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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 1 mars 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Perceval procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.

La séance est ouverte.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il fait ensuite connaître l'analyse de la pétition suivante.

« Les membres du conseil communal de Wavre réclament l'intervention de la chambre, pour que la compagnie du chemin de fer du Luxembourg fasse construire la ligne de Bruxelles à Namur, avec les sections de Wavre et de Gembloux. »

M. Mascart. - Je demande que la commission soit invitée à faire un très prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Destriveaux. - J'ai l'honneur de présenter les rapports sur diverses demandes en naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés et distribués et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur le code forestier

Discussion des articles

Titre IX. Police et conservation des bois

Article 101

« Art. 101. Aucun défrichement ne pourra avoir lieu dans les bois de l'Etat, qu'en vertu d'une loi, et dans les bois des communes et des établissements publics qui le demanderont, qu'en vertu d'un arrêté royal, sous peine, contre ceux qui l'auraient ordonné ou effectué, d'une amende de 500 à 600 francs par hectare de bois taillis, et de 500 à 2,000 francs par hectare de bois de futaie ou de futaie sur taillis. Les contrevenants seront en outre condamnés à rétablir en nature de bois, dans le délai de deux années, le terrain défriché. »

Le gouvernement se rallie à la proposition de la commission.

M. le président. - M. de Perceval propose à cet article un article additionnel aiusi conçu :

« Ne pourront être défrichés et aliénés les bois et forêts soumis au régime forestier, gisant sur des terrains inclinés à 15 p. c, sur les coteaux et les crêtes des collines et des montagnes. »

M. de Perceval. - La commission, par l'organe de son honorable rapporteur, repousse comme inutile l'amendement que j'ai proposé à l'article 101. Je ne saurais partager cette opinion, parce que mon amendement se trouve dans les mêmes conditions que toutes les dispositions que nous insérons dans nos lois. Les lois lient le gouvernement, comme mon amendement le lierait. Si ma proposition est inutile, ou si, en la votant, la législature admettrait en principe l'imprévoyance des chambres et du pouvoir royal, toutes les lois sont alors également inutiles, car toutes, dans ce cas, seraient faites en défiance des pouvoirs législatif et exécutif.

Messieurs, il importe d'établir une très grande différence entre les forêts de plaine et celles des montagnes, et de l'inscrire dans le Code que nous discutons. Les hommes les plus compétents en cette matière admettent que l'interdiction ne doit plus frapper les premières, mais tous sont d'avis que les forêts situées sur les terrains en pente doivent être conservées par mesure de sécurité publique.

En effet, elles ont une influence préventive contre les inondations, elles sont, si je puis me servir de cette expression, un bouclier contre la dégradation du sol, contre l'érosion des montagnes, qu'elles préservent d'une destruction certaine de grandes surfaces de terrain plus ou moins fertile, et qui, sans elles, seraient transformées souvent en rochers dénudés. C'est d'ailleurs ce que constate aussi la commission gouvernementale dans l'exposé des motifs.

C'est surtout dans les provinces de Liège, de Namur et du Luxembourg que se trouvent les forêts sur les terrains en pente, sur les revers et les crêtes des montagnes. Ces forêts protègent les collines qui bordent les vallées de la Vesdre, de l'Ourthe, de la Meuse, de la Sambre, du Hoyoux et de leurs affluents. Ce n'est donc pas en faveur des provinces du centre et du nord de la Belgique qu'il faut prononcer l'interdiction des défrichements des forêts.

On m'objectera peut-être que ces forêts n'ont aucune influence sur les inondations. Comment se fait-il alors que l'opinion contraire existe dans tous les pays ? Comment des esprits éminents dans la science, des géologues, des agronomes, des physiciens, des ingénieurs ont-ils pu émettre, accepter et développer de semblables idées ?

L'honorable rapporteur de la commission soutient à la page 10 du rapport que les inconvénients des défrichements n'ont pas ému l'attention publique en Belgique.

Je ne saurais encore partager cette opinion.

Après les inondations de 1850, toute la presse du pays a publié sur cet objet des articles très remarquables. Le « Journal de Namur », fort bien placé pour juger cette question, émettait, le 2 septembre de la même année, de puissantes considérations sur ce sujet.

Dans un ouvrage sur les inondations, qui a paru en 1846, un agronome connu, M. Moreau, disait :

« ... Dernièrement un violent orage est venu s'abattre sur les environs de Liège ; eh bien, en moins de six heures, la Meuse, l'Ourte, la Vesdre, avaient déjà reçu toute l'eau tombée sur la surface des vallons et des collines riveraines, et charriaient une eau jaune, épaisse, limoneuse ; le lendemain, l'eau de ces rivières coulait aussi limpide qu'avant l'orage, et indiquait que l'eau pluviale s'était écoulée en quelques heures, avec une intensité dont on pouvait calculer les effets par les ravins formés sur les montagnes déboisées et livrées à la culture arable. »

Le même auteur, dans un travail transmis à la chambre en 1850 et intitulé : « Y a-t-il moyen de prévenir les inondations ? » constate parfaitement l'influence désastreuse des défrichements des forêts sur les crues des rivières.

M. l'ingénieur Kummer déclare aussi, à la page 20 de son projet d'amélioration de la Meuse, que les débordements sont dus au déboisement des crêtes des montagnes et de leurs ravins. « Les montagnes et les collines qui environnent les bassins des rivières étant dégarnis de végétaux et déboisés, les eaux entraînent avec elles les terres et les graviers du sol pour former des atterrissements dans le lit des rivières. »

Dans une excellente brochure que j'ai sous les yeux, et qui traite du régime des rivières et des travaux exécutés pour empêcher leurs débordements, M. de Cuyper, professeur à l'université de Liège et inspecteur des études à l'école des mines, s'exprime sur le même sujet, comme suit :

« Les forêts ne garantissent pas seulement des inondations, mais elles exercent encore sur la prospérité des provinces d'autres influences non moins utiles. C'est d'elles que dépendent :

« La déviation ou la modération des vents impétueux ;

« La constance de la température ou du climat ;

« La régularité des saisons ;

« Elles empêchent les gelées excessives, les grêles, les neiges, les pluies torrentielles. Elles détournent la foudre en déchargeant les nuages de leur électricité.

« Il résulte évidemment dece qui précède, que tant que nous nous bornerons à attaquer les fleuves et les rivières dans la plaine, par des travaux d'art, ce sera à recommencer sans cesse. Car les déboisements continuant, les travaux utilement adaptés aujourd'hui au régime de ces fleuves ne le seront plus dans quelques années. Il est vrai que le droit de propriété est trop puissant aujourd'hui, pour que la question du reboisement des montagnes puisse être utilement discutée, et pour qu'il soit possible d'arrêter l'exploitation irrégulière des forêts.

« Mais si j'ai un cours d'eau qui traverse ma propriété, me permettra-t-on d'en disposer comme je l'entends et d'y faire telles opérations qui altéreront la qualité des eaux ou d'y exécuter tels travaux qui modifieront leur régime ? Non, certes, et l'autorité s'empresserait d'arrêter mes empiétements sur le droit de tous. Or, que font les propriétaires des forêts des montagnes, par un défrichement irréfléchi ? N'attaquent-ils pas directement le régime des rivières ? Leurs travaux ne tendent-ils pas à provoquer des débordements qui désoleront les terres de la plaine, et le droit de tous n'est-il pas sacrifié aux bénéfices temporaires de quelques-uns ? - On voit, par ces simples observations que des lois qui régleraient le déboisement des montagnes ne seraient pas plus contraires au droit de propriété que celles qui régissent les professions insalubres. - Quant à leur utilité, elle est incontestable. »

Et plus loin :

« Nous ne saurions assez le répéter, c'est la destruction des forêts et le défrichement des montagnes qui sont les causes premières de tous nos désastres, par l'énorme accumulation des eaux et l'immense entraînement de matériaux qu'ils déterminent ; de là l'exhaussement progressif du lit des rivières et les changements continuels de celui des torrents ; les sinuosités, les rapides, les bancs de graviers ; les débordements dans les grandes vallées et dans les plaines ; le prolongement des embouchures ; la durée éphémère des redressements, la ruine des digues et des travaux de défense que nous élevons à grands frais. »

Cette question a donc ému l'opinion publique, et je suis d'avis qu'elle est assez importante pour être examinée. Je demanderai ici incidemment que le gouvernement la fasse étudier par des hommes spéciaux, afin que nous soyons fixés sur l'importance des forêts, au point de vue de la salubrité publique et de tous ceux que signale la commission dans l'Exposé des motifs. Les inondations fréquentes qui affligent chaque année le pajs et qui causent à l'Etat et aux particuliers des pertes énormes, devraient faire l'objet d'études immédiates.

Dans l'état actuel des choses, quand je vois un très grand nombre d'hommes compétents indiquer le déboisement, surtout des pentes et des montagnes, comme une cause des inondations, il me semble tout naturel de demander l'interdiction de déboisements dans une situation topographique déterminée.

