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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 février 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 550) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau fait l'analyse de la pétition suivante adressée à la chambre.

« Le comice du deuxième district agricole du Hainaut demande une loi qui garantisse au fermier sortant une indemnité du chef de fumure et améliorations du sol. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la justice

Rapport de la section centrale

M. Lebeau, au nom de la section centrale qui a examiné la demande de crédit supplémentaire de 20,000 fr..au budget du département de la justice de l'exercice 1851, dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, -et met la discussion de ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.

Rapport sur une pétition

M. H. de Baillet. - Hier, comme M. le ministre de la justice n'était pas présent à la séance, la chambre s'est abstenue de statuer sur la pétition du sieur Van Audriga de Kempenaar, qui a prié la chambre d'interpeller M. le ministre de la justice sur les causes qui ont déterminé son expulsion du royaume et de décider s'il y a lieu de maintenir cette mesure.

La commission des pétitions a proposé le renvoi à M. le ministre de la justice ; M. Lelièvre a proposé le renvoi avec demande d'explications.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Dans ce cas spécial, je ne vois aucun inconvénient à aller au-devant de la proposition de M. Lelièvre, et à donner immédiatement les explications demandées.

L'auteur de la pétition prétend ignorer les motifs de son expulsion du territoire belge ; cependant dans une lettre qu'il m'a écrite il discute les raisons de la décision prise à son égard, ce qui prouve que son ignorance n'est pas aussi grande qu'il veut bien l'alléguer.

Quoiqu'il en soit, je pense que la chambre, quand elle connaîtra les raisons qui m'ont déterminé, ne pourra qu'approuver ma manière d'agir.

Le sieur Van Audriga de Kempenaar avait réclamé de la famille d'Orange différentes sommes du chef du roi Guillaume II qui aurait été son débiteur. Je n'ai pas à examiner si ses prétentions étaient ou n'étaient pas fondées.

Le fait est qu'il n'a pu les faire admettre par les tribunaux. Il n'a trouvé alors rien de mieux que de s'associer à ce que la presse de Bruxelles compte de plus mauvais parmi les journaux. De ce journal, ont plu incessamment les injures les plus grossières, les outrages les plus violents contre la famille d'Orange.

C'est dans ces circonstances que j'ai fait intimer au sieur de Kempenaar l'ordre de quitter le pays.

Voilà les faits dans toute leur simplicité.

Je demande l'ordre du jour sur cette pétition.

- L'ordre du jour sur la pétition est mis aux voix et prononcé.

Projet de loi sur le code forestier

Discussion générale

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'ensemble du projet. La parole est à M. Moncheur.

M. Moncheur. - Messieurs, l'utilité d'un Code forestier est incontestable. Il était nécessaire de coordonner en un seul corps toutes les dispositions éparses dans nos lois concernant le régime des forêts. Il fallait les ramener à l'unité, faire cesser les incohérences et les incertitudes qui régnent dans cette matière importante, tracer pour la procédure et pour la répression des délits forestiers des règles plus sûres et prononcer des pénalités plus en harmonie avec notre législation actuelle.

Le projet de Code qui vous est soumis at-il atteint ces divers buts ?

On peut répondre, en général, que oui. Cependant, il est à regretter que, parfois, là où il n’y avait qu’à simplifier ou à régulariser, le projet a innové ; que là où il y avait quelque chose à faire, il a maintenu ce qui existait, et qu’enfin quelques lacunes importantes y aient été laissées.

J'espère, messieurs, que la discussion fera disparaître ces défauts.

La première question qui a dû se présenter à l'esprit des rédacteurs du projet était celle de savoir quelles étaient les catégories de bois et forêts qui devaient être soumises au régime forestier.

La première de ces catégories était, sans aucun doute, celle des bois du domaine de l'Etat ; car c'est pour elle surtout que le Code forestier est spécialement écrit.

Mais quant aux bois des communes, des établissements publics et des particuliers, la question pouvait être plus douteuse.

En France, les bois des particuliers sont, sous quelques rapports, soumis au régime forestier. Ainsi les particuliers n'ont pas la libre et entière disposition de leurs bois ; ils ne peuvent pas les défricher à volonté.

Mais, en Belgique, ce régime ne pourrait exister, et c'est avec raison que le projet de Code belge a soustrait entièrement les bois des particuliers au régime forestier, du moins en tout ce qui touche à l'administration et à la libre disposition de ces propriétés.

Ainsi, en Belgique, chacun peut aménager et conserver ses bois comme il l'entend, y faire les coupes qu'il lui plaît de faire, et les défricher quand il croit que son intérêt le lui conseille.

Le Code forestier ne concerne les particuliers que dans deux ordres d'idées, d'abord lorsqu'il est nécessaire de régler leurs rapports avec des tiers, par exemple, en ce qui touche les droits d'usage, le mode de bornage ou de délimitation, et ensuite pour tout ce qui concerne la répression des délits forestiers.

A cet égard, les particuliers participent aux mesures protectrices de la loi.

Pour ce qui est des bois des communes, la question de savoir s'ils devaient être soumis au régime forestier n'était pas sans difficulté.

Elle se présentait à deux points de vue différents ; d'abord, eu égard à l'importance de ces bois et forêts, lesquels sont aujourd'hui, en comparaison des bois de l'Etat, comme 4 est à 1 ; et ensuite au point de vue de la constitutionnalité de leur soumission au régime forestier, c'est-à-dire à une administration en dehors de la commune.

D'un côté, l'importance des bois communaux et l'intérêt général qui réclame autant que possible leur conservation, ne permettent pas de les abandonner entièrement aux caprices des communes propriétaires qui pourraient sacrifier l'avenir au présent ; d'un autre côté, la généralité des termes de l'article 108 de la Constitution semblerait avoir laissé aux autorités communales la libre administration et la libre disposition de leurs bois, comme de toute autre propriété. Mais en présence de l'article 83 de la loi communale de 1836 et de la discussion approfondie qui eut lieu, à cette époque, sur ce sujet, la question devait être considérée comme ayant déjà obtenue, en grande partie, sa solution.

En effet, la loi communale distingue entre l'administration et la surveillance des forêts des communes ou des établissements publics.

Quant à l'administration, elle est laissée aux conseils de ces corps, tandis que la surveillance en est attribuée à l'autorité supérieure.

Voici comme s'exprimait le rapporteur de la section centrale de 1836 :

« La section centrale s'est demandé si, en vertu des principes consacrés par la Constitution, les communes doivent avoir l'administration de leurs bois et forêts ; l'affirmative a été résolue à l'unanimité. Si cette administration sera soumise à une surveillance supérieure ; ici encore l'affirmative a été résolue à l'unanimité. »

Voilà donc le principe établi par la loi communale. Mais qu'entend-on par l'administration, et qu'entend-on par la surveillance des bois et forêts ? Où commence l'une, où finit l'autre ? C'est là une question très délicate, et les auteurs du projet l'ont résolue trop souvent au préjudice des communes. Ils ont été trop fortement dominés par cette idée, exprimée dans l'exposé des motifs du projet, à savoir : qu'il fallait fortifier l'action de l'administration.

En outre, quelle était cette autorité supérieure à laquelle la surveillance devait être attribuée, d'après la loi de 1836 ? On était alors divisé sur cette question : les uns voulaient que ce fût l'autorité supérieure provinciale, aidée d'employés forestiers provinciaux, et les autres voulaient que ce fût l'autorité supérieure centrale avec une seule administration forestière pour tout le pays.

La loi communale avait réservé cette question.

Elle se trouve décidée, par le projet, dans le sens de la centralisation.

Je ne me plains pas précisément de cette décision en elle-même, quoiqu'il y aurait bien des choses à dire pour le système contraire ; mais ce dont je me plains, c'est que, contrairement à l'esprit et à la lettre de la Constitution et de la loi communale, le projet ait parfois entamé, comme je viens de le dire, l'administration des communes au profit de la surveillance attribuée à l'administration forestière.

Messieurs, votre commission spéciale, dont j'ai l'honneur, de faire partie, vous propose de rétablir, dans plusieurs cas prévus par le projet, l'intervention qu'on avait oubliée des autorités communales et provinciales. De mon côté aussi, j'aurai l'honneur de vous soumettre quelques propositions dans le même sens. Je désire, quant à moi, je désire qu'on n'oublie pas dans cette occurence, pas plus que dans aucune autre et dans ces temps moins que jamais, que nos institutions publiques (page 551) reposent essentiellement sur l'idée de la commune et de la province, et que cette idée-là est profondément enracinée dans nos mœurs, que c'est là le caractère distinctif et la garantie la plus sûre de notre nationalité, et qu'une centralisation exagérée ne peut conduire qu'à des catastrophes violentes et fatales. Il faut dégager, autant que possible, la responsabilité du pouvoir central, déjà responsable de tant de choses, il faut répartir cette responsabilité sur les corps locaux et électifs, il ne faut pas que les citoyens soient obligés de croire que tout le mal comme tout le bien doit leur venir d'en haut, du pouvoir central, afin que l'imputation du mal, même imaginaire, n'excède pas la reconnaissance du bien, même réel.

La décentralisation pratiquée dans des limites sages dégagerait les ministères d'une quantité d'attributions qui seraient mieux placées dans les mains des autorités locales ou provinciales. Elle affectionnerait les populations à leur propre localité et ne ferait point affluer aux ministères une masse de solliciteurs.

Messieurs, pour en revenir au régime forestier, je demande, quant à moi, que la loi nouvelle n'enlève ou ne restreigne aucune des attributions actuelles des autorités provinciales ou communales, et qu'elle respecte les anciennes coutumes, qui existent dans certaines contrées et qui n'offrent aucun inconvénient dans la pratique.

Il est certain que c'est déjà aller trop loin dans le sens de la centralisation et bien au-delà de l'intention du congrès et de la loi communale de 1836 que de maintenir le statu quo, à cet égard.

Je vous parlais à l'instant, messieurs, d'anciennes coutumes qu'il fallait respecter : je vais en citer une semblable, que le projet ne respecte point.

Dans plusieurs parties de la province de Namur, notamment dans l'arrondissement de Philippeville, de temps immémorial le bois d'affouage se délivre sur pied. Les portions étant indiquées sont tirées au sort et elles sont délivrées à chaque chef de ménage, moyennant une rétribution en faveur de la caisse communale. Chaque copartageant coupe sa portion à temps perdu, pendant la morte saison, et alors que tout autre travail lui manque ; la valeur du bois s'accroît ainsi pour lui de tout le prix de la main-d'œuvre qu'il gagne lui-même ; cet usage ancien, cette habitude constante ne pourraient être changés sans froisser considérablement les intérêts des habitants peu aisés surtout ; elle ne donne lieu d'ailleurs à aucun abus dans la pratique.

