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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 5 décembre 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 169) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« La chambre de commerce de Namur se prononce en faveur du traité de commerce avec les Pays-Bas. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le traité et insertion aux Annales parlementaires.


« L'administration communale de Boussu prie la chambre d'accorder au sieur Maertens la concession d'un chemin de fer de Boussu à Tournay, avec garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Delfosse remplace M. Verhaegen au fauteuil.

Projet de loi relatif à la détention préventive

Discussion des articles

Chapitre II. De la mise en liberté provisoire

Article 10

M. le président. - Nous sommes arrivés à l'article 10. M. le ministre de la justice en propose une nouvelle rédaction ainsi conçue :

« Art. 10. La demande de mise en liberté provisoire sera notifiée à la partie civile, à son domicile réel, lorsqu'elle demeure dans l'arrondissement, sinon à celui qu'elle a dû élire conformément à l'article 68 du Code d'instruction criminelle.

« La partie civile pourra, dans tous les cas, adresser ses observations à la chambre du conseil, sur le cautionnement à exiger de l'inculpé. »

- L'article ainsi rédigé est adopté.

Article 11

« Art. 11. L'ordonnance de mainlevée du mandat de dépôt, et l'ordonnance ou arrêt de mise en liberté provisoire, détermineront le montant du cautionnement, selon les circonstances et eu égard à la nature de l'infraction.

« Si l'infraction donne lieu à des dommages-intérêts, la valeur de ce dommage sera arbitrée, pour cet effet seulement, par les juges, et le montant du cautionnement sera déterminé en conséquence.

« Toutefois les juges n'auront égard à ce dommage que s'il y a une partie civile en cause. »

M. le ministre de la justice propose de remplacer les paragraphes 2 et 3 par la disposition suivante : !

« Si l'infraction donne lieu à des dommages-intérêts, le montant du cautionnement, s'il y a une partie civile, sera déterminé d'après la valeur des dommages ainsi qu'il sera arbitré pour cet effet seulement par les juges. »

- L'article ainsi modifié est adopté.

Article 12

« Art. 12. Le cautionnement garantit :

« 1° La représentation de l'inculpé à tous les actes de la procédure et, pour l'exécution du jugement, aussitôt qu'il en sera requis ;

« 2° Le payement des frais, des amendes, et, s'il y a lieu, des réparations dues à la partie civile jusqu'à concurrence de la somme arbitrée par les juges, conformément à l'article précédent.

« L'ordonnance ou arrêt de mise en liberté déterminera spécialement la somme affectée à chacune de ces garanties. »

- Adopté.

Article 13

« Art. 13. Le montant du cautionnement et la solvabilité de la caution offerte seront discutés devant les juges saisis de la demande, par le ministère public et par la partie civile dûment appelée, s'il y a lieu. »

La section centrale propose de modifier ainsi la fin de l'article : « par le ministère public, par la partie civile, et par l'inculpé ou son conseil, dûment appelé, s'il y a lieu. »

M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il à cet amendement ?,

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - En partie. Je propose de dire : « par l'inculpé, le ministère public et la partie civile dûment appelée. » Je retranche les mots : « ou son conseil ».

M. Lelièvre. - Je pense que la rédaction de M. le ministre de la justice n'exclut pas le droit appartenant à l'inculpé de se faire assister d'un conseil. Ce droit étant la conséquence du droit sacré de la défense, ne saurait être écarté par aucune disposition.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, cela n'exclut pas le droit pour le tribunal, d'après les circonstances, d'entendre le conseil, mais cela exclut pour l'inculpé le droit de faire entendre son conseil lorsque le tribunal ne le jugerait pas convenable. On ne peut pas admettre que le conseil du prévenu doive être initié à tous les détails de la procédure et mis en rapport avec son client à une époque où l'intérêt de la justice exigerait qu'il ne le fût pas.

- Larticle est mis aux voix et adopté avec le changement proposé par M. le ministre de la justice.

Article 14

« Art. 14. La solvabilité de la caution offerte devra être justifiée par des immeubles libres pour le montant du cautionnement, et une moitié en sus, si mieux n'aîme la caution déposer, dans la caisse des dépôts et consignations judiciaires, le montant du cautionnement en espèces. »

La section centrale propose de commencer l'article comme suit : « La solvabilité de la caution sera discutée par tous moyens de droit. »

M. de Perceval. - Messieurs, comme je l'ai déclaré dans la séance d'hier, j'ai l'honneur de reproduire l'amendement que j'avais présenté à la section centrale et qui a été rejeté par elle. Cet amendement était conçu en ces termes :

« Les certificats de moralité et de probité seront admis pour établir la caution si l'inculpé est dénué de toute fortune. »

M. le président. - Cet amendement trouverait mieux sa place à l'article 16.

M. de Perceval. - Soit, M. le président, je le reproduirai à l'article 16.

M. le président. - M. le ministre de la justice se rallie-t-il à l'amendemenl proposé par la section centrale ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non, M. le président.

M. Lelièvre. - La section centrale propose d'énoncer que la solvabililé de la caution pourra être justifiée par tous moyens de droit. Je crois devoir appuyer cet amendement ; en effet, l'inculpé doit être admis à fournir une caution personnelle, si celle-ci est solvable. C'est d'abord le principe que les chambres ont admis dans le projet de loi relatif à la juridiction des consuls. L'article 77 de ce projet porte que l'inculpé sera admis à présenter une caution solvable.

Nous avons également admis une caution personnelle, en matière de surenchère, notamment par l'article 115 de la loi hypothécaire. Dès lors pourquoi n'admettrait-on pas le même principe en ce qui concerne la mise en liberté provisoire ?

En effet, ce qui est admis en matière civile, pourquoi ne serait-il pas également reçu, lorsqu'il s'agit de la liberté individuelle qu'il faut toujours favoriser ? La mise en liberté est trop précieuse pour ne pas recevoir des législateurs l'accueil qu'elle mérite.

Le but de la section centrale a été de faciliter les moyens d'obtenir la mise en liberté ; or, on sait que l'on trouve plus aisément une personne solvable que de se procurer une somme pour être déposée dans la caisse des consignations.

