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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 14 janvier 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 443) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance du 24 décembre 1850 ; la rédaction en est adoptée.


- Il est procédé au tirage des sections du mois de janvier.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le sieur Desforges présente des observations sur le projet de loi relatif à l'institution d’une caisse de crédit foncier. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Foulon, greffier de la justice de paix de Furnes, propose des modifications au projet de loi sur la révision du régime hypothécaire. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Gay, ancien sous-officier, prie la chambre de lui faire obtenir une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Mille demandent que la section de ce nom soit séparée de la commune de Hamme et réunie à celle de Tourinne-la-Grosse. »

- Même renvoi.


« Le sieur Leruth, journalier à Wasseige, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une pension en faveur de son fils Louis-Lambert, milicien congédié, à raison de monomanie et d'affection mentale contractées au service. »

- Même renvoi.


« Le sieur Musch demande une modification à l'article 60 de la loi du 22 frimaire an VII. »

- Même renvoi.

« Plusieurs habitants de Gauzin demandent que ce hameau de la commune de Dcaureing en soit séparé, et qu'il soit érigé en commune distincte. »

- Même renvoi.


« Le sieur Paquet, instituteur communal à Laiche, prie la chambre de lui faire obtenir une place plus avantageuse ou une augmentation de traitement. »

- Même renvoi.

« Le sieur Muller-Tellering prie la chambre de lui faire restituer, à une adresse qu'il indique, les papiers qu'il a déposés au ministère de la justice et de se faire produire les pièces du dossier relatif à son expulsion. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jullien-Saint-Joseph demande que le gouvernement fasse usage des locomotives dont il est l'inventeur. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Gand prie la chambre de se prononcer sur l'abrogation ou le maintien du décret impérial du 19 janvier 1811, concernant les enfants trouvés ou abandonnés, et de réviser la loi du 30 juillet 1834. »

- Même renvoi.


« Le sieur Poirot, garde-brigadier des eaux et forêts de l'Etat à Habay-la-Neuve, né à Inglinster (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Charles Osborn Waller, particulier à Bruxelles, né à Dublin, demande la naturalisation. »

- Même renvoi.


« Plusieurs raffineurs de sucre candi à Anvers, prient la chambre de suspendre les effets des articles 5 et 8 de la loi du 18 juin 1849 et de maintenir le taux du rendement pour les candis à 68 p. c. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Le sieur Racher, instituteur à Bruxelles, né à Douai (France), demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Deshayes demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger, sans autorisation du Roi. »

- Même renvoi.


« Le sieur F. Lentz, ancien militaire à Mons, prie la chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


Par divers messages, le sénat informe la chambre :

1° Qu'il a adopté les projets de loi suivants :

Le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1851 ;

Le budget du ministère de la justice pour le même exercice ;

2° Qu'il a rejeté la du mande de grande naturalisation du sieur François Smoudt ;

3° Que les sieurs Pierre-Joseph Libert et François-Joseph-Théophile Schleypen ont déclaré renoncer à leur demande de naturalisation. »

- Pris pour notification.


M. le ministre des finances adresse à la chambre les comptes du département de la guerre pour les exercices 1848 et 1849.

- Dépôt sur le bureau.


M. le ministre de la justice renvoie, avec les renseignements y relatifs, la demande de naturalisation ordinaire formée par le sieur P.-N.-S. Duval, médecin-adjoint attaché à l'hôpital militaire d'Ypres.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. le ministre de l’intérieur adresse à la chambre :

1° 110 exemplaires de l'Annuaire de l'observatoire royal de Bruxelles, pour l'année 1851.

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la chambre.)

2° 3 exemplaires du texte français du dixième volume de la bibliothèque rurale.

- Dépôt à la bibliothèque.


M. le gouverneur du Hainaut fait parvenir à la chambre 110 exemplaire de l'adresse votée par le conseil provincial du Hainaut, dans sa séance du 19 juillet 1850, et ayant pour objet de présenter au Roi ses doléances et ses vœux, en ce qui concerne différents points qui intéressent cette province.

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la chambre.


M. de Breyne demande un congé pour motifs de santé.

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1851

Discussion générale

La parole est à M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre (M. Brialmont). - Messieurs, en prenant pour la première fois la parole dans cette enceinte, je n'ai pas besoin, je pense, de protester de mon dévouement absolu aux intérêts de notre armée. Toutes mes affections, toutes mes préoccupations sont pour elle. Je n'ai d'autre désir et d'autre but que de voir son existence établie sur un pied respectable.

Chaque année le budget de la guerre donne lieu à de longs débats.

Notre régime constitutionnel comporte, je le sais, de tels débats ; mais ils ne laissent pas qui de jeter dans l'armée des incertitudes et des inquiétudes.

A ce point de vue fâcheux, ce serait donc rendre un véritable service à l'armée que de pouvoir parvenir à placer le chiffre du budget de la guerre en dehors de toute contestation.

C'est pour atteindre ce but que, m'associant aux vues du cabinet, j'ai cherché à introduire certaines réductions dans les dépenses et que je continuerai à introduire toutes celles que je jugerai possibles.

On me demandera peut-être si tout en recherchant à ramener le budget à 25 millions dans un temps donné, j'ai la conviction d'arriver à ce chiffre sans porter atteinte à l'organisation de l'armée. Les études que j'ai fait faire n'étant pas terminées, je ne puis en ce moment répondre d'une manière catégorique à cette question dont la solution présente des difficultés.

J'examinerai avec soin toutes les questions qui concernent l'ensemble de notre établissement militaire. Je m'entourerai au besoin des lumières d'une commission composée d'hommes éclairés et impartiaux, et quand mon opinion sera définitivement formée, je ferai connaître loyalement ma manière de voir et ma détermination.

En ce qui concerne le budget de 1851, je demande à la chambre de le voter tel que j'ai eu l'honneur de le proposer. Il se présente avec une diminution de 416,000 francs, comparativement au budget de l'année dernière.

A la vérité, d'après le prix de l'adjudication des fourrages de 1851, il en résulte une augmentation de 400,000 francs, mais je me propose d'absorber cette augmentation 1° en demandant au budget de 1851 l'application des économies que j'ai introduites au budget de 1850 en vue même de cette augmentation prévue.

Et quand au surplus, je ferai en sorte de le retrouver sur l'ensemble des articles du budget de 1851.

Je parle ici d'un budget normal sur pied de paix en dehors des prévisions de circonstances extraordinaires.

La chambre comprendra que si de telles circonstances se présentaient, je n'hésiterais pas à venir lui demander immédiatement des sacrifices que son patriotisme ne refuserait pas.

(page 444) M. Thiéfry. - Messieurs, plusieurs sections ont demandé à connaître quelles étaient les vues du ministre sur les dépenses qui concernent l'armée et sur son organisation à la section centrale.

L'honorable général nous a répondu, en ce qui concerne les dépenses, que le cabinet voulait réduire le budget à 25 millions en 3 ans. Il est prêt, a-t-il ajouté, à introduire et à rechercher toutes les économies qu’il reconnaîtra possibles, sans porter atteinte à la force organique de l’armée. Il ne nous dit cependant pas comment il arrivera à de nouvelles réductions, et pour moi, toutes les réductions ne sont pas bonnes. Il est des économies que j’accepte avec satisfaction, il en est d’autres que je repousse, parce qu’elles ont pour résultat l’affaiblissement de l’armée.

Le ministre ne veut rien changera la loi organique !... Comment, dès lors, atteindra-t-il le but que le cabinet cherche à réaliser ? Cela lui sera évidemment impossible, à moins de diminuer encore l'effectif des soldats ; ce serait l'achèvement de l'annihilation de l'armée, et cette conviction est partagée par tous les militaires et par beaucoup de membres de cette chambre qui ont même jusqu'aujourd'hui voté le budget de la guerre.

Les mesures prises par M. le ministre et par son prédécesseur me font craindre, avec raison, que ce ne soit l'intention du département de la guerre.

La loi organique ne peut être réellement utile qu'à la condition de dépenser les sommes nécessaires pour la faire fonctionner. Or, cette dépense a été évaluée à 29 ou 30 millions. Le ministre de la guerre ne saurait dès lors conserver ce qui existe en ne dépensant que 25 millions !... A ce prix on aura des cadres nombreux qui ne pourront pas s'exercer faute de soldats ; on aura en outre trop peu de soldats, et des soldats très médiocres ; en un mot, la Belgique possédera toutes les apparences d'une grande armée, sans avoir aucune force réelle.

En modifiant, au contraire, l'organisation de manière à l'approprier au chiffre que la chambre veut accorder, on aura la qualité, qui est bien préférable à la quantité : ce sera seulement alors que l'armée présentera une véritable consistance. Les Belges ne manquent certainement pas de courage ; mais des soldats sans instruction ne sauraient résister aux troupes aguerries de nos voisins.

Une partie des membres de cette chambre, dans la vue de s'éclairer, a réclamé le travail promis par le général Chazal ; ces messieurs ne songent pas qu'il a été rédigé sous l'influence d'un ministre qui soutenait un système, et ne prétendait pas rencontrer un seul contradicteur dans l'armée. Ce rapport n'est donc que le plaidoyer d'un intéressé en faveur de sa propre cause ; il ne peut, par conséquent, nous être d'aucune utilité.