Chaque chef de ménage sait qu'il doit, dans son propre intérêt, couper convenablement sa portion, qui n'est du reste jamais très considérable ; et outre la surveillance des gardes forestiers, il s'établit entre tous les copartageants une surveillance mutuelle, plus efficace peut-être que celle des gardes. Au surplus, un article du cahier des charges rend chaque copartageant responsable des délits commis dans sa portion. Messieurs, le projet en discussion voudrait abroger cette ancienne coutume et faire décider que les bois d'affouage ne pourraient jamais être partages sur pied, mais qu'ils devraient être exploités par un entrepreneur ou sous la garantie de trois habitants solvables, lesquels seraient responsables de tous les délits commis dans la coupe et seraient soumis à toutes les obligations des entrepreneurs.

Eh bien, je dis que jamais mesure plus nuisible aux habitants, plus impopulaire et plus inutile d'ailleurs, au point de vue de la conservation des bois, ne pourrait être adoptée.

L'exploitation faite par entreprise ou sous la garantie d'habitants solvables coûterait fort cher, car les entrepreneurs voudraient certainement retirer les bénéfices de leurs opérations et des risques qu'ils encourraient, et quant aux trois habitants solvables qui se soumettraient à toutes les responsabilités et à toutes les obligations d'un adjudicataire de coupe, on n'en trouverait pas ; ou bien ceux qui accepteraient un pareil rôle ne le feraient qu'à la condition d'y trouver un profit licite ou illicite, et qui, en tous cas, diminuerait de beaucoup le profit des affouagers.

La disposition que je combats avait déjà voulu, il est vrai, s'introduire sous le régime hollandais, mais cette tentative a avorté. J'espère qu'elle ne sera pas plus heureuse cette fois.

Je proposerai donc de supprimer la seconde partie de l'article 49 du projet, mais, en même temps, et pour éviter que le partage des bois d'affouage sur pied ne puisse devenir un abus là où il ne pourrait s'opérer convenablement, je proposerai de décider que semblable partage ne pourra avoir lieu si ce n'est avec l'autorisation de la députation permanente.

Messieurs, l'une des matières les plus importantes du projet et, en même temps la plus difficile peut-être, est celle des droits dits d'usage, existant dans les bois et forêts.

Cet objet a d'autant plus de gravité que les dispositions légales qui le concernent s'appliquent non seulement aux bois du domaine de l'Etat ou des communes ou des établissements publics, mais encore aux bois des particuliers lorsque ces bois sont grevés de droits d'usage.

Or, je regrette, messieurs, que sur un des points très importants de cette matière, il y ait dissentiment entre M. le ministre de la justice et votre commission.

Je le regrette d'autant plus que lorsque, dans une matière toute spéciale comme est celle-ci, le gouvernement et la commission de la chambre ne sont point d'accord, la mission de la chambre devient très difficile et délicate.

J'ose donc appeler toute l'attention de la chambre sur l'objet du différend qui existe entre M. le ministre et la commission, et sur lequel elle aura à se prononcer. Voici ce dont il s'agit :

Vous savez, messieurs, que de nombreuses concessions de droits d'usage ont été faites très anciennement dans les bois et forêts, et principalement dans les forêts du domaine de l'Etat, dont un grand nombre sont aujourd'hui payées dans les mains des communes ou des particuliers.

Ces droits sont de plusieurs espèces et ils sont plus ou moins étendus. Inutile de les énumérer ici. Ils remontent à des temps si reculés qu'il serait difficile, je pense, d'en bien fixer l'origine.

Mais quoi qu'il en soit, un fait est certain, fait qui devait arriver parce qu'il était dans la nature même des choses, c'est que les usagers ont constamment cherché et réussi à étendre leurs droits d'usage, que souvent ils s'en sont attribués à eux-mêmes, et que presque toujours ils en ont « mésusé », selon l'expression des anciennes ordonnances rendues sur la matière.

Et c'est là ce qui avait fait donner à ces sortes de servitudes le nom de « servitudes dévorantes ».

Pluieurs causes favorisaient singulièrement cette tendance toute naturelle des usagers à amplifier leurs droits et à en mésuser.

D'abord le peu de valeur qu'avaient, à cette époque, les forêts, qui couvraient d'immenses contrées presque désertes.

Il en résultait qu'on surveillait très peu la conservation de ces forêts. Ensuite les troubles et les guerres presque continuelles de ces temps-là, et par suite, l'absence de tout contrôle, de toute action de l'autorité, de toute vigilance de la part des personnes qui pouvaient être préposées à l'administration et à la garde de ces bois.

Ces causes sont positivement rappelées, dans plusieurs ordonnances rendues pour réprimer et pour prévenir les mésus des usagers ; elles y sont indiquées comme ayant permis aux usagers d'amener la dégradation toujours, et la ruine souvent des forêts.

On peut voir, à cet égard, l'édit du 14 septembre 1617, et l'ordonnance du 15 septembre 1724, portée pour le pays de Luxembourg et de Chiny.

Des transactions, appelées alors règlemenls, ou aménagements, ou réserves, eurent lieu souvent entre le souverain ou les communautés ou les particuliers, propriétaires des forêts d'une part, et les usagers d'autre part. Elles avaient pour but de déterminer plus exactement les droits de ceux-ci. Des redevances furent même parfois stipulées au profit des propriétaires.

Plus tard, les tribunaux et les législateurs, favorables, comme ils devaient l'être, à la libération des fonds frappés de droits d'usage, ont admis les propriétaires à dégrever ces fonds par le cantonnement ou par le rachat.

Le cantonnement, qui a lieu pour les droits d'usage plus amples qu'en bois mort, consiste dans l'abandon aux usagers d'une partie du sol équivalente à la valeur des droits dont le sol entier est grevé, et cela afin de libérer le reste. Quant au rachat, il a lieu pour les droits d'usage de moindre importance, tels que le pâturage, la glandée, le panage, l'enlèvement du bois mort, etc., et il s'opère par une indemnité en argent, parce que, eu égard au peu de valeur de ces droits, la partie de terrain à céder aux usagers serait trop faible pour pouvoir leur être d'aucune utilité.

Mais, messieurs, les tribunaux n'avaient jamais admis les usagers eux-mêmes à exiger le cantonnement ou le rachat. Ce droit n'était donné qu'aux propriétaires du sol.

Les motifs pour lesquels on a admis les propriétaires seuls à se libérer par le cantonnement sont aussi saillants que légitimes. En effet, possesseurs du sol, ayant un droit de propriété sur l'objet même, ils devaient avoir un moyen de sortir d'indivision d'avec les usagers. Ainsi le voulait d'ailleurs l'intérêt général. Mais comme les usagers, au contraire, n'ont qu'un simple droit de jouissance sur une partie des fruits seulement, sans posséder aucun droit de copropriété quant au sol, jamais on n'avait pu leur reconnaître le droit d'exiger du propriétaire un partage quelconque de ce chef, puisque celui-là seul peut demander à sortir d'indivision qui a un droit de copropriété sur l'objet.

C'est ainsi que l'ordonnance du 20 juillet 1782, rendue pour le Luxembourg, a reconnu à l'Etat, aux communes et en général aux propriétaires, le droit de libérer leurs bois par le cantonnement, mais n'a nullement reconnu aux usagers le droit réciproque d'exiger le cantonnement de la part des propriétaires, qu'ils soient l'Etat, des communes ou des particuliers.

Telle était la législature lorsque survint la révolution de 1789.

L'assemblée constituante abolit les redevances qui avaient pu être stipulées à charge des usagers, comme étant entachées de féodalité ; mais elle maintint formellement, par l'article 8 de la loi du 27 septembre 1790, le droit, dans le chef du propriétaire, d'exiger le cantonnement, tandis qu'elle ne le conféra point réciproquement aux usagers.

Ce ne fut que la loi du 28 août 1792 qui, par son article 3, a statué que le cantonnement pourrait être demandé tant par les usagers que par les propriétaires, mais la date de cette loi en explique l'existence et la portée.

Elle fut, comme le dit dans son très bon rapport, l'honorable M. Orts, elle fut le résultat d'une réaction exagérée, et une fausse appréciation de l'origine des droits d'usage.

Cette loi, qui a été publiée en Belgique en l'an V, y est encore en vigueur ; mais elle est contraire, selon nous, à tous les principes du droit et ne se justifie par aucun motif plausible.

Cependant, messieurs, l'honorable ministre de la justice pense le contraire, il pense que cette loi doit être maintenue ; et c'est là, messieurs, le dissentiment qui existe entre votre commission et lui.

(page 552) Vous aurez pu voir, messieurs, dans l'exposé des motifs, que la cornmission chargée par le gouvernement de préparer le projet de Code forestier, commission dont l'honorable M. Tesch a fait partie, avait repoussé cette disposition de 1792 pour en revenir à l'ancien droit, et que cette résolution avait été prise à l'unanimité moins une voix ; cette voix était sans doute celle de l'honorable M. Tesch. Devenu ministre de la justice, il a fait revivre l'opinion du membre de la commission, et je ne lui en fais pas un grief, puisqu'il obéit à une conviction. Mais, messieurs, l'honorable rapporteur de votre commission vous a exposé, avec une parfaite clarté, les motifs péremptoires qui, selon nous, doivent vous engager à adopter le système contraire.

Veuillez remarquer, messieurs, que lorsque en 1827 la législation française s'occupa de la rédaction du Code forestier, elle en revint comme le proposent les deux commissions, celle du gouvernement et celle de la chambre, au droit ancien confirmé par l'assemblée constituante, le seul qui soit conforme aux vrais principes.

Et l'on ne dira pas, sans doute, que ce retour à la législation de 1790 a été une réaction mauvaise, une réaction due à l'esprit dominant sous la restauration, car on conviendra d'abord qu'une réaction qui se reporterait aux systèmes les plus larges de l'assemblée constituante de 1790 devrait être très pardonnable ; mais en outre, il est une chose bien remarquable, c'est que ni dans la chambre des pairs ni dans la chambre des députés, lorsqu'on a proposé l'abrogation de la loi de 1792 sur ce point, pas une seule voix ne s'est élevée contre cette abrogation. Et cependant, à cette époque, ces assemblées, la dernière surtout, comptaient dans leur sein un grand nombre d'hommes aux idées les plus avancées, avides de popularité, et ardents dans leur opposition au gouvernement.

C'est, messieurs, parce que l'abrogation de cette loi de 1792 paraissait une chose juste en elle-même.

En effet, jamais il n'a pu entrer dans les intentions, ni des usagers, ni du domaine ou des autres propriétaires, qu'un jour viendrait où les usagers auraient le droit d'exiger soit une partie de l'immeuble, soit un capital pour le rachat des droits d'usage qui leur avaient été concédés. En fait comme en droit, semblable disposition serait injuste.

