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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 24 mars 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1153) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Maertens lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Un grand nombre de typographes, d'ouvriers fondeurs et autres industriels prient la Chambre de ne pas donner son assentiment à la convention littéraire conclue avec la France. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la convention.


« Des habitants de Saint-Josse-ten-Noode présentent des observations contre le projet de loi relatif à la réunion des faubourgs à la capitale. »

« Mêmes observations d'habitants de la chaussée de Laeken. »

« Mêmes observations d'habitants de Schaerbeek. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les signataires de quatre pétitions prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif à la réunion des faubourgs à la capitale et de décréter qu'à l'avenir toutes les publications administratives de la ville de Bruxelles seront faites en langues flamande et française, et qu'il y aura dans les écoles communales de cette ville des sections spéciales où le premier enseignement sera donné en flamand. »

- Même renvoi.


« Le bourgmestre de la commune de Ganshoren prie la Chambre de rejeter les projets d'agrandissement de la commune de Berchem-Sainte-Agathe au préjudice de celle de Ganshoren. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal d'Onnezies prie la Chambre d'accorder aux sieurs Hertogs et Hoyois la concession d'un chemin de fer destiné à relier la Flandre orientale avec les charbonnages du Couchant de Mons, en passant par Péruwelz, Blaton, Thulin, Elouges, Dour, Fayt-le-Franc et Bavay. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par message du 11 mars, le Sénat informe la Chambre que le sieur Jean-Augustin Ronse, sergent-major au régiment des carabiniers, a fait connaître qu'il retirait sa demande de grande naturalisation. »

- Pris pour information.


Projet de loi relatif à la saisie des rentes constituées sur particuliers

Transmission du projet adopté par le sénat

« Par message du 11 mars, le Sénat transmet à la Chambre un projet de loi destiné à remplacer le titre X du livre V de la première partie du Code de procédure civile relatif à la saisie des rentes constituées sur particuliers. »

- Sur la proposition de M. le président, renvoi à la commission qui a examiné le projet de loi sur l'expropriation forcée.

Projet de loi portant le Code forestier

Transmission par le sénat du projet amendé

« Par message du 11 mars, le Sénat renvoie à la Chambre, tel qu'il a été réamendé par lui, le projet de Code forestier. »

- Renvoi à la commission qui a examiné le projet primitif.

Sur la proposition de M. le président, la Chambre décide que les articles amendés seront seuls réimprimés.

Projet de loi autorisant un transfert de crédit au sein du budget du ministère de la guerre

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, le Roi m'a chargé de vous présenter un projet de loi ayant pour but d'autoriser le transfert d'une somme de 170,000 fr. du budget de la guerre pour l'exercice 1855 au budget du même département pour l'exercice 1854.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre eu ordonne l'impression et la distribution, et le renvoie à l'examen des sections.

Rapports sur des pétitions

M. Julliot, rapporteur. - Messieurs, vous avez renvoyé à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, soixante et dix-sept pétitions adressées à la Chambre par autant de conseils communaux du district administratif de Philippeville.

Toutes ces pétitions ont pour objet la demande de création d'un tribunal de première instance à Philippeville.

Les impétrants motivent cette demande :

1° sur l'arriéré du rôle du tribunal de Dinant.

2° sur le grand nombre de causes que fournit le district de Philippeville.

3° Sur l'étendue, la population et l'importance des cantons de Couvin, Florennes, Phillippeville et Walcourt.

4° sur la gêne et les frais considérables que la plupart des justiciables de ce district doivent s'imposer pour se rendre à Dinant à cause de la grande distance qui les en sépare.

5° sur la faible dépense qu'entraînerait la création d'un tribunal à Philippeville, dépense, disent-ils, qui serait pius que compensée par la diminution des frais actuels de justice.

Par suite de l'examen de cette question, votre commission a reconnu :

Que la population du district de Philippeville monte à 57,497 habitante, celle du district administratif de Dinant à 63,310 habitants ;

Que le district de Philippeville a fourni 524 affaires contre 687 affaires fournies par celui de Dinant.

Qu'en effet, en 1852-53, il restait à juger au tribunal de Dinant cinq cent septante-huit causes tant civiles que commerciales, mais que les arriérés à ce tribunal ne constituent pas un fait nouveau, car déjà en 1840 il restait à juger quatre cent nonante-huit causes de cette nature, et depuis cette époque toujours il y a eu des arriérés.

Dans le rapprochement de ces deux dates il n'y a qu'une augmentation de quatre-vingts affaires que l'on peut attribuer aux expropriations forcées exceptionnelles, provoquées par la construction de chemins de fer et autres travaux d'utilité publique.

En ce qui concerne les distances, la statistique constate que sur 84 communes du district de Philippeville, 78 sont plus rapprochées de ce chef-lieu administratif qu'elles ne le sont de Dinant, mais encore faut-il reconnaître que des situations pareilles sont faites à une infinité de communes dans toutes les circonscriptions établies dans le pays. Ce n'est que du plus au moins.

Toujours est-il qu'il paraît désirable dans l'intérêt d'une bonne et prompte justice, que des améliorations judiciaires soient introduites sur ce point du pays.

Il existe du reste des rétroactes sur la question soumise à la Chambre.

Dans la séance du 9 mars 1835, M. Seron, usant de son initiative parlementaire, proposa l'établissement d'un tribunal de première instance à Philippeville.

M. Pirson présenta en même temps un amendement tendant à augmenter le tribunal de Dinant de deux juges dont l'un ferait fonctions de vice-président. (Voir recueil des documents parlementaires, session 1834-1835, pièce n° 95.)

Le rapport présenté par M. de Behr, dans la séance du 18 août 1835, conclut au renvoi de cette double proposition au ministre de la justice, avec invitation de fournir tous les renseignements nécessaires et de faire son rapport le plus tôt possible. (Voir documents parlementaires, session 1835-1836, pièce n°16.)

Ces conclusions furent adoptées par la Chambre dans la séance du 28 août 1835.

La Chambre avait été saisie de diverses autres propositions tendant à modilier les lois organiques de l'ordre judiciaire de 1832. Le gouvernement comprit toutes ces propositions dans son rapport qui fut déposé dans la séance du 20 novembre 1837. (Voir documents parlementaires de 1857-1838, pièce nc 55. )

Quoiqu'il en soit, messieurs, votre commission des pétitions, eu égard au travail d'examen de plusieurs questions de l'organisation judiciaire auquel M. le ministre de la justice se livre en ce moment même, croit devoir se borner, afin de ne rien préjuger, à vous proposer le renvoi pur et simple de toutes ces pétitions à M. le ministre de la justice.

M. Thibaut. - Messieurs, je crois qu'il est inutile d'aborder le fond en ce moment. Les conclusions de la commission peuvent être adoptées par les personnes qui portent intérêt à Philippeville comme par celles qui pensent qu'il suffirait, dans l'intérêt d'une bonne justice pour cette partie du pays, d'augmenter de quelques membres le personnel du tribunal de Dinant.

Je me réserve, lorsque la question sera présentée sérieusement à la Chambre, et elle devra l'être lorsqu'on s'occupera du projet de loi annoncé par M. le ministre de la justice sur la réorganisation judiciaire, de démontrer a la Chambre que ce dernier parti, c'est-à-dire l'augmentation du personnel du tribunal de Dinant, est le seul qui puisse être adopté.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l’exercice 1855

Discussion générale

La discussion générale est ouverte.

M. de Perceval. - Messieurs, il y a deux ans, dans la séance du 24 mars 1852, j'ai cru devoir appeler votre attention, et particulièrement l'attention de M. le ministre des finances, sur les longs retards si préjudiciables au pays, que la Banque Nationale apportait, d'un côté, à établir, par des comptoirs conformes à la loi, des relations directes avec les commerçants et les industriels de nos neuf provinces ; d'autre part, à maintenir le chiffre de l'escompte à un taux si peu en harmonie avec les faveurs insignes, les privilèges considérables, les puissants moyens financiers que nous avons mis à cet effet à la disposition des actionnaires et de l'administration de la Banque.

Il ne faut pas, vous disais-je, que la Banque puisse oublier, un seul instant, la destination nationale de la riche dotation que nous lui avons faite ; nous, représentants de la nation, nous nous associerions à sa culpabilité si nous lui permettions de substituer l'intérêt de ses actionnaires à l'intérêt du pays.

Tous les commerçants et tous les industriels, tous les nombreux travailleurs dans nos neuf provinces, quelle que soit la localité qu'ils (page 1154) habitent, étant placés sur la même ligne, ayant les mêmes devoirs, les mêmes obligations à remplir vis-à-vis des lois sociales, lorsqu'il s'agit des impôts et des autres charges publiques, tous, vous disais-je, ont par cela même des droits égaux pour jouir du bénéfice d'une institution de crédit qui a été créée par la législature, non pour Bruxelles et pour Anvers spécialement, mais dans un but d'utilité générale ou nationale. La nation belge n'est pas seulement à Bruxelles et à Anvers, elle est avec la même légitimité et avec la même nature dans toutes les provinces, dans tous les arrondissements, dans toutes les communes du pays.

Le droit d'être protégé par la Banque Nationale, de recourir, en cas de besoin, à ses services, de les recevoir avec la même facilité et au même prix que partout ailleurs dans le pays, ce droit, messieurs, est un droit absolu, inaliénable, que possèdent au même degré tous les commerçants et producteurs belges solvables, quelle que soit la localité qu'ils habitent. Et en votant la loi organique de la Banque, nous n'aurions pu restreindre ce droit sans froisser profondément le principe d'égalité qui constitue, dans tous les sens, l'esprit de la Constitution de 1850.

Eh bien, ce qui, dans cette occurrence, a été supérieur au pouvoir législatif, ne doit pas, à plus forte raison, être permis à un établissement créé par la législature, à condition de responsabilité vis-à-vis d'elle.

D'ailleurs qui ne se souvient que c'est dans la pensée que ses services s'étendraient également à tout le pays, sans privilège ni exclusion pour aucune localité, que nous avons baptisé la Banque de son titre significatif ?

Après avoir énuméré les motifs du projet de loi, M. le ministre des finances nous disait : « Telles sont les dispositions prises par le gouvernement pour arriver à fonder une Banque qui fonctionnant dans les diverses parties du royaume, et chargée exclusivement d'opérations utiles au pays, mérite de porter le nom de Banque Nationale. » Les représentants du pays, s'associant à la pensée patriotique du gouvernement, ont voté à l'unanimité l'article premier de la loi, ainsi conçu : « II est institué une Banque sous la dénomination de Banque Nationale. »

Puis, l'article 2, lequel stipule : « Que la Banque établira des comptoirs dans les chefs-lieux de province, et en outre, dans les localités oh le besoin en sera constaté. »

Ce n'est pas tout. De l'exposé des motifs présenté par le gouvernement, tout aussi bien que des discussions auxquelles le projet de loi a donné lieu an sein de la représentation nationale, il résulte clairement qu'en fixant le taux de l'escompte et le prix de ses autres services, la Banque est tenue de faire prévaloir l'intérêt du commerce et de l'industrie, les intérêts du travail créateur des richesses, sur les intérêts privés de ses actionnaires, lesquels ne peuvent jamais venir qu'en seconde ligne.

Etendre ses opérations à tous le pays ;

Fournir ses services au meilleur marché possible ;

En un mot, protéger et favoriser de tout ses efforts le travail belge contre le travail étranger, tel est le rôle significatif et spécial que nous lui avons assigné par la loi organique, sur la proposition formelle du gouvernement.

N'est-ce pas à ce titre, dans ce but national, que nous avons accordé à la Banque :

Le privilège d'émettre des billets au porteur ;

Le privilège que ces billets seraient reçus comme monnaie légale dans les caisses des receveurs de l'Etat ;

Le privilège que les mêmes billets ne seraient convertibles en argent qu'à Bruxelles ;

Le privilège d'être le caissier de l'Etat, joint à la faveur d'immobiliser tout ou partie de son capital social en fonds publics, et de faire ainsi pour des millions de francs d'escompte et d'affaires, rien qu'avec des moyens financiers fournis, non par les actionnaires, mais par la nation belge elle-même.

A ces facilités de tous genres, aux forces financières que je viens d'énumérer, joignez la garantie d'une double surveillance de la part du gouvernement, surveillance instituée, il est vrai, en vue d'un intérêt public, mais dont les conséquences sont tout aussi favorables aux intérêts des actionnaires, et vous aurez le tableau de la générosité avec laquelle nous avons voulu mettre la Banque à même de contribuer, sans grande peine et sans risques, à la prospérité du travail national dans son acception la plus large.

Mais, messieurs, autant nous avons été généreux, je dirai presque prodigues, vis-à-vis des actionnaires de la Banque Nationale, qui ne constituent, après tout, qu'un intérêt privé excessivement borné eu égard à l'intérêt général du pays, autant devons-nous être exigeants, sévères, lorsqu'il s'agit d'apprécier les actes qui caractérisent la conduite de la Banque actuellement. Il ne faut pas qu'en possession des privilèges et des faveurs qu'elle a reçus de nous, la Banque puisse se permettre, un seul instant, d'en oublier l'origine et les motifs.

Que la Banque le sache donc bien : la loi du 5 mai 1850 est un contrat passé entre la nation belge d'un côté, et ses actionnaires de l'autre. Tels avantages, tels privilèges, telles faveurs ont été concédés par la législature aux actionnaires, à la condition formelle, sine qua non, qu'ils rendraient, en échange, au pays, à ses industriels et commerçants, à nos commettants, tels services déterminés par la loi.

De là, ressort logiquement que quand les services rendus ne répondent pas largement aux privilèges accordés, ceux-ci, devenus sans objet, doivent être aussitôt retirés.

Oui, du moment que les actionnaires ou leurs représentants immédiats, les directeurs de la Banque, ne satisfont pas loyalement à toutes les clauses de la convention, nous sommes, de notre côté, dégagés de tout engagement réciproque vis-à-vis des actionnaires, parce que n'ayant pas rempli leurs obligations, ils ont, par ce fait, déchiré eux-mêmes leur pacte d'installation, la loi organique du 5 mai 1850, la charte constitutionnelle de la Banque.

S'exprimant à ce sujet avec une extrême franchise et sans que personne l'ait contredit, l'honorable M. T’Kint de Naeyer nous disait dans la discussion de la loi sur la Banque Nationale :

« Il importe qu'une banque qui a le caractère de la banque que nous allons créer, soit administrée avec prudence, avec sagesse ; mais il ne faut pas cependant qu'on puisse lui reprocher d'opérer dans un cercle trop étroit. Il ne faut pas que l'on dise qu'elle a été créée uniquement au profit de qu'on est convenu d'appeler l'aristocratie financière. La Banque Nationale porte un nom qu'elle doit justifier sous peine de forfaiture. Elle est créée dans un but d'utilité publique, elle devient en quelque sorte responsable envers la législature qui, il ne faut pas se le dissimuler, lui accorde de très grands privilèges. Je crois que la loi loyalement exécutée donne les moyens de faire descendre le crédit d'étage en étage jusqu'aux plus petits intérêts. »

Telle était la pensée de l'honorable député de Gand, et je suis persuadé qu'il n'est pas disposé aujourd'hui à retirer aucune de ses paroles qui caractérisent si bien la portée, la signification de la loi du 5 mai 1850.

Sous l'empire de ces idées, je suis venu une première fois, dans la séance du 24 mars 1852, signaler les atteintes portées à la loi organique par la conduite de la Banque Nationale.

