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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 8 février 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 519) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Plusieurs propriétaires, cultivateurs et habitants de Frasnes prient la Chambre d'accorder au sieur Lebeau la concession d'un chemin de fer direct de Charleroi à Bruxelles. »

« Mêmes demandes de propriétaires, cultivateurs et habitants de Villers-Perwin, Houtain-le-Val, Sart-Dames-Avelines, Baisy-Thy et Mettet. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal d'Elene présente des observations en faveur du projet de chemin de fer de Braine-le-Comte vers Melle, par Enghien, Grammont et Sottegem. »

« Mêmes observations des conseils communaux de Leeuwergem, Steenhuyse-Wynhuyse et Oombergen. »

- Même renvoi.


« Plusieurs industriels à Tamise et à Saint-Nicolas demandent l'abolition de la surtaxe dont se trouve frappé le combustible qui emprunte le canal de Charleroi à partir de Seneffe. »

- Même renvoi.


« Plusieurs secrétaires communaux dans l'arrondissement de Bruges déclarent adhérer à la pétition des secrétaires communaux en date du 21 décembre dernier. »

« Même déclaration de secrétaires communaux dans l'arrondissement de Termonde. »

- Même renvoi.


« Le sieur Clément, premier commis aux écritures au dépôt de mendicité de Reckheim, demande que les employés de cet établissement soient admis à participer au subside alloué en faveur des employés provinciaux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Gelaes réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la somme due, à titre de prime, à feu le remplaçant Vanden Meerskant dont il est héritier. »

- Même renvoi.


« Plusieurs pharmaciens à Gand demandent que la durée de stage officinal des élèves en pharmacie soit de quatre années, que l'inscription des élèves à l'officine ait lieu dès le début de leurs études pharmaceutiques et qu'il soit pris des mesures pour s'assurer de leur assiduité à l'officine. »

M. Lelièvre. - J'appuie la pétition qui est digne d'attention. Je demande qu'elle soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi définitif sur le jury d'examen avec invitation de faire un rapport spécial sur la réclamation dont il s'agit.

- Adopté.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 110 exemplaires du rapport de M. l'ingénieur Leclerc sur les travaux de drainage exécutés en Belgique pendant l'année 1855. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.

Projet de loi relatif au régime de surveillance des fabriques de sucre

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, le Roi m'a chargé de présenter à la Chambre un projet de loi ayant pour objet :

1° de régler le régime de surveillance des fabriques de sucre de betterave ; 2° la perception de l'impôt sur la fabrication des glucoses ; et 3° la surveillance sur la fabrication des sirops comestibles, en exemption de l'impôt.

- Ce projet de loi sera imprimé et distribué. La Chambre le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l'exercice 1857

Dépôt

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1857

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, le Roi m'a également chargé de présenter le budget de la dette publique et celui du département de la guerre pour l'exercice 1857.

- Ces projets seront imprimés et distribués. La Chambre les renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi modifiant la loi sur les extraditions

Rapport de la section centrale

M. Lelièvre. - Messieurs, j'ai l’honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le projet de loi concernant une disposition additionnelle à l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833 sur les extraditions.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La Chambre le met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi réprimant la falsification des denrées alimentaires

Rapport de la section centrale

M. Moreau. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi concernant la falsification des denrées alimentaires.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La Chambre le met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif à la formation des jurys d’examen universitaire

Rapport de la section centrale

M. Wasseige. - Messieurs, la commission spéciale à laquelle vous avez renvoyé le projet de loi qui a pour objet de proroger, pour la session de Pâques de l’année 1856, les effets de la disposition provisoire contenue dans le paragraphe premier de l'article 40 de la loi du 15 juillet 1849, concernant la formation des jurys d'examen, m'a chargé de vous présenter son rapport.

Le gouvernement a soumis à vos délibérations, dans la séance du 31 janvier dernier, un projet de loi qui modifie le système de jury actuellement en vigueur ; vous avez fixé l'examen de ce projet par les sections, au 21 février. Il est donc de toute impossibilité qu'une loi de cette importance puisse être votée assez à temps pour être mise à exécution avant la session de Pâques, et il est même peu probable qu'elle puisse l'être avant la seconde session des jurys d'examen.