Votre commission spéciale, messieurs, vous propose de décider que « l'action en cantonnement ne peut être exercée que par le propriétaire. »

C'est le principe établi.

Or, en n'appliquant pas ce principe au rachat par argent, la commission est restée sans motif, à moitié chemin, qu'on me passe l'expression ; en effet, il n'y a pas plus de raison pour accorder aux usagers le droit d'exiger le rachat en argent, que le cantonnement en nature. Les propriétaires de bois grevés d'usage satisfont pleinement à leurs obligations envers les usagers lorsqu'ils leur permettent le libre exercice de leurs droits d'usage, conformément à leurs titres et aux lois existantes sur la matière.

Ces droits ne constituent qu'une simple jouissance. Ils ne donnent donc pas à eux qui les possèdent un droit subséquent, le droit de s'ériger en copropriétaires des fonds et d'intenter contre les propriétaires réels l'action « de communi dividundo ».

En effet, appartiendrait-il par exemple, messieurs, à celui qui jouirait d'un droit de passage sur le fonds de son voisin, d'exiger soit une partie de ce fonds, soit une somme d'argent en rachat dudit droit de passage, sous prétexte de vouloir sortir d'indivision avec le propriétaire ? Non, sans doute.

Remarquez que moins les droits d'usage ont d'importance et de valeur, moins on doit attribuer aux usagers un droit qui n'appartient qu'au copropriétaire, c'est-à-dire le droit de demander la division et d'exiger à leur gré au moment qu'ils choisiraient eux-mêmes, une somme d'argent qu'il pourrait être très difficile au propriétaire de leur donner.

La commission aurait donc dû refuser aux usagers le droit d'exiger le rachat, à plus forte raison qu'elle leur a refusé le droit d'exiger le cantonnement.

C'est pourquoi j'ai l'honneur de vous proposer, messieurs, d'adopter purement et simplement l'article 83 tel qu'il avait été admis par la commission du gouvernement.

Messieurs, il est une autre question non moins grave qui avait préoccupé la commission du gouvernement, c'est celle de savoir si, en cas de cantonnement on devait prendre pour base de l'équivalent à donner aux usagers le droit tel qu'il avait été accordé dans l'origine, ou seulement l'exercice du droit tel qu'il pouvait être réduit par des lois en vigueur.

Cette question a donné lieu à des procès ; et une divergence d'opinions s'est établie entre les cours de Liège et ele Bruxelles, d'une part, et la cour de cassation, d'autre part, sur l'interprétation du décret du 17 nivôse an XIII, lequel était le siège de la question.

Une loi interprétative, portée en 1842, a dû intervenir, et elle a adopté l'opinion de la cour de cassation qui avait décidé que lorsqu'il y avait titre ou possession antérieure audit décret, on devait avoir égard, comme base du cantonnement, au droit concédé dans l'origine et non à l'exercice du droit tel qu'il était réduit par la loi.

La commission du gouvernement a pensé, à l'unanimité moins une voix, qu'en envisageant cette question non point en vue d'une loi existante, comme était le décret de l'an XIII, mais théoriquement et en vue d'une loi nouvelle à faire, il fallait décider cette question dans un sens opposé à la loi interprétative. Elle a donc adopté le système des cours de Bruxelles et de Liége, et elle a proposé de le sanctionner dans le projet en discussion, M. le ministre de la justice et la majorité de votre commission estiment que cet objet doit être laissé en dehors de la présente loi ; mais quant à moi, je partage, sur ce point, encore l'opinion de la commission gouvernementale.

En effet, si, par des motifs d'intérêt général, la loi a eu la puissance de modifier l'exercice du droit d'usage, elle a, par cela même, modifié le droit en lui-même ; car le fond du droit ne peut se concevoir comme distinct et différent de l'exercice du droit.

La cour de cassation et après elle la chambre des représentants, se trouvant en présence des termes du décret de nivôse an XIII, ont pu se croire liées par un principe en matière d'interprétation des lois existantes, principe qui consiste à ne pas pouvoir étendre d'un cas à un autre cas, une loi que l'on considère comme restrictive de sa nature ;, mais il ne s'agit plus aujourd'hui d'interpréter une loi en vue d'une contestation née ni en vue d'intérêts engagés dans une instance judiciaire ; il s'agit de faire une loi « de plano ».

Or, me plaçant à ce point de vue, je crois que la proposition première de la commission gouvernementale doit être accueillie, et je propose à la chambre, par forme d'amendement, d'adopter l'article 82 du projet de cette commission.

Le premier paragraphe de cet article doit être également adopté pour être en harmonie avec l'article 83 proposé ci-dessus.

Il est également un principe hors de doute aujourd'hui, c'est que les usagers sont assujettis, dans la proportion de leurs droits, au payement des contributions et des frais de garde ; ce principe, conforme à l'article 635 du Code civil, a été quelquefois contesté et pourrait l'être encore, sous prétexte que les lois spéciales sur les forêts sont muettes sur ce point ; la commission du gouvernement a cru qu'il y avait opportunité à consacrer formellement ce principe dans la loi que nous faisons ; je partage entièrement cet avis, et je propose l'adoption de l'article 84 du premier projet relatif à cet objet.

Enfin, messieurs, une lacune très grave existe dans le système de pénalité du projet ; elle consiste dans l'absence du pouvoir donné aux tribunaux de prononcer subsidiairement la peine de l'emprisonnement contre tout condamné qui n'aura pas satisfait, dans un certain délai, aux amendes prononcées à sa charge.

Cette disposition, qui a été adoptée en principe par le nouveau Code pénal, article 52, et qui a été insérée dans plusieurs lois pénales spéciales notamment la loi sur la chasse, est surtout nécessaire en matière de délits forestiers ; en effet, la plupart des délinquants de cette espèce appartiennent à une classe de personnes qui une fois condamnées a une amende ne manquent point de solliciter des autorités communales des certificats d'indigence, certificats que celles-ci ne peuvent ou n'osent leur refuser et à la faveur desquels les délinquants sont exemptés du payement de l'amende, de sorte qu'il y a impunité complète.

Cette lacune serait d'autant plus grande dans le Code forestier en discussion que, d'après l'article 168, en cas de récidive, les peines sont simplement doublées et que l'emprisonnement ne peut être prononcé ; ce que permettent les lois en vigueur. Ainsi l'impunité serait donc plus générale encore, sous le régime du Code nouveau que sous celui des lois actuelles ; elle pourrait même devenir parfois scandaleuse, puisqu'il n'y aurait pas de raison pour que les délinquants n'obtinssent des certificats d'indigence après un troisième, un quatrième, un sixième délit comme après un premier ; et quant à la contrainte par corps, on sait qu'on recule souvent devant les formalités et les frais qu'elle entraîne.

Pour combler cette lacune, qui a échappé sans doute à l'attention du gouvernement et des commissions, je propose d'ajouter après l'article 109 une disposition calquée sur l'article 52 du Code pénal revisé.

Je bornerai là, messieurs, mes observations quant à présent, car je n'ai cherché que trop longtemps à retenir votre attention sur un objet aride de sa nature, il est vrai, mais qui, pour n'intéresser particulièrement que trois ou quatre provinces du pays, surtout celle de Luxembourg et de Namur, n'en est pas moins de la plus haute importance.

M. Orban. - Messieurs, la première question qui se présente à vous en abordant l'examen du Code forestier est celle de savoir comment il a été satisfait aux principes de la Constitution et aux promesses de la loi communale en ce qui concerne l'administration des bois appartenant aux communes.

Je n'hésite point à le dire. C'est en niant complètement le droit des communes, c'est en créant pour elles un régime plus absolu, une tutelle plus sévère que l'état de choses existant en 1815 et en 1830, un régime moins libre que le régime français, d'où nous est venu cependant le despotisme forestier, que l'on a répondu aux droits, aux légitimes espérances, à la longue attente des communes.

Je ne ferai pas un pas de plus sans justifier d'abord cette assertion.

Le gouvernement hollandais avait laissé aux communes et soustrait au régime forestier l'administration des bois de 5 hectares d'étendue, situés à mille mètres des forêts soumises au régime forestier.

Cette mesure était pleine d'équité, de prévoyance et de sagesse. C'était un premier pas vers l'émancipation communale. En donnant à la commune la libre administration des bois de petite étendue, on avait voulu préparer pour l'avenir leur affranchissement complet et les mettre en mesure d'administrer librement dans l'avenir l'ensemble de leurs propriétés boisées.

Le projet du gouvernement leur ravit ce droit ; on établit le principe que ces bois rentrent sous le régime forestier, sauf à y être soustraits sous le bon plaisir de l'administration supérieure.

(page 553) La loi communale, en maintenant quoique provisoirement au gouvernement le droit de nommer les gardes forestiers des bois communaux, avait réservé aux conseils communaux la présentation des candidats, et astreint le ministre à conformer son choix à ces présentations. Ce droit, tout incomplet qu'on l'ait fait, est violé et méconnu dans le projet qui vous est soumis, par la disposition qui permet aux députations permanentes d'ajouter deux candidats à ceux qui sont présentés par les conseils communaux, si ces derniers ne lui paraissent pas convenables.

On ne se borne point à renchérir sur votre passé, à rendre plus sévère la tutelle communale. Le Code que l'on vous propose est plus absolu, moins libéral envers les communes, que le nouveau Code français.

Nous avons vu que chez nous la nomination des gardes communaux appartient au ministre, que l'on vous propose de donner à celui-ci le droit de choisir en dehors des candidats communaux.

En France, le droit de nommer les gardes communaux appartient à la commune, sauf agréation du ministre.

D'après le Code français, c'est aux communes à fixer le nombre des gardes nécessaire à la conservation des bois. Le Code qui doit régir les forêts belges attribue ce droit aux ministres.

Ainsi, non seulement nos communes sont incapables de choisir convenablement leurs gardes, elles sont incapables aussi d'apprécier le nombre de gardes nécessaire pour exercer le plus convenablement cette surveillance.

D'après la loi française, la réunion d'un bois communal à une forêt de l'Etat, quant à la surveillance, ne peut avoir lieu sans l'assentiment formel de la commune. D'après le Code belge, ce droit appartient exclusivement au ministre. Cette faculté, qu'on le remarque, est de la plus grande importance, parce que en cas de réunion et de surveillance commune, celle-ci est dépouillée de toute participation à la nomination de ces gardes.

Ainsi, messieurs, moins de liberté, moins de droit que sous le régime hollandais, moins de liberté que sous la législation française actuelle, voilà ce que, dans notre pays d'anciennes franchises communales, on vient vous proposer. Voilà ce que l'on vient vous proposer en 1852, pour réaliser les promesses, les vues libérales de nos législateurs de 1830 et 1836, des fondateurs de notre nationalité et de notre droit politique et communal.

