Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 9 mai 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1327) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des propriétaires à Perwez réclament l'intervention de la chambre, pour obtenir le rétablissement des communications qui se trouvent interrompues depuis la construction de la route de Thorembais-Saint-Trond à Grand-Rosière. »

Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vermeulen, major pensionné, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale et des électeurs à Hognoul demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande d'habitants de Cappelle-au Bois. »

- Renvoi à la commission des pétitions du mois de mars.


« Des habitants d'Arendonck demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune ou au chef-lieu du canton ou bien par circonscription de 40,000 âmes et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à OEudeghien demandent que les élections aux chambres se fassent au chef lieu de canton. »

« Même demande du bourgmestre, de membres du conseil communal et d'autres électeurs à Vance. »

- Même renvoi.


« Le collège des bourgmestre et échevins et des habitants de Gammerages prient la chambre de voter, pendant la session actuelle, la concession d'un chemin de fer de Tubize aux Acren par Enghien qui a été demandée par la société Zaman. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à cette concession.


« Plusieurs habitants de Ninove prient la chambre de rejeter ou du moins de modifier profondément le projet de loi sur le recrutement de l'armée et demandent qu'on accorde une pension ou une place à ceux qui s'enrôlent volontairement dans l'armée. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.


« Des habitants de Pollaere prient la chambre de rejeter ou du moins de modifier profondément le projet de loi sur le recrutement de l'armée et demandent que les enrôlés volontaires obtiennent, à l'expiration de leur service, une pension ou une place ; que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur le recrutement de l'armée et à la commission des pétitions du mois de mars.


« Des habitants d'Hillegem demandent la révision de la loi sur les hospices et les établissements de bienfaisance et présentent des observations contre le projet de loi sur le recrutement de l'armée. »

- Renvoi à la commission des pétitions et à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur le recrutement de l'armée.


« M. Tremouroux, retenu par la mort d'un de ses parents, demande un congé de deux jours. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi relatif à l'arrangement de navigation entre la Belgique et le Saint-Siège

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem, au nom de la section centrale du budget des affaires étrangères, présente le rapport sur le projet de loi relatif à l'arrangement de navigation entre la Belgique et le Saint-Siège.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution du rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi sur l’organisation de l’armée

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. Thiéfry. - Je crois inutile, messieurs, d'entrer de nouveau dans des considérations stratégiques, pour prouver combien il nous serait difficile, à nous seuls, d'opposer une résistance sérieuse à l'invasion d'une grande puissance ; je laisse à ceux qui s'occupent de ce qui concerne l'armée le soin de lire dans les Annales parlementaires les diverses opinions qui se sont produites.

Je dois d'abord protester contre ces insinuations qui dénaturent complètement mes opinions et mes paroles ; les uns feignent de croire que je ne veux opposer aucune résistance à l'ennemi qui tenterait d'envahir le pays ; les autres, comme M. le commissaire du Roi, me prêtent la pensée de vouloir diminuer l'effectif de l'armée, parcs que j'ai prétendu que certaine résistance était impossible. Il n'y a absolument rien, dans les principes que j'ai émis, qui puisse donner lieu à de semblables suppositions. J'ai toujours réclamé l'augmentation de la force de l'armée, tant par la majoration de l'effectif que par la prolongation de la durée du service ; et il n'appartient à personne, il n'appartient surtout pas à ceux que j'ai toujours rencontrés comme adversaires sur cette question, de prétendre aujourd'hui que je ne veux pris que la Belgique soit énergiquement défendue. Si je demande la réduction de l'effectif de guerre, c'est pour que l'armée soit organisée plus fortement, c'est parce que je suis convaincu que notre indépendance serait plus assurée avec une armée de 80,000 hommes dont tous les cadres existeraient en temps de paix, qu'avec une armée de 100,000 hommes dont la réserve devrait être organisée au moment du danger.

L'honorable M. Lebeau a rappelé la défense de Rome, les luttes de la Suède et du grand Frédéric ; eh bien, c'est de cette manière que je veux qu'on défende le pays, et pour atteindre ce but, je dirai à l'honorable membre qu'il faut que les soldats connaissent leurs officiers, leurs sous-officiers, et qu'ils aient une entière confiance dans leurs chefs et en eux-mêmes. Or cela n'existera pas avec la réserve proposée.

Il y a deux systèmes d'organisation pour résister à une invasion ; dans chacun d'eux il faut de la troupe dans les forteresses et avoir une armée en campagne ; celui que l'on a adopté a pour but d'obtenir une armée considérable en campagne, et pour résultat de laisser une force sans consistance pour la défense des places.

Le deuxième système, celui que j'ai toujours défendu, consiste à avoir des troupes entièrement organisées sur le pied de paix, pour la défense des forteresses comme pour l'armée en campagne, sauf à avoir celle-ci la plus forte possible. Ce système est, à mon avis, le seul qui convienne à la Belgique, parce qu'il ne faut rien laisser à organiser au moment du danger. Je ne désespère pas qu'un jour viendra où ce système prévaudra ; les défauts de l'organisation présentée sont si faciles à apercevoir, même par les personnes qui ne sont pas militaires, qu'on finira par comprendre que l'intérêt de la défense nationale exige un changement.

Avant d'apprécier la valeur de la réserve, je dois répondre à M. le commissaire du Roi qui a pensé me mettre en contradiction avec moi-même, en disant que dans le comité j'avais fait, pour la formation des cadres, plusieurs propositions qui avaient été adoptées, et il en tire la conséquence que je trouvais alors cette réserve bonne ; voici ce qui s'est passé :

Après l'adoption de l'effectif de 100,000 hommes, on décida qu'un comité aurait pour mission d'élaborer un projet d'organisation et de budget ; je fus nommé par le scrutin, et je refusai d'en faire partie, par la raison que j'étais opposé au chiffre de 100,000 hommes, je le considérais comme irréalisable avec une bonne organisation. La plupart des membres de la commission me prièrent avec instance d'accepter ce mandat, en me disant que cela ne changerait rien à mes convictions ; je finis par consentir à me joindre à ceux qui avaient été désignés. Du moment où j'acceptais la mission de coopérer à la formation d'une armée de 100,000 hommes, je devais au comité le faible tribut de mes études et de mon expérience pour atteindre ce but. Si le travail du comité eût été distribué, on y aurait vu qne j'ai rempli ma tâche avec zèle et loyauté ; et certes ce n'est pas un motif pour autoriser M. le commissaire à dire que j'ai approuvé le système de réserve.

Prétendra-t-il aussi, par exemple, que j'ai été favorable aux 100,000 hommes parce que j'ai aidé le comité à les trouver, en indiquant les pertes aunuelles que faisaient les classes de milice ? Ce serait tout simplement absurde.

Où l'on peut voir mes véritables opinions, c'est dans la discussion du projet même, et dans mes votes au sein de la commission. Voici ce que le procès-verbal constate à la page 242 :

« M. Thiéfry est d'avis que le système proposé par la sous commission offre des défauts sérieux et qu'il est préférable que les réserves a soient réunies aux régiments actifs, d'autant plus que dans son opinion les réserves ne suffisent pas pour défendre les places et qu'il faudra les renforcer d'une partie des troupes organisas pour tenir la campagne. Il fait d'ailleurs remarquer qu'il y a un déficit de plus de 13,000 hommes dans l'effectif des contingents qui forment la réserve et que, dès lors, les 24 bataillons sur lesquels on compte se réduisent à 15.

« L'orateur fait observer que, dans aucun pays, on n'a adopté avec succès le système proposé par la sous-commission. En France on en a fait l'essai ; on comptait sur des soldats qui avaient 6 années de service, a mais le jour où on les a rappelés, ils n'ont pas rejoint. En Prusse lorsque en 1849, on a rappelé la landwehr, qui cependant est réunie chaque année pour ses exercices, un quari seulement des régiments s'est rendu à l'appel.

« M. Thiéfry termine en faisant le relevé de ce qui manquera dans les cadres de réserve le jour où il faudra les réunir ; on devra alors tirer des cadres de l'armée active non seulement plus de 300 officiers nécessaires pour mettre cette armée sur le pied de guerre, mais encore 300 à 400 officiers pour compléter les bataillons de réserve : il craint qu'on ne se trouve dans une gruude pénurie. »

(page 1328) Et cette opinion je l'ai toujours professée dans cette enceinte comme ailleurs ; mais laissons-là ce qui m'est personnel.

Si cette réserve était si bonne, elle a sans doute été adoptée à une bien forte majorité... Il n'en a pourtant pas été ainsi, elle a été rejetée par 9 membres contre 8 (voir page 243), et j'étais dans les opposants.

A ce projet en a succédé un deuxième du colonel Timmerhans, puis un troisième présenté par M. l'intendant en chef Servaes, dans lequel on conservait tous les cadres sans aucun soldat. Le colonel Renard proposa par amendement l'organisation que nous discutons, cet amendement a été adopté par 8 voix contre 7. Voilà donc ce système tant vanté qui n'obtient qu'une seule voix de majorité. On a immédiatement passé au vote sur l'ensemble du projet, et comme en définitive il failait bien aboutir à quelque chese, 10 membres ont adopté l'ensemble et 5 l'ont rejeté.

M. le ministre de la guerre a dit dans une séance précédente : « Un des besoins les plus urgents, c'est l'organisation des cadres de notre réserve. Si l'on néglige ce soin, il deviendra peut-être impossible d'assurer par elle la garde et la défense de nos places fortes, et nous serions forcés, en cas de danger, d'y laisser les bataillons destinés à tenir la campagne. Nous aurions à notre disposition de nombreux soldats instruits, formés, sans pouvoir les faire agir, faute d'une direction préparée à l'avance.

« La réserve rst le pivot de notre organisation. Sans elle point de mobilisation. Ne point l'organiser, c'est maintenir une situation mauvaise dont je ne veux encourir la responsabilité à aucun prix ; ce serait paralyser nos forées vivfs et rendre infructueuses les dépenses que le pays a consacrées, depuis longues années, à son établissement militaire. »

Ce langage est tout à fait le mien ; mais voyons laquelle de nos opinions se rapproche le plus de ces principes.

J'appelle une bonne réserve, une réserve ayant de la consistance, une troupe qui est en congé pendant 4 ou 5 ans au plus, et qui étant rappelée rejoint la compagnie où elle a servi, retrouve ses officiers et ses sous-officiers qu'elle connaît. C'est-à-dire que tous les corps sont formés pendant la paix, et qu'il suffit du rappel des soldats pour que les régiments puissent se mettre en marche au bout de 24 ou 48 heures ; tels sont les 19,698 hommes qui rejoindront les 49 bataillons actifs.

« La Belgique, dit encore avec raison M. le ministre de la guerre dans sa réponse à la section centrale, n'aura jamais de longs jours pour se préparer à la lutte ; elle ne doit pas nourrir un seul instant l'espoir d'organiser de nouveaux corps au moment du danger, elle ne disposera, quoi qu'on dise et qu’on qu’on fasse, que des forces dont les éléments auraient été constitués et entretenus en temps de paix. »

Ce langage est celui de la raison, mais M. le ministre le met-il en pratique avec l'organisation de la réserve ? Evidemment non. Les bataillons n'auront qu'une faible partie de leur cadre, il faudra au moment de la guerre nommer pour emplois vaccants 304 officiers, 1,008 sous-officiers, 2,288 caporaux. C'est 3,600 nominations.

Comment pare-t-on à cet inconvénient ? En nommant, dit-on dans le budget, 1,280 caporaux parmi les miliciens envoyés en congé illimité, il restera encore 2,320 nominations à faire.

Les officiers et les sous-officiers ne peuvent, à la rigueur, être choisis que dans l'armée active, où il y aura déjà des vides à combler, on désorganisera cette armée. Si on prend les sous-officiers parmi les miliciens, on tombera dans un autre inconvénient non moins grave, celui d'avoir le corps de sous-officiers composé d'hommes qui n'auront jamais exercé les fonctions de leur emploi.