Ce sont ces raisons qui ont engagé votre commission à vous proposer d'étendre à toute l'année 1856 la prorogation qui est sollicitée par le gouvernement. Ce changement, qui a pour but d'éviter au gouvernement l'éventualité d'une nouvelle demande de prorogation, ne présente d'ailleurs aucun inconvénient ; il ne peut avoir pour résultat de retarder la discussion du nouveau système qui vous est soumis, et si la loi qui le consacre était votée assez tôt pour être mise en vigueur avant la seconde session des jurys, elle ferait nécessairement et immédiatement cesser les effets de celle-ci.

Votre commission a donc l'honneur de vous proposer l'adoption du projet du gouvernement modifié comme suit :

« Le mode de formation des jurys chargés des examens, établi provisoirement par le paragraphe premier de l'article 40 de la loi du 15 juillet 1849 (Journal officiel, n°200), est maintenu pour l'année 1856. »

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La Chambre le met à la suite de l'ordre du jour.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Liège, le 3 décembre 1855, les professeurs de l'administration du conservatoire royal de Liège prient la Chambre de décider si la loi de 1844, sur les pensions, est applicable aux professeurs de cet établissement.

La commission propose le renvoi de la pétitiou à M. le ministre de l'intérieur.

M. Deliége. - Messieurs, la question qui fait l'objet de cette pétition est digne de toute votre attention. Il s'agit des professeurs des conservatoires royaux de musique. Vous savez qu'en Belgique il y a deux conservatoires institués par un arrêté royal. Les professeurs de nos conservatoires sont nommés par l'Etat sans présentation de la commune ni de la province ; ils sont payés par l'Etat ; ce sont dès lors de véritables fonctionnaires de l'Etat.

Vous savez que les professeurs des conservatoires royaux sont en général très mal rétribués ; à Liége, si l'on en excepte les deux directeurs, les professeurs ont un traitement qui n'excède pas 1,200 fr. Lorsque ces honorables fonctionnaires arrivent à un certain âge, lorsqu'ils ne sont plus capables de remplir leurs fonctions, savez-vous ce qu'on fait ? On les renvoie, comme on dit vulgairement, d'Hérode à Pilate ; ils s'adressent au gouvernement pour avoir leur pension ; le gouvernement les renvoie à la commune et la commune les renvoie au gouvernement.

En attendant, il y a de ces malheureux professeurs qui meurent littéralement dans la misère.

Messieurs, il est impossible qu'en Belgique nous souffrions un pareil état de choses ; nous devons une bonne fois décider si la loi de 1844 est applicable ou non aux professeurs des conservatoires royaux de musique, d'autant plus qu'une promesse, émanant d'un ministre, a été faite lors de la reddition des prix du conservatoire de Liège ; et cette promesse est restée jusqu'à présent sans résultat.

Je ne demande que la justice, je ne demande que l'exécution de la loi.

La question a été soulevée lors de la discussion de la loi de 1844 : elle est restée sans solution jusqu'ici. Je demande qu'on dise aux professeurs des conservatoires royaux de musique : « Vous avez droit ou vous n'avez pas droit à une pension sur les fonds de l'Etat. »

Messieurs, s'il y a une lacune dans la loi, vous déciderez s'il faut la combler. Je propose, en conséquence, à la Chambre, de renvoyer la pétition à M. le ministre de l'intérieur, avec demande d'explications.

J'espère que ces explications ne se feront pas attendre très longtemps et que M. le ministre voudra bien prévenir la Chambre du jour où elles seront données, afin que chacun de nous puisse étudier la question et la juger en connaissance de cause.

M. Lelièvre. - A l'occasion de la pétition en discussion, j'appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la position de certains (page 520) professeurs de l’enseignement moyen qui, lors de l'organisation de 1851, n'ont pas été investis de nouvelles fonctions, et à qui on ne paye pas même un traitement d'attente. Cet ordre de choses n'est pas équitable, et je prie M. le ministre de le faire cesser.

M. Delfosse. - J'adhère aux observations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Deliége, et j'appuie la proposition de renvoyer la pétition à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.

En 1844, lors de la discussion du projet de loi sur les pensions civiles, le gouvernement avait soumis à la Chambre une disposition par suite de laquelle les professeurs des deux conservatoires royaux de musique, établis à Bruxelles et à Liège, auraient eu droit à la pension.