Du reste, l'amendement de la section centrale ne présente aucun inconvénient. En définitive, les tribunaux seront juges de la solvabilité de la caution personnelle et naturellement ils n'admettront celle-ci que pour autant qu'elle réunisse évidemment les conditions de solvabilité nécessaires pour que le but du cautionnement soit rempli.

Je pense donc qu'il y a lieu à adopter l'amendement qui est fondé en équité et qui ne fait pas une question d'argent de la mise en liberté.

M. Destriveaux, rapporteur. - Messieurs, en principe les sections et la section centrale ont admis que l'inculpé pourra être caution. Mais quand on dit caution personnelle il y a deux choses : peut-il être lui-même sa caution en donnant toutes les garanties qu'on demande, soit à la justice civile, soit à l'Etat ? Peut-on le prendre comme caution donnant sa garantie tirée de sa simple moralité ? La section centrale n'a pas admis le principe dans cette application absolue et, messieurs, d'après la note que je retrouve sur l'article 16, l'honorabIe M. Lelièvre a présenté cet amendement que l'inculpé pouvait être admis à être sa propre caution et que le juge apprécierait sa moralité et ses facultés, que l'appréciation s'en ferait par tous moyens de droit ; ainsi, en recevant la caution personnelle, on ne se bornait pas à admettre la caution de l'individualité seule, mais il s'agissait encore de l'appréciation, par les moyens de droit, de ses facultés, c'est-à-dire de sa solvabilité.

Or, la solvabilité n'est pas ici une solvabilité indéfinie, c'était la solvabilité relative au montant de la caution que le juge reconnaissait nécessaire, pour donner, soit à l'Etat, soit à la partie civile, toutes les garanties convenables, en cas de défaut enfin de,se représenter, quand la justice redemanderait l'inculpé. Voilà comment cela a été adopté par la section centrale.

La section centrale s'est préoccupée d'une manière assez approfondie de cette question-ci : l'appréciation de la moralité de l'individu suffit-elle pour pouvoir lui accorder la mise en liberté provisoire sous caution ? La section centrale a considéré qu'en matière de police correctionnelle, la détention préventive ne pouvait être prononcée, aux termes de l'article 2, que lorsqu'il existait des circonstances graves. Or dans ces occasions-là, il faut autre chose qu'une simple garantie de moralité pour répondre des éventualités auxquelles la détention préventive ou la mise en liberté provisoire sous caution peut être exposée ; de sorte qu'ici on a été frappé de cette considération, que la détention préventive ne pouvant être ordonnée que dans des circonstances graves, alors la caution purement morale pouvait ne pas suffire, parce que les circonstances éloignaient la foi qu'on pouvait ajouter en général à l'appréciation de la moralité. Et voilà pourquoi la section centrale n'a pas admis l'application du principe absolu, tel qu'on voudrait le présenter ici.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, d'après les explications que vient de donner M. le rapporteur de la section centrale, il me semble qu'elle-même n'a pas donné à l'amendement proposé par elle, et qui a probablement pour auteur l'honorable M. Lelièvre, la portée que l'honorable membre y donne lui-même.

(page 170) J'avais cru que la section centrale n’avait pas saisi la pensée de l’honorable M. Lelièvre, et c’est pour cela que j’ai désiré, avant de prendre la parole, d’entendre à la fois les explications de l’honorable membre et celles de l’honorable rapporteur de la section centrale ?

Le Code civil admet le cautionnement en immeubles, à défaut du cautionnement en espèces. A ce systèmc simple que veut-on substituer ?

La caution personnelle, c'est-à-dire, que tout prévenu aura le droit d'indiquer comme étant sa caution un individu quelconque et de forcer ensuite la chambre du conseil à statuer sur la solvabilité de cet individu. La conséquence de ce système sera que, préalablement à la mise en liberté provisoire, un débat civil s'engagera devant une juridiction répressive ; que l'on y entendra des témoins produits tant par l'inculpé que par le procureur du roi, soit pou rapprouver, soit pour attaquer la solvabilité de la caution, et que le résultat possible de ce débat sera une déclaration d'insolvabilité qui, d'abord imprimera une sorte de flétrissure à celui qui en aura été l'objet et ensuite aura inutilement occupé les magistrats et retardé la mise en liberté.

M. Lelièvre dit que la caution personnelle a été admise en cas de surenchère et dans la loi sur les consuls.

Il ne tient pas compte de la distinction fondamentale qui existe entre les espèces qu'il cite et celle dont nous nous occupons. Quand il s'agit de surenchère, on admet la caution personnelle, parce que là il y a un débat civil engagé entre un demandeur et un défendeur qui font valoir leurs droits respectifs.

Dans la loi sur la juridiction consulaire nous avons admis la caution personnelle, parce que celle loi doit être exécutée dans des pays où nos compatriotes exercent seulement le commerce, où ils n'ont le plus souvent que des marchandises, où même ils peuvent ne point être admis à posséder des immeubles.

Les deux exemples cités par l'honorable M. Lelièvre ne peuvent donc pas être invoqués dans la matière qui nous occupe.

M. Lelièvre. - Les motifs déduits par M. le ministre de la justice sont loin d'être concluants. En effet, à quel titre lorsqu'il s'agit de la liberté individuelle, rejetterait-on une caution personnelle qui est admise par les lois lorsqu'il ne s'agit que d'intérêts pécuniaires privés ? Une caution personnelle n'est-elle pas de la même valeur qu'une caution en argent et comment ne croirait-on pas convenable d'accepter par exemple la caution personnelle d'un grand industriel, d'un homme notoirement solvable et présentant d'ailleurs les garanties de moralité convenables ?

Mais, messieurs, ne sait-on pas que bien souvent un honnête ouvrier pourrait présenter son maître disposé à répondre pour lui, mais ne pourrait obtenir la somme nécessaire pour être versée dans la caisse du trésor ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vous ferai observer qu’il ne s’agit plus de la caution de 500 francs. Vous raisonnez de la caution telle qu’elle existait dans l’empire de l’ancien Code.

M. Lelièvre. - Mais nous ne savons, M. le ministre, à quel taux le cautionnement peut être élevé par le juge, et par conséquent nous ne connaissons pas la somme qui peut être éventuellement exigée. Mon argumentation reste donc debout.