M'appuyant de l'exposé des motifs et des discussions de la loi, j'attirai l'attention du gouvernement sur ces deux points capitaux :

1° Que la banque, dotée de tous ses privilèges, n'avait pas organisé les comptoirs tels qu'elle doit les établir, en vertu de l'article 2 de la loi, dans les neuf provinces, afin d'y offrir directement ses services aux commerçants et aux industriels, et de faciliter en même temps les relations d'affaires des différentes localités du pays, les unes avec les autres.

2° Que le taux de l'escompte exigé par la banque était beaucoup trop élevé, eu égard non seulement aux privilèges dont elle jouit, mais encore d'après les conditions qu'elle exige du papier de commerce, des lettres de change, avant de l'admettre dans son portefeuille.

A ces deux griefs que je prouvai la loi organique en mains, l'honorable M. Sinave est venu ajouter un troisième grief, savoir : que pendant l'année qui venait de s'écouler (l'année 1851), la Banque Nationale belge avait, chose incroyable, escompté au travail étranger, au travail anglais par exemple, à beaucoup meilleur marché qu'au travail belge, le seul cependant dont elle ait à se préoccuper afin de le favoriser de tous ses moyens.

Ces griefs étaient précis et nettement formulés.

Qu'y a-t-on répondu ? On m'a dit, et c'est l'honorable M. Osy qui m'a fait cette réponse, que j'étais trop pressé dans mes exigences vis-à-vis de la Banque ; qu'il fallait attendre encore un peu, que la Banque n'était née que d'hier, depuis un an à peine ; qu'elle n'avait pas même achevé ses mois de nourrice ; qu'ici, comme dans beaucoup d'autres choses, les commencements étaient difficiles, etc.

Voici les paroles mêmes de l'honorable M. Osy, prenant la défense de la Banque.

« Le principal grief que l'honorable M. de Perceval a fait valoir contre la Banque nationale, c'est que la gestion en est entièrement dans l'intérêt des actionnaires et non pas dans celui du pays. L'honorable préopinant raisonne comme si c'était une institution ancienne, elle n'est établie que depuis un an, et vous savez, messieurs, que les commencements sont toujours difficiles.

« Ce n'est pas assez de commencer et de faire beaucoup d'affaires, de faire croire au pays qu'il faut abaisser forcément le taux de l'intérêt ; il faut, en commençant un nouvel établissement, commencer par ce qu'on peut être sûr de soutenir. Sans doute, le but de l'établissement est de faire abaisser graduellement le taux de l'intérêt. Mais je dis et je crois que la Banque, dans la première année de son établissement, a été très sage de ne pas commencer par escompter à un taux très bas. »

Voilà l'extrait textuel de la réponse que crut devoir me faire l'honorable député d'Anvers.

« Quant au grief provenant de l'inorganisation des comptoirs, M. Osy me répondit encore que l'établissement des succursales rencontre beaucoup de difficultés, et exige des précautions. Que du reste la Banque en avait déjà établi plusieurs, en établissant des relations avec des banquiers de province. »

Abordant le reproche extrêmement grave d'avoir méconnu sa mission nationale en favorisant le travail étranger au détriment du travail belge, M. Osy convint du fait, tout en déclarant que, dans sa pensée, cette nature d'opérations ne devait pas continuer, mais que pour l'année écoulée, la première année de l'existence de la Banque, cela avait été très utile aux actionnaires qui y avaient trouvé moyen d'employer, à leur profit, les valeurs financières que le peuple belge a mises à leur disposition.

Tel fut en substance l'aveu que me fit l'honorable M. Osy.

A son tour. M. le ministre des finances de cette époque, l'bonoiable M. Frère, essaya de justifier la Banque. Le taux de l'escompte que (page 1155) j'attaquais comme trop élevé, le ministre le trouva suffisamment bas, et il me déclara aussi trop empressé à réclamer partout des comptoirs.

Mon unique but ici, en rappelant cette première interpellation de ma part, est de constater que tout en défendant la Banque, on a demandé pour elle le temps moral nécessaire afin de se consolider, de reconnaître le terrain, et que seulement alors, on serait légitimement fondé à lui demander compte de ses actes, dans l'hypothèse qu'ils laisseraient encore quelque chose à désirer.

J'ai donc attendu deux ans.

Aujourd'hui, on ne me reprochera plus, j'espère, que je suis trop pressé. Cependant j'ai à produire contre la Banque exactement les mêmes reproches, les mêmes accusations qui ont été faites en 1852.

Avec la loi organique en mains et les comptes rendus publiés par la Banque elle-même, je vais vous démontrer que depuis le commencement de ses opérations jusqu'aujourd'hui, cet établissement ne s'est préoccupé constamment que du seul intérêt de ses actionnaires, au mépris des plus précieux intérêts du commerce et de l'industrie du pays.

Permettez-moi, messieurs, de vous exposer dans leur ordre naturel les raisons et les faits qui, à mes yeux, justifient cette accusation.

Pour juger la conduite de la Banque sous ces différentes faces, je me suis posé trois questions :

La première question concerne la conduite de la Banque Nationale au sujet de l'organisation des comptoirs destinés à répandre ses services dans les provinces ;

La deuxième est relative à la fixation du taux del'escompte ;

Et la troisième se rapporte à savoir si la banque a suffisamment protégé le travail belge vis-à-tis du travail étranger.

Or, messieurs, l'examen de ces trois questions m'a donné à l'égard de la Banque la conviction que je viens de vous énoncer.

J'entre en matière.

Première question. Les comptoirs établis par la Banque dans les provinces satisfont-ils aux conditions voulues par l'article 2 de la loi du 5 mai 1850 ?

Non, ils n'y satisfont pas.

Et, d'abord, selon la loi du 5 mai 1850, que doit être un comptoir provincial de la Banque Nationale ? Je vais, messieurs, vous donner du comptoir une définition qui ne laisse subsister aucun doute et que vous ne récuserez pas, j'en suis certain, car elle émane de l'auteur même de l'article 2 de la loi du 5 mai.

Répondant à une interpellation faite au sujet des conditions constitutives d'un comptoir de la banque en province, l'honorable M. Frère-Orban vous disait dans la séance du 1er mars 1850 :

« Je ne prétends pas réformer la langue française, je ne veux pas donner aux mots une signification qu'ils n'ont pas, mais n'est-il pas certain, n'est-il pas incontestable que le comptoir d'un établissement dans une ville ou dans un pays, est le représentant de l'établissement dans cette ville ou dans ce pays, qu'il y est chargé de faire les mêmes opérations que la Banque elle-même fait au centre ?

« La Banque fera des avances de fonds sur des lingots ou des monnaies d'or et d'argent. Eh bien, si quelqu'un se présente, le comptoir pourra aussi faire ces sortes d'opérations.

« La Banque peut se charger du recouvrement d'effets qui lui seront remis par des particuliers on des établissements. Pourquoi le comptoir ne pourrait-il pas être chargé du recouvrement d'effets qui lui seraient remis par des particuliers ou des établissements ? La Banque peut recevoir des sommes en compte courant ; et, en dépôt, des titres, des métaux précieux et des monnaies d'or et d'argent. « Pourquoi ie comptoir ne pourrait-il recevoir des sommes en compte courant, et, en dépôt, des titres, des métaux précieux et des monnaies d'or et d'argent ?

« Voilà toutes les opérations que fera la Banque, et il est évident que le comptoir peut les faire, indépendamment de l'escompte.

« Pourquoi l'escompte n'a-t-ilpas été déclaré obligatoire dans chaque comptoir ? Précisément par le motif que je ne méconnais pas les difficultés, parce qu'il y a des dangers à éviter.

« Parce qu'il faut agir avec prudence, qu'il faut qu'on soit certain que les personnes chargées d'opérer l'escompte dans les provinces, n'opèrent pas au détriment de la Banque. Il faut donc attendre qu'on soit arrivé à une organisation complète ; il ne faut pas, dès le début, obliger la Banque à faire l'escompte dans tous ses comptoirs. Il faut laisser au gouvernement le soin d'apprécier s'il y a des besoins réels. »

Ces explications au sujet des opérations auxquelles se livreraient nécessairement tous les comptoirs de la Banque Nationale, M. le ministre des finances les donnait, messieurs, afin de vous faire rejeter un amendement proposé et qui tendait à rendre l'institution des comptoirs en province facultative de la part de la Banque, au lieu de la rendre obligatoire.

« Je repousse, disait le ministre, la nouvelle rédaction proposée de l'article 2, parce qu'il faut imposer à la Banque l'obligation d'établir des comptoirs. » Et, comme l'auteur de l'amendement demandait au ministre ce que ferait le comptoir de la Banque en entendant qu'il pût escompter, M. Frère lui répondit de nouveau : « Il fera, en attendant, toutes les autres opérations permises par l'article 8 de la loi. » Cette réponse que donnait M. le ministre des finances au nom du gouvernement, n'est d'ailleurs qu'une autre forme d'énoncer le principe que je rappelais tout à l'heure, savoir : qu'en matière de crédit, pas plus qu'en matière d'impôt, il ne peut y avoir de privilège ni de faveur pour personne ; que dans l'ordre social où nous vivons la règle absolue c'est l’égalité de tous devant les bénéfices comme devant les charges de l'Etat.

Déjà, dans les sections, avant la discussion publique du projet de loi, des membres avaient soulevé des doutes sur la possibilité d'établir de pareils comptoirs, dont ils approuvaient du reste hautement le principe ; et la cinquième section entre autres avait chargé son rapporteur de réclamer, en section centrale, des renseignements très précis du gouvernement sur les mesures qu'il se proposait de prendre pour fonder ces établissements éminemment utiles. Répondant aux questions posées par la cinquième section, M. le ministre des finances disait à la section centrale :

« Pourquoi les moyens d'exécution feraient-ils défaut chez nous ? La banque de France possédait, avant les décrets des 27 avril et 2 mai, quinze comptoirs ou succursales ; elle en a vingt-cinq depuis les décrets qui réunissent les banques départementales à la banque de France, elle en avait même un à Alger. La banque d'Angleterre a également bon nombre de succursales. Or, ce qui se pratique en France, en Angleterre et ailleurs encore, ne serait-il pas praticable en Belgique où les communications sont si commodes, si promptes, si faciles, où les relations des provinces avec la capitale sont si multipliées, où cette capitale se trouve, pour ainsi dire, placée au centre du pays ? Quant aux mesures à prendre, comme elles devront être concertées avec la Banque, le gouvernement ne pourra les préciser avant l'institution de celle-ci. »

Abordant le même sujet de la loi, le rapporteur de la section centrale, l'honorable M. Tesch disait dans son rapport : « L'établissement des comptoirs dans les chefs-lieux de province et dans les localités où le besoin en sera constaté, étendra la circulation des billets de banque, diminuera le transport des espèces, apportera les bienfaits du crédit à plusieurs parties du pays qui en sont privées, et leur permettra de jouir des différents avantages que l'établissement de la banque projetée est destiné à assurer à la nation. A propos de cet article un membre a fait observer que les opérations des comptoirs de la banque de France sont fort restreintes ; mais c'est là, à en croire les écrivains qui se sont occupés de l'organisation de cet établissement, un vice d'organisation que la section centrale doit se borner à signaler au gouvernement. » Revenant sur la question, lors de la discussion de l'article 2 en séance publique, le rapporteur de la section centrale, plus tard ministre de la justice, quand le gouvernement arrêta les statuts de la Banque, nous disait, en termes fort explicites, ce qui suit :

« Comme l'a dit M. le ministre des finances, il y aura un comptoir obligatoire dans chacune des neuf provinces ; ces comptoirs auront leur utilité quoique ne se livrant qu'à des opérations autres que l'escompte ; mais quant à l'escompte il ne se fera que là où il y aura des comités d'escompte, et ces comités d'escompte seront établis là où le gouvernement l'exigera.

« Pour que la Banque remplisse sa mission, pour que les bienfaits de cette institution se fassent sentir dans tout le pays, il faut évidemment qu'elle ait, dans un temps déterminé, ses comptoirs dans toutes les provinces. Pour que la diminution de l'intérêt de l'argent se fasse sentir partout, il faut que les opérations de la Banque ne se concentrent pas dans la capitale, mais que les fonds, dont la Banque dispose, afiluent jusqu'aux extrémités de la Belgique. L'honorable M. Ch. de Brouckere dit que si, même la Banque n'avait pas de comptoirs dans les différentes provinces, elle n'en escomptera pas moins, qu'il y aura dans les différentes localités des banquiers qui prendront les valeurs en province et les escompteront à la Banque de Bruxelles.

« Mais qu'arrivera-t-il dans ce cas ? Il arrivera que ces banquiers profiteront seuls de tous les avantages qui doivent résulter pour le public de l'institution de la Banque ; que les clients de la Banque n'en profitent guère ; qu'en général le commerce est rançonné par les banquiers des provinces et que l'intérêt de l'argent restera dans les provinces au même taux que si la Banque n'existait pas. Si donc nous voulons que la location de l'argent ait lieu au plus bas prix possible, il faut, comme l'a dit l'honorable M. Le lion, que la Banque rayonne sur le pays entier, et à ce point de vue, je dois m'opposer à l'amendement proposé par lequel on veut rendre facultative l'institution des comptoirs en province. »

L'amendement a été rejeté, et la Chambre a adopté ensuite l'article 2 tel qu'il fut proposé par le gouvernement et la section centrale. Il est ainsi conçu :

« La Banque établira des comptoirs dans les chefs-lieux de province, et, en outre, dans les localités où le besoin en sera constaté.

« Un comité d'escompte sera attaché à chaque comptoir dans les villes où le gouvernement le jugera nécessaire, après avoir entendu l'administration de la Banque. »

Ainsi, messieurs, selon M. le ministre des finances parlant au nom du gouvernement, un comptoir de la Banque nationale doit être un établissement qui se livre, en province, absolument aux mêmes opérations et qui y rend exactement les mêmes services que la Banque centrale à Bruxelles ;

Et, selon le rapporteur de la section centrale s'exprimant au nom des (page 1156) sections, le but des comptoirs, quant à l'escompte spécialement, est d'exonérer dorénavant les commerçants et les producteurs du pajs de l’exploitation des banquiers, qui, disait-il, les rançonnent aujourd hui surtout dans les provinces.

« Le gouvernement accordera bien à la Banque, disait M. le ministre des finances, un délai moral poir l'organisation de l'escompte dans les comptoirs de province ; mais, en attendant, tous ces comptoirs devront rendre au public tous les autres services prescrits à la Banque par l'article 8 de la loi organique. »

Voyons maintenant si les établissements désignés sous le nom de comptoirs de la Banque Nationale satisfont à la double condition qui ressort si clairement des commentaires de M. le ministre des finances et de M. le rapporteur de la section centrale, savoir :

1° Si ces établissements se livrent à toutes les opérations prescrites par l'article 8 de la loi ;

2° Si, de la manière dont ils ont été organisés pour le service de l'escompte, ces établissements ont débarrassé les commerçants et les industriels de la servitude, de l'exploitation qu'ils subissaient auparavant de la part des banquiers, auxquels la nécessité de l'escompte les forçait de recourir.

Eh bien, messieurs, sur neuf établissements pourvus du titre honorifique de comptoir de la Banque Nationale, il y en a huit qui ne satisfont pas aux conditions voulues par la loi du 5 mai 1850.