Pour arriver là, pour arriver à un résultat aussi affligeant aux yeux de tout homme pour qui le droit, le progrès, la liberté, ne sont pas de vains mots, que l'on emploie suivant les circonstances, il a fallu deux choses : une commission où la représentation des intéressés fut complètement absente ; une négation complète de l'esprit et de la lettre de nos lois constitutive et communale.

Que voyons-nous, en effet, dans la commission, dont le gouvernement a fait le projet sien, et qui dans cette circonstance a été investie d'une sorte d'initiative parlementaire, puisque non seulement son projet vous est soumis par le gouvernement, mais lui sert d'exposé des motifs ?

Nous voyons l'élément provincial et communal complètement absent, la défense des intérêts communaux complètement abandonnée, et l'administration forestière en force et majorité, représentée par ses fonctionnaires les plus expérimentés et les plus habiles.

Confier à une pareille commission l'examen des questions que soulevait notre régime forestier ; s'en rapporter exclusivement à ses renseignements et à ses lumières, c'était méconnaître à la fois le but et le point de départ.

Lors de la discussion de la loi communale, on était d'accord sur les principes, l'on était d'accord pour inscrire dans cette loi le droit pour les communes d'administrer leurs bois, droit dérivant pour elles de la Constitution. Mais en même temps, messieurs, l'on trouvait qu'il y aurait péril à supprimer immédiatement la surveillance dont elles étaient l'objet, à rompre immédiatement les liens qui l'attachaient à l'administration forestière. Pour juger le genre de surveillance qui devait être substitué au régime absolu de l'administration forestière, la chambre n'était pas suffisamment éclairée. Il fallait de nouveaux renseignements, il fallait attendre que les autorités provinciales et communales eussent été consultées et entendues.

Et lorsque, messieurs, après quinze années d'études et de délais, la question se représente devant vous, non seulement aucune autorité de cette nature n'a été spécialement consultée, mais la seule commission qui l'ait été ne renfermait aucun représentant des provinces et des communes.

Et de quoi s'agissait-il, messieurs, pour cette commission ? Il s'agissait surtout de juger une question de droit, d'aptitude, de moralité, de capacité, entre les communes et l'administration forestière. Le droit d'administrer leurs bois appartient-il aux communes ? Les communes sont-elles incapables, sont-elles coupables de négligence, de mauvaise administration, d'imprévoyance, comme le prétend l'administration forestière ? Celle-ci au contraire est-elle inutilement vexatoire, routinière et dispendieuse, comme le prétendent les communes ? Voilà, messieurs, le procès qu'il s'agissait, qu'il s'agit depuis longtemps de décider, et c'est l'administration forestière que l'on en charge, la constituant ainsi juge et partie dans sa propre cause.

Faut-il après cela s'étonner des propositions qui ont été formulées et qui vous ont été soumises ? Faut-il s'étonner surtout de l'interprétation que l'on a donnée aux dispositions de la Constitution et de la loi communale sur cette matière ? Ces dispositions avaient proclamé solennellement l'émancipation de la commune. Elles ne s'étaient point bornées à reconnaître d'une manière générale l'attribution aux communes de tout ce qui est d'intérêt communal, le droit pour les communes de régler, d"administrer les intérêts et les propriétés communales ; elles avaient d’une manière spéciale et après de longues discutions répondant à des nombreuses et anciennes réclamations contre le régime forestier formulées avant et après l'époque de 1830, et émanant tant des conseils communaux que des états députés des provinces, elles avaient spécialement décidé que les communes et les établissements publics avaient l'administration de leurs lois.

Ces dispositions, messieurs, étaient la condamnation du passé, la promesse d'un régime nouveau. Qu'a fait la commission ? Elle a nié en quelque sorte l’existence de ces dispositions : elle a agi comme si elles n'existaient pas. Elle en a supprimé les conséquences au détriment du droit des communes.

Je sais, messieurs, que quand on est fort on a le droit d'employer de mauvais arguments. La fable du loup et de l'agneau est là depuis longtemps pour le prouver. Or, messieurs, dans cette question vous êtes, je le sais, tout-puissants, et vous avez à régler les droits des faibles, car il i ne s'agit point ici des communes en général, de ces communes puissantes, avec lesquelles le pouvoir est tenu à compter. Il s'agit en général des communes rurales, de ces pauvres communes qui n'ont que leur bon droit pour défense, et l'on ne s'est pas fait faute contre elles des mauvais arguments dont je vous parlais tout à l'heure, de ces arguments qui ont besoin de la force pour s'appuyer, et qui se soucient peu de blesser le bon droit et la raison.

C'est ainsi, messieurs, qu'interprétant à son gré l'expression d'intérêts purement communaux, dont se sert la Constitution, l'on a dit que les bois n'étaient point des intérêts purement communaux, que la conservation des bois était une affaire d'intérêt général. Ce n'est point là-un argument, c'est, il faut le dire, un jeu de mots. Quel est en effet l'intérêt communal, dont la bonne gestion n'importe point à l'Etat, et qui, sous ce rapport, ne touche point à l'intérêt général ?

Il faudrait donc conclure qu'il n'y a point dans la commune d'intérêt purement communal et dont la gestion doive lui être abandonnée ?

Maintenant j'irai plus loin et je dirai que s'il est un genre d'intérêt qui doive être considéré comme étant purement communal, c'est assurément celui dont nous nous occupons.

Je conçois, en effet, que quant il s'agit des intérêts moraux comme l'instruction, des intérêts politiques comme la police, on leur conteste le caractère d'intérêt purement communal et que l'Etat réclame une part d'intervention. Mais si l'on ne doit point considérer les intérêts matériels, ceux qui tiennent à la propriété même de la commune, comme des intérêts communaux proprement dits, il faut renoncer à en trouver, et c'est vraiment faire injure au bon sens que de prétendre, qu'en parlant des intérêts exclusivement communaux, dont elle abandonnait la gestion aux communes, la Constitution n'a point voulu précisément et spécialement désigner les propriétés communales auxquelles ou voudrait contester ce caractère.

Voilà, messieurs, pour la Constitution. La loi communale n'a pas été traitée avec plus d'égards par la commission. Selon elle, la loi communale, en décidant que les administrations communales et les établissements publics ont l'administration de leurs bois, n'a rien voulu dire. Cette disposition laisse la question entière quant à l'administration des bois communaux. Non seulement vous êtes libres de maintenir l'assujettissement des communes au régime forestier tel qu'il existait en 1836, mais vous avez le droit de renchérir sur ce régime et de restreindre les droits de la commune Et en effet, messieurs, c'est ce que l'on vous propose.

Mais il ne suffit point de dire que les communes ont l'administration de leurs bois, pour dire que l'Etat n'a point cette administration, lisez le reste de l'article 83 de la loi communale, et vous verrez que les lois et règlements qui constituent le régime forestier ne sont maintenus que provisoirement, et jusqu'à ce qu'il « y ait été autrement pourvu ». N'ya-t-il point là, messieurs, je le demande, la promesse la plus formelle d'une modification ou de la suppression du régime forestier, dans un sens favorable à l'administration des bois par les communes.

Il est vrai, messieurs, qu'en démontrant que le régime forestier tel qu'il existe, tel qu'on vous propose de l'établir surtout, est contraire à nos lois constitutives, nous n'avons rien gagné ; car la commission vous déclare que si notre loi communale était telle il faudrait la changer, que si en d'autres termes le régime forestier n'existait pas, il faudrait l'inventer.

Je proteste, messieurs, contre une semblable assertion, je proteste à la fois contre ce qu'elle a de flatteur pour l'administration de l'Etat et d'injurieux pour l'administration des communes, qui n'ont mérité, je vous assure, ni cet excès d'honneur ni cet excès d'indignité.

Est-ce bien à l'Etat, messieurs, qu'il convient de se poser en conservateur des forêts et d'imposer à ce titre son intervention et sa surveillance aux communes. Qui donc a jamais contribué et contribuera plus que l'Etat belge à la destruction des forêts qui enrichîssaient et ornaient le territoire du royaume ? En moins de trente ans, il a aliéné pour plus de cinquante millions de forêts qui ne sont passées dans les mains de nouveaux acquéreurs, que pour être pour la plupart dévastées et exploitées à blanc étoc ? Le coeur saigne, messieurs, quand on songe à l'irréparable préjudice causé au pays par ces actes de vandalism administratif. Encore quelques années de ce déplorable système dont il n'existe aucun exemple dans le passé et le Code forestier fût devenu complètement inutile, car le but d'un Code de cette nature est la conservation des (page 554) forêts et l'Etat n'aurait plus de forêts à conserver, car il n’en possédera plus.

Si un souhait peut être émis, c'est que jamais les communes et les particuliers n'imitent la conduite de l'Etat en ce qui concerne la conservation des forêts.

Voilà, messieurs, quel est le rôle de l'Etat en matière de conservation des forêts. Voilà ses titres à usurper les droits des communes, à leur ravir l'administration de leur propriété.

Je proteste avec non moins d'énergie et de conviction contre cette incapacité incurable, permanente, dont on voudrait faire l'apanage des communes en matière d'administration forestière.

C'est là sans doute un préjugé facile à entretenir, parce que les communes ne sont point là pour se justifier et se défendre et que la parole est toujours à leurs adversaires. Mais où sont les faits, les actes qui le justifient ? Il est certains bois dont l'administration appartient exclusivement aux communes, où a-t-on vu que ces bois fussent plus mal administrés que d'autres ?

Enfin, parmi les attributions des conseils communaux n'en est-il point une foule qui sont sont difficiles et plus délicates que celle qu'un pouvoir intéressé ne cesse de lui marchander ?

Mais ce que je ne puis admettre surtout, c'est que les communes seraient aujourd'hui moins dignes et moins aptes qu'autrefois, moins aptes qu'en 1830 à administrer leurs bois. Où sont les faits qui autorisent une pareille supposition ?

Eh quoi ! messieurs, vous admettez le principe de la perfectibilité, vous en faites l'un des principaux attributs, comme une des raisons, d'être du gouvernement constitutionnel, du gouvernement du pays par le pays, vous en faites une large application dans les sphères les plus élevées, quand il s'agit des droits poliliques proprement dits, et dans l'humble sphère des droits communaux vous le méconnaissez. Vous croyez que quelques années de pratique du gouvernement constitutionnel ont suffi pour éclairer le peuple, pour permettre de l'associer plus complètement à son action, pour élargir en un mot la base du droit électooral, et lorsqu'il s'agit de l'administration de la commune, de la gestion des intérêts qui sont le plus à la portée du peuple, des seuls, en réalité, dont il s'occupe, au lieu de reconnaître qu'il a pu se perfectionner par leur exercice, qu'il a mérité par là une plus large part de droit, de liberté, d'émancipation, vous ne voyez rien de mieux à faire après une période de près de vingt années, marquées cependant par la conduite la plus sage, que de restreindre et de mutiler ces droits !

