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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 12 décembre 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 211) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dumon lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le sieur Henri-Joseph Charlier, instituteur à Feschaux, lieu de sa naissance, prie la chambre de décider si la qualité de Belge lui est acquise et, en cas de négative, de lui accorder la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le conseil communal et d'autres habitants de Mellier prient la chambre de rapporter les dispositions de la loi du 23 mars 1847 sur le défrichement des terrains incultes qui s'appliquent aux vaines pâtures de l'Ardenne luxembourgeoise. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Raulot, ancien fermier, demande la prohibition à la sortie du froment, du seigle, de l'orge et de l'avoine. »

M. Van Renynghe. - Je propose le renvoi de cette pétition à la commission, avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Des négociants, fabricants et industriels, à Bruxelles, demandent que les péages du canal de Charleroi et de la Sambre soient mis en harmonie ayee ceux des autres voies navigables et qu'en attendant la mise à grande section du canal de Charleroi à Bruxelles et l'approfondissement de la Sambre au même tirant d'eau que le canal de Charleroi, ils soient réduits sur le canal à petite section de Charleroi à Bruxelles, à 40 c. pour tout le parcours et ceux de la Sambre canalisée à 2 c. par tonne-lieue pour toute destination. »

« Même demande de négociants, fabricants et industriels de Malines. »

« Même demande de négociants, fabricants et industriels d'une commune non dénommée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Composition des bureaux de section

Les sections se sont constituées comme suit :

Première section

Président : M. Lange

Vice-président : M. Deliége

Secrétaire : M. Maertens

Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe


Deuxième section

Président : M. Mercier

Vice-président : M. Rodenbach

Secrétaire : M. Van Overloop

Rapporteur de pétitions : M. Thenpont


Troisième section

Président : M. Osy

Vice-président : M. Dumortier

Secrétaire : M. Vermeire

Rapporteur de pétitions : M. de Perceval


Quatrième section

Président : M. de T’Serclaes

Vice-président : M. Laubry

Secrétaire : M. Magherman

Rapporteur de pétitions : M. Orban


Cinquième section

Président : M. de Renesse

Vice-président : M. le Bailly de Tilleghem

Secrétaire : M. Van Iseghem

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Sixième section

Président : M. Ch. Rousselle

Vice-président : M. T’Kint de Naeyer

Secrétaire : M. Closset

Rapporteur de pétitions : M. Ad Roussel

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1854

Rapport de la section centrale

M. de Brouwer de Hogendorp dépose le rapport de la section centrale sur la partie du budget des travaux publics qui concerne le chemin de fer, les postes et les télégraphes.

- La chambre ordonne l'impresssion et la distribution de ce rapport.

Projet de loi sur les brevets d’invention

Discussion des articles

Article 11

M. le président. - Nous en sommes à l'article 11, qui indique les causes pour lesquelles un brevet pourra être déclaré nul. La section centrale a proposé de transférer de l'article 10 à l'article 11 le paragraphe relalif à la nullité pour cause de non-exploitation. A la suite de cet amendement, MM. Tesch et E. Vandenpeereboom proposent d'ajouter les dispositions suivantes :

« Art. 12 (nouveau). Toutefois, le gouvernement pourra accorder une prolongation de délai pour l'exploitation du brevet. Cette prolongation ne pourra excéder le terme de (à fixer). L'arrêté qui statuera sur la demande de prolongation sera motivé et inséré au Moniteur trois mois au moins avant l'expiration des trois années. », Puis viendrait l'article 12 ancien qui serait l'article 13 nouveau.

« Art. 14 (nouveau). Dans les cas prévus par les articles 11 et 13 la nullité du brevet pourra être déclarée par le gouvernement.

« Art. 15 (nouveau). Toute réclamation contre l'arrêté déclarant la nullité sera portée devant les tribunaux au plus tard dans les six mois à dater du jour de cet arrêté

« Art. 16 (nouveau). En l'absence d'un arrêté déclarant la nullité, tout intéressé pourra se pourvoir devant les tribunaux pour la faire prononcer. »

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, plus nous avançons dans la discussion, plus nous rencontrons de difficulté à concilier les deux intérêts en présence : celui de la société et celui des brevetés.

Je crois que nous arriverons à une bonne solution de ces difficultés par une disposition de transaction et en nous plaçant dans la voie de la liberté modérée.

Il me semble que c'est une grave erreur de croire que l'intérêt de la société soit toujours opposé à celui du breveté et réciproquement.

L'intérêt de la société est d'avoir beaucoup de personnes qui inventent, d'abord pour jouir des fruits de l'invention, ensuite pour percevoir la taxe du brevet. L'intérêt de l'inventeur c'est de mettre le plus tôt possible en pratique l'objet pour lequel il a fait tant de recherches et dépensé tant d'argent et de le développer autant que possible.

On suppose toujours un inventeur qui porte à son invention pour ainsi dire un amour platonique, qui se renferme pour cacher cette invention ; s'il a cette passion, je dirai cette folie, il ne demandera pas de brevet. Il se contentera de faire chez lui une petite machine qu'il montrera à ses amis, et il ne cherchera pas à en faire un objet de commerce ou d'industrie.

C'est ce qu'on a bien compris en Angleterre, en Autriche et en Amérique. Dans ces pays, on délivre beaucoup de brevets et beaucoup d'inventions y sont exploitées.

On n'y pas établi de terme de déchéance. Ces grandes nations se sont dit ; De deux choses l'une ; ou le brevet est bon, et alors le breveté, soit par ses propres capitaux, soit par des capitaux associés, va exploiter son industrie ; ou le brevet n'est pas bon, et alors il tombera dans le domaine public ; il ira dans le grand cimetière des choses sans valeur et il y restera.

Il me semble que les brevets ne manquent ni en Angleterre, ni en Autriche, ni aux Etats-Unis ; et la preuve qu'il n'en manque pas, c'est que, par année, on compte 3,000 brevets eu Angleterre, 2,500 aux Etats-Unis et à peu près autant en Autriche.

Eh bien, à l'exemple de ces grands pays, nous devrions laisser faire la liberté, et, soyez-en bien sûrs, la liberté porte de bons fruits. Il en est des inventions, quand elles sont véritablement bonnes, comme d'une source féconde, qui commence par déborder, s'écoule ensuite par toutes les pentes et vers tous les bassins qui lui sont ouverts. Mais je ne veux pas insister sur ce principe de liberté absolue, parce que je crains qu'il n'aurait pas de chances d'être adopté par cette chambre.

Ainsi, le système des échéances admis ou toléré par nous, voici les difficultés que nous rencontrons.

Il faut un terme de déchéance, dit-on, car il y a un intérêt social en jeu : si on n'allait pas exploiter un brevet dont l'application doit porter de bons fruits, la société est lésée ; mais je voudrais bien qu'on me signalât quelles sont, depuis 50 ans, les inventions intéressant la société, qui n'ont pas été exploitées du tout. Et quant à celles qui ne sont exploitées qu'incomplètement, vous ne pouvez pas ordonner artificiellement et par la loi que tout le monde jouisse de ces inventions-là.

Ainsi, tout le monde a-t-il à sa disposition des bateaux à vapeur, des, métiers à la Jacquard ? Je pourrais en dire autant d’autres inventions. Non, certainement, les inventions nouvelles ne viennent que là où elles peuvent vivre. Il faut se borner à les laisser arriver et à en assurer la libre possession.

Mais, dit-on, il peut se faire qu'une grande invention soit tenue cachée par l'inventeur ; je suppose la découverte d'un engrais tellement puissant que son emploi double la production agricole et produise à si bon marché qu'il serait à la portée de tout le monde : si l'inventeur, par manie, se soucie peu d'en faire beaucoup d'argent, qu'allez-vous faire ?