Je vais vous en soumettre la preuve irrécusable, tiré d'un document revêtu de la signature du gouverneur, des directeurs et censeurs de la Banque dont il s'agit.

L'article 8 de la loi du 5 mai 1850 est ainsi conçu :

Les opérations de la Banque consistent :

1° A escompter ou à acheter des lettres de change et autres effets, ayant pour objet des opérations de commerce et des bons du trésor dans les limites à déterminer par les statuts.

2° A faire le commerce des matières d'or et d'argent.

3° A faire des avances de fonds sur des lingots ou des monnaies d'or et d'argent.

4° A se charger du recouvrement d'effets qui lui seront remis par des particuliers et des établissements.

5° A recevoir des sommes en compte courant, et, en dépôt, des titres, des métaux précieux et des monnaies d'or et d'argent.

6° Enfin, à faire des avances en compte courant ou à court terme sur dépôt d'effets publics nationaux ou d'autres valeurs garanties par l'Etat, dans les limites et aux conditions à fixer périodiquement par l'administration de la Banque conjointement avec le conseil des censeurs sous l'approbation du ministre des finances.

Or, d'après l'opinion si nettement formulée par l'auteur de l'article 2 de la loi, l'honorable M. Frère-Orban, « tous les comptoirs de la Banque Nationale doivent être chargés de faire, dans la localité où ils sont établis, exactement les mêmes opérations que la Banque elle-même fait au centre. »

La Banque s'est-elle respectueusement inclinée devant cette volonté si formelle et si juste de la loi ? Les établissements qu'elle appelle ses comptoirs en province, rendent-ils tous, sans exception, dans leur localité respective, les mêmes services, se livrent-ils aux mêmes opérations que la banque centrale à Bruxelles ?

En un mot, l’égalité que vous avez consacrée, en principe, par le vote de l'article 2 de la loi, est-elle devenue, par l'obéissance et les efforts de la Banque, une égalité vivante dans les faits ?

Non, messieurs, loin de là ; et vous allez vous en convaincre.

Après avoir parlé des relations que la Banque Nationale a établies avec différentes maisons de banque de province ainsi qu'avec la Banque de Flandre à Gand, M. le gouverneur dans son rapport aux actionnaires s'exprime de la manière suivante sur ce qui a été fait à Anvers :

« Pour ce qui concerne Anvers, nous avons reconnu qu'un comptoir d'escompte ordinaire serait insuffisant et qu'il fallait y fonder, sous le nom de succursale de la Banque Nationale, un établissement assis sur des bases larges et solides, et qui pût se livrer, sur cette place, à toutes . les opérations que celle-ci fait elle-même à Bruxelles. »

Qu'esl-ce que cela vent dire ?

Cela signifie qu'il n'y a dans tout le pays, pour les neuf provinces qu'un seul comptoir réel conforme à la loi, et c'est à Anvers.

Il est inutile d'ajouter sans doute, messieurs, qu'en faisant cette communication, fraternelle à ses coassociés, M. le gouverneur de la Banque s'est dispensé de faire voir que la loi est satisfaite, que la volonté souveraine de la législature a été obéie, en un mot que la Banque, fondée pour rendre les mêmes services à toutes les parties du pays, a atteint son but national, le bul de son institution. (Voir page 21 du rapport fait à l'assemblée générale des actionnaires le 25 février 1852 par le gouverneur sur les opérations et la situation de la Banque).

Pour essayer de cacher, sous des noms ronflants, une violation flagrante de la loi, l'administration de la Banque se plaît à donner au comptoir d'Anvers le nom de Succursale de la Banque nationale, tandis qu'elle appelle Comptoir d'escompte ordinaire chacun des autres établissements avec lesquels elle a établi, à son point de vue exclusif, de simples relations d'intérêts. Selon les habiles rédacteurs des comptes rendus annuels, il y aurait lieu à distinguer entre le comptoir ordinaire et la succursale. Le comptoir extraordinaire ou succursale, ce serait la Banque même reproduite en province, tandis que le comptoir d'escompte ordinaire se réduirait à la reconnaissance d'un courtier-escompteur, travaillant à ses risques et périls personnels, comme le premier banquier venu, mais avec cette différence que le courtier-escompteur, l'agent avoué de la Banque en province, est admis au réescompte à 5 p. c, tandis que le banquier libre, non avoué, est tenu de payer un réescompte de 4 p. c.

Messieurs, une pareille distinction n'existe nulle part ailleurs que dans les désirs de l'administration des actionnaires de la Banque ; elle est absolument contraire à la loi, d'après le commentaire du gouvernement d'accord avec celui de la section centrale. Les extraits textuels que je vous ai cités ne laissent pas subsister le moindre doute à cet égard.

Donc, aujourd'hui, en 1854, la quatrième année de l'existence de la, Banque créée tout exprès pour faciliter et aider partout le travail par des comptoirs bien organisés et bien dirigés, vous avez un seul comptoir pour tout le pays. La Banque n'a pas satisfait à la loi pour la province de la Flandre orientale, ni pour celle de la Flandre occidentale, ni pour celle de Liège, ni pour les provinces de Hainaut, de Namur, de Luxembourg et de Limbourg. Pour toutes ces provinces, la Banque Nationale n'existe réellement pas dans la véritable acception du mot.

A Gand, la Banque s'est bornée à passer un contrat avec l'administration de la Banque de Flandre qui lui remet les 3/4 de ses escomptes, et fait pour rien le service d'agent du caissier de l'Etat ; voilà tout. Quant aux cinq autres services prescrits par l'article 8 de la loi, et qu'elle doit à Gand aussi bien qu'à Bruxelles et à Anvers, il n'en est pas plus question dans le contrat passé avec la Banque de Flandre que si les article 2 et 8 de la loi n'avaient pas été votés par la législature. Si la Banque de Flandre veut rendre ces services, c'est à sa convenance, mais l'obligation de les rendre ne lui est pas imposée. Cela est encore bien plus vrai pour Liége, pour Namur, Charleroi, Tournai, Bruges, Mons, enfin pour toutes les autres localités industrielles et commerçantes du pays, Bruxelles et Anvers étant seuls exceptés.

Dans une lettre que j'ai entre les mains et que j'ai reçue du gouverneur de la Banque, sous la date du 15 de ce mois, l'administration de cet établissement me fait savoir que les opérations auxquelles se livrent les comptoirs sont celles relatées dans les articles 8, 9, 10 et 11 de ses statuts, c'est-à-dire qu'ils font uniquement l'escompte et les prêts sur fonds publics. De sorte que des six opérations différentes prescrites par l'article 8 de la loi. à tous les comptoirs en province, ceux-ci n'en font que deux, à l'exceplion de celui d'Anvers.

Voilà comment dans la pratique la loi que vous avez votée dans un but national, est respectée et obéie par la Banque !

Ce n'est pas tout. Si vous êtes reconnu solvable, allez chez le premier banquier venu, et présentez-lui du papier sur n'importe quelle localité du royaume, il vous le prendra. Le banquier privé, malgré l'exiguïté de ses ressources, a trouvé le moyen d'avoir des agents sûrs de recouvrement pour toutes les localités du royaume. Aucune commune du pays n'est exclue de sou cercle d'affaires. En est-il bien de même pour la Banque Nationale qui dispose, grâce à votre générosité, de si immenses ressources financières ?

Non, messieurs, la Banque Nationale ne prend du papier de commerce, des lettres de change, que sur les 27 villes où elle doit forcément avoir des agents pour le service du caissier de l'Etat. Toutes les autres villes ou communes du royaume sont pour elle comme n'existant pas. et toutes les lettres de change sur ces localités sont condamnées à aller se faire escompter chez les banquiers qui ont su établir des relations parfaites, modestes mais utiles, pour lesquelles la Banque ne professe, sans doute, qu'un profond dédain, bien qu'elle ait vis-à-vis de toutes les communes du pays des obligalious, des devoirs que n'ont pas les simples banquiers particuliers.

Ce que je viens de vous dire du manque de relations de la Banque, se trouve consigné en toutes lettres dans la dépêche précitée du 15 mars, signée du gouverneur M. de Haussy. « La Banque, me dit-il, n'accepte à l'escompte que les effets de commerce payables dans les villes où elle a des agents pour le service du caissier de l'Etat. » C'est-à-dire, messieurs, que sur 86 villes et 2,434 communes, il y ena juste 27 admises à profiter plus ou moins des services de la Banque. Tout le reste du pays "est littéralement abandonné par elle à l'ancienne exploitation des banquiers particuliers.

A ce sujet, je ne puis m'empêcher de vous faire part d'une charmante naïveté qui se trouve dans le dernier rapport annuel qui vient d'être présenté aux actionnaires de la Banque, le 27 février 1854. S'efforçant de démontrer les immenses services que rend la Banque au pays, M. le gouverneur s'exprime comme suit, au nom de l'administration et des censeurs.

« Nous avons dit que le nombre total des effets escomptés à Bruxelles avait été de 122,447, s'élevant à la somme de 323 millions de fr. ; or le nombre des effets présentés à l'escompte et refusés pour diverses irrégularités, pour insuffisance de garantie ou parce qu’ils étaient payables dans les villes de province où la Banque n'a pas d'agence, n'a été pendant toute l'année dernière que de 1,262, montant ensemble à 949,000 francs. Ces chiffres, ajoute M. le gouverneur, prouvent avec quelle facilité la Banque admet à l'escompte toutes les valeurs présentables. »

Eh bien, je dis, moi, que M. le gouverneur a dû y mettre beaucoup de bonne volonté pour se rendre l'organe d'une pareille assertion.

Comment ! la Banque aura fait publier dans tous les journaux les conditions auxquelles doit strictement satisfaire le papier de commerce avant qu'elle l'escompte ; elle a fait, en outre, remettre à tous les (page 1157) banquiers, à tous ceux qui sont susceptibles d'entrer en relation avec elle, un tableau des seules villes du pays sur lesquelles elle prend des lettres de change ; puis, quand nonobstant ces avis réitérés, on lui a encore présenté 1,262 effets appartenant à la catégorie de ceux qu'elle a déclarés absolument exclus en principe, la Banque viendrait y trouver une confirmation éclatante de son utilité nationale ! Je dis que pour vous, messieurs, comme pour moi, ces 1,262 effets, refusés en 1853, ne sont qu'une statistique du défaut de mémoire de ceux qui les ont présentés à la Banque.

D'après la manière de raisonner de la Banque, si demain on faisait annoncer au public que la poste aux lettres cesse son service pour toutes les villes et communes du royaume, excepté pour les vingt-sept villes où il existe des agents du caissier de l'Etat, il faudra, l'année prochaine, admettre comme une preuve valable de l'utilité générale ou nationale de la poste, ainsi restreinte, la statistique des lettres qui auront été abusivement déposées dans les boîtes !

A présent, voulez-vous savoir le motif pour lequel la Banque n'a pas établi dans les autres provinces un comptoir pareil à celui d'Anvers ? Pourquoi, comme la poste, elle n'a pas de ramifications dans tout le pays ? C'est, messieurs, à cause de la dépense qui en résulterait pour les actionnaires, qui verraient diminuer d'autant la somme de leurs bénéfices annuels. Or, ces pauvres actionnaires, qui ne doivent conserver leur existence qu'à la condition de remplir scrupuleusement leurs devoirs vis-à-vis de la législature, vis-à-vis du commerce et de l'industrie dans toutes les provinces indistinctement, ces pauvres actionnaires, dis-je, ont réalisé, en trois ans, plus de 4 1/2 millions de francs de bénéfices nets, et cela pour 15 millions qu'ils ont versés, à titre de cautionnement.

Ecoutez, messieurs, de quelle manière directe et catégorique, le prétexte invoqué actuellement par la Banque pour ne pas organiser des comptoirs, a été prévu et déclaré nul d'avance, lors de la discussion de la loi sur la Banque.

L'honorable M. Osy, ancien directeur de la Banque d'Anvers et qui a de l'expérience en ces matières, prévoyant, sans doute, qu'une fois en possession de ses faveurs et privilèges, l'administration de la Banque Nationale, plus vivement préoccupée des intérêts des actionnaires que de ceux du commerce et de l'industrie, ne se ferait pas faute d'inventer mille échappatoires, toutes sortes de moyens d'opposition pour en éviter les justes charges, l'honorable M. Osy, dis-je, voulant préciser nettement la portée de son vote sur l'article 2 qui déclare les comptoirs obligatoires en province, nous disait :

« Je suis persuadé que ces comptoirs constitueront pour la Banque une assez forte dépense, mais les actionnaires qui ne sont que deux, savent que cette obligation leur est imposée. Ceux qui achèteront des actions savent qu'on établira des comptoirs dans les provinces. Comme c'est utile à tout le pays, je donnerai mon assentiment à l'article 2. »

Voilà de quelle manière catégorique l'honorable M. Osy condamnait d'avance toute opposition qu'on aurait pu tirer de l'élévation de la dépense quant à l'établissement de vrais comptoirs.

L'honorable M. T'Kint de Naeyer disait de son côté :

« C'est une grande pensée de relier entre elles toutes les principales villes de manière que l'argent puisse refluer d'un endroit dans un autrre, et aue la partie du pays où le numéraire viendrait à manquer, puisse le recevoir de celle où il serait surabondant. Il est évident que le service du caissier de l'Etat, qui est confié à la Banque, facilitera singulièrement la réalisation de ce projet. Je sais bien qu'au point de vue des actionnaires la création de comptoirs ne présente peut-être pas une source de bénéfices très satisfaisants, et je m'attends d'avance à ce que l'administration ne mettra pas un très grand empressement à les créer. Dans ce cas, ce sera au gouvernement de l'y provoquer, ou, au besoin, de l'y contraindre sans tenir compte des obstacles que des intérêts privés pourraient susciter. Messieurs, j'ai des motifs pour insister tout particulièrement sur la création des comptoirs. Le décret de 1808 avait aussi imposé à la Banque de France l'obligation de créer des comptoirs dans les départements. Eh bien, en 1840, quand le privilège de la Banque a été renouvelé, on en était encore à demander que cette partie de la loi fût mise à exécution. »

Vous le voyez, messieurs, le fait de la résistance a été prévu avec le remède que le gouvernement devait y appliquer, le cas échéant.

Personne, ni M. le ministre des finances, ni aucun des défenseurs de la loi n'ont contredit les honorables M. Osy et T’Kint de Naeyer, parce que tout le monde était d'accord, à cette époque, que les bienfaits de l’établissement qu'on allait fonder, devaient s’étendre sur tout le pays, que c'était là une condition formelle, sine qua non de sa création.

Jetons à présent un coup d'oeil de commisération sur ces comptoirs nominaux qu'on voudrait bien nous faire prendre pour des comptoirs réels, conformes à ceux qu'exige la loi.

Ces comptoirs, vous disais-je, ne se livrent qu'à l'escompte et aux prêts sur fonds publics, à l'exclusion des quatre autres services qu'ils doivent rendre. Quand je dis qu'ils escomptent, j'exagère, car à quelles conditions escomptent-ils ? Aux conditions les plus onéreuses pour les ayants droit, les commerçants et les industriels de leur localité. Sauf dans des cas excessivement rares, on n'y prend que du papier à trois signatures de personnes reconnues solvables. Or, de pareilles valeurs ne se rencontrent pas souvent chez les commerçants ou les industriels, même les plus solvables. Quatre-vingt-dix-neuf fois sur 100, leur papier à une ou à deux signatures, quoique bon, quoique solide, quoique répondant à des opérations réelles, est donc refusé par le comité d'escompte établi auprès du comptoir, comité d'escompte que l'on a eu soin de composer de bon nombre de banquiers, toujours, bien entendu, pour rendre l'accès du comptoir facile aux commerçants et industriels de la localité.