L'importante question de l'organisation ne saurait être résolue que par une commission composée avec impartialité des sommités militaires et des officiers d'expérience et de capacité qui ont fait partie de l'armée. La chambre apprécierait alors le résultat de leurs délibérations.

Je vous dirai même, M. le ministre, si votre organisation est si bonne, prouvez-le donc à la chambre, au pays ; ramenez la confiance dans l'armée ! Faites mieux que de nommer une commission, demandez vous-même que la chambre fasse une enquête dans laquelle toutes les opinions seront exprimées. C'est le seul moyen d'éclairer tout le monde.

L'armée est une charge pour l'Etat qui la paye et pour la population.qui l'alimente : cependant tous les gouvernements, qu'ils soient absolus, constitutionnels ou républicains, tous ont une armée, parce qu'elle est la garantie de l'ordre intérieur et une nécessité pour la défense du territoire. Si donc la charge est grande, les services que l'on est en droit d'attendre de l'armée ne sont pas moins importants ; mais si son organisation ne nous donne pas la certitude qu'elle pourra remplir les obligations qui lui sont imposées, il faut absolument la modifier dans l'intérêt du maintien de la nationalité ; car, à mon avis, mieux vaudrait ne pas avoir d'armée permanente que d'en posséder une ayant une organisation fort défectueuse ; puisque l'on aurait la charge pendant de longues années, sans profiler des avantages que les armées présentent pour s'opposer à une invasion.

Sans une durée convenable du service et sans un effectif du bataillon et de l'escadron qui permette de faire tous les jours l'exercice, il n'y a pas de bonne armée possible. Ce sont là des conditions essentielles et dont aucune puissance, comprenant toute la valeur d'une armée, ne s'écarte jamais : témoins la France, la Prusse, l'Angleterre, l'Autriche, etc. C'est employer un faux raisonnement que de dire que, pour obtenir une armée plus nombreuse en cas de guerre, il est préférable d'avoir beaucoup de cadres et très peu de soldats en temps de paix : toujours l'effectif en soldats doit être en rapport avec l'organisation des cadres.

Je prie la chambre de remarquer qu'il n'est aucune puissance qui ait autant besoin de donner de l'extension à son armée que la France ; elle a déjà vu toute l'Europe liguée contre elle, et, à certaines époques, elle s'est trouvée complètement isolée. A-t-elle cependant réduit la durée du service, qui est de cinq ans dans l'infanterie et de sept ans dans les autres armées ? Bien au contraire ; le ministre de la guerre vient de l'augmenter de six mois, en faisant compter le service des nouvelles levées à dater du 1er juillet au lieu du 1er janvier.

La France a-t-elle des cadres qui sont hors de proportion avec l'effectif ? A-t-elle réduit ses bataillons à 250 hommes ? Ses bataillons isolés font-ils l'école de bataillon au cordeau ? Non, la France ne nous a nullement imités, elle s'en gardera bien, car toute son influence extérieure disparaîtrait aussitôt. Ses bataillons, d'après le budget de 1851, sont de 616 hommes, cet effectif permet par conséquent de faire tous les jours l'école de bataillon et de satisfaire au service de garnison.

Les longs développements que j'ai donnés l'année dernière sur l'organisation des armées, me dispensent d'entrer encore dans trop de détails. Je rappellerai seulement qu'une commission de sept généraux belges a réclamé à l'unanimité la fixation à trois ans de la durée du service sous les armes et l'effectif des compagnies à 75 hommes ou 450 pour le bataillon. Cette commission était composée de trois anciens ministres, savoir : Evain, Goblet et Dupont, et des généraux Goethals, l'Olivier, de Brias et Du Roy. L'opinion de ces généraux concorde parfaitement avec celle de tous les organisateurs. Et si mes renseignements sont exacts, plusieurs autres généraux belges, n'envisageant pas la situation du trésor et n'ayant égard qu'à une bonne organisation, doivent avoir déclaré, au moment de la retraite de l'ancien ministre, qu'une majoration de plusieurs millions était nécessaire pour augmenter l'effectif des soldats. Il y en a même, je crois, qui ont été jusqu'à dire que nous n'avions plus d'infanterie ! Eh bien, ils ont dit vrai, l'infanterie est complètement annihilée.

Notre organisation, dont j'ai fait ressortir toute la défectuosité, deviendrait parfaite, si avec la durée du service, on ajoutait quelques mille soldats pour renforcer l'effectif de paix. Or, le remède majorerait le budget de plusieurs millions, et déjà il doit être réduit parce que les dépenses sont trop élevées.

Cette idée de réduction, si fermement arrêtée par le cabinet, est-elle émise avec légèreté ?

Les ministres, pour déclarer que le budget devait être réduit à 25 millions, ont-ils basé leur jugement sur un raisonnement juste ? C'est là un point qui doit être bien éclairci, sinon l'augmentation de deux à trois millions rendrait l'organisation excellente et le motif principal de mon opposition aurait disparu.

La réduction peut-elle être obtenue sans changer la loi organique ? C'est aussi ce qu'il faut rechercher.

Il est très utile de prouver à la chambre, au pays et surtout aux militaires, que de grandes économies doivent être obtenues sur le budget de la guerre ; cela me paraît d'autant plus nécessaire, que quand les généraux en seront bien pénétrés, ils proposeront eux-mêmes les modifications que je réclame.

Ces messieurs n'apprécient pas suffisamment la situation financière du pays, et pour faire disparaître les défauts de notre organisation, ils réclament une majoration des dépenses afin d'augmenter l'effectif des soldats, plutôt que de restreindre les cadres.

Chaque année les chances de guerre s'éloignent de plus en plus, et la situation du trésor s'aggrave au point que depuis un an le déficit a augmenté de deux millions.

Les militaires nous disent : Créez des impôts ! Comme s'il était possible de songer à imposer de nouvelles charges avant d'avoir fait toutes les économies réalisables.

Nous avons vu tous les chefs de cabinet restreindre le personnel de leur administration, diminuer les traitements et les dépenses de leur département. Les ministres de la guerre maintiennent cependant leur budget à une hauteur accablante pour le pays.

On nous a présenté celui de 1851 avec une réduction de 400,000 fr. Cette économie a entièrement disparu par l'obligation dans laquelle la section centrale s'est trouvée d'augmenter l'article 22 de 400,000 fr. Eh bien, si l'on ne change pas la loi organique, cette augmentation, qui provient du prix des fourrages, ne disparaîtra jamais entièrement. Un tiers, si pas davantage, restera toujours comme charge permanente ; et dans l'avenir, le budget sera encore augmenté pour divers motifs.

On ne voit à l'article Remonte aucune somme pour chevaux de trait ; si le besoin ne s'en fait pas sentir aujourd'hui, ce sera une dépense d'autant plus forte dans un an ou deux.

Il en sera de même pour le renouvellement de la buffleterie et du harnachement ; le chiffre porté au budget est inférieur aux besoins annuels. Une somme de 152-477 fr. est jugée nécessaire, on l'a réduite à 64,000 fr. parce que des objets ne seront pas renouvelés dans l'année ; or, M. le ministre pourra-t-il faire annuellement une semblable diminution ? ou plutôt la somme de 64,000 fr. peut-elle suffire aux besoins de l'armée ? Evidemment non.

Saurait-on, sans affaiblir un effectif déjà trop faible, diminuer chaque année 340,000 fr. pour incomplets et congés ?... Il n'y a pas le quart de cette somme au budget hollandais.

La diminution de l'allocation pour la citadelle de Diest, n'est-elle pas un simple ajournement de dépenses ?

Peut-on songer que la somme portée au budget pour le matériel de l'artillerie soit suffisante, quand on se rappelle que l'inspecteur général de cette arme disait à la chambre, il y a quelques années, qu'il fallait dépenser plus de 14 millions pour le mettre en bon état. Je demanderai encore à M. le ministre si le pain n'a pas subi une augmentation de prix, et s'il n'est pas vrai que, pour couvrir les pertes que l'on suppose devoir essuyer en 1851, l'on n'a pas fait, il y a quelques (page 445) semaines, avec les fonds alloués pour l'exercice 1850, de très grands approvisionnements de grains, afin de fournir le pain à l'armée jusqu'au mois de juillet prochain.

Ainsi, le chiffre du budget, qui est de 26,789,781 francs, laisse encore plusieurs services en souffrance ; il devrait en réalité dépasser 27 millions.

Tous les généraux ont été unanimes, comme je l'ai déjà dit, pour déclarer que les compagnies d'infanterie devaient avoir un effectif de 75 hommes, pour le leur donner il faudrait encore majorer le budget de 1,800,000 fr. Que l'on ajoute à cette somme celle nécessaire pour que la cavalerie ait aussi un effectif convenable, et l'on verra qu'il faut réclamer plus de 30 millions à la législature, et je le demande, est-il possible de faire supporter au pays une charge aussi lourde ?

C'est donc une illusion des plus complète que de penser que l'on peut réduire le budget à 25 millions sans changer l'organisation. Si l'on trouve du reste le moyen d'atteindre ce but, en adoptant un effectif et une durée de service indispensables, je me ferais alors le défenseur du budget.

