

L'enseignement moyen, au contraire, s'adresse à une classe plus élevée de la société. Sauf quelques rares exceptions, la classe moyenne, seule, reçoit cette instruction.

L'instruction primaire s'adresse à l'enfant qui n'a reçu aucune instruction. L'enseignement moyen s'adresse à celui qui, dans l'école primaire, a déjà acquis, sous le rapport de la science, de la morale, de la religion, une certaine éducation.

Cette différence avait, en 1842, fait repousser par la grande majorité de ceux qui ont fait la loi sur l'enseignement primaire le système insoutenable qu'on préconise aujourd'hui, l'assimilation sous le rapport de l'enseignement religieux, de l'instruction primaire et de l'instruction moyenne.

Deux citations seulement donneront à la chambre la conviction de l'exacte vérité de ce que j'avance.

Où peut-on mieux trouver le sens exact de la loi de 1842, si ce n'est d'une part dans l'opinion du ministre qui l'a défendue, et d'autre part, dans l'opinion du rapporteur de la section centrale, qui est venu, au nom des sections de la chambre, proposer au parlement l'adoption du projet de loi. Ce sont ces deux témoins précieux que je veux faire comparaître devant la chambre, à l'appui de la démonstration que j'entreprends.

L'honorable M. Nothomb, l'honorable M. Dechamps faisaient, en 1842, la distinction que je formule entre l'instruction primaire et l'instruction moyenne, au point de vue de l'enseignement de la morale et de la religion, et voici dans quelle circonstance : L'honorable M. Devaux, en 1842, avait appelé l'attention du parlement sur la question que je discute maintenant; il craignait le piège où nous allons tomber, si nous suivons la voie où l'on nous pousse. Prenez garde, disait-il, ne faites pas au clergé pour l'enseignement de la morale et de la religion une position qu'il ne manquera pas de considérer comme son droit dans l'enseignement moyen. A cette invocation, et pour éviter qu'elle ne fût fatale à la loi, que vinrent dire le ministre et le rapporteur de la section centrale?

L'honorable M. Nothomb, dans la séance du 13 août 1842, disait :

M. Dumortier. - Où cela ?

M. Orts. - Précisément à la page 394 du volume que tient en mains l'honorable M. Dumortier. M. Nothomb disait :

« Avant d'aller plus loin, je veux, comme l'a fait l'honorable préopinant m'expliquer sur la portée que je donne à la discussion actuelle. Nous ne faisons une loi que pour l'instruction primaire ; il s'agit de l'enfant et des classes inférieures de la société. Je m'empresse de déclarer que je fais toutes mes réserves pour l'enseignement moyen et pour l'enseignement supérieur. »

Puis complétant sa pensée, il continuait à faire ressortir encore ces différences essentielles tirées de l'âge et de la condition sociale, dans un discours trop long pour que je le relise à la chambre; d'autant plus qu'une partie de ses membres l'a déjà entendu débiter beaucoup mieux que je ne le pourrais faire.

L'honorable M. Dechamps, entrant dans le même débat, s'exprimait ainsi, toujours pour calmer les craintes de l'honorable M. Devaux :

« Messieurs, une chose me frappe, dans ce débat, c'est que plusieurs honorables membres confondent ordinairement ce qui est relatif à l'instruction moyenne et supérieure avec ce qui est relatif à l'instruction primaire proprement dite.

« Ma conviction est qu'il faut aussi que l'instruction moyenne revête un caractère moral et religieux; cependant chacun comprendra que la question n'est pas identiquement la même pour l'instruction moyenne que pour l'instruction primaire. »

L'instruction moyenne doit être sérieusement et profondément morale et religieuse, mais elle reçoit un certain caractère politique, tandis que l'instruction primaire est exclusivement sociale.

J'ai donc raison de dire, messieurs, que le gouvernement et la majorité de 1842 n'admettaient pas le moins du monde l'assimilation entre l'enseignement primaire et l'enseignement moyen, sous le rapport de l'enseignement de la morale et de la religion.

Si je voulais vous dire maintenant ce que pensait l'opposition d'alors, cette opposition qui a fini par se rallier au projet de loi et par voter son adoption, précisément à cause de la distinction que je signale, je ferais appel à un discours remarquable prononcé par l'honorable M. d'Hoffschmidt, aujourd'hui ministre des affaires étrangères, discours qui a exercé une grande influence sur l'issue du vote.

Outre les raisons que je viens de vous signaler, raisons qui me feraient repousser cette assimilation en pure théorie, comme on l'a repoussée en 1842, s'il était besoin d'autres motifs, j'en dirais de tout nouveaux, de tout spéciaux; je dirais des motifs que l'on n'avait pas, en 1842, et je répondrais ainsi à une provocation de l'honorable M. Vanden Brandon de Reeth. Pourquoi, disait à l'instant cet honorable membre, pourquoi ne pas admettre aujourd'hui ce qu'on a admis dans la loi sur l'instruction primaire. Où sont, a-t-il dit, les abus, les inconvénients de ce système? N'a-t-il pas été appliqué sans la moindre de ces difficultés qu'on allègue et qui le rendent, dit-on, inadmissible pour l'enseignement moyen? Mais l'honorable membre auquel je réponds n'a sans doute pas lu un document parlementaire qui nous a été distribué l'année dernière.

C'est le rapport triennal sur l'instruction primaire présenté aux chambres, le 20 juin 1849 par l'honorable ministre de l'intérieur.

M. Vanden Branden de Reeth. - Je l'ai lu.

- Un membre. - Il a eu du courage.

