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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 1 décembre 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. de Naeyer, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Ansiau à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Plusieurs cultivateurs à Oedelem demandent que les vétérinaires non diplômés puissent continuer l'exercice de leur profession. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des industriels, négociants et propriétaires à Hensies prient la Chambre d'accorder aux sieurs Maertens, Hertog et Hoyois, la concession d'un chemin de fer destiné à relier la ville de Gand et les deux Flandres au bassin houiller de Mons.

« Mêmes demandes des industriels, négociants et propriétaires de Hainin, Boussu, Thulin, Cuesmes et Montrœul sur-Haine. »

- Même renvoi.


« L'administration communale d'Ophasselt prie la Chambre d'accorder aux sieurs Delaveleye et Moucheron la concesion d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand et Terneuzen. »

- Même renvoi


« Les membres du conseil communal de Strypen demandent l'établissement d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand, par Villerot, Ath, Nederbrakel et Sottegem, avec un embranchement sur Grammont. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Flobecq prient la Chambre d'accorder aux sieurs Moucheron et Delaveleye la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand, passant par les cantons de Flobecq, Nederbrakel, etc. »

- Même renvoi.


« Le sieur Barnick, ancien maréchal ferrant de l'armée, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Fize-Fontaine demande des modifications aux lois sur le domicile de secours. »

- Même renvoi.


« Les administrations communales de Ressegem, Herzele, Woubrech-tegem, Aygem, Burst et Sonnegem demandent la révision de la loi sur le domicile de secours. »

M. Vander Donckt. - Messieurs, la pétition dont l'analyse vient de vous être présentée est des plus importantes, sous le rapport de la qualité des pétitionnaires. Ce sont de nombreuses administrations communales du pays d'Alost qui demandent la réforme la loi sur les dépôts de mendicité et sur le domicile de secours. Ils vous exposent, qu'en présence du renchérissement des denrées alimentaires, la position financière de ces communes n'est plus tenable.

Vu l'importance de cette pétition, je prierai la Chambre d'en ordonner le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi allouant un crédit extraordinaire de 1,500,000 fr. pour mesures à prendre en faveur des classes ouvrières et indigentes.

Messieurs, je trouve encore dans le Moniteur d'aujourd'hui un arrêté royal du 28 novembre 1855 approuvant l'augmentation de centimes additionnels par 56 conseils communaux de la Flandre occidentale et de la Flandre orientale. C'est une nouvelle preuve de la position précaire de ces administrations communales. Si l'on ne prend pas des mesures dans un bref délai, il est impossible que ces administrations continuent à administrer leurs communes.

- La proposition de M. Vander Donckt est adoptée.


« Le sieur Pierre-Joseph Dieteren, cabaretier et marchand de grains à Engis, né à Schinnen (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« La députation permanente du conseil provincial du Hainaut présente des observations contre le projet de loi relatif à la révision de l'article 23 de la loi du 23 septembre 1842, et demande une augmentation des subsides de l'Etat en faveur de l'instruction primaire. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Les bourgmestres de Gedinne, Runne, Bourseigne-Neuve, Bourseigne-Vieille et Willerzies, prient la Chambre de voter les fonds nécessaires à la construction de la route projetée de Gedinne vers Hargnies. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


Il est procédé au tirage au sort des sections de décembre.


M. le président (pour une motion d’ordre). - La section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la liquidation des traitements d'attente et des traitements supplémentaires est devenue incomplète parce que M. Rousselle qui en était membre, doit la présider, en sa qualité de vice-président de la Chambre. Il s'agit de nommer un membre pour compléter cette section centrale. Comment la Chambre veut-elle que cette nomination ait lieu ?

- La Chambre décide que cette nomination sera faite par le bureau.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1856

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XI. Dépenses imprévues

Article 33

M. le président. - Nous sommes arrivés au chapitre XI, « dépenses imprévues ».

« Art. 33. Dépenses imprévues : fr. 98,490 25.

« La partie disponible du crédit porté à l'article 33 pourra être transférée, par des arrêtés royaux, à d'autres articles du même budget, si des circonstances éventuelles rendaient insuffisants les crédits alloués pour ceux-ci. »

La section centrale propose de remplacer le libellé de l'article et cette note par les dispositions suivantes :

« Art. 33. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 98,490 25.

« A dater du 1er janvier 1856, les recettes et dépenses permises par le règlement du 1er janvier 1819 sur l'administration de l'armée, seront mises en rapport avec la loi sur la comptabilité de l'Etat. »

M. Thiéfry. - Messieurs, l'amendement sur lequel vous êtes appelés à vous prononcer a déjà été adopté par deux sections centrales ; il est donc considéré par bien des membres de cette Chambre comme une nécessité, ayant une importance réelle. Pour juger de sa portée, et savoir s'il apporterait des entraves ou la moindre perturbation dans l'administration, je vais le relire :

« A dater du 1er janvier 1856, les recettes et dépenses permises par le règlement du 1er février 1819 sur l'administration de l'armée seront mises en rapport avec la loi sur la comptabilité de l'Etat. »

Toute l'erreur, dit M. le ministre, existe dans la fausse appellation de la masse.

M. le ministre se trompe, le nom qu'on lui donne m'importe peu, j'apprécie les faits, et j'examine si la comptabilité est conforme à la loi.

M. le ministre, dans la réponse qu'il m'a faite, vous a dit que toutes les recettes figuraient au budget, et que toutes les dépenses, sauf quatre abus qui out eu lieu en 25 ans, étaient toutes des dépenses nécessaires. Je crois, messieurs, que si des comptes réguliers nous étaient communiqués, nous trouverions que les abus ne se bornent pas à un aussi petit nombre, tant s'en faut.

