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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 29 mai 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1239) M. Calmeyn procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vermeire lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Calmeyn présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Les employés subalternes du service actif de la douane attachés au poste de Baclen demandent une augmentation de traitement. »

« Même demande des employés du service actif de la douane attachés au poste du faubourg de Valencienncs et des préposés des douanes à Corbion. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Balant demande une loi qui autorise le gouvernement, en attendant la révision du cadastre, à se servir, pour former la valeur vénale des propriétés et par suite la base de la contribution foncière, du multiplicateur officiel, adopté en matière de succession. »

- Même renvoi.


« Des brasseurs de Gand demandent la prohibition temporaire à la sortie du houblon, ou du moins l'établissement d'un droit élevé. »

- Même renvoi.


« Les sieurs François et Raquet, commis des accises à Verviers, demandent une augmentation de traitement en faveur des commis des accises résidant aux chefs-lieux d'arrondissement. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Goidsenhoven réclame l'intervention de là Chambre pour obtenir la valeur d'une marchandise perdue par l'administration des chemins de fer de l'Etat. »

- Même renvoi.


« Quelques habitants de Pontillas demandent que les établissements de produits chimiques soient obligés de suspendre leurs travaux du 15 avril au 15 octobre. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Par deux messages du 26 mai, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté dans sa séance du même jour ;

« 1° Le projet de loi relatif à la distillation des fruits secs, mélasses, sirops ou sucres ;

« 2° Le projet de loi concernant l'entrée des machines. »

- Pris pour notification.


« M. T'Kint de Naeyer, obligé de s'absenter pour des affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Rapports sur des pétitions

M. Matthieu, rapporteur. - Messieurs, dans votre séance du 25 de ce mois, vous avez renvoyé à la commission des pétitions, avec prière d'un prompt rapport, l'examen d'une pétition, par laquelle les héritiers du sieur Nicolas Choppinet, ancien notaire à Enghien, reclament la liquidation d'une créance du chef de services rendus à l'Etat par leur auteur.

La commission des pétitions m'a chargé, messieurs, de vous présenter son rapport.

Les pétitionnaires exposent les faits suivants :

Par arrêté royal du 9 juin 1828, le gouvernement avait accepté la cession du canal de Pommerœul à Antoing, lequel canal avait été construit en vertu de concession.

Par arrêté ministériel du 11 octobre 1831, pris en exécution de l'article 12, de l'arrêté royal, le sieur Choppinet fut chargé de vérifier et de recevoir les contrats originaux de vente de terrains acquis ou empris pour remplacement de ce canal.

Ces opérations ne furent terminées qu'en 1834.

Le résultat de la vérification faite par le notaire Choppinet, en sa qualité de commissaire du gouvernement, se compose de 508 dossiers comprenant lestlitres relatifs à 1,008 parcelles de terrain ; ces titres ont été déposés par lui à la direction de l'enregistrement à Mons, ainsi qu'il résulte des récépissés des 28 juin 1833 et 30 avril 1S34.

La mission du notaire Choppinet étant terminée, il ne restait plus qu'à régler la rémunération des services rendus ; cette question si simple ne paraissait pas susceptible de retard, et cependant il ne n'en fut pas ainsi ; M. l'inspecteur des ponts et chaussés, Vifquin, qui avait dans ses attribulions la haute direction de cette affaire, s'était réservé le soin d'apprécier et de régler, de concert avec l’intéressé, les émoluments relatifs à ce travail ; malheureusement les trop nombreuses occupations de M. l'inspecteur ne lui ont pas permis de s'en occuper immédiatement et, d'ajournement en ajournement, plusieurs années s'écoulèrent sans qu'il ait pu trouver le loisir de régler cet objet malgré les sollicitations et les démarches réitérées de l'intéressé.

Surpris depuis par une maladie grave qui l'empêcha de remplir ses fonctions, M. l'inspecteur Vifquin partît bientôt après pour Paris, afin de s'y faire traiter ; il n'avait laissé aucune note à la direction des ponts et chaussées, et force fut à l'intéressé de se résigner à attendre son retour.

Dans l'entre-temps, vers 1842,la santé du notaire Choppinet fut profondément altérée ; il décéda en 1844. Son fils aîné, qui le remplaça comme notaire, était d'une constitution maladive qui ne lui permit pas de s'occuper de cette affaire, surtout en l'absence de tous autres documents officiels que ceux résultant des dépôts de titres faits à la direction des ponts et chaussées ; il mourut en 1849.

Son frère lui succéda dans son étude en 1850 ; peu après il fit prendre à Paris des renseignements qui lui donnèrent la certitude que l'inspecteur Vifquin, tombé depuis quelques années en démence, avait été placé dans une maison de santé et que désormais il n'y avait plus lieu de compter sur aucun renseignement de ce côté.

Au commencement de 1853, ces faits furent exposés dans une requête adressée à M. le ministre des travaux publics, par les héritiers du notaire Choppinet, à l'effet d'obtenir le règlement des honoraires dus à leur auteur pour la mission qui lui avait été confiée et, vu le temps employé et le nombre considérable de plus de mille parcelles dont les titres de propriété avaient été vérifiés, les pétitionnaires estimaient comme appréciation modérée, à une somme de 3,000 fr. la rémunération de ce travail ; plus une somme de 149 francs 89 centimes pour déboursements faits à cause de ports de lettres, fourniture d'imprimés, portefeuilles, frais de voyages, etc.

Répondant à cette requête, M. le ministre des travaux publics, par sa dépêche du 22 novembre 1853, déclare ne pouvoir pas recueillir la réclamation des pétitionnaires à cause de la déchéance dont leur créanee est frappée en vertu de l'article 34 de la loi de comptabilité du 15 mai. 1846 ; cette réponse se termine ainsi ;

« Ce ne serait qu'au moyen d'un crédit spécial, qui devrait être demandé à la législature, que mon département pourrait liquider la somme que vous dites vous revenir ; or comment justifier une telle demande en présence des dispositions citées ci-dessus ? La prescription dont parle la loi ne repose pas en effet sur la présomption de payement ; elle constitue une véritable déchéance.

« Si vous vous étiez adressé à mon département en temps opportun, nul doute que la créance dont il s'agit n'eût été liquidée, car je dois le reconnaître, M. le notaire Choppinet s'est acquitté de son travail à l'entière satisfaction de l'administration. »

D'après l'indication de M. le ministre des travaux publics, les héritiers du sieur Choppinet adressèrent, le 23 novembre 1853, une pétition à la Chambre, tendant à solliciter un crédit spécial pour liquider leur créance ; cette pétition fut déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics ; mais il n'y fut donné aucune suite.

Eu résumé, il résulte de la dépêche du 22 novembre 1853, que des services ont été rendus à l'Etat en vertu d'une mission spéciale et à l'entière satisfaction de l'administration des ponts et chaussées, que ces services n'ont obtenu jusqu'à présent aucune rémunération, que des avances qui ont été faites pour cause de ces services n'ont pas même été remboursées.

La légitimilé du principe de la créance est donc parfaitement reconnue.

La déchéance qu'on oppose est-elle réellement encourue ?

En n'examinant que les termes de l'article 34 de la loi de comptabilité dans un sens absolu, cette fin de non-recevoir paraîtrait assez fondée, sauf le droit de la législature de relever de cette déchéance les créances dont le principe est clair et sacré.

Mais à côté de l'article 34 se trouvent les dispositions de l'article 35 qui interrompent la déchéance lorsqu'il est prouvé que les retards apportés à la liquidation proviennent du fait de l'administration.

Or, dans l'espèce, l'administration, représentée par M. l'inspecteur Vifquin, n'a-t-elle pas posé le fait prévu par l'article 35 ?

Au surplus, serait-il de la dignité de l'Etat, en présence de la déclaration si nette du chef du département des travaux publics, d'invoquer une pareille fin de non-recevoir et de priver de salaire des services rendus en vertu d'une mission spéciale et dont les éléments appréciables consistent en des pièces officielles déposées dans les archives de l'administration ?

La commission des pétitions m'a chargé de vous proposer, messieurs, le renvoi de cette requête à M. le ministre des travaux publics, en soumettant à sa haute appréciation l'examen des questions posées avec demande d'explications.

M. Orts. - Messieurs, le renvoi d'une pétition à un ministre avec demande d'explications est quelque chose de grave. Je conçois que la Chambre prononce de confiance, sur la proposition de la commission des pétitions, un renvoi pur et simple ou un ordre du jour ; mais je viens d'entendre ou plutôt de m'apercevoir, car personne de nous n'a compris un mot de ce que vient de lire à la tribune l'honorable M. Matthieu, que le renvoi, tel qu'il est proposé, pourrait avoir une certaine signification.

Je demande que le vote sur cette réclamation de pur intérêt individuel soit remis à demain et que le rapport de la commission soit inséré dans les Annales parlementaires, où l'on pourra l'apprécier avant de voter.

- Cette proposition est adoptée.


(page 1240) >M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, les employés inférieurs du service actif de la douane attachés au poste de Verviers et à celui de Dolhain demandent que leur position soit améliorée.

Votre commission des pétitions vous propose le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des finances.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi accordant des crédits au département des travaux publics pour l’exécution de travaux d’utilité publique

Discussion générale

M. le président. - Une proposition d'ajournement s'appliquant à tout le projet, vient de me parvenir ; elle est ainsi conçue :

« Je propose l'ajournement de tout le projet jusqu'à ce que les voies et moyens soient connus et votés, sous réservé cependant que les crédits nécessaires aux engagements légalement pris jusqu'à ce jour seront alloués pour faire face aux dépenses de cette dernière catégorie. »

(page 1244) M. Vandenpeereboom. - Messieurs, le projet de loi en discussion me semble avoir été présenté dans des conditions que je puis qualifier de regrettables.

Ces conditions me paraissent telles par trois motifs. Je déclare, du reste, que je n'en fais pas directement un grief au cabinet actuel, ce projet est, comme beaucoup d'autres, au moins en partie, un legs du passé.

Je reproche d'abord au projet de nous avoir été présenté trop tard, c'est-à-dire à la fin d'une session, au moment où nous allons probablement retourner dans nos foyers.

Je lui reproche ensuite de nécessiter une nouvelle émission de bons du trésor, parce que la dépense à faire sera couverte par des voies et moyens fictifs. Je lui reproche enfin de composer, dans son ensemble, un amalgame de choses parfaitement hétérogènes et dès lors de ne pas constituer un projet d'ensemble pour des objets de même nature.

Le premier reproche dont j'ai entretenu la Chambre et qui est puisé dans la présentation tardive du projet n'est pas nouveau. Chaque année, à la fin de nos sessions, nous voyons se reproduire ce que je critique en ce moment. L'année dernière et il y a deux ans, je me suis élevé contre ce que je crois pouvoir qualifier d'abus grave. Toujours à la fin des sessions, pendant le dernier mois, le gouvernement vient saisir la Chambre d'un nombre de projets de loi plus considérable souvent que celui des projets déposés pendant tout le reste de la session. Si ces projets n'intéressaient que peu ou point le trésor public, je pourrais encore à la rigueur trouver l'abus moins grave. Mais il est à remarquer que les projets qui semblent réservés pour ia fin de la session, sont précisément ceux qui doivent imposer le plus de charges au pays.