M. Orts. - Si vous l'avez lu en entier, je m'associe à l'éloge que j'entends vous adresser derrière moi. Vous avez eu du courage; mais c'est un courage qu'on doit avoir lorsqu'il s'agit de questions graves comme celle que nous examinons.

Mais si l'honorable membre a lu ce document, il ne l'a pas bien retenu et je le conçois; le document est assez gros pour qu'on puisse être excusé d'en avoir oublié quelque chose. Si l'honorable membre avait bien lu et bien retenu, il aurait vu là une petite énumération de ce qui s'est passé dans l'intervalle de trois ans en matière de conflits entré l'autorité civile et l'autorité religieuse.

M. Vanden Branden de Reeth. - Je les connais; ils sont peu graves.

M. Orts. - Vous me permettrez de les énumérer et de les faire apprécier très rapidement à la chambre. Car je crois que c'est une chose utile, en supposant que les raisons que j'ai données tout à l'heure ne seraient pas concluantes pour repousser l'assimilation que vous proposez.

Dans le rapport se trouve, dis-je, l'énumération des conflits qui se sont élevés entre l'autorité civile et l'autorité religieuse et que l'honorable M. Van den Branden de Reeth ne trouve pas graves.

Ces conflits ne sont pas nombreux; il n'y en a que douze. Mais si on les examine, si l'on réfléchit aux circonstances dans lesquelles ils se sont produits, leur petit nombre trouve une explication, et une explication qui me rend extrêmement défiant; car lorsque je fais des lois, comme le disait tout à l'heure l'honorable préopinant lui-même, je les fais en défiance de toutes les éventualités et de tous les ministères qui pourraient les appliquer.

Je remarque que ces faits sont nombreux vers 1846, qu'ils tourmentent beaucoup l'existence ministérielle de l'honorable M. de Theux, qui prend, il est vrai, les dispositions nécessaires pour les éviter, et je vois que lorsque la majorité de 1847 a porté an pouvoir le ministère actuel, les conflits deviennent beaucoup moins fréquents.

Or, je ne me délie pas beaucoup des conflits, des prétentions, des exigences de cette espèce, toutes les fois que le pouvoir sera appuyé sur une opinion contraire à ces exigences et forte, sur une opinion qui vient de triompher dans la lutte, et lorsque nous nous trouvons, après un triomphe rendant les adversaires circonspects, en présence d'événements tels que ceux qui se sont produits à partir de 1848. Mais je répète que je fais les lois en défiance de tous les ministères futurs ou actuels, et que je crains les conflits, surtout lorsque la loi sera exécutée par un ministère sorti d'une autre opinion.

Messieurs, quel que soit d'ailleurs le nombre de ces faits, je dis qu'ils sont graves et dangereux pour l'opinion qui veut faire passer dans la loi d'enseignement moyen le système de la loi d'enseignement primaire, parce que ces faits, ces conflits que je reconnais moins graves lorsqu'il ne s'agit que d'instruction primaire, auraient une gravité considérable lorsqu'ils se produiraient en matière de surveillance de l'enseignement moyen.

Les conflits de cette espèce se produisant dans de petites communes de notre pays, au milieu de populations calmes de leur nature, s'occupant peu des querelles politiques et même des querelles religieuses, et elles ont parfaitement raison, perdent, j'en conviens, beaucoup de leur gravité. Mais convenez à votre tour que les même difficultés, les mêmes prétentions exagérées venant à se produire sur un plus vaste théâtre, (page 1166) sur une scène plus élevée, au milieu de nos grandes villes, devant un public beaucoup plus impressionnable dans ces sortes de querelles, devant un public qui se passionne pour les questions politiques et religieuses, le danger serait mille fois plus grand. Ce danger, je ne veux pas avoir à le combattre plus tard, et ce désir me fait repousser l'introduction du système de la loi de 1842 dans la loi de 1850.

Croyez-vous, par exemple, que si une hostilité systématique se manifestait contre un établissement d'instruction d'une grande ville, comme une hostilité systématique irréfléchie, condamnée par tout le monde, par l'autorité religieuse et par l'autorité civile, s'est manifestée, d'après le rapport, contre des écoles primaires dans quelques communes; croyez-vous qu'il n'en résulterait pas une émotion dangereuse parfois même pour la tranquillité publique?

Si, par exemple, les enfants appartenant à un collège étaient, sans motifs légitimes, par pur caprice, empêchés de participer à la confession, de faire leur première communion, comme cela s'est passé dans plusieurs de nos communes rurales, et cela, j'appuie sur ce point, sans motif plausible, de l'aveu même du clergé supérieur, je dis que ce conflit amènerait des difficultés, des haines qui doivent faire reculer devant le système que l'on propose.

Je n'irai pas plus loin dans cette voie parce que je ne veux pas donner plus de publicité qu'il ne faut aux choses dont je me plains. Je pense que cette publicité est dangereuse et qu'elle ne pourrait que jeter plus d'irritation qu'elle ne répandrait d'utilité sur nos débats. Mais que mes honorables adversaires veuillent bien réfléchir sur l'effet que ces conflits auraient produit dans une grande ville, à propos d'un grand collège, et qu'ils pèsent les conséquences du système qu'ils ont défendu.

Je ne veux pas m'arrêter davantage à la question que soulève la discussion de l'intervention du clergé dans l'enseignement. Je me borne à dire que, alors que le clergé a le droit d'enseigner par lui-même, où il veut et vis-à-vis de l'Etat, le droit d'entrer dans toutes les écoles qui sont bonnes, et le droit de s'abstenir de pénétrer dans celles qui sont mauvaises, il obtient par la loi la reconnaissance de tout ce qu'il peut et doit raisonnablement obtenir.