Je sais, en effet, qu'il y a des miliciens qui ont été nommes sergents très peu de jours avant leur envoi en congé ; quand ils rentreront au corps, on aura des sous-officiers qui n'auront de leur grade que les galons.

Le rapport de la section centrale constate que M. le commissaire du Roi prétend que deux officiers par compagnie suffisent, c'est un officier pour 125 hommes. Eh bien, l'honorable colonel ne citera pas une seule armée où cette proportion existe, voire même la moitié. Il est bien facile de dire dans une chambre où il y a si peu de militaires : Deux officiers pour 250 hommes suffisent ; mais ce qui prouve que cela n'est pas exact, c'est que dans tous les pays on a un officier pour 44 à 58 hommes au maximum ; il faudrait donc cinq officiers par compagnie, il en manquerait par conséquent trois, je n'en ai pourtant compté que deux pour arriver au chiffre de 304.

Pour nous convaincre que l'armée pourrait être mise immédiatement sous les armes, M. le ministre de la guerre a dit en section centrale qu'en 1848 on avait rappelé 12,900 miliciens, et que six jours après 10,900 étaient reunis ; il en manquait donc 2,000 ; ces données qui n'ont été présentées que pour prouver que les soldats en congé sont plus exacts à rejoindre leurs drapeaux en Belgique que dans les autres pays de l'Europe, ces données, dis-je, sont la meilleure preuve que nos prévisions se réaliseront : 2,000 sur 12,900, c'est 15 1/2 p. c, et à ce compte, il y aurait un déficit de 7,874 hommes dans l'infanterie seulement.

On a bien ajouté qu’en quatre jours tous les miliciens du pays pourraient être réunis ; cela ne saurait réellement pas avoir lieu, car on suppose qu'aucun milicien ne manquera à l'appel, que parmi les 50,800 fantassins qui seront en congé, il n'y aura ni malades, ni retardataires, que tous les hommes établis, mariés, abandonneront femmes et infants pour rejoindre leur régiment ; il est évidemment impossible qu'il en soit ainsi ; quoi qu'on en dise, il y aura un vide de 8,000 à 10,000 hommes ; on le comblera en rappelant encore deux classes congédiées. Ainsi pour avoir cette grosse armée, on fixera par le fait la durée du service des miliciens à douze ans.

Pour faire prévaloir le système d'une armée pour la défense des places entièrement séparée de l'armée permanente, on a cité l'opinion d'une dizaine d'auteurs français, nommément celle de Napoléon, qui recommande de tirer des populations les garnisons des places fortes et non des armées actives. Si ces théories font bonnes, elles ont sans doufe fait des progrès, la France ou d'autres pays ont organisé deux armées différentes l'une pour les places, l'autre pour la campagne ; il n'en est cependant rien, preuve évidente qua le système est mauvais. La France, qu'on a cité, a tous ses régiments organisés uniformément, et les hommes qu'elle n'incorpore pas n'ont pas la moindre similitude avec nos réserves ; s'ils sont appelés au service, ils entrent dans des régiments bien constitués, où ils sont encadrés au milieu de vieux soldats. La Prusse seule a une landwehr qui ressemble beaucoup à notre réserve, et son rappel en 1848 a prouvé combien cette troupe que je critique laisse à désirer ; une infinité d'hommes n'ont pas rejoint leur corps, beaucoup d'autres étaient dépourvus d'habillement.

Pour compléter la réserve, on sera obligé, comme je viens de le dire, de rappeler des miliciens qui auront quitté les drapeaux depuis 3 jusqu'à 10 ans. Voyons si d'autres expériences n'ont pas détruit les illusions dont on se berce à ce sujet. Car c'est l'expérience seule qui doit nous servir de guide, et non des théories.

La loi du 10 mars 1818 avait fixé, en France, la durée du service à 12 ans, dont 6 en activité et 6 en réserve sous le nom de vétérance. Lorsqu'on rappela deux classes de réserve en 1823 pour la guerre d Espagne, le nombre des manquants fut si considérable que dès l'année suivante la vétérance fut abolie et la durée du service réduite à 8 ans. En 1852, cette durée du service a encore été diminuée, elle est aujourd'hui de 7 ans. Lors de la discussion de cette dernière loi, le général Dambrugeac proposa de la fixer à 10 ans dont 5 en activité et 5 en réserve.

« L'armée, répondit le maréchal Soult, pourra-t-elle compter sur cette réserve dans le cas qu'il faille rappeler les hommes qui serontdans leurs foyers ? L'auteur de l'amendement a-t-il oublie l'exemple de ces réserves laissées en arrière ? En 1823 on eut l'idée de faire un appel à deux classes de réserve de vétérance laissées dans leurs foyers, et à peine put-on obtenir le tiers ou la moitié de ce qu'on avait demandé. Ainsi vous voyez qu'en réalité ce ne serait qu'une illusion d'une chose que l'on ne pourrait obtenir. »

A la suite de cette discussion, l'amendement du général Dambrugeac fut rejeté.

L'armée en Sardaigne était organisée avec une réserve plus considérable encore qu'en Belgique, parce que le service y était de plus longue durée, cette réserve était mieux constituée, les cadres étant formés sur le pied de paix, quand elle fut réunie en 1849, elle présenta le spectacle d'une cobue de paysans, et tout le monde se rappelle encore combien cette troupe a eu peu de consistance. Aussi, après ses désastres, la Sardaigne a procédé immédiatement à la réorganisation de son armée, elle a renoncé à cette réserve dangereuse et illusoire, en réduisant son effectif de guerre de 153,000 hommes à 90,000 dont moitié seulement en congé ; en cas de rappel ces hommes de la réserve seront incorporés dans leur propre compagnie, où ils retrouveront leurs anciens officiers : c'est un hommage que je me plais à rendre au brave général de Lamarmora, le Piémont lui devra une armée solide.

L'expérience a donc prouvé dans trois pays différents qu'une réserve composée uniquement d'hommes rappelés après avoir passé de longues années dans leurs foyers, est une réserve qui ne peut inspirer aucune confiance ; c'est par conséquent compromettre l'indépendance du pays, que de consacrer à sa défense une troupe semblable. Cependant la conservation des places est l'objet principal pour le maintien de notre nationalité ; car, comme l'a très bien dit M. d'Elhoungne, tant que nous posséderons nos forteresses, nous aurons un gouvernement belge, un noyau d'armée belge, il y aura une Belgique enfin pour traiter avec les puissances de l'Europe, et il faudra que dans les traités qui interviendront on compte avec elle.

Je sais bien qu'une réserve, comme je la voudrais, ne peut s'obtenir pour avoir une armée de 100,000 hommes sur le pied de guerre qu'avec un budget de 36 millions ; c'est pourquoi je n'ai pas admis, et je n'admets pas encore un effectif aussi élevé.

J'ai critiqué l'organisation défectueuse de l'infanterie de réserve et je n'ai pas encore parlé du défaut le plus grave puisqu'il atteint également l'infanterie des bataillons actifs ; il suffirait à lui seul pour rejeter le projet d'organisation.

D'après l'annexe B jointe au rapport de la section centrale, et représentant la composition de l'armée, le nombre des volontaires s'élèvera à 6,645 ; ce chiffre correspondant à celui des cadres entretenus sur le pied de paix, on était en droit de supposer qu'il n'y avait pas de simples soldats volontaires ; il résulte de renseignements fournis par M. le ministre qu'effectivement il n'y a pas de place pour un seul et pour en obtenir quelques-uns, on nommera encore par compagnie 4 miliciens comme caporaux, ce qui permettra d'y incorporer 4 soldats volontaires, on en (page 1329) aura ainsi 1,176 pour recruter les cadres de toute l'infanterie. La réserve comprendra donc 1,280 caporaux qui seront des miliciens en congé et l'armée active 1,176. Voilà 2,456 miliciens caporaux.

J'abandonne aux militaires la question de savoir si ces hommes qui seront en congé pendant un grand nombre d'années formeront de bons cadres, ou si on n'aura que des soldats avec le titre et le galon du grade.

Mais je demanderai à MM. les commissaires du Roi où ils trouveront les hommes nécessaires pour recruter les sous-officiers. Les 1,176 volontaires que comprendra l'infanterie, seront évidemment insuffisants : pour que les membres de cette chambre en soient convaincus, je leur dirai qu'en Hollande où l'armée est de 60,000 hommes, et non de 100,000, et où les cadres sont constitués pour 36 bataillons, il y a 60 soldats volontaires par compagnie dars les grenadiers et chasseurs, 45 dans les compagnies de tirailleurs et 40 dans les compagnies de ligne, et nous en aurons 4 par compagnie pour 65 bataillons qui, en temps de guerre, doivent en former 81 : le total des soldats volontaires est de 8,548 en Hollande et nous en aurons 1,176.

Eu France où le fantassin reste sous les armes au moins pendant 5 ans, il y avait en 1851 44,925 soldats volontaires, il est visible pour tout le monde que le nombre des volontaires ne sera pas en rapport avec les besoins, et pourtant c'est parmi eux que l'on doit recruter les cadres ; on n'aura pas de choix pour la nomination des sergents, le corps des sous-officiers sera mal composé : c'est l'élément volontaire qui fait la force d'une armée ; au lieu d'en faciliter l'extension, on le supprime pour ainsi dire tout à fait dans l'infanterie. Voilà où aboutira l'organisation projetée.

Je suppose maintenant que le gouvernement ait sous les armes toute l'infanterie active et la réserve, saurait-on avoir les 60,000 hommes en campagne ? Non. On ne les aura pas. La cavalerie et l'artillerie de campagne pour lesquelles on entretient tant de cadres seront dépourvues de chevaux, et je vais le prouver.

Il manquera pour la cavalerie 3,102 chevaux ; et en chevaux de selle pour l'artillerie 218, en chevaux de trait pour l'artillerie 2,992. Le total des chevaux de troupe manquant pour mettre ces 2 armes sur le pied de guerre sera de 6,312 chevaux.

Il y aura à ajoutera ce nombre les chevaux nécessaires pour les fourgons de l'état-major, de l'infanterie, des ambulances, de l'intendance et ceux dont les officiers auront besoin. On devra donc avoir le même nombre de chevaux qu'en 1835. Il faudra en acheter près de 7,000, et dans quels moments ? Alors que la France et l'Allemagne devront s'en pourvoir de plus de 120,060 ; aussi, pour ne pas en être dépourvues, ces puissances feront comme en 1848. : elles prohiberont la sortie des chevaux de leurs Etats.

M. le commissaire du Roi a assuré, en section centrale, qu'en trois jours on aurait tous les chevaux de trait nécessaires : M. le commissaire du Roi est à ce sujet dans la plus complète erreur.

Pour apprécier les embarras que l'on éprouvera, je rappellerai ce qui a été dit dans la commission.

Un colonel a prétendu qu'il faudrait plus de 3 mois pour que l'artillerie eût ses chevaux, et un général, très à même d'étre bien informé par la haute position qu'il a occupée, a assuré que l'expérience faite en 1839 et en 1848 avait prouvé l'exactitude de ce fait. En 1848, a-t-il dit, il a fallu 3 mois et 13 jours pour avoir 900 chevaux ; 5 grandes remontes ont eu lieu en Belgique et 490 jours se sont écoulés entre l'adjudication et la réception pour avoir 3,400 chevaux. En 1852 un matché a été passé le 1er février, et le 10 mars on avait reçu 436 chevaux.

On voit donc bien clairement qu'au moment du passage sur le pied de guerre, on se trouvera en face de difficultés insurmontables. C'est un tort d'entretenir sur le pied de paix des cadres de troupes qui, au moment du danger, seront sans chevaux : cela a pour conséquence de sacrifier l'infanterie qui est l'arme la plus nécessaire pour l'espèce de guerre que nous aurons à soutenir : cependant on demande encore, par le projet de loi, d'augmenter les cadres de cavalerie. Eh bien, messieurs, plus il y en aura, plus facilement le pays comprendra la justesse de mes observations.