Depuis dix-huit à vingt jours, le gouvernement a déposé sur le bureau de la Chambre dix-huit à vingt projets qui coûteront à la Belgique 18 à 20 millions, ou un projet et un million par jour, si quelques-unes de ces lois ne sont pas ajournées.

A la fin d'une session, involontairement sans doute, les circonstances nous forcent à examiner plus rapidement les projets qui nous sont soumis ; cet examen ne peut pas être aussi sérieux qu'il le serait dans le cours de la session législative.

S'il vous en fallait un exemple, je vous citerais les budgets. Depuis dix jours nous avons adopté trois ou quatre budgets en une séance, et le cabinet peut dire qu'il emporte les budgets à peu près comme César remportait des victoires.

Messieurs, quant aux bons du trésor, il me semble inutile de m'étendre longuement sur les inconvénients qu'ils présentent, tout le monde reconnaît que c'est un péché gouvernemental, cependant tout le monde continue à le commettre. Au moyen âge les souverains lorsque leur trésor était vide avaient recours à un moyen que l'histoire et l'économie politique condamnent, ils faisaient de la fausse monnaie, de la monnaie de mauvais aloi.

Le gouvernement constitutionnel imite de nos jours un peu ce mauvais exemple ; ne faisons-nous pas aussi de la monnaie de mauvais aloi en émettant des bons du trésor ? Et ces bons comme la mauvaise monnaie d'autrefois ne devront-ils pas être refondus à grands frais pour en faire, au moyen d’impôts et d'emprunts, une monnaie réelle ayant cours légal et vrai dans la circulation ?

Le cabinet du 12 août a suivi une autre marche que le cabinet actuel, quand il a proposé l'exécution de travaux publics ; l'article 11 de la loi du 20 décembre 1851 qui a doté le pays d'un ensemble de travaux d'une incontestable utilité, contenait une clause qui prévoit les voies et moyens à créer pour couvrir la dépense. A cette époque j'ai voté cette loi d'ensemble et les impôts qui en furent la conséquence, mais je crois qu'il serait difficile d'obtenir des votes de cette nature aujourd'hui, le vote de l'impôt répugne autant que le vote des travaux publics est agréable. Alors en votant les travaux d'utilité publique nous avons eu sans doute la popularité qui s'attache a ces votes. Mais nous n'avons pas craint d'assumer en même temps sur nous l'impopularité d'un vote d'impôt.

Je ne voterai donc des travaux d'ulililé publique proposés à la fin d'une session et couverts par des bons du trésor, que pour autant qu'il sera démontré de la manière la plus évidente qu'ils sont urgents et inévitables. Un autre reproche que j'adresse au projet, c'est de contenir des travaux d'une nature différente.

On peut diviser les travaux, contenus dans la loi qui nous est soumise, en deux grandes catégories :

Les travaux commencés ou déjà faits même et les travaux à faire. Il y a là une distinction bien caractérisée et je pense qu'elle n'a pas échappé aux auteurs du projet. Je soupçonne que le hasard n'a pas tout fait, peut-être a-t-on voulu faire passer le canal de la Campine sous le couvert du canal de Schipdonck et le débarcadère d'Anvers sous le pavillon des côtes d'Ostende.

Cette manière de procéder, je ne la reproche pas directement au ministre. Mais dans les bureaux on suit les travaux de la Chambre, l'on sait que certains travaux ne passent pas facilement, que d'autres ont plus de chances d'être admis, on a étudié les antécédents, et cette étude ne conduit-elle pas à conclure que certains projets de travaux, surtout quand ils nécessiteront de grandes dépenses dans le présent et dans l'avenir, ont plus de chances d'être votés par le parlement quand ils constituent un ensemble, et surtout quand ils sont présentés à la fin d'une session.

Il me semble donc, messieurs, que le caractère tout à fait différent des travaux qui nous sont soumis, doit mener à un ajournement d'une partie de ces travaux, et que nous devons diviser ce que le gouvernement a réuni à tort.

Avant d'entrer dans une voie nouvelle, ne devons-nous pas marcher jusqu'au bout dans la voie où nous étions entrés primitivement et achever avant tout ce qui est commencé ?

D'après moi, les travaux d'utilité publique décrétés par la loi du 20 décembre 1851 doivent avoir la priorité sur tous les autres ; d'autres travaux ont été décrétés plus tard, mais par un vote formel de la Chambre ils doivent encore recevoir leur exécution complète avant que de nouveaux travaux viennent se joindre à cette liste déjà longue des travaux inachevés.

C'est d'ailleurs, messieurs, une question de justice.

La Chambre se rappellera que lors de la discussion de la loi dont j'ai déjà parlé, un seul grand travail d'utilité publique obtint la somme nécessaire pour son exécution complète ; je veux parler de la Meuse. On nous disait alors que partiellemeut et à des époques on parachèverait également les autres travaux compris dans le projet de loi. Je fais en ce moment un appel aux honorables collègues qui ont voté la loi, et je suis certain que la promesse qui a été faite alors sera tenue.

Messieurs, à propos de la loi de 1851, je demanderai à la Chambre la permission de faire une simple remarque. A cette époque, l'opposition disait ; Les travaux concédés ne seront pas exécutés, c'est un leurre, les votes que vous émettez seront stériles, les travaux à exécuter directement par l'Etat seront seuls achevés. Je saisis cette occasion pour faire remarquer que ces prévisions, heureusement, ne se sont pas réalisées, les travaux à charge de l'Etat ne se font que lentement, tandis qu'en général, nous devons le reconnaître, les travaux concédés sont en grande partie exécutés ; le chemin de fer de la Flandre occidentale est à la veille d'être achevé ; le chemin de fer de Manage l'est aussi ; le chemin de fer du Luxembourg est en voie d'exécution, 42 millions sont dépensés.

Le chemin de fer de Charleroi à la frontière de France, le chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse sont terminés. En un mot, si j'en excepte le canal de Bossuyt et deux ou trois projets secondaires, tous les travaux concédés sont exécutés ou en voie d'exécution.

Malheureusement les travaux qui doivent être faits par l'Etat ne sont pas dans cette position. C'est ainsi que le canal de Schipdonck, décrété depuis 1846, est inachevé. Une section seule est faite, et elle est sans utilité aucune. Ce n'est pas réellement un canal ; elle n'aboutit pas ; elle ne peut pas décharger ses eaux ; c'est une véritable mare. Il y a donc urgence de l'achever.

Un autre travail, dont je dois dire un mot, c'est l'approfondissement du canal de Bruges à Gand. Une première somme a été votée par la loi de 1851.

Le travail est commencé ; une partie seulement en est faite, sans utilité aucune. Les sommes dépensées sont de l'argent jeté dans l'eau sans bénéfice pour qui que ce soit.

Je pourrais parler aussi des travaux promis pour débarrasser l'Escaut, l'Yser, les Nèthes, la Senne, la Dendre et la Sambre des inondations, travaux promis par la loi de 1851, et ensuite par une loi plus récente du budget !

J'insiste donc pour que ces projets dont je viens déparier soient parachevés avant tous autres. Ce sont des travaux urgents, indispensables, et le capital employé est un capital complètement perdu.

Mais s'il en est ainsi pour les travaux décrétés, il en est tout autrement pour des travaux nouveaux. Or, dans le projet de loi actuel, j'en trouve deux de ces dernières catégories.

C'est d'abord une somme de 120,000 fr. qui est demandée pour un débarcadère à Anvers et ensuite 300,000 fr. pour le canal de la Campine.

(page 1245) M. Deliége. - C'est une erreur. Je demande la parole.

M. Vandenpeereboom. - Quant au débarcadère, j'insisterai peu. C'est un travail qui n'est pas de grande importance financière. Je me contenterai de demander quelques explications à M. le ministre des travaux publics ; je désire savoir si, lorsque l'on fait une concession à une compagnie, lorsqu'on lui garantit un minimum d'intérêt, il n'est pas juste que cette compagnie prenne des mesures pour pouvoir mener ses passagers à terre. Lorsqu'une société construit un chemin de fer, elle doit construire des stations et relier ces stations à la voie publique. Des explications de l'honorable ministre des travaux publics dépendra mon vote. Il est possible aussi que la société concessionnaire soit tenue de payer à l'Etat certaines redevances qui indemniseront le gouvernement des sacrifices qu'il pourrait faire.

Quant aux travaux à faire dans la Campine, je croirai devoir proposer d'une manière formelle l'ajournement du crédit de 300,000 fr. demandé pour cet objet. Voici les motifs sur lesquels je fonde cette demande.

Je ferai d'abord remarquer que la Campine ne peut se plaindre ni de la législature ni du gouvernement. Depuis longtemps la législature a donné à cette partie du pays qui avait, je le reconnais volontiers, été.négligée, des preuves nombreuses de sa bienveillance. C'est ainsi -qu'on y a construit à grands frais un canal, un chemin de fer avec garantie de l'Etat, et qu'on y a exécuté encore d'autres travaux.

La Campine ne peut se plaindre non plus du gouvernement ; car, depuis que le ministère actuel a pris le pouvoir, je crois qu'il s'est occupé de cette province plus exclusivement que d’aucune autre.

Ainsi, messieurs, le cabinet actuel nous a proposé une loi abrogeant certaines dispositions législatives et libérant les propriétaires de la Campine de la redevance fixée par une loi antérieure. Il a présenté le projet dont nous nous occupons et qui est le commencement d'une dépense beaucoup plus considérable. Il a proposé une convention pour relier directement la Campine à Anvers, c'est-à-dire pour ne pas obliger les habitants de cette partie du royaume à devoir changer de voiture soit à Lierre soit à Cumptich. Nous examinerons plus tard cette convention ; je n'en occuperai pas en ce moment la Chambre. Mais enfin la présentation de ce projet de loi est une preuve nouvelle de la bienveillance du gouvernement.

Le gouvernement va même plus loin ; non seulement il nous fait des propositions en faveur de la Campine, mais en faveur de cette partie du pays, il déroge à un des articles de son programme, c'est-à-dire au principe de non-intervention de l'Etat.

Ainsi, le cabinet actuel a soutenu avec ténacité la loi sur les irrigations qui est une intervention assez directe de l'Etat, et en proposant l'abrogation des dispositions législatives qui mettaient à la charge de certains propriétaires une redevance annuelle, le gouvernement non seulement applique largement le système d'intervention de l'Etat, mais il repousse même l'intervention des particuliers ; c'est-à-dire, qu'il va plus loin que les plus grands partisans de l'intervention de l'Etat auraient pu le faire. Il ne demande pas l'iutervenlion des particuliers, il y renonce même formellement.

Je n'examinerai pas en ce moment cette proposition à fond ; je ne dis ceci que pour vous prouver que si ma proposition d'ajournement est adoptée, la Campine n'aura pas à se plaindre qu'on ait été injuste vis-à-vis d'elle.

M. Coomans. - Il n'y a que des projets.

M. Vandenpeereboom. - Les canaux, le chemin de fer avec garantie d'un minimum d'intérêt sont des lois, et la présentation des projets est une preuve de la bienveillance du cabinet.

Du reste, messieurs, je ne repousse pas ces travaux d'une manière absolue, j'en demande seulement l'ajournement et je serai peut-être le premier à les voter dans des circonstances plus favorables, et quand d'autres travaux seront terminés.