Il a le droit de faire le bien partout où il peut faire le bien ; il a le droit de repousser toute solidarité avec un établissement d'enseignement qui ne présenterait pas toutes garanties. Seulement, si le clergé se trompe, les pères de famille sauront juger et l'opinion publique l'avertira de son erreur.

Voilà le résumé du système du projet; aussi si ce grave reproche existait seul, je n'hésiterais pas à donner au projet toutes mes sympathies. Mais il est un point sur lequel mon adhésion ne peut être aussi complète ; je veux parler de ce qui concerne l’intervention des provinces et des communes.

Ici, je crois que le projet de loi fait, une trop large part à l'Etat, sans utilité pour l'Etat lui-même, sans utilité pour la matière qu'il s'agit de réglementer. Je crois que les communes et les provinces doivent conserver une plus large part de la liberté dont elles usent aujourd'hui.

J'ai donc l'honneur de proposer à la chambre un amendement ainsi conçu :

« Les établissements d'enseignement moyen, fondés ou entretenus par les communes ou les provinces sans le concours du gouvernement, ne sont soumis au régime de la présente loi qu'en ce qui concerne l'inspection et le concours.

« Toutefois, les communes et les provinces ne peuvent déléguer à des tiers, en tout ni en partie, les droits que la loi leur confère sur leurs établissements d'instruction publique. »

Le système de mon amendement, messieurs, est fort simple, avant de le défendre, permettez-moi de l'exposer.

Je veux maintenir à la province et à la commune, aussi longtemps qu'elles agiront seules et par le secours de leurs seules ressources, l'indépendance complète, l'indépendance la plus large en matière d'établissements d'enseignement moyen. Toute commune qui voudra fonder un collège avec le secours de ses seuls deniers communaux sera libre de l'établir comme elle l'entendra, comme le ferait un particulier. Elle enseignera ce qu'elle voudra, sauf qu'elle devra enseigner assez de choses pour pouvoir tenir sa place aux concours, auxquels sont soumis les établissements organisés en vertu de la loi que nous examinons.

Même faculté pour les provinces.

Ainsi, liberté complète, sauf les mesures de surveillance auxquelles personne ne songera certainement à se soustraire, indépendance complète pour les provinces et les communes qui agissent seules, sans implorer les secours pécuniaires de l'Etat, comme agit un particulier, qui est maître de sa bourse et en fait l'usage qu'il juge convenable.

Le système de mon amendement partant de cette première idée, de l'idée d'indépendance complète qui est, du reste, le maintien de l'état de choses actuel, admet cependant deux restrictions, pour le cas où la commune n'exerce plus son droit par elle-même. Je maintiens le système du gouvernement, c'est-à-dire la prohibition de la délégation des droits de la commune à des tiers. Je maintiens également l’article 32 du projet, en ce qui concerne les établissements patronnés.

Si le système que je propose était admis, les établissements d'enseignement moyen des trois catégories dont s'occupe la ici auraient la position que voici : établissements de l'Etat, dans les conditions où le gouvernement propose de les placer; établissements des provinces, aux provinces: établissements des communes, eux communes ; seulement inspection du gouvernement pour s'assurer si les établissements ne sortent pas de cette condition fondamentale, que la province ou la commune soit indépendante par elle-même, c'est-à-dire qu'elle agisse sans le concours de personne; établissements subsidiés par l'Etat, dans les conditions que le gouvernement propose, c'est-à-dire soumis au régime de la loi sur l'enseignement moyen ; établissements patronnés, soumis au régime de l’article 32 de la loi.

Je crois, messieurs, que ce système n'offre aucun danger pour l'enseignement; qu'il satisfait aux exigences légitimes, aux susceptibilités, si vous le voulez, des communes, et qu'il fait disparaître, je ne dirai pas tous les motifs de voter contre la loi, mais au moins tous les prétextes.

Mon système, d'ailleurs, ne s'écarte pas si grandement du projet, tel qu'il, a été amendé par la section centrale. Il peut différer du projet primitif, mais il ne diffère pas énormément de celui de la section centrale. En effet, si l'amendement que propose la section centrale, quant au choix des professeurs, était adopté, je ne différerais plus de la section centrale qu'en un seul point important, c'est, je crois, la faculté de révocation qui, dans mon système, appartiendrait complètement à la commune et à la province, tandis que, dans le système de la section centrale, les conseils communaux ne peuvent révoquer que sous l'approbation du gouvernement.

Je pense donc, messieurs, qu'en définitive, ce système ne peut pas être considéré comme étant en hostilité contre la pensée générale du projet et qu'il s'agit plutôt d'une question de détail que d'une question de principe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est même insignifiant.

M. Orts. - Eh bien, si c'est insignifiant, je m'étonne que les reproches faits au projet sous le rapport de l'indépendance de la province et de la commune aient été relevés comme étranges par les défenseurs absolus du projet, et notamment par l'honorable M. Lebeau.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si vous voulez me le permettre, je justifierai le mot insignifiant par une explication. Vous demandez que la création d'établissements d'instruction, par la province ou la commune, sans subsides de l'Etat, ne soit pas soumise à l'approbation royale. Du moment qu'il y a subside, il est clair que le gouvernement intervient. Or, la création de collèges par les provinces ou les communes, sans le concours de l'Etat, ne sera manifestement qu'une exception, et dès lors votre amendement ne s'appliquera qu'à un nombre de cas infiniment restreint. C'est dans ce sens qu'il est insignifiant.