Je réponds : Je l'exproprierai pour cause d utilité publique, et comme ce cas se présentera très rarement et que la liberté que je laisserai aux inventeurs me donnera beaucoup de recettes, je serai assez riche pour payer le procédé que j'exproprierai, cas qui se présentera une fois tous, les dix ans.

Si le système de déchéance est admis, je dis que le terme doit être assez long pour permettre au breveté de se mettre en règle. Il y a pour cela plusieurs raisons.

D'abord qu'entendez-vous par exploiter ? Il faut, dites-vous, que dans, les deux ans on exploite l'invention. J'invente une nouvelle locomotive ; exploiter l'invention, est-ce construire la machine ou la faire rouler sur les chemins de fer ? Je n'en sais rien, la loi ne le dit pas. S'il (page 212) s'agit d'un appareil de pont, faut-il qu'un pont soit livré au passage, sous peine de déchéance, dans les deux ans ?

Mais qu'arrivera-t-il, s'il faut cinq ans pour faire le pont ou la locomotive ? C'est encore une raison pour ne pas fixer un délai trop court.

L'exploitation, me dit l'honorable M. de Muelenaere, c'est la mise en usage. Mais alors donnez un terme assez long pour qu'on puisse mettre en usage le procédé inventé.

On objecte que si on donne un brevet et qu'on ne force pas le breveté à le mettre en exploitation dans le pays en même temps qu'à l'étranger, il en résultera un grave dommage pour la Belgique.

C'est là ce qui a motivé l'amendement de l'honorable M. David, que j'avais proposé avant lui. Mais cette disposition pourra facilement être éludée. Je dirai : Je prends un brevet en Angleterre et en Belgique, je suppose que ce soit pour la fabrication des clous. J'en fabriquerai dix mille tonneaux en Angleterre et j'en fabriquerai seulement 50 tonneaux en Belgique. Viendrez-vous dire que je n'exploite pas sérieusement ? Je répondrai : Je fabrique autant que je le puis, en raison du prix du fer et de la houille et des demandes qu'on me fait. Qu'on m'en prenne autant qu'en Angleterre et j'en fabriquerai autant en Belgique.

Ce que je dis des clous, je puis l'appliquer aux tissus et à tous les objets fabriqués.

Je connais une ville de France, que je ne nommerai pas, où l'on entretient une petite fabrique pour simuler une fabrication et tous les jours on importe en fraude des produits fabriqués à l'étranger qu'on débite sous la marque de l'établissement français.

Il en serait de même quand on voudrait éluder la disposition proposée par M. David. On établirait une petite fabrique pour masquer la fraude ou garder le brevet.

Le gouvernement pourrait, ce me semble, admettre le terme de trois années, qui est une espèce de transaction proposée par la section centrale.

A présent, en admettant que la déchéance soit acceptée par la chambre, qui va en être juge ?

Les tribunaux seuls doivent être juges. Car ce que vous avez fait par votre brevet d'invention, c'est accorder un droit civil temporaire. Or, que peut déclarer ce droil civil déchu ? Ce n'est pas l'autorité administrative qui est incompétente. Ce sont les tribunaux.

Il y a ici trois intérêts à sauvegarder ; il y a (on le soutient ; quant à moi, je ne le crois pas), il y a, dit-on, l'intérêt de la société ; celui-là est représenté par le gouvernement ; il y a l'intérêt du breveté ; il y a l'intérêt des tiers.

Ce que nous avons recherché, mon honorable ami M. Tesch et moi, c'est de sauvegarder ces trois intérêts sans les pousser fatalement à des procès, sans leur causer les frais et tous les tracas qui résultent de ces procès.

C'est cette pensée de conciliation qui nous a suggéré l'amendement dont M. le président vous a donné lecture. Les dispositions de cet amendement vous prouvent que nous avons cherché à laisser les droits ouverts à chacun des trois intéressés que je viens de vous indiquer.

Voici en peu de mots quelle est la portée de l'ensemble de ces dispositions :

Si le gouvernement croit l'intérêt social engagé, nous lui laissons le droit de déclarer la déchéance. Si le gouvernement déclare la déchéance et si, après enquête, après examen ultérieur, et après avoir été attaqué par le breveté, il reconnaît s'être trompé, il retire son arrêté et le procès ne continue pas.

Si le gouvernement doute, au contraire ; si dans l'avancement des travaux de l'inventeur il croit qu'il y a des motifs de prorogation, il ne prend pas l'arrêté de nullité, et alors les tiers se croyant assez intéressés pour intenter au breveté une action, le font à leurs risques et périls. Ils ne sont pas non plus forcés de le faire, mais ils peuvent le faire. Ils peuvent dire au gouvernement : Vous vous taisez, vous ne faites rien, eh bien, je vais poursuivre, et les tribunaux prononceront.

Quant au breveté, voici sa position ; et il faut l'avouer, elle est moins bonne que celle du gouvernement et des tiers ; car il peut être attaqué à la fois et par l'un et par les autres.

Mais enfin il a accepté ces conditions. S'il est frappé par le gouvernement ou s'il est attaqué par un tiers, il se présente devant le tribunal et il fait valoir toutes les causes de retard qu'il a eues. Ainsi il peut arriver, et c'est le cas où s'est trouvé un de nos collègues de cette Chambre, qu'un inventeur fasse une découverte dont personne ne veuille faire l'application.

Noire collègue avait inventé, je crois, un appareil de descente dans les fosses à charbon ; lorsqu'il a voulu en faire l'application, on lui a répondu : A une époque de chômage, nous essayerons volontiers votre appareil ; mais en ce moment-nous sommes trop pressés ; nous avons trop d'ouvrage : attendez.

Eh bien, si un inventeur, dans une position pareille, est attaqué par le gouvernement, il se défend devant le tribunal et le tribunal reconnaîtra qu'il n'a pu appliquer son invention.

Messieurs, nous croyons, de cette manière, avoir concilié beaucoup d'intérêts. Je ne dis pas que nous aurons prévenu toutes les difficultés. Si vous vous écartez du système de non-déchéance, qui existe en Angleterre, en Amérique, eu Autriche, vous rencontrerez toujours des difficultés. Mais nous avons voulu vous proposer une disposition de conciliation ; c'est à la Chambre à voir si elle peut l'accepter. Mon honorable collègue et ami pourra, mieux que je ne saurais le faire moi-même, vous donner d'autres développements relatifs à notre proposition.

M. Tesch. - Messieurs, j'aurai peu de chose à ajouter à ce que vient de vous dire mon honorable collègue et ami.

Voici, messieurs, les idées qui m'ont guidé dans la proposition que nous vous avons faite de commun accord.

Dans mon opinion, la concession d'un brevet constitue une véritable propriété civile, propriété civile temporaire à la vérité, mais qui néanmoins doit être subordonnée aux lois générales de la société, tant qu'elle existe. Lorsque la concession est faite, le gouvernement, vu la loi, la subordonne aussi à différentes conditions. Une des principales conditions, c'est que le brevet soit exploilé dans un délai que la Chambre fixera.

Il surgira nécessairement des difficultés sur la question de savoir si ces conditions ont été remplies ou n'ont pas été remplies. Ces questions, qui peut les juger ?

Il me semble que les tribunaux seuls le peuvent. Il s'agit de savoir sî un breveté a rempli les conditions qui lui étaient imposées, de savoir si vous le maintiendrez dans sa propriété ou si vous le dépouillerez de cette propriété qu'il prétend posséder légitimement, pour laquelle il prétend avoir rempli toutes les conditions qui lui étaient imposées. En strict droit donc, on devrait aller jusqu'à dire que toujours les tribunaux, doivent prononcer sans intervention aucune du pouvoir administratif. Mais l'intervention unique des tribunaux aurait certains inconvénients ; elle exposerait toujours à des procès. C'est pour cela que, pour sauvegarder l'intérêt social, nous avons pensé qu'on pouvait donner au gouvernement le droit de faire connaître sa manière de voir, de décréter que les conditions n'ont pas été remplies, sauf examen ultérieur par les tribunaux qui auraient à voir si l'exploitation a eu lieu ou n'a pas eu lieu.