Je ne puis rapporter tout ce qui a été écrit sur cette matière tant en France qu'en Belgique, mais je citerai néanmoins l'opinion de quelques hommes éminents en diverses sciences.

M. Michel Chevalier, dans sou ouvrage : « Les Intérêts matériels de la France », constate les effets désastreux des déboisements opères sur les montagnes, et demande qu'on s'occupe activement d'y faire des plantations. M. Macarel, considérant les dangers de la dénudation des flancs (page 696) et des cimes des montagne, demandait que l'armée fut employée à faire de grands travaux de reboisement.

M. Arago a prouvé l'influence des forêts sur la salubrité et l'équilibre atmosphériques. Lors des discussions sur le régime forestier qui se sont produites si souvent devant les chambres françaises, il a été apporté de nombreux documents établissant la solidarité des forêts

M. Dugied, ancien préfet des Basses-Alpes, dans un remarquable mémoire sur le reboisement de cette contrée, prouve la nécessité de ce travail pour atténuer les désastres des torrents et des débordements. Le célèbre ingénieur français Fabre, dans son essai sur la théorie des torrents et des rivières, développe les propositions suivantes :

A. La destruction des bois qui couvraient les montagnes est la première cause de la formation des torrents.

B. Les défrichements sur les montagnes sont la seconde cause de la formation des torrents.

C. Le premier désastre produit par les deux causes dont nous venons de parler est la ruine de nos forêts.

D. Le second désastre est l'anéantissement en une infinité d'endroits de la couche végétale qui couvrait nos montagnes.

E. Le troisième désastre est la ruine des domaines qui sont le long des rivières.

F. Le quatrième désastre est le dommage qu'éprouve la navigation des rivières par les divisions qui sont la suite de fortes crues.

G. Le cinquième désastre consiste daus les contestations que les divisions des rivières font naître entre les propriétaires riverains opposés.

H Le sixième désastre résulte des dépôts qui se forment à l'embouchure des fleuves et qui interceptent souvent la navigation ;

I. Enfin le septième désastre consiste dans la diminution des sources qui alimentent les fleuves et les rivières dans leur état ordinaire.

Pour remédier à ces désastres, il dit : « Un défrichement ne devrait jamais, sous quelque prétexte que ce fût, être permis sur le penchant d'une montagne ».

M. Elie de Beaumont, géologue français, M. de la Bêche établissent, par leurs travaux si estimés, que la conservation des forêts sur les pentes et les montagnes est indispensable dans l'intérêt de la société, et que la disparition de ces forêts amène des changements désastreux de la surface du sol.

Faut-il encore rapporter les considérations émises sur le même sujet par M. Ladoucette, ancien préfet des Hautes-Alpes (Essai sur la topographie des Hautes-Alpes) ; de M. Hericart de Thury, célèbre agronome (Potamographie des cours d'eau du département des Hautes-Alpes) ; de M. Delafont, inspecteur des eaux et forêts (Mémoire sur l'état des forêts des Alpes) ; de M. Puvis, le savant agronome, président de la société d'émulation de l'Ain ? Faut-il y joindre les écrits et les travaux du célèbre Brémontier, qui a fixé les dunes de Bordeaux par des plantations, pour vous démontrer l'influence des forêts sur la fixation du sol ?

MM. Duchesne, inspecteur forestier, Jemiot et Rigo ont publié sur les défrichements un mémoire qui a été inséré au Moniteur belge le 17 janvier 1844, et sur lequel je ne puis assez appeler l'attention de la législature. J'y ai trouvé de puissantes considérations présentées avec une grande science à l'appui du système que je préconise.

A côté de ces témoignages, de ces opinions qui émanent de tant d'illustrations compétentes, plaçons maintenant les faits, et ne sont-ils pas assez frappants en Belgique dans les vallées des rivières torrentueuses, la Vesdre, l'Ourthe, la Sambre même et la Meuse ? Est-il bien nécessaire pour appuyer mon amendement, de remonter insensiblement jusqu'à la célèbre ordonnance de 1669 de Colbert ?

En France, actuellement, on n'est pas disposé à livrer au défrichement les crêtes des montagnes boisées. Il y a à peine un mois, un publiciste distingué, M. d'Esterno, examinant le programme des chambres consultatives d'agriculture élaboré pour les comices, par les sociétés et le congrès central agricole dans sa session de 1851, s'exprimait comme suit sur le reboisement : il y a trop de plaines boisées et trop de pentes dénudées. Il s'agirait de déplacer les bois et de les reporter sur les montagnes. Les terrains en pente ne supportent pas le déboisement. Les pluies entraînent l'humus, et le sol demeure incultivable. »

C'est ainsi que la question de l'émancipation du sol forestier en général est posée en France par le congrès agricole lui-même ; aucune autorité quelconque ne demande cette émancipation pour les forêts des montagnes et des pentes rapides.

Il me reste à vous faire voir, messieurs, de quelle manière cette même question de l'émancipation du sol forestier appartenant à l'Etat et aux communes, a été posée en Belgique dès l'année 1846, par notre commission centrale d'agriculture d'une part, et au sein de la législature d'autre part, en 1847.

J'ouvre le bulletin du conseil supérieur d'agriculture publié par les soins du département de l'intérieur, et je trouve que dans la séance du 30 avril 1846, MM. de Mathelin et d'Huart ont soumis à l'assemblée une motion tendant à exprimer à M. le ministre de l'intérieur le voeu que les forêts domaniales qui se trouvent situées sur des terrains de bruyères ne soient pas aliénées.

Après un débat d'où il résulte que le défrichement de forêts exerce sur les terres voisines la plus funeste influence, le conseil admet la proposition, etc.

Je consulte maintenait les Annales parlementaires et j’extrais les opinions qui ont été émises par plusieurs de nos collègues lors de la discussion de la loi sur le défrichement des terrains incultes. Dans la séance du 5 février 1847, l’honorable M. d’Hoffschmidt disait ;

« ... Le gouvernement, au lieu de favoriser le reboisement, s'occupe, en vertu d'une loi votée, il est vrai, par les chambres, de vendre nos forêts domaniales. Je me félicite, quant à moi, d'avoir toujours énergiquement résisté à toute proposition de cette nature. Il est maintenant généralement reconnu que le déboisement des hauteurs est une véritable calamité, ainsi que l'honorable M. de Tornaco l'a démontré naguère encore dans un discours très remarquable. Le déboisement des hauteurs amène des calamités de tous genres, entre autres ces inondations affligeantes qui désolent si souvent la France, et qui ont déjà désolé nos contrées ... »

Dans la même séance et sur le même sujet, l'honorable M. Orban s'exprimait ainsi :

«.....Je ne connais pas la Campine, pas plus que M. le ministre de l'intérieur, qui veut vendre nos terrains communaux, qui veut priver nos pauvres habitants de leur ressource la plus précieuse, ne connaît le Luxembourg, pas plus que mon honorable ami, M. le miuistre des finances, ne connaît la même province, lui qui fait vendre et livre à la destruction nos forêts, alors que la députation permanente a déclaré à chaque page de son rapport que la conservation de nos forêts est une question de vie et de mort pour le Luxembourg ; alors qu'elle a déclaré que là où les forêts disparaissent, la culture devient à jamais impossible ; alors qu'elle a demandé avec instance la création d'abris boisés, qui sont aussi indispensables au Luxembourg que les canaux et les irrigations le sont à la Campine…»

Je pourrais multiplier des citations de ce genre, mais je m'arrête, messieurs, parce que je pense que l'amendement que j'ai l'honneur de vous soumettre est assez légitimé. Si l'on me prouve que je suis dans l’erreur, si on peut m'opposer des autorités plus grandes et plus compétentes que toutes celles sur lesquelles je m'appuie, je le retirerai bien volontiers ; mais jusque-là je le maintiens.

M. Coomans. - Messieurs, l'honorable M. de Perceval a dit d'excellentes choses à l'appui de son amendement. Je crois qu'il n'est pas contestable que l'existence des forêts sur les hauteurs intéresse la Belgique tout entière ; reste à savoir si le respect dû au principe de la propriété, respect que nous professons tous, peut se concilier avec l'amendement de l'honorable membre.

Je réserve à cet égard mon opinion, pour me prononcer quand j'aurai entendu ceux de mes honorables collègues qui se proposent de prendre la parole, car je ne me suis pas préparé sur cette question. Mais l'idée me vient qu'on pourrait atteindre régulièrement et facilement le but que l'honorable membre a en vue.

Pourquoi ne décréterions-nous pas que toute plantation faite sur des hauteurs indiquées par l'administration forestière serait exempte de tout impôt foncier pendant un certain nombre d'années, 25 à 35 ans, par exemple ? Rien ne s'opposerait à ce que cette faveur fût accordée à ces plantations. Le mot « faveur » même ne serait pas juste, puisqu'il est reconnu que ces plantations sont d'utilité générale, qu'il y a intérêt pour l'Etat de les conserver. A ce point de vue, on pourrait dire que l'exemption d'impôt devrait durer aussi longtemps que l'existence des bois sur les hauteurs serait nécessaire, en d'autres termes, pendant des siècles encore, sinon toujours.