Quoi qu'il en soit, je demanderai alors à M. le ministre pourquoi il n'adhère pas à l'amendement. Il ne s'agit pas de supprimer la moindre dépense utile ; je désire seulement que le règlement de l'administration soit mis en rapport avec la loi sur la comptabilité, c'est-à-dire que toutes les recettes et dépenses soient aux budgets. Combattre une proposition aussi juste, n'est-ce pas déclarer qu'on s'écarte de la loi ?

M. le ministre, pour prouver combien l'exécution de ce règlement mérite peu mes critiques, a fait remonter son origine au 1er février 1819 ; cependant ce mode d'administrer est plus ancien, sa véritable origine est française, là on l'appelait vulgairement la « masse noire », et il faut avouer que le premier soldat qui l'a nommée ainsi est un parrain qui a bien baptisé l'enfant ; on n'y voit pas clair, même avec le compte sous les yeux ; car d'après ce que le département de la guerre a envoyé à la cour des comptes, je défie le comptable le plus habile de pouvoir dire si toutes les recettes sont renseignées, ou si aucune dépense n'est oubliée.

Du reste, que ce règlement date de 1819 ou de l'empire, qu'est-ce que cela fait à la question ? Ou plutôt cela dit beaucoup. Nous avons l'expérience, nous savons la manière dont-on a usé de ce règlement, et c'est précisément en raison des faits accomplis que nous disons qu'il est nécessaire d'y apporter des modifications, qu'il y a une loi de comptabilité exigeant que toutes les recettes et toutes les dépenses soient portées dans le budget.

De ce que l'allocation journalière du soldat se trouve au budget de la guerre, M. le ministre prétend que toutes les recettes de la masse y figurent. Voilà, il faut l'avouer, une bien singulière manière d'argumenter. Comment ! c'est de ce budget, c'est de l'avoir du soldat qu'on retranche une partie pour former les recettes de la masse, et on vient alors dire que les recettes sont au budget. Ce sont donc des recettes qui se trouvent dans un budget de dépenses ! Cela, en vérité, n'a pas besoin réfutation.

La loi ne permet pas à un ministre d'accroître par aucune ressource particulière, le montant des crédits affectés aux dépenses de l'exercice, et pourtant afin de payer des dépenses non portées au budget, l'on forme une caisse à l'aide d'une retenue sur toutes les factures, et en ordonnant aux sous-officiers et soldats de payer leurs effets d'habillement à tel ou tel prix, selon la volonté ministérielle.

Les frais d'administration figurent aussi au budget ; or la loi de (page 130) comptabilité veut que les sommes non dépensées sur un exercice soient acquises à l'Etat.

Et M. le ministre, que fait-l-il de cet excédant ? Il le verse à la masse dont il s'agit. Cela est certainement très irrégulier, et peut-être que si cette faculté n'eût pas été accordée, on n'eût pas vu ces frais d'administration qui pendant plusieurs années n'ont été que de 323,170 fr. s'élever depuis 1852 à 375,765 : c'est une différence de plus de 50,000 fr.

Le transfert à la masse du restant disponible des frais d'administration n’est pas le seul du budget que le règlement de 1819 autorise : Le ministre a le droit de transférer également le restant disponible de la masse d'entretien, du harnachement et du ferrage des chevaux des troupes à cheval. Ses pouvoirs sont bien plus étendus encore. Voici ce que je lis dans ce règlement :

Les recettes de cette masse se composent :

« I. De tous les bénéfices imprévus qui pourront se faire au profit de cette masse, en vertu de ce règlement ou par autorisation spéciale du département de la guerre. »

Ainsi donc il suffirait d'une autorisation spéciale du ministre et dont nous pourrions ne pas avoir connaissance, pour transférer à la masse tels bénéfices qu'il ferait sur son budget.

Eh bien, je le demande, ce règlement n'est-il pas en opposition avec la loi de comptabilité ? N'est-il pas nécessaire de le mettre aujourd'hui en rapport avec cette loi ?

Quand aux dépensae, je le répète, je n'en veux supprimer aucune dont l'utilité est reconnue, mais pour toutes, il doit y avoir un crédit au budget et il n'en existe pas un seul.

Je ferai ici remarquer à la Chambre que si j'ai signalé trois ou quatre abus, ce n'a été que forcément, et uniquement pour vous convaincre, messieurs, que mes observations étaient fondées.

Il semblerait, d'après M. le ministre, que je n'ai pas bien apprécié les motifs qui ont engagé plusieurs de ses prédécesseurs à puiser dans la masse, pour couvrir des déficits provenant de faux. Je n'ai jamais voulu, par des motifs de délicatesse, faire connaître les circonstances qui ont été causes de ces déficits. Je me bornerai à dire que quand une caisse est confiée à trois personnes, qui ont chacune une clef, si l'argent disparaît de la caisse, ces trois personnes en sont responsables. Si le gouvernement envoie des mandats à une administration composée de trois personnes, et si le montant n'en est pas versé dans la caisse, ces trois personnes en sont responsables.

Que M. le ministre de la guerre veuille bien demander à son collègue des finances, qui comblerait un déficit provenant de la négligence d'un receveur ? Il pourrait, par des exemples récents, lui faire voir que les plus hauts fonctionnaires de son département ne sont pas exempts de cette responsabilité.