S'il est démontré que l'exploitation a eu lieu, s'il est prouvé que l'inventeur a rempli les conditions qui lui étaient imposées, il doit être maintenu en possession de sa propriété, c'est-à-dire de son brevet d'invention.

L'intérêt social se trouve donc d'abord garanti, puisque le gouvernement peut agir. Il peut agir en posant un acte de déchéance.

L'intérêt du breveté est garanti en ce qu'en dernière analyse il a recours aux tribunaux.

A côté du gouvernement et à côté du breveté il y a un autre intérêt : c'est celui des tiers. Je suppose que le gouvernement n'agisse pas, soit parce qu'il croit que la chose est de trop peu d'importance, soit parce qu'il ne veut pas s'engager dans un procès, soit parce qu'il pense que l'objet ne sera d'aucun intérêt pour la société, soit parce qu'il a des doutes sur la question de savoir s'il y a ou s'il n'y a pas exploitation du brevet.

Eh bien, alors : nous donnons encore au tiers le droit de poursuivre la déchéance. Enfin, messieurs, voici ce qui peut aussi arriver, c'est qu'un tiers parfaitement convaincu qu'il n'y a pas eu exploitation et que, par conséquent, il y a déchéance, se mette, lui, à fabriquer l'objet breveté ; en ce cas, le breveté pourra venir soutenir qu'il y a là une espèce de contrefaçon, ou plutôt rapt de sa propriété ; il poursuivra le tiers en contrefaçon et les tribunaux décideront si réellement il y a contrefaçon, ou bien si le breveté se trouve dans un cas de déchéance prévu par la loi.

Voilà, messieurs, le système que nous proposons ; je crois qu'il donne satisfaction à tous les intérêts.

M. Vermeire, rapporteur. - Messieurs, les amendements que viennent de développer les honorables MM. Tesch et Vandenpeereboom, tendent à concilier les divers intérêts qui sont en jeu. D'après les prémisses du discours de l’honorable M. Vandenpeereboom, je croyais qu'il serait inutile de proposer un délai pour la mise en œuvre du brevet ; celle opinion est aussi celle que j'ai émise dans une autre séance ; et pour ma part je persiste à croire que toute difficulté serait levée par l'adoption de l'article 75 de l'avant-projet de la commission spéciale qui a élaboré la question. Cet article est ainsi conçu :

» Toute personne brevetée pour un objet d'industrie est tenue de mettre en œuvre ou d'exécuter en Belgique, dans les deux ans à partir de la notification qui lui aura été faite, de l'exécution du même objet à l'étranger.

« Sont exceptés les objets ou inventions qui sont de nature à n'être exécutés que sur commande. »

Si l'on croit devoir inscrire dans la loi un délai pour la mise en œuvre du brevet, je crois que nous devons adopter la proposition de la section centrale qui part du même principe que la législation française et qui n'est, pour ainsi dire, que la reproduction de l'article 32 de la loi de 1844. L'intervention du gouvernement, pour juger des motifs d'une prolongation, me paraît inutile et même dangereuse ; elle est inutile parce que le public n'a aucun intérêt à ce qu'un brevet tombe dans son domaine aussi longtemps qu'un intérêt rival n'en demande pas l'annulation.

La déchéance pour cause de non-exploitation, dit Renouard, ne peut être prononcée que contre celui à qui l'on peut dire : « Il ne fait rien, et nuit à qui veut faire. »

Aussi, messieurs, lors de la discussion de la loi française, a-t-on unanimement reconnu dans les Chambres, que les tribunaux sont seuls compétents pour connaître des contestations qui peuvent surgir de ce chef.

(page 213) Dans le système que viennent de présenter les honorables MM. Tesch et Vandenpeereboom, le breveté sera-t-il obligé de demander une prolongation au gouvernement ? Ou le gouvernement examinera-t-il, sans en être requis, les motifs qui militent en faveur ou contre l'annulation du brevet ?

- Plusieurs membres. - Il devra présenter une requête.

M. Vermeire, rapporteur. - Lorsque, dans la section centrale, nous avons examiné une autre cause de déchéance, celle du non-payement de l'annuité dans le délai fixé, tout le monde s'est écrié que cette clause était trop rigoureuse, qu'il fallait des avertissements préalables, et la Chambre a décidé qu'on accorderait un mois de grâce ; et aujourd'hui quand un breveté, pour cause de maladie, d'absence ou pour toute autre circonstance indépendante de sa volonté, quand les héritiers du breveté, ignorant cette disposition de la loi, auront négligé de remplir cette formalité, le brevet sera déclaré nul par le gouvernement, et le breveté ou ses ayants droit seront déclarés déchus de tous les avantages que leur octroyait le brevet.

M. Tesch. - Certainement.

M. Vermeire. - Il faut donc absolument, dans votre système, que le breveté demande la prolongation ?

M. Tesch. - Sans doute, c'est une nouvelle faveur qu'il sollicite.

M. E. Vandenpeereboom. - C'est une extension de concession.

M. Vermeire. - Eh bien, c'est de cette extension de concession qu'on n'a pas voulu en France, où l'on a dit : « Les prolongations de brevets s'accorderont principalement pour les grandes inventions qui ne peuvent pas s'exécuter dans un bref délai ; les petites inventions s'exécutent toujours dans un bref délai, parce que le breveté a tout intérêt à mettre son invention en exploitation pour en tirer le plus grand profit. »

_ Dans le système général de la loi française comme dans la proposition de la section centrale, les brevets sortent leurs effets jusqu'au moment où ils sont attaqués par des tiers pour cause d'inexécution, ce n'est qu'alors que les tribunaux interviennent.

La jurisprudence française adopte pour règle de déclarer déchus tous les brevets qui ne seraient pas exploités pour cause de mauvais vouloir ou de suggestions antinationales.

Par contre on admet entre autres circonstances qui militent en faveur de la non-déchéance des brevets, la maladie, l'absence, le défaut de ressources pécuniaires, les caprices de la mode, etc.

Je pense donc avec quelque raison que les cas de déchéance pour non-exploitation seront très rares et pour ce motif, je crois que le gouvernement ne doit pas intervenir.

« Sous la législation de 1791, dit encore Renouard dans son Traité sur les brevets d'invention, on avait élevé la prétention de rendre l'administration juge des causes d'inaction. Il y a eu des instructions ministérielles en ce sens en 1813 et 1817. Même alors cette prétention était mal fondée.

« Dans le système de la loi actuelle aucun doute ne reste possible ; aussi a-t-on unaniment reconnu, dans la discussion de cette loi, que les tribunaux sont seuls compétents à cet égard. »

Certes, nous ne devons pas copier les lois que nous faisons dans les législations étrangères, mais il n'en est pas moins utile pour nous, d'en étudier l'économie ; et si ces lois nous paraissent bonnes, je ne sais pourquoi nous devrions les repousser systématiquement.

Pour moi, je trouve un grand avantage à les accepter, parce que, ayant déjà fonctionné durant un certain laps de temps, la jurisprudence est établie et les tribunaux, saisis ultérieurement des contestations, peuvent juger en meilleure connaissance de cause.

Le système que je défends a encore un autre mérite, c'est de ne rien coûter au trésor. En effet, si le gouvernement doit se prononcer sur les demandes de prolongation des brevets, il doit examiner, faire procéder quelquefois à des enquêtes, etc., etc.