Les propriétés bâties sont exemptes de l'impôt foncier pendant 8 ans. Cependant il n'y a pas utilité publique à ce que le nombre des maisons s'augmente indéfiniment. Sans doute il y a utilité, en ce sens que c'est un accroissement de la fortune nationale ; mais l'utilité n'est pas aussi évidente que dans la question qui nous occupe.

Si je n'étais pas pris à l'improviste, je rédigerais une proposition dans ce sens. Je sais qu'il faudrait que le gouvernement prît des précautions, pour enlever à cette mesure l'apparence même d'un privilège. (Interruption.) Je voudrais, messieurs, que ces précautions fussent telles qu'aucun privilège n'existât.

Dans la Campine, il est reconnu de tous que ce qui fait surtout défaut ce sont les bois sur les hauteurs, les abris contre les vents du nord et de l'est. Aussi longtemps que les hauteurs de la Campine ne seront pas boisées, le défrichement sera entravé, pour ne pas dire qu'il restera impossible dans diverses localités. Les vents, les eaux détruisent d'avance l'espoir du défricheur. Chacun sait que si l'on pouvait parvenir à boiser les hauteurs des arrondissements de Turnhout et de Hasselt, on parviendrait bien plus facilement à la création de terres arables et de prairies. Il n'y a qu'une voix là-dessus. Des lors la question semble résolue. Quand l'Etat distribue des subsides pour favoriser les plantations, il doit, pour être logique, les exempter de charges fiscales.

Je ferai remarquer, à l'appui de cette idée, que ces hauteurs ne produisent rien ou presque rien au fisc. Ce sont des sables stériles où absolument rien ne pousse.

Il n'y aurait donc pas de perte pour le trésor à affranchir de tout impôt foncier les plantations a faire sur ces hauteurs.

J'indique l'idée : si elle rencontre quelque sympathie dans l'assemblée, je me joindrai volontiers aux honorables collègues qui la partageraient pour la formuler en proposition.

Je désire donc que le gouvernement et l'honorable rapporteur de la commission spéciale veuillent répondre un mot aux observations que j'ai eu l'honneur de leur adresser plus spécialement.

(page 697) M. Orts, rapporteur. - Les développements de la proposition de l’honorable M. de Perceval tendraient à justifier toute autre chose que la proposition même, c'est-à-dire une interdiction absolue des défrichements ou des aliénations de tous bois et forêts quelconques. Si la mesure que réclame l'honorable M. de Perceval, au nom de l'intérêt public, et qu'il élève à la hauteur d'une mesure de salut public, était admise, il faudrait aller aussi loin.

Or, l'honorable M. de Perceval ne le demande pas ; les deux commissions qui ont examiné le projet ont reculé devant cette nécessité par de bonnes et excellentes raisons qu'on peut très facilement apprécier.

Il n'entre dans la pensée de personne de nier l'utilité des forêts sur les élévations de terrain .Tout le monde reconnaît que c'est une bonne chose que de voir ces terrains-là boisés.

La question est de savoir s'il faut, en vue de maintenir cette bonne chose, défendre d'une manière absolue tout défrichement, c'est-à-dire empêcher qu'une hauteur quelconque boisée vienne à se déboiser.

La propriété privée, les habitudes, les traditions de cette propriété dans notre pays permettent-elles de semblables restrictions, alors qu'il s'agit de biens appartenant à des particuliers et qui sont entre leurs mains, dans toute autre circonstance, des biens de libre disposition absolue ? Interrogeons l'expérience.

Dans notre pays il a, messieurs, existé sous ce rapport une prohibition apportée à la suite de ces lois étrangères, qui font la base de notre législation forestière.

Q.u'est-il arrivé de cette prohibition qui embrassait jusqu'aux bois particuliers ? Il est arrivé que tout le monde en Belgique, pendant à peu près trente-sept ans, a été d'accord pour ne pas invoquer le bénéfice de la disposition, ce qui tend à démontrer qu'en Belgique les dangers du déboissement qu'on signalait à votre attention, n'ont pas le caractère d'importance qu'on leur attribue dans d'autres pays qui ne sont pas dans les mêmes conditions physiques que la Belgique.

Depuis 1814 jusqu'en 1852, l'administration forestière aurait pu mettre obstacle à la faculté de défricher chez les particuliers ; tous les juristes qui se sont occupés du droit forestier chez nous, et je citerai entre autres une autorité respectable, M. Tielemans, l'auteur du Répertoire du droit administratif de Belgique, ont été d'accord pour reconnaître que l'arrêté de 1814 avait rendu permanente la prohibition provisoire de défricher pendant 20 ans, qui se trouvait dans la loi de floréal XI.

Eh bien, malgré cette opinion, depuis 1814 personne n'a mis obstacle aux défrichements.

A t-on réclamé ? On vous a cité quelques brochures, dans lesquelles se trouvent des considérations défavorables au déboisement. J'admets ces considérations comme vraies en théorie ; mais je ne vois pas que nos populations intéressées, que celles-là mêmes qui souffrent des inondations, aient été parfaitement d'accord avec les savants qui s'occupent de la question dans leur cabinet, pour attribuer aux déboisements les résultats fâcheux signalés dans d'autres pays.

Pourquoi, dans d'autres pays, les conséquences du déboisement sont-elles si graves et pourquoi a-t-on eu tort d'étudier la question au point de vue de notre pays, chez les savants, chez les ingénieurs, chez les agronomes appartenant à ces autres pays ? La raison est simple. Le déboisement dans un pays aussi peu montagneux que la Belgique, où les montagnes ont si peu d'élévation et si peu d'étendue, ne peut avoir les résultats déplorables que signalent les auteurs français qui étudient la question, non pas au point de vue des collines qui couvrent une faible partie du sol de la Belgique, mais qui l'etudient dans les pays montagneux comme les départements des Hautes et des Basses-Alpes, ou dans les départements qui avoisinent les Pyrénées.

Vous comprenez que la les déboisements des montagnes ont un caractère d'importance et de généralité qu'ils n'ont pas dans notre pays.

En définitive, ces considérations pour nous sont hors de cause. L'honorable M. de Perceval ne demande qu'une chose : que l'on puisse défricher et aliéner les bois et forêts soumis au régime forestier seulement et qui se trouvent dans les conditions que son amendement indique.

Quel est maintenant, à l'égard des bois soumis au régime forestier, la position des propriétaires quant à la liberté d'aliénation et de défrichement ?

Pour les bois du domaine, pour les bois de l'Etat, il est impossible d'aliéner sans l'intervention de la législature ; il est impossible de défricher aussi sans son intervention. Or, chaque fois qu'il s'agira d'une autorisation à accorder au gouvernement d'aliéner ou de défricher, on pourra apprécier dans le parlement, pour ce cas spécial, si le déboisement, le défrichement ou l'aliénation, qui rend possible le défrichement ultérieur, si tout cela peut ou non avoir des inconvénients.

Restent les bois des établissements publics et des communes, les seuls qu'avec les bois du domaine, l'amendement de l'honorable M. de Perceval veut atteindre.

M. de Perceval. - Ce sont ceux-là que je veux atteindre particulièrement.

M. Orts, rapporteur. - Pour ces bois-là, il y a des formalités administratives et des garanties dans l'intervention, dans le contrôle de l'autorité supérieure sans le consentement de laquelle ni aliénation, ni défrichement ne peuvent être opérés aux termes de la loi en discussion, comme aux termes de la loi générale sur l'aliénation des biens appartenant à ces êtres moraux.

Y a-t-il utilité quelconque à ne pas laisser le gouvernement appréciateur de chaque cas ? Y a-t-il utilité quelconque à tracer une règle invariable pour ces lois-là dans le Code forestier ? Voilà où se réduit l’amendement. Je ne le pense pas. Pourquoi ? Parce que, quelles que soient les opinions sur le mauvais côté du déboisement, personne n'a jamais envisagé la question à un point de vue aussi absolu que l'envisage l'honorable M. de Perceval. Jamais, par exemple, en France, on n'a demandé de défendre d'une manière absolue, fixe, invariable, le défrichement ou l'aliénation des bois et forêts dans certaines conditions de situation. On on a toujours voulu laisser le gouvernement juge de la question de savoir si l'on pouvait dans tel cas déterminé, pour telle ou telle aliénation, malgré la conformation du sol, malgré la pente ou l'élévation, y procéder sans danger, sans mesures restrictives, sans mesures de précaution.

Le Code forestier français permet partout les défrichements avec l'autorisation du gouvernement. La loi française, depuis 1827, laisse les choses à l'appréciation individuelle du ministre dans chaque cas particulier.