On m'a répondu que dans des circonstances critiques, on prendrait des chevaux par réquisition !... C'est là un moyen dont on ne fera pas usage, et la preuve, c'est qu'on ne l'a pas employé en 1830, ni en 1848 au moment où les circonstances étaient si graves, quand des bandes désordonnées pénétraient dans les pays pour le révolutionner, lorsque enfin tout annonçait la guerre, et alors que l'artillerie n'avait pas de chevaux, et qu'on était forcé de laisser les miliciens dans leur caserne, sans pouvoir leur en procurer.

Il est bon de remarquer d'ailleurs que l'emploi des chevaux non dressés met bien vite la confusion dans la troupe. Il suffit de quelques chevaux vicieux ou effrayés pour occasionner la perte des pièces dans les rapides mouvements que l'artillerie exécute. Lorsqu'il s'agit des grands intérêts d'une nation, on doit raisonner dans l'ordre des choses probables et d'une exécution possible, sinon les illusions dont on se berce pourraient, dans certaines circonstances, être fatales au pays.

La difficulté de se procurer immédiatement des chevaux est si bien appréciée en France, qu'on en entretient toujours un nombre qui est en rapport avec les besoins. M. le commissaire du Roi nous a dit qu'on ne pouvait avoir égard à l'effectif actuel de cette puissance ; j'ai fait, dans le budget, le relevé des chevaux qu'elle a entretenus de 1842 à 1853. Cela a varié de 97,488 à 81,647. L'armée française est de 500,000 hommes sur le pied de guerre ; en prenant l'effectif le plus faible, on aurait encore 16,329 chevaux pour 100,000 hommes, ou 7,576 de plus que le nombre qui figure au budget.

Je conclus de ces observations que l'on n'aura jamais en campagne une armée de 50,000 à 60.000 hommes, comme on veut le faire croire ; que la réalisation de l'effectif de 100,000 hommes est une illusion ; on ne l'aura pas, à moins que la guerre ne soit prévue très longtemps d'avance, et, je le répète, pour faire une résistance sérieuse, le projet de loi ne comprend pas assez d'infanterie solidement organisée, tandis qu'il maintient trop de cadres de cavalerie et d'artillerie de campagne. L'honorable M. Dumortier l'a très bien dit en 1845, l'infanterie, ou l'a trop négligée depuis quinze ans.

Avec 80,000 hommes il est possible d'avoir toute l'infanterie organisée uniformément sur le pied de paix, afin d'obtenir de bonnes troupes pour la défense des places. J'ai toujours pensé que 75,000 était le maximum que l'on pouvait réunir pour que l'armée soit fortement constituée, et le budget pas trop élevé ; mais eu égard aux circonstances je me suis rallié au chiffre de 80,000. Si la guerre éclate subitement, une telle armée vaudrait infiniment mieux que ces réserves dont l'organisation sera longue.

Plusieurs membres de cette chambre s'imaginent que plus tard on pourra faire des économies sur le budget de 32 millions ; ils se trompent d'une manière étrange ; au lieu de diminuer les dépensée il faudrait, avec l'organisation présentée, plutôt les augmenter pour renforcer l'infanterie et avoir plus de chevaux. Je me trompe cependant, il y a effectivement un moyen d'obtenir de grandes économies, et c'est le seul : c'est de suivre l'ancien système, de renvoyer encore bon nombre de miliciens en congé. Eh bien, du jour où on le remettra à exécution, il n'y aura plus d'armée en Belgique ! J'espère que ceux qui se sont formalisés de ma franchise sans tenir compte des services que je cherchais à rendre, ne prêteront jamais l'appui de leur voix ni celui de leur vote à de semblables mesures.

M. Renard, commissaire du Roi. - Messieurs, l'honorable membre qui vient de s'asseoir attaque du nouveau devant vous notre système de réserve. Si j'ai bien compris l'honorable membre, son système à lui est de ne pas avoir de corps de réserve, mais d'organiser tous les bataillons de l'armée, ceux destinés à tenir la campagne comme ceux destinés à tenir les places d'une manière uniforme. Sa réserve à lui appartiendrait aux bataillons actifs. Les soldats, après avoir servi quelque temps dans les rangs, seraient renvoyés comme permissionnaires dans leurs fjoers, sauf rappel.

Ce système, messieurs, c'est le système de la France. Mais en citant l'infanterie, l'honorable membre aurait pu vous citer aussi une autre arme qui, chez nous, est divisée comme l'infanterie en deux parties distinctes, ayant une mission différente à remplir, c'est l'artillerie. En Belgique nous avons une artillerie de siège et une artillerie de campagne ; l'artillerie, en France, n'a pas de batteries de siège. Toutes les batteries de l'artillerie de France sont organisées pour la campagne. Au moment de la guerre, si l'on est obligé de défendre les places, les batteries démontées servent les canons des remparts ; mais c'est le service extraordinaire et le moins prévu.

Dans l'infanterie on a adopté le même sysème. Tous les bataillons sont uniformément organisés.

Eh bien, la signification de ce fait la voici ; c'est que l'armée française est une armée organisée pour la conquête, une armée destinée à tenir la campagne, destinée à franchir tout entière les frontières s'il est nécessaire, tandis que nous, dont l'armée est destinée à faire une guerre nationale, à combattre seulement sur notre sol, nous avons une organisation qui nous est propre. Si nous pouvions organiser tous les bataillons actifs ou autres ainsi que le demande l'honorable membre, l'armée en serait très reconnaissante, elle en serait d'autant plus forte. Mais nous demanderions aussitôt une augmentation d'artillerie et de cavalerie, et au lieu de mettre 60 mille hommes en campagae, nous pourrions en mettre 80 mille.

Les bataillons destinés à la défense des places n'ont pas besoin d'avoir la même solidité, la même organisation que ceux destinés à tenir la campagne.

Quelles troupes destine-t-on à défendre les places dans l'armée française ? Ce sont les gardes nationales d'élite ; les gardes nationales mobilisées, encadrées par des officiers et des sous-officiers que le gouvernement désigne. En France, jamais personne n'a proposé qu'on mît dans les places les hommes appartenant aux 300 bataillons actifs.

Messieurs, dans les pièces qui vous ont été distribuées, vous trouvez un mémoire que j'ai rédigé comme membre de la commission mixte. J'ai fait un relevé de toutes les opinions émises en France à ce sujet. J'ai cité Vauban, le général Morand, Vaudoncourt, Lamarque, Paixhans, Carnot, Napoléon, Madelaine.

Voici, entre autres, comment s'exprime ce dernier : « On ne peut contester que derrière des parapets précédés de fossés profonds, murailles et formant enceinte, des hommes peu exercés pourront tenir aussi bien que des soldats ; ainsi des recrues, des gardes nationaux pourront là remplacer des soldats. »

Je dis donc que si le pays entretenait en temps de paix des bataillons aussi fortement organisés que nos bataillons actifs, pour les destiner (page 1330) uniquement à la défense des places en temps de guerre, je dis qu'il serait entraîné dans des dépenses que rien ne justifierait.

La France est à l'égard de sa réserve dans de tout autres conditions que la Belgique. Avec sa grande armée, son immense prépondérance militaire, ses frontières étendues, elle n'a pas à se préoccuper comme nous de la défense de ses places. Elle a le temps de former, au moment de la guerre, ses bataillons de gardes nationales d’élite et de les instruire. Mais nous ne nous trouvons pas dans les mêmes conditions. Au lieu de porter la guerre à l’étranger, nous la recevrons toujours sur notre territoire. Notre réserve entre pour ainsi dire la première en action ; il faut donc qu’elle soit toujours prête, toujours disponible, parce qu’elle a un but spécial à remplir que n’a pas celle de la France.

En France, je le répète, toute l'armée est destinée à tenir la campagne. Je vous ai cité le fait de l'artillerie, il est concluant. Pourquoi l'honorable membre ne vient-il pas vous proposer également de convertir toutes nos batteries de siège en batteries de campagne ?

L'honorable membre a critiqué de nouveau les cadres de la réserve. Pour expliquer ses propositions dans le sein du comité de la commission mixte, il dit que lors des opérations de ce comité, le chiffre de 100,000 hommes avait déjà été voté par la commission et qu'il ne pouvait en conséquence se refuser à constituer cette armée. Je ferai remarquer que l'honorable membre ne conteste pas la bonté des propositions qu'il a faites à cette époque, et cela me suffit. Je persiste donc à considérer les cadres à la constitution desquels il a contribué par ses conseils, comme suffisants pour le temps de paix.

L'honorable membre prétend que les soldats des bataillons de réserve ne rentreront pas. Il a cité à cet égard l'organisation du maréchal de Saint-Cyr, de 1818 ; il vous dit que l'armée française à cette époque avait une réserve, et qu'on s'est empressé de la supprimer.

Les hommes, après avoir servi 6 ans dans l'armée active, passaient à la réserve pour six autres années.

Pour faire sentir les vices de cette organisation il a cité les objections élevées contre cette institution en 1843.

Mais ce que l'honorable membre n'a pas expliqué, c'esl en quoi notre institution diffère de celle du maréchal de Saint-Cyr. La réserve du maréchal de Saini-Cyr était une force pour ainsi dire locale ; elle- était organisée pour la défense du territoire. La loi qui l'organisait prescrivait que les vétérans ne pouvaient être mobilisés qu'en vertu d'une loi, qu'ils ne sortiraient de la division militaire et ne seraient envoyés à la frontière qu'en vertu d'une loi.

Ils n'étaient pas comme en Belgique à la disposition du gouvernement, ils n'appartenaient à aucun corps, ils n'avaient aucune destination réglée à l'avance.

Lorsque, en 1823, la guerre d'Espagne éclata, les cadres étaient vides ; on manquait de soldats pour les remplir ; on rappela donc les vétérans, mais on le fit illégalement, sans loi et par conséquent sans droit. De plus on les incorpora dans des régiments qui, quelques semaines après, devaient franchir la frontière.

Voilà ce qu'on a fait en 1823. Eh bien, quoique tous ces hommes eussent été parfaitement dans leur droit en refusant de se rendre aux drapeaux, sur 22,000 appelés il s'en est présenté 16,000. Ainsi 16,000 hommes, quoique la loi eût été violée à leur égard, se sont rendus à leurs régiments.

Je suis donc autorisé à soutenir que si la réserve du maréchal Sainî-Cyr avait été organisée comme la nôtre, si elle avait eu la même destination que la nôtre, tous les vétérans, ou du moins, presque tous, auraient obéi à l'appel qui leur était fait.

Puisque l'honorable membre a lu l'exposé des motifs de 1843, d'où il a extrait l'opinion du maréchal Soult, il pouvait y lire également l'appréciation du général Préval, rapporteur de la loi.

On y convient que ces soldats étaient excellents, et que si, à cette époque, ils ne se sont pas tous rendus à l'appel du gouvernement, c'est à cause de la violation que je viens de citer.

Le général Marbot apprécie aussi cette réserve, et voici comment il s'exprime :

« C'est une des plus belles conceptions qu'on eût faites depuis un siècle en fait d'organisation militaire, car elle établissait à peu de frais un des plus grands moyens de défense que peut avoir un Etat. »

Nous avons à citer dans notre pays plusieurs rappels de réserves. Le premier exemple, et cet exemple est frappant, remonte à l'année 1831. Au mois de juin 1831 on avait licencié définitivement la classe de 1826 ; au mois de septembre suivant elle fut rappelée en vertu d'une loi. Ces jeunes gens étaient retournés dans leurs foyers, avec la croyance formelle qu'ils avaient rempli envers l'Etat toutes leurs obligations.

Ce rappel avait lieu quand on croyait combattre. Le ministre de la guerre de cette époque est dans cette enceinte ; il pourra confirmer mon allégation. Nous avons encore rappelé les réserves à deux autres époques très remarquables, en 1839 et en 1848 ; en 1839, c'était pour se battre contre la Hollande ; les miliciens sont arrivés avec un enthousiasme dont le souvenir n'est pas effacé dans l'armée. En 1848, on craignait une autre invasion : nos miliciens se sont rendus à l'appel du pays avec une ardeur et un enthousiasme qui nous ont frappés.