Or, tout cela ne se fait pas gratuitement. Si ce sont les tribunaux qui doivent juger, les frais sont payés par les parties, et le gouvernement n'a aucune dépense à supporter.

Le terme de prolongation n'est pas défini dans l'amendement qu'ont présenté les honorables membres. Le gouvernement pourra-t-il accorder plusieurs prolongations successives ? (Interruption.) Une seule, me répond un des honorables membres ; eh bien, dans ce cas, ce seront les grandes et importantes inventions que l'on a le plus d'intérêt de protéger, auxquelles il faut plusieurs années avant de pouvoir être mises en œuvre, qui tomberont dans le domaine public.

Si la chambre n'adoptait pas l'obligation, pour le breveté, de mettre en œuvre, dans un temps déterminé, l'objet pour lequel il a obtenu son privilège, je crois devoir encore insister, messieurs, pour qu'elle adopte au moins la proposition de la section centrale qui me paraît alors la plus simple, la plus juste, la plus rationnelle.

Mais, je le répète, je voterai d'abord pour le système qui offre au breveté la plus grande somme de liberté ; en un mot, pour la suppression de cette clause de déchéance.

(page 221) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je crois que nous sommes d'accord sur les causes qui doivent entraîner la déchéance ; le dissentiment n'existe que sur l'autorité à laquelle il faudra recourir, pour faire prononcer la nullité du brevet dans le cas de non-exploitation dans le délai fixé. Il est résulté de la discussion que beaucoup de membres ont reconnu les inconvénients qu'entraîne le recours à l'autorité judiciaire pour constater un fait aussi simple que celui de non-exploitation du brevet. Mais tout en reconnaissant ces inconvénients, on a désiré trouver quelques garanties contre l'erreur possible de la part du gouvernement dans la constatation de ce fait. Après avoir écouté attentivement la discussion, je crois qu'il faut en revenir au système primitif qui consiste à laisser le gouvernement seul juge du fait de la non-exploitation.

On prétend qu'il y a dans ce système de l'application de la déchéance par le gouvernement un danger contre lequel il faut se prémunir. Le brevet, dit-on, confère un droit de propriété dont on ne peut priver par décision administrative ; c'est un droit civil, dont on ne peut être exproprié que par une décision de l'autorité judiciaire. Je ne discute pas sur la valeur du mot « propriété » en matière de brevet. On ne peut méconnaître cependant qu'il ne s'agit pas ici d'un droit de propriété dans l'acception ordinaire du mot.

Le brevet est bien plutôt une faveur que la loi charge le gouvernement d'accorder àa l'auteur d'une invention, faveur à laquelle sont attachées des conditions. Une de ces conditions, c'est que le brevet doit être exploité dans un délai déterminé. Si les conditions ne sont pas remplies, il est tout simple que l'autorité qui a concédé la faveur puisse en faire cesser les effets. Or, c'est le gouvernement qui a délivré le brevet sous la condition qu'il serait exploité. Et cette condition est imposée dans l'intérêt de l'industrie du pays. Pourquoi donc l'administration, qui est l'auteur de la concession, ne pourrait-elle constater le fait d'où dépend l'existence du brevet ?

On objecte que, dans cette forme de procéder, il y a insuffisance de garantie pour l'inventeur. Pourtant, si on veut bien y réfléchir, on reconnaîtra qu'il y a une garantie plus complète dans le système qui fait juger le fait de l'exploitation du brevet par le gouvernement que dans le système de l'attribution an pouvoir judiciaire.

En effet, de quelle manière procède-t-on ? Un brevet est accordé pour être exploité dans un temps déterminé ; le tiers, voyant que le breveté n'exploite pas lui-même, veut exploiter en son lieu et place. Mais il lui importe de savoir s'il peut le faire avec sécurité. Dans le système du gouvernement, il sera averti, par une déclaration de déchéance, que le brevet est tombé dans le domaine public ; le tiers saura donc ce qu'il aura à faire, et exploitera. Au contraire, ceux qui veulent déférer au pouvoir judiciaire le droit d'examiner si l'exploitation a eu lieu dans le délai fixé, ne s'aperçoivent pas que le tiers qui voudra exploiter l'invention brevetée, et non mise en œuvre par son auteur, sera exposé à soutenir un procès contre le breveté ; et pour en éviter les embarras et les frais, il arrivera que le tiers ne fera rien et que l'invention ne profitera pas à l'industrie.

Voilà où conduit le système du recours à l'autorité judiciaire pour constater un fait aussi simple que celui de la non-exploitation du brevet. Au lieu d'un avantage offert à l'industrie, ou lui apporte en réalité un procès.

Mais, dit-on, donnez donc des garanties contre l'abus que le gouvernement pourrait faire du pouvoir qui lui serait conféré.

Ces garanties sont d'abord dans l'impartialité de l'administration qu'il serait injuste de suspecter.

Ces garanties sont dans l'emploi des moyens dont le gouvernement dispose pour vérifier le fait contesté.

Indépendamment de ses agents propres, le gouvernement peut consulter les chambres de commerce et les autorités locales. Pourquoi ces éléments de preuve mériteraient-ils moins de confiance, pour la vérification d'un fait d'exploitation, que ceux auxquels les tribunaux devraient recourir ?

Dans des cas analogues, le gouvernement ne prononce-t-il pas d'une manière souveraine sur des droits beaucoup plus considérables que ceux résultant d'un brevet ? Ainsi, par exemple, ne révoque-t-il pas administratvement l'octroi d'un établissement industriel autorisé, sous les conditions qu'il a déterminées, lorsque ces conditions ne sont pas observées ?

Mais, disent les auteurs d'un amendement qui vient d’être développé, nous voulons bien que le gouvernement apprécie s'il y a lieu de prolonger le délai ; qu'il prononce même sur le fait de l'exploitation du brevet. Seulement si le breveté conteste, il devra pouvoir recourir à l'autorité judiciaire.

Ce système tend, en quelque sorte, à établir deux degrés de juridiction en matière de nullité de brevet : l'une administrative, l'autre judiciaire.

El si le pouvoir judiciaire décide autrement que l'autorité administrative, nous aboutirons nécessairement à un conflit.

Est-ce là, messieurs, une issue convenable à la difficulté qui nous occupe ? L'administration peut-elle même accepter ce rôle, et ne vaudrait-il pas mieux la dépouiller entièrement, que de l'exposer à voir publiquement méconnaître la validité de ses décisions ?

Cet amendement ne concilie donc rien. Il ne fait que créer des difficultés là où il importe de n'établir que l'unité dans l'appréciation d'un point de fait, et dans la déclaration des conséquences légales qui en découlent.

En ce qui concerne l'appréciation des motifs particuliers que le breveté peut invoquer pour obtenir une prolongation de délai, il est évident que le gouvernement est mieux placé que le pouvoir judiciaire pour y faire accueil. D'un côté, il trouve les facililés, les avantages d'une instruction administrative, tandis que, de l'autre, il ne peut éviter la publicité inséparable des débats judiciaires et la rigueur des formes de procédure. Mais d'autres inconvénients encore résulteront du recours aux tribunaux, pour constater le fait d'exploitation du brevet.

Ici l'on déclarera la déchéance. Dans le ressort d'un autre tribunal, le même breveté, aux prises avec un autre contradicteur, gagnera son procès.

De là, contrariété dans les décisions judiciaires.

Plus vous examinerez cette difficulté, plus vous serez convaincus qu'il n'y aura pas d'inconvénient sérieux à redouter, quand le gouvernement, par un arrêté, général dans ses effets, prononcera lui-même la nullité pour non-exploitation, tandis qu'il y en a de très graves dans le système contraire.