Parmi les économies présentées, il en est que nous ne pouvons admettre comme permanentes et qui sont très considérables.

Pour amoindrir le chiffre du budget, et diminuer la somme nécessaire pour les fourrages, on a déduit 141,253 fr. pour chevaux manquants. Comment obtiendra-t-on cette réduction ? La situation remise par le ministre l'indique clairement, il manque déjà 101 chevaux dans la grosse cavalerie, et 193 dans la cavalerie légère ; ce sont là des économies qui préludent à la désorganisation de la cavalerie.

Depuis dix ans on a annihilé l'infanterie, en diminuant outre mesure le nombre des soldats, et aujourd'hui on étend ce désastreux système à la cavalerie, à l'artillerie et au génie. On propose d'envoyer en permission pendant 8 mois 5 hommes par escadron et par batterie. Ce premier pas m'en fait craindre un deuxième dans quelque temps, puis un troisième. Ce serait, comme je l'ai dit, le complément de la désorganisation de l'armée.

On donnera, a dit le ministre, des congés à 5 volontaires qui permuteront tous les 18 jours. Je ne comprends pas que l'on prive les soldats de leur solde quand ils vont pour 15 jours chez leurs parents ; tandis que les officiers conservent la totalité de leurs appointements, lorsqu'ils jouissent d'une semblable permission. Cela n'est pas juste. Mais pour que la mesure proposée ne soit pas des plus défavorable à la consistance de l'armée, il faudrait que l'effectif fût suffisant : Or, il n'est pas un seul officier de cavalerie ou d'artillerie qui ne trouve déjà la force de l'escadron et de la batterie beaucoup trop faible. Personne n'ignore que pour former 3 escadrons pour les manœuvres, on est obligé de réunir les 6 escadrons d'un régiment.

Persévérer dans la voie où nous sommes, c'est placer le pays dans l'impossibilité de résister à la première puissance qui viendra l'occuper ; c'est nous mettre à la merci de la France.

Le prédécesseur de M. le ministre nous a dit dans la dernière session, et il nous a répété plusieurs fois, que notre organisation était la plus économique ; la majorité de cette chambre l'a cru, puisqu'elle a émis un vote contraire à la réduction, et je vous avoue que confiant dans les connaissances de M. Chazal, et en présence de la conviction dont il semblait pénétré, je l'ai aussi cru un instant ; mon erreur n'a pas été de longue durée. Après un examen attentif, j'ai acquis la conviction que notre organisation était au contraire la plus coûteuse : aussi ai-je peine à comprendre comment un ministre a pu nous dire qu'elle était la plus économique. C'est là une assertion qui peut bien obtenir un succès momentané, au milieu d'une chambre dans laquelle il y a peu de personnes qui ont des connaissances spéciales sur l'organisation des armées : mais la vérité ne tarde pas longtemps à se faire jour.

L'organisation belge, assurait l'ancien ministre, est la plus économique. Il n'avait donc établi aucune comparaison avec le coût des armées étrangères ; ou bien il nous a supposés incapables de faire nous-mêmes cette comparaison. Non, elle n'est pas la plus économique, et je vais le prouver par des chiffres ; ce sont là, permettez-moi l'expression, des arguments que l'on ne saurait pas réfuter.

J'ai fait pour onze pays différents le relevé des armées sur le pied de guerre et de la dépense en temps de paix ; puis j'ai calculé ce que ces mêmes pays dépenseraient en temps de paix s'ils devaient mettre 80,000 hommes sur le pied de guerre, comme on le suppose généralement en Belgique : c'est donc une comparaison du coût de la même armée suivant les diverses organisations.

Voici le résultat de mes recherches comparativement au budget de 1851 amendé par la section centrale, c'est-à-dire avec une dépense de 26,789,781 fr. non compris les pensions.

(Voir le tableau A à la fin de la séance.) (ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

L'effectif du pied de guerre des armées permanentes de ces pays étant connu, j'ai obtenu par une simple règle de proportion les chiffres que je viens d'indiquer.

Pour la France, j'ai dû opérer d'une manière différente, parce que l'effectif de l'armée sur le pied de guerre est indéterminé, les cadres permettent d'avoir 500,000, 600,000 et même 700,000 hommes. Du reste la comparaison avec ce pays n'est pas moins claire et aboutit au même résultat.

Dans le budget français l'effectif et les dépenses sont divisés en deux parties, l'une comprend ce qui concerne l'intérieur et l'autre l'Algérie. Pour 1851, l'effectif des divisions territoriales de l'intérieur est de 298,263 hommes, et les dépenses qui sont affectées tant ordinaires qu'extraordinaires, y compris les travaux des fortifications, ont été votées par l'Assemblée législative à la somme de 233,485.044 francs, déduction faite des frais de justice militaire qui sont dans notre pays supportés par le ministère de la justice. J'ai fait la règle de proportion suivante, si l'entretien d'une armée de 298,263 hommes coûte 233,485,044 francs, à combien devraient s'élever les dépenses de l'armée belge dont l'effectif est de 32,585 hommes. J'ai trouvé la somme de 25,506,240, c'est-à-dire 1,283,541 francs de moins que le montant du budget présenté par la section centrale : et l'on trouverait une différence bien plus considérable, si on en exceptait le matériel de l'artillerie et du génie, attendu que nous y affectons 925,000 francs de moins proportionnellement au chiffre total du budget des deux pays.

La Belgique est donc dans une situation vraiment étrange ; elle est en Europe le seul Etat dont la neutralité est garantie, et c'est cependant Je gouvernement dont l'organisation militaire est la plus coûteuse. La différence est tellement grande qu'elle fera naître de sérieuses réflexions. Il faudra bien se rendre à l'évidence, et tout le monde conviendra qu'en présence d'une majoration de la dette de 2 millions depuis un an, ce n'est pas sans raison que le pays réclame la diminution du budget de la guerre.

Je ne prétends cependant pas que l'on puisse réduire les dépenses de l'armée dans des proportions aussi considérables que celles que j'ai indiquées. Il faut tenir compte du prix des denrées et de la solde du soldat qui est fixée à un taux par trop minime dans la plupart de ces pays. La seule conséquence que j'en veux tirer, c'est qu'avec 25 millions, on peut avoir une armée forte, très bien organisée ; mais pour atteindre ce but, il faut indubitablement changer l'organisation.

Le cabinet peut donc dire avec raison qu'il veut réduire le budget de la guerre à 25 millions, il n'a pas besoin pour cela de posséder les qualités d'un organisateur ; il lui suffit de comparer nos dépenses avec celles des autres pays, pour être convaincu que les nôtres sont trop élevées.

Je ne me suis pas contenté des rapprochements que je viens d'indiquer, j'ai fait le relevé de la population des pays dont je viens de parler, et par une simple règle d'arithmétique, j'ai recherché la dépense que chacun d'eux ferait s'il avait une population égale à celle de la Belgique. J'ai pris pour notre pays les données insérées dans le Moniteur du 25 novembre dernier, tandis que pour les autres, j'ai dû baser mes calculs sur la population qui est le résultat d'un recensement fait il y a plusieurs années. Je donne ces renseignements pour détruire des erreurs que des personnes intéressées se plaisent à répandre dans des brochures qu'elles publient sous l'anonyme.

(Voir le tableau B à la fin de la séance.) (Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

La France et la Sardaigne sont les seuls gouvernements qui dépensent plus que nous proportionnellement à la population. La France 2 millions, la Sardaigne 7.

Devons-nous imiter la France ? Evidemment non. La situation des deux pays n'est pas la même. Le nôtre ne doit entretenir que l'armée nécessaire à la défense de son territoire.

La France au contraire a besoin d'une armée formidable pour maintenir l'ordre à l'intérieur, pour conserver la paix dans ses colonies, et pour obtenir enfin la prépondérance que ce puissant Etat est appelé à exercer sur les destinées européennes.

Quant à la Sardaigne, nous venons de voir dans une gazette officielle que le ministère a annoncé à la chambre des députés que le budget était aussi élevé en raison de l'état de l'Europe, et que, quand l'armée serait établie sur un pied régulier, les dépenses ne s'élèveraient qu'à 32 millions au lieu de 39.

Il résulte des observations qui précèdent que rendre l'organisation bonne par l'augmentation des soldats, en conservant tous les états-majors et les cadres actuels est une chose si pas impossible, du moins inadmissible. Il faut par conséquent augmenter le nombre des soldats des bataillons et des escadrons pour avoir une bonne constitution d'armée, et diminuer en outre les dépenses. Tel est le problème à résoudre, et ce projet est parfaitement réalisable.

La question de la démolition des forteresses est résolue. Le ministre, d'après un travail fait uniquement dans l'intérêt de la Belgique, par une commission composée d'officiers belges, est fixée sur celles qui doivent être démantelées. Le nombre de troupes nécessaires pour une bonne défense des autres places est connu. Par suite de la démolition, l'effectif des hommes destinés aux forteresses doit être bien moindre que celui fixé par la commission des généraux en 1842. Il ne s'agit donc que d'ajouter à cet effectif celui du corps d'armée qui devra tenir la campagne, et que l'on peut raisonnablement porter à 34,000 ou 35,000 hommes. Ce chiffre une fois déterminé, la répartition entre les diverses armes sera facile, puisque le département de la guerre a adopté des bases que tous les militaires trouvent justes. Quand ce système sera adopté, on pourra obtenir une très bonne armée et une forte réduction du budget.