Mais je demande l'ajournement en ce qui concerne la Campine, surtout parce que le vote du crédit demandé de 300,000 fr. consacre un principe nouveau et qui mérite d'être très sérieusement examiné. Ce premier crédit de 300,000 fr. n'est qu'un à-compte sur une somme beaucoup plus considérable, exclusivement destinée aux travaux d'irrigation.

La somme destinée à cet objet s'élèverait à fr. 1,288,050. Or, en tenant compte des erreurs que font parfois les meilleurs ingénieurs, je ne crains pas d'affirmer que ce serait une dépense de 1,500,000 fr. ou de deux millions peut-être, que nous voterions aujourd'hui, en allouant ce premier crédit.

Je dis, messieurs, qu'avant de voter ce principe nous devons l'examiner très sérieusement, car le vote qui trancherait la question changerait entièrement les principes consacrés par les dispositions antérieures sur le canal de la Campine. Il n'aura pas échappé à la Chambre que ce canal était primitivement un canal de navigation. L'honorable ministre de l'intérieur nous disait, il y a peu de jours ; « Le gouvernement s'est engagé à ne donner que ce qui excède le tirant d'eau nécessaire à la navigation. »

Or le texte du contrat invoqué par l'honorable M. de Decker prouve bien que la navigation était le but principal du canal de la Campine, que l'irrigation n'en était que le but secondaire.

A ce point de vue, le canal de la Campine est certainement une belle création, puisqu'il est destiné à joindre la Meuse à l'Escaut, et je serais tout disposé à voter les fonds qu'il exige ; mais avant d'entrer dans un système nouveau en ce qui concerne les irrigations, je crois qu'il faut examiner mûrement la question et l'examiner à une époque plus opportune.

Messieurs, si nous entrons dans cette voie, il sera bien difficile au gouvernement de suffire aux exigences des particuliers. Ainsi L'honorable M. de Theux a dit que certains irrigateurs ont demandé que le canal devînt un canal d'irrigation. Le gouvernement a résisté, la section centrale a résisté ; ils ont parfaitement bien fait. L'honorable M. Coomans a été plus loin, il a demandé qu'en ne donnât plus de concession d'eau.

Ainsi les exigences vont et elles iront toujours croissant, et le gouvernement, dans un temps donné, se trouvera dans l'impossibilité de faire face aux besoins, car le gouvernement ne pourra jamais donner autant d'eau qu'il en faudra ; parce qu'il n'aura jamais la faculté de faire jaillir l'eau des sables de la Campine.

Je dis que la question, soulevée à l'occasion du projet, mérite un examen très sérieux et fait dans des temps plus opportuns, car il touche encore au système général de l'écoulement des eaux dans uue des parties du pays.

Déjà, dans d'autres circonstances, un des arguments que les défenseurs de la Nèthe ont fait valoir, c'est que sa position se trouvait considérablement empirée, par suite de la création du canal de la Campine, et par les travaux d'irrigation dans ce pays. Or, si déjà il y a un préjudice dont la réparation coûtera probablement un million, il faut voir si, en faisant encore pour deux millions de dépenses, on ne doublera pas le préjudice qui en résulte pour les riverains de la Nèthe.

L'ajournement se justifie encore par cette considération, que le résultat des irrigations semble être un problème ; il y a là encore quelque chose de très vague et d'indéterminé, s'il faut en croire M. l'ingénieur Kummer, et dont l'honorable M. de Perceval a donné des extraits, lorsqu'il a fait sa proposition relativement à la Campine ; s'il faut en croire cet ingénieur, les travaux de la Campine seraient une affaire magnifique. Un hectare de terre, coûtant 80 à 100 fr., rapporterait 170 fr. C'est un bel intérêt.

M. Coomans. - M. Kummer n'a jamais dit cela.

M. Vandenpeereboom. - M. Kummer dit dans son rapport que le produit de 30 hectares de bruyères a été vendu 5,140 fr., et à moins que je ne me sois trompé dans une opération arithmétique, cela fait à peu près 170 fr. par hectare.

M. Coomans. - Pour préparer les terrains, il en coûte dix fois plus.

M. Vandenpeereboom. - Je l'admets très volontiers. Mais lorsqu'on retire 170 fr. d'un heclare qui a coûté 100 fr., on peut sans doute ajouter au prix d'achat quelques centaines de francs pour préparer les terrains, et l'opération sera encore excellente. Dans beaucoup de contrées, un hectare de terre qu'on paye 3,000 à 4,000 francs, rapporte70 à 100 fr.

Du reste, si je ne me trompe, je me trouve en bonne compagnie, c'est avec M. l'ingénieur M. Kummer. Je suppose toutefois, comme le prétend l'honorable M. Coomans, que les chiffres que j'ai indiqués, d'après cet ingénieur, soient exagérés ; mais c'est précisément pour cela que je suis autorisé à dire que le résultat de ce qui s'est fait dans la Campine n'est pas suffisamment connu. En effet, alors que M. Kummer nous assure qu'il y a un bénéfice si considérable, d'autres assurent que l'irrigation, est une très mauvaise affaire, ou qu'on ne sait quels en seront les résultats.

L'honorable M. Julliot disait, dans une autre séance, que beaucoup d'espérances étaient trompées ; l'honorable M. de Theux ajoutait : « Quant à la situation des irrigations, elle a été désastreuse en 1854, il n'est pas un propriétaire qui n'ait perdu la moitié de sa récolte par suite du manque d'eau. »

Voilà donc des hommes très compétents qui contestent l'assertion de M. Kummer. Il suffit, pour moi, de constater qu'il y ait doute, et sous ce rapport l'interruption de l'honorable M. Coomans me sert beaucoup ; il suffit pour moi qu'il y ait doute pour qu'on étudie la question, et qu'avant de connaître le résultat de cette étude, on n'enfouisse pas de nouvelles sommes très considérables dans le canal de la Campine.

L'observation que vient de faire l'honorable député de Turnhout, n'est pas neuve. Déjà, daus une autre circonstance, lorsque l'honorable M. de Perceval avait présenté sa proposition, M. Coomans a dit comme aujourd'hui que l'affaire de la Campine était une affaire peu favorable qu'elle donnait très peu de produits.

On parlait alors d'une Société qui s'était formée et qu'on représentait comme devant réaliser de très grands bénéfices ; l'honorable M. Coomans disait : Pas une seule action de cette Société n'a été placée... Toutes se trouvent encore dans le portefeuille... Je crois qu'elle placerait ses actions sans prime aucune.

M. Coomans. - Maintenant encore.

M. Vandenpeereboom. - Cela prouve que vous n'êtes pas d'accord avec M. Kummer.

M. Coomans. - C'est vrai.

M. Vandenpeereboom. - Je vous remercie de votre renseignement, car je ne m'atiache pas à rechercher où est la vérité.

Je me borne à constater qu'il y a doute, je dis que, dans ce doute, il y a lieu d'ajourner le vote de la loi ; si les terrains irrigués rapportent beaucoup, pourquoi augmenter à grands frais des bénéfices déjà très (page 1246) considérables ; si l'affaire peut être mauvaise, pourquoi s'exposer à enfouir encore des fonds dans un travail dont l'utilité et le succès sont contestables jusqu'ici ?

La question des irrigations n'est pas, comme les questions de grands travaux d'utilité publique et de navigation, une question d'intérêt général, d'intérêt supérieur.

Je sais qu'on peut soutenir avec succès que fertiliser des bruyèret et des terres incultes, c'est créer une richesse pour un pays ; mais il faut remarquer que cet avantage ne se réalise que dans un avenir assez éloigné.

Par suite de nos lois sur l'impôt foncier, la richesse acquise dans la Campine n'augmentera pas de sitôt le revenu du trésor ; l'impôt foncier est un impôt fixe et de répartition dont le chiffre est invariable.

Mais quant aux fonds placés par l'Etat dans la Campine, ils ne feront pas directement ou indirectement retour au trésor d'ici a bien longtemps.

Créer des richesses est une chose excellente et parfois facile ; mais il faut savoir combien il en coûte pour créer des richesses. On a cherché à faire du diamant ; mais le diamant artificiel devait coûter bien plus cher que le diamant naturel. Il en est de même de certains engrais dans les terrains les plus ingrats. Sur le roc, sur une glace couverte, d'un centimètre de terre, on peut à l'aide de certains produits chimiques obtenir des produits, mais ces produits coûtent six fois plus que les produits naturels.

La création de pareilles richesses ne constitue donc qu'une perte réelle.

Je ferai valoir un dernier argument en faveur de l'ajournement que j'ai proposé.

Dans la plupart de nos provinces, il existe des associations qui se chargent elles-mêmes d'exécuter certains travaux. Cela se fait par les administrations des wateringues et des polders ; le gouvernement n'intervient que pour contrôler l'exécution des règlements. Pouvait-on faire quelque chose en ce genre pour les riverains de la Campine ? Avant de dépenser des sommes considérables pour le travail dont il s'agit, ne devrait-on pas débarrasser aussi certaines provinces des eaux surabondantes qui nuisent considérablement à l'agriculture ? J'ai cité la vallée de l'Escaut, la vallée de la Lys, l'Yser, la Senne, la Dendre, d'autres rivières encore ; le gouvernement, qui a fait faire des études pour ces différentes rivières, devrait s'appliquer d'abus à mettre ces études à exécution.

Enfin il me semble que la Chambre ne doit pas perdre de vue que nous avons rejeté un amendement présenté par un honorable député du Luxembourg relativement à la vente de la chaux à prix réduit. C'était un engrais qu'on voulait procurer à cette province qui en est dépourvue, comme l'Etat donne de l'eau, qui est un véritable engrais, à certaines parties de la Campine qui en ont besoin.

J'ai voté contre la proposition faite en faveur du Luxembourg ; je suis conséquent avec moi-même aujourd'hui. Je laisserai du reste à l'honorable député du Luxembourg le soin de traiter avec la sollicitude qu'il met toujours à défendre les intérêts qui lui sont confiés la question d'analogie que je trouve entre l'amendement et la proposition qui vous est faite pour la Campine.

Je pense qu'en présence de la situation du trésor et des doutes qui existent sur l'efficacité du système des irrigations, ma proposition est suffisamment justifiée.

Je propose l'ajournement du vote sur le n°3° du projet de loi à la session prochaine.

(page 1240) M. Julliot. - Messieurs, l'honorable M. Vandenpeereboom a eu pour point de mire unique la Campine ; or, il y a autre chose en Belgique que la Campine, et nous allons élargir un peu le terrain.

Messieurs, je suis partisan de l'union et de la politique de conciliation, parce que'les divisions et la haine détruisent les liens de la nationalité comme elles détruisent les liens de la famille.

C'est vous dire que mes sympathies sont acquises au ministère actuel comme elles l'étaient à celui qui l'a précédé, car ce ministère aussi pratiquait cette même politique.

Je déduis de là que, si on doit la vérité à tout le monde, on la doit surtout à ses amis, et je vais la faire entendre.

Les considérations que je vais émettre pourront paraître sévères, mais elles s'adressent à la conduite future du ministère, en même temps qu'elles encourageront le gouvernement à renoncer aux successions par trop lourdes qui lui sont léguées par ses devanciers des époques différentes.