Cette disposition fut combattue contme inutile par quelques honorables membres de la Chambre ; d'après ces honorables membres, les professeurs des deux conservatoires, étant nommés par le gouvernement et salariés par le trésor public, avaient droit à la pension en vertu des dispositions générales du projet de loi.

D'autres membres de la Chambre ont soutenu que les dispositions générales du projet de loi n'étaient pas applicables aux professeurs des conservatoires.

Après la discussion, le ministre de l'intérieur retira la disposition spéciale, en donnant à entendre que les dispositions générales donnant le droit à la pension seraient appliquées.

Il paraît que la cour des comptes n'a pas été de cet avis ; cependant les professeurs des conservatoires réunissent les deux qualités requises pour que le doit à la pension établi par la loi de 1844 existe ; ils appartiennent à un établissement de l'Etat, ils sont nommés par le gouvernement et salariés par le trésor public.

Ils se trouvent dans la même situation que les professeurs des athénées. Les dépenses des athénées sont couvertes par une allocation portée au budget de l'intérieur et par un subside payé par la commune. Les dépenses des conservatoires loyaux sont couvertes de la même manière ; la commune fournit le local de l'athénee, la ville de Liège fournit le local du conservatoire. Je ne vois nulle raison de différence, quant au droit à la pension, entre les professeurs des athénées et ceux des conservatoires.

N'est-il pas étrange que l'on donne une pension à celui qui a enseigné le dessin ou la gymnastique dans un athénée et qu'on la refuse à ceux qui enseignent la musique dans un conservatoire ? Voilà plus de dix ans que les professeurs des conservatoires sont laissés dans l'incertitude sur leurs droits.

Pour plusieurs d'entre eux l'heure de la retraite a sonné depuis longtemps, et néanmoins on les continue dans leurs fonctions, pour ne pas les réduire à la misère ; vous sentez, messieurs, que ces professeurs ne peuvent plus rendre les mêmes services que lorsqu'ils étaient dans la force de l'âge et du talent, et que les considérations d'humanité qui empêchent de les remplacer tournent au détriment des élèves et de l'art musical.

Il est temps de mettre un terme à une situation aussi fâcheuse ; je prie M. le ministre de l'intérieur d'examiner avee soin la pétition qui va lui être renvoyée et de nous donner le plus tôt possible les explications demandées par mon honorable ami M. Deliége.

J'ai la conviction qu'après un examen attentif de la question M. le ministre de l'intérieur reconnaîtra, ou que les professeurs des conservatoires de musique ont droit à la pension en vertu de la loi de 1844, ou qu'il y a lieu, si cette loi n'est pas applicable, de nous soumettre en leur faveur un projet de loi spécial.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, je ne veux pas entamer aujourd'hui une discussion prématurée sur la question de savoir jusqu'à quel point sont fondées les prétentions des professeurs des conservatoires de musique à une pension. Cette question, comme viennent de le dire les honorables préopinants, est digne de toute la sollicitude du gouvernement et de l'attention sérieuse de la Chambre. De mon côté, j'en ferai l'objet d'un examen attentif ; et, après la discussion du budget de l'intérieur, je fournirai à la Chambre les explications qui me sont demandées aujourd'hui. Ce sera alors l'occasion toute naturelle d'examiner tout ce qui se rapporte à cette question.

- Le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur, avec demande d'explications, est mis aux voix et adopté.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Moorseele, le 10 janvier 1856, le sieur Devlies, cultivateur à Moorseele, réclame l'intervention de la Chambre pour oblenir une indemnité du chef de perte d'une vache qui a succombé à une maladie contagieuse.

Messieurs, cette pétition est une nouvelle preuve des conséquences fâcheuses de la pénurie des vétérinaires employés dans nos campagnes et surtout dans les campagnes des Flandres.

Le cultivateur qui demande ici une indemnité a eu le malheur d'avoir la maladie contagieuse dans ses étables. La résidence du vétérinaire du gouvernement est distante de quatre lieues de sa ferme. Il s'est donc adressé à un maréchal vétérinaire diplômé ; ce maréchal s’est rendu à sa ferme et a ajourné au lendemain sa seconde visite. Le second jour il a déclaré qu'il croyait la maladie contagieuse et il a engagé le fermier à s'adresser à l'administration communale afin de demander la visite du vétérinaire du gouvernement. L'administration communale est entrée en correspondance avec le vétérinaire de l’Etat qui est arrivé et qui, à cause de la grande besogne dont il était surchargé, a remis sa deuxième visite au surlendemain, et sur ces entrefaites une des bêtes à cornes est venue à succomber.