Le système que je combats aurait pour conséquence d'établir une anomalie absurde entre nos lois civiles et nos lois criminelles, au détriment des inculpés. Comment ! lorsqu'il ne s'agit que d'intérêts pécuniaires, de surenchère, nous admettrons une caution personnelle parce que, comme nous l'avons dit en discutant la loi hypothécaire, il faut favoriser le droit de surenchérir.

Eh bien, dans le système du projet, on favoriserait la liberté individuelle moins que le droit de surenchère. Cette doctrine je la repousse énergiquemeut parce qu'elle est repoussée par la justice et l'humanité.

Mais, dit-on, il y a inconvénient à élever des débats sur la solvabilité d'un individu. Cet argument n'est pas sérieux ; celui qui consent à se porter caution s'expose naturellement à toutes les conséquences de sa position et par conséquent doit s'attendre à voir discuter sa solvabilité. Il en est ainsi dans toutes les matières quelconques où il s'agit de caution, et cet état de choses n'a jamais donné lieu à aucun inconvénient.

Quant à la solvabilité elle-même, c'est là une question de fait que les juges apprécieront, et certes, on peut se référera leur conscience à cet égard. Du reste, l'on comprend parfaitement que l'inculpé se gardera bien de présenter un individu dont la solvabilité ne sera pas à l'abri de toute contestation.

Messieurs, il y a deux espèces de caution l'une personnelle et l'autre réelle ; eh bien.' Lorsqu’il s'agit d'un droit aussi précieux que la liberté individuelle et d'une mesure aussi favorable que la mise en liberté provisoire, il est conforme aux principes d'admettre l'une et l'autre caution et on doit être d'autant plus facile à admettre mon opinion que quand il ne s'agit que de discuter la solvabilité de la caution, c'est qu'on aura reconnu que les circonstances de la cause permettent la mise en liberté provisoire et qu'en conséquence l'intérêt de la société n'y est pas obstatif.

Dès lors puisqu'il ne s'agit plus que de la question d'argent, on doit nécessairement être facile sur l'exécution et admettre une caution personnelle. Le système de la section centrale est donc conforme à la justice et à l'équité, il est réellement libéral. La chambre lui donnera certainement la sanction de son vote.

M. Destriveaux, rapporteur. - Malgré la profonde estime que j'ai pour la manière de voir de l'honorable ministre de la justice, je crois qu'il a présenté la question de la solvabilité sous un point de vue trop étendu,

Il faut prendre garde que, quand on décide de la solvabilité des individus, ce n'est pas une décision générale sur la solvabilité abstractivement comprise, mais c'est une décision prise dans un Code borné à l'objet auquel la solvabilité peut être appliquée. Or, il n'y a pas de minimum déterminé par le projet de loi et c'est une très grande amélioration.

La question de la solvabilité peut donc être appréciée en de termes extrêmement restreints.

Il n'est pas besoin d'une grande enquête, de grandes formalités de justice ; il n'est pas besoin de faire beaucoup de frais pour reconnaître si un individu qui se présente comme caution peut être admis à garantir, par exemple, une somme d'une centaine de francs de frais ou de dommages-intérêts s'il y a partie civile, et l'appréciation est encore plus simple lorsqu'il n'y a pas partie civile. S'il y en a une, il faut savoir à combien il élève ses prétentions, ces prétentions doivent être déhattues ; elles doivent l'être alors pour savoir si elles sont en proportion du dommage, c'est donc ainsi que la solvabilité peut être et doit être calculée. Il me semble alors que l'on peut reconnaître par les moyens de droit si la réalité de la solvabilité de la caution qu'il présenté répondra des frais et des dommages-intérêts s'il y a une partie civile. De sorte que je ne vois pas le grand inconvénient à maintenir l'article tel que la section l'a admis.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Destriveaux a dit que je donnais à la question de la solvabilité une trop grande étendue. Je crois être resté dans la vérité, lorsque j'ai dit qu'un jugement déclarant qu'un individu n'est pas solvable, imprime à celui qui est présenté comme caution une véritable flétrissure ; en effet, descendons dans la réalité des faits de la procédure. Je suppose un prévenu ayant commis un délit grave, car il faut bien remarquer que la caution ne sera plu sexigée que dans des circonstances graves et exceptionnelles où il s'agira de fournir un cautionnement assez élevé ; car en général dans les matières correctionnelles où il s'agira de délits peu graves, il n'y aura pas même d'arrestation.

Maintenant le cautionnement qu'est-il destiné à garantir ? D'après l'honorable M. Destriveaux, il ne serait appelé à garantir que les frais et les dommages-intérêts ; c'est une erreur très grave : il est appelé à garantir, non seulement les frais et les dommages-intérêts, mais encore la représentation de l'individu à tous les actes de la procédure et la nécessité pour lui de venir subir la peine corporelle qui pourra lui être infligée par le juge. C'est en raison de ces circonstances que le cautionnement doit être élevé. Il ne s'agit donc pas d'une centaine de francs pour frais et pour dommages-intérêts,et s'il ne s'agissait que de cela, je derrande si l'individu, qui ne saurait pas verser cette centaine de francs, serait très solvable.

S'il s'agit de 100 francs et qu'il faille que le tribunal repousse une caution personnelle de 100 francs, c'est que cette caution personnelle en définitive ne sera pas très solvable ; c'est que le tribunal sera amené à déclarer que cette personne n'offre pas de- garanties suffisantes jusqu'à concurrence de 100 francs, c'est-à-dire qu'elle est insolvable, qu'elle ne doit pas avoir le moindre crédit.

On nous dit qu'il n'y a pas à ce système le moindre inconvénient. J'avoue que je ne comprends pas comment on ne reconnaît pas, au contraire, qu'il offre les plus graves inconvénients. Que dit l'amendement que l'on propose ? « La solvabilité de la caution peut être établie par toutes voies de droit. » Or, je demanderai aux honorables jurisconsultes que je combats, ce que signifient ces mots que la solvabilité d'une caution peut être établie par toutes voies de droit ?