On dit que la nombre et la force des bureaux administratifs paralysent les bonnes intentions des ministres ; mais quand on veut le bien, on déblaye les obstacles qui l'empêchent, en tenant compte des positions financièremenl acquises, et tout le monde y gagne.

Messieurs, la loi qui est en discussion a pour objet des crédits divers qui n'ont de commun ensemble que leur inopportunité en présence de la situation de nos finances.

Toutes ces dépenses qu'on veut nous faire accepter comme d'utilité générale, ne s'adressent en réalité qu'à quelques localiiés qui cherchent à peser sur le trésor à leur profit particulier ; ces localités sont, une partie de la Flandre orientale, Ostende, Anvers et la Campine.

La section centrale était composée de trois représentants de la Flandre orientale qui avaient le plus gros lot à faire passer ; aussi étaient-ils en nombre, un d'Anvers, un d'Ostende, un d'Ypres et un du Limbourg ; vous voyez déjà que toutes les parties prenantes étaient présentes à l'appel.

Pour se faire une première idée du peu de raison d'être de ces crédits, je dirai que le député du Limbourg a proposé l'ajournement de toutes ces dépenses à des temps meilleurs ; l'exposé de ses motifs se trouve à la page 2 du rapport, et sur l'ensemble de la loi, il y a eu trois abstentions y compris celle du représentant d'Anvers ; or, si ceux de nous qui représentent les localités intéressées en pensent ainsi, que doit en conclure la Chambre ? Elle doit en conclure qu'on a groupé plusieurs mauvaises affaires dont aucune ne serait adoptée si elle se présentait seule. Je sais qu'on donne toujours des motifs spécieux quand il n'y en a pas d'autres, et on dira qu'il faut continuer ce qu'on a commencé ; ce qui ne pourrait, du reste, s'appliquer qu'aux premiers articles ; mais pour ceux-ci même, il n'y a pas péril en la demeure et je soutiens surtout l'inopportunité de la demande de crédit.

Du reste, toutes ces canalisations n'auraient jamais vu le jour si elles n'avaient servi d'affluents à la dérivation de la Meuse.

En 1851, la Meuse était dans toute son impétuosité ; elle était toute-puissante ; elle s'était promis un nouveau lit, et pour ce faire, elle avait charrié, en fait de travaux publics, ceux dont elle avait besoin pour faire sa majorité, et avait rejeté les autres comme des épaves inutiles. Liège et Luxembourg, ayant la main dans la pâte, firent les choses en grand et d'un jet pour eux, en laissant les autres se tirer d'affaire comme ils le pourraient. Voilà l'origine de ces travaux dits d'utilité publique, qui ne s'adressent qu'aux localités qui ont fourni leur contingent dans cette grande croisade contre le trésor public. Et les autres qui n'ont pu se faire agréer, par les motifs que j'ai déduits, qu'en fera-t-on ? On ne les écoutera pas plus aujourd'hui qu'hier, le tout en vertu du principe d'égalité et de justice distributive. Je conseille à ceux qu'on repousse de ne pas s'y fier, le système des donations entrc-vifs par l'Etat va à sa fin, ils n'auront rien de plus, et leurs commettants auront eu moins leur part d'impôt dans ies dépenses qui nous sont soumises.

Messieurs, dans les années prospères nos gouvernants ont reconnu qu'il était bon de gouverner avec les appétits ; ils n'étaient pas encore nombreux et on pouvait se faire des amis sans pressurer les contribuables. Aujourd'hui cela devient impossible, les appétits se multiplient à l'infini, et on fait dix mécontents pour un satisfait ; or, on peut gouverner avec dix contre un, mais on ne gouverne pas avec un contre dix.

Il n'y a d'intérêt général que celui qui s'adresse à la généralité, or ce ne sont pas les améliorations de quelques localités exceptionnelles qui constituent l'intérêt de tous. Cela augmente la fortune de quelques-uns aux dépens de tous.

Pour qu'un ministère ait force et durée, il ne faut pas qu'il se dise : Pourquoi le gouvernement ne ferait-il pas cela ? Non, il faut qu'il se demande en vertu de quel principe on appauvrirait la généralité pour grossir les capitaux de quelques-uns ?

MM. les ministres ont exposé de bons principes économiques dans leur programme, mais à l'exception d'un seul ministre, ils n'y donnent aucune suite.

Quand je considère que l'honorable ministre des affaires étrangères a déjà rayé deux articles de son budget, oh il n'y a pas beaucoup à rayer, je suis amené à croire que c'est à lui que nous devons la profession de foi économiste que nous lisons dans le programme, et je le félicite sur la logique qu'il met dans sa conduite ; mais je désire que la politique du ministère devienne homogène.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - C'est une erreur. M. le ministre des travaux publics a particulièrement appuyé la profession de foi dans le sein du cabinet.

M. Julliot. - Je félicite donc deux ministres, je préfère de beaucoup l'homogène à l'hétérogène en fait de gouvernement surtout, et je vois que cela promet.

Je dis que, selon moi, les faits qui se passent doivent dessiller les yeux les plus rebelles à la lumière. Le dépècement du budget de l'intérieur de 1855, le vote sur la chaux, sur le haras de l'Etat, les écoles d'agriculture, les embarras dans les irrigations de la Campine, l'opposition à la loi même que nous discutons, tout cela ne dit donc rien ? Cela dit que les questions économiques remplacent les questions politiques, et que ce n'est plus le budget de l’intérieur, mais celui des finances qui devient le budget politique.

Un ministère qui viendrait gouverner comme ministère exclusivement catholique ou un ministère qui viendrait gouverner au nom du congrès libéral, n'aurait ni l'un ni l'autre plus de huit jours à vivre, il n'aurait pas le temps de déballer ses malles.

Il faut donc autre chose, et nous avons un ministère de conciliation ; mais la politique théorique n'est plus suffisante pour occuper les esprits, il faut quelque chose de plus substantiel, parce que le passé ne se refait pas.

Si le ministère ne peut se décider à pratiquer une autre politique économique que celle de ses devanciers, que deviennent alors toutes ces jérémiades sur la politique communiste du 12 août. Rien. Je n'hésite pas à le dire, si à la rentrée des Chambres on nous présente les mêmes budgets du passé, en laissant les intérêts moraux et matériels dans la même position économique, on dira que le mal qu'on s'est donné avait pour but de fournir des places à ceux de la droite au lieu de ceux de la gauche. C'est faire la partie trop belle à l'opposition ; car tous les jours elle peut demander ; Pourquoi avez-vous remplacé l'honorable M. Rogier, par exemple, qui avait rendu de longs services au pays, alors que vos actes prouvent qu'il a très bien fait ?

En section centrale j'ai proposé l'ajournement du projet de loi, suffisamment motivé à la page 2 du rapport.

Je reproduis ma proposition avec l'ajoute que les dépenses faites actuellement au-delà des crédits ouverts à cet effet pourront être soldées par l'Etat, mais qu'il y a ajournement pour le reste.

Pour justifier ma proposition, je dis qu'un petit pays neutre comme le nôtre risque plus de périr par les finances que par les armes.

Le projet méconnaît la loi de la comptabilité qui veut que toute dépense soit couverte par des voies et moyens proportionnels ; ces moyens n'existent pas, on s'appuie sur les bons du trésor. Ce sont les dettes criardes d'un Etat, des valeurs fictives et des dangers.

Nous avons un découvert de 26 à 30 millions ; il y a péril en la demeure pour le couvrir par un emprunt, car le crédit public, dans les circonstances où nous nous trouvons, n'est pas sûr d'un lendemain. Pour ma part, je ne comprends pas comment on puisse se lancer dans une aventure pareille, avec la responsabilité qu'elle entraîne.

Quand j'additionne toutes les dépenses facultatives que nous votons tous les jours, je dis que nous marchons vers de nouveaux impôts, et l'emprunt forcé à la première occasion, et je le prouve.

Les illusions sur la paix sont devenues le monopole des vieilles femmes et des enfants ; nous ne pouvons done pas nous y arrêter ; or, la guerre continuant, les puissances allemandes ne peuvent conserver l'attitude qu'elles ont prise, et du moment où l'une d'elles modifiera sa position, et ce moment est près de nous, la guerre se rapprochera de l'Occident et affectera instantanément le crédit public.

Les capitaux se retireront et le travail s'arrêtera, la misère sera grande et on sommera le gouvernement de fournir sur le trésor les moyens de forcer le travail dans les ateliers des villes, les impôts et le chemin de fer rendront moins, et la gêne sera générale ; il faudra faire des efforts suprêmes pour tenir tête à l'orage que par imprévoyance on n'aura pas voulu prévenir et nous serons en face des emprunts forcées et des impôts nouveaux à prendre évidemment à ceux qui pourront les payer et ils ne seront pas nombreux. Dieu veuille que je me trompe ! mais telles sont mes prévisious, et c'est sous leur impression que je refuse toute allocation de fonds qui n'est pas indispensable au maintien de l'ordre social.

Comment ! le gouvernement s'est rallié à l'ajournement de la défense (page 1241) du pays à Anvers et il persistera à vouloir dépenser nos resources en fantaisies. Non, je ne le suivrai pas sur ce terrain et je résiste. Il serait important d'avoir sur cette question l'avis des hommes de longue expérience que nous avons dans cette Chambre ; j'espère qu'ils se feront entendre, leurs conseils seront utiles.

M. de Moor. - Messieurs, j'ai demandé la parole uniquement pour motiver mon vote.

Je suis loin d'être hostile en principe au crédit qui nous est proposé pour protéger les irrigations dans la Campine. Je crois, pour ma part, qu'il est du devoir du gouvernement de donner à l'agriculture tous les encouragements qui dépendent de lui, mais il ne doit pas y avoir de privilège pour telle ou telle partie du pays. Au commencement de cette session, messieurs, j'ai eu l'honneur de demander, en faveur du Luxembourg et de deux autres provinces, le rétablissement d'un crédit pour la distribution de la chaux à prix réduit ; cette proposition vous n'avez pas cru devoir l'accueillir ; aujourdhui on vous demande de faire une dépense considérable pour distribuer gratuitement de l'eau dans la Campine.

On veut, en d'autres termes, que vous donniez ici, sous forme d'eau, ce que j'engageais naguère la Chambre à accorder là, sous forme de chaux.

J'ignore si la Chambre est disposée à faire aujourd'hui pour la Campine ce qu'elle a refusé de faire pour notre province ; quant à moi, je voterai contre le crédit en discussion, à moins que le gouvernement ne me donne l'assurance qu'il fera à la prochaine session une proposition destinée à satisfaire aux justes réclamations des petits cultivateurs de l'Ardenne, dont je me suis fait et dont je ne cesserai de me faire l'organe dans cette chambre.

M. Magherman. - Messieurs, je ne partage pas l'opinion de l'honorable M. Julliot qui demande l'ajournement général de tout ce qui fait l'objet du projet de loi en discussion. Si parmi les dépenses il en est qu il puisse qualifier de dépenses de fantaisie, certainement elles ne méritent pas toutes cette qualificaiion. Il en est une dont l'ajournement aurait des conséquences désastreuses pour trois de nos principales provinces qui chaque année font entendre des cris de détresse pour être débarrassées des inondations.