Cette troisième signature, fatalement exigée de tous, à l'exception des gros bonnets, le banquier, membre du comité d'escompte, la donne naturellement avec plaisir, car elle lui procure le moyen d'escompter le papier pour son propre compte, à l'ancien taux bien entendu, à 5 et à 6 p. c, et c'est alors lui qui va, lorsqu'il le trouve convenable, le réescompter au bureau de l'agent-escompteur reconnu par la Banque.

Indépendamment des trois signatures exigées, il existe une autre raison qui rend les comptoirs d'escompte inabordables à la petite et à la moyenne industrie, au petit et au moyen commerce, en un mot, à l'immense majorité des travailleurs de la petite et de la moyenne bourgeoisie des provinces.

D'après les contrats passés entre la Banque et ses agents-escompteurs en province, la Banque s'est fait la plus belle part, la part du lion, dans le produit de l'escompte, elle prend pour elle les 3/4 du produit, et l'autre 1/4 constitue toute la part de l'agent escompteur, lequel doit y trouver non seulement la rémunération de ses services, mais encore de quoi couvrir au besoin ses risques, eu cas d'insolvabilité des créeurs et endosseurs des lettres de change qu'il a escomptées pour le compte de la banque.

Messieurs, il ne faut pas être doué d'une grande habitude des affaires pour apercevoir la fâcheuse conséquence de semblables contrats. Par ces contrats tout le petit commerce, toute la petite industrie, y compris la plus grande partie des travailleurs de la classe moyenne, sont refoulés des comptoirs, privés des services directs de la Banque ; ils continuent à subir le vasselage des banquiers privés.

Supposez, messieurs, que les sociétés d'assurances contre l'incendie établies dans le pays, au lieu de couvrir elles-mêmes les risques d'incendie des maisons assurées par leurs agents ou courtier-assureurs en province, passent avec ceux-ci le contrat suivant :

« Je prends pour moi les 3/4 nets des primes d'assurances que vous payeront les propriétaires des bâtiments, mobiliers, marchandises, elc... que vous avez assurés en mon nom ; à vous qui êtes mon agent et qui m'avez procuré ces affaires et signé la police, je donne le 1/4 de la prime, à condition toutefois qu'en cas d'incendie d'une des valeurs assurées par votre intermédiaire, vous indemnisiez la société de tout le montant du sinistre qu'elle aura éprouvé. »

Si les sociétés d'assurances contre incendie ne passaient avec leurs agents ou courtiers que de pareils contrats, il est facile de prévoir ce qui arriverait. Eu égard à la prime minime qui leur est allouée en compensation de leur responsabilité lors d'un incendie, il est évident que les agents ou courtiers ne présenteraient plus à la société que des maisons bâties en fer et pour ainsi dire à l'abri du feu, et qu'ils refuseraient systématiquement de prêter leur ministère, de prendre à l'assurance toute maison bâtie en briques et en bois.

Messieurs, l'actualité, l'application de ma comparaison vous a déjà frappés. La conduite que j'ai attribuée par hypothèse aux sociétés d'assurances contre l'incendie, n'est autre chose évidemment que la conduite que tient, dans toute sa réalité, la Banque Nationale vis-à-vis de ses agents, vis-à-vis de ses courtiers-escompteurs en province. Et de même que les courtiers des sociétés contre l'incendie ne prendraient, en pareil cas, à l'assurance que des maisons pour ainsi dire incombustibles, de même les courtiers escompteurs de la Banque dans les provinces n'acceptent à l'escompte et n'engagent leur responsabilité que sur des valeurs, des letttres de change dont ils sont trois fois sûrs de n'avoir absolument rien à risquer.

Sans doute ils y trouvent leur compte, encore mieux les actionnaires ds la Banque ; mais peut-on bien en dire autant du peuple belge, le principal intéressé ici, pour lequel, seul, nous avons fondé et doté cet établissement financier, et lequel peuple belge est, après tout, il ne faut pas qu'on l'oublie, le plus fort actionnaire de cet établissement ?

Mais, pourrait-on dire, ces comptoirs de la Banque que vous appelez des bureaux fonctionnant dans l'intérêt exclusif de l'aristocratie financière et de ses lieutenants les banquiers, ces comptoirs sont aussi accessibles à la petite et à la moyenne bourgeoisie qu'au premier gros bonnet que vous pourriez citer. «Venez, m'a-t-on dit, venez voir le portefeuille de la Banque Nationale, vous y trouverez de quoi réjouir amplement votre cœur démocratique. »

Messieurs, je n'ai pas déféré à l’invitation gracieuse qui m'a été faits parce que la vue du portefeuille ne m'en aurait pas appris autant que m'en ont appris les rapports annuels de la Banque.

D'abord il ne suffit pas de m'exhiber quelques petits effets pour me convaincre que la Banque Nationale est utile au petit et au moyen commerce, aux artisans et industriels de la classe bourgeoise ; il faut encore (page 1158) savoir de quelle manière, par quelle voie directe ou indirecte, ces petits effets, ces broches, pour parler le langage technique, sont arrivées dans le portefeuille de la Banque. Or, cette voie je la connais parfaitement. Une autre raison pour laquelle je n'ai pas été faire ma visite au portefeuille de la Banque, c'est que pour la juger avec impartialité, mieux vaut, me semble-t-il, s'en référer aux opérations de trois années entières qu'à la situation d'un moment. Or, le caractère aristocratique et exclusif de la Banque, dite Nationale, ressort à la dernière évidence des faits accomplis par elle depuis trois ans qu'elle existe. J'ai eu recours aux comptes rendus annuels de la Société Générale, de la Banque de Belgique, de la Société de l'Union du crédit et de la Banque Nationale ; à l'aide des éléments contenus dans ces rapports, j'ai dressé le tableau de la valeur moyenne des effets escomptés par chacun de ces quatre établissements, pendant les années 1851,1852 et 1853.

Eh bien, messieurs, d'après ce tableau, la valeur moyenne des effets escomptés par chacun des comptoirs de la Banque Nationale, dépasse considérablement la valeur moyenne des effets escomptés, pendant les mêmes années, par chacun des trois autres établissements que je viens de nommer.

Encore la valeur moyenne, par effet, aurait été beaucoup plus élevée pour la Banque Nationale, si la Banque de Belgique et la Société de l'Union du Crédita Bruxelles, privées du droit d'émission de billets au porteur, n'étaient venues régulièrement réescompter chez elle une bonne partie de leur portefeuille. Mais nonobstant cette circonstance influente, la valeur moyenne par effet escompté, est, à la Banque Nationale, le double de ce qu'elle est pour la Banque de Belgique, et le triple de la valeur moyenne à l'Union du Crédit de Bruxelles. Vous voyez combien la différence est grande.

Maintenant, si l'on prend pour terme de comparaison les valeurs moyennes des effets escomptés par les comptoirs de la Banque Nationale en province, on arrive à une disproportion énorme, toute défavorable aux comptoirs de la Banque Nationale. Enfin, messieurs, en classant d'après le tableau ces quatre établissements de crédit dans l'ordre successif des moindres services qu'ils rendent aux artisans et petits industriels, au petit et moyen négoce, on obtient ie résultat suivant :

La Société de l'Union du Crédit à Bruxelles,

La Banque de Belgique,

La Société Générale,

La Banque Nationale.

Ainsi, c'est la Société de l'Union du Crédit qui est la plus directement utile à la petite et moyenne bourgeoisie industrielle et commerçante, et c'est la Banque Nationale, créée tout exprès pour leur venir en aide, qui leur rend le moins de services !

Je livre les chiffres de ce tableau officiel aux sérieuses méditations de la Chambre et du gouvernement. Je ne crains pas de dire qu'ils sont d'une éloquence irrésistible.

(Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée).

Messieurs, une enquête à laquelle je me suis livré, par la voie des journaux, afin de savoir, au juste, si le taux général de l'escompte était diminué depuis l'institution de la Banque Nationale, et si le commerce et l'industrie du pays en avaient retiré les services qu'ils sont en droit d'en attendre, m'a rendu dépositaire d'un grand nombre de renseignements émanés des neuf provinces, de lettres dans lesquelles les négociants et les industriels les mieux consolidés dans leurs affaires, sont unanimes à signaler l'absence de toute protection de la part de la Banque Nationale.

Permettez-moi de vous en lire quelques extraits.

Voici ce que je trouve dans une lettre qui m'a été adressée de Bruxelles et qui porte la date du 4 avril 1853 :

« Par la voie des journaux j'apprends votre désir de connaître quel avantage le négociant solvable retire de l'institution de la Banque Nationale.

« Je m'empresse de vous donner les renseignements suivants qui, je vous l'assure, sont des plus sincères ; car au besoin je puis vous montrer les pièces, la preuve irrécusable de ce que j'avance. Chez les banquiers, le taux de l'escompte n'a point varié depuis la fin de 1850 ; comme toujours, on paye à ces messieurs 6 p. c. d'intérêt, 1/4 p. c. de commission, des pertes de place très chères, calculées sur un minimum de 200 fr. J'ai sous les yeux deux bordereaux d'escompte d'un banquier en cette ville du courant de mars. Sur 600 fr. de traites sur bonnes places ayant en moyenne 30 jours à courir, je subis une perte énorme de 12 fr. 59 centimes. L'autre de 500 fr. donne le même résultat... »

Dans une autre lettre, aussi datée de Bruxelles, je trouve ceci : « Cette Banque Nationale n'est pas nationale du tout, elle ne donne de bénéfice qu'aux banquiers en leur faisant l'escompte à 3 p. c, c tandis que le simple commerçant ne peut y arriver qu'avec trois bonnes signatures, ce qu'on a bien rarement dans le commerce ; c'est ordinairement des mandats ou des remises qui font deux signatures. Cette Banque n'est donc qu'un monopole pour les administrateurs, les actionnaires et les banquiers, et le commerce doit payer chez les banquiers quand il est reconnu solvable 5 p. c. et 1/4 p. c. de commission, ce qui fait au moins 6 p. c, et quand il n'est que petit commerçant 6 p. c. et 1/2 p. c. de commission, ce qui fait au moins 8 p. c. »

Voici un extrait d'une lettre collective datée de Verviers :

« Le taux de l'escompte est ici de 5 p. c. et la commission 1/4 p. c. ; ces conditions datent de longtemps, et il n'y a pas eu de changement depuis l'organisation de la Banque Nationale, dont personne ne profite, sauf les banquiers...

« Nous désirons vivement que toute votre bonne volonté ne se brise point contre le jeu d'intérêts coalisés et que vous parveniez à faire rendre par la Banque Nationale les services qu'on est en droit d'en attendre. Le pays vous saura gré, en tout cas, des efforts que vous aurez faits pour y parvenir, et nous sommes heureux de vous en manifester, dès ce jour, nos remerciements... »

En voici une datée du chef-lieu de la province de Hainaut.

« Inclus j'ai l'honneur de vous adresser trois bordereaux des trois principaux banquiers de notre ville ; ces bordereaux sont de 1851. Précédemment et actuellement l'escompte était et est resté de même, c'est-à-dire 8 p. c. par an, avec commission, etc.. Je dis 8 p. c. mais c'est plus, car ces effets n'avaient au plus que 2 1/2 mois à courir. J'ai l'honneur d'y joindre un bordereau de ce jour, escompté chez l'agent du comptoir de la Banque Nationale pour essai.

« J'ai dû emprunter la signature d'un ami d'abord, puis attendre du lundi au mercredi pour avoir une réponse ; bref, il a été escompté à 4 1/2 p. c. J'aurais été chez l'un ou l'autre des banquiers, avec ma seule signature, on l'eût acceptée sans aucun doute ; immédiatement après, le banquier aurait présenté ma promesse au comptoir de la Banque, qui l'aurait escompté à 4 p. c. (au lieu de 4 1/2 p. c. que j'ai payé). En tenant compte de la différence de perte de place et de la commission, le banquier gagnait ainsi sur ma promesse 50 p. c, car une promesse de 1,000 fr., à trois mois escomptée chez le banquier, lui rapporte 1 1/2 p. c. d'intérêt, fr. 15 00 ; 1/2 p. c. commission fr. 5 00 ; perte de place 1/4 fr. 2 50. Total fr. 22 50.

« Lorsque le banquier va escompter ma promesse de 1,000 fr. au comptoir de la Banque Nationale, il payera juste 10 fr. tout compté. Différence ou bénéfice net pour le banquier 12 fr. sur un effet de 1,000 fr.

« Maintenant, les petits commerçants qui traitent en partie avec les petites villes et la campagne, lors même que leurs traites sont acceptées, lors même qu'ils emprunteraient la signature d'un ami pour réunir les trois signatures exigées, ne peuvent jouir du bienfait de la Banque Nationale, qui n'escompte que sur les localités où il y a des agents du caissier de l'Etat. De cette manière la Banque nous refuse toutes nos petites broches, pour lesquelles nous devons passer par les banquiers et payer 8 à 8 1/2 p. c. l'an. Voilà, M. le représentant, le bienfait de la Banque Nationale pour le petit commerce. et j'appelle petit commerce les marchands qui font de 40,000 à 150,000 francs d'affaires par an...»

Autre lettre de la province de Hainaut :

« Les industriels et les négociants, dans l'intérêt desquels la législature a créé la Banque Nationale, n'en retirent pas le plus petit avantage ; les renseignements que je vais vous donner en sont la preuve. Les négociants qui jouissent d'une excellente réputation, avec des garanties suffisantes, ont dans les banques parliculières les conditions suivantes :

« Compte courant et d'intérêts à 6 p. c l'an ; commission de 1,8 p. c. aux espèces comptées par le banquier ;

« Les arrêtés de compte par trimestre chez les uns, par semestre chez les autres ;

« A chaque clôture de compte, la balance, presque toujours en faveur du banquier, est frappée d'une commission de 1/4 p. c. qui se reproduit à chaque renouvellement de compte ;

(page 1159) « Les pertes de place sont tarifées de 1,8 à 1 p. c. pour les effets ne dépassant pas 30 à 40 jours ; au-delà de cette échéance, une surtaxe de 1/5 à 1/4 leur est appliquée. La tarification des effets est basée sur un minimum de 200 francs ; 100 francs, 25 et 50 francs subissent la même perte de place que 200 francs. Pour les endroits non tarifés, la perte est quelquefois de 1 1/2 à 2 p. c. ; ainsi, un effet de 100 francs, comme 200, donne au négociant 3 à 4 francs de perte, ce qui n'équivaut souvent pas au bénéfice réalisé par l'opération qui a donné lieu à cette valeur.