Lorsqu'on s'est préoccupé de cette question du défrichement dans des temps plus rapprochés de nous que ceux qui se rapportent à la confection du Code forestier, par exemple, après les grandes inondations du midi dans les départements montagneux, lorsqu'on était encore sous l'influence de cette panique dont parlait tout à l'heure l'honorable M. de Perceval, a-t-on cru devoir aller plus loin ? Jamais. Un projet de loi fut présenté à la chambre des pairs le 12 février 1846 par M. Lacave-Laplagne ; il avait pour objet de rendre simplement définitive, au lieu de temporaire, l'interdiction de défricher sans la permission du gouvernement, qui était dans le Code forestier de 1827, disposition dont la force obligatoire cessait en 1847.

A-t-on demandé dans la chambre alors ce que l'honorable M. de Perceval demande aujourd'hui, c'est-à-dire l'interdiction absolue de défricher ? Non, messieurs ; éclairé par l'expérience, on s'est borné à demander que le gouvernement pût continuer à autoriser ou à ne pas autoriser le défrichement. Or, c'est là la disposition que le projet de Code forestier consacre, en ce qui concerne les bois des établissements publics et des communes ; l'amendement de l'honorable M. de Perceval n'est pas nécessaire pour cela.

Mais ce projet de loi du 12 février 1846 a été, devant la chambre des pairs, assemblée composée en grande partie de propriétaires très aptes à apprécier ces sortes de questions, a été l'objet de critiques précisément en sens inverse de l'opinion qui est aujourd'hui formulée par l'honorable M. de Perceval.

On a trouvé que le gouvernement allait beaucoup trop loin, tout en demandant bien moins que l'amendement de l'honorable M. de Perceval ; tout en demandant pour l'Etat la prolongation du pouvoir d'autoriser ou de pas autoriser le défrichement, on a demandé que cette autorisation ne fût exigée que pour les bois en montagne, et l’on a demandé la liberté la plus complète pour les bois en plaine.

Voilà ce que demandait, par l'organe de M. Beugnot, la commission de la chambre des pairs. Devant cette opposition, le projet n'a pas eu de suite.

L'on a maintenu en 1847 par une loi temporaire et d'expédient les dispositions du Code forestier pour trois années. Depuis lors, de trois en trois ans, la même disposition est maintenue jusqu'en 1853. En définitive, donc, on n'a jamais à aucune époque en France, malgré ce que vous connaissez de l'état des esprits en ce pays, par les citations de l'honorable préopinant, on n'a demandé ce que l'honorable M. de Perceval voudrait voir introduire en Belgique, alors que les inconvénients sont incontestablement moindres en Belgique qu'en France.

Il est une chose qu'il ne faut point perdre de vue, une chose reconnue par les hommes spéciaux dont l'honorable M. de Perceval a parlé, c'est que la faculté de défricher librement en toute situation n'est pas précisément la cause la plus considérable de la disparition des forêts chez nous.

Beaucoup de gens, si les forêts n'étaient pas une propriété en apparence moins garantie, moins protégée par notre législation que toute autre, se mettraient à boiser. Or, notre Code forestier est précisément fait pour donner à la propriété boisée en Belgique cette garantie, cette sécurité qu'on croit lui manquer.

Messieurs, cette observation ne m'est pas personnelle. Je l'ai consignée dans le rapport, mais je l'ai empruntée à une autorité à laquelle le gouvernement a soumis, comme le disait M. de Perceval, l'étude de la question des déboisements. En 1849, le conseil supérieur d'agriculture a répondu à cet appel du gouvernement, par l'organe d'un de ses membres, et M. Gihoul, son rapporteur, disait : « L'effet des déboisements serait moins sensible et les conséquences moins à redouter, sans l'état de dégradation et d'appauvrissement des forêts qui ont été épargnées. Ce mal est le plus grand de tous. »

Ce principe gît, d'après la même autorité, dans la négligence de l'administration, dans l'abus des usages et dans le maraudage ; et M. d'Omalius qui certes est une autorité parfaitement compétente dans ces matières, tant à raison de ses études spéciales, qu'à raison de la localité à laquelle il appartient, M. d'Omalius ajoutait, dans la discussion qui suivit ce rapport : « Quantité de coteaux, dans les provinces de Liège, de Namur et de Luxembourg, ne tarderaient pas à être boisés, si les propriétaires étaient sufiisamment protégés par la loi. »

Cette protection, nous la donnons aujourd'hui par le Code que nous discutons, et je crois qu'il sera sufiisamment efficace pour le maintien (page 698) des forêts dans les localités que M. de Perceval ne veut pas voir déroder.

Nous ne repoussons pas, messieurs, les idées de l'honorable M. de Perceval, elles sont justes en théorie, mais nous repoussons uniquement l'application inflexible de ces idées à tous les cas imaginables sans permettre au gouvernement, qui doit appliquer la loi, d'apprécier bs circonstances particulières comme cela se fait dans tous les pays.

L'honorable M. Coomans me fait observer que je n'ai rien répondu à ses observations. Les observations de l'honorable M. Coomans sont des conseils qu'il adresse au gouvernement. Quant à l'encouragement de la culture des bois, à la création de forêts nouvelles moyennant une exemption de la contribution foncière ; c'est une idée à étudier ; mais, simple rapporteur, je ne puis engager le gouvernement dans une question financière de cette espèce, mon opinion officielle ne serait d'aucune valeur, on me dispensera de la donner. Quant à mon opinion personnelle, j'avoue que la question n'est point assez étudiée par moi pour que cette opinion mérite d'être présentée à la chambre. Ce sont des idées neuves que M. Coomans met en avant, on les examinera.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne pense pas que l'idée soit neuve, car ce que demande M. Coomans se trouve dans la loi de 1847.

M. Coomans. - Je crois la disposition bonne.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est aussi pour cela que je la rappelle, je crois que cela est consacré ; au reste, si cette disposition n'existait pas, elle trouverait mieux sa place dans une loi financière que dans un Code forestier.

- La discussion est close.

L'amendement de M. de Perceval est mis aux voix, il n'est pas adopté.

L'article 101 est ensuite adopté.

Article 102

« Art. 102. Faute par les contrevenants d'effectuer le repeuplement de la partie défrichée dans le délai de deux années, il y sera pourvu, à leurs frais, par les soins de l'administration forestière, en vertu du jugement qui aura prescrit le semis ou la plantation. Le recouvrement de ces frais sera poursuivi par les mêmes voies que le recouvrement des autres condamnations. »

Le gouvernement se rallie à la rédaction de la commission.

- Cet article est adopté.

Article 103

« Art. 103. L'essartage, dans les bois de l'Etat, des communes et des établissements publics, autres que les haies à sart d'essence chêne à désigner par l'administration forestière, ne pourra avoir lieu que comme moyen préparatoire au repeuplement, d'après la reconnaissance des agents de cette administration, qui en constateront la nécessité et indiqueront le mode d'essartement à employer ainsi que les travaux d'amélioration à exécuter. »

La commission propose la suppression de cet article.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'essartage dans les bois de l'Etat, des communes et des établissements publics est complètement défendu. La commission propose de supprimer cet article parce que, d'après l'article 104, l'essartage ne peut être opéré sans l'autorisation du ministre. Je puis consentir à la suppression de cet article, la disposition de l'article 104 ne permettant pas l'essartage sans autorisation du gouvernement. »

- La suppression de l'article 103 est prononcée.

Article 104

« Art. 104. Aucun essartage ne pourra être opéré sans l'autorisation du Ministre, dans les bois du domaine ou indivis, et sans l'autorisation de la députation permanente du conseil provincial, sur l'avis de l'administration forestière, dans les bois des communes et des établissements publics.

« En cas de dissentiment entre l'autorité provinciale et l'administra tion forestière, le Roi prononcera. »

Le gouvernement se rallie à la rédaction de la commission.

MM. Moncheur et Thibaut demandent la suppression du deuxième paragraphe de l'article.

M. Moncheur. - Messieurs, l'article 104 porte d'abord qu'aucun essartage ne pourra être opéré, sans l'autorisation du ministre, dans les bois du domaine. Je donne mon assentiment à cette disposition, elle est naturelle. Mais cet article ajoute, quant à ce qui concerne les bois des communes et des établissements publics, qu'en cas de dissentiment entre la députation permanente et l'administration forestière sur la question d'essartage, le Roi décidera.

Or, je ne puis admettre cette disposition nouvelle.

Je crois que ce qui existe aujourd'hui doit être maintenu, c'est-à-dire que la députation permanente doit être seule appelée à autoriser ou à ne pas autoriser l'essartage dans les bois communaux.