Eh bien, lorsque nous avons ces trois exemples devant nous, lorsque nous avons pu apprécier l'efficacité de ces rappels, quand nous avons à citer des exemples comme ceux-là, je ne pense pas que personne puisse un seul instant douter qu'en cas de guerre, nos miliciens ne se rendissent immétiatement sous les drapeaux.

L'honorable membre a dit que cette organisation avait été accueillie avec peu de faveur par la commission mixte, puisque le projet n'avait, été adopté qu'à la majorité d'une voix (8 voix contre 7). Mais l'honorable membre ne vous a pas parlé du vote qui a eu lieu immédiatement, après.

M. Thiéfry. - J'en ai parlé.

M. Renard, commissaire du Roi. - L'honorable membre a voté dans le sein de la commission contre la réserve qui est présentée et dont il avait aidé pourtant à constituer les cadres avec les membres du comité. Il a voté pour un autre projet qui constituait des cadres plus forts que ceux que nous demandons, mais qui, au lieu d'organiser 8 compagnies par régiment, n'en organisait que 5.

Pour la guerre, de ces 5 compagnies on en eût fait 8. Mais en acceptant ce projet, l'intention de l'honorable membre était-elle de doter l'armée de cadres mieux constitués ? Je crois qu'il avait un objet en vue. Il concevait fort bien que, la guerre éclatant, cette espèce de dédoublement n'était pas possible. Il le sentait si bien que sa résolution se trouve ainsi motivée dans les procès-verbaux de la commission.

« M. Thiéfry fait remarquer, qu'en effet, il y aura à détacher des 66,000 hommes d'infanterie organisés par le projet de M. Servaes 36,000 hommes pour les forteresses ; qu'il ne restera par conséquent que 30,000 hommes d'infanterie pour la campagne, et que ce sera sur ce chiffre qu'on devra calculer l'effectif de la cavalerie et de l'artillerie. »

L'honorable membre vous a parlé de l'énorme quantité d'officiers et de sous-officiers qu'il faudrait nommer au moment de la guerre. Si la Belgique avait quelque danger à redouter, le gouvernement dans sa prévoyance rappellerait dans les cadres de l'armée active et de la réserve, un certain nombre d'hommes, pour fortifier nos unités de force ; mais je ne pense pas qu'il serait sage de porter immédiatement l'armée sur le pied de guerre, car si les événements tournaient en notre faveur l'Etat serait entraîné dans des dépenses énormes et l'avancement serait arrêtée pour longtemps.

Mais entre le pied de paix et le pied de guerre, il y a un pied intermédiaire, le pied de rassemblement. Sur ce pied trois officiers par compagnie suffisent ; de ce chef pour donner un officier de plus aux compagnies de réserve, pour remplacer dans les corps les officiers détachés pour divers services il manquera seulement 271 officiers. Si même la guerre éclatait, il n'y aurait pas péril à différer la nomination de la plupart des sous-lieutenants.

Il est bon au contraire de conserver des places ouvertes pour les donner aux sous-officiers qui, dans le premier engagement, donneront des preuves de dévouement et d'énergie.

Je dis donc qu'avec l'organisation que nous vous proposons, nous pourrons passer facilement au pied de rassemblement qui au besoin peut suffire pour commencer les hostilités.

Permettez-moi de revenir encore sur le rappel des miliciens. L'honorable membre, pour montrer l'inefficacité du rappel dans un moment de crise, vous a dit que sur 12,900 miliciens rappelés en 1848, il restait en arrière, le sixième jour, 2,000 hommes, lesquels, du reste, rejoignirent, à de rares exceptions près, dans les quatre jours qui suivirent ; mais l'honorable membre n'explique pas dans quelles circonstances ces faits se sont passés. C’était en 1848, le lendemain du jour où le coup de tonnerre que vous savez a éclaté sur la France. Personne ne pouvait prévoir cet événement. Nous vivions au milieu d'une quiétude profonde. Personne ne pouvait soupçonner que la situation politique pût être d'une heure à l'autre compromise. Ces rappels, organisés comme ils l'étaient alors, entraînaient une grande perte de temps.

L'ordre émané du département de la guerre arrivait au chef du corps par les voies hiérarchiques, il fallait encore confectionner les ordres d'appel, puis les envoyer aux communes. Enfin les hommes arrivaient par les routes ordinaires. Depuis on a pris des précautions. Les ordres seront transmis directement aux communes, et les chemins de fer conduiront en peu d'heures les hommes vers les dépôts d'armes et d'habillements.

L'honorable membre a entretenu la chambre de divers objets qui pourront trouver leur place dans la discussion de la loi de budget. Je les écarte donc de la discussion générale pour y revenir plus tard.

Je dirai cependant un mot de l'effectif des chevaux de cavalerie. Nos escadrons sont forts de 115 chevaux, il serait certes désirable qu'on pût les avoir plus forts ; mais l'honorable membre prétend que ce chiffre est trop faible pour les temps de paix.

Il s'est appuyé sur l'exemple de pays voisins. Je ne puis pas admettre la comparaison avec l'Autriche et la France, dont les armées ne sont pas sur le pied de paix comme la nôtre ; lorsqu'on fait des comparaisons, il faut les établir sur des éléments homogènes.

En temps de paix, le nombre des chevaux en Autriche est de 145 par escadron. Mais en Autriche, il y a des régiments de six escadrons sur le pied de paix qui sont portés à 8 escadrons sur le pied de guerre.

En conséquence, si vous comparez la quantité des chevaux dressés par régiment, vous verrez qu'avec nos 415 chevaux nous avons plus de chevaux dressés par escadrons qu'en Autriche, lorsque cette nation, fait passer ses troupes du pied de paix au pied de guerre.

Le nombre des chevaux dressés par escadron sur pied de paix est :

En Prusse de 143 chevaux.

En France de 127 chevaux.

En Sardaigne de 106 chevaux.

En Bavière de 95 chevaux.

(page 1331) Ainsi en Sardaigne et en Bavière le nombre des chevaux est moindre qu'en Belgique.

Les armées des grandes nations auxquelles je fais allusion ne sont pas destinées à combattre sur leur sol comme la nôtre, à proximité de ses garnisons ; elles ont de longues marches à effectuer avant d'arriver sur le champ de bataille ; et ces marches, on le sait, causent de grandes pertes à cette arme. Ce qu'il faut désirer, c'est que les escadrons ne descendent jamais au-dessous de 48 files.

En 1805, les escadrons de l'armée française, qui, sur pied de guerre, devaient avoir 180 chevaux, n'en comptaient que 135. En 1809, ils en comptaient 130.

Le nombre de chevaux, par escadron, était en 1815, dans l'armée française de 132, dans l’armée anglaise de 121 et dans l’armée prussienne de 102.

Du reste, pour vous donner une idée du nombre de chevaux que perd une armée dans ses marches, je vous citerai un exemple : en 1806, la France comptait à l'armée 30,290 chevaux, au commencement des hostilités ; elle n'en avait plus que 15,633 à la fin de l'année, et elle n'avait livré qu'une seule grande bataille.

Je dois dire qu'une armée nationale, comme la nôtre, qui doit se battre sur son sol, qui n'a pas de longues marches à faire, n'a pas besoin d'un aussi grand nombre de chevaux que les armées des grandes puissances.

Enfin la dernière observation que je rencontrerai est relative au nombre des volontaires par compagnie. Nous n'en comptons que 16. L'armée accueillerait avec reconnaissance une augmentation d'effectif de ce chef. La chambre doit ici acquérir la preuve de la parcimonie avec laquelle le budget a été constitué.

Douze de ces volontaires appartiennent aux cadres. Nous n'avons que quatre soldats volontaires. Avec ces quatre soldats, avec les caporaux de la réserve, avec des miliciens servant 2 ans 1/2, nous, aurons les moyens d'entretenir les cadres.

Messieurs, je conviens que. pour le temps de paix, nous n'avons que le strict nécessaire, et je reconnais que, s'il pouvait être augmenté, ce serait un bienfait pour l'armée.

(page 1334) M. Devaux. - Messieurs, j'ajouterai très peu de réflexions à ce débat déjà fort étendu. Il y a lieu de se féliciter du caractère général qu'il a pris. Malgré une tentative isolée du début de la discussion, et grâce à la modération des orateurs qui ont suivi, le débat a conservé un caractère purement national et ne s'est point ressenti de nos divisions intérieures ; c'est une circonstance que je me plais à remarquer.

Je ne suis pas, vous le savez, l'apôtre de la fusion des partis. La fusion des partis, à mes yeux, est une grande illusion, quand elle n'est pas une grande hypocrisie. Je crois les divergences d'opinions publiques inévitables. Je crois la constitution des partis utile, en ce qu'elle vivifie le pays, en ce qu'elle attire incessamment l'attention sur les intérêts publics, en ce que les partis constituent l'ordre au milieu de la divergence des opinions.

Mais je pense aussi que, pour être utile, la lutte des partis ne doit pas être aveuglément passionnée, qu'elle doit se maintenir dans les bornes de la modération. Je pense qu'en présence d'intérêts communs, en présence de dangers communs, les partis doivent suspendre leurs luttes. Je pense qu'il est des moments solennels où les partis politiques doivent, je ne dis pas se cacher ou se dissimuler, mais doivent franchement ajourner leurs dissentiments.

Et, messieurs, si cela doit être, c'est surtout devant l'étranger, devant l'ennemi ; lorsqu'on discute un budget de la guerre, une organisation de l'armée, c'est devant l'étranger qu'on se trouve ; on est en quelque sorte devant un ennemi éventuel, et tous les partis alors ne doivent se souvenir que d'une seule chose, c'est qu'il s'agit de la patrie commune.

Messieurs, il faut se féliciter des progrès qui se sont accomplis au sujet de la question qui nous occupe ; non qu'en rappelant le passé je veuille récriminer contre ce qui s'est fait il y a deux ans ; je reconnais au contraire que si le premier effet de ce qui a eu lieu à cette époque a été fâcheux, le résultat final a été heureux. Je dirai même que si une autre voie avait été suivie, on n'aurait pu peut-être vous faire aujourd'hui, avec autant d'autorité et de liberté, des propositions de la nature de celles qui nous sont soumises.

Un des résultats, messieurs, dont on peut également s'applaudir, c'est de voir entre les opinions qui, sur cette matière, divisent la chambre, le dissentiment singulièrement amoindri ; c'est, comme je le ferai voir tout à l'heure, ce qui est bien constaté par le rapport de la section centrale. Si, messieurs, dans les sections, il a paru eu être autrement, si les opinions ont semblé présenter une assez grande divergence, j'ose dire que la cause en est à plusieurs véritables malentendus. Aujourd'hui ces malentendus sont à peu près dissipés parmi nous, mais ils ne le sont pas encore au-dehors et c'est principalement pour cela que j'en dirai quelques mots.

On s'était figuré, au premier abord, que l'effectif de guerre de 100,000 hommes était quelque chose de tout nouveau. On sait aujourd'hui que ce chiffre est fort ancien, et que les 80,000 hommes de l'armée devaient se compléter par 20 et même 30 mille gardes civiques, et le chiffre total a été depuis longtemps fixé à 100,000 et même à 110,000 hommes.

On avait cru aussi que cet effectif de 100,000 hommes rendrait le service militaire plus onéreux et en prolongerait la durée ; il est bien certain cependant que, si, sous le régime de la loi de 1845, la guerre avait éclaté, le gouvernement aurait demandé et obtenu, cemme il l'a fait à d'autres époque, une loi pour rappeler plusieurs classes de milice. Qu'on écrive donc dans la loi 8 années de services ou 10 années, en fait les choses se passeront de même, et le service ne sera pas plus onéreux dans une hypothèse que dans l'autre ; car, dans un cas comme dans l'autre, les deux classes les plus anciennes ne seront pas appelées en temps de paix et elles le seront inévitablement en temps de guerre.