Le cultivateur a réclamé de ce chef une indemnité et il n'a pu, en présence des termes formels de la loi, obtenir cette indemnité.

Le pétitionnaire s'est déjà adressé à M. le ministre de l'intérieur dans le but sus-énoncé et ce haut fonctionnaire lui a fait savoir que les termes de l'article 3 de l'arrêté royal du 22 mai 1854 sont formels et ne permettent aucune exception à la règle qui refuse l'indemnité pour bestiaux non abattus ; il ajoute que si une exception pouvait être tolérée dans l'espèce, il ne croirait pas devoir en profiter, parce qu'à son avis, l'impétrant a négligé les prescriptions de la loi, soit en employant un maréchal vétérinaire pour le traitement d'une maladie contagieuse, soit en ne faisant pas plus tôt la déclaration de l'invasion de la maladie dans son bétail.

A son avis, l'excuse d'ignorance que l'on invoque en sa faveur ne paraît pas admissible parce que les caractères de cette maladie sont si bien connus aujourd'hui, même chez les plus simples cultivateurs, que l'on ne peut admettre que ni le sieur de Vlies ni le maréchal vétérinaire ne les aient reconnus ou ne les aient soupçonnés dès le début du mal et qu'on n'ait pu avoir recours au vétérinaire du gouvernement qu'à la deuxième période de la maladie.

Le pétitionnaire au contraire a pensé qu'il pouvait appeler un maréchal vétérinaire diplômé, au moins pour reconnaître le caractère de la maladie et juger s'il y avait nécessité ou non d'appeler le vétérinaire du gouvernement, et que s'il en était autrement l'existence des maréchaux diplômés ne serait qu'un leurre. »

Il a pensé que cette manière d'agir se trouvait parfaitement justifiée par l'éloignement de la résidence du vétérinaire du gouvernement qui est distante de 4 lieues de sa ferme.

Votre commission, messieurs, considérant que déjà M. le ministre, après mûr examen, a repoussé la demande en indemnité, se basant sur l'article 3 de l'arrêté royal du 22 mai 1854 dont les termes sont formels et que dès lors tout nouveau renvoi à son département n'atteindrait pas le but du pétitionnaire, par ces motifs, a l'honneur de vous en proposer le dépôt sur le bureau des renseignements.

M. Boulez. - Messieurs, je ne puis admettre les conclusions de la commission des pétitions.

Il s'agit d'un fermier qui a perdu une vache par une maladie contagieuse, et qui demande une indemnité. L'éloignement du domicile d'un vétérinaire du gouvernement, distance d'environ quatre lieues, a été la cause que le pétitionnaire n'a pu se conformer aux prescriptions de la loi qui ordonne l'abattage d'office afin de recevoir des indemnités. Les symptômes de ces maladies sont quelquefois de nature à tromper les personnes les plus expérimentées ; et comme les pertes que ces maladies occasionnent sont souvent ruineuses pour les cultivateurs, je crois que le gouvernement devrait être très indulgent à leur égard. Je demande que cette pétition soit renvoyée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Lelièvre. - Le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur n'aura aucun résultat, puisque, aux termes formels de la loi, le pétitionnaire n'a droit à aucune indemnité.

A l'occasion de la réclamation dont nous nous occupons, je dois dire que dans mon opinion il faut maintenir la loi de 1850 sur l'art vétérinaire. Ceux qui exercent cet art doivent présenter des garanties de science et de capacité, et on ne peut évidemment décréter l'empirisme qui donnerait lieu à de graves abus ; mais ce qu'on pourrait faire sans inconvénient, ce serait d'accorder un nouveau délai, à l'effet de se soumettre aux examens, à ceux qui ne se sont pas conformés à cette prescription dans le délai légal. Cette disposition concilierait tous les intérêts.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée d'Avelghem, le 17 janvier 1856, plusieurs habitants d'Avelghern prient la Chambre de n'accorder la concession d'un chemin de fer de St-Ghislain à Gand que sous la condition de construire un embranchement de Renaix à Courtrai par Avelghem, et demandent un chemin de fer d'Avelghem à Bevere-lez-Audenarde.