Cette attribution est conforme à l'esprit et à la lettre de la loi communale qui veut que tout ce qui concerne le mode de jouissance des biens communaux soit réglé par l'autorité communale sous l'approbation de la députation permanente. C'est cette dernière autorité qui, comme tutrice naturelle et légale des communes, est apte à juger s'il est ou non de l'intérêt de la commune d'opérer l'essartage dans les coupes de bois communaux. Je ne veux pas que l'on restreigne, sous ce rapport encore, comme on aime tant à le faire, les pouvoirs de l'autorité provinciale au profit de la centralisation. Ainsi que je l'ai dit dans la discussion générale, nous devons, tout au moins, maintenir intactes les libertés et les franchises communales et provinciales, sinon les étendre.

Que fait le paragraphe 2 de l'article en discussion ? Non seulement il contient une disposition contraire à l'esprit et à la lettre de la loi communale, mais il est basé sur l'idée fausse que les députations autorisant trop légèrement l'essartage dans les bois communaux ou des établissements publics. Jamais ces essartages ne sont autorisés qu'après mûr examen et avec la garantie de cahiers des charges excessivement détaillés et où toutes les précautions possibles sont prises pour éviter les inconvénients qui pourraient résulter de cette opération.

Quant à cette opération en elle-même, elle est très bonne ou très mauvaise suivant qu'elle est bien faite ou mal faite, ou suivant la nature du terrain dans lequel on la pratique. Si elle est bien faite et dans un terrain convenable, elle est très favorable à la recroissance du bois, car elle a pour résultat de détruire les plantes parasites qui nuisent au développement des souches ; si, au contraire, elle est mal faite, par exemple, si on enlevait le gazon trop près des souches, si on plaçait les feux trop près de ces dernières, l'opération deviendrait funeste. Mais les cahiers des charges étant bien rédigés, les abus ne peuvent avoir lieu si la surveillance est convenablement exercée par les gardes forestiers.

L'administration forestière a donc tous les moyens de s'assurer que toujours l'opération, loin d'être nuisible au bois, lui sera profitable. D'ailleurs, je ferai remarquer qu'en règle générale, les députations n'autorisent l'essartage qu'après une double révolution des coupes, c'est-à-dire après un intervalle de 36 à 40 ans, puisque les coupes sont généralement aménagées à 18 ou 20 ans. Quelquefois l'aménagement est même beaucoup plus long. Sous ce rapport encore, l'essartage ne peut être nuisible, et en fait, il est complètement inutile d'armer l'administration centrale du pouvoir que l'article 104 lui veut donner.

Veuillez remarquer aussi, messieurs, que ce serait introduire une singulière règle en droit administratif, que de donner aux agents forestiers qui sont des fonctionnaires publics et non point des autorités constituées, le droit de se pourvoir contre les décisions de l'autorité provinciale.

L'administration forestière et la députation provinciale ne sont pas deux autorités équipottentes. La députation provinciale porte des décisions, mais les agents forestiers ne donnent que des avis ; or, on ne forme pas appel d'un avis ; on n'appelle que d'une décision, d'une délibération émanée d'une autorité constituée. La disposition que je combats introduirait donc dans notre législation administrative un principe tout à fait anormal.

D'ailleurs, l'article 126 de la loi provinciale suffit pour sauvegarder tous les intérêts. Aux termes de cet article, si le gouverneur trouvait que la députation a pris une décision contraire à l'intérêt général (car ce n'est que dans l'intérêt général qu'on veut réserver le droit d'appel au gouvernement), si le gouverneur, dis-je, croyait cela, eh bien, il aurait toujours le droit de prendre recours au Roi, en le notifiant à la députation. Voilà la marche tracée par la loi, et qu'on peut suivre dans ce cas comme dans tous les autres.

Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait restreindre les pouvoirs accordés jusqu'à présent à l'autorité provinciale, en la mettant constamment sous le coup d'un appel au Roi de la part de l'administration forestière. C'est ravaler l'autorité de la députation permanente. Restons donc dans les termes généraux admis par notre droit administratif pour le recours contre les décisions de la députation qui pourraient blesser l'intérêt général.

Ces considérations justifient amplement, je pense, la proposition que j'ai eu l'honneur de faire avec l'un de mes honorables collègues.

M. Lelièvre. - Pour moi, je ne vois aucun inconvénient à maintenir l'article tel qu'il est proposé par le gouvernement. L'essartage change la nature de la jouissance, il peut porter une atteinte notable à la propriété. Or, il ne s'agit que du cas où l'administration forestière n'est pas d'accord avec la députation permanente. N'est-il pas naturel que les pouvoirs tuteurs-nés des intérêts des communes n'étant pas d'accord entre eux, un troisième pouvoir vienne trancher le différend ? Ici le dissentiment existe entre les autorités chargées de la surveillance des intérêts communaux ; dès lors on conçoit qu'en ce cas l'autorité supérieure appelée à statuer en général sur le mérite des ordonnances des députations doive intervenir. Le recours autorisé par l'article est un véritable pourvoi qui rentre dans l'esprit du droit commun.

M. Thibaut. - Messieurs, j'ai demandé avec l'honorable M. Moncheur, la suppression du deuxième paragraphe de l'article 104.

L'honorable M. Lelièvre vient de dire qu'il n'y aura lieu d'appliquer la disposition de ce paragraphe que dans des cas spéciaux, dans les rares circonstances où l'administration forestière ne sera pas d'accord avec l'administration provinciale. Mais je ferai observer que ces cas spéciaux formeront bientôt la règle générale ; car soyez convaincus que l'administration forestière sera toujours portée à se prononcer contre l'essartage.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je l'espère bien ainsi.

M. Thibaut. - L'interruption de M. le ministre de la justice est la confirmation de mes paroles.

Je ne suis pas non plus un grand partisan de cette opération.

Je sais que, dans certaines forêts, l'essartage peut faire beaucoup de tort ; mais il y a aussi des localités où l'essartage, sans être nuisible à la production forestière, offre une grande ressource pour les habitants. C'est ainsi qu'ils trouvent une partie des céréales nécessaires à leur subsistance et la paille indispensable pour l'engrais de leurs terres.

On ne peut donc prohiber l'essartage dans tous les cas, et c'est à ce (page 699) résultat que tend la disposition que je critique. Je ferai remarquer aussi que les administrations communales doivent être considérées comme assez bons juges dans cette affaire ; elles ne demandent pas, en règle générale, à faire l’essartage dans les bois où il serait dangereux, et si elle le font, l’administration provinciale, qui est la tutrice naturelle et le guide des commune,s ne donne pas l’autorisation réclamée. Cette garantie me paraît suffisante.

Je pourrais, messieurs, vous citer différents cas où l'administration forestière a poussé l'opposition à l'excès, où elle a usé de tous les moyens en son pouvoir, pour empêcher l'essartage, alors qu'il ne pouvait pas nuire. C'est pourquoi je désire que l'administration forestière ne soit pas appelée à contre-balancer, dans ces affaires, le poids des autorités communales et provinciales.

Si le deuxième paragraphe est maintenu, qu'en résultera-t-il ? Que toujours le gouvernement décidera. C'est encore un nouveau moyen de centralisation contre lequel, pour ma part, je proteste.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - De tous les moyens de destruction des forêts un des plus actifs est bien certainement l'essartage. Si la chambre admettait la suppression proposée par M. Moncheur et appuyée par M. Thibaut, elle détruirait en grande partie l'effet que nous avons cherché à produire par le Code forestier.

L'essartage ne peut être employé sans danger que dans les haies à écorces. Dans tous les autres bois, où une certaine réserve doit être laissée, l'essartage fait le plus grand mal. Je ne sais si tous les membres de la chambre savent exactement ce que c'est que l'essartage : il consiste à prendre la partie supérieure du sol et à la brûler, c'est-à-dire à réduire en cendres la partie du sol qui contient les gaz les plus précieux.

Partout où il y a une réserve, le feu touche le pied des arbres destinés à la réserve ; il y a toujours des souches qui périssent.

M. Moncheur. - C'est que l'essartage est mal fait.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est un moyen d'exploitation très dangereux, précisément parce que l'essartage est toujours mal fait ; parce que l'on ne peut mettre un garde pour empêcher le feu de toucher au pied des arbres de la réserve. C'est pour cela qu'il doit être proscrit.

Je demande donc le maintien de la disposition de l'article 104, tel qu'il est proposé.

Je ne puis admettre que la députation seule ait le droit d'autoriser l'essartage. Quand l'administration forestière s'y opposera (et j'espère qu'elle le fera presque toujours ) il est nécessaire que ce soit le Roi qui décide.

Certainement, j'admets que la députation soit tutrice des communes. Mais il y aura chez elle propension à autoriser, à la demande des communes, ce qui peut présenter de grands inconvénients, dans l'avenir, pour les bois qui sont la propriété non seulement de la génération actuelle, mais encore des générations à venir.

Je maintiens donc l'article, tel qu'il est proposé.