Après avoir donné le tableau exact des dépenses militaires de divers pays, il me reste à indiquer la cause de l'énorme différence que j'ai fait ressortir. Elle tient l'abord à l'organisation, c'est-à-dire aux états-majors et aux nombreux cadres qui existent comparativement aux soldats.

Par exemple, le nombre des généraux est par rapport à l'effectif de l'armée, beaucoup plus élevé qu'en France, qu'en Prusse et qu'en Hollande.

(page 416) Nous avons 38 escadrons de cavalerie ; avec leur effectif en hommes et l'organisation autrichienne ou française nous n’en aurions que 25.

Avec l'organisation russe, 28.

Avec l'organisation prussienne ou hollandaise, 30.

Nous avons 49$ bataillons d'infanterie ; ave leur effectif, on en composerait en temps de paix :

En Russie, 16.

En Prusse, 24.

En Autriche, 25

En France, en Espagne, en Angleterre, 27.

Je cite ces exemples, non dans le but de réclamer précisément l'effectif des bataillons et des escadrons de ces pays, je sais que cela est impossible, mais uniquement pour faire ressortir combien notre effectif est trop faible en soldats.

La différence dans les dépenses provient du tarif de solde qui est en Belgique infiniment plus élevé que partout ailleurs.

Le budget est de 20,789,781 francs, et dans cette somme, il y a plus de 17 millions pour solde. Au moment où l'on réclame des diminutions dans les dépenses, ne devrait-on pas examiner si, au lieu de réduire l'armée au-delà des limites tracées par la prudence, il ne serait pas préférable de fixer la solde de plusieurs grades, dans quelques armes, à un taux moins élevé ; cette question est trop importante pour ne pas être examinée avec tout le soin qu'elle réclame. Déjà en 1847 l'honorable M. Lebeau a exprimé cette pensée.

Cette réduction est une chose très délicate, aussi je n'hésite pas à proclamer le respect pour les positions acquises. La nouvelle solde ne pourrait être donnée qu'au fur et à mesure des promotions dans les cadres ; celui qui obtiendrait de l'avancement toucherait le nouveau traitement fixé pour son grade ; il en serait de même pour les soldats, ceux qui sont aujourd'hui sous les armes conserveraient la solde actuelle, les nouvelles levées seules subiraient la réduction. Au surplus, je ne propose rien, je me borne à demander que cette question soit examinée.

En Autriche et en Prusse il y a une solde pour l'armée sur le pied de paix, et une autre solde supérieure pour le pied de guerre. Cela existe aussi en France pour les généraux, pour le cadre de l'intendance, pour celui du service de santé, et pour quelques grades dans l'artillerie et le génie. Pourquoi ne pourrait-il pas en être de même en Belgique ? Et si la solde de quelques grades y est réellement beaucoup plus élevée que dans la plupart des autres pays, pourquoi ne la considérerions-nous pas comme solde du pied de guerre, et ne fixerions-nous pas pour le pied de paix un autre tarif qui serait mis en vigueur comme je viens de l’indiquer ?

Pour exprimer toute ma pensée, je parlerai du projet de donner pour le pied de paix un cheval de l’État aux officiers subalternes. Cette proposition est intimement liée à celle de la réduction des traitements, son adoption procurerait une économie très importante.

Imitons à cet égard la France, la Prusse, l’Autriche, le Danemark, etc. Ces gouvernements donnent aux lieutenants un cheval de l’État ; en Autriche, on le donne aussi aux capitaines de deuxième classe, et, en France, aux officiers de première et de deuxième classe. Il devient la propriété de l’officier au bout d’un certain temps. On pourrait fixer ce terme à 8 ans comme en France et en Autriche. On serait alors en droit de régler la solde conformément à ce qui se pratique partout, en adoptant celle de l’infanterie comme base, et en majorant celle-ci d’une somme convenable pour la solde des armes spéciales.

L’achat des chevaux pour les capitaines et lieutenants occasionnerait une dépense qui serait largement couverte par l’économie qui résulterait de l’adoption du principe. Sa réalisation se ferait graduellement et sans froisser aucun intérêt et en adoptant même une solde bien plus élevée que partout ailleurs.

Je suis bien loin de demander que l’on fixe la solde au même taux que celle de l’armée française ; mais il est cependant bon de savoir que si l’infanterie et la cavalerie belge étaient payées comme en France, les dépenses de ces deux seules armées seraient diminuées de 2,289,388 francs.

Je dois encore faire remarquer que l’origine de l’élévation de la solde date de notre réunion à la Hollande, pays où la vie est infiniment plus coûteuse que chez nous. Comme on n’a pas voulu alors deux soldes différentes selon les villes où la troupe eût été en garnison, on a été forcé d’élever les traitements à un taux tel que chacun pût vivre convenablement même en Hollande.

En 1831, une certaine réduction a été faite sur les appointements des officiers des régiments.

En 1842, une majoration a eu lieu pour les capitaines, lieutenants et sous-lieutenants de l'infanterie et du génie.

En 1849, la première mise a été réduite pour les recrues.

Je ne donnerai pas le détail de ces chiffres, puisqu'il s'agit d'apprécier c qui existe et non ce qui a été fait.

Avant de me former une opinion à cet égard, j'ai voulu m'éclairer, j'ai formé des tableaux comparatifs de la solde des armées de 14 pays dont j'ai étudié l'organisation militaire, j'ai rangé les pays dans chaque grade selon la hauteur des émoluments. J'ai vu le rang qu'occupe la Belgique.

Pour ce qui concerne les sous-officiers et soldats, comme une somme est allouée pour la solde et une autre pour l'habillement, et que ces sommes sont confondues dans le budget, j'ai distrait celle accordée pour l'habillement, afin d'établir une comparaison exacte avec la solde de la troupe des pays où la comptabilité n'est pas la même qu'en Belgique.

Je terminerai ce que j'ai à dire sur la solde, en faisant ressortir l'énorme différence qui existe entre les traitements des diverses armes. J’appelle sur cet objet l’attention de tous les hommes impartiaux.

La solde est fixée dans tous les pays selon que la vie y est plus ou moins coûteuse. Celle de l'infanterie forme la base de toutes les soldes des armées : une augmentation y est ajoutée pour les appointements de ceux qui sont placés dans les armes spéciales ? Cette majoration est motivée d'une part sur le coût et l'entretien du cheval, et d'autre part sur la récompense due à de bonnes études. Ce supplément, à mon avis, est porté à un taux bien trop élevé en Belgique.

La proportion entre les appointements de l'infanterie et ceux de l'état-major, de la cavalerie et de l'artillerie, n'est pas basée sur la justice, elle n'est pas en rapport avec qui se pratique dans les autres armées.

Pour le prouver, je vais indiquer la différence qu'il y a entre la solde de l'infanterie et celle de la cavalerie dans 12 pays. Je n'y ai pas compris la Hollande, parce que c'est le principe de la répartition que je critique, principe qui a été appliqué dans ce pays et dans le nôtre sous le gouvernement des Pays-Bas.

(Voir le tableau C à la fin de la séance.) (Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

L'ensemble de ce tableau prouve à l'évidence que mes observations sont fondées. Les chiffres sont assez significatifs pour provoquer la révision du tarif de solde. Mais, je le répète, je crois qu'il faut maintenir la solde telle qu'elle existe pour tous ceux qui sont actuellement sous les drapeaux. S'il y a des modifications à apporter, elles ne peuvent concerner que les officiers qui obtiendraient de l'avancement, et les soldats, de quelques armes qui seraient incorporés à l'avenir.

Il est de mon devoir, à l'occasion de la discussion du budget de la guerre, d'appeler l'attention de la chambre sur la loi d'avancement. Elle permet le plus grand arbitraire, dont les conséquences sont le mépris pour l'autorité, le dégoût du service, et la majoration des pensions. Un grand nombre d'officiers humiliés par les passe-droits qu'on leur fait, se retirent aussitôt que la loi les y autorise.

L'avancement des officiers subalternes a lieu entièrement par ancienneté dans l'Autriche, la Prusse, la Bavière, la Sardaigne, le Hanovre, la Saxe, le Wurtemberg, etc., etc.

En France les 2/3 des emplois sont donnés à l'ancienneté, 1/3 au choix du gouvernement.

En Hollande aussi les 2/3 à l'ancienneté, 1/3 au choix ; mais pour le choix on a toujours égard à l'ancienneté.

En Belgique la moitié seulement est accordée à l'ancienneté et la moitié est donnée au choix, sans que pour ces dernières nominations on ait égard à l'ancienneté, ou plutôt on s'en éloigne de plus en plus.

La totalité des emplois d'officiers supérieurs et de généraux est laissée au choix du gouvernement en Belgique comme dans tous les pays, à l'exception de la France, où la moitié de ceux de chef de bataillon est donnée à l'ancienneté ; néanmoins dans l'Autriche, la Prusse, la Hollande, la Sardaigne, etc., etc., l'avancement à lieu en général à l'ancienneté ; tandis qu'en Belgique on s'en écarte constamment d'une manière déplorable.