J'ai cité la dépense faite pour la table d'officiers de grenadiers, parce que M. le ministre de la guerre l'a indiquée dans la note remise à la cour des comptes, et quoiqu'il en dise, il fallait, selon l'engagement pris envers la Chambre, qu'il y eût annuellement au Moniteur un arrêté royal autorisant le payement. Et nous savons tous, messieurs, que d'autres sommes avaient été payées, il y a peu de temps encore, sans arrêté royal, et en dehors de ce qui est permis par le règlement de 1819.

Au surplus, je citerai encore un seul fait pour prouver que non seulement le contrôle de la cour des comptes est inefficace, mais que ses décisions ne sont pas même toujours respectées.

Personne n'ignore que la cour des comptes apporte dans ses pénibles fonctions autant de justice que de fermeté. Eh bien, j'ai ici une lettre signée par le général Evain ; c'est un ordre de payer sur la masse des recettes et dépenses imprévues une somme de 259 fr. 59 c. qui avait été rayée par la cour des comptes. Je suis loin de croire que M. le ministre se permettrait un acte semblable ; cependant, il conviendra avec moi que cela est toujours possible, tandis qu'en se conformant à la loi sur la comptabilité, cet abus ne saurait se produire.

Lorsque M. le ministre envisage les conséquences de l'adoption de l'amendement, il dit qu'il ne sait si les soldats y gagneraient grand-chose ; c'est ce que nous allons voir :

Une des dépenses principales figurant au compte de 1853, est le transfert de la dette laissée à la masse d'habillement par les hommes rayés des contrôles ; elle s'élève à 23,948 francs. Je suis persuadé que ce sont pour la plupart des dettes de 10 à 15 francs.

Eh bien, si le soldat ne peut pas s'acquitter, c'est qu'on lui fait payer ses effets trop cher. J'ai examiné avec attention ce qu'il a payé en trop sur quelques objets.

J'ai trouvé fr. 2 00 en plus sur sa capote, 1 55 pour sa tunique, 1 00 pour son pantalon de drapn 87 c. pour sa veste, fr. 1 00 pour son shako. C'est fr. 6 42 sur ces cinq articles.

Ajouter, à ces petites sommes tout ce que le soldat paye encore en plus pour ses chemises, caleçons, pantalons de toile et vingt autres objets, et vous direz avec moi, messieurs, qu'un des moyens de diminuer les dettes des hommes, est de leur donner leurs effets pour le prix réel qu'ils coûtent,

M. le ministre de la guerre a terminé son discours en prévenant la Chambre que si l'amendement était adopté, il serait obligé de demander une somme nouvelle de 190,000 francs.

Je remercierai d'abord M. le ministre de l'importante réduction qu’il vient d'opérer. D'après ce qu'avait dit M. le commissaire du Roi dans cette enceinte, en mai 1853, le nouveau crédit devait s'élever à plus de 320,000 fr., aujourd'hui ce n'est que 190,000 fr. J'ai dû aussi, de mon côté, envisager les conséquences financières et je suis arrivé à un résultat plus satisfaisant encore.

Le département de la guerre a envoyé à la cour des comptes le tableau des recettes et dépenses de la masse, pendant l'année 1853, c’est le seul document que nous ayons à ce sujet.

Les dépenses s'élèvent à fr. 116,213.

Il y a à en déduire celles qui n'auraient pas dû être faites, et celles pour lesquelles il y a un crédit ouvert au budget ; c'est là, messieurs, un abus d'un autre genre que ceux auxquels on a fait allusion. Ces dépenses s'élèvent à fr. 18,088

Il reste donc à trouver des ressources pour fr. 98,124.

J'ai examiné si le budget ne renfermait pas un article sur lequel les dépenses pouvaient être imputées ; j'ai remarqué que l'article 33, comprenant les dépenses imprévues, s'élevait à fr. 98,490, et que pendant les six dernières années la moyenne des dépenses réellement faites avait été de fr. 9,077

On peut raisounnblfment admettre que les dépenses imprévues de 1856 ne dépasseront pas cette moyenne ; il resterait, par conséquent sur l'article 33, une somme disponible de 89,413 et les ressources nouvelles seraient réduites à fr. 8,711.

Je suppose d'ailleurs qu'il faille réellement 190,000 fr. : mais M. le ministre ne dit pas que d'autre part d'importantes recettes viendront compenser cette augmentation. L'on n'aura effectivement qu'à pourvoir au déficit provenant de l'abolition des 2 p. c. et du bénéfice qu'on réalise sur la vente de l'habillement au soldat.

L’exposé des faits vous a tous convaincus, messieurs, que l'existence de la masse des recettes et dépenses imprévues est une chose illégale ; cela est incontestable. Tous aussi, vous savez maintenant que les recettes de cette masse sont réalisées par des moyens que nous ne saurions en conscience sanctionner par un vote approbatif. Il est encore un autre fait bien prouvé, c'est que malgré tous les efforts des membres de cette Chambre, nous ne sommes pas encore parvenus à avoir un compte régulier des dépenses.

Toutefois, je crois pouvoir dire, sans blesser l'amour-propre de que ce soit, qu'il y a très peu de membres dans cette Chambre qui connaissent parfaitement la comptabilité militaire, et que la plupart d'entre vous auraient de la peine à en comprendre le mécanisme au milieu de ces mille détails étrangers qui embrouillent la question. Vous pourriez craindre, quoique je sache bien le contraire, qu'il ne surgisse des inconvénients par une comptabilité trop compliquée, car M. le ministre vous a présenté à cet égard un tableau effrayant des formalités à remplir pour les plus minimes dépenses. Je désire que les membres auxquels je fais allusion soient éclairés par une autorité que personne ne récusera, et je propose de demander l'avis de la cour des comptes.