M. Orts. - L'observation de M. le ministre me paraît exacte en ce qui concerne les grands établissements ; mais dans le système de liberté complète que je propose, des communes de deuxième ordre pourraient très fréquemment être amenées à créer des établissements d'enseignement moyen qui ne rempliraient pas toutes les conditions exigées par le projet de loi, et ces établissements seraient cependant d'une sérieuse utilité dans bien des communes. Je crois que plus d'une commune serait disposée à créer un semblable établissement où elle pourrait appeler toute espèce de professeurs quel que soit le lieu d'où ils viennent, quel que soit l'habit qu'ils portent, quels que soient les principes qu'ils enseignent.

Je demande en un mot, messieurs, de mettre dans la loi le principe inscrit dans le projet de 1834, dont l'article 5 portait :

« Lorsque les communes établissent des écoles à leurs frais, elles jouissent, comme tous les citoyens, d'une liberté entière soit pour nommer, suspendre ou révoquer les instituteurs, soit pour fixer le traitement, soit pour diriger l'instruction. »

Le système que je propose, messieurs, n'admet pas la suppression de l’article 32 relativement aux établissements patronnés et prohibe les délégations. Je m'attends à voir surgir le reproche d'inconséquence contre la position que je prends à l'égard des établissements purement provinciaux on communaux, et à l'égard des établissements patronnés. On dira bien certainement : Si vous admettez la liberté des communes d'une manière absolue, pourquoi donc ne leur permettez-vous pas de déléguer leurs droits en tout ou en partie à des tiers qu'elles croiraient présenter des garanties suffisantes d'une bonne instruction , des garanties d'une instruction meilleure même que celle que ces communes pourraient directement distribuer ? Pourquoi ne leur permettez-vous pas de patronner des établissements sans l'intervention du gouvernement ?

Messieurs, si j'ai un grand respect pour la liberté communale, lorsqu'elle s'exerce par les pouvoirs constitués à cet effet, je n'ai pas le moindre respect pour la liberté des communes qui ne la respectent pas elles-mêmes assez pour la conserver.

Lorsqu'une autorité communale aliène au profit d'un tiers le mandat politique qu'elle a reçu, elle n'est plus le représentant de la liberté communale. Il est élémentaire qu'un mandat politique ne peut jamais se déléguer. Cela est aussi évident pour une commune qui délègue ses droits à un tiers, que ce serait évident pour un membre de la chambre qui croirait faire chose utile à ses commettants en déléguant à son curé le droit de venir voter pour lui en plein parlement.

M. de Mérode. - L'éducation n'est pas un acte politique.

M. Orts. - La délégation, donnée par la commune, est donnée en vertu du mandat politique des électeurs, qui ont chargé leurs mandataires communaux de pourvoir à tous les besoins moraux et financiers de la commune.

(page 1167) Ma raison pour admettre la dernière partie de l'article 6 du projet de loi, concernant la défense de délégation, est donc fondée sur le principe élémentaire qu'un mandat ne se délègue pas.

Viennent maintenant les établissement patronnés. J'appuie naturellement le projet sous ce rapport; dans les termes de l'article 32, le patronage est permis, cela est parfaitement régulier et légitime.

Mais on exige quoi? Que le patronage soit soumis à l'autorisation en définitive du pouvoir royal. Est-ce là une bien grande exigence ? Qu'est-ce que le patronage? C'est l'acte d'un conseil communal qui abandonne un établissement d'instruction d'ordinaire la jouissance des bâtiments communaux pour y établir un collège pendant un temps plus ou moins long, et qui prend, en outre, l'engagement d'allouer un subside. Le conseil dispose de bâtiments communaux et de fonds mis à la disposition de la commune par les contribuables pour subvenir aux besoins de l'administration. Il renonce, en outre, au droit de distribuer l'instruction à ses administrés.

Si, au lieu d'agir ainsi, la commune voulait opérer la vente d'une maison de l'importance la plus minime, cet acte serait soumis aux mêmes conditions que celles auxquelles la loi subordonne le patronage.

La loi soumet la faculté d'abdiquer le droit de diriger l'enseignement à la même condition que l'aliénation d'un immeuble. Les entraves au patronage ne seront pas bien grandes, convenons-en, puisque l'exercice du droit de l'Etat sera contrôlé par l'appréciation qu'on fera chaque année de la conduite du gouvernement, quant aux sanctions refusées ou accordées aux conventions par lesquelles les communes auront disposé de leur patronage envers des établissements d'enseignement.

Dans l'amendement que j'ai proposé, je n'ai pas parlé des établissements de l'Etat, des athénées, de la part faite à la commune dans l'administration de l'athénée ; j'ajoute que sous ce rapport s'il était possible dans la discussion des articles de faire, pour la formation du bureau d'administration, quelque chose de plus que le projet, je serais heureux de pouvoir appuyer une modification de cette espèce. J'adopte donc provisoirement sur ce point les propositions du gouvernement, tout en me réservant d'appuyer les amendements qui me paraîtraient donner dans une mesure équitable satisfaction aux susceptibilités communales.

Je déclare toutefois considérer cette question comme moins importante que celle qui concerne l'indépendance de la commune agissant seule, dans sa propre force, avec ses propres ressources. Je me borne à la réserve de ma liberté d'appréciation pour les amendements qui seront présentés.

Au début de la discussion, M. le ministre de l'intérieur a fait un appel à la conciliation ; il s'est adressé à tous les adversaires du projet. Les partisans de l'indépendance des communes sont nombreux dans cette chambre.