En Danemark on a eu un tel respect pour l'ancienneté, que celui qui a été devancé pour l'emploi de commandant de régiment ou de bataillon jouit, lorsqu'il quitte le service, de la pension affectée au grade immédiatement supérieur au sien.

Ainsi donc la Belgique a une loi pour l'avancement comme il n'en existe aucune dans les autres armées de l'Europe.

L'émulation, la nécessité de ne pas avoir de trop vieux chefs de corps, et d'autres raisons encore empêchent d'accorder la totalité de l'avancement à l'ancienneté ; une partie doit nécessairement l'être au choix ; mais en Belgique cette part est excessive, je viens de prouver qu'elle dépassait considérablement ce qui est accordé aux gouvernements des autres pays.

Ce n'est cependant pas dans l'extension du droit que git le plus grand mal, là est seulement l'origine de l'abus : c'est l'application même qui donne lieu à de nombreuses réclamations.

Lors de la discussion de la loi de 1836, quelques membres de cette chambre demandaient une part pour l'ancienneté dans l'avancement aux grades d'officiers supérieurs ; voici ce qu'a répondu le général Evain, alors ministre de la guerre :

« Si les capitaines avaient droit d'être nommés majors à l'ancienneté, il n'y aurait plus d'émulation dans les premiers rangs de la classe des capitaines. On entretiendra cette émulation en donnant au choix la totalité des emplois de major. On aura d'ailleurs toujours égard aux droits d'ancienneté. Les majors seront toujours choisis parmi les plus anciens capitaines. »

C'est après cette déclaration formelle ou plutôt en raison même de cette déclaration que la loi a été votée. Eh bien, ces paroles ont été bien vite oubliées, la règle suivie pour l'avancement au choix est de s'éloigner de plus en plus de l'ancienneté. Voyez ce qui s'est passé depuis 1848.

Le 2 avril on nomme un major, on choisit le 98ème capitaine. Ici il n'y'a aucune critique à exercer, on a récompensé un militaire qui s’est particulièrement distingué à Risquons-Tout.

Le 5 avril on a nommé 5 majors, on a choisi les 83ème, 86ème, 93ème, 103ème et 105ème capitaines.

Le 6 avril 1849, on a nommé 4 majors, on a choisi les 85ème, 90ème, 94ème et 129ème capitaines.

Le 4 juillet, on a nommé un major, on a choisi cette fois le 4ème capitaine.

(page 447) Le 15 février 1850, on a nommé 3 majors, on a choisi les 80ème, 85ème et 125ème capitaines.

Le 9 avril, on en a nommé encore 3, on a choisi les 69ème, 79ème et 101ème capitaines.

Ainsi, sur 10 nominations une seule fois on a eu égard à l'ancienneté, après cependant avoir fait essuyer dans l'année même plusieurs passe-droits à cet officier.

Il en a été de même pour les lieutenants et sous-lieutenants, 94 lieutenants et 102 sous-lieutenants ont été nommés en 1849, 39 lieutenants et 119 sous-lieutenants en 1850.

Avant été témoin du mécontentement d'une foule d'officiers après différentes nominations, j'ai voulu m’assurer si ces réclamations étaient fondées ; je me suis appliqué à mesurer l'abus, en quelque sorte mathématiquement, en prenant mes exemples dans l'infanterie comme l'arme la plus nombreuse. Dans ce but, j'ai examiné toutes les nominations que l'on a faites depuis la mise en vigueur de la loi de 1836. J'ai ouvert les annuaires de 1836 à 1850, annuaires qui renferment, comme on sait, les noms de tous les officiers classés par rang d'ancienneté. Ceux de 1837, 1839 et 1840 sont les seuls qui n'ont pas été imprimés. J'ai remarqué tous les officiers nommés au choix depuis 1836 jusqu'à ce jour, il m'a été possible ainsi de m'assurer jusqu'à quel point chacun des ministres avait cru devoir pousser la faculté d'étendre ses faveurs.

Par là, j'ai acquis la conviction que l'abus du choix a été continuel, qu'il a dû détruire cette émulation dont a parlé le général Evain, et produire des effets bien opposés aux intentions du législateur ; il est arrivé aujourd'hui à une exagération bien dangereuse pour le bon esprit de l'armée.

On ne tient aucun compte de l'ancienneté dans les promotions au choix. Et si à l'aide des annuaires l'on examine la position qu'occupaient les officiers les moins anciens et qui ont reçu de l'avancement au détriment de leurs camarades, alors on pensera comme moi, que trop souvent la faveur n'a pas été étrangère aux promotions, et que la loi ouvre un champ trop vaste à l'arbitraire ministériel. On sentira la nécessité d'apporter un remède à un état de choses si pernicieux pour l'armée.

Pour achever, messieurs, de vous convaincre, je donnerai quelques détails sur les promotions de 1850, non pas pour adresser plus de reproches au général qui était alors à la tête du département de la guerre qu'à tel autre, mais uniquement parce que ce sont celles sur lesquelles il est plus facile de s'éclaircir.

Ce n'est pas sans surprise que j'ai su que sur les 119 capitaines passés en 1850, il y en a 44 décorés. Sur les 59 lieutenants passés il y en a 6 décorés. Parmi tous les sous-lieutenants de l'infanterie de l'armée, on n'en comptait que 6 décorés ; un seul d'eux après avoir toujours été passé au choix, vient en avril dernier d'être promu à l'ancienneté ; trois autres ont été passés.

Ces officiers ont reçu la croix pour leur bonne conduite, pour le zèle et l'activité qu'ils déploient dans le service, pour leur bravoure, pour actions d'éclat. Et c'est avec des titres comme ceux-là qu'en Belgique l'on éprouve des passe-droits, que des lieutenants ne peuvent obtenir une épaulette de capitaine, et que des sous-lieutenants sont jugés incapables d'être lieutenant ! Tandis que dans presque tous les autres pays de l'Europe, l'ancienneté seule suffirait pour obtenir l'avancement.

On doit par conséquent reconnaître que la loi ne répond pas aux intentions des législateurs qui l'ont votée.

Ce n'est pas tout. J'ai encore remarqué, ce qui n'est pas moins extraordinaire, que la plupart des officiers promus au choix par un ministre sont passés à leur tour par le ministre suivant. Par exemple, 13 capitaines et 31 lieutenants qui ont été promus au choix par le général Willmar ont été passés par le général Chazal en 1850. Comment enfin s'expliquer que des officiers soient passés, et que huit jours, six semaines ou deux mois après, ils reçoivent à leur tour de l'avancement au choix ? Ou ces officiers avaient les qualités voulues et ils ne devaient éprouver aucun passe-droit, ou ils sont peu dignes de l'avancement au choix, et alors ils ne devaient pas profiter de cette faveur. Ces sortes de promotions ont pour résultat de favoriser de jeunes officiers auxquels elles font obtenir un rang d'ancienneté dont ils profitent dans leur nouvelle position. Des nominations semblables ont fréquemment eu lieu en 1848, 1849 et 1850.

En mars dernier, le ministre décide qu'il n'y aura plus de lieutenants adjudants-majors ; que tous à l'avenir seront capitaines. Eh bien, pour mettre immédiatement la mesure à exécution, on donne sur-le-champ de l'avancement à sept adjudants-majors, on nomme les 105ème, 106ème et 152ème sous-lieutenants ; si le ministre n'eut pas changé, il est probable que tous les lieutenants adjudants-majors eussent reçus de l'avancement.

Je le demande, un tel système peut-il favoriser la discipline, développer l'esprit de corps ? Non, c'est impossible. La manière dont le gouvernement a usé de la latitude qui lui est laissée pour les promotions a découragé un grand nombre d'officiers. Au lieu de provoquer l'émulation en faisant une grande part au mérite, comme la législature l'espérait, cette loi n'engendre que la discorde et le dégoût du service. Indépendamment de ce mal, qui est le plus grave, elle est cause de la retraite volontaire ou forcée d'un grand nombre d'officiers, et elle augmente dans une progression effrayante le chiffre total des pensions.

Le général Paixhans, dans un ouvrage très remarquable sur la constitution militaire de la France, commence ainsi le chapitre sur l'avancement :

« Une armée sans passe-droits, disait le grand Frédéric, en vaut deux... Il faut aujourd'hui dire plus encore : une armée où il y aurait des passe-droits cesserait bientôt d'être une armée. »

Quant aux emplois de sous-lieutenant, je n'ai pas été peu surpris de remarquer qu'on y nomme quelquefois lorsque les cadres sont remplis.

Par exemple, il n'y avait le 23 mai dernier que 6 places de sous-lieutenant vacantes dans la cavalerie ; non content d’une promotion de 6 élèves de l'école, on a encore nommé en sus 7 autres élèves, en les plaçant dans la cavalerie et en les faisant compter dans l’infanterie. Il est évident qu'en remplissant les cadres de l'infanterie avec des officiers de cavalerie, on fait un tort réel à l’avancement de l'infanterie. C'est, en outre, un moyen détourné de nommer dans une arme plus d'officiers que les cadres ne comportent.

J'ai l'intime conviction que le général, qui est aujourd'hui à la tête du département de la guerre, évitera les nominations de faveur dont je viens de parler : je lui demande cependant de vouloir bien proposer des modifications à la loi de 1836, parce que, de même qu'on en a abusé, on peut en abuser encore par la suite.