« Vous voulez, monsieur, vous assurer si, depuis la fondation de la Banque Nationale, cet état de choses ne s'est pas amélioré ; je puis vous garantir qu'aucun changement n'a été apporté aux conditions de banque. Enfin, la Banque Nationale est inconnue ici aussi bien par les grands que par les petits commerçants, tous passent par l'intermédiaire des maisons de banque..... »

Lettre collective datée de Renaix :

« Pour faire ici escompter nos valeurs, nous sommes obligés de passer par les mains d'un commissionnaire ou d'un banquier, de subir une perte d'intérêt de 1/2 p. c. par mois, une perte de place calculée sur un minimum de 200 fr., si la valeur a plus de 30 jours avant son échéance ; ce qui fait ensemble très souvent 1 1/2 p. c. sur 30 à 40 jours, si la valeur est de 200 fr., et si elle est au-dessous, cela peut remonter à 3 p. c. et plus. Avant l'organisation de la Banque Nationale on payait complètement le même taux d'intérêts, pertes, commissions et frais d'exprès.

« Nous, producteurs, nous n'y trouvons aucun avantage, notre localité, proportion gardée, est peut-être la plus commerçante du pays. Nous n'avons pas même un banquier régulier sur les lieux, nous devons passer par les mains de ceux de Mons ou de Gand, et bien souvent encore par l'intermédiaire d'un commissionnaire qui augmente les pertes sur nos valeurs. Quand nos valeurs sont ainsi parvenues aux mains du banquier, elles ont acquis deux signatures qui sont le créateur et le commissionnaire, et alors le banquier qui appose la troisième, peut se présenter à la Banque Nationale, et jouir seul des avantages que les Chambres et le gouvernement ont voulu étendre au commerce en général... »

Enfin pour terminer ces citations, voici l'extrait d'une lettre écrite du chef-lieu de l'arrondissement qui a envoyé dans cette enceinte l'ancien rapporteur de la section centrale, qui a si bien défini les fonctions des comptoirs, lors de la discussion de la loi sur la Banque Nationale.

« Suivant vos désirs, je prends la liberté de vous adresser ces lignes en réponse à votre lettre du 28 mars dernier. L'institution de la Banque Nationale est belle, mais pas pour tout le monde, et fort peu jouissent des avantages qu'elle offre. Les banquiers seuls en profitent au détriment des industriels et négociants, qui doivent nécessairement emprunter leur signature moyennant 1 1/2 à 2 p. c. La Banque Nationale n'accepterait pas, ou par cas excessivement rare, deux signatures de commerçant sans passer par le banquier, qui seul, ici, jouit des privilèges de l'ouverture du comptoir d'escompte. Par exemple, il obtient l'escomple au comptoir à 4 ou 4 1/2 p. c. selon le nombre de signatures, et on paye chez lui 6 à 6 1/2 p. c. tout en donnant des garanties soit foncières ou autres.

« Pourquoi le comptoir de la Banque Nationale n'ouvre-t-il pas des crédits, soit en compte courant ou à l'escompte à l'industriel au commerçant qui en a besoin, s'il est à même de donner de bonnes garanties ? Il me semble donc que le gouvernement, si c'est là le but qu'il s'est proposé en fondant la Banque Nationale, de venir en aide au commerce et à l'industrie, devrait mettre les commerçants et les industriels à même d'opérer directement avec le comptoir, sans un intermédiaire onéreux, lorsqu'ils offrent des garanties suffisantes. Ci-joint un tarif d'annonce du comptoir d'Arlon, mais je vous le répète, ce n'est que le banquier seul qui en profite, qui, par parenthèse est membre du comité d'escompte. »

A cette lettre, messieurs, se trouve joint l'avis suivant inséré dans le journal de cette ville.

« BANQUE NATIONALE.

« A partir du 1er janvier 1853, un comptoir d'escompte est établi par la Banque Nationale chez son agent à Arlon. Le comité d'escompte se réunit tous les jeudi, et aussi souvent que les besoins du commerce l'exigent. Le comptoir d'escompte n'admet que des valeurs de commerce. L'intérêt est fixé à 4 ou 4 1/2 p. c. selon le nombre de signatures. Aucune valeur n'est escomptée, si elle ne porte au moins deux signatures. S'adresser au comptoir pour les autres conditions de l'escompte. «

Toutes les lettres que j'ai reçues sont signées, plusieurs sont collectives, et la manière précise, lucide est digne avec laquelle les faits y sont exposés, atteste suffisamment l'honorabilité de leurs auteurs. Ces lettres, avec les documents officiels qui les accompagnent, sont un témoignage irrécusable de la culpabilité de la Banque.

Toutes concordent sur ces points :

1° Que la Banque Nationale n'escompte du papier que sur les seules 27 villes du pays où il existe des agents du caissier de l'Etat ; que hors de là, elle n'a pas même les relations qu'y possède le plus simple banquier, et qu'ainsi elle abandonne complètement à la merci des banquiers, commissionnaires et usuriers, le travail commercial et industriel établi dans les 2,493 autres villes et communes de la Belgique.

Est-ce là, messieurs, répondre au but que nous nous sommes proposé d'atteindre en fondant la Banque Nationale ?

2° Ces témoignages démontrent que l'accès du comptoir est interdit, en fait, là même où il en existe un d'après le dire de la Banque, à cause des conditions exagérées exigées du papier que détiennent habituellement les commerçants et les industriels les plus solvables, et qu'ainsi ils sont obligés d'aller à l'escompte chez les banquiers de leur localité, les mêmes qui ont repoussé ce papier du comptoir, en leur qualité de membres du comité de l'escompte.

Enfin, 3° ces lettres nous apprennent, en ce qui concerne le taux de l'escompte, un fait contradictoire à tout ce que n'a cessé de publier la Banque Nationale depuis plus de 5 ans. Ouvrez le premier rapport annuel de la banque, page 9 ; le deuxième rapport page 11 ; et le troisième page 9, vous y trouverez affirmé que 4 p. c. est le taux le plus élevé auquel la Banque Nationale escompte à Bruxelles et dans tous ses comptoirs. Or, voilà des négociants et des industriels qui affirment qu'on a exigé d'eux jusqu'à 4 1/2 p. c, et ce qui ne peut vous laisser le moindre doute à cet égard, c'est l'avis que je viens de vous rapporter et que le comptoir d'Arlon lui-même a fait insérer dans le journal de la localité.

Toujours dans la même lettre que j'ai reçue de la Banque, en date du 15 de ce mois, je trouve ceci : « Les comptoirs transmettent immédiatement à la Banque les effets escomptés. Ils sont tenus d'ailleurs d'escompter dans les provinces au même taux que la Banque le fait à Bruxelles. »

Il est possible, messieurs, que d'après la même nouvelle logique que je vous signalai tout à l'heure à propos des 1,202 effets refusés, l'administration de la Banque trouve que 4 p. c. est égal à 4 1/2 p. c. ; mais dans l'ancienne manière de raisonner, de 4 à 4 1,2 cela fait une augmentation de plus de 12 1/2 p. c. dans le taux maximum de l'escompte de la province comparé à celui de Bruxelles.

Et cependant malgré ces motifs péremptoires contre la conduite de la Banque, l'honorable M. Frère, alors ministre des finances, crut devoir la justifier en ces termes :

« L'honorable M. de Perceval nous dit que la Banque n'a pas fait ce qu'elle devait faire quant aux comptoirs d'escompte. Il n'existe pas de comptoirs, dit-il, si ce n'est à Anvers ! Mais qu'entend-il par comptoir et quel but se propose-t-il ? Il veut que l'on établisse des comptoirs, la loi le décide, tout au moins dans les chefs-lieux des provinces et dans les autres localités où les besoins le commandent, et pourquoi ? C'est apparemment pour que les diverses parties du pays jouissent des avantages de l'institution même de la Banque,c'est afin que le taux de l'intérêt de l'argent y soit abaissé.

« Eh bien, beaucoup de localités sont déjà dotées d'un comptoir comme la loi l'ordonne. Que critique l'honorable membre ? Le mode suivi par la Banque Nationale pour l'organisation de ces comptoirs. Or, qu'a fait la Banque ? Elle a organisé ces comptoirs, et, du reste, je constate que j'avais annoncé le mode qui a été adopté, lorsque j'ai proposé la loi ; elle a organisé ces comptoirs de telle sorte qu'elle peut escompter ou même taux sur les places les plus éloignées qu'au chef-lieu même, au centre des opérations, au siège de l'établissement. L'escompte, sur ces diverses places où elle a établi des comptoirs, des succursales, est au même taux qu'à Bruxelles. »

J'aborde l'examen de la deuxième question.

La Banque Nationale a-t-elle abaissé le prix de ses services, notamment le taux de ses escomptes, dans une juste proportion en rapport avec les privilèges et faveurs dont la législature l'a dotée à cette fin ?

Sur cette deuxième question, messieurs, la réponse est encore négative.

Voyons et jugeons.

Lorsqu'on parcourt avec quelque attention les rapports annuels de la Banque Nationale, on y découvre, à chaque page, les efforts qu'elle se donne pour chercher à faire croire à la modération du taux de son escompte.

Chaque année, dans son Rapport aux actionnaires, parlant du taux de l'escompte, l'administration de la Banque se livre, à sa manière, à des calculs tendant à prouver les faveurs, les immenses bienfaits dont elle ne manque pas de faire jouir le commerce et l'industrie de la Belgique. Elle arrive ainsi à un taux moyen d'escompte qui ne dépasse pas 2,88° p. c., voire mêm2,79 p. c. ; puis, s'extasiant devant les résultats d'un calcul qui ne prouve rien quant à la conclusion qu'elle en tire, la Banque s'écrie devant ses actionnaires, toujours disposés à la croire, moyennant de beaux dividendes : « Ces aperçus sont surtout propres à faire ressortir l'importance des services que la Banque Nationale rend au commerce et à l'industrie du pays, en faisant circuler à un taux d'intérêt aussi modique les capitaux dont elle dispose. « (Voir le deuxième rapport annuel, page 15.)

Cette affirmation de la Banque contient plusieurs erreurs graves, que je vais prendre la liberté grande de relever l'une après l'autre.

D'abord, la Banque Nationale ne fournit pas ses services à l'industrie et au commerce ; généralement elle n'est en contact qu'avec les banquiers ; cela me paraît avoir été suffisamment établi. Il ne suffit donc pas de citer le taux moyen de l'escompte comme preuve des services éminents rendus par la Banque au commerce et à l'industrie ; il faudrait pouvoir faire voir, en même temps, que le taux moyen indiqué est celui que la (page 1160) grande masse des commerçants et des industriels du pays ont payé effectivement pour l'escompte de leur papier.

Cette preuve, sans laquelle les chiffres cités, en admettant qu'ils soient exacts, ne prouvent absolument rien, cette preuve, la Banque se garde naturellement de la faire. Elle s'en garde d'autant plus, que de son propre aveu elle n'escompte aucune valeur sur les commerçants et industriels établis dans 59 villes et 2,45i communes rurales du pays. Or, il suffit de se rappeler combien l'activité industrielle est répandue en Belgique sur toute l'étendue du territoire, dans les petites villes et les communes rurales aussi bien que dans les plus grands centres, il suffit, dis-je, d'être instruit de cette vérité élémentaire pour notre pays, pour se convaincre combien peu la Banque Nationale justifie son nom.

Premièrement donc, la Banque Nationale a tort de prétendre qu'elle rend des services au travail du pays pris dans sa véritable acception, embrassant l'ensemble du territoire. Secondement, elle a tort de prétendre qu'elle escompte à bon marché au travail restreint à 27 villes, puisque en fait elle n'y escompte généralement qu'aux banquiers.

Bien examinés, ces deux premiers titres que croit avoir la Banque à la gratitude nationale, se réduisent donc à deux griefs contre elle.

Maintenant je vais vous démontrer qu'elle a un troisième tort : celui de prétendre qu'elle fait ses opérations avec des capitaux.

Je trouve dans l'exposé de motifs de la lou organique de la Banque Nationale l'opinion de M. le ministre des finances, à cet égard, et exprimée comme suit :

« Quel est, en effet, nous devons le répéter, l'office d'une Banque d'escompte et d'émission ? D'échanger ses billets au porteur contre des effets de commerce, tous fortement garantis. Son capital n'est autre chose qu'un cautionnement, un moyen de parer aux embarras dans les temps de crise. La rentrée régulière des effets escomptés forme la principale ressource. Tous les hommes de quelque valeur, tous ceux qui ont fait une étude spéciale du mécanisme des Banques commerciales, de leur organisation, sont d'accord sur ce point. »

D'après M. le ministre des finances et tous les hommes compétents, le capital, les 15 millions verses par les actionnaires de îa Banque Nationale ne sont donc qu'un cautionnement de garantie, pour les opérations auxquelles se livre la Banque, lesquelles opérations, quant à l'escompte, consistent, dit-il, à échanger des billets au porteur contre les effets de commerce qu'on lui a présentés et dont elle a reconnu la solidité.

Je me suppose en possession d'un effet de commerce pourvu de trois signatures de personnes solvables ; cet effet n'a de valeur réelle que pour celui qui me connaît ou qui connaît les signataires et qui a foi dans notre solvabilité.

Tel qu'il est, quoique solide en lui-même par les garanties auxquelles il est endossé, cet effet de commerce n'a qu'une circulabilité restreinte ; dans une foule de cas, il me sera impossible de m'en servir pour effectuer des payements hors de ma localité. Je me présente à la Banque, laquelle prend mon effet, qu'elle garde en dépôt jusqu'au jour de l'échéance, et elle me remet en échange, quoi ? Un ou plusieurs de ces billets au porteur, un ou plusieurs de ces billets de banque que nous l'avons autorisée à émettre, qu'elle substitue ainsi dans la circulation à la circulation de mon propre billet. Voilà exactement en quoi consiste pour la Banque l'opération d'escompter.

Comme le public sait que la Banque n'accepte que les effets de commerce suffisamment garantis, et qu'en outre elle a versé pour garantie supplémentaire, un cautionnement de 15 millions de francs, les billets, ses propres billets qu'elle me remet en échange du mien, jouissent d'une circulabilité générale, et me voilà en état de me livrer à une foule d'opérations et de combinaisons auxquelles j'aurais dû renoncer sans cela.

Or, qui est-ce qui a fourni à la Banque la valeur représentative des billets qu'elle m'a remis ? C'est moi, évidemment. C'est mon propre billet qui circule sous la forme du billet de la banque. C'est donc mon capital qui circule et non pas le sien. Le véritable préteur, ce n'est pas non plus la Banque, mais c'est le public, le porteur du billet ou des billets de banque qu'elle m'a remis, en acceptant le dépôt de mon effet de commerce à trois signatures de personnes solvables.

Ainsi, si la Banque Nationale me remet un capital, ce n'est que mon propre capital, et s'il y a prêt, c'est le public, porteur de ses billets de banque, qui me prête, qui me fait crédit et non pas elle. Si donc il y avait lieu à recevoir des intérêts, ce serait au public à les recueillir et non aux actionnaires de la Banque, lesquels n'ont droit qu'à une simple prime de garantie.

Une comparaison va achever de mettre complètement en lumière cette double et importante vérité.

Me voici possesseur d'un lingot d'argent au titre de 9/10 ; c'est du métal au titre monétaire. Ce lingot représente sans doute une valeur réelle intrinsèque, qu'on peut accepter avec sécurité en payement pour toutes espèces de transactions, et dans tous les pays. Cependant sous sa forme actuelle je ne pourrais m'en servir que dans des cas excessivement rares, plus rares que pour ma lettre de change à trois signatures. Pourquoi ? Parce que fort peu de personnes sont à même de vérifier la nature, la valeur réelle du métal de mon lingot, et surtout son titre de fin.