Je ne terminerai pas sans faire remarquer à la Chambre combien j'ai apporté de patience et de modération pour atteindre un but que tout le monde doit désirer.

En 1849, je me suis reposé sur l'engagement pris par le ministre de la guerre, de ne plus faire de dépenses sur cette masse en dehors du règlement, sans arrêté royal inséré au Moniteur.

Ayant appris que des dépenses illégales avaieut eu lieu, j'ai fait des nouveaux efforts en mai 1855. On a promis alors le dépôt du compte annuel à la cour des comptes et je me suis déclaré satisfait.

J'apprends, en mai 1855, que l'on se borne à remettre une simple note à la cour des comptes, et je présente l'amendement qui vous soumis aujourd'hui.

M. le ministre des finances vient me prier de le retirer, en me disant qu'on aviserait lors du budget de la guerre. J'y consens immédiatement avec la persuasion que cette affaire serait enfin régularisée. Trompé dans mon attente et esclave de mon devoir, force m'est de reproduire cet amendement. Eh bien, pour vous prouver, messieurs, combien ma conviction est profonde, et intimement persuadé qu'on arrivera à un résultat qui satisfera tous les membres de cette Chambre, je propose de demander l'avis de la cour des comptes, elle donnera tous les éclaircissements nécessaires et vous saurez si mettre le règlement de l'administration de l'armée en rapport avec la loi de comptabilité, c'est entrer dans le dédale d'écritures dont M. le ministre vous a parlé hier.

M. Jacques. - Avant de prendre la parole, je désirerais savoir si l'honorable M. Thiéfry consent à retirer son amendement du budget actuel, en attendant l'avis de la cour des comptes. S'il y consent, il inutile que j'entre dans des explications.

M. Thiéfry. - C'est la conséquence de ma proposition. Ce que je désire, M. Jacques, c'est que la Chambre soit éclairée ; la cour des comptes aura ici une autorité que je regrette de ne pas avoir eue dès qu'aujourd'hui.

M. Jacques. - Je me bornerai alors à dire quelques mots. Je crois que je n'ai pas besoin d'étre éclairé pour savoir dès maintenant que la (page 131) loi sur la comptabilité n'est pas du tout violée par la manière dont la masse des recettes et dépenses imprévues est traitée. La loi sur la comptabilité contient deux articles que l'on peut invoquer pour cet objet, les articles 16 et 24.

L'article 16 reconnaît que la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues, qui est instituée par le règlement de 1819 sur l'administration de l'armée, n'est pas illégale. Car cet article 16 fait une exception. Voici comment il s'exprime :

« Les ministres ne peuvent faire aucune dépense au-delà des crédits ouverts à chacun d'eux.

« Ils ne peuvent accroître par aucune ressource particulière le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services respectifs »

Or M. le ministre de la guerre a très bien expliqué dans la séance d’hier qu’il ne grossissait pas le montant des crédits qui étaient mis à sa disposition ; qu’il ne fait qu’appliquer, d’après les règlements, les crédits alloués pour la solde des troupes. C’est sur la solde des troupes en effet que toutes ces dépenses se font. Il vous a expliqué que la solde des troupes se divise en deux parties : l’une versée au ménage de la compagnie, et dont il est rendu compte tous les cinq jours, en distribuant l’excédant aux soldats sous le nom de deniers de poche. L’autre versée à la masse d’habillement et dont le règlement a lieu à la fin de l’année, au profit de la masse des recettes et des dépenses extraordinaires et imprévues, de manière que la principale recette de cette masse appartient aux soldats et provient d’une retene sur leur solde.

Les autres recettes de cette masse font l'objet de l'exception prévue par l'article 16 de la loi de comptabilité.

Voici ce qu'on y lit. : « Il est également fait recette sur l'exercice courant de la restitution au trésor des sommes qui auraient été payées indûment ou par erreur, sur les ordonnances ministérielles et généralement de tous les fonds qui proviennent d'une source étrangère aux crédits législatifs, sauf les exceptions déterminées par les règlements sur l'administration de l'armée et relatives aux ventes de fumier dans les corps de troupes à cheval, des objets d'habillement et d'équipement hors de service dans les corps des diverses armes et des approvisionnements sans destination, par suite de mouvements inopinés de troupes, sur le pied de guerre. »

Vous voyez donc que cette exception, déterminée par les règlements de l'année, est reconnue par la loi de comptabilité elle-même, qu'ainsi cette caisse des recettes et dépenses imprévues n'est pas contraire à la loi de comptabilité. Seulement à cette caisse doit s'appliquer l'article 24 de la loi de comptabilité. Voici ce que porte cet article 24 :

« Tous payements ou restitutions à faire en dehors des allocations pour les dépenses générales de l'Etat ont lieu sur les fonds spéciaux et particuliers institués pour les services qu'ils concernent, jusqu'à concurrence des recouvrements effectués à leur profit ; les recettes et les dépenses de cette catégorie sont renseignées par ordre, dans les budgets et dans les comptes ; elles se régularisent dans la comptabilité de la trésorerie, sous le contrôle de la cour des comptes. »

Ainsi, l'ensemble des articles 16 et 24 de la loi de comptabilité justifient complètement la manière dont se tient dans chaque régiment la caisse des recettes et dépenses imprévues L'existence de cette caisse est reconnue légitime par l'exception portée à l'article 16 de la loi de comptabilité et le régime à suivre est déterminé par l'article 24. Seulement pour qu'il fût satisfait entièrement à la loi de comptabilité, il faudrait d'après l'article 24 qu'il fût fait mention des recettes et des dépenses de cette caisse au budget des recettes et dépenses pour ordre. Il n'y a absolument rien à changer de ce chef au budget de la guerre ; c'est au budget des recettes et dépenses pour ordre que cet objet doit figurer, absolument comme on y fait figurer la masse d'effets d'habillement de la douane. Cela pourra être régularisé au budget de 1857 ; le budget des dépenses pour ordre de 1856 étant déjà voté par la législation.