La commission n'ayant pas à sa disposition les éléments d'appréciation relativement à ces demandes en concession, a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. Magherman. - Messieurs, le discours que j'ai prononcé dans une de nos séances précédentes démontre assez que j'approuve au fond la demande des pétitionnaires. Mais ce qne je ne puis laisser passer sans observation, c'est la condition de subordonner la construction du chemin de fer de Saint-Ghislam à Audenarde à la construction de l'embranchement de Renai xà Avelghem. Subordonner la construction du chemin de fer de Saint-Ghislain à celle de l'embranchement, serait une chose évidemment fâcheuse.

Les deux projets, j'en conviens, sont d'une grande utilité, puisqu'ils tendent à relier au réseau de l'Etat des localités qui jusqu'ici sont éloignées de toute communication ferrée.

Mais, je le répèle, faire de la construction de l'embranchement de Renaix à Courtrai, la condition de la concession du railway de Saint-Ghislain à Audenarde, serait une grande imprudence, parce que les capitaux pourraient être faits pour la ligne principale et ne pas l'être pour la ligne secondaire.

(page 521) Or, il ne convient pas de priver plus longtemps de la jouissance d'un chemin de fer des localités qui désirent vivement ce mode accéléré de communication. Sous cette réserve, j'appuie la demande des pétitionnaires.

A cette occasion, je me permettrai de demander à M. le ministre des travaux publics si son intention est de présenter bientôt aux Chambres le projet de concession qui doit relier le bassin du Couchant de Mons à Audenarde par Renaix.

Tous les obstacles qui semblaient exister à la présentation de ce projet me paraissent devoir être levés. Les diverses sociétés qui se disputaient cette ligne, à la vérité, en suivant des tracés différents, se sont mises d'accord. Si mes renseignements sont exacts, une concession provisoire aurait été signée et un cautionnement serait même versé. Il n'y a donc plus d'obstacles à ce que ce projet soit déposé. Les populations que cette voie ferrée doit favoriser attendent dans une vive inquiétude qu'on fasse cesser l'incertitude dans laquelle on les laisse à l'égard d'un moyen de communication qui doit faire cesser leur position isolée et les mettre sur un pied d'égalité avec le reste du pays.

L'hiver s'avance, et pour peu qu'on tarde à présenter ce projet de loi, il sera impossible de mettre la main à l'œuvre au printemps. Cependant vous vous le rappelez, messieurs, dans le discours du Trône la promesse a été faite de présenter plusieurs projets de communications nouvelles en vue de donner du travail à la population ouvrière. L'exécution de ces projets pendant l'hiver est déjà dès à présent impossible, la saison est trop avancée, mais tout le monde sait que le printemps impose aux classes ouvrières des privations aussi dures que l'hiver même. Je prie M. le ministre de nous présenter le projet de loi autorisant la construction du chemin de fer de St-Ghislain à Audenarde, le plus tôt possible et, en attendant, de vouloir dire quelques mots pour rassurer les populations qui, comme je viens de le dire, attendent avec anxiété qu'on fasse droit à leur juste demande.

M. de Haerne. - Messieurs, plusieurs pétitions ont été adressées à la Chambre, concernant l'objet dont il s'agit, le chemin de Braine-le-Comte à Courtrai par Renaix. Je ne les ai pas vues toutes ; quelques-unes seulement m'ont été communiquées.

D'après celles qui me sont passées sous les yeux et d'après ce qui m'a été dit des autres, je puis rassurer l'honorable M. Magherman quant à l'idée qu'il vient d'émettre ; les pétitionnaires ne demandent pas que la construction du chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand par l'endroit qu'il habite, soit subordonnée à la construction du chemin de fer de Courtrai à Braine-le-Comte.

On ne subordonne pas l'un à l'autre. On ne fait pas de la construction de l'un la condition nécessaire de la construction de l'autre ; mais les pétitionnaires soutiennent ce que j'ai dit moi-même dans une séance précédente, à savoir que ces chemins de fer doivent contribuer à la prospérité les uns des autres. Pour celui qui est demandé par M. Tarte, il se trouve dans les conditions les plus favorables ; comme on l'a fait observer, il tombe à angle droit sur celui dont parle M. Magherman ; il doit donc contribuer à lui donner un mouvement qu'il n'aurait pas pris isolément, c'est un véritable affluent.