Pour éviter ces inconvénients et ajouter à la décision du gouvernement certaines garanties administratives qui protégeront les droits du breveté, j'ai minuté une rédaction nouvelle qui me semble concilier les droits des brevetés et la responsabilité du gouvernement avec les intérêts du travail national.

Voici l'article nouveau que je propose :

« Art. 11. Le breveté est tenu, sous peine de déchéance, de fournir, endéans un lerme de deux années à partir de la concession du brevet, la preuve qu'il a mis sa découverte ou son perfectionnement en exploitation, ou bien qu'il en a été empêché par des circonstances indépendantes de sa volonté. Dans ce dernier cas, le gouvernement pourra lui accorder un délai dont il fixera et prolongera, s'il y a lieu, le terme.

« Avant de prononcer la déchéance pour défaut d'exploitation, le gouvernement entendra toujours au préalable la chambre de commerce du ressort et l'administration communale du domicile du breveté.

« Le breveté, dans le cas où il aurait déjà mis l'objet de son brevet en exploitation à l'étranger, ne sera point admis à se prévaloir du délai qu'il aurait obtenu, contre les tiers qui exploiteraient avant lui en Belgique durant cet intervalle. »

Un autre article, qui serait le complément de celui-ci, serait destiné à assurer l'uniformité des effets que la décision, soit administraive, soit judiciaire, devra produire à l'égard des brevetés, suivant les cas de nullité qu'il s'agirait de constater.

Il serait conçu dans les termes suivants :

« Lorsque la nullité ou la déchéance d'un brevet aura été prononcée, soit par voie administrative, aux termes des articles 10 et 11, soit par jugement ou arrêt ayant acquis force de chose jugée, aux termes des articles 12 et 13, l'annulation du brevet sera proclamée par un arrêté royal inséré au Moniteur. »

Je crois qu'il y a dans ces deux articles toutes les garanties désirables pour l'application de la peine de déchéance dans les diverses hypothèses qui peuvent se présenter, et que les droits du breveté sont à l'abri de toute surprise, comme ceux de la société se trouvent protégés contre l'impuissance ou le mauvais vouloir des inventeurs.

(page 213) M. Lesoinne. - Messieurs, il est extrêmement difficile de discuter sur des amendements que l'on n'a pas sous les yeux. C'est pourquoi je commencerai par demander que ces amendements soient imprimés.

Il est cependant une chose qu'il faut remarquer : rien n'indique mieux les difficultés que l'on soulève en maintenant cette cause de déchéance dans la loi, que cette foule d'amendements qui surgissent de tous côtés.

On cherche, par tous les moyens possibles, à concilier ce que l'on appelle les intérêts de la société "vec les droits des inventeurs. Or, l'amendement proposé par les honorables MM. Tesch et Vandenpeereboom, autant du moins que j'ai pu en juger à une première lecture, remédie-t-il aux inconvénients que l'on a signalés ?

Le gouvernement pourra accorder une prolongation de... (on n'a pas fixé le temps), mais cette prolongation ne pourra excéder le délai de... (on ne dit pas non plus le temps). Je demande si, lorsque après l'expiration du délai accordé, le brevet n'aura pas été mis en exploitation, l'invention, quelle que soit sa nature, tombera dans le domaine public ?

Messieurs, les brevets sont de natures diverses ; il en est qu'il ne dépend pas du tout de l'inventeur d'exploiter. La loi française a prévu le cas et elle a établi une disposition que je n'ai pas sous les yeux, mais qui est conçue en ce sens : sauf les brevets ayant pour objet la fabrication de produits qui doivent être faits sur commande ; ceux-là sont exemptés de la déchéance pour cause de non-mise en œuvre.

Il y a d'autres brevets ayant pour objet une invention qui, dans l'esprit de l'inventeur, a une certaine importance, mais que le public n'apprécie pas de même. L'inventeur ne peut pas trouver à mettre son brevet en exploitation. Ferez-vous aussi tomber ce brevet dans le domaine public ? Je pense que la société n'y gagnera rien du tout : mais que le trésor perdra la taxe que l'inventeur aurait continué à payer.

Messieurs, toutes les raisons qu'on a fait valoir en faveur de la société ne me semblent pas de nature à faire maintenir cette èause dc déchéance.

On a dit : Mais si l'inventeur n'exploite pas son invention, il peut empêcher d'autres de le faire. Messieurs, si l'inventeur ne met pas son brevet en exploitation, quel mal peut-il en résulter ? Selon moi, aucun.

On ajoute : Mais si l'on fabrique à l'étranger l'objet du brevet et qu'on ne le fasse pas dans le pays, cela fera du tort à l'industrie du pays. Je pense que l'industrie du pays sera dans la même position qu'avant l'obtention du brevet. Seulement les industriels qui fabriquent des produits analogues auront un concurrent de moins.

Les industriels, s'il y en a qui sont intéressés à exploiter un brevet obtenu par un inventeur, trouveront beaucoup lucratif de s'arranger avec lui et d'exploiter une industrie brevetée, que d'exploiter une invention qui sera tombée dans le domaine public. Aussi longtemps qu'un inventeur ne met pas son industrie en exploitation, je trouve qu'il ne fait de tort qu'à lui-même en payant la taxe pour une propriété qui ne lui rapporte rien.

Ensuite, je le répète, il y a des cas où il ne dépend pas de l'industriel de mettre son brevet en exploitation. Or, d'après l'amendement de l'honorable M. Tesch, après la première prolongation du délai si l'on n'en accorde pas une seconde, l'inventeur malheureux qui n'aura pas trouvé à mettre en œuvre, comme nous l'avons dit, soit un système de chemin de fer, soit un système de locomotive, soit un système de pont, mais qui aura continué à payer la taxe, se trouvera déchu. Il y a là, selon moi, une injustice.

Messieurs, j'attendrai que l'on ait imprimé les amendements proposés par M. le ministre de l'intérieur pour les examiner. Mais je répète que rien ne fait mieux voir les difficultés qui surgiront par le maintien de cette clause de déchéance, que cette foule d'amendements que l'on présente et qui, en définitive compliquent beaucoup la situation et rendent la position des inventeurs plus mauvaise, car on leur suscitera beaucoup de procès et c'est précisément ce que l'on voulait éviter.

Que l'on fasse bien attention aux conséquences de la non-exploitation d'un brevet et que l'on compare les inconvénients qui pourraient en résulter avec ceux qui résulteront de tous les amendements proposés et l'on sera convaincu, je pense, que ces derniers seront beaucoup plus nombreux et plus compliqués en pratique que les premiers.

M. Orts. - Messieurs, les amendements, bien qu'ils soient un peu confus dans leur rédaction, se résument en trois systèmes assez nets, tous partent de ce point : la chambre admet qu'en cas de non- exécution dans un délai de... les brevets pourront être annulés soit par l'intervention du gouvernement soit à la demande des tiers qui voudraient mettre en œuvre l'invention brevetée, non exploitée par le possesseur du brevet.

Dans le système de la section centrale on se dit : Laisser le gouvernement seul juge de la question de savoir si le délai accordé au breveté pour exploiter son brevet, était suffisant ou si le breveté n'a pas fait tout ce qu'on demandait de lui, c'est ouvrir la porte très large à l'arbitraire.

Les intérêts du breveté seraient mieux garantis si les circonstances qui peuvent motiver une prolongation de délai, ou la question de savoir si le brevet a été exploité dans le délai voulu, étaient appréciées par l'autorité judiciaire. Voulant éviter cet arbitraire, la section centrale propose d'abandonner l'examen de ces questions à l'autorité judiciaire.