Ah 1 ce n'est pas là du libéralisme, ce n'est pas même du bon sens et de la justice.

M. Lelièvre. - L'utilité du projet qui vous est soumis ne peut être méconnue. Notre régime forestier réclame depuis longtemps une disposition législative ayant pour objet de réunir en un ensemble coordonné les prescriptions qui sont aujourd'hui éparses dans les diverses parties de la législation.

L'ordonnance de 1669, la loi rurale de 1791, d'autres lois spéciales et le Code pénal même de 1810 s'occupent de différents délits forestiers, et l'on comprend que ces diverses dispositions présentent souvent des anomalies qu'il est impossible de maintenir. C'est ainsi que les délits commis dans les bois communaux sont tantôt assimilés aux délits commis dans les bois des particuliers, tantôt sont soumis aux mêmes règles que celles concernant les bois de l'Etat.

D'autre part, ceux qui ont abattu des arbres sur pied ne sont punis que d'une simple amende tandis que le maraudage de branches ou autres bois peut être puni de la peine d'emprisonnement. Il nous serait facile de citer d'autres preuves des nombreuses incohérentes qui résultent nécessairement de l'absence d'un Code unique en cette matière, Il est donc essentiel d'établir un système uniforme dont toutes les parties soient en harmonie et présentent un but complet. Cette nécessité a été reconnue en France dès 1827, et déjà le prédécesseur de M. le ministre actuel avait annoncé le projet sur lequel la chambre est appelée à délibérer.

Je ne puis qu'applaudir au principe du projet qui réalise une amélioration notable dans l'intérêt d'une portion importante de la richesse nationale. Toutefois je crois devoir proposer quelques observations de détails qui à mon avis accusent certaines défectuosités dans la loi qui vous est soumise.

D'abord je crois devoir, comme les préopinants, me plaindre des restrictions exagérées que le projet apporte à l'action de la commune qui est presque entièrement annihilée, tandis que d'après l'article 83 de la loi de 1836 les conseils communaux et les établissements publics ont l'administration de leurs bois ; le pouvoir central ne doit avoir que la surveillance des actes de l'autorité communale. Or, ce principe est complètement renversé par le projet. C'est ainsi que d'après l'article 4, l'administration forestière est seule juge de la question de savoir jusqu'à quel point des gardes sont nécessaires à la surveillance des bois des communes et des établissements publics, c'est le ministre qui nomme les gardes et les administrations communales n'ont que le simple droit de présentation.

C'est encore le pouvoir central qui révoque les mêmes gardes. Ainsi les conseils communaux n'ont pas même à cet égard le droit qui appartient aux simples particuliers.

Aux termes de l'article 8, c'est encore l'administration forestière qui décide s'il y a lieu à confier à un seul individu la surveillance d'un canton de bois.

Aux termes des articles 31 et suivants les aménagements sont soumis sans réserve au pouvoir ministériel et ces dispositions démontrent à l’évidence que dans le système du projet les bois des communes et des établissements publics sont réellement administrés par l’Etat.

Dans les articles 50 et suivants comme dans presque toutes les dispositions du projet, l'autorité communale est effacée pour être remplacée par l'agent forestier, et ce qu'il y a de remarquable, c'est que quelquefois la commission est allée plus loin que le gouvernement dans ce système de centralisation excessive (témoin l'article 80). Souvent même le bourgmestre doit céder le pas à un simple garde forestier.

En présence du projet de loi, je demande avec confiance quelle espèce d'administration on laisse aux communes et aux établissements publics. A mon avis, il est indispensable de modifier le projet, en se conformant à la lettre et à l'esprit de la loi de 1836 qui n'a pas voulu que le pouvoir central absorbât l'action communale.

Une autre observation qui me paraît mériter l'attention de la chambre est relative aux servitudes de ne pas bâtir, etc., dont sont désormais frappés les terrains voisins des bois appartenant aux communes et aux établissements publics, d'après les articles 110 et suivants. Cette innovation déprécie notablement les propriétés particulières, et équivaut en réalité à une expropriation partielle, consommée sans indemnité, ce qui ne paraît ni juste, ni équitable.

Si nous examinons eu détail les articles de la loi en discussion, nous pensons encore qu'ils sont susceptibles de diverses observations. Le projet est en grande partie emprunté à la loi française du 21 mai 1827. Or, la plupart des dispositions ont donné lieu, chez nos voisins, à des contestations qui ont été soumises aux cours et tribunaux. Il me semble que le gouvernement aurait dû énoncer, dans l'exposé des motifs, dans quel sens il entendait les articles ayant donné lieu à des difficultés qui ne manqueront pas de se renouveler parmi nous du moment que la loi sera mise en vigueur. D'un autre côté, on rencontre dans le projet diverses dispositions sur la portée desquelles les cours et tribunaux français sont loin d'être d'accord ; il est donc important de profiter de l'expérience de nos voisins pour prévenir des discussions judiciaires sur le sens de la loi.

C'est ainsi que, relativement à l'article 58 du projet, on s'est demandé en France s'il est nécessaire pour son application que l'adjudicataire ait de fait pratiqué un chemin nouveau proprement dit. Les auteurs ne sont pas d'accord, mais la cour de cassation par arrêt du 14 juin 1844, a décidé que l'article en question devient applicable du moment que les voitures des adjudicataires des coupes de bois sont trouvées dans une partie de la forêt autre que les chemins désignés au cahier des charges.

C'est ainsi qu'une disposition analogue à l'article 64 du projet a fait naître en France un conflit entre les cours royales et la cour de cassation. Celle-ci a jugé que la responsabilité des adjudicataires des coupes de bois, à raison des délits commis dans leur coupe, faute par eux de les avoir dénoncés à l'administration forestière, s'étend aussi bien à l'amende qu'aux restitutions.

11 me semble qu'il y avait lieu à tracer clairement l'esprit du projet sur cette question.

D'autres questions controversées en France peuvent s'élever à l'occasion d'autres dispositions. Ainsi, l'article 64 présente la question de savoir si le délai de cinq jours qui y est énoncé, court du jour même où les délits ont été commis, ou bien seulement à partir de la rédaction des rapports ou procès-verbaux. Un arrêt de la cour de cassation du 14 août 1840, se prononce dans le seus de la première hypothèse.

Relativement à l'article 69, il ne manquera pas de s'élever la difficulté que semblable disposition a soulevée en France et tranchée par un arrêt de la cour de cassation du 31 août 1841 qui a décidé que cet article n'est applicable qu'aux rapports qui existent entre l'arpenteur et l'administration et non à ceux qui existent enlre l'arpenteur et l'adjudicataire.

L'article 106 peut également donner lieu à une question importante d'interprétation. C'est ainsi qu'en France on a décidé qu'il n'était qu'indicatif et non limitatif relativement aux parties du sol forestier ou aux genres de ses produits qu'il est permis d'enlever ; qu'en conséquence il est aussi applicable à l'enlèvement des mousses, ronces etc.

L'article 160 a donné lieu à une divergence d'opinion entre les cours royales et la cour de cassation. Il s'est agi de savoir si l'amende prononcée par cet article est due pour chaque fagot enlevé, alors même qu'il en faudrait plusieurs pour composer une charge d'homme, et contrairement à l'opinion des cours royales, cette question a été résolue affirmativement par la cour de cassation.

L'article 165 soulève aussi une question importante. Il s'agit de savoir si l'empiétement qu'il réprime s'applique aussi à l'hypothèse où, pour arriver à ce but, il y a eu enlèvement ou déplacement des bornes. D'après le Code pénal actuel, le déplacement des bornes à fin d'usurpation est puni de la peine comminée par l'article 839 du Code pénal.

(page 555) L'article 167 a également donné lieu à des difficultés que le projet aurait pu prévenir. Ainsi, en France, les cours royales décidaient que les propriétaires d'animaux trouvés en délit dans un bois communal ne sont pas passibles des peines prononcées par le Code forestier, lorsque ces animaux se trouvent sous la garde du pâtre de la commune. La cour de cassation a jugé le contraire.

La même cour a décidé que cet article s'appliquait à tout terrain semé en bois dans un but de reboisement, et que du reste il ne faisait pas obstacle à ce que l'auteur direct du délit fût lui-même poursuivi et condamné aux peines par lui encourues.

L'article 168 a aussi fait naître des doutes. C'est ainsi que, contrairement à l'opinion d'auteurs estimés, la cour de cassation a décidé que le concours des deux circonstances de la nuit et de l'emploi de la scie, qui ont accompagné un délit forestier, ne peut donner lieu qu'à un simple doublement de l'amende, comme si une seule de ces circonstances existait.

Il peut encore s'élever des questions relatives au point de savoir si le principe du non-cumul des peines est applicable aux délits forestiers.

Une difficulté peut aussi naître relativement à la question de savoir : « Si les peines comminées par le Code en discussion doivent être réduites conformément à l'article 69 du Code pénal dans le cas où le délinquant est un mineur âgé de moins de seize ans, » et cette question doit être d'autant plus résolue en termes clairs et précis que plusieurs arrêts de la cour de cassation de France décident qu'en ce cas il y a lieu à réduction, décision qui pourrait bien ne pas être en harmonie avec certaine décision de notre cour de cassation relativement au délit de chasse.

Enfin, messieurs, je remarque dans le projet l'absence de dispositions transitoires qui sont cependant nécessaires, non seulement pour déterminer la compétence et établir les règles de la procédure relativement aux délits et contraventions commis antérieurement à la mise en vigueur de la présente loi, mais aussi pour statuer à l'égard des procès qui seraient commencés à la même époque, disposition d'autant plus indispensable que certains faits énoncés dans le projet et dévolus aujourd'hui aux juges de paix, seront désormais renvoyés aux tribunaux correctionnels. Je pense donc qu'il conviendrait de décréter que tous délits et contraventions commis antérieurement à la loi, de même que toute procédure commencée, continueraient d'être réglés par les dispositions législatives actuellement en vigueur.

Le passage de la législation actuelle à celle établie par le projet mérite d'autant plus de fixer votre attention que certains faits que la loi de 1791 punit en ce moment d'une amende légère et d'un emprisonnement sont, d'après le projet, frappés d'une amende plus forte, mais avec suppression de la peine d'emprisonnement. Comment donc seront punis les faits commis antérieurement à la loi nouvelle, mais non jugés à l'époque de sa publication ? Voilà une difficulté qui doit nécessairement être tranchée par une disposition formelle.