M. Orban. - M. le ministre de la justice vient de reconnaître que les inconvénients de l'essartage ne s'appliquent pas à l'essartage des haies à écorce. J'avais demandé la parole, avant qu'il eût fait cette observation pour constater le même fait. On ne peut prétendre que l'essartage détruise les haies à écorce ; car de tout temps, elles ont été soumises à cette opération, et cela n'a pas empêché qu'elles n'aient pris un grand accroissement et qu'elles ne se trouvent en général dans un excellent état.

Maintenant, je dois dire que, dans la province du Luxembourg, la seule dont je connaisse les habitudes, je ne connais pas d'autres bois que les haies à écorce qui soient soumises à l'essartage.

J'ajouterai que cette pratique est pour ainsi dire générale, et surtout qu'elle est éminemment profitable ; car c'est elle qui procure aux habitants une grande partie des céréales nécessaires à la nourriture des habitants.

Les choses étant ainsi, je me demande s'il ne serait pas trop rigoureux d'appliquer la disposition que nous discutons et qui comporte l'autorisation royale à l'essartage de toute espèce de bois.

Dans l'article précédent, dont la chambre vient de prononcer la suppression, on avait reconnu la convenance de faire une exception, en faveur des haies à écorce, à la règle introduite pour l'essartage en général. On avait dit : « L'essartage dans les bois de l'Etat, des communes et des établissements publics, autres que les haies à sari d'essence chêne, etc.»

Eh bien, je demande que, dans tous les cas, si vous voulez maintenir les formalités que vous avez introduites dans l'article 104, on y introduise au moins l'exception qui se trouvait dans l'article 103 et que l'on dise : « Aucun essartage, dans les bois autres que les haies à sart d'essence chêne, ne pourra être opéré, etc. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - A désigner par l'administration forestière.

M. Orban. - Soit. L'exception de l'article 103 qui disparaît, puisque cet article 103 est supprimé, serait ainsi reproduite dans l'article 104. J'aurai l'honneur de faire une proposition et de déposer un amendement dans ce sens.

M. Orts, rapporteur. - Messieurs, le maintien de l'art. 104 par la commission a été déterminé par les considérations qu'a fait valoir tout à l'heure M. Lelièvre et celles qu'y a ajoutées M. le ministre de la justice.

La commission ne peut accepter la modification proposée par l'honorable M. Moncheur à cet article, modification qui aurait pour effet d’étendre la faculté de l’essartage au-delà de ce que nous entendons permettre.

L'essartage partout, sauf dans la province de Namur, est considéré comme une opération des plus détestables et des plus dangereuses. Il est possible d'atténuer le danger avec de grandes précautions. Mais la chambre comprend combien les précautions sont difficiles, alors qu'il s'agit de laisser opérer le feu et le fer à la main dans une forêt par toute une population. L'essartage est considéré de cette façon partout ailleurs que dans la province de Namur. Je le répète, car je mets hors de cause les haies à écorces dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Orban. Celles-là appartiennent à un autre ordre d'idées ; je m'occupe de l'essartage que les articles 103 et 104 du projet avaient en vue.

Cet essartage que nous tolérons voir autorisé par le ministre dans certains cas exceptionnels est complètement interdit, est prohibé par le Code forestier français. L'administration n'a pas en France le pouvoir que nous consentons à lui accorder par l'article 104.

Dans les anciennes ordonnances du Luxembourg l'essartage était également l'objet d'une prohibition absolue. Le règlement de 1734 le disait ainsi.

La commission qui a préparé le projet de loi, composée d'hommes spéciaux, d'hommes compétents, a qualifié l'essartage comme nous le qualifions ici tout en défendant l'article 104.

S'il était possible de l'interdire d'une manière absolue sans froisser certaines habitudes avec lesquelles il faut compter en matière de législation, nous aurions été jusqu'où l'on nous disait d'aller pour être logiques, c'est-à-dire jusqu'à la prohibition absolue du Code forestier français. Je me rallie complètement sous ce rapport aux paroles qui ont été prononcées par M. le ministre de la justice, en déclarant qu'il espérait bien que l'administration forestière autoriserait très peu d'essartages dans l'avenir.

L'honorable M. Moncheur veut laisser l'appréciation des circonstances exceptionnelles dans lesquelles l'essartage pourra se faire, à la députation permanente, sans contrôle de l'autorité centrale, alors même que l'andministration forestière, c'est-à-dire la tutrice naturelle de cette propriété boisée dont nous nous occupons, viendrait proclamer, au nom de son expérience, que l'essartage est une chose dangereuse.

Remarquez, messieurs, combien dans un conflit d'opinion en cette matière, la prépondérance donnée à la députation est une chose contraire au but que nous voulons atteindre, c'est-à-dire contraire à la bonne police, à la bonne administration des forêts, à leur conservation.

Vous donneriez, dans le système de l'amendement de M. Moncheur, la prépondérance à un corps que je considère comme très respectable, comme très compétent, alors qu'il s'agit d'apprécier les intérêts provinciaux, mais qui n'est pas toujours composé d'hommes spéciaux, alors qu'il s'agit de décider des questions forestières, de déterminer un point aussi délicat que le point de savoir jusqu'où l'essartage peut être permis sans inconvénient. Les députations permanentes, même dans les provinces forestières, ne sont pas composées exclusivement ou en majorité de forestiers.

Les forestiers forment un élément qui y sera représenté, mais ce ne sera pas toujours un élément prépondérant.

L'administration forestière est au contraire dans ce cas l'autorité spéciale ; c'est un véritable expert en cette matière, et vous avez pour la contrôler, alors qu'elle voudrait aller trop loin, son supérieur, son chef immédiat et responsable, M. le ministre des finances.

Il y a quelque chose d'illogique, dit-on, à permettre que les décisions de la députation permanente soient contrôlées par une autorité telle que l'administration forestière. Il n'y a rien là au contraire que de logique et en parfaite conformité avec tout le système du Code forestier. L'administration forestière, lorsqu'elle débat des questions forestières, soit devant les tribunaux, soit devant les autorités administratives, est une véritable partie.

Nous lui donnons, à ce titre, action en justice ; nous la considérons comme partie pour la répression des délits forestiers.

Donnez-lui donc le droit d'aller se présenter devant l'autorité administrative, comme devant la justice, et vous serez parfaitement conséquents.

Vous ferez, du reste, conséquents ou non, une bonne chose ; vous simplifierez le mécanisme administratif et vous désignerez une autorité plus propre à décider les questions de ce genre, qu'un gouverneur auquel l'honorable M. Moncheur veut renvoyer la décision. Le gouverneur n'est pas plus une spécialité forestière que la députation.

L'honorable M. Lelièvre a du reste déjà répondu à cette objection, qui est en définitive la seule que l'on adresse à la disposition finale de l'article 104.

L'honorable M. Orban a attiré l'attention de la chambre sur un autre point. L'article 103, dont la suppression a été votée par la chambre, avait excepté des mesures prohibitives de l'essariage, les haies à sart d'essence chêne à designer par l'administration forestière. Là, et pour cette nature spéciale de bois, on voulait conserver l'état de choses actuel, qui accorde une liberté beaucoup plus grande que n'est la liberté que l'on veut accorder aux essartages proprement dits.

La commission chargée de préparer le projet de loi donne les raisons de cette différence, elle dit pourquoi elle ne place pas dans la catégorie des essartages proprement dits les exploitations de haies à sart, et (page 700) l’intention du projet a été de continuer, sous ce rapport, dans la législation future, ce qui est dans la législation présente. Telle est la pensée de l'exposé des motifs. Le gouvernement n'ayant pas donné à votre commission parlementaire des raisons de croire qu'il avait une opinion différente de celle qui est consignée dans l'exposé des motifs, nous nous sommes ralliés à cette manière de voir. Dans la pensée des deux commissions, et je ne crois pas que le gouvernement veuille maintenant autre chose, les haies à sart ne sont pas frappées par les dispositions du projet.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Les haies à sart à désigner par l'administration forestière, comme le dit l'article 103.

M. Orts, rapporteur. - Evidemment.

Ainsi les craintes de l'honorable M. Orban doivent être complètement calmées en présence des observations concordantes de la commission et du gouvernement.

M. le président. - Voici l'amendement présenté par M. Orban à l'article 104 :

« Aucun essartage ne pourra être opéré sans l'autorisation du ministre dans les bois du domaine ou indivis, autres que les haies à sart d'essence chêne désignées par l'administraiion forestière (le reste comme à l'article).

- L'amendement est appuyé.

M. Moncheur. - Messieurs, il y a un grand inconvénient à vouloir traiter toutes les parties du pays de la même manière, alors que les choses s'y passent d'une manière différente.

Ainsi les honorables députés du Luxembourg vous parlent de haies à écorces, c'est-à-dire de taillis qui ne consistent exclusivement qu'en essence chêne. En effet, voici ce qu'on fait dans la province de Luxembourg : on extirpe jusqu'à la dernière souche de toute autre essence que le chêne afin d'obtenir ce qu'on appelle des haies à écorce.