Loin de moi la pensée d'abolir entièrement l'avancement au choix ; il est nécessaire, comme je l'ai dit, pour exciter l'émulation, récompenser le vrai mérite et empêcher que les officiers ne parviennent à un âge trop avancé au grade de colonel et de général. Il faut combiner sagement l'avancement au choix et celui à l'ancienneté. Pour atteindre ce but, il me paraît indispensable de limiter le nombre d'officiers de chaque grade parmi lesquels le ministre pourrait choisir. La loi devrait, en outre, l'astreindre à n'exercer son droit que parmi les officiers proposés par une commission très nombreuse de généraux, et tout en respectant l’ancienneté. On donnerait ainsi aux officiers une garantie contre la partialité, nul n'oserait se plaindre du jugement porté sur lui.

Je réclame enfin, comme cela a lieu dans toutes les armées de l'Europe, une plus grande part pour l'avancement à l'ancienneté.

J'ai une dernière observation à présenter. En 1848, par suite d'une demande faite par la section centrale, le ministre de la guerre a déposé un état de 48 officiers étrangers qui n'avaient pas réclamé ou obtenu la naturalisation : il a dit, dans une note écrite, que, malgré les avertissements du gouvernement, quelques-uns persistaient à ne pas vouloir se faire naturaliser. Je crois qu'il en est parmi eux qui, depuis lors, ont reçu de l'avancement.

L'article 6 de la Constitution est positif : Les Belges seuls sont admissibles aux emplois civils et militaires. Je demande, en conséquence, que les officiers étrangers soient obligés de se faire naturaliser, et qu'ils ne reçoivent pas d'avancement jusqu'à ce qu'ils aient obtenu la naturalisation.

Celui qui ne veut pas être Belge ne doit pas être appelé à défendre le pays.

Je termine en prévenant M. le ministre de la guerre que, lors de la discussion des articles, j'aurai l'honneur de proposer à la chambre une réduction de 85,000 fr. sur les 147,000 fr. demandés pour Beverloo, afin d'arrêter la construction des casernes permanentes et de provoquer un autre mode de campement plus militaire et infiniment moins onéreux à l'Etat.

M. de Chimay. - Messieurs, en prenant la parole dans la discussion qui s'ouvre devant vous, je déclare parler en mon nom, comme membre de cette chambre, et non comme rapporteur de votre section centrale.

Jamais, depuis que je siège dans cette enceinte, je ne me suis trouvé en présence de circonstances plus graves, plus en dehors des habitudes constitutionnelles. En effet, pour la première fois, intervertissant les rôles, c'est le gouvernement qui semble déserter la cause de l'armée ; il laisse à d'autres le soin de la défendre et, chose étrange, ceux-là n'ont à opposer à ses nouveaux adversaires, que tous leurs antécédents et leurs propres paroles.

Quant à moi, messieurs, fidèle à mes constantes convictions, à mon passé, aux sympathies de la majorité sur cette grande et nationale question, déterminé, comme toujours, à la soutenir avec l'énergie du dévouement, c'est en vain que j'ai patiemment médité toutes les thèses, étudié tous les arguments, depuis le domaine de la froide raison, jusqu'à celui de l'exaltation patriotique, je n'ai pu rien découvrir, rien imaginer, qui n'ait été dit et usé au profit de ma cause, par les hommes mêmes que je combats aujourd'hui. Je ne citerai qu'un seul souvenir au milieu de ceux qui se pressent dans ma mémoire.

Qui de vous, messieurs, ne se rappelle ces mémorables paroles prononcées en 1843, alors que l'on était en pleine paix. : « Si la chambre adopte les réductions proposées, s'écriait une des grandes voix politiques du pays, qu'arrivera-t-il ? A-t-elle sous la main un ministre disponible, capable, prêt à prendre, au rabais, l'administration de l'armée ? »

On ne croyait pas alors qu'un militaire quelle que fût son ambition de parvenir au banc ministériel, qu'un militaire, vraiment digne de ce nom, mettant en oubli les sentiments et les opinions de tous ses prédécesseurs, osât assumer une telle responsabilité On votait ensuite 30 millions, et l'on se déclarait hostile à tout ministère qui, par un vain esprit de popularité, viendrait proposer des réductions incompatibles avec le bien de l’armée et les intérêts de la nation.

On m'objectera peut-être la marche et les progrès du temps. Oui, messieurs, le temps marche et les idées doivent suivre. Gouvernement, partis, hommes politiques ou savants, nous sommes tous entraînés, tour à tour, aux grands penchants généreux, de nos préjugés ou de nos passions. Oui, le temps a marché. Mais dans l’ordre d’idées qui nous occupe, il nous a conduit du calme (page 448) européen et des discours de 1843, aux agitations européennes de 1848. Et c'est en présence de ces agitations non encore apaisées, c’est sous la menace d'événements dont l'appréhension, je ne crains pas de le dire, peut d'un moment à l'autre nous imposer un budget non plus de 30, mais de 40, de 50 millions, que l'on vous propose la désorganisation de l'armée ! Je vous le demande, messieurs, est-ce là du patriotisme éclairé, est-ce là de la raison, est-ce là même de la politique ?

Prenons-y garde, messieurs ; c'est en vain que l'homogénéité viendra protester de son entier dévouement à l'armée ; en présence de mon imputation, vainement dira-t-elle que ses vues tendent bien moins à opérer des réductions qu'à opposer une barrière infranchissable aux économistes quand même. Je répondrai à ce touchant esprit de prévision, dont l'armée et le pays se passeraient bien, par les antécédents et les faits accomplis.

En effet, messieurs, que s'est-il passé constamment chaque année depuis 1845, en matière de budgets de la guerre ? A cette époque il fallait aussi en finir de toutes les incertitudes, de tous les tâtonnements, il fallait asseoir la situation de l'armée sur une base définitive. L'année n'était pas écoulée que l'on demandait une réduction, puis une autre, et, de concessions en concessions, nous voici en moins de quatre ans aux prises avec des exigences qui réduisent de plus d'un sixième le budget primitif. Et, notez-le bien, messieurs, s'agit-il d'une économie à répartir sur un vaste ensemble, et par fractions imperceptibles sur chaque partie de cet ensemble ? Sur la masse des troupes et les mille détails d'une vaste administration ? Non, messieurs, tout porte exclusivement sur vos cadres, seule chose que vous ayez à maintenir intacte ; car vos cadres, on l'a prouvé souvent, sont la véritable force de votre jeune armée, c'est la clef de voûte de l'édifice. On oublie que si l'on a trouvé jusqu'ici, dans l'abnégation et le dévouement de l'armée, le moyen de parer à ces amputations successives et imprudentes, on a dépassé de beaucoup les bornes du possible. Les vues du ministère ne tarderaient plus aujourd'hui à l'ébranler, elles l'anéantiraient.

Et dans quel but ? où est donc l'urgence d'un si grand sacrifice ? La situation financière, dites-vous. Mais cette situation n'était-elle pas la même en 1849, en 1850 ? Ne pressentiez-vous pas alors, comme aujourd'hui, les charges et les embarras qui vous rendent si oublieux non plus des discours de 1843, mais de ceux de 1850 ; alors que vous trouviez, vous, M. le ministre des finances, que le temps n'était pas propice aux expérimentations ? Vous disiez alors, que l'utilité des réformes fût-elle démontrée, vous en ajourneriez l'exécution, parce que vous craigniez par-dessus tout d'ébranler l'armée. Il fallait, ajoutiez-vous, que l'armée fût confiante dans le pavs, car le pays avait besoin de l'armée ! Que s'est-il donc passé, je le répète, dans la politique, dans les finances de l'Etat, dans le remaniement du ministère, qui ait pu si brusquement, si profondément altérer des convictions si durables, si péremptoires ?

Il y a, messieurs, un mauvais génie, qui partout en Europe, pousse fatalement à la destruction des trônes, des Etats et des sociétés, qui partout sape la base de toute hiérarchie, de toute autorité. Craignons, messieurs, que sa funeste influence ne s'empare un jour et à notre insu de nos esprits, et arrêtons-nous, il en est temps encore, sur la pente dont notre faiblesse nous dissimule les dangers !

Si des principes généraux nous descendons aux faits, on doit au moins supposer qu'un examen scrupuleux, des études sérieuses, l'avis des hommes spéciaux les plus compétents ont pu seuls modifier l'opinion que le pouvoir défendait au mois de janvier dernier, avec tant de chaleur, au prix même d'une question de cabinet. Vous devez croire que les plus hautes considérations le déterminent aujourd'hui à comprimer chez nous l'élan militaire que partout l'on exalte, à nier l'importance de l'armée, alors que tant de gouvernements, à Dieu ne plaise que ce soit jamais le cas en Belgique, en sont réduits à voir en elle la dernière ressource de la société chancelante. Vous pensez peut-être qu'un nouveau système va surgir.... Phrases que tout cela, messieurs, nos réformateurs demandaient une organisation, on leur donne des vues ; et quelles vues ! des vues irréalisables dans l'état actuel des choses... j'en appelle à mes adversaires comme à mes amis, j'en appelle au ministre de la guerre lui-même.