Il conviendrait aussi de décider si les délits prévus par la loi en discussion pourront être renvoyés devant le tribunal de simple police conformément à la loi déjà citée de mai 1849.

En consultant le recueil des arrêts, on se convainc que diverses dispositions du projet dont nous nous occupons donneront lieu à des difficultés qu'il aurait été convenable de prévenir. Sous ce rapport, le projet ne me paraît pas à l'abri d'une juste critique.

Je dois dire quelques mots sur une question importante résolue par le gouvernement contrairement à l'avis de la commission de la chambre et à celui de la première commission qui a préparé le projet.

Il s'agit de savoir si l'action en cantonnement sera accordée, non seulement au propriétaire du fonds affecté à l'usage, mais aussi aux usagers.

Pour moi, messieurs, je pense qu'il ne doit pas être permis aux usagers de recourir à cette mesure exceptionnelle. En effet, le droit de ces derniers ne consiste que dans une servitude ; la seule obligation du propriétaire consiste à souffrir l'usage, et rien de plus ; mais rien n'autorise le propriétaire d'une servitude à changer la nature de son droit et à convertir celui-ci en un droit de pleine propriété.

Qu'on accorde au propriétaire, dont le fonds est grevé de la servitude, la faculté d'éteindre celle-ci au moyen du cantonnement, cela se conçoit, parce que la libération est toujours favorable et que la position du débiteur de la servitude peut être améliorée dans des vues d'intérêt général ; mais, à mon avis, c'est là une simple faculté qu'il faut laisser au propriétaire du fonds servant, et l'on ne peut contre sa volonté convertir le droit de servitude des usagers en un droit d'absolue propriété du fonds lui-même, ce qui est directement contraire au titre des usagers, soit qu'il consiste en un acte écrit, soit qu'il résulte d'une possession qui a fondé la prescription.

Aussi la loi française de 1827 n’a-t-elle accordé l'action en cantonnement qu'au propriétaire de la forêt ; celui-ci maintiendrait avec fondement qu'une disposition contraire porterait une atteinte réelle à ses droits de propriété, qui n'ont été mofifiés que par un droit de servitude, droit qui ne peut jamais avoir pour conséquence d'enlever au propriétaire une portion du fonds lui-même.

L'on ne peut substituer un droit à un autre sans blesser le droit sacré de propriété. Le cantonnement doit être une faculté, un bénéfice à l'effet d'éteindre la servitude dans l'intérêt de l'affranchissement du sol ; mais le propriétaire en laissant une servitude s'acquérir par l'usage n'a pas dû s'attendre à ce qu'on lui ravît à ce titre une partie même de l'immeuble, c'est évidemment là aggraver l'état de choses résultant de possession, c'est par conséquent porter une atteinte réelle aux droits du propriétaire, surtout qu'il s'agit de droits acquis sous l'empire des lois anciennes. Réellement lorsque le propriétaire laissait certaines communes jouir de certains droits d'usage pendant un temps suffisant pour accomplir la prescription, pouvait-il penser que l'on pût ultérieurement lui ravir une partie de la propriété elle-même ? La prescription se mesure sur la possession, « tantum prœscriptum quantum possessum. » Donc impossible d'accorder à celui qui a prescrit rien au-delà de ce qu'il a possédé, et par conséquent on ne peut lui attribuer une propriété alors qu'il n'a joui que de simples droits d'usage. Sous ce rapport, je me rallie au rapport de votre commission.

Je ne conçois pas comment un droit d'usage qui n'atteint que la jouissance pourrait dégénérer en pleine propriété d'une partie de l'immeuble.

L'article 91 mérite l'attention particulière de la chambre. Il déclare que nonobstant tous titres et possessions contraires, les usagers ne pourront exercer leurs droits que dans les cantons déclarés défensables ; je pense, messieurs, que cette disposition réclamée par l'intérêt général est à l'abri de tout reproche de rétroactivité par la raison qu'elle n'enlève aucun droit acquis ; elle ne fait que régler l'exercice des droits d'usage par des considérations d'un ordre supérieur ; or le droit de propriété lui-même est essentiellement soumis à l'action de la loi qui peut le modifier dans des vues d'intérêt public ; mais à mon avis on aurait pu régler aussi sur quelles bases le cantonnement qui serait ultérieurement réclamé devra s'effectuer et décider si l'on doit avoir égard au droit tel qu'il a été concédé dans l'origine ou seulement à l'exercice du droit tel qu'il se trouve restreint par le projet en discussion et les décrets antérieurs. En effet, le cantonnement n'est qu'une simple faculté dont la loi peut déterminer les conditions tant qu'il n'a pas été exercé, sans mériter le reproche de rétroactivité.

C'est ainsi que l'article 8, section 4, titre premier de la loi du 28 septembre 1791 a tranché la question dont il s'agit à l'égard du rachat du droit de vaine pâture, et, par conséquent, le projet en discussion aurait pu prendre des dispositions analogues à l'égard des droits d'usage. Il aurait dû même régler ce point pour éviter des contestations sérieuses qui ne manqueront pas de s'élever en presence du silence de la loi que nous discutons.

Je terminerai par une observation que me suggère l'article 112 du projet. Cette disposition ordonne la démolition des constructions faites à certaine distance des forêts, en contravention à cet article ; à mon avis, l'on devrait en même temps établir une amende afin qu'on puisse poursuivre devant la justice répressive la démolition des constructions illégales.

Sans cela, la démolition, qui n'est pas une peine proprement dite, ne pourra être réclamée que par action principale portée devant le tribunal civil, ce qui occasionnera des lenteurs et présentera des inconvénients sérieux. Le fait dont s'occupe l'article 112 étant un délit, doit être frappé d'une amende à prononcer par le juge correctionnel lequel, accessoirement à cette peine, ordonnera, par forme de dommages-intérêts, la démolition des bâtisses faites en contravention à la loi, comme cela se pratique en matière de voirie.

En résumé, le projet me paraît devoir subir plusieurs modifications sur lesquelles j'appelle l'attention de la chambre. Du reste, son ensemble est tel qu'au moyen de quelques amendements, il réaliserait un véritable progrès auquel on pourrait sincèrement applaudir. Je désire qu'il soit modifié de manière à ce que je puisse lui donner mon assentiment.

M. Jacques. - Messieurs, je crois devoir dire en peu de mots quels sont les motifs qui ne me permettent pas d'adopter le projet de Code forestier qui nous est soumis.

Une partie de ce projet repose sur le principe que l'Etat doit conserver les forêts qu'il possède. Je n'admets pas du tout ce principe ; je pense, au contraire, que dans l'intérêt de l'Etat il y a lieu de vendre le plus tôt possible les forêts qu'il possède et d'appliquer le prix de vente au rachat d'une partie de la dette nationale. L'intérêt de la dette ainsi rachetée dépasserait de beaucoup le produit net actuel des forêts domaniales. De plus outre le bénéfice que l'Etat réaliserait par ces opérations, il est à remarquer que, même après la vente des forêts domaniales, le trésor public percevrait encore chaque année une somme considérable sur les forêts vendues.

En effet, le trésor percevrait la contribution foncière dont les forêts domaniales sont exemptes ; il percevrait, en outre, des droits (page 556) d'enregistrement, des droits d'hypothèques et des droits de succession, chaque fois que les forêts viendraient à être hypothéquées ou à changer de main.

Quant aux avantages indirects, aux nécessités, aux convenances que l’on voudrait invoquer pour soutenir que l'Etat doit conserver ses forêts, ce sont là des idées nuageuses ou poétiques, des appréciations superficielles et erronées de ce que commande l'intérêt public. Comme j'ai adopté l'opinion que les forêts de l'Etat doivent être vendues, il serait peu logique de ma part d'admettre un Code forestier qui repose en grande partie sur une idée contraire.

Il y a aussi dans le projet qui nous est soumis, en ce qui concerne les bois des communes et des établissements publics, plusieurs dispositions auxquelles je ne puis pas donner mon assentiment.

J'admets volontiers l'intervention des agents forestiers pour les reconnaissances, les délimitations, les balivages et autres opérations forestières.

Je reconnais qu'il convient de leur confier également la recherche et la poursuite des délits ; ce sont là des mesures d'instruction, de surveillance et de répression pour lesquelles l'intervention des agents forestiers me paraît utile et convenable.

Mais si j'admets dans ces limites l'intervention des agents forestiers, je crois aussi que les actes d'administration doivent être laissés au conseil de la commune ou de l'établissement propriétaire sous l'approbation de la députation permanente du conseil provincial.

Je n'admets aucune exception à cette règle ni pour le nombre, le traitement ou la nomination des gardes, ni pour les essartages, les coupes extraordinaires, ou les aménagements ; je ne vois pas la moindre utilité de réserver aucun de ces points à la décision du ministre ou du Roi, lorsqu'il s'agit des bois des communes ou des établissements publics. L'intervention des ministres ou du Roi dans les détails de l'administration de ces bois ne conduit qu'à des formalités inutiles qui n'ont d'autre résultat que de multiplier les écritures, de retarder la décision des affaires et d'accumuler des paperasses dans les hôtels des ministères.

Si vous voulez éviter de multiplier inutilement les écritures et conserver néanmoins des garanties sérieuses et complètes d'une bonne administration des bois, il suffit d'exiger trois choses : la délibération du conseil de la commune ou de l'établissement propriétaire, le procès-verbal de reconnaissance de l'agent forestier local et la décision de la députation du conseil provincial. Tout ce qui se fait au-delà ne fait que multiplier des écritures stériles, dtmt l'unique résultat est de renforcer la bureaucratie et d'énerver l'administration.

On se plaint souvent de ce que dans les administrations publiques on a donné trop de développement à la bureaucratie et aux écritures, et cependant chaque fois que l'on s'occupe d'une nouvelle loi sur une branche quelconque de service public, on y laisse passer, probablement sans s'en apercevoir, diverses dispositions qui augmentent la bureaucrate et les écritures. Je ne veux pas m'exposer à pareil reproche en cette circonstance : si le Code forestier qui nous est soumis n'est pas modifié dans le sens des observations que je viens de présenter, je devrai voter contre.

M. Orts, rapporteur. - Messieurs, les critiques adressées au travail de la commission et au projet primitif sont de deux catégories. Il y a des observations de détail qui trouveront leur place naturelle dans la discussion des articles, alors que les questions spéciales se présenteront à l'attention de la chambre. Je n'entends donc pas examiner maintenant toutes les dispositions qui ont soulevé quelque observation ; chaque heure de cette discussion aura sa tâche.

Je répondrai peu de mots aux critiques d'ensemble, aux observations qui s'adressent au système général du projet.