Est-ce que la solvabilité d'une caution démontrée par toutes voies de droit, ne peut pas être démontrée, par exemple, par une enquête ? Votre amendement admis, comment contesterez-vous à un individu le droit de venir dire à la chambre du conseil : Je vous offre pour caution tel on tel et j'offre les preuves par toutes voies de droit et même par témoins ; que monsieur un tel est solvable ? Et si vous admettez que cela pourra se faire, la chambre du conseil ne devra-t-elle passe livrer à une enquête sur la question de savoir si la personne est solvable ? Si l'enquête est admise, ne pourra-t-on pas demander la contre-enquête, et si l'on admet la contre-enquête, voilà le procureur du roi, qui représente l'Etat, admis à faire entendre des témoins, à engager sur cette question tout un procès.

Je dis que ce sont là des inconvénients tels qu'on ne peut les consacrer par la loi.

J'ai déjà répondu tantôt à l'observation que ce qu'on propose était admis quant à la surenchère, ce sont des positions tout à fait différentes.

D'un côté, vous avez la société et un individu qui a commis un crime, et le procureur du roi, remarquez-le, ne peut pas même entrer, par ses fonctions, dans tous les détails d'une question de solvabilité comme peut le faire un plaideur ordinaire. En fait de surenchères, vous avez deux parties qui plaident sur cette question devant le tribunal comme sur, toute autre matière civile.

(page 171) Il n’y a donc pas d'assimilation posible. Je persiste à repousser l'amendement présenté, qui détruit toute l'harmonie de la loi.

M. Destriveaux, rapporteur. - Meneurs, j'avoue que ma conviction n'est pas ébranlée par les observations que vient de présenter l'honorable ministre de la justice.

M. le ministre est touché de l'inconvénient possible d'entrer dans une grande procédure, de faire des enquêtes et des contre-enquêtes.

Il faudra faire, selon lui, des apprédalbns de revenu et d'autres choses encore.

Mais il me paraît, messieurs, que la nature des choses repousse même la possibilité d'une pareille procédure.

Quel est l'intérêt le plus puissant, le plus actuel de l'inculpé qui sera en état de détention provisoire ?

C'est d'obtenir le plus tôt possible sa mise provisoire en liberté. Or, je le demande, peut-on croire raisonnablement qu'un individu qui sera pressé d'obtenir sa mise en liberté provisoire sous caution, ira présenter une caution tellement peu certaine, tellement contestable qu'il faudra des enquêtes et des contre-enquêtes, une espèce de jugement de solvabilité pour pouvoir la recevoir.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Quant il n'en trouvera pas d'autre.

M. Destriveaux. - Mais quand il n'en trouvera pas d'autre, il y aura un grand préjugé contre lui, que la caution qu'il présente n'a pas le caractère de solvabilité voulu.

Mais il y a une chose à laquelle M. le ministre de la justice me semble ne pas songer en ce moment. C'est que l'on ne donnera pas un certificat de solvabilité pour servir à tout, mais on donnera un certificat de solvabilité relativement à l'objet qui occupe.

Mais s'il y a un individu qui vient se jouer pour ainsi dire de la justice en présentant une caution non solvable, qu'arrivera-t-il ? Il arrivera que non seulement il prolongera lui-même sa détention préventive, mais qu'il se punira lui-même de cette imprudence en s'obligeant à payer à les frais de l'enquête, de la contre-enquête et de la procédure.

On sent qu'il est impossible de prévoir la probabilité de cas semblable. L'inculpé n'entamera pas un pareil débat parce que, comme je l'ai dit, il aurait pour effet de prolonger sa détention. Il ne l'entamera pas parce que, s'il n'a pas assez de fortune pour être sa propre caution, il n'en aura pas assez pour supporter les frais de la procédure qu'il entamerait.

- La discussion est close.

L'amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article est adopté.

Article 15

« Art. 15. Lorsque le cautionnement sera fourni en immeubles, la caution admise fera au greffe du tribunal sa soumission d'en verser le montant entre les mains du conservateur des hypothèques, au cas où l'inculpé serait constitué en demeure de se représenter.

« Cette soumission entraînera la contrainte par corps. »

- Adopté.

Article 16

« Art. 16. L'inculpé sera admis à être sa propre caution, soit en déposant le montant du cautionnement, soit en justifiant d'immeubles libres pour le montant du cautionnement et une moitié en sus, et en faisant, dans ce dernier cas, la soumission dont il est parlé à l'article précédent. »

M. de Perceval. - Messieurs, j'avais présenté en section centrale un paragraphe additionnel à l'article 16, qui, malheureusement, je dois le constater, a été rejeté par elle.

Je le soumets aujourd'hui à la discussion publique et j'aime à croire que l'assemblée voudra bien sanctionner le principe qui s'y trouve déposé.

Le paragraphe additionnel que j'ai l'honneur de proposer est conçu en ces termes : « Les certificats de moralité et de probité seront admis pour établir la caution, si l'inculpé est dénué de fortune. »

Messieurs, l'article 16, tel qu'il est rédigé, contient, dans mon opinion, une inégalité, une injustice que je dois repousser. Il déclare que l'inculpé sera admis à être sa propre caution, soit en déposant le montant du cautionnement, soit en justifiant d'immeubles libres pour le montant du cautionnement.

Il ne parle, par conséquent, que des prévenus qui sont fortunés, qui jouissent de quelque aisance. Mais, messieurs, les satistiques criminelles nous prouvent que les prévenus de cette catégorie constituent l'exception et non la règle. Quelle faveur donnez-vous aux inculpés sans fortune ? Ils ne pourront donc jamais jouir de la liberté sous caution, car ils ne possèdent aucun immeuble pour la consignation judiciaire.

Cette justice qu'on nous représente sans cesse avec un bandeau sur les yeux et la balance à la main, aura donc deux poids et deux mesures et distinguera entre les conditions sociales des prévenus. S'ils sont riches, ils ne seront pas détenus préventivement ; s'ils sont pauvres, au contraire, ils resteront incarcérés, et ne jouiront point de la liberté provisoire. Est-ce là de la justice ? Est-ce là de l'égalité ? Non. Je demande qu'il n'y ait pas de distinction, qu'il n'y ait de privilège pour personne. Pourquoi admettre une exception en faveur de l'inculpé fortuné ? Si la chambre accepte mon amendement qui veut que les certificats de moralité et de probité soient mis sur la même ligne que la fortune, alors toute inégalité aura disparu, tout privilège aura cessé d'exister. Il y aura dans ce cas, mais dans ce cas seulement, égalité de tous devant la loi, égalité de tous devant la justice.