Je crois, messieurs, ne pas devoir pousser plus loin ces observations ; elles suffisent pour mettre la Chambre sur la voie, pour lui faire comprendre que ce qui se fait au département de la guerre pour la caisse dont il s'agit n'a rien de contraire à la loi de comptabilité.

M. Coomans. - Je n'ai qu'un mot à dire de la motion de M. Thiéfry. Un corps souverain comme le nôtre peut, sans déchoir, doit même souvent, demander des renseignements, des éclaircissements sur des faits ; mais je doute qu'il soit de la dignité de la Chambre de demander à un corps inférieur ou à qui que ce soit, si la loi est ou non observée, cette seule considération suffira pour me faire voter contre la motion de l'honorable M. Thiéfry, si, comme j'ai cru le comprendre, elle tend à demander l'avis de la cour des comptes sur la légalité des opérations. (Interruption.) Si ce n'est point là la portée de la motion de M. Thiéfry, j'avoue que je n'y comprends rien.

M. de Perceval. - La question de la masse noire soulevée par l'honorable M. Thiéfry devient tellement obscure que je n'y vois plus clair du tout.

Que veut maintenant l'honorable membre ? Maintient-il l'amendement qu'il a déposé en section centrale et à l'appui duquel il a prononcé hier un discours ? Ou le retire-t-il aujourd'hui et le remplace-t-il par un autre amendement ? Fait-il aujourd'hui une nouvelle proposition ? Je désire que l'honorable M. Thiéfry s'explique, car je ne puis considérer comme un amendement réel le renvoi pur et simple de cet objet à l'examen de la cour des comptes.

Je demande donc à mon honorable collègue si le premier amendement présenté par lui en section centrale est retiré oui ou non ? J'ai besoin d’une réponse catégorique de sa part ; car jusqu'ici, ne le connaissant point, je ne puis ni le combattre ni l'appuyer.

M. Moreau. - Messieurs, déjà dans la dernière session, j'ai défendu l’amendement présenté par mon honorable ami M. Thiéfry, parce que je croyais qu'au département de la guerre, on ne se conformai pas à la loi organique de la comptabilité de l'Etat, et, malgré le discours de l'honorable ministre de la guerre, je persiste dans mon opinion.

Je n'examine pas et je ne veux pas examiner si, en fait, la marche suivie au ministère de la guerre présente des avantages, si elle est utile, favorable ou non aux intérêts du trésor, mais je me suis demandé si ce mode de procéder était légal, s'il était conforme à la loi, et je n'hésite pas à répondre négativement, malgré les observations que vient de vous présenter M. Jacques ; cet honorable membre a soutenu que ce qui avait lieu au département de la guerre ne violait pas la loi de comptabilité. Mais s'il prétend que le mode d'opérer ne viole pas l'article 16, il avoue qu'il est contraire à l'article 24, puisqu'il demande qu'on fasse figurer les recettes et les dépenses dont il s'agit au budget des recettes et dépenses pour ordre.

Quant à l'article 16, il ne l'a pas lu en entier ; si cet article contient une exception concernant des recettes autorisées par les règlements militaires, il indique formellement qu'il ne s'agit que des recettes provenant de la vente du fumier dans les corps de troupes à cheval et de quelques autres objets y désignés ; or, l'exception, ce me semble, confirme la règle.

Quant à moi, il est évident qu'au département de la guerre on fait des recettes, des dépenses qui ne sont pas comprises dans les budgets, qu'on y manie des deniers appartenant, si on le veut, même à des tiers.

Peu importe le nom qu'on donne à la caisse, soit qu'on l'appelle masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues, soit qu'on la nomme masse générale des sous-officiers et soldats, il n'en est pas moins vrai qu'il y a recettes, qu'il y a dépenses, et, par conséquent, maniement de deniers. Les recettes de cette masse se composeront, etc., les dépenses à imputer à cette masse seront, etc., porte l'arrêté de 1819. C'est donc la chose qu'il faut considérer plutôt que le nom.

Or, ce règlement de 1819 n’est plus en harmonie avec la loi sur la comptabilité du 15 mai 1846 ; il ne peut, par conséquent, lui survivre ; c'est ce que vous a déjà démontre l'honorable M. Thiéfry.

Aux termes de l'article 16 de cette loi, les ministres ne peuvent faire aucune dépense au-delà des crédits ouverts à chacun d'eux, ils ne peuvent accroître par aucune ressource particulière le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services effectifs, et cependant c'est ce qui a lieu au ministère de la guerre, oa y fait des dépenses en dehors des crédits, on accroît le montant des crédits accordés par la retenue de 2 p. c. par exemple, sur les contrats d'adjudication.

De plus, en conformité de l'article 24 de la même loi, et ici je suis d'accord avec l'honorable M. Jacques, tous payements ou restitutions à faire en dehors des allocations pour les dépenses générales de l'Etat ont lieu sur les fonds spéciaux et particuliers institués pour les services qu'ils concernent, etc., et les recettes et les dépenses concernant ces fonds spéciaux doiveut être renseignés pour ordre dans les budgets et les comptes.