Quand l'honorable M. Vandenpeereboom a dit que le gouvernement, en revenant aux huit années de service, ne concédait pas grand-chose, je suis à peu près de son avis. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? C'est que le gouvernement, en demandant les dix années, ne demandait pas grand-chose non plus. La différence véritable, c'est qu'on assurait pendant deux années de plus la conservation des effets militaires ; et pourvu, qu'on garantisse cette conservation, le but se trouvera atteint.

(page 1335) Ainsi, c'est bien à tort que dans quelques-unes de nos campagnes on s'est ému de ces dix années de service et qu'on a cru qu'il allait en résulter une charge extraordinaire pour nos miliciens.

On s'est figuré aussi, messieurs, que c'était cet effectif de 100,000 hommes qui nécessitait d'énormes dépenses nouvelles et qui élevait le budget de la guerre à 32 millions et que si l'on adoptait le chiffre de 80,000 hommes, dont parle la section centrale, il en résulterait une économie de plusieurs millions. C'est une très grande erreur.

Le fait est, messieurs, que l'effectif de 100,000 hommes n'est nullement ce qui fait la différence entre le chiffre du projet de budget de l'année 1853 et celui du budget de l'année dernière. Il importe qu'il n'y ait pas de méprise à ce sujet et qu'on reconnaisse d'une manière bien claire quelle est, sous le rapport financier, la différence entre le projet du gouvernement et celui qui a été formulé par les opposants dans le rapport de la section centrale.

Cette différence n'est pas de 3, de 4, de 5 millions, il ne faut pas croire qu'en adoptant les conclusions de la section centrale, on revient à un budget de 27, 28 ou 29 millions ; la différence tout entière n'a pas l'importance d'un million, elle n'est que 800,000 à 900,000 fr.

D'où provient la plus grande partie de la différence qu'il y a entre le budget proposé pour 1853 et celui de 1853 ? Elle provient, non pas de ce qu'on appelle un plus grand nombre de classes sous les armes, mais de ce que les hommes des classes appelées y restent plus longtemps sans aller en congé ; au lieu de 18 mois, ils demeureront deux ans et demi.

Là est la dépense nouvelle la plus considérable. Or, sur ce point et section centrale et gouvernement sont d'accord, C'est à la demande de l'honorable M. Thiéfry, c'est à ses constants efforts qu'on doit ce changement, changement qui n'a d'ailleurs jamais été combattu en lui-même, mais seulement comme devant amener une dépense nouvelle.

Messieurs, ouvrez le projet de budget de 1853, et vous y reconnaîtrez qu'à raison des deux années et demie qu'on tiendra les hommes sous les armes, l'allocation consacrée à la solde des soldats des diverses armes se trouve augmentée de plus de 2 millions.

Du même chef, l'article relatif au pain, au fourrage et au casernement se trouve augmenté d'un million et demi.

Voilà la grande cause de l'augmentation que présente le budget nouveau ; or, je le répète, sur ce point-là le gouvernement et les opposants sont d'accord. Leur dissentiment se borne à une allocation de 800 à 900 mille francs, qui forment le traitement accordé à 195 officiers constituant la différence entre les cadres du gouvernement et les cadres de la section centrale. Ces 195 officiers, qui forment la différence, sont le résultat de l'organisation de la réserve qu'on substitue à la garde civique.

Messieurs, tel étant le dissentiment, je dis que, pour nous, il ne peut pas y avoir lieu à hésiter sur le parti que nous avons à prendre : si nous adoptons l'opinion de la section centrale, nous prenons d'abord à nous une responsabilité immense ; si nous adoptons l'opinion du gouvernement, que nous reprochera-t-on, que nous reprochera la section centrale ? Que l'opinion du gouvernement coûte 800,000 fr. de trop ! Huit cent mille francs ! Et il s'agit de l'existence du pays !

Et de ces 800,000 fr. il faut encore déduire les pensions de non-activité, de disponibilité et de retraite qu'il aurait fallu payer à un certain nombre d'officiers qui prendront place dans la réserve. Mais la somme dont il s'agit a à peine l'importance de la garantie d'intérêt que nous accordons aux deux petits chemins de fer de Lierre à Turnhout et de Courtrai à Ypres.Quelle que soit l'utilité locale de ces travaux, leur importance peut-elle se comparer à celle des intérêts dont il s'agit ici ?

Et dans ce dissentiment nous avons d'un côté la réunion des autorités militaires les plus imposantes du pays, de l'autre la majorité de la section centrale dont un seul membre a des antécédents militaires.

Messieurs, quand il n'y aurait que la différence de l'effet moral produit dans l'intérieur du pays par l'adoption d'un système qui lui dit qu'il peut et doit se défendre, et celui de l'adoption d'un système qui abandonne le pays aux invasions, quand il n'y aurait que l'effet moral, à l'extérieur du parlement belge, marchant pleinement d'accord avec le gouvernement pour l'énergique défense de sa nationalité, et ne marchandant pas son concours, c'en serait assez pour compenser cette différence de quelques centaines de milliers de francs.

A part le côté financier, messieurs, n'y a-t-il point de système de défense meilleur que celui de la commission, n'y avait-il pas autre chose à faire, la commission a-t-elle trouvé d'emblée la perfection, a-t-elle épuisé toutes les questions, ne reste-t-il rien à faire ? Messieurs, je ne décide pas cette question, mais je dis qu'un seul système a aujourd'hui chance de succès et se présente avec une autorité suffisante, et que nous n'avons qu'une chose à faire pour en finir, c'est de l'adopter. Il faut, messieurs, terminer cette question ; il y a trop longtemps que l'incertitude pèse sur notre établissement militaire ; dans les circonstances où nous sommes, c'est déjà beaucoup trop de temps perdu.

Toute l'Europe est inquiète et cependant il n'est pas un pays en Europe qui doive avoir moins de sécurité à cet égard que nous, car nous sommes le champ de bataille où les conflits de l'Europe se décident depuis si longtemps.

Il faut donc, messieurs, décider de cette question ce qui peut être décidé aujourd'hui. Aujourd'hui, messieurs, nous trancherons la question des cadres, celle de la durée du service continu avec les questions financières qui s'y rattachent.

Ces questions résolues, les autres, s'il en reste, pourront trouver leur place après.

Messieurs, comme je le disais tout à l'heure, une triste parole est tombée dans ce débat. ; on a dit au pays un mot que je voudrais ne pas avoir entendu, on lui a dit... on lui a dit qu'il serait impuissant à se défendre !

A-t-on oublié que ce qu'on demande au pays, ce n'est pas même la résistance que de nos jours la Pologne, la Hongrie, le Danemark, ont opposée aux plus puissants Etats de l'Europe, c'est seulement de tenir contre l'ennemi pendant 3 ou 4 semaines jusqu'à ce que d'autres armées viennent au secours de sa neutralité violée. Et la Belgique ne serait pas capable d'un tel effort ! Pour accomplir une tâche pareille, il ne faut à la Belgique qu'une seule chose, il faut le vouloir ; mais il faut que le gouvernement et les chambres le veuillent comme la nation. Il y a, messieurs, dans les nations comme dans chaque homme des instincts généreux et de mauvais instincts ; si du haut du pouvoir ou du parlement on encourage dans la nation les instincts égoïstes, avares, découragés ou nonchalants, la nation descendra bientôt, tout effort vigoureux pourra lui paraître au-dessus de ses forces ; si on vient en aide, au contraire, aux sentiments généreux, la nation s'élève et devient capable de remplir la plus noble misson.

Si la Belgique, messieurs, restait en dessous de la sienne, soyez-en bien sûrs, la faute n'en serait pas à elle, mais au pouvoir ou à nous, aux hommes chargés de la conduire ou d'exercer une haute influence sur elle.

Messieurs, nous allons, je le crois, accomplir, quant à nous, notre tâche et nous l'accomplirons largement ; mais tout ne sera pas fait ; ce sera au gouvernement à remplir la sienne. Nous allons nous décharger d'une grande partie de notre responsabilité, mais celle du gouvernement en deviendra d'autant plus grave ; je ne me lasserai pas, quant à moi, de le lui dire, je voudrais l'en effrayer.

Oui, messieurs, dans ce moment, la responsabilité du gouvernement est immense.

Ce n'est pas, sans doute, qu'il n'y ait plus de probabilité de paix que de guerre, mais quoi qu'il en soit de ces chances, est-il un homme qui puisse répondre que tout ne sera pas changé dans quinze jours ? Sans doute on ne se décide pas légèrement à la guerre générale, mais une fois la décision prise, on peut en être sûr, les choses iront vite. Que le gouvernement suffisamment averti depuis longtemps ne se laisse pas prendre au dépourvu.

Ce n'est pas le tout d'avoir une belle place forte à Anvers si l'orage éclate avant de se retirer à Anvers, il y aura à se conduire honorablement et courageusement, et si la nécessité commande la retraite, il faut que celle-ci aussi soit courageuse et honorable. (Interruption.)

M. le président. - Je rappelle aux tribunes que toute marque d'approbation ou d'improbation est interdite.

M. Devaux. - Le gouvernement est averti par les événements, il l'est par nous, il n'y a plus d'excuse pour lui ; il faut que le pouvoir fasse sentir au pays et à l'armée une main énergique, intelligente, active. Il n'a pas assez fait jusqu'aujourd'hui ; qu'il remplisse résolument sa mission tout entière.

Ce serait un véritable crime si, par la faute de ceux qui l'administrent, cette Belgique qui s'est placée si haut dans l'estime des peuples, de laquelle on a pu dire qu'aucune vertu nationale ne lui a manqué dans la paix ; si cette Belgique devait être condamnée à s'entendre dire qu'elle n'a pas su s'élever à la seule vertu sans laquelle les autres ne sont rien, au jour du danger, le courage, l'énergie de défendre sa propre existence.

Il faut, messieurs, que la Belgique soit honorée jusqu'au bout, quels que soient les temps qu'elle ait à traverser.

Je ne recommande pas seulement ici au ministère son devoir le plus élevé, je lui recommande encore son propre intérêt ; qu'il en soit bien sûr, si une administration parvenait à s'identifier aux yeux du pays avec le grand intérêt de la défense nationale, si elle parvenait à le convaincre que par son énergie, son intelligence, son patriotisme, elle s'est mise à la hauteur de nos besoins militaires, une telle administration serait bien forte à l'intérieur.

Pour peu qu'elle gouvernât avec modération, elle serait respectable au yeux de tous les partis,car tous sentiront qu'ils ont besoin d'elle.

(page 1331) M. Jacques. - Messieurs, j'éprouve quelque eubarras à prendre la parole après l'orateur qui vient de se rasseoir : il a fait un appel chaleureux à nos sentiments patriotiques, et personne n'est sourd à vn pareil appel ; mais il faut prendre garde, lorsqu'on se décide à porter ses armements, dans la prévision d'une guerre peu probable, à des limites qui peuvent offrir quelque danger ; il faut prendre garde qu'on ne fasse arriver le danger plus tôt qu'il n'arriverait sans cela.

Je tâcherai d'être court et de mettre un peu d'ordre dans mes idées.

Le projet de loi qui est soumis à vos délibérations n'est que l'application, un peu amplifiée, du travail de la commission instituée en 1851 pour examiner toutes les questions relatives à notre établissement militaire. Cette commision a été formée par suite d'un vote émis par la chambre, le 25 janvier 1851 ; elle était le résultat d'une espèce de transaction entre les deux fractions du parti qui soutenait alors le gouvernement, les uns voulant maintenir le budget de la guerre avec l'organisation ancienne, les autres prétendant qu'il était possible d'introduire de nouvelles économies dans ce budget.

Je ne pris point part au vole qui amena la nomination de cette commission : je ne me faisais pas illusion, je n'espérais pas que cette commission parviendrait à faire voir qu'il était possible d'introduire de nouvelles économies.