De pareilles dépenses ne sont pas des dépenses de fantaisie. Ce sont, au contraire ; des dépenses urgentes qui ne peuvent souffrir aucune remise. (Interruption.)

Si l'ajournement proposé ne s'applique pas à cette dépense, je suis heureux d'être d'accord avec l'honorable M. Julliot.

J'aime à croire que l'utilité de cette dépense ne sera plus contestée. Elle a été décrétée par la loi de 1851, et je pense qu'on peut la qualifier la plus urgente de celles qui ont été décrétées par cette loi.

Je crois que tous les travaux décrétés par cette loi ont un caractère d'utilité générale.

Quant à l'allocaiion pour l'achèvement du canal de Schipdonck, elle se présente avec un caractère tout particulier d'urgence ; ce caractère exceptionnel résulte de ce que le travail à exécuter est, de la part du gouvernement, un acte de réparation, de justice envers ces provinces, car les inondations dont elles se plaignent sont en quelque sorte le fait du gouvernement. Cette circonstance a été signalée plusieurs fois devant cette Chambre.

Je me dispenserai de m'étendre sur ce point ; ces inondations du Hainaut, de la Flandre orientale et de la Flandre occidentale proviennent de l'élargissement de l'écluse d'Antoing et de l'abaissement du radier, consenti si malheureusement par le gouvernement à la sollicitation du gouvernement français. C'est depuis cette époque que les inondations qui affligent nos provinces se sont considérablement aggravées. C'était un devoir pour le gouvernement de réparer le mal et de tirer ces provinces de la situation désastreuse où elles se trouvent.

Je pense que la partie du projet qui concerne l'achèvement du canal de Schipdonck ne rencontrera aucune opposition dans cette enceinte. Je regrette que l'allocation demandée ne soit pas plus forte, car aussi longtemps que le canal ne sera pas achevé, l'argent employé est dépensé en pure perte, il ne produit aucun intérêt et ne donne aucun soulagement aux provinces qui se plaignent.

Ce serait peut-être ici le moment de répoudre un mot à l'interpellation de l'honorable M. Dumorlier qui a invoqué mon témoignage ainsi que celui de mon honorable ami M. Vander Donckt, à l'appui de son opinion que la dépense est inutile. Je ne partage pas cet avis de l'honorable membre ; j'ai confiance dans le projet conçu par M. Wolters, ingénieur aussi savant que modeste, et je pense que le remède qu'il a indiqué pour améliorer notre situation sera efficace. Ce n'est pas à dire que l'honorable M. Dumorlier ait complètement tort en prétendant qu'il y avait d'autres moyens de soulager la vallée de l'Escaut à moindres frais ; il a indiqué le canal de Zwynaerde à Melle et le recreusement de l'Escaut entre la porte Saint-Liévin et la porte de Bruxelles à Gand. Je crois que ce remède aurait été efficace, moins dispendieux et nous aurait soulagés plus prompiement.

Mais en présence de l'opposition surgie sur l'Escaut inférieur, de l'opposition manifestée dans cette enceinte par les honorables représentants de Termonde et autres localités situées en aval, en présence de la loi de 1851 qui décrète le canal ds Schipdonck, j ene puis que me joindre aux honorables membres, qui insistent pour la prompte exécution du canal.

J'espère que le gouvernement mettra tout en œuvre pour hâter la réalisation d'un travail qui doit porter remède à un mal aussi intense.

L'autre jour nous avons voté une loi à laquelle, à la vérité, je me suis opposé, loi qui, à mon avis, aggravera les inondations de l'Escaut supérieur. C'est un fait accompli, je ne veux pas y revenir.

Mais puisque la position de l'Escaut supérieur doit encore être empirée, il me semble qu'il est temps que le gouvernement fasse usage du crédit de 1,500,000 fr. destiné à améliorer la situation des riverains de l'Escaut, que la loi du 20 décembre 1851 a mis à sa disposition. Jusqu'ici, que je sache, ce crédit n'a guère été entamé, il doit être presque entier.

J'engage le gouvernement à en user. Il ne faut pas que la loi de 1851 reste une lettre morte dans sa partie favorable aux intérêts des riverains de l'Escaut.

J'espère que le gouvernement s'empressera d'exécuter, sur l'Escaut supérieur, tous les travaux qui ne porteront pas préjudice aux riverains de l'Escaut inférieur, qu'il le fera en tout cas dans la mesure de l'aggravation que la loi relative à la Haine doit causer aux riverains de notre fleuve.

M. Julliot. - Ce que vient de dire l'honorable préopinant prouve que ma proposition n'a pas été comprise. Je demande l'ajournement de toute la loi, sous réserve de la demande des crédits nécessaires pour remplir les engagements pris. Or pour le canal de Schipdonck il y a engagement pris pour la totalité de la somme demandée. Schipdonck est donc hors de cause en ce qui concerne ma proposition.

M. Vander Donckt. - Je ne puis admettre la proposition d'ajournement faite par mon honorable collègue M. Julliot.

L'honorable membre s'est placé à un point de vue étroit que je qualifierai de provincialisme ; il a critiqué d'une manière assez amère la présence de trois représentants de la Flandre orientale et leur influence, au sein de la section locale. Quant à l'appréciation que l'honorable membre a faite du cabinet, je ne le suivrai pas sur ce terrain ; je ne partage pas entièrement sa manière de voir à ce sujet ; le cabinet a toutes mes sympathies.

Mais quant au point de vue du provincialisme, si je devais le suivre sur ce terrain, je lui dirais que sa province, la moins importante de celles dont notre Etat est composé, qui ne rapporte que dans la proportion de cette importance, une part minime au trésor, y prend une part proportionnelle plus large que les autres provinces, eu égard à ses besoins ; c'est ce que nous remarquons dans les frais d'administration provinciale, dans ceux de l'instruction primaire et sous beaucoup d'autres rapports. Si donc les besoins de sa province sont satisfaits, l'honorable membre a mauvaise grâce à vouloir entraver l'exécution des travaux par un ajournement qui n'est pas fondé. Voilà ma réponse au discours de l'honorable M. Julliot. Il est vraiment regrettable que chaque fois que les mots de canal de Schipdonck sont prononcés dans cette enceinte, ils rencontrent la plus vive opposition de la part de quelques honorables membres. C'est surtout dans les représentants de la Flandre occidentale qu'on rencontre les opposants.

J'ose espérer que je vous démontrerai que ces honorables membres parlent contre leurs propres intérêts, que le canal de Schipdonck est fait presque exclusivement dans l'intérêt de la Flandre occidentale.

Dans la séance du 30 janvier 1851, l'honorable M. Devaux nous disait : « Il est vraiment déplorable que certaines localités ne puissent plus adresser une pétition à la Chambre sans que l'on cherche à l'instant même, sans examen, à jeter de la défaveur sur la réclamation qu'on nous adresse. » L'honorable membre faisait allusion à une pétition relative aux directeurs des wateringues etc., de Blankenberghe.

Eh bien, messieurs, je renvoie cette observation à l'adresse de notre honorable collègue M. Coppieters qui, dans la séance de samedi, a vivement critiqué le crédit demandé, et a dit en terminant qu'il émettrait un vote contraire au projet de loi qui nous est présenté.

Pour placer la question sur son véritable terrain, qu'il me soit permis de dire que la dérivation de la Lys est évidemment faîte au profit de la Flandre occidentale. La Lys, qui prend son origine en France, se déverse sur la Flandre occidentale ; car, pour la Flandre orientale, elle n'est pas même riveraine de la France.

Comme l'a fait remarquer l'honorable M. Dumorlier dans une précédente séance, ce n'est qu'après avoir parcouru, sur un espace de vingt lieues, la Flandre occidentale que cette rivière vient côtoyer la Flandre orientale, aux environs de Deynze ; et ce n'est qui sur un trajet, d'un cinquième de son parcours depuis Deynze jusqu'à Gand que la Lys parcourt la Flandre orientale.

Pour vous prouver combien cette province souffre des débordements. de cette rivière, il suffira de rappeler à votre souvenir la pétition de l'administration communale deWarnetn analysée dans la séance du 30 avril 1853 dans ces termes ;

« L'administration communale de Warneton, par sa requête du 23 janvier, a demandé le prompt achèvement du canal de Schipdonck.

« Elle vous signale le débordement de la Lys et l’inondation qui s'étendent à un kiiomètie de largeur du bord du fleuve qui, depuis quatre mois, n'est plus navigable, ce qui cause un grand préjudice aux bateliers et au commerce, que les belles prairies riveraines du fleuve seront' bientôt converties en marais improductif, que les cultivateurs ne (page 1242) voient devant eux que dévastation et ruine ; leurs terres labourables qui formaient autrefois la partie la plus fertile de ces contrées, sont converties en un vaste lac. »

Voilà, messieurs, les expressions des pétitionnaires riverains de la Lys dans la Flandre occidentale, habitant les environs de Warneton et de Comines. Il y a, messieurs, entre les représentants de la Flandre occidentale même une diversité d'opinion ; ceux de la partie nord, de cette province se plaignent de la direction du canal de Schipdonck, des inondations auxquelles il donnera lieu, des désastres qui sont à prévoir ; enfin ils ne sont nullement d'accord sur l'issue qui est indiquée ; ceux, au contraire, de la partie méridionale approuvent la construction du canal et en demandent l'exécution avec instance. N'est-il pas, évident dès lors en présence des pétitions émanant des localités riveraines de la Lys qui traverse la province de la Flandre occidentale pour les quatre cinquièmes de son parcours, que le canal de dérivation est en grande partie creusé au profit de cette province qui en portait même le nom du temps de l'empire (département de la Lys).

Tandis que la Flandre orientale ne profite de ce canal que pour autant qu'il produise à l'avenir un vide dans le bassin de Gand et favorise ainsi la chute des eaux de l'Escaut.

Et quant à la ville de Gand, la navigation s'y fera en dehors de cette ville et à son préjudice.

Examinons maintenant quels ont été les motifs qui ont donné lieu au projet primitif de ce canal.

Le projet de creusement du canal de Schipdonck a été soumis aux ingénieurs des deux provinces ; l'ingénieur en chef de la Flandre occidentale a été consulté, ainsi que celui de la Flandre orientale. Le conseil supérieur du corps des ponts et chaussées a statué sur l'affaire. Le gouvernement nous a présenté sous leur véritable jour les travaux à exécuter. Est-on, dès lors, bien fondé à venir récriminer aujourd'hui contre les plans adoptés ? C'est après une longue discussion que l'exécution de ces travaux a été ordonnée ; et cependant chaque fois qu'il s'agit du canal de Schipdonck, quelques membres de cette Chambre viennent s'opposer à l'allocation des crédits nécessaires pour l'exécution des travaux.

Il me semble, messieurs, que si les honorables membres, représentant la Flandre occidentale, ont des observations à faire, c'est avec l'ingénieur de leur province qu'ils doivent vider la querelle, et que ce n'est qu'après que l'ingénieur de la province de la Flandre occidentale viendra confesser qu'il a été induit eu erreur et qu'il a commis une faute, que la Chambre pourra être saisie des prétentions des honorables membres.