Les partisans du chemin de Saint-Ghislain à Gand par Renaix doivent donner les mains à la construction de celui dont il s'agit dans ce moment. Celui-ci doit diminuer la charge que l'Etat aura à supporter sur plusieurs branches déjà concédées et en partie exploitées dans la Flandre occidentale ; d'un autre côté, il doit diminuer la perte que le railway national éprouvera, sans aucun doute, par la concession de la ligne ferrée de Luttre à Denderleeuw. Ce chemin de fer sera parallèle à celui de Charleroi à Bruxelles, dont il raccourcira notablement le parcours. En rattachant par une ligne directe le réseau de la Flandre occidentale à celui qui de Braine-le-Comte se dirige en divers sens, on donnera évidemment une nouvelle vie à l'un et à l'autre.

Voilà les deux grands motifs qui dominent la question, en ce qui concerne le chemin de fer dont il s'agit et dont la concession est demandée par M. Tarte. Je ne le défends pas, remarquez-le bien, messieurs, je ne le défends pas seulement au point de vue d'une contrée très importante, qui s'étend de Courtrai à Renaix et qui est privée jusqu'ici de toute communication par railway ; mais je le défends surtout dans l'intérêt du trésor. Il est évident que le trésor est avant tout intéressé à la construction de cette voie feirée. C'est en fait de chemins de fer une des lignes les plus importantes qui se sont présentées jusqu'à ce jour du point de vue de l'intérêt général. Je prierai M. le ministre des travaux publics de nous dire s'il pourra bientôt saisir la Chambre de cet intéressant projet.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Je ne puis pas suivre les honorables préopinants dans les discussions qui viennent de s’élever sur le tracé des différentes branches de chemins de fer qui doivent se rejoindre soit à Renaix soit à Courtrai. Il est dans les usages de la Chambre de réserver ces questions pour la discusson des projets de loi présentés par le gouvernement. Je dirai seulement aux honorables membres que d’ici à peu de jours je pense être à même de saisir la Chambre du projet d eloi auquel ils font allusion.

M. Vander Donckt, rapporteur. - J'aime à croire que la Chambre n'est pas disposée à entrer de nouveau dans une longue discussion sur ces pétitions.

La commission a eu l'honneur de proposer le renvoi pur et simple à M. le ministre des travaux publics ; ces conclusions ne sont pas contestées et je pense, dès lors, qu'où pourrait les adopter sans débats ultérieurs.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1856

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XI. Agriculture

Articles 52 à 55

M. le président. - La discussion continue sur les articles relatifs au haras.

M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de faire observer hier que l’adoption de l'amendement de l'honorable M. David aurait pour résultat : d'abord, de maintenir provisoirement le haras, ensuite d'avertir les éleveurs de chevaux croisés et de les mettre à même de pourvoir au remplacement du haras, soit en fondant une association, soit par d'autres combinaisons qui sont du ressort de l'activité privée et qui peuvent varier de plusieurs manières.

J'ai démontré ensuite que les ressources et les capitaux pour réaliser une pareille entreprise ne font aucunement défaut, surtout dans cette partie du pays où l'élève du cheval croisé a acquis quelque importance, et j'en ai conclu que si les éleveurs restaient les bras croisés, se reposant toujours exclusivement sur l'intervention par trop commode de l'Etat, ce serait la preuve évidente, palpable, manifeste que l'industrie nouvelle dont on vante tant les bienfaits ne peut vivre qu'aux dépens du pays.

J'ai dit ensuite, messieurs, que le haras ne peut être maintenu que provisoirement parce qu'il constitue une protection exagérée et anomale qui ne permet pas d'apprécier sainement les résultats de la nouvelle industrie, ces résultais étant purement artificiels, par cela même qu'ils, sont dus à ce que les frais de production pèsent pour une partie importante sur les contribuables.