Voici ce que je disais alors :

« Lorsqu'il s'agit de tenir compte de la question d'argent, je n'ai pas plus confiance dans les hommes spéciaux de la guerre que dans les hommes spéciaux des travaux publics. Ces messieurs trouveront toujours d'excellentes raisons, non pas pour montrer que l'on peut dépenser moins, mais pour prouver qu'il faut dépenser davantage. Tracez-leur, si vous voulez, une limite de 25 millions ; cela ne les empêchera pas de conclure par un brillant rapport où ils prouveront par des arguments péremptoires et en invoquant leur vieille expérience, qu'il est impossible, à moins de 32 millions, d'arriver à une œuvre complète et durable.»

Vous voyez que je ne m'étais pas trompé ; la commission a conclu précisément par vous proposer un budget de 32 millions.

Quelques mois après le vote de la chambre dont je viens de parler, lorsque l'honorable M. Frère vint proposer de nouveaux impôts qu'il déclarait nécessaires, soit pour rétablir l'équilibre financier, soit pour fournir les moyens d'exécuter divers travaux publics, je crus devoir alors m'opposer aux propositions du gouvernement ; je soutins que les ressources qui existaient étaient plus que suffisantes pour maintenir l'équilibre financier, et même pour exécuter tous les travaux publics qu'on annonçait alors ; j'opposai calculs à calculs ,et je dus finir par invoquer l'avenir qui prouverait de quel côté était l'erreur.

Nous avons maintenant cet avenir sous les yeux ; les impôts que l'honorable M. Frère est parvenu à faire voter malgré moi, produisent à peu près 3 millions par an.

Depuis cette époque, nous avons voté un nouveau traité avec la France, qui continue à nous faire perdre un million sur les vins, et le budget de la guerre se présente avec une augmentation de 5 millions. Et cependant, malgré ces six millions, M. le ministre des finances a démontré l'autre jour que l'équilibre financier ne serait pas détruit. Vous voyez donc, messieurs, que les ressources qui existaient alors, atteignaient le double but qu'on se proposait. Cependant la chambre préfera, à cette époque, les calculs de l'honorable M. Frère aux miens. C'est peut-être une chose heureuse puisque nous avons plus de ressources aujourd'hui que nous n'en aurions sans cette circonstance.

Maintenant je crois devoir m'opposer aux propositions dont nous avons été saisis par le gouvernement. Pas plus aujourd'hui qu'en 1851, je n'espère faire triompher l'opinion que je défends ; aujourd'hui, comme alors, la chambre se laissera égarer par des apparences trompeuses ; aujourd'hui comme alors elle préférera l'erreur à la vérité, et il ne me restera que la triste consolation de savoir dès aujourd'hui qu'il sera démontré dans deux ans pour tout le monde que je suis dans le vrai, et que les propositions du gouvernement ne sont qu'une exagération dangereuse.

Messieurs, le projet de loi qui vous est soumis concerne tout à la fois la politique extérieure, la politique intérieure, l'organisation militaire et la situation financière : permettez-moi d'apprécier le projet, en très peu de mots du reste, sous ces quatre faces différentes.

Quant à la politique extérieure, la neutralité, les traités, les relations personnelles du Roi avec les puissances étrangères sont certainement pour la Belgique des garanties précieuses ; mais je n'ignore pas, et je l'ai dit dans une autre occasion, que pour donner à cette neutralité, à ces traités, à ces relations, toute leur valeur, il faut que nous ayons soin de nous appuyer sur une armée forte et courageuse.

Le tout est de se renfermer dans de justes bornes, de ne pas donner à notre armée une extension qui puisse blesser les susceptibilités de l'un ou de l'autre de nos voisins, de ne pas la laisser trop faible pour que nous puissions être considérés comme ne remplissant pas les obligations que notre neutralité nous impose. Il serait plus facile, je pense, a M. le ministre des affaires étrangères de faire comprendre aux puissances sur l'appui desquelles nous comptons dans les circonstances actuelles qu'avec notre organisation telle qu'elle existe maintenant, nous faisons assez pour défendre notre cause, pour attendre l'arrivée de nos alliés, si nous étions attaqués ; qu'il ne lui sera facile de faire comprendre aux voisins contre lesquels nous sommes en défiance qu'en portant notre armée à 100,000 hommes, nous ne faisons rien dont ils doivent se préoccuper. Je sais que la France n'a pas peur de nos 100,000 hommes, mais elle pourrait trouver étonnant qu'après qu'elle nous a donné des garanties de paix dans toutes nos relations, nous ayons l'air de nous défier d'elle au point de porter nos armements à un chiffre trop élevé.

Je n'en dirai pas davantage sur ce point. Quant à la politique intérieure, je ne sais pas trop si les mesures qu'on propose ne feront pas plus de mal que de bien à notre situation militaire : si elles n'auront pas sur nos populations une influence fâcheuse qui détruirait la force morale que l'assentiment du pays ajoute à la force matérielle de l'armée ; si cette influence fâcheuse ne nous ferait pas perdre plus de force réelle que ne nous en procurerait la faible augmentation des cadres d'officiers qui fait l'objet du projet de loi.

Il ne s'agit au point de vue du budget, comme l'a dit l'honorable M. Devaux, que d'une dépense de 800,000 fr. Mais si au lieu de compter les francs, on compte les hommes, c'est beaucoup moins, il ne s'agit que de 195 officiers. Je demande si cette augmentation de 195 officiers est bien de nature à donner à notre armée beaucoup plus de valeur qu'elle n'en a maintenant.

Je dois combattre une erreur qu'on a accréditée et que j'espère détruire. On a tâché de nous faire croire que nous n'avions maintenant que 63,000 hommes sur lesquels nous puissions compter.

Je prétends que le gouvernement a dès maintenant à sa disposition une force de 100 mille hommes, 99 mille hommes au moins. Je sais que cette force n'est pas reconnue entièrement jusqu'ici par la loi, mais elle existe de fait, et il faudrait seulement une régularisation légale pour qu'il n'y eût rien à critiquer. Le gouvernement, dis-je, a dès maintenant à sa disposition 99 mille hommes : 2,400 officiers, 13 mille volontaires et huit classes de milice qui ensemble présentent un effectif de 99 mille et quelques hommes. Viennent ensuite les gardes civiques des villes fortifiées ou dominées par une forteresse ; d'après la loi du 8 mai 1848, le gouvernement peut en disposer pour la défense des forteresses où elles ont leur domicile ; les gardes civiques de ces quatorze villes comportent un chiffre de 14,500 hommes, Réunissez-y les 500 gendarmes qui peuvent être mobilisés et vous arriverez au total de 99 mille hommes.

Voilà les forces dont peut réellement disposer le gouvernement. Qu'on ne vienne pas soutenir qu'elles ne sont organisées que jusqu'à concurrence de 63,000 hommes. Les gardes civiques des forteresses, telles qu'elles sont organisées maintenant, peuvent servir à les défendre. Les divers généraux qui ont écrit sur l’organisation des armées et dont M. le colonel Henard invoquait tout à l'heure l'autorité, ont reconnu que pour la défense des places fortes, l'on peut employer des troupes moins exercées.

Ces gardes civiques ont donc, pour prendre part à la défense des places fortes de leur résidence, une organisition convenable et une instruction suffisante ; elles ont en outre l'avantage d'être sur place, tandis que malgré les nouvelles mesures qui ont été prises pour accélérer la rentrée (page 1332) des permissionnaires, il faudrait un certain nombre de jours pour faire arriver dans les forteresses les miliciens éparpillés dans toutes les communes du royaume.

Dans l'organisation de 100,000 hommes qu'il nous a soumise, le gouvernement compte 500 hommes de gendarmerie, ces 500 gendarmes ont aujourd'hui l'organisation qu'ils doivent aroir ; le gouvernement n'y propose aucun changement.

Pour la civalerie, l'artillerie et le génie qui comptent 19,500 hommes, le gouvernement ne propose rien de neuf, sauf l'adjonction d'un petit nombre d'officiers pour la formation des escadrons et des batteries de dépôt. Quant à la cavalerie dont les escadrons ont leur complet de six officiers chacun, l'on peut très bien continuer comme on l'a fait jusqu'ici, à en détacher le petit nombre d'officiers nécessaires pour la formation des dépôts. Il en est de même dans l'artilerie.

Voilà donc 19,500 hommes de cavalerie, artillerie et génie, 14,500 hommes de garde civique et 500 gendarmes dont l'organisation ne doit pas subir de modification.

Il reste pour l'infanterie 64 mille hommes. Comment sont-ils organisés ? Ils sont répartis en 294 compagnies actives dont chacune doit avoir ainsi sur son contrôle environ 220 mille hommes. Si vous deviez rappeler tous vos permissionnaires, vous auriez donc des compagnies de 218 à 220 hommes ; des bataillons de 1,300 hommes : les bataillons ne pourraient pas manœuvrer avec une force aussi considérable, mais le remède serait très simple, il suffirait de détacher de chaque bataillon deux compagnies du centre, ce qui réduirait le bataillon à 870 hommes en quatre compagnies : ainsi, dans les régiments à trois bataillons, les deux compagnies détachées du premier bataillon et les deux compagnies détachées du deuxième bataillon formeraient ensemble unquatrième bataillon de 870 hommes sous les ordres du lieutenant-colonel : les deux compagnies à détacher du troisième bataillon formeraient avec les compagnies de dépôt et d'école, un cinquième bataillon à placer sous les ordres du major du dépôt. Les 49 bataillons actifs ainsi que les 32 compagnies de dépôt et d'école se trouveraient ainsi formés instantanément en 81 bataillons à 4 compagnies.

Vous voyez, messieurs, que déjà maintenant vous pouvez faire mouvoir immédiatement vos 64 mille hommes d'infanterie.

Je ne veux pas contester cependant qu'il vaut peut-être mieux y appliquer l'organisation que propose le gouvernement, mais cela peut se faire sans loi nouvelle et par simple mesure administrative, le gouvernement ayant à sa disposition tous les éléments nécessaires, ainsi que je vais le constater : vous le comprendrez du reste sans peine en faisant attention que dans le système que je soutiens, au lieu de 100,000 hommes de milice, il n'y en a que 84,000 ; le surplus se composant des 500 gendarmes à mobiliser et des 14,500 hommes de gardes civiques des forteresses.

Dans ce système, il ne faut que 16 bataillons de réserve au lieu de 32. Pour organiser ces 16 bataillons, le gouvernement a dans les cadres fixés par la loi de 1845 tout ce qui est nécessaire ; j'ai fait le relevé comparatif, d'une part, des officiers qui existent maintenant dans la section de réserve, dans les compagnies de dépôt et d'école, dans les trois compagnies sédentaires, et dans la compagnie d'enfants de troupe, d'après le budget de 1852, et, d'autre part, des officiers qui sont nécessaires d'après le budget de 1853, pour les compagnies de dépôt, pour 16 bataillons de réserve, pour les compagnies sédentaires et pour la compagnie d'enfants de troupe.

D'après ce relevé, les officiers qui existent maintenant sont au nombre de 64+48+48+16=178, tandis que pour l'organisation projetée il n'en faut que 173, pourvu cependant que l'on ne compte que 32 officiers pour les 16 compagnies de dépôt, nombre que le gouvernement a considéré comme suffisant pour le pied de paix suivant une note remise à la section centrale.

Vous voyez donc que le gouvernement a dans les cadres actuels un nombre suffisant d'officiers pour constituer les 16 bataillons de réserve. Quant aux cadres des sous-officiers, j'en ai également le relevé sous les yeux. Ce relevé constate qu'en transformant les compagnies sus désignées de l'organisation actuelle pour les approprier à la nouvelle organisation suivant les détails du budget de 1853, il restera 17 sergents-majors et 17 fourriers disponibles et qu'il manquera seulement 64 caporaux qu'il ne serait pas difficile de trouver.

J'ajouterai que pour régulariser l'appel des 99 mille hommes il serait besoin d'une disposition législative, parce que quand on a fait une nouvelle loi sur la milice en 1847 on n'en a laissé que 7 classes à la disposition du gouvernement.