Le dernier orateur que vous venez d'entendre ne peut voter le Code forestier parce qu'il préjuge la conservation de la propriété des forêts qui font partie du domaine de l'Etat. Cette crainte, si elle l'arrête seule, ne doit pas l'empêcher de voter en toute sécurité le projet qui nous est soumis, car le Code n'innove pas. L'Etat restera après le vote du Code forestier libre de vendre ses forêts comme ses autres propriétés en suivant les règles que la loi prescrit.

Ce qui a paru frapper le plus grand nombre des orateurs qui ont parlé contre les dispositions du projet, c'a été la part de droit et d'intervention faite aux communes dans la loi en ce qui concerne l'administration et la surveillance des bois qui leur appartiennent.

L'un des honorables préopinants, l'honorable député de Neufchâteau, a critiqué très sévèrement les dispositions du projet qui traitent ces questions délicates. On a été jusqu'à dire que le gouvernement, comme la commission, ne se croyait pas lié par les dispositions de la loi communale, que le gouvernement et la commission n'hésitaient même pas, quand ils rencontraient comme obstacles des dispositions de la Constitution, à en proposer l'abrogation.

Si le gouvernement et la commission avaient agi ainsi, ils auraient fait une chose absurde, et la chambre ne les soupçonne pas d'en être capables ; nous savons tous que des modifications à la Constitution ne sont pas du domaine de la chambre. Quant à la loi communale, il est incontestable que si l'expérience conseille de modifier en 1852 certaines dispositions prises en 1836, on doit le faire.

Déjà des précédents nombreux se sont présentés en cette matière ; et je ne pense pas que l'honorable député de Neufchâleau en particulier se soit abstenu de voter des modifications à la loi communale pendant le cours de sa carrière parlementaire, quand il a cru en son âme et conscience que la loi communale devait, dans l'intérêt du pays, être modifiée.

Cet envahissement du droit des communes dont on se plaint, est-il un vice réel entachant le projet de loi ?

Messieurs, il faut bien se pénétrer d'une chose, alors qu'il s'agit d'apprécier le droit des communes quant à l'administration et à la jouissance de leurs biens ; c'est qu'il est impossible de faire ce qu'ont fait les honorables adversaires du projet. Il est impossible d'assimiler les communes à un particulier administrant ses biens et en jouissant. Cette assimilation n'existe dans aucune législation, dans aucun pays policé, pas plus dans la législation belge qu'ailleurs. Le droit des communes sur les biens, quels qu'ils soient, ne peut jamais aller au-delà des actes d'administration, des actes de jouissance qui n'entament en aucune manière la valeur du fonds. Il s'agit donc de rechercher en présence de ces principes universellement admis, si le projet de loi enlève aux communes, non pas un droit appartenant aux particuliers sur leurs biens, mais une faculté que le droit commun leur conserverait, c'est-à-dire un droit de jouissance dont l'exercice n'entame en aucune manière la valeur du fonds.

Examinant à ce point de vue les dispositions du projet, on verra que si nous avons mis une entrave à l'exercice de certains droits de la commune sur ses forêts, c'est parce que cet exercice pourrait excéder les pouvoirs que les lois confèrent à la commune sur ses biens en général, c'est que la jouissance allait en ce cas jusqu'à entamer la propriété elle-même.

En effet, les communes conservent une liberté complète en ce qui concerne la jouissance des coupes régulières des bois. Les communes, peuvent, en observant les principes de la matière, jouir des produits réguliers de leurs bois. Les coupes extraordinaires leur sont seules interdites sans l'intervention de l'autorité supérieure.

Or, une coupe extraordinaire dépasse les pouvoirs des détenteurs d'une propriété boisée qui n'ont qu'un droit de jouissance ou de simple administration à exercer. Il est incontestable que le particulier dont la position ressemble à la position des communes quant à la jouissance des biens, que l'usufruitier ne peut pas faire de coupe extraordinaire ; les communes et les usufruitiers doivent respecter les aménagements réguliers. On me dit : Elles peuvent vendre ; oui, elles peuvent vendre, mais pour vendre comme pour faire des coupes extraordinaires, selon le projet, elles sont soumises au contrôle de l'autorité supérieure.

Prenez l'article 76 de la loi communale, vous y lirez que les actes de vente, les baux emphytéotiques, les affeclalions hypothécaires leur sont interdits sans le concours de la députation et l'approbation du Roi.

Ainsi, en règle générale, il n'y a pas d'aliénation de biens communaux, il n'y a pas d'acte de jouissance extraordinaire dans le genre de la concession des baux emphytéotiques qui subsiste, sans que l'autorité supérieure soit appelée à valider l'acte de l'administration communale.

Lisez attentivement et sans prévention ce que nous avons inséré dans le projet de Code forestier, et vous verrez que nous ne sommes pas allés au-delà du droit commun. Lorsque vous examinerez les dispositions relatives à l'intervention de l'autorité supérieure dans l'administration des bois et des forêts communales, vous verrez que la loi commune a toujours élé observée et respectée.

J'ajouterai même qu'en certains points, par exemple, en ce qui concerne l'affouage, la commission qu'on accuse d'avoir introduit ou maintenu, de complicité avec le gouvernement, un régime exagéré de centralisation ou de tutelle, a affranchi la commune de la tutelle de la députation permanente, alors que cette tutelle lui était imposée par la loi communale actuelle.

Si donc nous avons touché à la loi communale, c'a été pour élargir les droits des communes et non pour les restreindre.

Voilà pour les actes de jouissance.

Reste une autre question également soulevée.

On critique la disposition du projet qui donne au gouvernement le droit de déterminer, en cas de conflit, le nombre de gardes nécessaire à la surveillance des bois communaux, le droit de les nommer et de les révoquer.

Mais, messieurs, sauf un droit illusoire de présentation, en un cas spécial et unique, ces dispositions ne font que maintenir ce qui existe ; ce qui existe sans que des plaintes se soient jamais fait entendre. La loi communale, pas plus qu'aucune autre loi postérieure, ne fait obstacle au maintien d'une organisation de cette espèce, en ce qui concerne les gardes chargés de la surveillance des bois des communes.

En effet, l'article 83 de la loi communale attribue aux conseils communaux et aux administrations des établissements publics la jouissance de leurs bois, sous la surveillance de l'autorité supérieure. Or, le nombre et le traitement des gardes, la hiérarchie à établir entre eux, la question de savoir quelle étendue de bois ils ont sous leur surveillance, leur révocation, tout cela constitue la surveillance de l'autorité supérieure dont parle l'article 83.

Je ne sais vraiment ce que cet article a voulu dire, s'il ne veut pas ce que lui fait dire le projet de Code forestier, à savoir : que l'autorité supérieure règle le nombre des gardes, leur hiérarchie, le mode et l'étendue de leur surveillance et, en définitive, les révoque lorsqu'ils ne surveillent pas bien. Nous sommes donc dans l'esprit et dans les termes de l'article 83. Ceux qui nous critiquent s'en écartent au contraire.

Quant au traitement, il y a une excellente raison pour ne pas admettre en Belgique les dispositions des lois françaises dont l'honorable M. Orban regrette l'absence.

Le système de rémunération des gardes en Belgique est tout différent (page 557) du système français. En France, la commune, propriétaire de bois ou de forêts, paye directement les gardes, tandis qu'en Belgique c'est l'Etat qui paye les frais d'administration des forêts, et qui les répartit entre les intéressés dans des proportions déterminées.

Il y a donc nécessité, quant au traitement, de faire ce que fait le projet de Code forestier ; vouloir changer ce régime, c'est vouloir ce que les communes n'ont jamais demandé dans leur intérêt. Or, on nous permettra de croire que les communes sont les meilleurs juges de leurs propres intérêts.

Un mot encore en passant sur cette surveillance et ce régime des bois communaux. On vous a dit que dès longtemps des sollicitations s'étaient produites, tendant à soustraire les bois des communes et des établissements publics au régime forestier.

Les anciens états provinciaux du royaume des Pays-Bas, s'écrie l'honorable M. Orban, ont, sous l'ancien gouvernement, à diverses reprises réclamé la suppression du régime forestier et l'exclusion de toute intervention de l'administration centrale sur ces bois.

Il y a, messieurs, dans cette réclamation des anciens états provinciaux quelque chose de peu profitable à la thèse que l'on plaide aujourd'hui. En effet, si les anciens états provinciaux réclamaient pour soustraire la surveillance des bois communaux à l'administration forestière centrale, en tant qu'elle les possède, ce n'était pas pour la rendre aux communes, c'était pour se l'attribuer à eux-mêmes. Les états provinciaux, l'autorité provinciale trouvait extrêmement agréable pour elle de se substituer à l'administration centrale en ce qui concerne les bois et forêts des communes.

C'était un conflit d'attributions qui se débattait entre l'Etat et les provinces. Mais l'indépendance des communes était complètement en dehors de la question. Leur situation ne devait pas être modifiée dans l'esprit des réclamants ; car les pouvoirs de l'Etat auraient, suivant le système des anciens états généraux du royaume des Pays-Bas, tout simplement été attribués à la province.

Nous croyons, messieurs, qu'il n'y a aucune raison pour donner à la province les pouvoirs que nous avons accordés à l'Etat, pouvoirs qui en définitive sont exercés vis-à-vis les communes, de leur propre aveu, dans des conditions extrêmement favorables à leurs intérêts. Ainsi, par exemple, on verra, lorsqu'on voudra examiner la question spéciale du traitement des agents forestiers, que la dépense du système actuel est beaucoup moins onéreuse pour les communes au point de vue financier que ne l'est le système qu'on voudrait y voir substituer.

Si l'on veut, messieurs, que les forêts communales soient surveillées par l'autorité supérieure, il faut aussi vouloir qu'elles soient bien surveillées ; que par conséquent il y ait unité d'action dans la surveillance, qu'il y ait une discipline parfaite parmi les agents chargés de surveiller, une obéissance complète à l'autorité supérieure responsable des ordres qu'elle donne et de l'exécution que ces ordres reçoivent.

Au point de vue de l'indépendance absolue des communes, nous avons, messieurs, indiqué dans le rapport de la commission des enseignements utiles à consulter.

Ce n'est pas la première fois que les communes ont vu revendiquer en leur faveur le complet affranchissement de toute espèce de mesures de surveillance quant à leur administration forestière. Nous avons dit, dans le rapport de la commission, comment les communes avaient exercé ce droit, lorsqu'on le leur avait imprudemment restitué, et comment, après chaque expérience, on avait, au nom de la conservation de la propriété forestière, au nom de la conservation de la propriété communale elle-même, élé obligé de revenir toujours à un système analogue à celui que nous proposons aujourd'hui.