Qu'est-ce que je fais pour transformer ce lingot, dont la circulabilité est si restreinte, en un lingot offrant les propriétés d'une circulabilité universelle ? Je me rends tout bonnement chez le directeur de la Monnaie de Bruxelles, lequel, après avoir vérifié la valeur du lingot d'argent que je lui apporte, me remet aussitôt en échange du même métal et en même nombre, mais sur lequel se trouve apposé l'empreinte légale que vous connaissez. Il me retient seulement une petite prime pour ses peines, et pour couvrir les frais d'atelier de son établissement.

Eh bien, messieurs, n'est-il pas évident que ce qui se passe ici pour le lingot d'argent que j'apporte à l'atelier de la monnaie, est une image frappante de l'opération à laquelle se livre la Banque Nationale, lorsqu'on lui apporte un effet de commerce convenablement garanti ? La fonction de l'un est de monnayer des lingots d'argent ; la fonction de l'autre est de monnayer des lettres de change, des effets de commerce. et de même que le directeur de la monnaie aurait tort s'il prétendait que je lui dois des intérêts pour l'argent monnayé qu'il m'a remis en échange de mon lingot d'argent, de même la Banque Nationale a tort lorsqu'elle prétend avoir droit à des intéréts, sur les billets de banque qu'elle remet contre des effets de commerce qu'on lui apporte.

Lorsqu'elle escompte, la Banque ne prête donc aucun capital à lui appartenant ; elle rend tout bonnement au commerce et à l'industrie ses propres effets, ses propres valeurs, mais sous une autre forme, mieux divisés, mieux appropriés aux besoins généraux du travail et de l'échange. De ce chef, la Banque, je le répète, n'a donc droit à aucun intérêt, puisque l'intérêt ne peut se prélever que sur des capitaux prêtés. Elle a droit à une simple prime d'assurance pour les risques qu'elle court en cas d'insolvabilité des signataires, et elle a droit de plus à une minime commission pour couvrir annuellement ses frais d'administration.

Voilà son strict droit selon l'équité.

La meilleure preuve que la Banque ne fait que substituer ses billets à d'autres billets garantis par leurs signataires, c'est que depuis février 1852 jusqu'en juillet 1853, pendant un an et demi, son capital social tout entier, les 15 millions de francs versés par les actionnaires de la Banque Nationale, ont été placés et immobilisés par elle en fonds publics belges.

Pendant chacun des 36 mois des trois années de son existence, elle a employé, terme moyen, 10 millions de son capital en fonds publics, achetés pour son propre compte. Or, pendant les mêmes 36 mois, elle a escompté pour 915 millions d'effets de commerce, répartis comme suit :

En 1851 pour une somme totale de fr. 188 millions, en 1852 de 311 et en 1853 de 416. Total, 915 millions de francs.

Sur ces 915 millions d'escomple qu'a-t-elle perdu ? Pas un centime. Avec' quoi la Banque Nationale s'est-elle livrée à ces opérations considérables ? A coup sûr ce n'est pas avec le capital versé par les actionnaires, puisqu'il était immobilisé en fonds publics. Ces 915 millions d'escompte, la Banque les a faits, messieurs, rien qu'avec ses billets, et aussi avec l'encaisse du trésor public de l'Etat qui lui a servi de providence comme réserve métallique.

Dès la première année, la Banque a été autorisée par le gouvernement à émettre pour 66 millions de billets de banque.

Pendant la seconde année, sur la demande de la Banque, l'autorisation a été portée à 90 millions.

Enfin pendant la troisième année, toujours sur la demande de la Banque, la faculté d'émission a été portée à la somme de 100 millions de billets.

Ces 100 millions de billets se répartissent comme suit, d'après les coupures :

En 50,000 billets de 1,000 francs, formant 50,000,000

En 30,000 billiets de 500 francs, 15,000,000

En 250,000 billets de 100 francs, 25,000,000

En 100,000 billets de 50 francs, 5,000,000

En 250,000 billets de 20 francs, 5,000,000

Total des émissions autorisées, 100,000,000

Ainsi, messieurs, les valeurs commerciales de son portefeuille, c'est le public qui les lui apporte ; le droit d'émettre pour 100 millions de billets en échange des valeurs commerciales déposées chez elles jusqu'à leur échéance, ce droit, dis-je, lui est accordé par le gouvernement an nom de la nation ; l'encaisse métallique destiné à payer les billets en écus, c'est la caisse du trésor public qui le lui fournit pour la majeure partie ; et c'est lorsque la Banque Nationale a ainsi reçu, à titre gratuit, tous ces puissants moyens financiers, qu'elle viendra nous parler du taux de l'intérêt auquel elle fournit ses capitaux au commerce et à l'industrie du pays, elle qui n'escompte pour ainsi dire qu'aux banquiers !

Mais, me direz-vous, à combien devrait-on alors fixer la prime d'assurance, et la commission que la Banque pourra prélever sur les valeurs commerciales qu'elle acceptera dans son portefeuille ? Messieurs, le taux de cette prime a été fixé d'avance par la Banque Nationale elle-même.

Il est évident, il est hors de doute que la prime prélevée par la Banque Nationale pour l'escompte d'un effet de commerce, doit être, dans tous les cas, inférieure à celle qu'elle accorde, elle-même, à ceux qui sont déjà responsables et qui couvrent la même valeur vis-à-vis d'elle. Il est clair que cette prime d'escompte doit suivre une progression décroissante avec le nombre de signatures ou d'assureurs qui précèdent la garantie (page 1161) de la Banque elle-même. Or, quelle est la prime d'assurance que la Banque Nationale alloue à ses agents en province responsables vis-à-vis d'elle du papier de commerce qu'ils escomptent pour son compte. De son propre aveu, cette prime s'élève à 1 p. c. sans plus. Donc, la prime d'escompte à prélever par la Banque elle-même doit être inférieure à 1 p. c. Cela n'est-il pas juste ? Cela n'est-il pas incontestable ?

La Banque de Belgique escompte à 4 p. c. au public, et elle réescompte à la Banque nationale à 5 p. c ; donc la Banque de Belgique pour sa prime d'assurance reçoit 1 p. c, juste ce que reçoivent les agents escompteurs de la Banque nationale en province. Donc encore une fois, la prime que la Banque nationale est en droit de prélever, ne peut, selon l'équité, s'élever à 1 p. c.

A la société de l'Union du Crédit, la Banque Nationale escompte actuellement à 3 1/2 p. c. Or, la société de l'Union du Crédit n'escompte pas à ses sociétaires à un taux supérieur à 4 1/2 en tenant compte des remboursements annuels qu'elle leur fait sur les bénéfices produits par l'escompte supérieur à ce taux. Donc la Banque Nationale entièrement garantie par l'Union du Crédit pour les valeurs que celle-ci présente au réescompte, la Banque Natioualc devrait, dis-je, se contenter de moins de 1 p. c

Aux banquiers privés la Banque Nationale réescompte à 4 p. c, et ceux-ci escomptent généralement à 6 p. c. La prime d'escompte ou d'assurance dont le banquier se contente pour sa garantie est donc de 2 p. c. Donc la prime dont la Banque Nationale doit se contenter pour ces valeurs doit être inférieure à 2 p. c. Et je défie qui que ce soit de me prouver le contraire par des arguments de quelque valeur réelle

Dans ces conditions, oui, je défie qu'on prouve qu'en stricte justice distributive, la Banque Nationale a droit à un taux d’escompte supérieur à 1 p. c.

En regard de ce qui lui revient, selon la justice, mettons ce qu'elle exige et ce qu'elle a reçu. D'après l'annexe F jointe au rapport des opérations de la Banque Nationale, rien que pour 1855, la Banque Nationale et ses comptoirs ont escompté : (détail non repris dans la présente version numérisée) 130,373,725 fr.

Ces prélèvements sont-ils eu rapport avec les prélèvements, si faibles relativement, dont se contentent la Banque de Belgique, l'Union du Crédit, les banquiers privés, qui viennent au réescompte à la Banque Nationale et qui sont responsables vis-à-vis d'elle, en cas de protêt, du papier de commerce qu'elle leur a pris, en leur remettant en échange ses propres billets ?

A cette question, vous connaissez ma réponse. Je croirais vous blesser si je doutais de la vôtre.

Examinons maintenant la troisième et dernière question :

Depuis trois ans qu'elle existe, la Banque nationale a-t-elle défendu la cause du travail belge contre le travail étranger ?

Non, messieurs, elle a fait tout le contraire.

Dans la séance du 24 mars 1852, l'honorable M. Sinave examinant à ce point de vue la conduite de la Banque pendant la première année de ses opérations, nous disait :

« Est-ce bien réellement une Banque Nationale que nous avons ? Je dis que non, et je vais le prouver. Les deux tiers des capitaux de la Banque sont employés non à escompter du papier dans le pays, mais à prendre du papier à l'étranger. La Banque Nationale (que nous avons créée dans un intérêt belge et que nous avons dotée à cet effet) escompte le papier anglais et français à un taux plus bas que la banque d'Angleterre et de France. Il en résulte que messieurs les Anglais et Français envoient leur papier à l'escompte à Bruxelles ou à Anvers. C'est très bien. .Mais je dis qu'on ne peut appeler Banque Nationale, une banque qui escompte le papier français, le papier anglais à 1 1/2 p. c. et à 2 p. c. et qui fait payer aux Belges 4 p. c. »

Voilà ce que nous disait fort justement l’honorable député de Bruges.

D'accord avec moi sur l'absence des comptoirs, il reprochait à la Banque d'avoir appliqué une partie des moyens financiers mis à sa disposition dans l'intérêt exclusif de notre travail national, de les avoir appliqués à favoriser, à soutenir la cause du travail étranger.

En 1851, la Banque Nationale belge a escompté au travail étranger pour une somme totale de 104,804,435 fr., et pendant la même année elle a, en Belgique, escompté seulement pour 83,720,089 fr.

Ces 104 millions d'escompte au travail étranger se répartissent de la manière suivante :

En effets sur la France 30,636,612, sur l'Angleterre 64,411,647, sur la Hollande 7,025,246, sur Hambourg 2,790,950. Total pour les quatre peuples rivaux industriels de la Belgique 104,864,435 fr.

Pour les 104,864,435 francs escomptés, à l'étranger, le taux de l'escompte de la Banque Nationale belge a oscillé entre 1 et 2 p. c. Pour les 83,720,089 francs escomptés par elle à nos compatriotes, le taux a oscillé entre 2 et 4 p. c. C'est-à-dire qu'en Belgique, aux Belges, la Banque Nationale a escompté à 100 pour 100 plus cher qu'elle a été escompté aux étrangers dans leur propre pays.

Pour l’année 1852, la Banque dite Nationale ne fait plus connaître dans son bilan le montant des effets qu'elle a escomptés sur l'étranger, pendant la même année, pour chaque pays. Seulement elle avoue que la moyenne par mois du portefeuille sur l'intérieur s'est élevée à 20,268,983 fr. D'un autre côté, la moyenne, par mois, de la totalité ds ses escomptes, d'après les publications mensuelles, a été de 49,470,712 fr.

Il en résulte que pendant l'année 1852, la moyenne par mois de ses escomptes sur l'étranger s'est élevée à 29,201,729 fr. Or, de la moyenne par mois au total pour l'année, la conclusion est légitime. Pendant l'année 1852, la Banque Nationale belge a donc continué à soutenir, dans une large mesure, la cause du travail étranger contre le travail de ses propres nationaux.

Dans son rapport aux actionnaires pour l'année 1852, la Banque cherche à insinuer que ses opérations avec l'étranger n’ont plus eu guère d'importance, et cependant la situation de son portefeuille, au 31 décembre, révèle la présence de 23,268,000 fr. de papier belge, et de 27,526,225 fr. de papier étranger ; c'est exactement la proportion que j'indiquai pour toute l'année d'après les situations mensuelles. D'après cela, les 311,192,000 fr., montant total de tous les escomptes, se divise en 142,552,000 fr. sur la Belgique et 168,640,000 fr. sur l'étranger.

Quant au taux de l'escompte de la Banque, il a continué à osciller entre 1 et 2 p. c. pour les Anglais, les Français, les Allemands et les Hollandais pendant qu'elle le maintenait de 2 à 4 p. c. pour les Belges.

Pour cacher sa culpabilité, la Banque se livre au calcul suivant : Elle déduit du produit brut de son escompte à l'intérieur les remises accordées à ses agents en province sur les escomptes que le commerce et l'industrie leur ont payés ; d'autre part, à propos de l'escompte étranger, elle ajoute au produit de l'escompte proprement dit, le bénéfice réalisé sur le change, sur la vente de ce papier.

La Banque arrive ainsi à établir que pour l'ensemble des valeurs belges et étrangères le laux moyen de l'escompte est 2,33 p. c. et que pour la Belgique en particulier, le taux moyen de ses escomptes a été de 2,88 p. c. Quaut à l'escompte moyen des valeurs étrangères spécialement, le silence de la Banque est absolu ; on comprend pourquoi, et cela est significatif.

Voilà pour l'année 1852, la deuxième année des opérations de la Banque.

Arrivons à la troisième année. Pendant l'année 1853, la Banque a escompté sur l'étranger 171,837,285 fr., et ses escomptes sur la Belgique se sont élevés, y compris ceux du comptoir d'Anvers, à 244,299,121 francs.

Voici le tableau des escomptes à l'étranger :

En valeurs sur la France, 45,828,280, sur la Hollande 13,603,380, sur Hambourg 19,530,059, sur Londres 58,119,371, sur Francfort 18,023,741, sur Berlin 14,732,452. Total pour 1853, 171,837,283.

C’est la première fois que l'escompte belge dépasse de quelques millions l'escompte au profit de l'étranger. Mais à quel taux la Banque a-t-elle escompté ces 241 millions de papier belge ? A des taux toujours supérieurs à ceux auxquels elle va offrir aux étrangers, à nos rivaux, à nos concurrents industriels, l'usage des moyens financiers que la législature a mis à sa disposition dans l'intérêt exclusif de nos nationaux.

Est-ce là, je vous le demande, messieurs, le rôle d'une Banque Nationale belge, et ne pensez-vous pas que le moment est venu de manifester une bonne fois votre volonté à ce sujet ?

Maintenant que nous dit-on pour chercher à justifier ces taux d'escompte exceptionnels en faveur de l'étranger, ces privilèges accordés, au mépris de la loi, au commerce et à l'industrie des pays qui sont nos sérieux rivaux sur tous les marchés du monde ?

On m'a dit : Ce papier que vous qualifiez d'étranger contient du papier tiré de la Belgique sur l’étranger en payement de livraison de peoduits belges ! Et ne voyez-vous pas que le Belge qui trouve à escompter son papier sur l'étranger à 1 1/2 et à 2 p. c, y possède un moyen de vendre à meilleur marché, c'est à-dire un moyen de concurrence ?

Cet argument, je l'ai reconnu fondé à ce point de vue. Mais le même argument prouve avec la même évidence le tort considérable que la Banque Nationale fait à nos industries en traitant sur le même pied du papier sur l'étranger créé par l'étranger.