L'honorable M. Devaux nous disait encore qu'il était évident que l'issue du canal de Schipdonck était contraire aux intérêts de la Flandre occidentale. Mais, messieurs, ce n'est plus aujourd'hui que l'on doit venir nous dire cela. Ce n'est plus aujourd'hui que la Chambre peut revenir sur la décision qu'elle a solennellement prise, et qui a été proposée de commun accord avec les ingénieurs des provinces respectives, avec le concours du conseil supérieur des ponts et chaussées et de l'avis du gouvernement.

Certainement, très peu d'honorables membres dans cette Chambre prétendent posséder des connaissances locales et spéciales dans cette partie.

C'est donc en plaçant sa confiance dans les hommes compétents qui ont projeté les travaux à exécuter, que la Chambre a décrété ces travaux ; et ce n'est plus aujourd'hui, je le répète, qu'on peut ne pas vouloir donner suite à l'exécution de ces projets.

Je n'entrerai pas, messieurs, dans les détails des motifs qu'ont fait valoir des honorables membres sur les inconvénients et les dangers attachés à l'exécution de ce projet.

Mais je crois que nous devons être conséquents avec nous-mêmes et que lorsque le corps des ponts et chaussées s'est prononcé, lorsque le gouvernement a présenté le projet de loi, lorsque les Chambres l'ont adopté, nous sommes engagés à y donner suite.

Messieurs, quant à la Campine, je dois aussi présenter quelques observations à ce sujet.

D'honorables préopinants, et surtout l'honorable M. Vandenpeereboom, ont déjà fait voir qu'en réalité il y a moins de motifs pour voter ce crédit que pour accorder les autres demandes qui nous sont faites, parce qu'il s'agit de l'exécution d'un projet postérieur aux autres.

En parlant des avantages qui déjà ont été accordés à la Campine, il y a une considération toute particulière et qui domine les autres, c'est que le gouvernement fait des irrigations au profit des propriétaires de la Campine, tandis que dans d'autres localités, ces travaux sont une charge exclusive des propriétaires. Car constamment on a organisé en wateringues les diverses localités de la Flandre occidentale et de la Flandre orientale ; et pour la Campine, le gouvernement se fait lui-même irrigateur ; il fait les travaux nécessaires pour les irrigations.

M. Coomans. - C'est une erreur ; je demande la parole.

M. Vander Donckt. - Il me paraît que si c'est dans l'intérêt des propriétaires que les irrigations se font, ce sont les propriétaires qui devraient en supporter les charges ; dans le cas contraire les wateringues n'ont pas de raison d'être. Comme on l'a parfaitement bien fait observer, il ne faut pas accorder des faveurs à une localité au préjudice de l'autre.

Je crois donc que pour le crédit relatif à la Campine, il sera bon d'adopter l'ajournement, d'autant plus que l'affaire ne paraît complètement ni étudiée ni parinstruite.

J'ai dit.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - essieurs, des observations faites dans le cours de cette discussion me font un devoir de donner à la Chambre quelques explications sur notre situation financière.

Je sais gré à mon honorable collègue et ami M. Julliot de la sollicitude qu'il montre pour le trésor public, lorsque j'envisage la question sous un point de vue général. Mais je ne puis laisser la Chambre sous l'impression d'une appréciation exagérée de notre dette flottante.

J'ai fait, comme c'était mon devoir, un examen approfondi de la situation du trésor. Dans ce moment, le découvert n'est pas de vingt-six à trente millions, comme on l'a supposé ; il n'est pas même de quinze millions.

Noire encaisse est, d'ailleurs, très considérable par suite des fonds du dernier emprunt, qui restent encore disponibles. D'ici à une époque assez éloignée, il ne sera guère nécessaire d'augmenter le chiffre de l'émission des bons du trésor.

Messieurs, à la fin de cet exercice, en tenant compte de tous les crédits extraordinaires déjà votés, ainsi que de ceux qui sont encore soumis aux délibérations de la Chambre, je ne pense pas que l'insuffisance des ressources des exercices précédents et de celui qui est en cours d'exécution soit portée à 20 millions.

Quant à l'émission de bons du trésor, elle ne dépassera pas de beaucoup la moitié de ce chiffre.

Il est vrai que des demandes de crédits extraordinaires augmenteront la dette flottante dans le cours de l'exercice 1856.

Mais, à moins d'événements imprévus, les crédits demandés, ou que nous prévoyons devoir réclamer n'élèveront pas le chiffre de cette catégorie de notre dette à plus de 26 millions.

Sans doute c'est beaucoup trop, et il faudra aviser à des mesures financières pour la réduire dans une forte proportion, je le déclare d'avance. Mais il n'y a pas péril en la demeure. Il importe que la Chambre et le pays sachent bien qu'en ce moment le découvert n'est pas de 26 à 30 millions, qu'il est au-dessous de 15 millions et qu'à la fin de cette année, dans l'hypothèse que tous les crédits extraordinaires soient votés, il ne s'élèvera pas à 20 millions.

Je ne crois pas devoir entrer dans des détails de chiffres, je ne le ferais que si mon appréciation est contestée. La situation est telle que je l'indique après un sérieux examen.

M. Frère-Orban. - M. le ministre des finances nous annonce qu'à la fin de l'exercice, lorsque tous les crédits extraordinaires seront votés, le découvert ne sera que de 20 millions. Je suppose que pour arriver à ce chiffre, M. le ministre n'attribue à cet exercice que la partie des crédits extraordinaires qui sera imputable dans le courant de cette année, mais les crédits votés importent une somme supérieure.

Mais les crédits votés importent une somme considérable.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je parle des crédits votés pour être dépensés dans le cours de cet exercice.

Ainsi il est évident que je ne porte pas en compte toute la somme qui résulterait, par exemple, du vote du crédit de 9,400,000 fr. ; je n'ai égard qu'à ce qui sera imputé sur cet exercice aux termes de la loi proposée ; c'est également dans ce sens qu'il faut comprendre ce que j'ai dit de l'exercice 1856.

Je le répète, il y aura nécessité d'aviser dans quelque temps à des mesures financières, mais il n'y a pas urgence. Si nous faisions un emprunt en ce moment, il en résulterait cet inconvénient que des sommes très considérables resteraient improductives dans les caisses de l'Etat.

Déjà aujourd'hui l'encaisse est très fort et nous occasionne une perte d'intérêts qu'il importe de ne pas augmenter encore par des dispositions qui seraient prématurées.

M. Dubus. - Je n'avais pas l'intention de prendre la parole dans cette discussion, mais interpellé dans la séance de samedi par l'honorable M. Sinave, je crois devoir présenter quelques observations sur la reconstruction des siphons du Paddegat sous le canal de Bruges à Ostende.

Comme l'honorable M. Sinave, je suis convaincu que la reconstruction des siphons est une mauvaise mesure. Depuis la construction du canal de Bruges à Osrende en 1660, si je ne me trompe, c'est-à-dire depuis la canalisation de la rivière l'Yperlée, les eaux de toute la vallée située entre le hameau de Plasschendaele et la commune de Varssenaere-n'ont plus eu leur écoulement naturel.

Celui qu'on leur a donné est insuffisant, on a voulu faire évacuer les eaux par le ruisseau la Noordée, ce qui est impossible. Aussi les inondations sont périodiques, la culture en souffre et les eaux croupissantes produisent des fièvres qui font quelquefois des victimes.

Ce qu'il y a de plus étonnant dans cette reconstruction, c'est que déjà sous le gouvernement autrichien comme l'a très bien dit l'honorable M. Sinave, l'administration avait l'intention de démolir, paraît-il, les siphons et de faire un tout autre travail pour l'écoulement des eaux. Il eu fut de même sous le gouvernement français. Un habile ingénieur, le nommé Raffineau de l'Ysle, fit le projet d'un petit canal d'écoulement latéral au grand canal. Les changements politiques survenus en 1815 mirent obstacle à l'exécution de ce projet.

Je regrette donc la reconstruction des siphons parce que c'est une (page 1243) dépense inutile pour l'Etat et inefficace pour les terrains exposés aux inondations.

Cette construction n'aura pour effet que de mettre en évidence l'incapacité de certains agents de l'administration des ponts et chaussées.

Pour légitimer la demande de crédit de 21,918 fr. 85 c. pour les travaux résultant de la rupture des siphons, l'exposé contient des renseignements inexacts, et je suis étonné que des agents de l'administration des ponts et chaussées osent soumettre à la signature de M. le ministre des travayx publics de pareilles inexactitudes.

Ainsi il est dit : « Le découvert que présente cet article provient de la dépense supplémentaire à laquelle ont donné lieu les travaux qu'il a fallu exécuter au siphon du Paddegat par suite d'un accident qui, survenu dans la nuit du 12 au 13 octobre 1854, a exposé la contrée environnante à une inondation désastreuse. »

Mais une inondation très désastreuse a eu lieu sur une grande étendue de terrains et plusieurs de ceux qui en ont souffert ont adressé à M. le ministre des travaux publics des pétitions auxquelles on n'a eu aucun égard.

Plus loin l'exposé des motifs dit ; « Des efforts prompts, actifs et bien entendus ont heureusement permis de conjurer le danger ; on est parvenu à prévenir la rupture des digues du canal et à soustraire les localités riveraines à l'irruption des eaux. » Plus loin l'exposé dit encore : « Il a fallu en outre élever et jeter dans le canal les eaux qui ne pouvaient plus s'écouler par le siphon ; ce travail a été exécuté, d'abord au moyen de vis d'Archimède et ensuite à l'aide d'une machine à vapeur acquise à cet effet pour le compte de l'Etat. »

C'est encore inexact, et les efforts prompts, actifs et bien entendus consistant dans l'emploi de vis d'Archimède et dans l'acquisition, pour le compte de l'Etat, d'une machine à vapeur, ont été, en quelque sorte, d'inutiles dépenses. Ce n'est pas par ces moyens qu'on a déversé dans le canal les eaux qui ne pouvaient plus s'écouler par le siphon. On a obtenu ce résultat en mettant à sec le canal de Bruges à Ostende et en faisant une coupure dans la digue pour laisser couler dans le canal les eaux provenant de l'inondation et celles qui ne pouvaient plus passer par le siphon. Cette opération a été faite deux fois, au mois de novembre de l'année passée, et il y a environ sept semaines.

Si, comme le dit l'exposé des motifs, la dépense résultant de ces divers travaux s'est élevée, au 31 décembre 1854, à la somme de 25,300 francs, je trouve ce chiffre exorbitant, et j'engage M. le ministre des travaux publics à se faire remettre un compte détaillé de cette dépense.

Je me bornerai, messieurs, à ces observations ; j'attendrai les explications ultérieures du gouvernement.

(page 1246) M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, je commencerai par rencontrer la proposition d'ajournement, parce que c'est celle qui, d'après le règlement, a la priorité dans la discussion. Cette proposition d'ajournement est fondée sur des principes généraux tels que, s'ils étaient adoptés par l'assemblée, jamais aucune espèce de travaux publics ne pourrait plus être exécutée.

L'honorable M. Julliot appuie la proposition sur ce que les crédits qu'on vous présente comme destinés à faire face à des travaux d'utilité publique, ne seraient destinés qu'à servir des intérêts locaux, et ensuite sur ce que ces travaux ne sont payés que par des bons du trésor, c'est-à-dire par l'avenir.