11 faut des économies ! eh ! qui le nie, messieurs ? Dites et surtout prouvez que vous en ferez, et vous verrez avec quelle unanimité touchante vos propositions seront accueillies sur tous ces bancs. Oui, faites des économies, mais n'érigez pas la destruction en principe !

Il faut de la conciliation, disiez-vous naguère dans une autre enceinte : mais entre qui ? au profit de qui ?.... Ici, je m'arrête, je n'aime pas les insinuations. Mais certes, ce n'est point au profit des 62 voix qui, l'année dernière, à pareille époque, défendirent avec vous les intérêts de l'armée, je veux dire du pays, de ces voix qui, je le proclame hautement, non moins que vous sont avares des deniers publics, mais non moins que vous aussi, veulent une Belgique viable et forte, respectable et respectée !

Il faut de la conciliation.... le terme est-il juste ? non, c'est une concession, c'est une transaction que vous demandez à la chambre, aux dépens de la majorité elle-même ! Mais offre-t-on même une conciliation à ces rares exigences dont la pression morale refoule momentanément au fond de certains cœurs tant d'instincts patriotiques, tant de généreuses paroles ! Eh ! messieurs, on ne leur offre pas même des vues, à peine des mots, disons-le, on leur offre... une équivoque.

Et du reste, messieurs, l'homogénéité du nouveau 12 août n'est-elle pas elle-même une équivoque ? Je conçois que le cabinet reconstitué, conséquent jusqu'au bout, ne veuille pas déchirer les voiles dont il s'entoure ; mais nous, représentants du pays, pouvons-nous, devons-nous accepter sans contrôle et sans examen cette prétendue homogénéité ? Serait-il vrai, par exemple, que lors de cette mise au rabais de l'administration militaire, pour me servir d'une expression consacrée, pas un officier général, pas même celui qui siège au banc ministériel, n'ait voulu compromettre son nom en l'associant sans réserve à l'étrange programme de l'homogénéité, sans dire : Des économies, soit, la désorganisation de l'armée, jamais ! Disons-le, messieurs, ce programme n'est qu'une vaine fantasmagorie de mots, il ne renferme rien de sérieux.

Non, vous n'êtes pas d'accord, et j'en félicite le pays. En laissant de côté la constitutionnalité de votre déclaration, que je conteste au premier chef, mais que d'autres jugeront mieux que moi, je dis que vous, membres civils du cabinet, n'étiez pas recevables à poser un chiffre sérieux sans l'avis, la participation et les convictions formelles du ministre de la guerre. Or, vous n'avez obtenu ni les uns, ni les autres.

Vous n'agissez donc que sous l'empire de ces prétendues conciliations et de chiffres en dehors de toute réalité ; alors pourquoi poser ces colonnes d'Hercule ? pourquoi vous arrêter en si beau chemin ? le chiffre de 20, de 18 millions eût été bien plus conciliant, dès que la conciliation devait grandir en raison inverse des millions. Ce que je viens de dire est tellement vrai, que le ministre de la guerre lui-même a formellement inséré dans votre manifeste, qu'il ne voulait à aucun prix toucher à la force organique de l'armée. Et pouvait-il en être autrement ?

Est-elle donc si mauvaise cette organisation qui, en 1848, vous a donné en moins de huit jours 52,000 hommes sous les armes et 160 canons attelés. Croyez-vous que si notre armée était impuissante, comme on semble le croire, nous aurions assisté à ce patriotique et remarquable spectacle d'un appel aux armes fait en présence d'une crise immense et de dangers imminents, sans qu'un seul citoyen, un seul y ait manqué ! Non, messieurs, des soldats sans confiance dans leur force, dans leurs chefs, ne montrent pas cet empressement enthousiaste, mais ils avaient cette confiance. Les adversaires de la loi de 1845 ne détruiront pas ce fait, il est acquis à la loi comme à l'honneur, au patriotisme de l'armée.

D'ailleurs où sont les points de comparaison entre cette pauvre loi de 1845 et la terre promise du ministère ? Quels sont les grands hommes de guerre qui, dans leurs sages méditations, ont découvert ce chiffre merveilleux, irrévocable de 25 millions, pas un sou de plus, pas un sou de moins. Ces grands hommes ! messieurs, vous ne les trouverez ni en France, ni en Belgique, ni dans les pays où les armées se recrutent sans cesse de jeunes soldats. Si vous n'en croyez pas vos propres généraux, tous les étrangers vous diraient que votre loi est bonne, sinon la meilleure possible ; que, fût-elle même fautive, nous ne vivons pas en des temps d'expérience et de tâtonnements en matière d'ordre public. Ils vous féliciteraient de la noble homogénéité de vos institutions, marquée celle-là au coin de la providence et du patriotisme. Ils vous diraient : gardez-vous, imprudents, d'ébranler l'une des bases de cette Belgique si jeune encore, dont le calme imposant au milieu de tant de troubles et de désordres, est à la fois la consolation et l'espérance de la véritable liberté aux prises avec l'anarchie démagogique.

Ainsi, messieurs, ce n'est pas de l'avis de ces hommes, ce n'est pas de la gravité des événements qui nous pressent, ni de l'expérience que l'on s'inspire. Il faut économiser quand même, voilà l'axiome. Que faire pour atteindre ce but ? Prélever sur des frais accessoires, sur des travaux ou des écoles ? des sucres ou des tabacs ? Non, nous irons au plus simple, nous n'examinerons pas si de rigoureuses nécessités pèsent véritablement sur notre situation financière, nous frapperons l'armée. Elle exigeait 30 millions lorsque tout était calme en Europe ; de réduction en réduction elle est tombée à 27, elle se contentera de 25... Nous voulons bien être nation, mériter une place honorable dans l'histoire, défendre par notre exemple la société en péril, prouver que la monarchie peut vivre avec la liberté, mais tout cela nous le voulons sans qu'il nous en coûte rien.

Non, messieurs, je le répète, nous ne pouvons, nous ne devons pas prendre au sérieux cette hallucination politique, cet étrange message adressé à la section centrale. Quant à moi, j'espère encore qu'il restera à l'état de lettre morte.

Et maintenant, ce drapeau qui semble échapper à des mains imprévoyantes, je le relève, messieurs, au nom de la majorité d'hier, au nom du pays, au nom de cette armée prête, s'il le fallait, à vous sacrifier son sang, et tant que j'aurai l'honneur de siéger dans cette enceinte, je le porterai haut et ferme, sans influence peut-être, mais avec l'invariable conviction de ce que je dois à mon pays. Je dirai à tous ceux qui m'écoutent, à tous ceux qui entendront peut-être ma voix hors de cette chambre : Avant de souffrir que l'on touche au faisceau de nos garanties publiques, pour combler nos déficits, abdiquons tout esprit de localité ; surtout, je vous en conjure, n'exigeons pas que les mêmes mains qui, pour réaliser les vues du gouvernement, veulent aujourd'hui compromettre nos moyens de défense, jettent des millions dans le lit de telle ou telle rivière, dans l'entreprise de telle ou telle voie ferrée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut parler franchement, sans insinuation.

M. de Chimay. - Je parle franchement.

Et si tant d'abnégation est inutile, s'il faut encore, malgré ses recherches et ses efforts, que le pouvoir en soit réduit à confesser son impuissance, à solliciter humblement des idées et des moyens, à nous grever de nouveaux impôts, au lieu de savoir utiliser les ressources dont il (page 449) dispose, alors, messieurs, je lui dirai : je vous remercie de ce que vous avez fait, mais laissez faire à d'autres ce que vous ne pouvez pas faire !

Je me résume, messieurs, et je demande qu'on m'explique nettement, catégoriquement, sur quelles bases s'est établie l'homogénéité du nouveau 12 août, à propos du budget de la guerre. Je demande à l'aide de quels calculs, de quel système, on a pu fixer le chiffre de 25,000,000. Je demande surtout au ministre de la guerre, s'il s'associe purement et simplement aux vues de ses collègues, c'est-à-dire à la destruction de la force organique de l'armée, force qu'il sait incompatible avec toute réduction nouvelle. Je lui demande enfin si la commission dont il a parlé aura pour mission de réviser l'organisation actuelle.

Je désire que la réponse que j'attends de l'honorable général Brialmont me permette de voter le budget de la guerre avec l'amendement de la section, en protestant de toute mon énergie contre le manifeste du cabinet, parce qu'à mes yeux, il est inconstitutionnel, impolitique et dangereux !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, en écoutant l'honorable préopinant, je me suis demandé en présence de quelles circonstances si désastreuses, en présence de quels périls si grands nous nous trouvions placés, pour qu'un homme, connu par la modération de ses opinions et de ses paroles, vint tout à coup se livrer, envers le cabinet, à un genre d'accusation auquel il ne nous avait pas accoutumes.

M. de Chimay. - Je n'ai accusé personne.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Selon l'honorable prince de Chimay, le gouvernement aurait conçu la pensée de détruire l'armée ; il y aurait conspiration dans le sein du cabinet contre cette institution L'armée doit être détruite, l'organisation qui résulte de la loi de 1845 doit entièrement disparaître.