M. le ministre de l'intérieur, lui, voit un grand inconvénient à cette appréciation par les tribunaux et, en terminant son discours, il a attiré l'attention de la Chambre sur une difficulté très grave : l'influence, en pareille matière, des principes qui règlent l'autorité de la chose jugée. Qu'arrivera-t-il, a dit M. le ministre de l'intérieur, si vous laissez les tribunaux juges du point de savoir si le brevet a été exploité dans le (page 214) délai voulu ou du point de savoir s'il y a des motifs légitimes pour différer cette mise en œuvre ?

Il pourra se faire que ces questions soient résolues en faveur du breveté, par exemple, dans le ressort de la cour d'appel de Bruxelles et que peu de temps après un autre individu ayant aussi exploité l'objet du brevet, une autre chambre de la même cour, la même chambre composée d'autres juges par l'effet du roulement annuel, donne gain de cause à ce nouveau plaideur !

Vous pouvez multiplier par la pensée ces chances de variations dans la jurisprudence suivant la mesure des différents ressorts judiciaires, suivant le nombre de nos tribunaux inférieurs. Vous pourrez avoir le tribunal de Liège qui dira que le brevet ne doit pas être annulé parce qu'il a été exploité dans une limite quelconque avant l’expiration du délai, le tribunal de Gand dira peut-être à son tour entre d'autres parties, que si le brevet n'a pas été exploité dans le délai voulu, c'est qu'il y avait des motifs légitimes pour faire prolonger ce délai ; puis le tribunal de Bruxelles, brochant sur le tout, décidera que le brevet est annulé parce qu'il n'a pas été exploité en temps utile et que les motifs invoqués pour demander une prolongation de délai, ne sont pas fondés.

Voilà les conséquences possibles du système de la section centrale.

Dans le système de M. le ministre de l'intérieur, où le gouvernement est juge souverain du point de savoir si le brevet a été mis à exécution dans le délai stipulé ou s'il y a des motifs légitimes en faveur d'une prolongation de ce délai, là vous avez devant vous la crainte de l'arbitraire, mais les dangers que je viens de signaler disparaissent.

Un troisième système est celui de MM. Tesch et Vandenpeereboom, qui vous disent : Le gouvernement est investi par la loi même du pouvoir d'accorder le brevet à la condition d'exploiter dans un délai déterminé ; qu'y a-t-il dès lors d'exorbitant à laisser le gouvernement juge du point de savoir s'il y a lieu de dispenser de l'accomplissement d'une condition qu'il a mise lui-même à l'octroi du brevet ? Les honorables MM. Tesch et Vandenpeereboom admettent cependant, pour éviter l'arbitraire, le recours aux tribunaux lorsqu'il se présente une deuxième hypothèse, lorsqu'il s'agit de savoir, non pas s'il y a des motifs légitimes pour prolonger le délai de mise en exploitation, mais s'il y a ou s'il n'y a pas eu exploitation dans le délai voulu. C'est là un point de fait que les honorables membres croient pouvoir sans inconvénient livrer à l'appréciation des tribunaux.

Prenant donc la moitié du système du gouvernement et la moitié du système de la section centrale, MM. Tesch et Vandenpeereboom vous proposent ceci : Le gouvernement est juge souverain du point de savoir s'il y a des motifs légitimes pour prolonger le délai stipulé ; mais si le breveté, lorsque le gouvernement a prononcé la déchéance, vient soutenir qu'il a mis son brevet en exploitation dans le délai voulu, alors c'est aux tribunaux de statuer sur l'existence ou la non-existence du fait contesté.

On adresse à ce système deux objections : on dit d'abord que le gouvernement a encore l'arbitraire en mains puisqu'il est maître de prolonger ou de ne pas prolonger le délai de mise en exploitatoon. Je ferai remarquer, messieurs, que ce droit-là existe, pour le gouvernement, dans une foule de matières et que vous ne vous en effrayez pas. Il est de l'essence de l'administration d'avoir le droit de dispense, de décider si les conditions attachées par lui à une concession, sont accomplies, oui ou non. Cela existe dans des matières mille fois plus importantes que les brevets. Lorsque le gouvernement accorde une concession de mines, il crée une propriété bien autrement importante et bien plus certaine aux yeux de tout le monde que la propriété naissant de l'octroi d'un brevet. Eh bien, il subordonne cette concession à certaines conditions ; il dit : Vous ferez tels et tels travaux protecteurs de la sécurité des exploitations voisines, protecteurs de la sécurité de la surface, protecteurs de la sécurité des ouvriers ; si le gouvernement voit que ces conditions ne sont pas remplies, il révoque la concession, et la propriété est anéantie. Evidemment ce pouvoir que tout le monde reconnaît à l'administration, est mille fois plus exorbitant que celui dont MM. Tesch et Vandenpeereboom proposent d'invetir le gouvernement on matière de brevets.

Lorsque le gouvernement autorise la formation d'une société anonyme, dans laquelle on vient verser des millions, il peut ne l'autoriser qu'à certaines conditions ; il subordonne même toujours l'autorisation à une condition tacite, à la stricte observation des statuts ; et s'il s'aperçoit au bout de quelques années que cette société anonyme, dans laquelle tant de graves intérêts sont engagés, n'observe pas ses statuts, n'observe pas les conditions expresses imposées à son autorisation, le gouvernement révoque. L'être moral créé avec son concours est anéanti.

Vous voyez donc que dans les circonstances de ce genre un pouvoir plus grand que celui qu'on demande pour le gouvernement lui est déjà accordé par la loi.

Je crois que les honorables auteurs de l'amendement font une très large concession au système de la section centrale en permettant aux tribunaux de prononcer sur les réclamations du breveté contre un arrêté déclarant la nullité d'un brevet faute d'exécution en temps utile, lorsque le titulaire prétend au contraire avoir exécuté. Le gouvernement combat en partie l'amendement et dit : « Vous allez aboutir à un conflit d'attribution, à une confusion de pouvoirs ». Il est antipathique aux règles de la séparation des pouvoirs qui fait la base de notre droit public et constitutionnel, il est antipathique à cette indépendance mutuelle que tous les pouvoirs doivent conserver l'un vis-à-vis de l'autre, que le pouvoir judiciaire contrôle les actes posés par le gouvernement ou par le pouvoir royal dans les limites de leurs attributions.

Chacun des pouvoirs doit être maître chez lui dans un gouvernement constitutionnel. Or, vous arrivez à cette conséquence, dit M. le ministre de l'intérieur, que les tribunaux viendront peut-être dire que le gouvernement a eu tort de poser tel ou tel acte dans le cercle de ses attributions. Cela ne peut pas être.

A mon sens, en théorie pure, cela peut être vrai, mais en pratique les conflits de ce genre se présenteront rarement ; les tribunaux n'ayant plus qu'à apprécier l'existence ou la non-existence d'un fait et non la légalité ou l'illégalité d'un acte administratif. Des situations analogues ne sout pas difficiles à découvrir dans l'ordre des faits admis aujourd'hui.

Je suppose, par exemple, que le gouvernement proclame, en vertu des pouvoirs qu'il tient de la loi, que telle rivière, tel terrain fait partie du domaine public, et que le gouvernement pose un acte en conséquence, acte légitime si son objet appartient au domaine public ; un particulier croit, au contraire, que ce terrain, loin de faire partie du domaine public, fait partie de son domaine privé ; il pourra incontestablement réclamer devant les tribunaux ; sans doute le gouvernement est maître de faire ce qu'il juge convenable, quand le domaine est public ; mais avant d'agir, il faut voir si le domaine est public ou privé et ce point regarde les tribunaux. Ce genre de contestations, messieurs, surgit fréquemment entre les pouvoirs administratifs et les intérêts privés.

Autre cas. Un chemin est déclaré vicinal, un particulier réclame auprès des tribunaux la propriété de ce chemin vicinal. Les tribunaux interviennent encore pour apprécier la réalité du fait qui sert de base à l'exercice compétent du pouvoir administratif inférieur. Ils n'apprécient jamais la convenance, l'utilité de l'acte.