En fait le gouvernement a maintenant déjà les huit classes à sa disposition ; mais en droit il n'en a que sept : il faudrait donc une disposition législative pour que, d'ici au 1er mai 1856, époque à laquelle huit classes seront disponibles, on autorise le gouvernement à faire servir pendant 9 ans les trois plus anciennes classes, celles de 1845, de 1846 et de 1847. Il faudrait peut-être encore une disposition législative pour faire passer les officiers de la section de réserve à la section d'activité.

Moyennant ces deux dispositions, je soutiens que le gouvernement, par le simple usage des droits et des devoirs qui lui sont confiés, pour tenir les 99 mille hommes prêts à entrer en campagne.

Ainsi que je le disais tout à l'heure, sous le rapport financier, comme vous l'a très bien expliqué l'honorable M. Devaux, là différence n'est réellement que de 831,491 francs.

Mais n'est-ce rien que cette somme, lorsqu'il est démontré qu'on peut l'économiser, qu'on peut avoir la même force de 99 mille hommes sans faire usage de ces 831,491 fr. ? En faisant un emploi judicieux de cette somme, vous pouvez faire un bien immense. Vous n'avez même pas besoin d'une somme aussi forte pour donner aux travaux des chemins vicinaux une extension qui produise de très grands résultats. On ne sera du reste jamais en peine de trouver d'autres applications utiles pour absorber les ressources du trésor.

Je m'arrête ici ; je crois avoir rempli mon devoir. Je ne pense pas que les convictions qui se sont formées s'ébranlent ; mais je suis persuadé que je suis dans le vrai. Je suis persuadé qu'en créant 195 officiers de plus on ne fera rien d'utile pour la défense du pays. Je suis persuadé qu'avec de bonnes mesures administratives les cadres d'officiers que la loi de 1845 met à la disposition du gouvernement suffisent à tous les vrais besoins de la défense nationale.

Je pense qu'il serait préférable, dans l'intérêt du pays, de ne pas aller au-delà.

Réfléchissez-y pendant qu'il en est encore temps ; n'allez pas trop loin, je vous en prie, sachez vous renfermer dans des limites raisonnables.

N'oubliez pas que le développement exagéré des forces militaires a pour premier résultat d'épuiser les ressources du trésor et qu'au lien d'assurer à une nation la paisible jouissance de ses richesses et de ses libertés, il ne fait qu'ébrécher les unes et les autres, et préparer pour un avenir plus ou moins éloigné, par une pente irrésistible et fatale, le règne du sabre ; c'est un règne dont je ne veux pas.

M. Verhaegen. - Je m'étais fait inscrire pour répondre au discours de l'honorable M.de Liedekerke. Mais, ainsi que l'a fait remarquer mon honorable ami M. Devaux. ce discours qui était de nature à soulever les passions est resté isolé. Tout le monde aujourd'hui paraît d'accord sur une question que je défends depuis dix ans. Je crois faire acte de patriotisme en renonçant à la parole.

M. de Mérode. - Si quelque vérité politique doit se présenter aujourd'hui avec évidence, c'est la nécessité pour la Belgique de posséder une force militaire bien constituée et un esprit de prévoyance correspondant à l'égard de l'administration de ses finances. Avant 1848, on pouvait se faire ici quelque illusion à l'égard du besoin d'une armée établie sur des bases très solides. Depuis le renversement aussi subit qu'imprévu de la monarchie de juillet et les révolutions qui ont ébranlé d'autres empires, on est contraint d'admettre que l'existence des nations sans force militaire vigoureuse, n'est qu'un édifice sans consistance que le premier coup de vent peut enlever et détruire. C'est pourquoi, messieurs, je m'opposais en août 1851 de tous mes moyens à la dangereuse extension des travaux publics proposés au nom du système qui tendait à réduire le budget de la défense nationale à 25 millions.

Aussi ne puis-je concevoir comment certains membres de cette chambre prétendent encore que l'administration de cette époque a rétabli les finances publiques ; car s'il est vrai que par de nouveaux impôts elle a augmenté les recettes, ses conceptions dépensières énormes ont dépassé ces mêmes recettes, détruisant au contraire plus encore, au lieu de le relever, l'équilibre entre les frais à payer par l'Etat et ses revenus.

« Il ne faudrait pas conclure (disais-je) de mes recommandations de prévoyance financière contre une création prudente et successive da certaines voies de communication très coûteuses ; mais j'affirme hautement et hardiment que l'on devrait maintenant s'attacher à des travaux simples, peu chers, partagés, favorables à l'agriculture, comme les bons chemins de campagne, et l'évacuation plus facile des eaux des vallées où se trouve généralement le sol le plus précieux. Si certain haut commerce, certaine haute industrie doivent absorber en Belgique tous les autres intérêts nationaux ou particuliers moins en évidence, mieux vaut le reconnaître si l'on ne peut échapper à ce monopole et renoncer à d'inutiles efforts pour l'honneur et l'indépendance du pays. »

En 1851, c'est-à-dire à la veille de cette année 1852 qui inspirait tant de craintes fondées et malgré ces craintes, on ne pensait qu'à charger la Belgique d'une multitude d'intérêts à solder et de garanties de minimum de recettes assurées à des entreprises sans profit, dans des conditions qui partout les rendraient improductives. Nous avons à porter aujourd'hui ce fardeau, tellement lourd que, s'il arrivait des événements graves, je ne sais comment on parviendrait à le soutenir.

Cette situation, que j'aurais voulu prévenir depuis bien des années, me laisse, je dois l'avouer sincèrement, messieurs, des doutes sur le système militaire qu'on nous présente. On nous propose une armée susceptible d'être portée à 100,000 hommes.

Ce plan, abstraction faite de nos ressources d'argent disponibles en cas de guerre, a ses avantages, j'en conviens, et M. le ministre des finances nous a prouvé que nous pouvons mettre à la rigueur au système militaire ainsi conçu 32 millions sur pied de paix. Mais je demande où seraient nos moyens pour le cas de rassemblement sur un pied plus considérable ? Et je vois en perspective ces dangereux bons du trésor, remboursables à courte échéance, prêts à dévorer alors les emprunts forcés auxquels on aurait recours, comme il est arrivé en 1848 ou 1849 ; et quels efforts n'a-t-il pas fallu faire à cette époque pour porter seulement, pendant très peu de mois, notre effectif à 40 mille hommes sans brûler de poudre et lancer de boulets !

Armée sur pied de guerre et argent en très grande abondance, c'est tout un. Les militaires font volontiers, et l'on ne peut leur en faire un reproche, une stratégie peu soucieuse de s moyens pécuniaires. Le pouvoir civil devait s'inquiéter constamment de cet objet si sérieux ; mais il n'a été occupé que de satisfaire les convoitises locales. Il les a même (page 1333) organisées en coalitions contre le trésor public, et comment un peuple aurait-il plus de prudence et de prévisions patriotiques que son gouvernement ?

Peut être me reprochera-t-on de présenter ici des considérations inspirées par l'esprit de parti ; mais voilà longtemps que je suis envers et contre tous du parti de la prévoyance et de l'ordre financier. Une autre considération me retient encore à l'égard de cette organisation si étendue, c'est le danger pour la Belgique des attaques à l'improviste sur un territoire de peu de profondeur, attaques que rendent plus faciles ces multitudes de ponts dont les ingénieurs ont chargé nos rivières, comme la Sambre, dans le tracé de leurs chemins de fer. Ce genre d'invasion rapide et imprévue empêcherait le retour d'un grand nombre de permissionnaires à leurs corps respectifs. Il ne faut pas toujours se flatter de la part des agresseurs d'une bonne foi très sûre.

En 1831, un armistice indéfini jusqu'à dénonciation de part ou d'autre avait été convenu avec le gouvernement hollandais. Sans avis préalable, ses troupes ont attaqué les nôtres qui se croyaient en paix. Aux premiers jours de la république de France certains membres du gouvernement provisoire n'eussent pas craint de nous servir un Risquons-Tout mieux assorti ; s'ils ne purent le mettre à exécution, c'est faute de majorité dans leur aréopage qui n'accueillit point ces velléités.

Aujourd'hui, sans offenser les pouvoirs extérieurs qui nous entourent, nous pouvons être incertains sur les vues de ceux qui recueilleront leur héritage, et l'œuvre que nous cherchons à créer concerne l'avenir comme le présent.

La guerre déclarée en bonne forme nous permettrait de réunir nos cent mille hommes, si toutefois nous pouvions suffire à leur entretien. En effet, n'oublions point qu'en 1832 nos bataillons formèrent une muraille de résistance certaine vis-à-vis de la Hollande et que l'argent nous vint par un emprunt considérable, parce que selon les circonstances du moment, plus nous étions forts, plus la paix était assurée. En 1848 au contraire, personne ne nous eût prêté cent mille francs ; et quand paraîtra la menace de guerre il ne faut plus compter sur les emprunts.

Mes symphaties propres sont donc pour une armée belgs compacte et non pas trop distendue ; pour une armée parfaitement équipée en tous points, exercée et commandée de manière qu'à nombre égal chaque régiment qui la compose n'ait aucune infériorité vis-à-vis de quelque régiment que ce soit ; pour une armée groupée de manière à pouvoir en peu d'instants saisir et occuper son point d'appui et maintenir l'honneur du drapeau, parce que c'est un grand fait politique que l'honneur du drapeau maintenu et l'armée intacte, le pays même envahi.

En cas de surprise nous aurions beau dire : « Nous avions organisé cent mille hommes contre une attaque loyale. On a déjoué nos calculs fondés sur la bonne foi réciproque. » Cet argument nous a peu servi en 1831, les protocoles n'en tenaient point compte.

De ce que j'indique comme mon opinion, messieurs, il ne résulte nullement que je m'oppose au budget de 32 millions. C'est l'emploi de la somme sur lequel je diffère avec la commissioa d'enquête et le gouvernement. Je crains l'extension outrée de nos moyens militaires. Je préfère leur énergique cohésion, parce que dans notre défense contre une puissance majeure, seuls nous ne résisterons jamais que dans une position forte prise sans délai, jusqu'à ce qu'arrive le secours du dehors.

Je suis aussi persuadé, d'autre part, que si nous pouvons payer en temps tranquille un budget militaire de 32 millions, en temps d'hostilités, nous ne pourrons en solder un montant au double. Il nous faudrait pour cela une admirable prévoyance financière, et la nôtre consiste à émettre des « bons », c'est-à-dire des « mauvais » pour le trésor, puis à les consolider quand on le peut, puis à en émettre de nouveaux.

Si le royaume de Sardaigne eût été fondé sur ce régime financier, jamais ses troupes n'eussent atteint l'Adige, car elles ne pouvaient jamais être mises sur pied de guerre. Peut-être, avec un trésor obéré, les habitants de ce pays auraient-ils évité les conséquences funestes d'une agression qui s'est terminée par une invasion. Mais l'ordre et l'économie ne nous conduiront jamais, messieurs, à de pareilles campagnes. Nous ne demandons tous ici qu'à les éviter.

Je ne prétends pas, messieurs, que mon opinion doive l'emporter dans vos esprits sur celle de M. le ministre de la guerre et des personnes qu'il a choisies pour l'assister en ce débat. J'ai cru seulement qu'il était à propos de présenter ici mes objections au système proposé et j'ai tâché de remplir ce devoir.

M. Moreau. - Quoique le budget de la guerre ait été chaque année l'objet de critiques très vives de la part de plusieurs de nos honorables collègues, je n'ai cessé de lui donner mon approbation, car je reconnais avec le gouvernement que nous devons avoir une bonne armée, apte à défendre avec succès notre nationalité, notre indépendance.

L'armée a donc toutes mes sympathies, je l'ai prouvé par mes actes.

Cependant à entendre certains orateurs qui ont parlé dans la dernière séance, il semblerait que les opposants au projet du loi veulent entièrement désorganiser l'armée, veulent laisser la Belgique sans moyens de défense, l'abandonner en quelque sorte à la merci de tous ceux qui tenteraient un coup de main contre son existence politique.

Là n'ist pas, messieurs, comme on voudrait, me paraît-il, le faire croire, la question que vous avez à résoudre.