Eh bien, au ministère de la guerre, il y a des fonds spéciaux, et cependant ils ne sont renseignés nulle part.

Ces sommes, dit-on, figurent implicitement au budget de la guerre à l'article solde ; c'est-à-dire qu'ils y figurent en partie, mats ils ne reçoivent pas en réalité la destination qui y est indiquée, une partie notable en est distraite pour former un fonds spécial, une caisse destinée à payer des dépenses non prévus dans les budgets ; or, c’est là ce que défend la loi sur la comptabilité.

C'est, messieurs, ce qu'a compris le département des finances ; là aussi on fait des retenues sur les traitements des douaniers, pour payer les habillements qu'on distribue à ces employés ; n'est-ce pas là une retenue analogue à celle qui s'effectue au ministère de la guerre sur la solde des soldats et sous-officiers ? Mais le ministre des finances a soin de porter le fonds spécial créé par ces retenues au budget des recettes et des dépenses pour ordre.

Pourquoi le ministre de la guerre n'agit-il pas comme son collègue des finances ? Pourquoi ne suit-il pas la marche légale, régulière adoptée par le département des finances ?

Du reste, messieurs, en appuyant l'amendement de l'honorable M. Thiéfry, mon intention n'est pas d'entraver la marche de l'administration de la guerre.

Je comprends qu'un changement trop subit dans la comptabilité peut présenter des inconvénients, et que, dans la pratique, des difficultés, que nous ne pouvons prévoir, peuvent surgir.

Ce que je désire seulement, c'est que l'on se conforme à la loi de comptabilité, ou qu'au besoin on la modifie, s'il nous est démontré que, dans l'intérêt de l'armée ou du trésor, cela est nécessaire. Je crois donc que nous agirions avec prudence en renvoyant en quelque sorte à la cour des comptes l'amendement de l'honorable M. Thiéfry, et en lui demandant un rapport sur les questions qu'il soulève et qui s'y rattachent. Il n'y a là rien d'insolite.

La Chambre a déjà fait la même chose, il y a quelques années, en ce qui concerne le chemin de fer ; on a consulté alors la cour des comptes comme on veut le faire aujourd'hui. Nous pouvons donc suivre ce précédent.

(page 152) M. le président. - Voici l'amendement que M. Thiéfry vient de faire passer au bureau :

« La cour des comptes sera invitée à présenter un rapport sur les moyens de mettre les recettes et dépenses permises par le règlement du 1er février 1819 sur l'administration de l'armée en harmonie avec la loi sur la comptabilité de l'Etat. »

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - L'amendement de l'honorable M. Thiéfry, modifié comme il vient d'en être donné lecture, suspendrait la discussion du budget de la guerre. Il serait impossible de continuer cette discussion avec les prémisses posées, et le vote serait ajourné à plusieurs mois.

M. Thiéfry. - Non ! non ! cela n'entravera pas le vote du budget.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Alors le budget se présentait sans amendement ?

M. Thiéfry. - Oui, sans amendement.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Dans ce cas je pourrais m'abstenir de continuer la discussion ; toutefois sans revenir sur le fond, je désirerais rectifier en peu de mots quelques-unes des objections de l'honorable M. Thiéfry. (Parlez ! parlez !)

L'honorable membre a prétendu établir une sorte de similitude entre la masse noire française et la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues de Belgique ; il a dit que le règlement de 1819 n'était pas nouveau, qu'il n'était que la reproduction de ce qui se faisait en France. Je dis, moi, que l'honorable M. Thiéfry est complètement dans l'erreur.

Je n'ai pas ici le règlement français, mais j'ai une base certaine pour faire cette affirmation : c'est qu'en France, et l'honorable M. Thiéfry le sait aussi bien que moi, le système d'habillement est tout à fait différent ; on n'y achète pas d'étoffes pour le compte du soldat ; on n'y confectionne pas d'effets pour la troupe ; donc on ne peut pas faire de retenue de 2 p. c, ni modifier le prix des effets, selon la moyenne des tarifs annuels.

Il n'y a pas d'analogie, je le répète, entre la prétendue masse noire française et la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues en Belgique.

L'honorable membre s'est étonné de l'augmentation des frais d'administration et il a attribué cette augmentation à la facilité donnée au ministre de la guerre de transférer le solde créditeur au bénéfice de la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues. Je ferai observer à l'honorable membre que ce n'est pas là le motif qui a fait augmenter les frais d'administration. Cette augmentation est le résultat de celle de l'effectif de l'armée, de celle des corps et des bataillons.

Je lui ferai observer, en outre, que si le solde créditeur est absorbé par la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues, le solde débiteur est porté à sa charge, et je prierai l'honorable membre de relever le compte des dix années précédentes. Il verra que piesque toujours le solde débiteur a été supérieur au solde créditeur.

C'est au surplus une guerre à mort faite non pas au ministère, non pas au budget, je dirai même non pas au ministre, c'est à un règlement d'administration. Eh bien, ce règlement, l'honorable M. Jacques vient de vous prouver tout à l'heure qu'il était non seulement légal, mais encore parfaitement reconuu par ceux qui ont concouru à faire la loi de comptabilité dont on a parlé si souvent.

Cette loi, en posant dans son article 16 une exception pour le fumier dans la cavalerie et pour les vieux effets dans tous les corps de l'armée, a par là même reconnu que les autres éléments qui constituaient la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues élaieni mentionnés au budget à l'article solde, puisqu'on n'en a pas parlé. (Interruption.)