Messieurs, dans un pays comme la Belgique, où les intérêts sont si divers, si variés, si on ne devait considérer comme travaux d'utilité publique que ceux qui satisfont aux besoins de toutes les parties du pays, il serait impossible d'en trouver ; mais on a toujours considéré comme d'utilité publique tous ceux qui satisfaisaient aux intérêts de grandes fractions du pays, comme les côtes maritimes, les bassins hydrographiques, les grandes voies de communication.

De plus, si nous voulions faire payer par le présent, c'est-à-dire par le budget, sans recourir à l'emprunt, tous les travaux à entreprendre, nous consacrerions un principe injuste. Les grands travaux ne sont pas destinés à servir les générations qui les entreprennent ; la plupart du temps elles n'en profitent pas, et ce qui le prouve, c'est le long laps de temps qu'il a fallu pour mener à terme la majeure partie des grands travaux. Il est donc juste de faire payer à l'avenir, c'est-à-dire à l'emprunt, les travaux qui doivent servir pour l'avenir ; il ne serait pas équitable de faire porter uniquement sur le présent une aussi lourde charge.

En outre, si ce principe était adopté, aucun travail important ne pourrait jamais être entrepris, car il est impossible de trouver dans les ressources du budget annuel des sommes aussi considérables que celles que nécessitent les grands travaux dont vous avez ordonné l'exécution.

Adopter la proposition de l'honorable M. Julliot aurait, de plus, l'immense inconvénient de laisser improductif, pendant un laps de temps considérable, les capitaux déjà engagés dans l'opération.

Vous n'ignorez pas, messieurs, que le canal de Schipdonck, par exemple, est entrepris depuis 1846 ; que, par plusieurs lois successives, vous avez voté les sommes qui y ont été engagées ; or ces dépenses ne donnent aucun résultat utile, tant que le canal n'est pas prolongé jusqu'à la mer.

Cette considération est surtout frappante, en ce qui concerne les travaux d'Ostende. Un bassin a été décrété, et l'on a commencé la digue de mer qui doit l'enceindre. Tant que ce travail ne sera pas complètement achevé, il sera exposé, pendant toutes les fortes marées, à être complètement détruit. Vous comprenez facilement que les travaux à la mer n'offrent aucune résistance tant qu'ils ne sont pas entièrement terminés.

Vous voyez donc qu'il y a, d'un côté, un capital improductif, de l'autre, un grand danger à voir anéantir le fruit des sacrifices qui ont déjà été faits.

L'honorable membre voudrait voir le gouvernement achever complètement tous les travaux commencés et n'entreprendre rien de nouveau. Mais c'est précisément le système que suit le gouvernement. Parmi les travaux auxquels doit pourvoir la loi qui est soumise à vos délibérations, que trouvez-vous, messieurs ? D'abord, le canal de Schipdonck commencé en 1846, un travail pour lequel la Chambre a toujours montré la plus grande sollicitude, et au sujet duquel on a toujours accusé le département des travaux publics de manquer de diligence.

La Chambre, à cet égard, ne lui a jamais adressé qu'un seul reproche, celui de ne pas venir assez souvent demander des fonds pour achever cet ouvrage.

Les travaux d'Ostende sont dans le même cas. Il est urgent de les continuer, sous peine de voir détruire ce qui existe déjà.

Quant aux travaux de la Campine, il ne s'agit de même que d'un complément. Les travaux ne datent pas d'hier. Le canal était considéré comme à peu près terminé. Les fonds demandés ne doivent servir qu'à en assurer une plus complète alimentation.

Vous avez engagé d'immenses capitaux pour la communication de la Meuse à l'Escaut ; vous avez décidé de plus que cette voie de communication serait utilisée pour l'irrigation. Or, ce que nous demandons aujourd'hui n'est que la continuation et le perfectionnement de ce qui existe déjà.

Dans l'état actuel des choses, aucun des deux intérêts qu'il s'agissait de sauvegarder n'est complètement servi. La navigation souffre, et l'irrigation souffre plus encore, Aucun des deux buts qu'on avait en vue n'est atteint ; l'on vous demande une somme relativement minime pour arriver à ce double résultat. Il s'agit du rendre réellement productif un instrument qui, dans l'état actuel, n'exerce pas sur la richesse nationale l'heureuse influence qu'on avait lieu d'attendre des sacrifices qu'il a déjà coûtés au pays.

Messieurs, vous n'ignorez pas, cela a été dit lors de la discussion de la loi sur les irrigations, que l'Etat s'est vu intenter des procès par des irrigateurs qui se plaignent de n'avoir pas la quantité d'eau qu'on leur aurait promise ; que, d'un autre côté, la navigation se trouve entravée parce qu'on ne parvient pas toujours à maintenir l'eau à la cote de navigation. Ici encore, vous le voyez, il ne s'agit que de continuer des travaux commencés.

Ce sont donc tous travaux entrepris depuis un temps plus ou moins long et qu'il est nécessaire de terminer ; je me trompe, messieurs, il y a un travail nouveau ; la construction d'un embarcadère à établir à Anvers pour le service des bateaux à vapeurs transatlantiques.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que la Belgique témoigne un vif désir de voir une navigation régulière à vapeur relier le port d'Anvers au continent américain. A toutes les époques, elle a consenti à de très grands sacrifices pour arriver à ce résultat qu'elle considérait comme éminemment désirable, et elle regardait presque comme une calamité publique que les efforts tentés précédemment, n'eussent pas été couronnés de plus de succès.

Aujourd'hui nous avons été plus heureux, et avec un sacrifice qu'on peut regarder comme très modéré, on est arrivé à former une compagnie solide qui, tout le fait espérer, amènera cet heureux résultat qu'on espérait depuis si longtemps. Or, une compagnie à qui on ne fait que garantir un intérêt minime, était bien en droit d'obtenir un encouragement plus considérable. Ce n'est qu'à ce titre que le département des travaux publics, sur les instances pressantes du ministre des affaires étrangères, chargé de la direction du commerce et de la marine, a consenti à demander un crédit destiné à la construction d'un quai pour la navigation transatlantique.

(page 1247) L'honorable M. Vandenpeereboom demande si la compagnie contribuera dans la dépense ; évidemment, messieurs, la dépense sera tout entière prélevée sur le trésor public, parce qu'il s'agit de quais qui sont des dépendances naturelles d'un fleuve qui, comme tel, appartient à l'Etat. Il y a d'ailleurs une question réservée, c'est celle des redevances qui pourraient être imposées à la compagnie pour utiliser l'embarcadère, quant il sera construit. A cet égard, je ne puis donner aucun renseignement ; ce point concerne le département des finances.

L'embarcadère n'étant pas encore commencé, l'administration des domaines n'a pas encore eu à s'en occuper.

Mais il n’y a pas lieu de croire que dans le cas actuel on appliquera à la compagnie dont il s'agit le régime auquel sont soumises les autres compagnies qui empruntent les quais de l'Etat soit à Anvers, soit dans les autres ports.

Un point dont on a beaucoup entretenu la Chambre dans cette discussion, c'est la reconstruction des deux siphons, au Paddegat, à établir sous le canal de Bruges à Ostende. Vous n'ignorez pas, messieurs, l'accident grave survenu à l'un de ces travaux d'art.

Comme l'a dit l'honorable M. Dubus, une rupture soudaine ayant eu lieu dans le siphon, toute la digue du canal a été menacée d'être entraînée, ce qui aurait amené une inondation effrayante dans ce pays, L'exposé des motifs dit que, grâce à des soins intelligents et empressés, on est parvenu à conjurer le malheur.

Ce document est exact en tous points ; en ce que l'inondation qui a eu lieu a été excessivement restreinte en raison de celle qu'on pouvait redouter. Quant à l'éloge, ce n'est pas à l'administration qu'il s'adresse, mais aux populations riveraines qui se sont empressées avec un dévouement incroyable à réparer tant bien que mal les dégâts survenus à la digue. Une mesure qui a conjuré en partie le danger, a été l'abaissement du niveau du canal ; quand l'état de la marée a permis d'employer ce moyen, on a ouvert les écluses de mer et le danger a été conjuré.

Il est vrai que les premiers efforts tentés par l'administration ont été infructueux pour remédier à l'inondation.

Mais je suis loin de croire que c'est parce qu'ils étaient inintelligents qu'ils n'ont pas abouti. Des circonstances exceptionnelles ont entravé les travaux de l'administration. Les pluies continuelles qui ont signalé l'arrière-saison, les neiges abondantes de l'hiver, tout en un mot a contribué à prolonger le mal.

L'honorable membre a dit que c'était une coupure à la digue du canal et l'abaissement des eaux qui avaient amené l’évacuation des eaux ; mais ce moyen a été tenté plusieurs fois ; si d'abord il n'a pas réussi, c'est parce que le vent d'ouest avait empêché la marée de descendre à une cote suffisante.

Ce n'est que dans le mois d'avril par quelques beaux jours et dans des circonstances favorables à l'abaissement de la marée que les mêmes moyens ont enfin produit un heureux résultat.

Mais ce résultat même n'a pas été dû uniquement à la coupure et à l'interruption de la navigation ; sans la machine à vapeur qui a fonctionné sans interruption, on ne serait pas arrivé au point où l'on en est aujourd'hui.

C'est à peine si l'eau avait été ramenée à sa cote ordinaire, tandis qu'elle est actuellement à 0m28 au-dessous de l'étiage.

L'accident devait être réparé ; qu'a fait l'administration ? Elle a suivi la marche ordinaire en pareil cas, elle a fait instruire l'affaire par l'ingénieur en chef, et après de mûres délibérations, le conseil des ponts et chaussées a approuvé le projet.

A l'occasion du budget de 1855, le ministre a saisi la Chambre d'une demande de crédit qui a été votée sans qu'aucune voix se soit élevée contre la construction projetée.

Le gouvernement avait donc raison de considérer la question comme vidée et de procéder à l’adjudication des travaux.

Depuis, il est vrai, il a surgi un projet qui avait pour but de supprimer les siphons et de les remplacer par une dérivation.

Il s'agissait de creuser, le long du chemin de fer ou du canal de Bruges à Ostende, une rigole qui aurait été jeter l'eau directement à la mer. Quoique le gouvernement eut à sa disposition les fonds nécessaires, il a cru cependant devoir soumettre ce projet aux intéressés.

A cet effet, et par les soins du gouverneur de la Flandre occidentale on a provoqué une réunion des représentants de toutes les wateringues intéressées dans l'exécution des travaux.

Dans cette assemblée, ces diverses associations avaient délégué leurs pouvoirs à 17 personnes toutes des plus honorables et les plus éclairées de la ville de Bruges.

Le projet de dérivation a été soumis à un examen sérieux ; et après une discussion approfondie il a été repoussé à l'unanimité.

L'administration croit avoir rempli plus que son devoir ; puisqu'elle s'est éclairée de l'avis des intéressés et qu'elle ne fait qu'exécuter une décision de la Chambre.

Ainsi après avoir, par des mesures provisoires, remédié autant que possible aux conséquences immédiates de l'accident, on s’est entouré de tous les renseignements possible p our donner au problème la meilleure solution définitive.