Il me paraît donc que, dans ces limites, l'intervention des tribunaux ne peut donner lieu à aucune difficulté sérieuse.

Si néanmoins des scrupules arrêtaient des membres de cette chambre, on pourrait adopter un moyen terme qui lèverait ces scrupules.

Je voudrais que le gouvernement fût toujours le maître d'apprécier si les conditions qu'il a mises lui-même à l'obtention d'un brevet sont accomplies, ou s'il y a des motifs légitimes d'accorder des prolongations. Mais si l'on craint des erreurs de fait, si l'on veut une garantie contre ces erreurs, si l'on ne veut pas donner aux tribunaux un contrôle direct sur les actes de l'administration, il faudrait dire alors : Le gouvernement, tant qu'il n'aura pas fait déclarer un brevet tombé en déchéance, le maintiendra pour cela même vis-à-vis de tous.

Pour ma part, je ne voudrais pas de déchéance pour inexécution. Je partage complètement sur ce point l'avis personnel de l'honorable rapporteur de la section centrale et l'avis de l'honorable M. Lesoinne. Mais on prétend que l'intérêt social exige cette déchéance : je raisonne à ce point de vue.

Maintenant, quand le gouvernement voudra sauvegarder l'intérêt social, intérêt dont il est seul juge, qu'il a seul mission de représenter, voici ce qu'il pourrait faire : il se pourvoirait par l'intermédiaire du ministère public devant les tribunaux, à l'effet de faire déclarer le brevet périmé tombé en déchéance.

De cette façon, pas d'arbitraire ; pas de contradiction possible entre les décisions de justice. Pas d'arbitraire vis-à-vis du breveté qui conteste, en fait, l'inexécution alléguée, car les tribunaux jugeront s'il a tort ou s'il a raison. Pas de décisions contradictoires, car le ministère public ayant fait prononcer devant les tribunaux la déchéance du brevet, cette déchéance sera jugée vis à-vis de tout le monde : ce qui n'existe pas dans le système de la section centrale. La chose jugée avec le ministère public représentant la société, est jugée vis-à-vis de chacun de ses membres. Un procès unique et rapide vide à jamais le débat. Quoi de plus naturel d'ailleurs, si vous voulez faire déclarer les brevets déchus au nom de l'intérêt social, que de les faire déclarer tels par celui qui représente l'intérêt social dans les contestations judiciaires ?

Je résume mon système en deux mots : tant qu'un brevet n'est pas annulé pour défaut d'exécution dans le délai prescrit, il subsiste : il est tacitement prolongé.

Le gouvernement, mais le gouvernement seul, peut, après un délai déterminé, le faire annuler par les tribunaux, à la condition d'établir judiciairement la vérité du fait donnant ouverture à l'exercice de son droit.

Ce système est un expédient : rien de plus, j'en conviens, mais il faut un expédient pour concilier tant d'opinions divergentes.

M. Roussel. - Comme plusieurs des honorables préopinants, je suis partisan en principe du système défendu par l'honorable M. Lesoinne et qui, sans nul inconvénient, a prédominé en Angleterrre et en Amérique. Ce n'est que sùbsidiairement et pour concilier les difficultés de la matière, à raison des divergences d'opinion, que je me rallie, soit aux amendements de la section centrale, soit à ceux présentés par les houorables MM. Tesch et E. Vandenpeerebom.

Il me paraît que M. le ministre de l'intérieur s'est trompé, en continuant à se rattacher complètement à la pensée qui avait guidé le législateur de 1817. La loi française de 1791 avait établi la même clause de déchéance qu'on vous présente ici à peu près dans les mêmes termes.

La loi néerlandaise de 1817, née sous un régime moins rigoureusement constitutionnel que celui sous lequel nous vivons, a reproduit (page 215) avec empressement cette disposition de la loi de 1791. Mais quand la chambre française, en 1841, a été appelée à s'occuper de la réforme de la loi de 1791, et à faire une législation nouvelle sur les brevets d'invention, cette chambre se trouvait sous l'empire d'une charte qui reproduisait dans son esprit la disposition relative à la compétence des tribunaux. Qu'a fait le parlement français ? Il a proclamé l'intervention des tribunaux pour les causes de déchéance, bien que les objections que M. le ministre de l'intérieur a soulevées tantôt fussent parfaitement connues et prévues.

On n'ignorait certes pas dans le sein du parlement français que la chose jugée à Bruxelles n'est pas toujours la même que la chose jugée à Anvers et que dans un tribunal même il peut y avoir divergence d'opinion entre les différentes chambres ou même entre les membres différents d'une même chambre. Mais ce que nous pouvons répondre à M. le ministre c'est que l'objection qu'il tire de la variété de la chose jugée peut, encore une fois, s'appliquer à tous les littéras de l'article 11 et à chacun d'eux en particulier. Ainsi les tribunaux devront, du consentement de M. le ministre, décider la déchéance du brevet s'il est prouvé que l'objet breveté a été employé, mis en œuvre ou exploité par un tiers dans le royaume et dans un but commercial, avant la date de l'invention.

Voilà un fait à constater par les tribunaux et M. le ministre n'y voit rien à redire.

Mais, sur la constatation de ce fait, à propos d'un seul et même brevet, les tribunaux ne pourront-ils point varier et fournir des choses jugées différentes ? Ne pourra-t-on point déclarer le brevet déchu à Anvers et valide à Bruxelles ?

Si l'objection est assez forte pour faire repousser l'intervention de la justice réglée lorsqu'il s'agit de la constatation de la non-exploitalion dans les trois ans, comment cette objection ne peut-elle rien contre l'intervention de la même justice réglée dans la déchéance du brevet, parce que l'objet breveté aurait été employé par un tiers dans le royaume avant la date de l'invention ? Comment l'objection de M. le ministre s'évanouit-elle lorsque les tribunaux doivent intervenir, parce que le breveté a omis à dessein de mentionner une partie de son secret ou lorsque la spécification complète de l'invention a été produite antérieurement dans un livre publié ou lorsque le breveté a introduit des objets fabriqués à l'étranger et semblables à ceux qui sont garantis par le brevet ?

Et pourtant, alors aussi, les différents tribunaux sur diverses demandes portées à l'occasion d'un même brevet pourront statuer diversement.

L'erreur de M. le ministre provient de ce qu'il ne reste pas fidèle à la pensée première de la loi qu'il nous a présentée. En effet, dès le premier article de la loi, le gouvernement s'abstient d'intervenir dans la collation des brevets ; il les confère sans examen préalable. Il ignore donc la valeur du brevet ; il ne sait pas même s'il sera exploitable.

La loi place le breveté en présence des tiers intéressés, mais non en présence du gouvernement. Si l'inventeur ou celui qui se prétend tel n'exploite pas et qu'il se présente un exploitant, la contestation naît entre eux, mais le gouvernement doit y rester étranger. La déchéance ne peut pas se prononcer au profit de la chose publique ; car des deux choses l'une : ou le brevet tombé dans ce qu'on appelle le domaine public doit être ramassé ou il doit rester à l'état d'inexploitalion ; dans la deuxième supposition, quel intérêt le gouvernement a-t-il, soit à prononcer, soit à faire prononcer la déchéance ? Dans la première hypothèse, quel intérêt se trouve en présence du breveté et du brevet, si ce n'est celui du tiers qui veut exploiter ?

Or, messieurs, cette contestation entre le tiers et le breveté est du domaine du droit civil et des tribunaux civils.

Le gouvernement, étranger au brevet, ne peut s'en mêler ni intervenir, et la chose jugée, rendue entre des particuliers différents sur le même objet, peut fort bien être différente, soit à raison de non-recevabilité du demandeur, soit par toute autre cause, sans qu'il y ait rien d'anormal dans cette variété.