De plus, le paragraphe additionnel que je soumets à l'approbation de la législature, renferme des avantages que personne ne saurait méconnaître : outre qu'il anéantit tout privilège devant les magistrats instructeurs, il peut atteindre encore dans une mesure plus ou moins large, la moralisation des classes pauvres. Elles se conduiront bien quand elles sauront la valeur, l'utilité réelle des certificats de bonne conduite.

Le paragraphe additionnel que je propose est basé sur la moralité, la justice et l'égalité de tous devant la loi.

Aucune objection sérieuse ne peut être faite contre le principe qu'il renferme et il ne saurait donner lieu à aucun inconvénient dans son application. Ce serait, messieurs, permettez-moi de le dire, une grande et belle réforme que vous introduiriez dans notre législation sur la détention préventive, si vous admettiez la moralité et la probité du prévenu comme caution valable et égale à la caution financière. Si, contre mon attente, la chambre jugeait convenable de repousser mon amendement, alors je me verrais forcé, à mon grand regret, de voter contre le projet de loi, parce que j'y trouverais, dans ce cas, une inégalité, un privilège qu'il me serait impossible de sanctionner par un vote approbalif.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, au risque de voir voter l'honorable M. de Perceval contre la loi, je dois combattre son amendement.

L'honorable M. de Perceval commence par invoquer l'égalité, et son amendement consacre un privilège.

Je ne veux pas de privilège en faveur de la fortune, et c'est pourquoi j'ai combattu hier l'amendement de l'honorable M. Orts. Je ne veux pas de privilège en faveur de ceux qui n'ont pas de fortune, et c'est le motif pour lequel je combats l'amendement da M. de Perceval.

L'honorable M. de Perceval veut faire admettre par la loi que les certificats de moralité et de probité pourront être admis ou sont admis en faveur de l'individu dénué de toute espèce de fortune, d'où je conclus que les certificats de moralité ne seraient pas admis en faveur de ceux qui possèdent une fortune quelconque et qui n'ont pas toujours de l'argent comptant.

Vous commencez donc par établir un privilège en faveur de ceux qui sont dénués de toute espèce de fortune.

Maintenant, remarquez le vague de votre amendement ; qu’est-ce que c'est que dénué de toute espèce de fortune ? Comment le tribunal pourra-t-il apprécier si un individu est ou n'est pas dénué de toute espèce de fortune ?

On se place toujours au point de vue du Code d'instruction actuel ; on ne semble pas se douter qu'il y a déjà des articles votés qui consacrent des réformes plus radicales que toutes celles que l'on veut introduire dans le projet.

Je comprendrais parfaitement l'amendement sous l'ancien Code, alors que le minimum élait de 500 fr., lorsque personne ne pouvait être mis en liberté, une fois emprisonné ou mis sous mandat de dépôt, qu'en fournissant une caution élevée. Il y avait là de nombreux abus, mais ce sont des abus que nous faisons disparaître. Vous parlez toujours de petites peccadilles commises par de pauvres ouvriers, mais nous réformons ce système. Ces pauvres petites peccadilles ne donneront plus lieu à un emprisonnement préventif ; il ne faudra plus aucune caution quelconque : les individus demeureront en liberté.

Ainsi, messieurs, la loi, dans les dispositions déjà votées par la chambre, est plus libérale que l'amendement. Dans quel cas y aura-t-il lieu à mise en liberté sous caution ? Eh mon Dieu ! lisez la loi : il faudra des cas extrêmement graves, des cas exceptionnels. Et vous voulez que des certificats de moralité viennent effacer la tache qui résulte de ces faits graves et exceptionnels !

Mais ce serait une véritable contradiction dans la loi : d'un côte nous voulons des circonstances graves et exceptionnelles paur que l'emprisonnement puisse avoir lieu, et, d'un autre côté, nous dirions qu'il suffît, pour obtenir la mise en liberté provisoire, de posséder des certificats de moralité, moralité dont on ne fixe pas la date, qui peut être celle de la veille du délit (ce ne sera sans doute pas celle du lendemain), et qui peut remonter à des années.

Maintenant, entend-on, et sous ce rapport, je voudrais bien connaître l'opinion de l'honorable M. de Perceval, entend-on que le juge soit lié par les certificats de moralité ?

Je voudrais savoir aussi quelle est l'autorité qui devra signer les certificats de moralité : quelle sera cette autorité infaillible qui disposera de la liberté des prévenus ?

- Un membre. - Le chef d'atelier.

- Un autre membre. - Le bourgmestre.

- Un troisieme membre. - Le curé.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ainsi personne n'est d'accord sur le point de savoir par qui le certificat de moralité devra être signé.

(page 172) A quelle époque faudra-t-il que le certificat remonte ? Sera-ce avant le délit ou après le délit ?

Et l'on voudrait que le juge fût lié par le certificat de moralité, alors peut-être, qu'il serait démontré qu'un délit antérieur a été commis. Je puis le dire, j'ai vu dernièrement un certificat de moralité délivré à un homme qui a été condamné sept fois ! et l'on prétendrait que, malgré tout, un juge de paix, un bourgmestre, un échevin pourra délivrer un certificat de moralité liant la chambre du conseil !

Messieurs, il faut rester dans les limites raisonnables des choses. Il est évident que la loi que nous faisons en ce moment donne à la liberté les plus fortes garanties.

Lorsqu'il se présentera devant le tribunal un homme qui aura de bons antécédents, qui aura une moralité à l'abri de tout reproche, évidemment le tribunal pourra prendre cette moralité en considération. Ce qui est impossible sous la législation qui nous régit encore aujourd'hui, puisque le juge est lié par les termes de la loi en vigueur ; il ne peut remettre en liberté que sous caution ; et le minimum de la caution est de 500 fr.

Par le projet de loi, nous accordons au juge une double latitude, et par là il est donné satisfaction aux plus grandes exigences. D'un côté, le juge peut mettre en liberté sans aucune espèce de caution, et d'autre part, dans les cas où il exige une caution, il n'est pas limité par un minimum. Je ne puis aller au-delà des garanties que j'ai proposées par le projet de loi.