Il ne s'agit pas de savoir s'il faut ou non à la Belgique une armée bien organisée, il ne s'agit pas de savoir si ceux qui repoussant le projet de loi ont moins de patriotisme, moins de dévouement à la chose publique que d'autres qui lui donnent leur assentiment.

J'en ai, messieurs, l'intime conviction, nous sommes trop heureux d'être devenus une nation pour qu'un seul de nous hésite un seul instant à consentir tous les sacrifices nécessaires pour garantir et protéger d'une manière efficace notre existence politique.

Ramenons donc la discussion sur son véritable terrain. D'après moi la seule divergence d'opinion qui se manifeste, existe entre les propositions du gouvernement et les conclusions de la section centrale.

Vous demandez une bonne armée, d'accord, mais ne l'aurez-vous pas, en maintenant, comme en vous le propose, la loi de 1845 ? Faut-il pour que l'armée soit bien organisée que celle loi soit modifiée de manière à ce que vous ayez une force de 100,000 hommes ?

Quant à moi, messieurs, je crois qu'aujourd'hui on veut aller trop loin, qu'on veut dépasser de justes limites, car il ne m'est pas démontré qu'il soit nécessaire d'imposer à nos concitoyens la double charge d'une forte augmentation de dépenses et d'une prolongation du service.

J'avoue très humblement mon incompétence dans les questions de stratégie.

Toutefois si je n'ai pas les connaissances nécessaires pour les traiter, mon abnégation ne va pas cependant jusqu'à m'en rapporter aveuglément au travail de la commission d'enquête.

Elle était sans doute composée d'hommes très remarquables, très distingués, mais reconnaissons que, naturellement et de la meilleure foi du monde, plusieurs membres devaient avoir quelque tendance à demander un peu plus, et mon Dieu, je ne veux pas leur en faire le moindre reproche ; chacun de nous, placé dans cette position, n'aurait pas probablement agi autrement.

Il m'est donc bien permis, messieurs, de puiser les éléments de ma conviction à d'autres sources, lorsque j'ai tout lieu de croire que la vérité en découlera.

Messieurs, notre armée a été formée par une loi, c'est celle de 1845, cette loi est-elle bonne, répond-elle à tous les besoins ? Telle est la question que je me suis posée.

Eh bien, messieurs, depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, j'ai entendu de toute part prôner l'excellence de celle-ci par les hommes les plus compétents ; les uns disaient que l’organisalion dont la Belgique était dotée lui permettait de mettre promptement sur pied, au premier cri d'alarme, une armée, non pas, comme on l'assure aujourd'hui, de 63,000 hommes, mats une armée de 80,000 hommes, une armée qui, bien organisée, bien manœuvrière et disciplinée, pouvait faire face à toutes les éventualités.

D'autres soutenaient que cette loi d'organisation, élaborée avec tant de soins, mise en vigueur depuis si peu de temps et qui avait cependant produit déjà de si heureux, de si remarquables résultats, était large, complète.

Tantôt, il fallait bien se garder de toucher à ce palladium contre lequel viendraient se briser tous les efforts de nos ennemis éventuels, il fallait bien se garder de modifier cette charte de l'armée qui n'était pas une improvisation, mais le fruit de dix longues années d'études d'hommes les plus compétents.

Tantôt enfin, il y avait même péril à examiner si cette organisation simple, rationnelle, économique, libérale pouvait être révisée. Car à quoi bon ? La loi de 1845 fonctionnait bien, l'armée faisait tous les jours des progrès à l'abri des institutions qui la régissaient.

Messieurs, je n'ai rien exagéré, je fais un appel à vos souvenirs et s'ils vous font défaut, veuillez recourir aux Annales parlementaires de 1848 à 1851.

En présence de ces opinions émises par des hommes instruits, ayant toutes les connaissances nécessaires pour traiter et décider la question soumise à notre examen, le système de la commission d'enquête doit, ce me semble, être singulièrement ébranlé. Pouvons-nous donc nous rallier entièrement à ses conclusions ?

En présence d'assertions aussi rassurantes émanant d'hommes dont la responsabilité était fortement engagée, ne m'est-il pas permis de demander messieurs, comment il se fait que cette loi de 1845 que l’on déclarait naguère parfaite, si complète, soit devenue presque tout à coup insuffisante pour garantir notre nationalité ?

Comment d'accord avec la section centrale, nous ne pourrions admettre le maintien de cette loi sans nous rendre en quelque sorte coupable d'un grand crime envers le pays, envers l'armée elle-même ?

Ne m'est-il pas permis de demander pourquoi, s'il est vrai que la loi de 1845 ne donne des cadres que pour 63,000 hommes, le tableau annexé au rapport fourni par le gouvernement constate que maintenant notre armée est forte de 85,000 hommes ?

Pourquoi l'on nous disait, il n'y a pas bien longtemps, qu'au premier cri d'alarme, une armée de 80,000 hommes serait instantanément mise sur pied, et naturellement avec des cadres suffisants ?

Eh quoi, ils étaient donc bien imprudents, ceux qui, depuis 1848, sous leur propre responsabilité, venaient nous assurer que notre armée telle qu'elle était organisée pouvait parer à toutes les éventualités.

Nous trompaient-ils, lorsqu'ils affirmaient d'une manière si formelle, avec tant d'assurance, que l'organisation du 1845 présentait toutes les garanties désirables ? Certes, il n'est pas possible qu'ils aient joué un rôle aussi peu honorable.

Je ne puis croire davantage qu'ils se soient trompés à ce point, je ne puis en bonne conscience consentir à délivrer sans motifs un brevet d'incapacité à des hommes aussi distingués et dont les lumières et les connaissances m'inspirent beaucoup de confiance.

(page 1334) Je dois d'autant plus accueillir favorablement leur décision, qu'ils en assumaient toute la responsabilité.

Sans doute, messieurs, une armée de 100,000 hommes est, comme on l'a dit, plus forte qu'une armée de 80,000 hommes.

Mais, si l'organisation actuelle avec 80,000 hommes suffit, comme on l'a cru jusque maintenant, pourquoi ne pas s'en tenir à ce qui est ? Pourquoi voter du superflu ?

Si 100,000 font plus que 50,000, il faut se dire aussi que 32 millions sont aussi quelque chose de plus que 28 à 30 millions et que si même le trésor public peut fournir, sans trop de gêne pour le contribuable, ces quelques millions de plus, ce n'est pas un motif pour les dépenser sans nécessité bien constatée.

Ne craignez rien, messieurs, on en trouvera facilement l'emploi.

Si en 1848, 1849, lorsque l'Europe était si fortement ébranlée, la loi de 1845 était reconnue suffisante, je ne sais s'il convient, si la prudence même commande d'augmenter aujourd'hui l'effectif de notre armée.

Alors, mais pas plus qu'aujourd'hui, nous éprouvions le besoin de défendre avec énergie notre nationalité, si elle était compromise.

Alors comme aujourd'hui la guerre pouvait surgir et nous étions prêts, nous disait-on, à parer à toutes les éventualités, en mettant de suite sur pied une armée de 80,000 hommes.

On veut, dit-on, créer des cadres nouveaux pour la réserve ; le système de la loi de 1845, prétend-on, est vicieux sous ce rapport.

Je vous ferai d'abord remarquer que la commission elle-même a été loin d'être unanime dans la décision qu'elle a prise sur ce point, le gouvernement ne s'est pas même rallié à son avis.

En France, messieurs, on a aussi voulu faire la même chose, on a voulu, comme on le propose aujourd'hui, entretenir au sein de la paix les cadres des corps de troupes qu'on pouvait être obligé de mettre sur pied pendant la guerre.

Eh bien, voici ce que disait en cette occasion à la tribune française un général distingué dont certes on ne récusera pas l'autorité en cette matière, l'illustre général Foy :

« L'excès de la dépense n'est pas le seul inconvénient de ces cadres vides et boursouflés. Quelle place tiendront-ils dans les lignes de bataille ? Quelle instruction pourront-ils acquérir ? Quel goût prendront à leur métier des soldats tracassés par le trop grand nombre des officiers et des sous-officiers ?

« Ce n'est pas là, messieurs, l'organisation militaire que recommandent la raison d'Etat et les traditions de notre gloire.

« Vous possédez une loi de recrutement qui rend les levées des soldats promptes, faciles, abondantes ; mettez-en sur pied chaque année le plus que vous pourrez, sans imposer à la population des charges inutiles. Faites en sorte, par un bon système de congés, d'obtenir un effectif qui soit le plus nombreux sans coûter davantage.

« Etablissez avant tout une proportion raisonnable entre le nombre des cadres et le nombre des soldats qui doivent les rempiir.

« La guerre survenant, vous dédoublerez vos bataillons et vos escadrons ; vous procurerez de l'avancement à vos officiers ; vous imprimerez un mouvement moral à votre armée. »

Tel était, messieurs, le langage que tenait ce grand général et vous voyez qu'il n'est pas favorable au système que vous demandez d'adopler, système qu'il ne faut pas admettre à la légère, car il sera bien difficile de le modifier si par la suite il était reconnu vicieux, parce que l'on devra tenir compte des positions acquises.

Enfin, messieurs, qu'il me soit encore permis de faire un appel à vos souvenirs. N'est-il pas vrai que si, en 1851, on avait maintenu la loi d'organisation de 1845, on ne serait pas venu, comme on l'a dit avec raison, nous demander aujourd'hui davantage ?

Une seule voix s'est-elle fait entendre dans cette enceinte pour obtenir plus ?

Quelle était la proposition qui vous était faite alors par les partisans les plus chaleureux d'une armée forte et bien organisée ? N'était-ce pas le maintien pur et simple de cette loi de 1845, et qu'ils veuillent bien l'avouer, si on leur avait offert alors cet état de choses, ils l'auraient accepté avec bonheur ; ils ne me démentiront pas, je pense.

En résumé, messieurs, je crois que la loi de 1845 est bonne, si elle est exécutée, si elle devient, comme on l'a dit, une vérité, si surtout on tient plus longtemps les miliciens sous les drapeaux pour leur donner une instruction plus solide et leur faire gagner davantage l'esprit de corps.

En votant le maintien de cette organisation, je crois faire chose plus utile, plus avantageuse à l'armée qu'en adoptant le projet de loi.

J'ai entendu dire souvent, messieurs, qu'une institution aussi grande, aussi utile que l'armée ne devait pas voir son existence remise en question et menacée chaque année.

Je partage entièrement cette opinion, mais je crains bien qu'en votant le projet de loi, vous n'atteigniez pas le but louable que vous vous proposez, je crains bien que votre organisation nouvelle qui n'anra pas même, comme celle de 1845, la consécration du temps, ne donne lieu bientôt à de vives critiques.

Il est, messieurs, une vérité que l'on a proclamée depuis longtemps, c'est que si en temps de guerre c'est la nécessité qui commande l'import du budget de la guerre, en temps de paix c'est l'état des finances qui le détermine.

Vous obtiendrez peut-être aujourd'hui l'organisation que vous demandez, un budget de 32 millions, parce que, comme on le dit, l'on aperçoit quelques nuages à l'horizon ; mais à peine seront-ils dissipés que l'on viendra vous dire que les temps sont changés, les charges trop lourdes?, et vous verrez péricliter l'œuvre que vous aurez si laborieusement élevée.

Tels ne sont pas, messieurs, mes désirs, car je fais des vœux sincères pour que cette question de l'armée reçoive une bonne fois une solution définitive, je le souhaite dans l'intérêt de nos braves soldats, dans l'intérêt de mon pays.

Mais notre devoir à nous est de dire franchement quoi qu'il arrive, ce que nous pensons, ce que nous prévoyons, et il suffit de se demander, la main sur la conscience, si l'on peut espérer que la Belgique sera en tout temps disposée à être condamnée à un budget de la guerre de 32 millions, à voir ses enfants non libérés du service pendant dix ans, pour prévoir quelles seront les conséquences d'un vote favorable que vous émettriez sur le projet de loi.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures 3/4.