Mais si l'on étudie la question dans l'importance de cette contestation, l'on voit que cette importance est suffisante pour nécessiter l'intervention du pouvoir judiciaire. Ne l'oubliez pas, messieurs, un brevet est une propriété, révocable peut-être, mais qui peut être d'une immense valeur. Tandis que cinq ares de terrain inculte ou la possession d'un meuble insignifiant donneront lieu à décision judiciaire, un brevet d'une valeur de plusieurs millions restera soumis au libre arbitre des employés d'un ministère, décidant après avoir entendu les chambres de commerce !

Belle récompense, en vérité, pour l'homme qui aura consacré ses plus belles années et son génie à une découverte pour aboutir, après deux ans, à un avortemenl douloureux, par arrêté ministériel !

Vous pouvez, messieurs, écrire ce triste principe dans votre loi ; mais si elle le consacre j'ose vous garantir que sa vie ne sera pas longue. Les lois injustes ne vivent pas longtemps.

M. le président. - M. Orts propose au premier paragraoge de l'article 11 de la section centrale un amendement ainsi conçu :

« Un brevet sera nul pour les causes suivantes :

« Lorsque dans l'espace de trois années, à partir de la date du brevet, le titulaire n'aura pas exploité son invention ou s'il a cessé pendant le même terme l'exploitation commencée. »

M. Orts ajoute :

« Le gouvernement pourra faire prononcer la déchéance du brevet par les tribunaux sur la poursuite du ministère public. »

M. Lesoinnc a déposé un amendement qui n'en est pas un. Il propose la suppression du paragraphe « a ».

M. Lesoinne pourra demander la division et voter contre le paragraphe.

M. Lesoinne. - Je propose cet amendement, parce que sans cela la suppression ne serait pas votée avant les autres amendements. Comme cet amendement est celui qui s'éloigne le plus du projet du gouvernement, il doit être voté le premier.

M. le président. - Pardon, on vote d'abord sur les amendements présentés ; puis sur la disposition à laquelle les amendements se rapportent ; on admet cette disposition ou on la rejette ; la proposition de rejet n'est pas un amendement.

M. Van Overloop. - Si j'ai bien compris l'économie de la loi, la concession d'un brevel constitue un contrat synallagmalique entre l'Etat et le particulier qui obtient le brevet.

En effet, la section centrale a adopté le principe de la loi française sur les brevets et M. Cunin-Gridaine, ministre du commerce, s'exprimait en ces termes dans l'exposé des motifs de cette loi : « Garantir à tout inventeur pendant un temps donné la jouissance pleine et entière de la découverte, à la condition que cet inventeur livrera celle découverte à la société après l'expiration de son privilège : tel est le contrat simple en lui-même, que, sous les formes un peu solennelles de l'époque, les lois de 1791 ont substitué au régime arbitraire des privilèges. »

(erratum, p. 233) S'il en est ainsi, convient-il que le gouvernement soit maître de décider qu'il y a ou qu'il n'y a pas lieu de résilier un contrat qu'il a fait avec un particulier ? Remarquez, messieurs, que d'après l'ordre d'idées de M. Cunin-Gridaine, adopté par la section centrale, c'est comme personne civile et non comme autorité publique que le gouvernement accorde des brevets. Or toutes les fois que le gouvernement traite comme personne civile avec les particuliers, les tribunaux peuvent seuls prononcer entre eux.

M. le ministre de l'intérieur a dit que, puisque le gouvernement reste juge de l'accomplissement des conditions qu'il impose à l'érection de certains établissements dans l'intérêt de la sécurité ou de la salubrité, il peut fort bien rester juge de la question de savoir s'il convient ou non de prononcer la déchéance d'un brevet pour défaut d'exploitation. Mais c'est tout autre chose. Dans l'exemple cité, le gouvernement intervient, non comme personne civile, mais comme autorité publique. Or, comme autorité publique, le gouvernement doit veiller à l'accomplissement des conditions qu'il a stipulées dans l'intérêt de la sécurité ou de la salubrité publique.

Il en est de même lorsqu'il s'agit de concessions de mines. Encore ici l'intervention du gouvernement est nécessitée par l'intérêt de la sûreté publique. Mais, je le répète, pour les brevets, le gouvernement intervenant comme personne civile, les tribunaux me paraissent seuls compétents.

A quoi bon, au surplus, l'intervention que demande le gouvernement ? Un individu obtient un brevet. Ou ce brevet est avantageux, ou il ne l'est pas. Si l'exploitation du brevet n'est pas avantageuse, le gouvernement n'a pas intérél à en provoquer la déchéance. Si, au contraire, l'exploitation du brevet est avantageuse, soyez-en sûrs, ou le breveté exploitera dans le délai de trois ans, ou, immédiatement après l'expiration du délai, la contrefaçon s'établira, (erratum, p. 233) et, si le breveté s'adresse aux tribunaux pour obtenir le maintien de son privilège, le contrefacteur dira : « Vous êtes déchu de votre brevet, comme ne l'ayant pas exploité dans le délai fixé par la loi. » Or, c'est là une contestation dont la connaissance appartient, en vertu de la Constitution, aux tribunaux. Conviendrait-il que le gouvernement la décidât ? Mais comment la déciderait-il ? Avec le concours des chambres de commerce, dit M. le ministre de l'intérieur. Mais cela n'est pas soutenable. Le gouvernement ne pourrait décider de telles questions que comme les tribunaux, c'est-à-dire avec le concours d'experts.

Au point de vue de l'utilité, rien ne me paraît militer en faveur de l'intervention du gouvernement.

Indépendamment des autres considérations que j'ai fait valoir, je pense qu'il est préférable que les questions de déchéance (si l'on admet le principe de la déchéance) soient jugées par les tribunaux, parce que je n'aime pas la tutelle du gouvernement, dont la mission doit, d'après moi, se borner à faire respecter la maxime : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse à toi même. » Pour le surplus, en principe, le gouvernement ne doit rien faire, ce me semble.

Rappelez-vous, messieurs, l'observation de l'honorable M. de Naeyer dans la discussion de la loi sur les denrées alimentaires. L'honorable M. Coomans avait dit que malheureusement le peuple cherche toujours une panacée à ses maux (erratum, p. 233) dans le gouvernement.

« N'est-ce pas, ajoute M. d eNaeyer (et je pense qu'il avait raison), n'est-ce pas vous qui en êtes cause ? » C'est parce que vous voulez faire intervenir le gouvernement en tout et partout, c'est parce que vous lui donnez tant d'attributions qu'on le rencontre dans presque tout ce qui dépend de l'activité humaine que le peuple considère le gouvernement comme, un père, comme un tuteur, qui doit, non seulement protéger la libre action de l'individu, mais encore lui donner le pain, la vie, en un mot tout.

(page 216) Revenons aux vrais principes.

Que le gouvernement se contente de ses attributions naturelles ! C'est le seul système conciliable avec la liberté, qui, toujours, diminue au fur et à mesure que les attributions du gouvernement augmentent.

J'appuierai tout amendement qui aura pour effet d'ôter au gouvernement des attributions que je ne croirai pas indispensables à l'accomplissement de sa mission.

- La chambre ordonne l'impression des amendements et continue la discussion à demain.

Projet de loi relatif à la reprise par l'Etat de certains cours d'eau navigables et flottables

Rapport de la section centrale

M. de Brouwer de Hogendorp, dépose un rapport au nom de la section centrale du budget des travaux publics qui a examine comme commission, le projet de loi relatif à la reprise par l'Etat des cours d'eau navigables et flottables.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport

La séance est levée à 4 heures et demie.