M. de Decker. - Messieurs, les difficultés que nous avions prévues, pour formuler la pensée déposée dans l'amendement de l'honorable M. de Perceval et appuyée par moi, se présentent en ce moment ; je suis loin de les nier ; j'avouerai même que les termes dans lesquels l'honorable M. de Perceval a définitivemement rédigé son amendement, me paraissent inadmissibles...

M. de Perceval. - Je ne tiens pas à la rédaction.

M. de Decker. - Des certificats de moralité, sans indiquer en quoi ils doivent consister, sans désigner l'autorité qui les délivrera, sans statuer jusqu'à quel point ils obligeront le juge, me paraissent quelque chose d'inacceptable. Cependant, tout en reconnaissant la difficulté de formuler la pensée d'admettre la moralité comme mode de cautionnement, je ne puis garder le silence. Je tiens à constater aux yeux du pays les sentiments qui nous animent relativement à la question soulevée par l'amendement de M. de Perceval.

Il est donc bien entendu, comme vient de le dire M. le ministre de la justice, que le juge d'instruction pourra et devra tenir compte des éléments de moralité.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Certainement.

M. de Decker. - Si la chose est entendue ainsi - et j'espère que nous exprimons ici la pensée de tous nos collègues (de toutes parts : Oui ! oui !) - je crois que le principe que nous voulions introduire dans la loi, est sauvé.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - A mon avis, le principal élément de l'appréciation du tribunal sera la moralité antérieure.

- La discussion est close.

L'amendement de M. de Perceval est mis aux voix et n'est pas adopté.

L'article 16 est mis aux voix et adopté.

Article 14

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande que dans l'article 14 on supprime le mot « judiciaires », et que dans le premier paragraphe de l'article 15, on substitue les mots : « dans les caisses des dépôts et consignation » à ceux-ci : « entre les mains du conservateur des hypothèques ».

- Ces deux changements sont adoptés.

Article 17

« Art. 17. Les espèces déposées en exécution du n°2 de l'article 12 seront affectées par privilège :

« 1° Au payement des réparations civiles et des frais avancés par la partie civile :

« 2° Aux amendes.

« Le tout, néanmoins, sans préjudice du privilège du trésor public, à raison des frais faits par la partie publique.

« Si le cautionnement est fourni en immeubles, ces immeubles seront affectés hypothécairement :

« 1° Au payement des créances reprises plus haut, et dans l'ordre qui y est déterminé ;

« 2° Aux droits de l'Etat, jusqu'à concurrence de la somme déterminée pour la garantie de la représentation de l'inculpé, conformément au n°2 de l'article 12. »

- La section centrale propose de substituer dans le premier paragraphe de l’article 17 les mots « conformément au » à ceux-ci : « en exécution du ».

L'article ainsi amendé est mis aux voix est adopté.

Article additionnel

M. le président. - Ici vient un article additionnel proposé par M. Moreau. Cet article est ainsi conçu :

« Les actes auxquels le cautionnement donnera lieu seront enregistrés et visés pour timbre en débet.

« Les droits ne seront dus par l'inculpé que pour autant qu'il ait frappé d'une condamnation définitive. »

M. Moreau. - La disposition que j'ai l'honneur de proposer a été admise en principe par la section centrale et n'exige pas des développements bien longs.

Je demande que les actes de cautionnements soient enregistrés et visés pour timbre en débet, c'est-à-dire qu'on ne puisse exiger le payement des droits de celui qui n'a pas été condamné.

Il serait, selon mon, peu équitable de faire payer cet impôt à l'inculpé reconnu non coupable et qui en conséquence est censé avoir été emprisonné à tort.

Il me paraît que cet individu, pour obtenir la liberté provisoire dont il n'aurait pas dû être privé, ne doit pas être tenu de supporter des frais que l'on peut regarder comme ayant été fait d'une manière frustratoire.

Si la détention préventive est un mal nécessaire, ne convient-il pas de donner à des malheureux qui en sont quelquefois victimes, la plus grande facilité pour recouvrer leur liberté sans les exposer à faire des dépenses à payer des droits dont il serait injuste de les déclarer responsables ?

Telles sont, messieurs, les considérations qui ont décidé la section centrale à adopter cette proposition.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demanderai que cet amendement soit renvoyé à la commission, ou que l'on n'en délibère pas aujourd'hui. J'en entends la lecture pour la première fois ; il est indiqué dans le rapport, cela est vrai, mais il se lie à la question financière et aux frais auxquels le prévenu peut être condamné. Je désire pouvoir l'examiner avant de me prononcer.

M. Destriveaux. - La section centrale a pu délibérer sur le principe.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oui ; mais la disposition n'était pas formulée.

- Plusieurs voix. - Au second vote.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si c'est sans rien préjuger, je ne m'oppose pas au vote, mais c'est avec la réserve formelle que je n'entends pas lier mon opinion au fond non plus qu'en la forme.

- Plusieurs voix. - C'est entendu.

- L'article nouveau est mis aux voix et adopté.

Articles 18 et 19

« Art. 18. Le ministère public et la partie civile pourront prendre inscription hypothécaire, sans attendre le jugement définitif.

« L'inscription prise à la requête de l'un ou de l'autre profitera à tous les deux. »

- Adopté.


« Art. 19. L'inculpé ne sera mis en liberté qu'après avoir, par acte reçu au greffe, élu domicile dans le lieu où se fait l'instruction, si elle dure encore, sinon dans le lieu où siège le tribunal ou la cour qui doit connaître de l'infraction. »

- Adopté.

Article 20

« Art. 20. Le président de la chambre ou du tribunal qui aura statué sur la mainlevée d'un mandat de dépôt ou la mise en liberté provisoire, rendra, le cas échéant, sur le réquisitoire du ministère public, et à la diligence du directeur de l'enregistrement, une ordonnance pour le payement de la somme cautionnée.

« Les sommes recouvrées seront versées dans la caisse du receveur des hypothèques, sans préjudice des poursuites et des droits de la partie civile. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je propose de substituer aux mots : « la caisse du receveur des hypothèques », ceux-ci : « la caisse des dépôts et consignations ».

- L'article est adopté avec cette modification.

Articles 21 à 23

« Art. 21, La première partie du cautionnement sera acquise à l'Etat du moment que l'inculpé sera, sans motif légitime d'excuse, resté en défaut de se présenter à un ou plusieurs actes de la procédure, ou se sera soustrait à l'exécution du jugement.