Cela est évident ; le fait est positif. L'honorable M. de Smedt, qui était rapporteur de la loi de comptabilité, s'expliquait en ces termes : (M. le ministre donne lecture de ce passage.)

Messieurs, quant aux autorisations spéciales dont a parlé l’honorable M. Thiéfry, et qui lui ont fait redouter des abus effrayants, je vais en citer un exemple de nature à rassurer la Chambre sur l'emploi qui a été fait de ce genre d'autorisation. La Chambre m'excusera si je cite, un fait qui m'est personnel, à l'appui d'une argumentation qui a pour but de l'éclairer.

En 1843 la musique du régiment que j'avais l'honneur de commander eut l'occasion de rendre hommage à un souverain étranger en lui donnant une sérénade. Le lendemain, l'auguste voyageur fit remettre, pour le corps de musique, une somme de 50 pièces d'or. Eh bien, 48 heures après je reçus du ministre de la guerre l'autorisation de la verser dans la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues. Evidemment ce n'était pas là un abus qui tournait au détriment de l'Etat ou à la ruine du soldat.

C'est à peu près la seule mesure de ce genre dont j'aie souvenance, et le seul produit extiaordinaire qui soit arrivé à la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues.

L'honorable membre, revenant sur les quatre ou cinq abus (car je pose en fait qu'il n'y en a pas eu d'autres) qui ont été signalés et dont j’ai reconnu moi-même l'irrégularité, est revenu aussi sur la responsabilité des officiers qui, selon lui, auraient dû pourvoir au déficit ; il a dit que des caisses confiées à trois personnes engageaient la responsabilité de ces mandataires ! Mais j'aurai l'honneur de lui faire observer que jamais aucun déficit n'a été constaté dans les caisses à trois clefs auxquelles il vient de faire allusion. Ces déficits n'ont en d'autre cause que l'infidélité de comptables imposés à leurs chefs et qui ont employé jusqu'au faux pour tromper leur surveillance.

M. Thiéfry. - Je parle de sommes qui ont disparu de la caisse des corps et non pas de la caisse des quartiers-maîtres.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je n'ai aucune connaissar d'un fait de ce genre ; il me paraît douteux qu'il ait pu se produire. Quoi qu'il en soit, je n'admets pas que l'orateur puisse argumenter ce qui se passe dans l’administration des finances pour imposer une responsabilité pécuniaire aux autorités militaires. Il me semble qu’à cet égard encore l'honorable M. Thiéfry ne possède pas des renseignements complètement exacts. Je n'ai jamais appris que l'inspecteur ait payé pour le receveur en fuite. J'ai eu connaissance de déficits survenus dans des caisses de l'administration civile et je ne pense pas qu'il soit d'usage de faire supporter ces déficits par ceux qui étaient chargés de l'inspection ou du contrôle.

M. Frère-Orban. - Cela dépend des circonstances. S'il y a faute, oui ; s’il n'y a pas faute, non.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Quand un officier comptable enlève la somme qui lui est confiée pour les besoins courants, la faute n'en peut être imputée à l'administration supérieure. Si cet officier produit des pièces fausses, des signatures fausses, la surveillance devient impossible par force majeure, et dans ce cas encore on ne peut en faire un grief à l'administration supérieure. Eh bien, qu'a-t-on fait lorsque des malversations se sont produites ? Je ne faisais pas alors partie du ministère, je n'ai pas à me disculper, car je ne défends ici que l'intérêt de la vérité.

On a examiné jusqu'à quel point la responsabilité du conseil d'administration était engagée et on a fait subir à ce conseil une part des conséquences de la faute, c'est-à-dire que chacun de ses membres a payé une part du déficit proportionnelle à l'étendue de sa responsabilité, que le reste a été liquidé par la masse des dépenses imprévues.

Je reconnais qu'on a eu tort. Le ministre aurait dû dire franchement à la Chambre : une malversation a été commise malgré la plus stricte surveillance, je viens demander un crédit extraordinaire pour faire face au déficit.

Afin de pouvoir citer un cinquième abus, l'honorable M. Thiéfry a dû évoquer l'ombre du général Evain. Je regrette qu'un nom propre ait été prononcé ; jusqu'ici on s'en était abstenu.

Mais, comme en définitive il n'est question que de 259 fr., je pense que la Chambre me saura gré de ne pas insister sur un fait d'ausi minime importance et dont il n'indique, d'ailleurs, ni l'origine, ni les circonstances.

L'honorable M. Thiéfry a contesté la nécessité de majorer d'une somme de 190,000 fraucs le budget actuel, dans le cas où l'on supprimerait la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues. Il s'est appuyé sur le compte de 1852, qui est inférieur à cette somme.

J'aurai l'honneur de lui faire remarquer qu'en 1852 le compte est resté eu dessous de 190,000 francs parce qu'il n'y a pas eu de classe de milice congédiée.

M. Thiéfry. - C'est l'exercice 1853.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Il n'y a pas eu de classe congédiée en 1853.

J'ai établi ma moyenne sur dix années. C'est, au surplus, un détail de peu d'importance. (Interruption.) Eh bien, précisément, il ne peut pas y avoir d'autre déficit que celui qui résulterait d'une diminution de revenu : or nous n'avons pas d'autres sources de revenus que les 2 p. c. prélevés sur les comptes des fournisseurs, la différence sur les fournitures et la vente des vieux effets, qui comporte annuellement quelques milliers de francs seulement.

Pour peu que la Chambre le désire, je donnerai lecture du compte de 1854, que j'ai fait établir récemment, bien que l'exercice ne soit pas encore entièrement clos.