Dans la province de Namur, au contraire, on laisse croître toutes les essences pêle-mêle, de sorte que si vous permettez l'essartage pour les haies à écorce seulement et que vous ne le permettiez pas pour les bois, tels qu'ils existent dans la province de Namur, vous aurez accordé pour une province un privilège que vous aurez refusé à une autre, A moins que nos taillis d'essence mêlée ne soient assimilés, sous ce rapport, aux haies dites à écorces.

Je nie que, dans la province de Namur, l'essartage soit une opération aussi détestable qu'on le prétend. Il se peut, il est vrai, qu'elle soit parfois mal pratiquée, mais à qui la faute ? A l'administration forestière ; car il y a des cahiers des charges, et elle a les moyens de les faire exécuter.

Si l'on observe bien ces cahiers des charges, on ne pourra pas aller, comme l'a dit l'honorable rapporteur, avec le feu et le fer, détruire les forêts ; au contraire, l'opération pourra être alors extrêmement utile à la recroissance et au repeuplement de la coupe ; car on détruira les plantes parasites, et on ameublira le sol et on le disposera à la germination des semences qu'il pourra recevoir. Voilà l'effet de l'opération de l'essartage bien entendu. Oh ! je sais bien que si l'on brûle le gazon sur les souches, autant et mieux vaudrait défricher tout d'un coup le bois ; mais c'est l'abus de la chose, et c'est ce qu'on peut empêcher.

Ainsi, je ne pourrais admettre l'amendement de l'honorable M. Orban, que pour autant qu'il soit d'application dans la province de Namur et aux taillis d'essences mélangées qui s'y trouvent. C'est, du reste, sans doute ainsi qu'on l'entend.

Messieurs, dans certains terrains l'écobuage est une chose très connue en agriculture ; il est également bon en sylviculture, quand il est indiqué. On ne doit donc pas condamner cette opération d'une manière absolue.

Lorsqu'on laisse tout un intervalle de deux révolutions des coupes entre les essartages, les semences tombées des arbres pendant la révolution qui a suivi l'essartage ont eu le temps de germer et de devenir des brins qui sont respectés lors de l'essartage suivant.

L'honorable M. Lelièvre a dit que l'essartage était un acte qui changeait le mode de la jouissance des bois, que, par conséquent, il fallait bien que l'administration forestière eût le pouvoir de s'y opposer, et de prendre son recours auprès du gouvernement, contre la décision de la députation permanente. Mais, messieurs, il ne s'agit pas du tout de changer le mode ni la nature de la jouissance, par l'essartage ; il ne s'agit, au contraire, que de retirer un des produits du bois, et même un produit utile au bois et extrêmement précieux pour les habitants peu aisés des communes, puisque tout en favorisant le repeuplement des coupes, il fournit à ces habitants une récolte de céréales abondante et de pailles qui leur servent d'engrais pour leurs terrains.

Au surplus, je répète que le gouvernement trouve tous ses apaisements dans l'article 125 de la loi provinciale, parce que si le gouverneur qui a pris connaissance de tous les avis de l'administration forestière en même temps que la dépulation, juge que l'autorisation accordée par celle-ci blesse l'intérêt général, il peut se pourvoir auprès du ministre.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'amendement de l'honorable M. Orban se borne à reproduire dans l'article 104 une partie de la disposition de l’article 103 ; il tend à éviter pour les haies à sart d’essence chêne la nécessité de recourir toujours à la députation permanente ; c’est là aussi le système du gouvernement consacré par l’article 103, article qui a été suppirmé ; je crois pouvoir me rallier à cet amendement.

M. Orts, rapporteur, - Je propose de substituer aux mots : « Dans les bois du domaine ou indivis », ceux-ci ; « Dans les lois domaniaux et indivis. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je me rallie à ce changement.

M. Orban. - Je propose de modifier mon amendement de la manière suivante :

« Aucun essartage autre que celui des haies à sart d'essence chêne désigné par l'administration forestière, ne pourra être opéré, etc.»

- L'amendement de M. Orban est mis aux voix ; il est adopté.

L'amendement de M. Moncheur est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article, tel qu'il a été modifié, est mis aux voix ; il est adopté.

Article 105

« Art. 105. Quiconque essartera, en contravention aux articles précédents, sera puni d'une amende de 40 francs, par hectare essarté, sans préjudice des condamnations encourues pour les souches ou les arbres endommagés par le fer ou le feu. »

- Adopté.

Article 106

« Art. 106. Toute extraction ou enlèvement non autorisé, de pierre, sable, minerai, terre ou gazon, tourbe, bruyères, genêts, herbages, feuilles vertes ou mortes, engrais existant sur le sol des forêts, glands, clanes et autres fruits ou semences, des bois et forêts, donnera lieu à des amendes qui seront fixées ainsi qu'il suit :

« Par voiture ou tombereau, de 10 à 30 francs pour chaque bête attelés ;

« Par chaque charge de bête de somme, de 5 à 15 francs ;

« Par chaque charge d'homme, de 2 à 6 francs. »

M. de La Coste. - Je demanderai si ce ne serait pas ici le lieu d'examiner une proposition qui a été faite, je crois, dans la discussion générale. On a fait observer avec raison que le moyen le plus efficace ou du moins le plus équitable d'empêcher le défrichement exagéré des bois et forêts était d'en rendre la position plus avantageuse soit par des faveurs fiscales, comme l'a proposé l'honorable M. Coomans, soit en donnant à ce genre de propriété une parfaite sécurité. Mais maintenant les amendes sont souvent un moyen de répression tout à fait impuissant. Le recouvrement des amendes se fait, je crois, par l'enregistrement, et lorsqu'il n'y a pas apparence de recouvrer l'amende, il y a complète impunité.

Maintenant quelqu'un avait proposé d'en agir pour les délits forestiers comme pour les délits de chasse et de poser l'alternative de l'amende ou de la prison.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est aux articles 151 et 153.

M. de La Coste. - Cette question est réservée.

M. Orban. - J'aurai une explication à demander quant à l'application de l'article 106. Si l'enlèvement des feuilles mortes devait être soumis à des formalités trop rigoureuses, s'il devait rencontrer des difficultés, j'aurais des observations à faire. Il ne faut pas perdre de vue que l'emploi des feuilles pour la formation des engrais nécessaires à la culture est très important.

Sans doute elles contribuent à enrichir le sol végétal, et sous ce rapport elles sont utiles à la prospérité des forêts.

Mais je crois qu'employées à la formation d'engrais pour l'agriculture elles produisent un bien incontestablement plus grand ; s'il importe de pourvoir au bien-être des forêts, il importe bien plus encore de ne point apporter d'obstacle à la fertilisation du sol et au défrichement des Ardennes et des provinces où se trouve la majeure partie des bois.

J'irai plus loin ; des agronomes distingués, des hommes versés dans la sylviculture prétendent qu'il est avantageux d'enlever partiellement les feuilles pour le repeuplement des bois, parce que les graines qui tombent sur une couche épaisse de feuilles sèches ou qui en sont recouvertes, rencontrent un obstacle à la germination. Ils prétendent que l'enlèvement partiel des feuilles permettant aux graines de se trouver en contact avec la terre végétale leur permet d'y prendre plus aisément racine.

Vous reconnaîtrez que dans tous les cas la quantité de feuilles que l'on peut enlever pour les besoins de toute nature est relativement minime et ne peut porter aux bois qu'un préjudice bien peu considérable. Je pense donc qu'il serait contraire à l'intérêt général bien entendu d'apporter des obstacles à une pratique qui procure une foule d'avantages importants et qui est indispensable à la culture des terres.

Je renouvelle donc la question que j'ai faite en commençant. Par qui l'autorisation devra-t-elle être accordée et à quelles formalités sera-t-elle soumise ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Par l'administration forestière pour les bois de l'Etat, des communes et des établissements publics, et par les propriétaires pour les bois des particuliers.

M. Orban. - Je voudrais, que dans les bois des communes, les autorités communales eussent le droit d'autoriser l'enlèvement des objets mentionnés à l'article 106.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Aujourd'hui l'administration communale n'a pas le droit d'autoriser l'enlèvement des pierres, sables, minerais, terres, gazons, tourbes, bruyères, genêts, herbages, feuilles vertes ou merles, engrais existant sur le sol des forêts, etc.

Nous n'entendons pas innover ; il est réservé à l'administration forestière d'apprécier si la quantité de feuilles gisant sur le sol est trop grande, s'il n'y a pas d'inconvénient à ce qu'il en soit enlevé. Cette appréciation était abandonnée à l'autorité communale ; celle-ci autoriserait (page 701) trop facilement, sous l'empire de certains besoins, ou sous la pression des habitants,

M. Lelièvre. - Pour l'interprétation de l'article en question, je pense qu'il est entendu que notre article n'est qu'indicatif et non limitatif relativement aux parties du sol forestier ou au genre de ses produits qu'il est interdit d'enlever. Ainsi notre article s'applique aux mousses, ronces, etc. Comme l'a décidé la cour de cassation de France par arrêt du 24 novembre 1848 (Sirey, 1849, part. I, pag. 295). Tel me paraît aussi l'avis de la commission parlementaire.