Quoiqu'on en dise, les vices des anciens siphons ne se reproduiront pas dans les nouveaux ; l'ouverture du débouché sera sensiblement agrandie pour permettre le passage d'une plus grande quantité d'eau et ces ouvrages seront placés à une profondeur suffisante sous le plafond du canal pour qu'ils ne soient plus pour la navigation une cause permanente de danger.

L'honorable M. Coppieters 't Wallant a adressé au projet le reproche de consacrer une injustice en ce qui concerne les travaux hydrauliques des Flandres.

D'après lui, la loi de 1851 avait, dans le principe, consacré un seul article pour le canal de Schipdonck et pour l'approfondissement de celui de Bruges.

D'après lui, il y avait connexilé entre ces deux travaux, et l'on aurait dû leur faire unstort identique.

L'honorable membre voudra bien remarquer que la position défavorable à l'approfondissement du canal de Bruges est plus apparente que réelle et que si aucun fonds n'est porté pour cet ouvrage, il n'est pas vrai que le gouvernement veuille l'abandonner ; pour le canal de Schipdonck, c'est à peine si l'allocation nouvelle suffira pour payer les engagements pris et pour continuer les travaux en cours d'exécution. Il ne s'agit d'entamer rien de neuf, mais seulement de ne pas laisser chômer les travaux.

Pour l'approfondissement du canal, au contraire, le gouvernement a à sa disposition 164,000 fr. provenant du premier crédit ; il compte les employer immédiatement ; on travaille à rédiger le cahier des charges pour procéder à l'adjudication.

. L'honorable membre ne doit pas perdre de vue qu'il s'agit d'arriver en même temps à la fin de l'un et de l'autre travail.

Or, pour le canal de Bruges les ouvrages les plus importants sont terminés, ce sont la construction de deux grandes écluses et d'un grand bassin avec quais en maçonnerie, d'un siphon et de trois ponts. _

Les travaux d'art étant terminés, les sommes qui seront ultérieurement allouées seront employées presque exclusivement en terrassements, travaux qui vont très vite et présentent moins de difficulté ; tandis que pour l'autre voie d'écoulement, il reste à faire des expropriations et des travaux d'art considérables, ce qui exigera beaucoup plus de temps.

L'honorable membre peut être assuré que l'intention du gouvernement, comme celle du pouvoir législatif, est de mener ces travaux en même temps à bonne fin.

J'espère qu'en présence de cette déclaration il voudra bien ne pas donner siote au projet de vote défavorable qu'il avait annoncé contre la loi.

(page 1243) M. Van Grootven. - Au point où en est venue la discussion, il ne me reste pas grand-chose à dire. On a critiqué, et à juste titre, la présentation tardive des crédits extraordinaires, surtout en ce qui concerne des travaux nouveaux. Comme la loi concernant le canal de Schipdonck, date non pas de 1851, mais remonte à 1846, nous avons, je pense, droit à la priorité.

Ce que je réclame, messieurs, est conforme à une décision prise par la législature il y a neuf ans.

Je désire donc savoir si M. le ministre des travaux publics veut prendre l'engagement formel de continuer les travaux du canal de Schipdonck pendant l'exercice prochain., et de demander, au commencement de la session de 1856, les crédits nécessaires pour satisfaire à notre juste et légitime exigence.

M. le président. - L'amendement suivant vient d'être déposé par M. Deliége.

« Je propose de rédiger le n°3° comme suit ;

« Elargissement de la deuxième partie de la première section, et approfondissement de la totalité de la première section. Elargissement de la tête d'écluse de Bocholt. »

M. Deliége. - Le libellé du n°3° de l'article premier a donné lieu à une erreur de la part de trois orateurs différents. C'est ainsi que l'honorable M. Vandenpeereboom a fait un long discours contre les irrigations en Campine, et que l'honorable M. Julliot a demandé l'ajournement du crédit de 300,000 fr., qui, a-t-il dit, concerne les irrigations.

Je crois pouvoir donner quelques renseignements qui donneront toute espèce d'apaisement à la Chambre.

Les termes de mon amendement sont d'ailleurs précis, ils lèvent toute espèce de doute.

L'honorable ministre des travaux publics vous l'a déjà dit, il s'agit principalement ici de l'intérêt de la navigation. Ce n'est qu'accessoirement que les irrigations profitent de la dépense qu'on vous propose.

J'ai des renseignements certains à cet égard. L'honorable M. Van Hoorebeke est inscrit sur le projet ; il pourra compléter mes renseignements s'ils ne suffisent pas.

Vous savez que nous avons dépensé des sommes assez considérables pour la construction du canal de la Campine.,Les dimensions de la première section de ce canal diffèrent entièrement de celles des autres sections sous le rapport de la profondeur et de la largeur.

La première partie de cette section est tellement étroite, que deux bâtiments se rencontrent difficilement sans se heurter, de là des sinistres.

Dans tout le parcours de la première section, l'étiage est calculé à raison d'un tirant deau d'un mètre 50 centimètres ;

Dans le restant du canal à raison d'un tirant d'eau d'un mètre 90 centimètres.

Les bateaux qui sont construits de manière à avoir un tirant d'eau d'un mètre 90 c. passent difficilement dans la première section du canal.

C'est pour obvier à cet inconvénient, pour élargir la tête de l'écluse de Bocholt et la première partie de la première section du canal de la Campine, et pour approfondir en entier la première section, que les ingénieurs ont établi le chiffre de 300,000 francs. J'ai eu le devis sous les yeux.

Il est constant qu'il ne s'agit nullement des irrigations, contre lesquelles on s'est trop élevé, mais uniquement de l'intérêt de la navigation.

Je crois pouvoir borner là mes explications, elles suffisent pour appuyer mon amendement et démontrer l'erreur des honorables membres qui ont parlé avant moi.

On est encore revenu (c'est l'honorable M. Julliot) contre la dérivation de la Meuse. Je crois, à la fin d'une session, ne pas devoir m'étendre longtemps sur ce point.

Vous savez tous l'énorme crime que le ministère de 1847 a commis.

Il y a à Liège un fleuve qui causait des inondations tous les ans et des centaines de mille francs de préjudice. (Son parcours à travers cette importante cité est de quatre kilomètres.)

Un bateau chargé pour parcourir ces quatre kilomètres, pour aller de la fonderie de canons à la chapelle du Paradis, emploie ordinairement de 8 à 9 heures ; les chevaux qui le remorquent doivent traverser plusieurs fois le fleuve avant d'arriver au terme de leur périlleux voyage.

Deux ponts placés de la manière la plus malencontreuse, ont causé la mort d'une certaine quantité de bateliers et la perte de beaucoup de bateaux ainsi que de leurs cargaisons.

Il s'est trouvé six hommes composant un ministère qui ont trouvé cet état de choses absurde et qui ont cru qu'il n'était pas tolérable dans un pays un peu civilisé. Ils ont cru qu'un parcours de cinq kilomètres doit pouvoir se faire, non en huit heures, mais en une heure.

Et comme (je vous demande pardon de cette supposition) l'état de la Meuse à Liège convenait à nos Chambres législatives, ces hommes indignes de votre confiance, ce ministère de 1847 a coalisé, a ameuté une foule d'intérêts divers et a été assez coupable pour doter la malheureuse Belgique de 100 millions de travaux publics.

Et ces 100 millions seront soldés par une légère augmentation de droit sur la bière et une augmentation de droit sur le genièvre et sur le tabac.

Les fumeurs et les consommateurs de genièvre devront payer la carte ; quel crime !

Le 14ème de la somme a été donné à la province de Liège, a été affecté aux travaux de la dérivation de la Meuse ; quelle injustice !

Le ministère de 1847 est bien coupable, la Chambre et le Sénat sont coupables !

Mais si c'était encore à faire, je crois que nous trouverions encore des ministres belges pour nous proposer les travaux que nous faisons aujourd'hui à la Meuse et une Chambre et un Sénat qui les décréteraient.

M. de Theux. - Les travaux dont il s'agit au n°3° ont pour objet de donner plus de capacité à la première section du canal de la Campine. Ils sont déjà reconnus nécessaires dans l'état actuel des choses, au point de vue de la navigation et des irrigations. Mais qu'en sera-t-il lorsque les trois sections nouvelles du canal seront achevées ? Il est évident que cette nécessité augmentera encore. Ce travail a donc un véritable caractère d'urgence. Il faut que toutes les parties du canal soient en harmonie, à l'époque de l'achèvement des travaux.

Quant aux travaux en cours d'exécution, il y a nécessité urgente. Cette nécessité a été reconnue par les honorables MM. Rogier et Van Hoorebeke. Le projet de loi de crédit de 300,000 francs a été préparé par l'honorable M. Van Hoorebeke et présenté par le ministre actuel.

Je pense donc que le jugement de trois administrations consécutives est bien suffisant pour déterminer la conviction de la Chambre.

Messieurs, la conception des canaux de la Campine est une des plus belles conceptions commerciales et agricoles.

Sous le rapport commercial, je pense que chacun est suffisamment convaincu ; et, certes, sous le rapport agricole, il ne doit plus non plus rester de doutes dans vos esprits.

Jusqu'à présent on avait cru que les landes de la Campine étaient abandonnées à une stérilité perpétuelle. Inutile, disait-on, c'était une opinion vulgaire, d'entreprendre le défrichement en grand. Messieurs, c'est précisément pour hâter ce défrichement qui ne peut être entrepris avec succès qu'en grand et qui ne peut avoir de résultat satisfaisant pour le pays, qu'entrepris en grand, que les canaux de la Campine ont reçu une double destination, celle de canaux de navigation et celle de canaux d'irrigation.

Le problème des irrigations est aujourd'hui en voie de solution. Dans mon opinion personnelle et dans celle de beaucoup d'hommes pratiques, le problème est résolu. Les canaux auront les effets utiles que le gouvernement en a attendus ; et d'ici à peu d'années les (page 1244) défrichements auront atteint des proportions qu'on n'aurait pu prévoir.

Je ne pense donc pas que pour une somme de 300,000 fr. on veuille laisser incomplète une voie de navigation aussi considérable, une voie de navigation qui s'étend de Liège à Anvers, à Turnhout, au camp, à Hasselt, et qu'on veuille abandonner le système des irrigations qu'on a tant prôné et pour lequel le gouvernement et la législature ont voulu faire des sacrifices réels en vue de l'utilité du pays.

Les défrichements, messieurs, sont appelés à donner constamment du travail à de nombreux ouvriers, non seulement pour la création des prés, mais pour leur entretien et pour tout ce qui suivra la création des prés. C'est une source abondante de travail et ce sera en même temps une source abondante de produits pour le pays.

Il serait donc déplorable de voir négliger ce travail, de le laisser inachevé, précisément lorsque le pays peut en recueillir les fruits.

On a parlé de la dépense de 885,000 fr. qui resterait à faire pour la construction du canal colateur et pour le barrage de la Meuse. Messieurs, la Chambre restera toujours libre d'apprécier l'utilité des travaux ultérieurs, si tant est que le gouvernement obtienne le consentement de la Hollande pour l'exécution de ces travaux. Mais quant à l'emploi des 300,000 fr., il sera en tous cas nécessaire, quelle que soit la solution à donner aux deux autres points tenus en réserve.

Je n'en dirai pas davantage ; car cette question a été suffisamment développée par l'honorable ministre des travaux publics et par l'honorable M. Deliége.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.