Tout au plus je comprendrais l'égalité des Belges et des étrangers quant au taux de l'escompte, si la Banque Nationale avait établi des comptoirs réels dans toutes nos provinces, si elle avait des relations établies avec toutes les parties du territoire de la Belgique, si tous ceux qui offrent des garanties avaient un égal accès aux services et à la protection de la Banque, mais aussi longtemps que la Banque n'aura pour toutes les provinces qu'un seul comptoir réel et qu’elle ne prendra du papier que sur 27 villes du royaume, aussi longtemps que la masse de nos commerçants et industriels resteront livrés aux mains des banquiers dont la Banque devait les faire sortir, jusque-là je ne saurais lui reconnaître le droit d'aller escompter à l'étranger, et jamais je ne lui (page 1162) reconnaîtrai le droit d'y aller escompter à un taux de faveur profondément nuisible à nos intérêts.

L'un des arguments que la Banque nationale met encore en avant pour justifier l'élévation du taux de son escompte, c'est qu'en l'abaissant, il y aurait à craindre une surexcitation industrielle, une fureur de spéculation dont la Banque ne veut pas se rendre complice. Cette opinion se trouve chaque année comme stéréotypée dans le rapport de MM. les censeurs de la Banque.

Si l'abaissement en Belgique du taux de l'escompte est un stimulant aux spéculations, ne vous semble-t il pas, messieurs, que ce danger doit exister pour Anvers dans une proportion infiniment plus grande que pour toutes les autres localités du pays ? C'est donc là, au centre de la spéculation, que le taux de l'escompte de la Banque Nationale devrait être le plus élevé. Eh bien, chose étrange, d'après les aveux même de la Banque et du ministre, depuis le commencement de ses opérations, la majeure partie des opérations du comptoir de la Banque nationale à Anvers, se sont faites à 2 p. c. ou à 2 1/2 p. c. pendant que partout ailleurs en province, la Banque Nationale exige non pas 2, mais 4 p. c.

Il en résulterait encore, messieurs, toujours d'après MM. les censeurs, que le but de la Banque Nationale belge en escomptant à l'étranger à 2 p. c. et au-dessous, que le but de la Banque est de jouer à l'étranger un mauvais tour, en l'engageant à spéculer au lieu de continuer à travailler en concurrence avec le travail belge !

Voilà, messieurs, à quels pitoyables arguments on doit avoir recours, dans quelles étranges contradictions on tombe, lorsqu'on veut à tout prix défendre une cause mauvaise.

Dans notre pays, le prétendu argument du danger des spéculations en cas d'abaissement de l'escompte, est sans la moindre valeur, et s'il en présentait quelque peu, ce serait seulement pour Anvers, précisément la seule localité que la Banque a fait jouir, je ne sais trop pourquoi, d'un taux d'escompte privilégié, ce que la loi n'admet point.

Lorsque je vois la Banque Nationale en peine des dangers que présenterait pour le pays un abaissement du taux de l'escompte, involontairement il me semble entendre des accapareurs de blé s'écriant que si le pain devient à bon marché, le peuple va mourir d'indigestion.

L'escompte, messieurs, c'est le pain quotidien de l'industrie et du commerce, et, comme l'autre, il doit être accessible à tous, au meilleur marché possible.

Avant de terminer, permettez-moi de vous soumettre une dernière considération au sujet de la protection spéciale que la Banque Nationale belge accorde avec tant d'empressement à l'industrie et au commerce étrangers, au grand préjudice de l'industrie et du commerce belges.

Supposez qu'un général de notre armée, au lieu d'employer toute son intelligence et tous ses soldats à la défense du territoire menacé, aille volontairement mettre ses connaissances et une notable partie de ses troupes au service de l'ennemi, au service de l'armée envahissante. Comment qualifieriez-vous la conduite de ce général ? Vous diriez qu'elle est une trahison envers le pays.

Eh bien, la conduite que tient la Banque Nationale, depuis 3 ans, est une trahison des intérêts du travail belge en faveur du travail étranger.

La Banque a, vis-à-vis du travail national, absolument le même rôle à remplir, les mêmes fonctions, et par conséquent la même responsabilité que l'armée vis-à-vis de l'intégrité du territoire.

Par la volonté de la Représentation Nationale, l'une dispose d'un budget de 32 millions et de 100,000 hommes, l'autre de notables privilèges, de l'argent du caissier de l'Etat, de 100 millions de francs de billets de banque.

Pour l'une comme pour l'autre, diriger les forces dont elles disposent à l’encontre du but qui leur a été assigné, c'est trahir au même degré les plus chers intérêts de la patrie.

Telles sont, messieurs, les diverses considérations sur lesquelles je motive ma réponse au sujet des trois questions posées au commencement de mon discours. Je les soumets avec confiance à vos méditations et j'y appelle tout particulièrement l'attention du gouvernement, responsable vis-à-vis de la législature de l'exécution de la loi du 5 mai 1850.

En instituant la Banque avec le titre de Banque Nationale, en la dotant si richement, en lui assignant ses devoirs envers l'industrie et le commerce belges et sa mission protectrice du travail national, nous n'avons pas laissé le gouvernement désarmé vis-à-vis d'elle. Par l'article 24 de la loi nous lui avons donné non seulement le droit de contrôler toutes les opérations de la Banque, mais encore de s'opposer à l'exécution de toute mesure qui serait contraire, soit à la loi, soit aux statuts, soit aux intérêts de l'Etat.

Je demande donc que le gouvernement délibère sur les moyens à prendre pour forcer la Banque à se conformer sans délai au but de sa création.

Et, messieurs, afin qu'il ne reste au gouvernement aucun doute sur vos intentions à cet égard, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau l'ordre du jour suivant :

« La Chambre rappelle au gouvernement les droits qu'il tient de l'article 24 de la loi du 5 mai 1850, et l'invite à faire remplir à la Banque Nationale ses obligations envers les commerçants et les industriels de toutes les provinces. »

M. Osy. - Messieurs,' je m'étais fait inscrire pour parler sur le budget des finances. Mais je crois que nous ferons bien d'avoir une discussion spéciale sur la proposition de l'honorable M. de Perceval, pour ne pas confondre les différentes questions qui se rattachent au budget.

Je prie donc M. le président de bien vouloir me conserver mon tour de parole, pour le moment où l'incident que vient de soulever l'honorable M. de Perceval sera clos.

Messieurs, vous comprenez qu'il est presque impossible à une simple audition de suivre le discours de l'honorable député de Malines, la véritable enquête qu'il a faite et dont il vient de vous rendre compte. Je ne répondrai donc pas à tout ce qu'il vous a dit ; mais j'ai pris note des trois questions qu'il a posées et je crois que je pourrai, sous ce rapport, le réfuter en très peu de paroles.

Ces trois questions sont l'organisation des comptoirs, la fixation des escomptes et en troisième lieu la protection qu'accorderait la Banque Nationale aux étrangers au détriment des Belges. Je passerai ces trois questions successivement en revue.

Lorsque l'honorable M. de Perceval, en 1852, a commencé à attaquer l'administration de la Banque Nationale, son principal grief était que la Banque n'avait pas organisé des comptoirs, conformément à la loi, dans les chefs-lieux d'arrondissement. Nous disions alors que la Banque venait d'être créée, qu'on était en négociation dans différentes villes et que nous n'avions pas besoin de l'avis de l'honorable M. de Perceval ; que la Banque, qui a un conseil de censeurs, connaissait fort bien les obligations que lui imposait la loi. Mais nous ajoutions qu'il ne suffisait pas de dire : Nous allons créer un établissement, qu'il fallait trouver les hommes qui pouvaient bien, honorablement et d'une manière convenable pour la Banque, gérer ces comptoirs.

Eh bien, messieurs, la Banque a établi non seulement des comptoirs, mais aussi des comités d'escomptes, dans tous les chefs-lieux de province, excepté à Hasselt. A Hasselt, messieurs, nous avions trouvé des gens très honorables qui avaient consenti à se charger de l'escompte pour la province de Limbourg, mais ces personnes ont dû se retirer parce que le papier manquait à Hasselt. Ce n'est donc pas la Banque qui a fait défaut, c'est le Limbourg qui n'a pas de papier à escompter.

En 1852 l'honorable M. Sinave a soutenu les réclamations de M. de Perceval et il a également reproché à la Banque de ne pas avoir de comptoir d'escompte à Bruges ; eh bien, à force de chercher nous avons trouvé à Bruges des personnes qui ont bien voulu se charger de faire l'escompte. Or voici ce qu'on trouve, à cet égard, dans le rapport de M. le gouverneur de la Banque.

(L'orateur donne lecture du rapport de M. le gouverneur, concernant le comité d'escompte de Bruges, page 25).

Vous voyez, messieurs, qu'on ne peut pas toujours établir des succursales même dans les chefs-lieux de provinces, parce qu'il arrive qu'on ne couvre pas ses frais. On a donc trouvé convenable d'établir des comités d'escompte, qui remplacent parfaitement des comptoirs.

On ne s'est pas borné, messieurs, à établir des comptoirs ou des comités d'escompte dans les chefs-lieux de provinces. Il y a une province où l'on a créé trois établissements de ce genre : dans le Hainaut il en existe, à Mons, à Charleroi, et à Tournai, parce que cette province a des affaires considérables et par conséquent une grande quantité de papier.

Si l'on trouvait dans d'autres localités des personnes qui voulussent se charger de ces affaires, la Banque accepterait leurs propositions ; mais ces personnes on ne les trouverait pas, parce que les affaires manquent.

Voyez, messieurs, ce qui s'est passé à Liège. A Liège la première année de l'établissement du comptoir d'escompte il n'y a eu que pour deux millions d'effets ; l'année dernière les affaires ont augmenté, il y en ae u pour 9 millions.

Je crois, messieurs, que sous ce rapport la Banque a rempli toutes les obligations qui lui sont imposées par la loi.

L'honorable M. de Perceval dit que la Banque n'existe que pour Bruxelles et pour Anvers ; mais, messieurs, à Anvers les affaires sont tellement considérables qu'il a fallu y établir, non pas un comité d'escomple, mais une succursale. Les comptes courants d'Anvers s'élèvent à l'énorme somme de 1,023,000,000 de fr., tandis que tout le mouvement de Bruxelles, y compris la caisse de l'Etat, ne monte qu'à 700 millions. Vous voyez donc, messieurs, qu'il était impossible de n'avoir à Anvers qu'un comité d'escompte, et qu'on a parfaitement bien fait d'y établir une véritable succursale.

Nous pouvons donc affirmer, en ce qui concerne la première question, que tout ce que la loi prescrit a été rempli. S'il y avait des effets à escompter dans les chefs-lieux d'arrondissement, je suis persuadé qu'on y établirait un comptoir d'escomple, comme on l'a fait ailleurs.

La deuxième question, examinée par l'honorable M. de Perceval, est relative à la fixation de l'escompte. Eh bien, ici je suis vraiment fier de pouvoir dire que jusqu'à présent la Belgique, seule entre toutes les nations voisines, a traversé sans difficulté la crise financière qui a eu lieu.

La Banque d'Angleterre a été obligée de hausser son escompte, dans le courant de l'année dernière, jusqu'à 5 1/2 p. c ; la Banque de France a été obligée de hausser son escompte jusqu'à 5 p. c ; eh bien, la Banque Nationale n'a pas touché à son escompte depuis qu'elle est établie : en règle générale, son escompte a été, et il est encore de 4 p. c.

Il est vrai que lorsque au commencement il y avait peu de valeurs, on abaissé l'escompte pour les valeurs à trois signatures, qui étaient tirées de l'étranger, du chef de marchandises destinées à des Belges : l'escompte a été pendant plus d'un an à 2 p. c. ; ce n'est que lorsque nous avons vu nos puissants voisins, l'Angleterre et la France, être obligés (page 1163) de prendre des précautions, à cause de l'exportation du numéraire, amenée par les énormes achats de céréales, que nous avons bien dû entrer dans la même voie ; eh bien, on n'a rien changé au taux de 4 p. c ; le taux de faveur a été simplement augmenté d'un 1/2 p. c.

Vous voyez donc que la Banque Nationale a rendu réellement les plus grands services.

L'honorable M. de Perceval dit que la Banque Nationale n'existe pas pour les petits.

Eh bien, messieurs, en parcourant le rapport de M. le gouverneur de la Banque Nationale, je vois que, dans le courant de l'année 1853, on a escompté 122,000 effets, que la moyenne de ces effets n'était plus que de 1,462 fr., tandis qu'en 1852 elle était de 1,600 fr. Ainsi, le nombre des petits effets a augmenté.

Maintenant, que la Banque Nationale prenne des précautions, je crois que tout le monde doit l'approuver ; on doit vouloir sans doute que les effets qu'on lui présente offrent des garanties. C'est une prudence partout nécessaire.

Voyons maintenant ce qui en est des effets refusés.

Sur les 122,000 effets, offerts à l'escompte en 1853, la Banque Nationale n'en a refusé que 1,200, parce qu'ils ne présentaient pas les garanties voulues. Quelle était la valeur des 122,000 effets, offerts à l'escompte ? 323 millions ; et quelle était la valeur des 1,200 effets refusés ? 949,000 fr.

En regard de ces chiffres, je demande si l'on est fondé à dire que la Banque Nationale n'aide pas tout le monde.

Le grand grief de l'honorable M. de Perceval, c'est que nous protégeons l'étranger au détriment du travail national. Voilà le grand argument de M. de Perceval. Je vous dirai ce qui en est. Dans le courant de l'année, quand des Belges avaient des valeurs sur l'étranger, des traites sur la France et sur l'Angleterre, la Banque les prenait à l'escompte comme toutes autres valeurs ; c'était pour faciliter les opérations des Belges, car ce sont des Belges, - comme censeur je vois les effets, -ce sont des Belges qui oui escompté ces effets, sauf à les reprendre à l'échéance.

La Banque a acheté des valeurs sur Paris, Londres et Hambourg.

Je crois encore que c'est une opération qui a été extrêmement avantageuse pour le pays. Vous savez que nous n'avons qu'un étalon d'argent, il est impossible de faire tous les payements en argent ; les billets de banque sont de plus en plus recherchés parce que la solidité de la Banque est tellement reconnue qu'on est persuadé que le remboursement de ses billets peut avoir lieu sans aucune inquiétude pour les porteurs.

Nous, censeurs, nous avons demandé à M. le gouverneur, afin d'éclairer davantage le public, de donner le tableau des effets en portefeuille au 31 décembre.

Vous voyez à la dernière page du rapport qu'il a pour 74 millions d'effets en portefeuille qui garantissent les billets de banque.

Nous avons indiqué les échéances par décade pour faire voir la rentrée qui devait s'opérer tous les dix jours. Nous avons satisfait au vœu de la loi par la plus grande publicité donnée aux opérations.

Je dis donc que l'année dernière, quand les billets de banque étaient très demandés, qu'on en avait besoin pour les payements dans l'intérieur, nous n'avons pas pu laisser l'argent oisif ; nous avons pris des valeurs étrangères qui depuis ont diminué ; nous avons réalise une très grande partie de notre portefeuille sur l'étranger, nous l'avons remplacée au fur et à mesure par des valeurs sur l'intérieur.

J'attribue principalement à l'établissement de la Banque Nationale la grande activité du commerce d'Anvers qui a permis de faire venir les masses de céréales dont la Belgique avait besoin pendant la crise alimentaire.