« Néanmoins, en cas de renvoi des poursuites ou d'acquittement, le jugement ou l'arrêt pourra ordonner la restitution de cette partie du cautionnement, sauf prélèvement, dans tous les cas, des frais extraordinaires auxquels le défaut de se présenter aura donné lieu. »

- Adopté.


« Art. 22. La deuxième partie du cautionnement restera, dans tous les cas de condamnation, affectée au payement des frais, des amendes et des réparations civiles. Le surplus sera restitué.

« En cas d'acquittement ou de renvoi des poursuites, cette partie du cautionnement sera restituée, sans préjudice des dispositions portées en l'article précédent. »

- Adopté.


« Art. 23. Outre les poursuites contre la caution, s'il y a lieu, l'inculpé sera saisi et écroué en exécution d'un mandat d'arrêt décerné par le juge d'instruction, ou d'une ordonnance de prise de corps rendue par le tribunal ou la cour, saisi de l'affaire. »

- Adopté.

Article 24

« Art. 24. L'inculpé et le ministère public pourront attaquer par appel, devant la chambre des mises en accusation, les ordonnances de la chambre du conseil ou du tribunal correctionnel qui statuent sur une (page 174) demande de mise en liberté provisoire conformément aux articles 7 et 8 ci-dessus.

« La partie civile pourra attaquer la partie de l'ordonnance qui détermine le montant du cautionnement en ce qui la concerne sans que son appel puisse retarder la mise en liberté provisoire de l'inculpé. »

M. Lelièvre. - Si je ne me trompe, le rapport de la section centrale contient une omission sur une proposition qui avait été admise dans son sein, relativement à notre article. L'honorable M. Moreau avait proposé d'étendre à l'article 6 la faculté, pour l'inculpé et le ministère public, d'appeler de l'ordonnance de la chambre du conseil. Ce système me paraît devoir être admis dans le cas de l'article 6, c'est-à-dire lorsque la chambre du conseil a maintenu le mandat de dépôt, ou bien en a donné mainlevée, il doit être permis aux intéressés de déférer cette décision à la chambre des mises en accusation. La chambre du conseil ne peut juger souverainement en matière aussi grave, et, dès lors, je dois appuyer la proposition faite en section centrale, et proposer d'énoncer l'article 6 dans la disposition que nous discutons.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce sont les n°6 et 8 qu'il faut viser dans l'article.

Je propose de substituer aux mots : « pourront attaquer par appel », ceux-ci : « pourront appeler, etc. «

- L'article 24, ainsi modifié, est adopté.

Articles 25 et 26

« Art. 25. L'appel devra être interjeté dans un délai de vingt-quatre heures, qui courra contre le ministère public à compter du jour de l'ordonnance, et contre l'inculpé ou la partie civile à compter du jour de la signification de ladite ordonnance.

« L'appel sera consigné sur un registre spécial, tenu au greffe à cet effet. »

- Adopté.


« Art. 26. Les articles 8 et suivants sont applicables aux condamnés dont la mise en liberté provisoire peut être autorisée aux termes de la présente loi. »

- Adopté.

Article additionnel

« Article final et additionnel proposé par M. Orts. L'individu détenu préventivement ne pourra être tenu au secret plus de dix jours dans les cas où cette mesure aura été jugée nécessaire.

« La mise au secret pourra néanmoins, dans des cas graves, être maintenue pour une période nouvelle de dix jours, avec l'approbation de la chambre du conseil, et à charge par le juge d'instruction d'en rendre immédiatement compte au procureur général du ressort.

« Après sa mise en liberté, ou sa condamnation, le détenu auquel une prolongation de secret aura été imposée, pourra obtenir, à ses frais, copie des rapports du juge ayant déterminé cette mesure. »

M. Orts. - Dans la discussion générale l'attention de la chambre a été appelée par quelques membres sur la question du secret qui est une des plus importantes que peut soulever la matière déjà très délicate de la détention préventive. Vous ?svez que lors d'une arrestation au début d'une instruction le juge qui en est chargé peut, par mesure de précaution, plutôt en vertu d'une pratique, d'un usage de fait, que d'une disposition quelconque de la loi, le juge peut séquestrer pendant un temps illimité le détenu et l'empêcher d'avoir une communication quelconque avec qui que ce puisse être.

Cette mesure, dont vous comprenez la gravité, dont vous comprenez l'effet sur celui qui en est l'objet, constitue ce qu'on appelle la mise au secret.

Cette séquestration absolue est plutôt une chose de pratique que de droit. Il n'y pas de loi qui la permette, il n'y a pas de loi qui la défende. Je comprends parfaitement que le secret soit une chose utile à l'instruction, quelque regrettable que soit cette mesure, quelque aggravation de son sort que cela constitue pour le prévenu.

Si donc je ne demande pas l'abrogation complète du secret, c'est parce que je reconnais dans une mesure très restreinte son effet utile.

Mais ce qu'il faut éviter, c'est l'abus de la mise au secret, et il faut l'éviter parce que ce n'est pas seulement un abus possible, mais c'est un abus réel, existant.

La mise au secret prolongée outre mesure, dépassant ce que les forces physiques et morales du prévenu peuvent supporter, est, comme on le disait avec raison il y a quelques jours dans la discussion générale, une torture non seulement morale, mais physique ; elle peut avoir, comme les tortures anciennes, l'utilité d'arracher des aveux ; mais cette utilité justifierait le retour à la torture ancienne, comme le maintien du secret exagéré.

Je demande que la mise au secret ne soit plus arbitraire et absolue dans sa durée.

Je désire que le juge d'instruction soit subordonné à une règle ; cette règle, c'est la permission d'infliger le secret à lui tout seul pendant une période de dix jours au plus. Je crois que cette période, comme règle au-delà de laquelle le juge d'jnstruction seul, sous la responsabilité de sa conscience, ne pourra plus rien ; je crois, dis-je, que cette période est suffisante en présence des nécessités de la pratique ; de la pratique combinée avec les exigences d'une bonne législation.

Mon appréciation des nécessités pialiques n'est point, à cet égard, isolée.