Ceci, messieurs, m'a amené naturellement à déterminer l'importance de la nouvelle industrie, au point de vue de l'ensemble de notre production chevaline. En m'appuyant sur les documents officiels, je crois avoir démontré à la dernière évidence que la production chevaline pour tout le pays, dans son ensemble, a atteint annuellement, dans ces derniers temps, une valeur de près de dix millions de francs, mais que la grande importance de cette industrie réside presque emièrement dans les anciennes races chevalines, c'est-à-dire dans ce que nous appelons l'ancienne industrie, puisque la production du cheval croisé qui constitue l'industrie nouvelle ne peut être raisonnablement évaluée à plus de 400,000 fr. par an. Voici donc la position respective des deux industries :

Produit de nos anciennes races chevalines, environ 9 millions par an ;

Produit de l'industrie nouvelle, moins d'un demi-million, 400 mile francs.

Or, messieurs, il est reconnu par tout le monde, je pense (jusqu'ici au moins je n'ai pas rencontré de contradicteur sur ce point, et je puis dire que je n'en ai pas non plus rencontré dans la commission spéciale), ii est reconnu que le haras ne peut servir en aucune manière à améliorer, à perfectionner les produits de nos anciennes races, en conservant les aptitudes spéciales qui font leur valeur.

Le but proclamé bien haut, c'est d'altérer, de modifier partiellement les types constitutifs des anciennes races, afin d'obtenir des produits d'un nouveau genre, appropriés à d'autres usages. Qui dit croisement dit altération, modification profonde des types reproducteurs.

Le haras est donc sans utilité aucune pour notre ancienne industrie chevaline produisant annuellement une valeur de 9 millions ; il est établi exclusivement en faveur de la nouvelle industrie dont les produits, après 4 années d'élevage et de frais, n'atteignent qu'une valeur de 400,000 fr.

L'importance de cette nouvelle branche de production étant nettement constatée, voyons quelles sont les charges qu'elle fait poser sur le trésor public.

Il y a d'abord au budget 140,000 fr. affectés exclusivement au haras. Mais cette dépense constitue, de la part de l'Etat, une mise de fonds effectuée au moment où les étalons sont employés à la reproduction. C'est alors que l’Etat paye, et comme les produits n'atteignent la valeur de 400,000 fr. que nous avons calculée plus haut, que 4 ou 5 années plus tard, il faut ajouter les intérêts des avances faites par l'Etat, c’est-à-dire 30,000 fr.

Ensuite, nous avons alloué l'année dernière 50,000 fr. pour loger convenablement à l'abbaye de Gembloux nos reproducteurs d'élite. Cette avance, encore une fois, donne lieu à des intérêts qui pèsent sur le trésor public et qui représentent une somme de 2,500 fr.

Le gouvernement possède, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire hier, 38 étalons de sang noble, auxquels on peut assigner une valeur de 300,000, de 400,000 et peut-être de 500,000 fr. Ce qui estimatif, c'est qu'ils nous ont coûté beaucoup plus cher, et que ce capital dépensé ne donne aucun revenu au trésor ; je suis donc modéré en portant de ce chef en compte un intérêt annuel de 20,000 fr.

Indépendamment des crédits affectés spécialement au haras, la nouvelle industrie jouit de plusieurs primes sur un autre crédit du budget de l'intérieur :

1° Pour l’élevage des étalons de sang dans le pays ;

2° Pour les juments de sang ;

3° Pour les juments de race indigène suîtées d'un poulain provenant d'un étalon du haras.

De ces divers chefs nous avons encore au moins une dépense de 7,000 francs.

(page 522) Le haras figure même au budget de la dette publique ; il y figure du chef des pensions accordées aux anciens employés pour une somme de plus de 4,000 francs.

Cet établissement entre encore pour une certaine somme dans les frais d'administration au ministère de l'intérieur.

Vous voyez donc que la nouvelle industrie est assez habile, qu'elle prend un peu à droite, un peu à gauche et parvient ainsi à réunir une somme assez importante.

En additionnant les articles que je viens de passer en revue, nous arrivons à une dépense totale de plus de 200 mille francs par an. Vous le voyez, je m'attache exclusivement au présent ; mais si nous voulions jeter un regard rétrospectif sur le passé, nous verrions que depuis vingt ans cet établissement hippique nous a coûté au moins six millions, ainsi que j'ai eu l'honneur de le prouver dans d'autres circonstances.