De plus autrefois il n'y avait pas de change sur la Belgique ; on était obligé, pour les achats qu'on pouvait faire en Russie ou en Angleterre, d'indiquer des banquiers à Paris ou à Londres ; les Belges étaient obligés de payer des commissions à l'étranger. Maintenant que nous avons pu maintenir l'escompte plus bas que Londres et Paris, le change s'est établi sur Bruxelles. Nous avons affranchi notre pays de la nécessité d'avoir des crédits ouverts à l'étranger. Les étrangers sont charmés de pouvoir indiquer les remboursements sur la Belgique ; sous ce rapport nous avons rendu un énorme service au commerce.

Quant aux billets de banque, je n'en parlerai pas. En m'expliquant sur le reproche de protéger l'étranger au détriment du commerce belge, j'en ai dit quelques mots.

Eh bien, vous avez par le rapport publié par le gouverneur et qui a' été approuvé par les censeurs la preuve évidente que la somme des billets de banque est parfaitement garantie et réalisable dans un court espace de temps. Aussi voyons-nous, dans la crise financière que nous avons, la circulation des billets de banque aller toujours en augmentant.

L'honorable M. de Perceval a encore critiqué que la Banque avait mis une grande partie de son capital en fonds publics. Mais quel est son capital ? Il n'est pas de 15 millions, mais de 25 millions, puisque les actionnaires sont tenus au premier appel de verser 10 millions. On n'a appelé que 15 millions pour ne pas faire un appel inutile. Mais les actionnaires sont tenus de verser les 10 millions restant. De manière que toutes les opérations de la Banque ont une garantie non de 15 millions, mais de 25 millions.

Par des placements en fonds publics, la Banque a rendu les plus grands services au gouvernement et au pays qui ne font qu'un. Lorsque le gouvernement, en 1852, a fait l'emprunt de 26 millions, la Banque y a pris part ; lorsque le gouvernement a vendu ses fonds 2 1/2 et 4 p. c. en vertu de la proposition de l'honorable M. de Pouhon, la Banque n'a-t-elle pas aidé l'opération du gouvernement ? C'est donc dans l'intérêt du pays qu'elle a opéré.

L'année dernière, lorsqu'elle a acheté des bons du trésor à une échéance intermédiaire entre 3 mois et un an, elle a rendu de grands services. Notez que les bons du trésor à moins de 3 mois d'échéance sont compris dans les 15 millions ; les bons du trésor à plus de 3 mois d'échéance ont été compris dans les fonds publics.

Je crois donc que M. le ministre des finances, qui a examiné les opérations de la Banque, reconnaîtra qu'elle a rendu au pays le plus de services possible.

Le public est tellement rassuré, que nonobstant l'enquête et le discours de l'honorable membre, l'ordre du jour qu'il a proposé ne rencontrera pas, je pense, beaucoup d'adhérents dans cette Chambre.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Permettez-moi d'ajouter quelques mots au discours que vous venez d'entendre. Je tâcherai de faire voir que la Banque ne mérite aucun des reproches que l'honorable M. de Perceval lui a adressés, et qu'elle est digne, sous tous les rapports, du but de son institution. Ce but est double : en temps calme le but de la Banque est de développer le crédit public, de faciliter la circulation des effets de banque.

Dans les temps de crise, son but, c'est loin d'être un embarras pour le gouvernement, comme nous l'avons vu dans d'autres temps, c’est, au contraire, d'aider le pays à traverser les moments de crise, en facilitant l'escompte et en venant en aide au besoin du trésor public.

Voilà la double mission qu'une banque d'escompte bien organisée, comme la Banque Nationale, doit remplir.

Deux mots suffiront pour vous faire voir que, jusqu'ici du moins, la Banque Nationale a parfaitement répondu à cette double mission.

Lorsque l'institution de la Banque fut discutée, quel était le développement du crédit public ? Relisez les discussions ; vous trouverez partout et dans la bouche de tous les orateurs, comme un maximum du portefeuille belge, 15 millions. Eh bien ! messieurs, la confiance que l'établissement inspira dès la première année éleva le portefeuille belge d'une manière permanente, à 21 millions ; en 1852, il s'éleva à près de 50 millions ; en 1853, à 62 millions et en 1854, au commencement de cette année, il s'élevait à 74 millions, portefeuille belge, exclusivement belge.

De 15 millions à 74 millions, voilà le progrès que le crédit de l'intérieur, que le crédit de notre pays a fait sous les auspices de la Banque Nationale.

Voilà, messieurs, pour les temps calmes.

Dans les temps de crise dans lesquels nous entrons, la Banque réalise la première partie de son programme ; elle aide le pays à traverser la crise.

L'escompte, qui a été augmenté dans tous les pays, est maintenu invariable à 4 p.c. par la Banque Nationale ; tandis que la banque d'Angleterre élève ses escomptes à 5 1/2 et la banque de France à 5 et à 6, la Banque Nationale en Belgique le maintient à 4.

M. Prévinaire. - La plus grande partie est à 3.

M. de Perceval. - Il est à 4 1|2 à Arlon.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je parlerai tout à l'heure d'Arlon que vous citez ; c'est un cas exceptionnel, et je vous en dirai la cause.

Maintenant, messieurs, si dans un moment que je ne prévois pas, le trésor public avait besoin de la Banque, j'ai la ferme conviction quelle serait en mesure de lui venir en aide.

Nous devons donc le reconnaître, jusqu'ici, en temps calme comme en temps de crise, la Banque Nationale a rempli sa mission.

L'honorable M. de Perceval semble se plaindre de ce que les comptoirs en province ne remplissent pas partout la même destination que dans la grande succursale d'Anvers. Mais, messieurs, est-ce bien sérieusement que l'honorable M. de Perceval peut exiger que les comptoirs établis à Arlon, à Namur, à Bruges, fassent toutes les opérations de commerce de la grande succursale d'Anvers, que l'on y prête sur dépôt de lingots, que l'on y fasse le commerce d'or et d'argent. Messieurs, il faut ne pas connaître les opérations qui se font dans ces petits chefs-lieux de province pour ignorer que ce serait ridicule que de vouloir donner cette destination à un comptoir d'escompte.

Il y a une opération qui, en effet, ne s'y pratique pas : ce sont les dépôts en comptes courants. Mais que chacun de vous qui habitez de petites localités se demande si le boutiquier en province a l'habitude chaque soir de faire sa petite caisse et de la porter chez le banquier. Est-ce l'habitude dans les petits centres de population ? Cela n'est vrai que dans les grands centres, tels que Gand, Anvers, Liège, Bruxelles. Mais vous ne pouvez exiger que de pareilles opérations se fassent par tout le pays.

D'ailleurs, y a-t-il eu une seule plainte en province ? a-t-on vu arriver ici, arriver au gouvernement la moindre plainte de la part du petit commerce de ces villes de province de ce qu'il ne pouvait pas déposer en compte courant les recettes journalières de sa caisse ?

Cela ne s'est vu ni au gouvernement ni à la Chambre.

On semble, dit l'honorable membre, ne songer qu'à l'intérêt des actionnaires. On a été jusqu'à distribuer 11 p. c. L'honorable orateur a (page 1164) traduit cela en plusieurs millions qu'on distribue par année aux actionnaires. Mais, messieurs, cela se résume en 11 p. c. qu'ont reçu les actionnaires.

C'est sans doute un très bel intérêt, un très beau dividende. Mais est-il en harmonie avec ce qui se passe aux autres établissements qui ont de l'importance dans le pays ? La Société Générale a donné cette année le même dividende que la Banque Nationale ; et chose remarquable, l'Union de crédit, que l'honorable membre croit si maltraitée par la Banque Nationale, a donné à ses actionnaires, un de plus pour cent que la Banque Nationale.

Messieurs, il n'est pas très facile de saisir le but auquel veut arriver l'honorable orateur qui, le premier, a parlé dans cette discussion. Cependant, à travers beaucoup de précautions oratoires, je crois avoir saisi son but, et ce but, le voici : c'est que le gouvernement devrait pousser la Banque Nationale à accepter avec beaucoup de facilité tout le papier qui se présenterait, et surtout à l'escompter au taux le plus bas. Eh bien, messieurs, je léguerai volontiers cette mission à un autre ministre. Car voici quelles seraient les conséquences ; veuillez-y réfléchir.

L'honorable orateur semble se plaindre de ce que la Banque n'a pas perdu un sou dans ses opérations. « Voyez, dit-il ; a-t-elle perdu ? Pas un denier. »

Messieurs, loin de m'en plaindre, je m'en applaudis. Cela prouve que la Banque a mis beaucoup de prudence, beaucoup de sagesse dans ses opérations.

Et pourquoi faut-il que le pays s'en applaudisse ? Parce que nous ne devons pas oublier que ses opérations se font avec 83 millions de billets de banque, dont le gouvernement est en quelque sorte responsable. Ces billets de banque, sans avoir cours forcé, représentent du numéraire dans les mains des citoyens belges, et il faut que le gouvernement veille sans cesse à ce que toujours ces billets de banque soient la représentation fidèle d'une somme équivalente en écus. Or, cette garantie, les citoyens belges ne l'auraient plus, si la Banque n'apportait pas toute cette réserve, toute cette prudence dans les opérations auxquelles elle se livre.

En effet, messieurs, les 83 millions de billets de banque, qui sont en circulation et qui ne sont, à vrai dire, qu'autant de chiffons de papier, pourquoi inspirent-ils cette confiance ? Parce que chaque porteur a la certitude qu'en se présentant à la Banque, il obtiendra la valeur nominale de ses billets en écus. Mais la somme représentée par ces 83 millions de billets ne peut pas constamment reposer dans les caisses de la Banque

Si elle était renfermée dans son trésor en écus sonnants, autant vaudrait faire tous les payements, toutes les opérations en espèces et supprimer les billeîs de banque.

Il faut donc que les billets que la Banque escompte soient aussi sûrs, que la rentrée en soit aussi certaine que si, à l'heure où l'on se présente, les 83 millions étaient dans ses coffres ! Il faut qu'à chaque échéance d'un billet escompté, la Banque soit certaine que le recouvrement pourra s'en faire sans protêt, sans difficulté ; et si un moment de crise se présente, elle a, je suppose, 26 millions en or et en argent, et le reste des 83 millions, par quoi est-il représenté ? Par le portefeuille et rien que par le portefeuille.

Ce portefeuille doit donc être l'équivalent de l'argent, il doit être d'une rentrée certaine. Et si vous vous relâchiez de la sévérité que l'on a montrée jusqu'ici, si le gouvernement avait l'imprudence de forcer cet établissement, en supposant qu'il en eût le pouvoir, à se montrer facile, à accepter tout le papier, bon ou mauvais, qui se présente, qu'arriverait-il dans un moment de crise, dans ces moments d'épouvante, où chacun accourt à la Banque pour avoir l'équivalent des billets dont il est porteur ?

Les 83 millions seraient représentés par un papier stérile, et que dirait la Banque à ce gouvernement ? A vous la faute, et à vous seul. Quand j'étais libre de modérer mon escompte, de le faire avec réserve, avec prudence, j'avais la certitude de n'avoir en portefeuille que du papier représentant toujours de l'argent. Mais vous m'avez obligée d'accepter du papier qui n'a aucune valeur à son échéance, et par conséquent, si je ne puis rembourser mes billets, c'est votre faute et non la mienne.

Messieurs, cette terrible responsabilité je n'en veux pas. Qu'en résulte-t-il alors ? Ah ! je sais bien qu'il y a une école d'économistes qui ne recule pas devant cette responsabilité, et qui voudrait que la Banque opérât pour compte et sous la responsabilité de l'Etat ; mais cette école n'est pas la nôtre. Qu'arriverait-il ? C'est qu'à un moment donné, lorsqu'on se trouverait dans la nécessité de rembourser les 83 millions de billets de banque qui sont en circulation, il faudrait décréter le cours forcé, et que la nation belge aurait l'avantage de se voir gratifier d'une monnaie de papier. Encore une fois, ce n'est pas là ce que nous voulons.

L'honorable M. de Perceval reproche à la Banque d'avoir des escomptes de diverses natures. Oui, messieurs, la Banque a des escomptes de diverses natures, et quand on y regarde de près on reconnaît que c'est une mesure de prudence.

En ce qui concerne l'escompte pour l'étranger, avant l'établissement de la Banque Nationale, il y avait toute une catégorie de traites qui n'entraient jamais en Belgique : ainsi l'on tirait de New-York sur Anvers, payable à Londres, de Washington sur Anvers, payable à Paris, et jamais ces billets ne s'escomptaient en Belgique parce que l'escompte à Londres et à Paris était plus favorable qu'en Belgique. Qu'a dû faire la Banque pour attirer les effets en Belgique ? Elle a été obligée de leur accorder un escompte de faveur et il en résulte cet avantage que la place d'Anvers peut devenir une des premières du monde sous le rapport des affaires de Banque. Ce bienfait, vous le repousseriez sans avantage aucun pour le pays, si vous forciez les traites dont il s'agit à supporter un escompte aussi élevé que vous le voudriez. Et, messieurs, loin de voir dans cet état de choses un désavantage sous le rapport de la garantie des 83 millions de billets de banque en circulation, j'y vois, pour ma part, un grand avantage, car il est évident que si tous les billets de banque étaient représentés par des effets tirés de l'intérieur sur l'intérieur, dans un moment de crise il pourrait se faire que certaines provinces, sous l'empire des circonstances de la guerre, par exemple, fussent momentanément dans l'impossibilité de faire honneur à leurs traites et que par conséquent le grave inconvénient que j'indiquais tout à l'heure se présentât dans une certaine mesure.

Si, au contraire, le portefeuille de la Banque se compose en partie de traites étrangères et en partie de traites de l'intérieur ; cet inconvénient ne peut pas se présenter, car les traites de l'étranger ne sont acceptées qu'autant que ce soient de toutes premières valeurs, et en moins de quinze jours, la Banque pourrait recevoir de Londres et de Paris le montant des traites sur l'étranger qu'elle possède, ce qui lui permettrait de donner d'autant plus de facilité aux traites sur l'intérieur.

Quant à l'intérieur du pays, messieurs, il y a des effets de deux catégories : la Banque de Belgique et la Société Générale escomptent le papier à 4 p. c. et le réescomptent, si je ne me trompe, à la Banque Nationale, à 3 p. c. Pourquoi, messieurs ? Parce que le conseil de la Banque Nationale sait apprécier que ces grands établissements ne prennent que le papier le plus solide, le papier qui vaut de l'or en barre ; c'est comme si elle recevait des écus. Vient alors une autre association pour laquelle je professe le plus profond respect, qui rend de grands services à la petite industrie, mais qui se montre beaucoup plus facile, c'est l'Union du crédit ; eh bien ! la Banque ne réescompte les effets de cette association qu'à 3 1/2 p. c. ei c'est sur ce demi p. c. de différence que l'honorable membre se récrie.

Mais faites bien attention à une chose, l’Union du crédit prend 5 p. c. et je crois même 5 1/2 à l'heure qu'il est, disons seulement 5 ; eh bien, elle porte ces effets à la Banque Nationale qui les escompte à 3 1/2 ; elle fait donc encore un bénéfice de 1 1/2 p. c, et si quelqu'un devait baisser, dans les circonstances actuelles, ce serait l'Union du crédit plutôt que la Banque Nationale.

Vous le voyez donc, messieurs, de quelque manière qu'on envisage cette question, il y aurait un danger immense à entrer dans le système où voudrait nous lancer l'honorable orateur, et si l'ordre du jour qu'il propose était accepté, je déclinerais, pour ma part, la responsabilité qu'il ferait peser sur le pays.

- La séance est levée à quatre heures et demie.