Je crois qu'en obtenant ce que j'ai demandé, je puis espérer que ceux qui auraient voulu, au point de vue communal, une autre organisation de l'enseignement moyen, modéreront leurs prétentions. Que M. le ministre fasse de son côté un pas vers eux, la question fondamentale du débat actuel sera dès lors ce qu'elle doit être, une question purement libérale posée sans mélange d'aucun autre intérêt.; que le ministère se rapproche autant que possible de ce que je considère comme un désir légitime ; de cette façon tous ceux qui appartiennent à l'opinion libérale et qui auraient pu trouver dans l'indépendance communale méconnue un motif d'opposition, je ne dis pas un prétexte, car de ceux-ci je ne parle pas, tous voteront pour la loi. Son adoption, qui sera un événement heureux pour le pays, ne peut être alors considérée comme douteuse. Nous aurons fait une œuvre dont le pays sera reconnaissant et envers ceux qui l'auront proposée, et envers ceux qui par leur modération, leur esprit de conciliation, auront contribué à son adoption.

M. Christiaens. - Parmi les attaques dirigées contre le projet de loi que nous discutons, il en est qui sont évidemment empreintes de beaucoup d'exagération et d'injustice; qui sont d'une malveillance exhalant par trop de haineuses récriminations contre l'opinion libérale du pays, pour n'être pas intentionnellement méchantes. Sous ce rapport nous serions en droit de les qualifier sévèrement si nous ne tenions à nous abstenir de représailles, par respect pour cette assemblée et pour le pays qui nous écoute.

Quoi ! on ose venir accuser nos opinions publiques d'être imbues de ces principes subversifs et pervers qui naguère ont étendu leurs ravages sur un pays voisin, et causé des désordres que, certes, les vrais libéraux de tous les pays ont été les premiers à déplorer, dans l'intérêt de la noble cause qu'ils ont à défendre. On jette à la tête du libéralisme belge des épithètes, au moyen desquelles on s'efforce de nous montrer tels que sont les démagogues du pays que je nommais tout à l'heure, comme si, à notre tour, nous étions prêts à venir infliger à notre belle patrie le fléau de l'irréligion, de l'immoralité et de l'anarchie !

Comment expliquer tant d'injustes colères, envers des compatriotes amis de leur pays, dans la bouche de ceux qui se disent modérés, religieux et chrétiens?

Est-il possible, je le demande, de trouver dans les dispositions de la loi que nous discutons en ce moment le mobile vrai de tant de haine ?

Non, sans doute. Et si cette loi ne mérite pas ce débordement de fiel amassé contre elle, comment alors, sont-ils si coupables, ceux qui viennent ici la détendre ou l'approuver de bonne foi ?

Et pourtant, toute cette haine doit avoir une cause, et sa bruyante manifestation dans la circonstance actuelle doit aussi avoir un but. Ce que nous voyons se passer dans le pays à l'heure qu'il est, fait présumer que le moment de cette explosion générale a été soigneusement choisi.

Je ne rechercherai, ni les motifs qui ont déterminé ce concert de mauvaises passions déchaînées contre nous, ni le but qu'on s'est proposé d'atteindre, en voulant jeter de si vives alarmes, au milieu de nos paisibles populations, à l'occasion de la loi sur l'enseignement moyen; mais j'ai cru à la nécessité de ce peu de préliminaires avant d'en aborder la discussion.

Au point de vue constitutionnel, les griefs articulés contre les dispositions du projet de loi sont complètement dénués de fondement, Ce projet ne fait qu'organiser une partie intégrante de l'enseignement public par l'Etat, prescrit par le second paragraphe de l'article 17 de la Constitution.

Cette loi organique, trop longtemps attendue par le pays, le gouvernement vient enfin la présenter à la sanction des chambres.

Issu de l'opinion générale du pays, le ministère eût manqué à sa mission, s'il avait différé plus longtemps la présentation de cette loi importante à divers titres. Il ne pouvait l'ajourner sans manquer au plus saint de ses devoirs, sans mentir à son programme et surtout, sans se faire accuser de faiblesse coupable, ou de calcul déloyal, comme on en a accusé tour à tour, et à juste titre, selon moi, tous les ministères qui se sont succédé depuis la promulgation de la Constitution belge jusqu'à ce jour, et je le déclare hautement, je suis persuadé que cette faiblesse et ce calcul sont la cause de toutes les difficultés que rencontre l'organisation de l'enseignement en ce moment et de l'agitation factice qu'elle soulève dans le pays.

On va me dire peut-être qu'on ne critique pas le gouvernement pour venir organiser l'enseignement moyen par la loi; qu'on lui conteste seulement le droit d'étendre cette organisation au-delà de certaines limites; mais par qui ces limites devraient-elles donc être tracées ? Sans doute par l'opinion qui repousse le projet présenté. C'est-à-dire par une opinion ombrageuse et politiquement intéressée; en ce cas, je réponds que cet argument, pour être plus prétentieux, n'en est pas du tout plus fondé.

En effet, prétendre que le gouvernement devrait se borner, pour satisfaire à la prescription constitutionnelle à l'égard de l'instruction publique, à présenter à la législature une loi, n'instituant dans le pays que quelques rares établissements types ou modèles d'enseignement moyen, c'est évidemment demander que la loi crée un privilège en faveur du très petit nombre de localités où ce peu d'établissements types auraient leurs sièges. Or, ce privilège-là serait réellement une violation de la Constitution du pays. L'article 6 de la Constitution belge dit : « Les Belges sont égaux devant la loi. »

Eh bien, ne serait-ce pas un corollaire étrangement logique, pour ne pas dire absurde, de cet article 6, qu'une loi organique de l'enseignement secondaire, qui, pour une minime partie des Belges, placerait ses bienfaits à côté de leurs domiciles, en même temps que, pour le plus grand nombre, elle placerait ces mêmes bienfaits hors de leur atteinte?

La loi doit organiser l'enseignement moyen, autant que possible, sur tous les points du pays. Ainsi le prescrit, par la généralité de ses termes, le deuxième paragraphe de l'article premier de notre pacte fondamental; ainsi l'explique le bon sens, ainsi le veut la justice distributive du pays.