L'honorable M. Lelièvre a fait, contre le projet de loi, quelques observations également générales sur lesquelles j'ai deux mois à dire. Je serai également bref sur ce point ; car ces questions se représenteront encore, quoique générales, plus spécialement sur certains articles du projet.

L'honorable M. Lelièvre prétend que le Code forestier crée quelque chose de neuf et de passablement inouï en organisant son système de servitudes légales.

En effet, le Code forestier dit qu'on ne peut pas bâtir, que l'on ne peut pas faire du feu sur les terrains particuliers à une certaine distance des bois et forêts soumis au régime de la loi. C'est là créer, j'en conviens tout le premier, je l'ai dit dans le rapport, des servitudes légales au profit des bois et forêts soumis au régime de la loi, sur les terrains voisins. Mais que l'honorable M. Lelièvre se rassure complètement. On n'a rien changé sous ce rapport à ce qui existe, du moins au préjudice des propriétés particulières.

La commission a introduit quelques changements dans le régime actuel, mais en vue de rendre la condition des particuliers moins onéreuse. On a diminué les distances, par exemple, à peu près partout, lorsqu'il s'est agi d'établir certaines servitudes dans un rayon déterminé des forêts. On a donc fait plus pour les propriétés privées que ce qui était fait auparavant.

Messieurs, ces servitudes existent d'une manière générale dans notre pays depuis la mise en vigueur de l'ordonnance de 1669, et dans beaucoup de provinces elles avaient le caractère de mesures locales en vertu de règlements particuliers très anciens.

En France, elles existent depuis 1669 pour tout le pavs, c'est-à-dire depuis bientôt deux siècles. Ces mesures ont été considérées partout et de tous temps comme des précautions indispensables, aussi indispensables qu'une foule de servitudes créées par la loi pour d'autres besoins, pour d'autres intérêts publics.

Il n'y a donc rien de neuf là dedans, et il ne peut être davantage question d'indemnité ni d'expropriation. Car on n'enlève rien à personne ; et tout le monde le sait, la jurisprudence l'enseigne d'une manière uniforme chez nous comme en France, l'établissement de servitudes légales ne donne jamais droit à indemnité comme expropriations pour utilité publique. C'est ainsi que s'il plaisait à la législature de déclarer demain qu'elle veut faire de la capitale de la Belgique une forteresse, ce qui infligerait un régime de servitudes légales à toutes les propriétés environnant Bruxelles, l'Etat ne serait pas obligé de payer des indemnités.

L'honorable M. Lelièvre regrette que le projet n'ait pas résolu une foule de difficultés que la mise en pratique en France du Code forestier de 1827 a fait apercevoir et résoudre par la jurisprudence de ce pays.

Ce reproche n'est pas complètement exact. La rédaction du Code belge, les amendements de la commission, les explications de l'exposé des motifs, les explications du rapport feront disparaître, dans le plus grand nombre de circonstances, les difficultés qui ont effrayé l'honorable M. Lelièvre. Ces controverses sont presque toutes implicitement résolues. Si l'honorable M. Lelièvre en signale quelqu'une qui ait échappé à l'attention des deux commissions et du gouvernement, dans le cours de la discussion actuelle, nous pourrons rencontrer facilement une bonne solution et combler les lacunes.

L'honorable M. Lelièvre a cité sous ce rapport quelques articles, et entre autres l'article 58. Mais l'article 58 est précisément l'un de ceux qu me fournissent l'exemple d'une correction de cette espèce, introduite en vue de couper court à une difficulté soulevée par la jurisprudence française.

L'honorable M. Lelièvre regrette l'absence des dispositions transitoires venant expliquer comment on fera pour terminer, après la promulgation du Code forestier, les procès entamés avant sa mise en vigueur.

Messieurs, ces dispositions transitoires sont complètement inutiles dans une loi de procédure et dans une loi pénale. Je conçois les dispositions transitoires dans une loi civile telle que la loi des hypothèques. Mais il y a des principes certains en matière pénale qui règlent ce qu'il faut faire au cas où une législation de procédure ou une législation pénale vient se substituer à une autre. Il y a un principe fondamental entre autres en cette matière, c'est que la nouvelle législation doit être invariablement appliquée à tout ce qu'elle rencontre devant elle, lorsqu'il s'agit de modifications favorables aux particuliers, favorables aux délinquants.

D'ailleurs les dispositions transitoires pour le passage d'une législation pénale à une autre, ont été réglés avec beaucoup de soin il y a quelque temps, dans le projet de Code pénal que nous avons discuté. Or, que dit le Code forestier ? Et je signale cette circonstance à l'honorable M. Lelièvre ; car elle répond à plusieurs parties de son discours. Il dit que pour tout ce qui n'est pas inscrit de spécial dans ses dispositions il faut recourir au droit commun ; c'est-à-dire au Code pénal s'il s'agit de pénalité, et au Code d'instruction criminelle s'il s'agit de procédure.

L'honorable M. Lelièvre a fait encore une observation réclamant un mot de réponse parce qu'elle constitue une erreur contre laquelle nous devons dès l'abord prémunir les esprits.

L'honorable M. Lelièvre, dans une critique de détails, a cite l'article 112 du projet et a dit qu'il présentait une lacune parce qu'il ne commine pas d'amende contre celui qui a bâti dans le rayon prohibé d'une forêt soumise au régime forestier ; il n'y a d'autre peine que la démolition. Or, dit l'honorable M. Lelièvre, la démolition n'est pas une peine proprement dite, c'est une réparation civile. Il faudra donc recourir, si l'on ne change pas l'article 112, aux tribunaux civils pour la faire prononcer.

C'est en vue de cette observation que je réponds à l'honorable membre.

Non, il ne faut jamais recourir aux tribunaux civils, lorsque vous voulez vous présenter pour demander l'application d'une disposition du Code forestier. Ce serait une erreur grave que de penser que l'application d'une disposition quelconque de ce Code puisse jamais être faite par une juridiction autre que celle des tribunaux correctionnels.

L'article 131 du projet dit en termes exprès que, quelle que soit la demande que vous portiez devant la justice, du moment où cette demande est formée par l'administration forestière, tenant en main son Code forestier, il faut qu'elle soit portée devant le tribunal correctionnel. L'article 112 est même indiqué comme exemple d'une dérogation aux principes ordinaires dans la partie du rapport où la commission explique la portée de l'article 131.

Ainsi, l'inconvénient que signale l'honorable M. Lelièvre n'existe pas pour l'article 112. C'est une fausse interprétation du projet qui le lui a fait voir.

Du reste, si l'honorable M. Lelièvre tient à proposer un amendement tendant à ajouter une amende à la défense de bâtir, inscrite dans l'article 112, pour ma part, je n'y verrais pas un très grave inconvénient. J'attendrai, pour me prononcer définitivement, les observations de M. le ministre de la justice, auteur responsable du projet.

Je pense, messieurs, que ces observations préliminaires suffisent au point où est parvenue la discussion, parce que, comme je le disais tantôt, il faudra toucher de nouveau à ces questions, et bien plus directement, plus intimement, lorsque si présenteront les articles qui se rattachent à chacune d'elles.

M. de Mérode. - Je lis dans le rapport : « La commission du gouvernement a écarté toute mesure restrictive du défrichement dans (page 558) les propriétés particulières, elle s'est opposée même, par trois voix contre deux, à l'exigence d'une autorisation préalable pour le défrichement des bois particuliers situés en montagne.

« Votre commission a déjà préjugé sa décision en votant, par l'article 2 du projet, l'émancipation complète de la propriété forestière privée.

« Le propriétaire privé a et doit avoir le droit d'user et d'abuser de sa chose à la charge unique de réparer le mal qu'il causerait à autrui par l'abus ou par l'usage. C'est là le principe constitutif de la propriété même.

« L'Etat a été créé pour permettre à chacun de jouir librement de ses droits. Il n'a pas à se mêler du point de savoir si l'un de ses membres se nuit à lui-même et méconnaît ses véritables intérêts.»

Je ne puis, messieurs, pour mon compte, adopter les assertions trop absolues que je viens de lire.

Un rapport sur le déboisement des forêts, adressé par la société d'émulation de Liége en 1844 auministre de l'intérieur, affirmait, avec plus de raison que la conservation des bois est d'ordre public parce qu'elle intéresse l'agriculture, le commerce, l'industrie et que de plus elle concerne la fertilité, le bien-être de régions tout entières.

Le gouvernement hollandais, qui chez lui n'avait point de forêts, s'empressa d'aliéner la plus grande partie des forêts domaniales, les plus productives et les plus intéressantes, en vertu de la loi du 27 septembre 1822, qui ne faisait aucune réserve ni restriction pour s'opposer au défrichement des forêts situés sur le sommet ou les penchants des montagnes.

Aujourd'hui de même l'Etat vend successivement toutes ses forêts sans aucune précaution contre le défrichement, même sur les montagnes et pentes boisées.

Elles deviennent ainsi des propriétés privées livrées aux faux principes qu'on peut user et abuser de toute sorte de nature de biens.

En 1844 la province de Liège possédait en bois domaniaux 9,248 hectares, en bois communaux ou d'établissements publics 12,166 hectares et en bois particuliers 19,521 ; ainsi près de la moitié des bois appartenait aux particuliers.

Or, si la conservation de ceux-ci intéresse les vallées de la Meuse et de ses affluents, peut-on dire que l'on peut user et abuser à volonté de cette sorte de propriété comme des campagnes cultivées où l'abus d'exploitation ne porte préjudice qu'au propriétaire lui-même ? Ce que je dis pour cette contrée est applicable à toutes les régions qui lui ressemblent, c'est pourquoi je repousse absolument l'exagération du droit de propriété porté à ce point qu'il aille jusqu'à nuire d^une manière très grave aux intérêts généraux. On a toujours considéré les eaux et forêts comme connexes. C'est pourquoi, dans presque tous les pays et à toutes les époques où l'ordre a régné, les gouvernements qui ont mission de soigner les besoins importants des sociétés ont réglementé la propriété forestière d'une manière spéciale.

Si l'expérience est proscrite maintenant dans cet ordre d'idées comme dans beaucoup d'autres, je ne m'associe point à cette innovation malheureuse et nuisible qui compromet plutôt qu'elle ne sert le droit de propriété.

M. le président. - Il a été déposé plusieurs amendements ; je proposerai d'en ordonner l'impression et la distribution et de les renvoyer à la commission qui a examiné le projet.

M. Orts, rapporteur. - Il est inutile de renvoyer les amendements de M. Moncheur à la commission, car elle a examiné toutes les questions que ces amendements soulèvent.

M. le président. - Il y a une proposition très importante qui n'a pas été examinée.

- L'impression et le renvoi à la commission sont adoptés.

La séance est levée à 4 heures et demie.