Dix jours ont été envisages comme une période suffisante à titre de période normale, non pas par moi seul, mais par d'autres encore et plus expérimentés.

Lors de la réforme projetée en France, dans le Code d'instruction criminelle, réforme dont j’ai parlé hier ; lors de la présentation du projet le 27 février 1843 à la chambre des pairs, le ministre de la justice français avait estimé qu’une pérode de dix jours, celle que je propose, devait être la période normale. Je suis donc parfaitement d’accord avec ce qu’avait proposé le gouvernement français en 1843, et je crois que ce que proposait le gouvernement français en 1843, en matières de mesures de ce genre, doit être plus que suffisant pour les besoins de la Belgique.

Cette règle générale, m’objectera-t-on, peut exiger dans les cas graves et exceptionnels, comme nous disons depuis deux jours, certaines exceptions.

J'ai de bonnes raisons de croire (j'ai assez de pratique pour en être juge) que dix jours au secret est un maximum qui ne doit pas être dépassé ; cependant, je veux bien faire une concession, et je propose d'autoriser une prolongation de dix jours dans des cas graves et exceptionnels ,mais avec deux garanties. D'abord, l'accord de la chambre du conseil et du juge d'instruction. Je ne veux pas que le juge d'instruction puisse continuer à agir alors seul.

Je demande le concours de deux magistrats appréciateurs de la prolongation désirée. J'entends de plus qu'une mesure aussi exorbitante, alors même qu'elle est trouvée suffisante par l'autorité inférieure judiciaire, soit soumise au contrôle du surveillant naturel et légal du juge d'instruction, c'est-à-dire au procureur général du ressort.

Ce magistrat placé dans une sphère plus élevée et un peu plus indépendant de certaines circonstances de localités ou de temps qui agissent parfois sur le juge d'instruction, fortifie la première garantie formulée dans mon système.

En demandant cette double garantie, je suis encore à peu près d'accord avec le projet, présenté en 1843 à la chambre française. M. le ministre de la justice avait proposé là, comme moi, que le juge d'instruction dût informer de la prolongation du secret le procureur général de son ressort, son supérieur immédiat. Mais je veux quelque chose de plus. La chambre comprendra pourquoi j'appelle une garantie plus large : je désire le concours de la magistrature inamovible, indépendamment de ce que proposait le projet de 1843, le concours de la chambre du conseil.

Maintenant il faut une dernière garantie au prévenu contre l'abus de la mise au secret si par la mauvaise volonté du juge d'instruction (cas bien rare, mais qui peut se présenter) ou si par la négligence de ceux qui ont pour mission de mener l'instruction criminelle rapidement à son but, le secret se prolonge outre mesure. Il faut que l'utilité du secret puisse être appréciée par celui qui en a été la victime. Il faut qu'elle ait les peruves nécessaires pour obtenir par la prise à partie ou par toute autre voie la réparation d'une mesure arbitraire ou coupable.

Je demande que le détenu puisse obtenir à ses frais copie du rapport du juge ayant déterminé la prolongation du secret, afin qu'il ait ainsi la preuve en main de l'abus commis à son égard, de l'atteinte portée à sa liberté individuelle, et le moyen d'obtenir réparation.

Voilà le but de mon amendement.

Personne n'admettra, dans un pays policé quelconque, que la mise au secret puisse être illimitée. Il faut un terme, une barrière.

Je crois que celle que je propose satisfait à toutes les exigences, aux exigences de l'humanité qui sont les plus impérieuses, et ensuite aux exigences de l'intérêt social.

M. Destriveaux, rapporteur. - Je demande le renvoi à la section centrale. Cette proposition de l'honorable membre, surtout après les développements qu'il y a donnés, mérite un examen sérieux auquel pourra se livrer le section centrale.

M. Lelièvre. - C'est inutile.

M. Coomans. - Si, comme il me le semble, la chambre est presque unanime relativement à l'amendement de M. Orts, à quoi sert le renvoi à la section centrale, à moins que le gouvernement n'y fasse opposition ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - D'après ce que j'ai pu saisir de l'amendement de l'honorable M. Orts, par la lecture que je viens d'en entendre...

M. Roussel. - Il a été distribué hier soir.

M. Orts. - Si mon amendement n'a pas été lu hier, c'est que la séance a été levée avant que je pusse le rappeler aux souvenirs de M. le président.

M. le ministre de la justice (M. Tesch) ; - Je dis que je n'en ai eu connaissance que par la lecture qui vient d'en être donnée à la chambre.

La chambre comprendra parfaitement qu'il peut arriver à un ministre d'avoir autre chose à faire que de s'occuper d'un amendement.

M. Orts. - Aussi, je ne vous fais pas de reproche ; je m'excuse au contraire.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne puis donc me prononcer aujourd'hui sur cet amendement ; cependant il me semble dès à présent qu'il aurait pour effet de bouleverser notre législation en plusieurs de ses principes. Ainsi il contient une innovation très importante. C'est de rendre le juge responsable. Certes c'est là un principe qui ne sera pas admis par la chambre dans le cas où l'honorable M. Orts veut l'introduire.

Quant aux autres parties de l'amendement, il est possible qu'il y en ait qui soient acceptables. Mais il faut que j'aie le temps de les examiner et je déclare que je ne puis nie prononcer aujourd'hui.

Je demande le renvoi a la tectioa centrale qui pourra faire son rapport soit demain, soit lundi.

M. Lelièvre. - Je ne m'oprose pas au renvoi à la section centrale (page 174) de l'amendement de l'honorable M. Orts. A cet égard, je ferai observer que la première commission, composé de MM. Stas, Decuyper, de Bavay, Kaeiman, Haus et Nypels, a, dans les articles 30, 31 et 32 du projet par elle formulé, adopté des dispositions analogues à celles si justes et si équitables proposées par M. Orts. La dernière partie de l'amendement de M. Orts forme seule une proposition nouvelle qui n'est pas même essentielle. Je pense donc que l'amendement de M. Orts, appuyé sur des motifs de justice et d'humanité, est de nature à être accueilli par la section centrale et la chambre elle-même.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous oubliez que le projet de la commission s'occupe de bien d'autres choses encore et qu'il a été restreint.

- L'amendement est renvoyé à la section centrale.

La séance est levée à 4 heures.