L'enseignement moyen, à cause de son caractère d'utilité pour de nombreuses classes de la société, doit être mis, autant que possible, à la portée de tous les citoyens belges. S'il en était autrement, la loi organique de cet enseignement serait souverainement injuste. Elle viendrait consacrer un nouveau privilège en faveur de la jeunesse des grandes villes, et au préjudice de cette jeunesse, non moins intéressante à mes yeux, des autres localités de la Belgique.

Et de même que la loi doit être mise à la portée de tous les contribuables, dans la limite du possible, elle doit être d'une exécution uniforme dans toutes les localités, contrairement à ce qu'a dit l'honorable M. Fontainas, qui ne paraît pas s'effrayer de quelques disparates dans l'exécution d'une loi sur l'enseignement secondaire. Cet honorable membre cherche à justifier son peu de crainte à cet égard, par l'effet que produisent les notes discordantes en musique. Je répondrai à cet honorable collègue, qu'il est bien vrai, qu'en musique, certains tons discordants ne déchirent pas le tympan de l'oreille, une fois que ces tons sont venus se confondre dans l'effet général de l'harmonie; mais en matière de diffusion de lumière et d'éducation nationale, toutes les dispositions de l'œuvre doivent être harmoniques, si vous voulez qu'un désaccord affreux ne vienne un jour déchirer le sein de la patrie.

L'aigument en faveur d'un nombre fort restreint d'établissements d'enseignement moyen, comme établissements d'instruction types, n'est qu'un faux-fuyant qui ne saurait séduire aucun homme sensé du pays. Cet argument ne fait que constater une fois de plus l'impuissance où l'on se trouve de pouvoir convaincre le projet de loi d'inconstitutionnalité dans l'ensemble de ses dispositions. Ce qui résulte de plus clair de cet argument, c'est qu'il trahit, aux yeux des moins clairvoyants, des vues et des calculs qui tendent à conserver l'enseignement moyen du pays sous la main du clergé par l'absence d'une concurrence sérieuse, de la part de l'enseignement donné par l'Etat.

Or, c'est précisément cette concurrence sérieuse qui est devenue indispensable sur tous les points du pays. Oui, le pays tout entier réclame des établissements d'enseignement moyen, créés au nom de la loi, répondant par leur qualité aux besoins des progrès de la civilisation, et (page 1168) par leur quantité, aux justes droits de tous les contribuables de la Belgique.

En vain dira-t-on que la concurrence de l'enseignement de l'Etat, sur une large échelle, va directement à rencontre de la liberté de l'enseignement privé, en ce qu’une pareille concurrence se fera avec l'argent de tous les contribuables indistinctement; qu'elle pourra devenir ainsi un moyen indirect de tuer l'enseignement privé, qui n'a que des ressources individuelles et volontaires pour lutter contre une rivale soldée par le trésor public.

A ces raisons-là, je réponds, en premier lieu : que, si l'enseignement de l'Etat satisfait l'attente de la nation, sous ses divers rapports, il n'y aura pas le moindre mal que cet enseignement ait une grande extension dans je pays.

Que si, au contraire, il ne satisfait pas cette attente, l'enseignement privé, restant complètement libre, pourra sans aucun effort, et par l'effet seul de la liberté, faire tomber l'enseignement de l'Etat, et ce serait là, selon moi, la plus belle mission que l'enseignement libre puisse accomplir.

Ensuite, je demanderai si c'est bien sérieusement qu'on observe que ce serait avec l'argent de tous les contribuables indistinctement qu'on payera l'instruction moyenne publique? Tout ce que la loi du pays institue dans l'intérêt public, c'est à-dire dans l'intérêt de la société entière, peut-elle le faire autrement qu'avec l'argent de la généralité des contribuables?

Je demanderai encore si ceux qui font cette objection-là ont songé au danger qu'il peut y avoir, par le temps qui court, de venir épiloguer ici, en pareille matière? de venir sonder trop profondément le droit d'application par l'Etat du produit commun des impôts publics? de venir prétendre, en quelque sorte, qu'il faudrait, à certains égards, distribuer ce produit de la communauté dans une exacte proportion avec les opinions respectives, politiques ou religieuses des habitants du pays?

Mais la rétribution que reçoit le culte catholique, en vertu de l'article 117 de la Constitution belge, n'est-elle pas payée par l'impôt qui pèse sur la généralité des contribuables, sans distinction d'opinion? Est-il venu à l'idée de quelqu'un de critiquer cette allocation du budget de l'Etal en faveur du culte catholique du pays, parce qu'elle est payée par les deniers de tous les contribuables indistinctement, à quelque opinion religieuse qu'ils appartiennent?

Je pense qu'il est digne d'un peuple qui respecte la religion de ses pères, de vénérer cette religion dans la personne de ses ministres et dans les objets de son culte, par la munificence de la nation entière, de même qu'il est juste, comme il est digne d'une nation, de contribuer tout entière dans les dépenses d'un enseignement public organisé par la loi du pays, parce que c'est là que viennent s'inspirer le sentiment de patriotisme et l'esprit de nationalité, au profit de tout le corps social.

Je viens maintenant à un autre reproche, non moins injustement articulé contre le projet de loi, et qui consiste à dire que la loi exclut l'enseignement de la religion dans les établissements de l'Etat, parce qu'elle ne consacre pas d'une manière absolue, en faveur du clergé, le droit de pouvoir donner, à titre d'autorité, l'enseignement religieux dans ces établissements. - Ce grief articulé contre la loi qui nous est soumise est encore une fois mal fondé.