Cette organisation, pour être complète, sérieuse, devrait, il est vrai, entraîner une dépense de 30 millions. Et en dehors de cette organisation, il n'y a pas, dit-on, de salut pour l'armée, pas de salut pour le pays.

Mais je demanderai, à mon tour, à l'honorable rapporteur de la section centrale, qui fut aussi le rapporteur de la loi d'organisation, comment il se fait qu'il ait eu l'imprudence, depuis 1845, de voter annuellement au budget de la guerre des réductions qui entraînent nécessairement la non-exécution de la loi d'organisation.

Si cette loi d'organisation est le salut de l'armée, le salut du pays, il faut voter 30 millions, et si le gouvernement, quel qu'il soit, vient vous demander des impôts pour couvrir ces dépenses si essentielles au salut du pays, il ne faut pas vous lever contre le gouvernement, il faut lui donner la main et lui assurer les ressources qui le mettent à même de porter à 30 millions le chiffre de l'armée.

On a prononcé de grands mots ; mais il ne faudrait pas se borner à prononcer de grands mots, il faudrait aussi avoir, dans l'occurrence, le courage d'appuyer le gouvernement, lorsqu'il vient demander les ressources à la chambre, précisément pour couvrir les dépenses auxquelles on le pousse.

Je suis peu touché de ces paroles sympathiques pour l'armée, lorsqu'à côté de ces paroles on ne vient pas poser des actes qui prouvent que véritablement on veut soutenir l'armée autrement que par des mots.

J'ai pris note de la réserve qui a été faite à la fin de ce discours en apparence si favorable aux intérêts de l'armée. On nous l'a déclaré : on ne veut pas d'impôts nouveaux ; et voilà quelle est la position que l'on voudrait faire au gouvernement ; maintenir toutes les dépenses à un taux élevé, les augmenter même, et refuser en même temps au gouvernement le moyen de couvrir ces dépenses.

Au surplus, ce n'est pas la situation financière du pays seulement qui nous a déterminé à apporter à la chambre le programme qui a été communiqué à la section centrale.

Ce programme, je suis surpris qu'il ait excité l'étonnement de l'honorable prince de Chimay ; ce programme ne renferme rien de nouveau, il est la continuation du système défendu sur ces bancs depuis trois ans.

Que soutenons-nous depuis trois ans sur ces bancs ? Que nous voulons une armée solide, établie sur un pied stable, à l'abri des contestations parlementaires, des fluctuations politiques. Qu'avons-nous dit ? Nous avons dit que tout en voulant maintenir l'armée sur un pied respectable et fixe, nous chercherions cependant à y introduire toutes les économies que nous jugerions possibles ; et nous avons introduit ces économies dans les budgets de 1848, de 1849 et de 1850.

Voilà notre langage et voilà nos actes contre lesquels on n'a nullement protesté, pas plus qu'on n'a protesté de 1845 à 1848 contre toutes les réductions qui ont été introduites dans les budgets contrairement à la loi d'organisation de l'armée.

Que s'est-il passé dans la dernière session ? L'honorable général qui tenait alors avec tant de distinction le département de la guerre, avait annoncé à la chambre qu'il ferait examiner et qu'il examinerait lui-même toutes les questions qui se rapportent à notre établissement militaire, qu'il apporterait au commencement de cette session un rapport complet sur toutes ces questions. Les circonstances n'ont pas permis que ce rapport fût déposé. Que vient de déclarer notre honorable collègue, M. le ministre de la guerre ? Il vient de déclarer qu'entrant dans les vues du cabinet, il cherchera à introduire des économies nouvelles, et qu'en même temps il soumettra toutes les questions qui concernent notre établissement militaire, à une commission composée d'hommes spéciaux ; le prédécesseur de M. le ministre de la guerre actuel n'avait point parlé d’une commission ; mais il avait déclaré qu'il soumettrait toutes ces quêtions aux lumières d'hommes spéciaux.

Que signifie le chiffre de 25 millions indiqué par le ministère ? C'est une limite que le gouvernement désire atteindre, qu'il fera ses efforts pour atteindre, mais au-dessous de laquelle, dans aucun cas, il ne consentira à descendre. Si le gouvernement était venu annoncer d'une manière vague à la chambre qu'il continuerait à faire des économies, avec raison la question qui a été soulevée tout à l'heure nous aurait été posée ; on aurait dit : Jusqu'où voulez-vous pousser ce système d'économies, où vous arrêterez-vous ? Voulez-vous descendre à 20 millions, à 15 millions ?

Non, messieurs, nous avons indiqué le chiffre de 25 millions, comme une limite en dessous de laquelle nous ne consentirons dans aucun cas à descendre. Arriverons-nous à ce chiffre exact de 25 millions ? C'est ce qui sera décidé quand la commission spéciale que M. le ministre de la guerre a consenti à nommer aura terminé son travail. Si les conclusions de cette commission, qui sera composée d'hommes éclairés, spéciaux, impartiaux, si les conclusions de cette commission démontraient clairement au cabinet qu'on ne peut pas, sans porter une grave atteinte à la force organique de notre armée, descendre au chiffre de 25 millions, eh bien, messieurs, le cabinet restera libre de délibérer.

La liberté d'aucun de nous n'est engagée sur ce point. Si au contraire les conclusions de cette commission établissent qu'on peut avec le chiffre de 25 millions suffire à tous les besoins d'une armée fortement organisée, alors le cabinet viendra apporter à la chambre une proposition complète et définitive.

Je m'attends à ce que dans la discussion on vienne reproduire des extraits de divers discours, de ceux notamment que j'ai prononcés dans plusieurs circonstances.

Je ne m'en défends pas ; j'ai toujours été un ami très décidé de l'armée, j'ai toujours été sympathique à ses intérêts, dévoué à son existence. Je reste encore dans les mêmes sentiments ; l'armée continue à avoir mes affections. Et je soutiens que dans ces circonstances nous sommes meilleurs défenseurs de l'armée que ceux qui compromettraient son existence en refusant toute espèce de modifications eu même seulement d'examen.

N'importe-t-il pas à la sécurité de l'armée d'arriver enfin pour le budget de la guerre à une situation incontestée, normale, en dehors de tout débat ? Croyez-vous faire beaucoup pour la sécurité de l'armée quand chaque année vous êtes obligés d'arracher un vote à cette chambre à la suite de longs et laborieux débats et par la grâce d'une partie de cette chambre qui sur toutes lus autres questions combat le cabinet.

Un caprice, une tactique de l'opposition peut renverser en une seule séance tout cet échafaudage élevé en faveur de l'armée ! Qu'on y prenne garde !

Si le gouvernement parvenait à placer en dehors de tout débat politique, en dehors des intérêts de parti, cette question de l'armée, si le gouvernement parvenait à obtenir un budget de la guerre de la même manière qu'il obtient tous les autres budgets, je dis qu'il aurait rendu, un service signalé à l'armée, je dis qu'il lui aurait rendu cette sécurité qui lui manque aujourd'hui, et qu'on ne parviendra pas à lui rendre par de simples discours, alors que ces discours ne seront pas accompagnés de mesures propres à assurer les finances du pays.

A toutes les époques, j'ai fait des réserves expresses, alors que je soutenais les chiffres les plus élevés demandés pour l'armée, j'ai fait des réserves expresses sur deux points : 1° j'ai demandé aux ministères qu'ils fortifiassent la situation financière s'ils voulaient conserver le chiffre élevé du budget de la guerre.

J'ai fait aussi des réserves quant aux économies possibles. Je ne me suis pas montré partisan de l'armée tellement aveugle, tellement fanatique que j'aie voulu me refuser à examiner si des économies peuvent se faire. Jamais je n'ai tenu ce langage. A toutes les époques, j'ai parlé dans le sens des économies à faire ; j'ai toujours exprimé le désir qu'on pût en faire.

En 1847, lorsque M. le général Prisse est venu demander une augmentation au budget de la guerre, j'ai combattu cette proposition. L'attitude que j'ai prise alors me valut de graves reproches. On m'accusa de déserter la cause de l'armée. Je ne l'ai pas plus désertée alors qu'aujourd'hui. Je l'ai soutenue sérieusement. C'est pour tâcher d'assurer à l'armée une position stable, à l'abri de toute contestation, à l'abri de la tactique des partis, que je désire arriver, sur cette question, à un chiffre qui d'une manière assurée et durable réunisse la grande majorité de cette chambre.

On s'est demandé si le ministère était homogène sur cette question. Le ministère est complètement d'accord sur cette question.

Le général Brialmont s'associe aux vues du cabinet. Rien n'est, ce me semble, plus clair pour ceux qui veulent comprendre la déclaration faite par l'honorable général. Il a introduit des économies ; il recherchera les économies à faire, il s'entourera des lumières d'une commission spéciale ; puis s'il lui est démontré que des économies ne sont plus possibles sans entraîner la désorganisation de l'armée, il ne conservera pas le rôle qu’il a accepté ; et ses collègues se réserveront aussi toute liberté d'action.

Que si, au contraire, il reconnaît de bonne foi le moyen d'arriver à une conciliation sur cette grave question, sur laquelle il importe à tous de clore le débat toujours ouvert, le général apportera avec confiance les réductions qui pourront résulter d'un examen sérieux de toutes les questions relatives à notre établissement militaire.