M. Thiéfry. - Puisque M. le ministre accepte mon amendement, nous pourrions attendre le rapport de la cour des comptes. Lorsque nous aurons ce rapport, nous serons pont-être parfaitement d'accord, M. le ministre et moi.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - J'accepte l'amendement pourvu que mon budget reste intact pour 1856.

M. Thiéfry. - Je ne propose pas d'en retrancher un centime.

- La proposition de M. Thiéfry est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Nous avons maintenant l'amendement de la section centrale qui consiste à rédiger l'article 33 comme suit :

« Dépenses imprévues non libellées au budget » et à supprimer la note portant : « La partie disponible du crédit porté à l'article 33 pourra être transférée, par des arrêtés royaux, à d'autres articles du même budget si des circonstances éventuelles rendaient insuffisants les crédits alloués pour ceux ci. »

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Il doit être bien entendu que le budget reste exactement tel que je l'ai proposé, sans aucune modification.

M. Thiéfry. - D'après le budget il est permis d'employer le crédit de l'article 33 a des dépenses prévues par d'autres articles. D'après la proposition de la section centrale, au contraire, on ne peut imputer sur l'article 33 que des dépenses non libellées au budget.

(page 135) M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je ne puis pas me rallier à l’amendement. J'ai déclaré d'avance que je ne pouvais accepter la proposition de M. Thiéfry qu'à la condition expresse que le budget resterait intact.

Je citerai, à l'appui de mon refus, un des inconvénients qui résulteraient de l'adoption de l'amendement.

Il s'est produit dans le public quelques critiques sur la manière dont se font les examens dans un de nos établissements ; désirant tenir compte de ce que peuvent avoir de fondé ces critiques, je me propose d'examiner s'il ne conviendrait pes de faire faire dorénavant les examens par des personnes entièrement étrangères, non seulement à l'établissement dont il s'agit, mais encore aux établissements qui s'occupent de parties d'enseignement similaires.

Cette disposition entraînera quelques dépenses nouvelles ; mais je n'ai pas cru devoir en faire l'objet d'un amendement, eu égard à la destination spéciale de l'article « dépenses imprévues » ; le chiffre de cet article a, d'ailleurs, été fixé à 100,000 fr. pour éviter d'augmenter certains autres articles du budget.

Si, donc, j'acceptais la proposition de la section centrale, tout le budget devrait être remanié. Il a fonctionné très bien jusqu'à présent parce que la ressource dont l'honorable membre désire la suppression donne au ministre la latitude d'introduire dans le budget la plus grande économie. Si au contraire la proposition de la section centrale était adoptée, beaucoup d'articles du budget devraient être majorés. Je ne puis donc pas, je le répète, me rallier à cet amendement.

M. Manilius. - Il me semble, messieurs, que nous sommes tous d'accord, que nous sommes convenus, par suite de la déclaration primitive de M. le ministre de la guerre, de voter le budget sans rien décider relativement à la question de comptabilité qui a été remise à l'appréciation de la cour des comptes. La cour des comptes doit nous faire un rapport, et lorsque nous serons saisis de ce rapport, si la cour des comptes n'a pas ses apaisements, nous discuterons ; si, au contraire, elle déclare qu'elle a ses apaisements, tout sera dit. (Interruption.)

- L'amendement de la section centrale est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article 33 est adopté tel qu'il a été propose par le gouvernement.

Chapitre XII. Gendarmerie

Article 34

« Art. 34. Traitement et solde de la gendarmerie : fr. 1,839,500. »

M. Coomans. - Messieurs, la solde de la gendarmerie est bien faible. Elle est notoirement insuffisante dans les circonstances où nous nous trouvons, en présence de la cherté des vivres. Dans la section centrale chargée d'examiner le crédit destiné aux employés inférieurs de l'Etat on a émis le vœu que les gendarmes ne fussent pas compris dans la répartition de ce crédit, afin de ne pas diminuer la part des employés proprement dits. Je demanderai au gouvernement s'il n'entre point dans sa pensée de faire quelque chose en faveur des gendarmes.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - J'aurai l'honneur de faire connaître à la Chambre qu'un travail est préparé dans les bureaux du ministère de la guerre, afin de demander à la législature une majoration de solde pour différentes armes. La gendarmerie est comprise dans ce travail.

- L'article 34 est mis aux voix et adopté.

Vote de l'article unique et sur l’ensemble du projet

« Article unique. Le projet de loi de budget du ministère de la guerre est fixé, pour l'exercice 1856, à la somme de trente-deux millions deux cent soixante-trois mille francs (fr. 32,263,000), conformément au tableau ci-annexé. »

- Cet article unique est mis aux voix par appel nominal :

51 membres, seulement, sont présents.

41 adoptent.

2 rejettent.

8 s'abstiennent.

En conséquence la Chambre n'est pas en nombre suffisant pour délibérer et il n'y a pas de résolution.

Ont voté l'adoption : MM. Rodenbach, Rousselle, Tack, Thibaut, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Vervoort, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Anspach, Boulez, Calmeyn, de Baillet-Latour, de Breyne, de Haerne, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo, de Moor, de Perceval, de Pitteurs, de Ruddere, de Te Lokeren, de Steenhault, de Theux, Devaux, Dumon, Frère-Orban, Jacques, Lambin, Landeloos, Lange, Lebeau, Manilius, Matthieu Mercier, Moncheur, et de Naeyer.

Ont voté le rejet : MM. David et Loos.

Se sont abstenus : MM. Pierre, Thiéfry, Vander Donckt, Coomans, Delfosse, Deliége, Goblet et Moreau.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.