Et d'abord, la loi ne peut obliger le clergé d'enseigner la religion dans les établissements d'instruction de l'Etat. La loi ne peut que l'inviter à y donner cet enseignement; or c'est précisément ce que fait la loi par l'article 8 du projet.

Maintenant si le clergé refuse d'enseigner la religion dans les écoles de l'Etat, s'ensuivra-t-il que la religion n'y sera pas du tout enseignée? Certainement non. Les termes de l'article 8 : « Le clergé sera invité à donner ou à surveiller l'enseignement de la religion » me semblent indiquer clairement que si le clergé refuse de faire enseigner lui-même la religion, l'enseignement de celle-ci sera donné par d'autres que par des ministres préposés par le clergé, et qu'en ce dernier cas le clergé pourra toujours venir surveiller l'enseignement de la religion dans les écoles de l'Etat. Or, il faut bien le reconnaître, au point de vue purement constitutionnel, l'article 8 du projet de loi, dans l'esprit qui semble l'avoir dicté, est une concession bienveillante faite au clergé et à l'opinion catholique du pays.

On devrait, me semble-t-il, tenir compte d'une pareille concession. Et je n'hésite pas à le dire, si cette disposition du projet devient loi de l'Etat, le clergé commettrait une faute grave d'en repousser le bénéfice. C'est un avis que, comme citoyen et comme catholique, je me permets d'émettre dans cette enceinte, sur les devoirs du clergé de mon pays.

Je le répète, la loi me semble dire suffisamment, et autant qu'elle le peut comme loi, qu'il y aura un enseignement religieux dans les établissements d'instruction moyenne de l'Etat. Si elle n'en prescrit pas l'obligation d'une manière explicite, du moins de bonne foi, on ne peut nier qu'aucun ministère en Belgique ne saurait, n'oserait se dispenser de faire enseigner la religion dans les écoles de l'Etat dont il s'agit, en présence de la prescription de l'article 8 du projet de loi.

Il y aura donc obligation de par la loi, d'enseigner la religion dans les établissements d'instruction moyenne publics. Tout le monde paraît d'accord là-dessus. Mais y aura-t-il de même obligation, pour les pères de famille, d'y faire enseigner leurs enfants sur la religion? En d'autres termes, les enfants seront-ils forcés d'écouter, de recevoir l'enseignement religieux, et cela nonobstant la volonté expresse des pères de famille? Cela me semble impossible, en présence de l'article 14 de la Constitution, qui consacre la liberté des cultes en Belgique. Au total, je pense que, sous le rapport de l'intervention du clergé dans les établissements d'instruction de l'Etat, comme sous le rapport de l'enseignement religieux qui y sera donné, la loi que nous discutons ne peut aller plus loin que le propose le projet. Je pense qu'en allant au-delà, il sera difficile d'éviter des conflits qui sont à redouter, et qui pourraient à tout instant agiter le pays et y soulever de funestes désordres. En section j'ai aussi manifesté mes doutes à cet égard, j'écouterai les débats de la chambre avant de me prononcer définitivement.

Pourtant, je n'hésite pas à le dire dès l'instant même, tout en reconnaissant l'indispensable nécessité de pénétrer de bonne heure les jeunes âmes de sentiments religieux, je pense que, l'enseignement des préceptes de la religion ne saurait désormais suffire, à lui seul, aux générations qui s'élèvent pour donner à ces générations nouvelles cet esprit d'humilité et de résignation qu'on paraît s'en promettre avec trop de confiance peut-être.

L'enseignement des préceptes religieux, à l'époque où nous vivons, ne saurait, qu'à l'aide d'autres mobiles nouveaux et puissants, inspirer cette résignation pieuse, qui fait supporter sans murmure et sans envie des inégalités de la fortune au milieu des sociétés humaines. Cet enseignement seul n'empêchera pas les hommes de jalouser, et de convoiter tous les jours avec plus de force, ces lots plus ou moins brillants qui s'y trouvent répartis par la fortune en faveur du petit nombre.

Or, pour conserver l'état social sur ses bases actuelles, il est devenu urgent de joindre dans les relations de notre vie, aux préceptes de la religion enseignés, la pratique sérieuse de ces préceptes.

Les sociétés de notre époque demandent, de la part de ceux qui aspirent à les gouverner, clercs ou laïques, l'enseignement de la religion, oui sans doute; mais beaucoup moins, soyons-en sûrs, des leçons sur des préceptes, que la pratique vraie de ces préceptes envers tous les membres du corps social.

L'instinct de comparer les doctrines que les hommes enseignent avec les faits que ces mêmes hommes pratiquent, s'est surtout immensément développé chez le peuple. Et on aura beau fermer les yeux sur ce fait remarquable de notre époque, il existera dans les sociétés modernes, comme une source d'embarras et de difficultés pour les gouvernements. Eh mon Dieu ! ces difficultés et ces embarras chez nous ne sont que la suite naturelle et logique de l'émancipation, à la fois politique et intellectuelle du peuple, qui se trouve écrite tout au long dans nos lois.

Quand les instituteurs modernes des nations (et il y a plusieurs de ces instituteurs parmi les opposants au projet de loi), quand ces instituteurs modernes ont dit au peuple : Voilà tes droits; je l'invite à les lire et à en faire usage à ton profit; et que ces mêmes instituteurs, ayant eu soin en même temps de lui apprendre à lire et à comprendre ses droits, le peuple vient dire plus tard : J'ai lu et j'ai compris mes droits, je vais désormais en faire usage, et quant à mes devoirs sociaux, je verrai comment vous remplirez les vôtres, vous hommes du pouvoir, vous législateurs, vous grands de la terre, et vous prêtres de la religion !... Quand le peuple vient dire cela, alors le temps n'est-il pas venu pour ceux qui veulent se mêler de gouverner les hommes, d'aviser sur cette situation nouvelle, situation que les institutions du pays ont elles-mêmes créée?