En conséquence, il est évident que notre article est général, relativement à tous les produits du sol forestier qui sont compris dans la prohibition, sans réserve aucune. Une explication est indispensable pour déterminer le sens de la loi.

M. Orts, rapporteur. - Les termes de la disposition sont plus favorables à l'interprétation extensive réclamée par l'honorable M. Lelièvre que ne l'étaient les termes de l'ordonnance de 1669. Or, jurisconsultes et arrêts sont d'accord pour reconnaître qu'aux termes de l'ordonnance déjà on ne peut enlever quoi que ce soit des bois sans autorisation ; si mince que puisse être le produit, il y a délit.

Tout enlèvement doit être réprimé ; les ronces, les liserons, les noisettes même que cite un interrupteur sont comprises dans la prohibition.

- L'article 106 est adopté.

Article 107

« Art. 107. Il n'est point dérogé aux droits conférés à l'administration des ponts et chaussées, d'indiquer les lieux où doivent être faites les extractions de matériaux pour les travaux publics ; néanmoins les entrepreneurs seront tenus (envers l'Etat, les communes et les établissements publics, comme envers les particuliers) de payer les indemnités de droit, et d'observer les formes prescrites par les lois et règlements en cette matière. »

Le gouvernement se rallie à la rédaction de la commission.

- L'article est adopté.

Article 108

« Art. 108. Tous usagers qui, en cas d'incendie, refuseront de porter secours dans les bois soumis à leurs droits d'usage, pourront être privés de ces droits pendant un an au moins et cinq ans au plus, sans préjudice des peines portées en l'article 475 du Code pénal. »

Le gouvernement se rallie à la rédaction de la commision.

- L'article est adopté.

Article 109

« Art. 109. L'élagage des arbres de lisières des bois et forêts, est régi par l'article 672 du Code civil.

« Néanmoins, les propriétaires riverains ne pourront se prévaloir de cette disposition à l'égard des arbres ayant plus de 30 ans, au moment de la publication de la présente loi.

« Tout élagage qui serait exécuté sans l'autorisation des propriétaires des bois et forêts, donnera lieu à l'application des peines portées par l'article 158. »

-Le gouvernement se rallie à la rédaction de la commission.

M. Lelièvre. - Mon avis est de supprimer le paragraphe 2 de l'article proposé par la commission.

Dans le système de celle-ci, l'élagage des arbres régi par l'article 672 du Code civil ne serait pas applicable aux arbres ayant plus de 30 ans au moment de la publication de la loi.

Cette disposition, qui introduit une dérogation aux principes du droit commun, ne me paraît pas admissible ; en effet, je pense que l'action en élagage peut être exercée en tout temps par le propriétaire du fonds voisin sans que la prescription puisse lui être opposée ; telle est l'opinion des meilleurs auteurs fondée sur ce que, relativement à l'élagage, les branches s'avançant successivement, il n'existe jamais une possession continue et capable d'engendrer la prescription et que, d'ailleurs, le droit de faire élaguer naît tous les instants en faveur du propriétaire du fonds voisin, à mesure que les branches se portent de plus en plus vers son terrain.

Mais la disposition que je critique va plus loin ; par cela seul que l'arbre a été planté depuis plus de 30 ans avant la loi en discussion, le propriétaire voisin ne peut demander qu'il soit élagué.

C'est là un principe contraire à la raison et à la jurisprudence. Ceux-là mêmes qui admettent la prescription en matière d'élagage, reconnaissent que la prescription ne peut courir tant que les branches ne sont pas assez avancées pour faire dommage. La prescription ne peut donc prendre cours du jour de la plantation même de l'arbre.

D'un autre côté, de ce que j'ai laissé exister un arbre pendanl plus de 30 ans sans qu'on observât la distance légale, il ne s'ensuit pas que j'ai perdu le droit de faire élaguer les branches qui s'avancent de plus en plus chaque année, ce qui constitue un nouveau trouble que j'ai le droit de faire cesser.

Aussi un arrêt de la cour de cassation de France du 16 juillet 1835 (Sirey, 1835, partie 1. page 779) décide que le droit acquis par destination du père de famille, de conserver des arbres à une distance moindre que la distance légale n'emporte pas le droit de conserver les branches de ces arbres qui avancent sur le fonds voisin.

La disposition dont nous nous occupons est d'autant plus exorbitante que par l'article 177 elle est étendue aux bois des particuliers.

Quant à moi, je suis d'avis de supprimer le paragraphe 2 de la commission et d’abandonner la question aux règles du droit commun.

Remarquez que d'après l'article que nous discutons, il s'agit même de déterminer les rapports des propriétés boisées avec des propriétés rurales ; or, en pareille occurrence, il me semble indispensable de suivre la marche adoptée à l'égard des fossés et de laisser les choses dms les termes du droit commun, car il n'y a aucun motif plausible d'y déroger au détriment des propriétés voisines.

Remarquez, du reste, messieurs, que les articles 109 et 177 établissent un droit nouveau qui aggrave la position des propriétaires riverains relativement aux bois des communes, des établissements publics et même aux bois des particuliers. Il s'ensuit de notre disposition que des arbres dont on aurait exigé l'élagage jusqu'à ce jour seraient soustraits à cette obligation, parce qu'ils auraient plus de 30 années au moment de la loi.

D'un autre côté, la loi en discussion confond la prescription relative à l'élagage avec celle concernant l'existence même de l'arbre.

Mais, messieurs, de ce qu'un arbre a existé 30 années avant la loi dont nous nous occupons, il ne s'ensuit pas que le propriétaire voisin ait perdu le droit de le faire élaguer.

Sous ce rapport, notre disposition confère à l'Etat, aux communes et aux établissements publics un droit repoussé par la législation en vigueur jusqu'à ce jour. On veut donc apporter au droit commun une dérogation que rien ne justifie ; on veut donner à la propriété boisée, au détriment de la propriété rurale, un privilège exorbitant qu'on va même jusqu'à étendre, par l'article 177, aux bois des particuliers, privilège contraire à la législation actuelle sous laquelle se sont accomplies les 30 années à partir de la plantation.

La disposition en question attribue à la prescription trentenaire des effets plus étendus que ceux réglés par la loi sous l'empire de laquelle la prescription a été acquise, et il m'est impossible de sanctionner cette énormité.

M. Orts, rapporteur. - La disposition de l'article 109 est introduite dans ce projet comme elle l'a été dans la loi française, pour faire cesser des doutes, une divergence d'opinion existant dans la jurisprudence comme dans la doctrine. Il n'est pas admis partout que l'article 672 du Code civil s'applique à l'élagage des arbres de lisière dans les bois.

Cet article, placé sous la même rubrique que les murs et fossés mitoyens, ne paraît guère concerner la propriété forestière. Beaucoup de bons esprits, et l'administration forestière la première, en France au moins, ont toujours soutenu que l'article 672 était inapplicable.

De là un conflit qu'il faut éviter, car si l'article 672 n'est pas applicable à l'élagage des arbres de lisière, le propriétaire voisin, qui voudra user de l'article 672 et élaguer, commettra un délit ; il sera poursuivi devant les tribunaux correctionnels.

Nous avons pensé qu'il n'y avait pas de raison pour soustraire les arbres de lisière aux règles de l'article 672. C'est en ce sens que la question avait déjà été déjà résolue, malgré l'opposition de l'administration forestière, dans le Code forestier, voté en 1827 par les chambres françaises.

Mais, comme, pour l'administration forestière et pour certains propriétaires, le doute qui s'était élevé sur l'applicabilité de l'article 672 dit Code civil avait créé quelque chose ressemblant singulièrement à un droit, on a cru, en France, devoir introduire une disposition purement transitoire, et dire que l'article 672 ne serait pas applicable aux arbres de lisière des forêts qui auraient plus de 30 ans, au moment de l'application de la loi. Nous avons agi de même.

Il est bien entendu toutefois que la disposition, insérée dans cet article, est purement temporaire, que du moment où l'arbre sera abattu, et remplacé par un autre, ce dernier tombera sous l'application des principes généraux.

Ainsi donc, l'inconvénient dont parle l'honorable M. Lelièvre, la servitude dont il croit que vous allez grever les propriétés les plus importantes du pays au profit des propriétaires forestiers voisins n'existe pas ; au bout d'uu certain temps tout sera rentré dans le droit commun. Notre disposition fait donc une juste part à tous les intérêts, et j’en demande le maintien.

M. Coomans. - Dans le troisième alinéa, il y a désaccord de temps. Je proposerai, pour la faire disparaître, la suppression des mots « qui serait ».

- L'article 109 est adopté avec ce changement de rédaction auquel adhèrent MM. le ministre de la justice et le rapporteur.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.