Cette situation nouvelle, ne nous y trompons pas, commande à l'heure qu'il est au législateur beaucoup de sagesse, aux ministres de Dieu sur la terre beaucoup d'humilité, à nous tous beaucoup d'abnégation consistant en pratiques nouvelles de philanthropie.

Un honorable membre, M. de T'Serclaes, l'autre jour invoqua le nom de Platon à l'appui de son argumentation. Je me permettrai de citer à mon tour ce philosophe, à l'appui des réflexions que je viens de soumettre à la chambre.

Platon a dit qu'on ne peut changer une note dans la musique, sans porter un changement dans les mœurs du peuple. Et Polybe, le judicieux historien de cette époque, affirme que Platon a dit vrai.

Et chez nous on a bouleversé de fond en comble toutes les gammes musicales, politiques, religieuses et civiles, et l'on s'imagine que le peuple est resté comme avant!

Platon et Polybe étaient-ils donc des fous? Et nous, sommes-nous donc des sages?

J'ai cru, messieurs, à l'occasion des débats qui nous occupent en ce moment, pouvoir me permettre devant la chambre cette digression sur les nouvelles difficultés qui sont venues surgir pour le gouvernement des sociétés de notre époque, parce qu'elles me semblent pouvoir servir de réponse à beaucoup d'arguments qui ont été produits dans ces débats, relatifs aux causes qu'on présume avoir affaibli l'esprit d'ordre et de soumission à l'autorité dans certaines classes du corps social.

Il me reste à faire connaître mon opinion sur les reproches qu'on fait au projet de loi en ce qu'il porte prétendument atteinte aux droits de la commune.

Je pense qu'on s'exagère considérablement ce troisième grief capital contre ce projet. Toutefois, je suis d'avis qu'il faut donner une part quelconque aux conseils communaux dans l'organisation de leurs établissements d'instruction moyenne. Non pas parce qu'autrement les droits de la commune seraient foulés aux pieds, comme on le dit, mais par mesure d'utilité et de convenance politique.

Oui, il y a utilité à donner cette part aux communes, parce qu'ainsi la loi sera reçue par le pays avec un plus grand degré de confiance. Il y a convenance politique à le faire, parce que, ainsi coordonnée, la loi donnera dans l'exécution moins de prise à la malveillance qui ne manquera pas de la poursuivre.

(page 1169) Je déclare, en dernier lieu, que je donne mon adhésion aux principes fondamentaux du projet de loi, en faisant mes réserves à l'égard de l'article 10 du projet, qui me semble ne pas garantir suffisamment, à tous les Belges, l'égalité constitutionnelle devant la loi.

Mais avant de finir, je demanderai à la chambre la permission de pouvoir poser une simple question à certains adversaires du projet de loi.

Je leur demanderai si la loi que nous discutons en ce moment, avait été soumise à la législature, le lendemain de la promulgation de la Constitution belge; alors qu'on avait fait table rase; alors que le terrain de l'enseignement était encore inoccupé dans le pays par les libertés nouvelles; si alors, ceux qui appartenaient à l'opinion qui se lamente si fort aujourd'hui, seraient venus articuler contre cette même loi les reproches qu'on lui adresse aujourd'hui, avec tant d'amertume, avec tant d'injustice. Je le sais ; il a déjà été dit: Oui, nous l'aurions repoussée alors comme aujourd'hui. Je réponds : Non, vous ne l'auriez pas repoussée ; vous ne l'auriez pas repoussée, parce qu'à cette époque la liberté pleine et entière de pouvoir ériger des établissements d'instruction à volonté, d'y enseigner toutes les doctrines, sans le moindre contrôle, sans la moindre entrave de la part du pouvoir ; cette liberté-là vous eût paru juste, raisonnable et surtout suffisante; parce qu'alors on n'avait pas encore, dans certaine catégorie, goûté les douceurs de l'abus de cette liberté précieuse, et, pour le dire en un mot, parce qu'alors on n'avait pas encore livré l'enseignement moyen du pays au clergé catholique du pays.

Mais aujourd'hui, qu'après une longue absence, je dirai après une lacune perfidement prolongée, d'une loi solennellement promise à la nation depuis vingt ans, l'Etat vient enfin revendiquer ses droits constitutionnels, se mettre en possession d'un terrain souvent honteusement déserté par ses gardiens naturels; arracher, tardivement, il est vrai, mais légalement, le monopole de l'instruction des mains de ceux qui s'en sont adroitement emparés, on crie au scandale, à la violation du droit, au vol de la propriété. On fait comme font ces possesseurs équivoques et hardis qui, après s'être emparés du bien des autres pendant la tempête, crient à la spoliation, lorsque, le calme revenu, le propriétaire expulsé vient revendiquer ses droits envahis.

Est-ce là cet esprit de conciliation dont on fait tant de parade?

Est-ce là cette modération tant vantée? Est-ce là ce désintéressement patriotique, toujours si pompeusement étalé aux yeux de la nation ?

Ah! je ne le vois que trop maintenant; la main que l'on vient nous tendre de ce côté-là porte toujours un présent qui demande en retour une dupe ou une victime !

La modération que nous montre cette figure n'est jamais qu'une modération peinte qui cache un piège, et le renoncement de soi, cette vertu du Ciel, quand vous croyez le voir apparaître à cet horizon, n'est jamais qu'une convoitise déguisée.

- La séance est levée à 4 heures et demie.