M. de Mérode. - Si vous faisiez votre calcul sur cent ans, ce serait bien pis !

M. de Naeyer, rapporteur. - Je ne parle pas de cent ans, mais de vingt.

Je conçois qu'on trouve ces calculs un peu mesquins, un peu minutieux ; il est facile de calculer plus largement et de laisser de côté une foule d'articles ; ils n'en pèsent pas moins sur nos finances ; vous pouvez vous dispenser de calculer, mais vous ne vous dispenserez pas de payer.

Quant à moi, quand il s'agit des deniers des contribuables, j'ai l'habitude de calculer rigoureusement.

Je crois qu'il est bon de ne pas perdre de vue que beaucoup de pauvres pièces de 5 francs sont arrosées de bien des sueurs et des larmes avant de tomber entre les mains du fisc.

Il y a une autre observation qui se présente ici naturellement, c'est que l'argent en sortant de la poche des contribuables doit faire un long pénible et coûteux voyage avant d'arriver à la destination que nous voulons lui donner ; et chemin faisant il subit l'action corrosive d'une foule de rouages financiers et administratifs qui ne peuvent fonctionner sans être entretenus par le trésor public.

C'est pourquoi je pose en fait que ces deux cent mille francs qu'on donne à la nouvelle industrie chevaline coûtent plus de 250 mille fr. aux contribuables, mais comme cette observation s'applique à toutes les interventions gouvernementales, je ne porte pas cela au débet de la production du cheval croisé.

Il reste donc établi que le trésor public dépense annuellement plus de 200 mille francs pour une industrie dont la production largement calculée atteint à peine 400 mille francs par an ; donc la protection accordée en véritables primes est de plus de 50 p. c.

Avec un pareil système, vous pouvez doter le pays d'une foule d'industries nouvelles, mais ce seront des industries qui dévoreront vos ressources au lieu d'enrichir le pays. 50 p. c. de prime, c'est exorbitant !

Je dis, en outre, que cette protection est anomale ; je vais le prouver.

En effet, d'après le régime économique qui forme en quelque sorte notre droit commun, nous protégeons les industries du pays en établissant des droits de douane sur les produits similaires des pays étrangers. Voilà le droit commun. Sous ce rapport, il y a, dit-on, une certaine solidarité entre tous les intérêts ; chacun paye un tribut comme consommateur et perçoit un produit analogue comme producteur.

On prétend que ce système est propre à développer le travail national. L'honorable M. Julliot dit que ce système est faux ; je ne discute pas cette question pour le moment, il y en a d'autres qui diraient peut-être que cela est excellent. Je me borne à constater le régime économique qui forme notre droit commun et à constater en même temps qu'on y déroge complètement pour accorder des faveurs exorbitantes à l'industrie privilégiée qui nous occupe, c'est directement dans la poche du contribuable qu'on puise les sommes nécessaires pour payer une partie considérable des frais de production du cheval croisé. Cette protection est donc une véritable charge pour le trésor public, tandis que la protection douanière sert à augmenter les ressources de l'Etat.

En effet, le droit perçu sur les chevaux étrangers est insignifiant, il est de 15 fr. par tête ; ce n'est pas 2 p. c. Je demande pourquoi ce ménagement en faveur des consommateurs de chevaux étrangers qui sont en général des chevaux de luxe, pourquoi ce ménagement à l'égard d'une classe de consommateurs qui est certainement bien en état de contribuer aux charges publiques, alors que dans les temps ordinaires nous établissons des droits de douane plus considérables sur les grains, sur le bétail, sur les denrées alimentaires.

Si on veut développer l'industrie chevaline au moyen d'un régime de protection, qu'on adopte celui qui existe pour les autres industries, qu'on établisse sur les produits étrangers un droit de 25 ou 30 p. c. vous aurez une recette considérable qui pourra peut-être s'élever à un demi-million, et ceti mpôt serait moins injuste que bien d'autres, puisqu'il frapperait en général des personnes riches et qui sont parfaitement à même de payer.

Veuillez remarquer que je ne demande pas l'établissement d'un pareil droit, mais je constate qu'il n'existe pas de motif plausible qui autorise les partisans de la protection à s'écarter ici du système général qui nous régit, pour aggraver les charges des contribuables.

Ici, tout est privilège dans la nouvelle industrie : privilège pour le consommateur, privilège pour le producteur. Voilà ce qui constitue cette coalition puissante d'intérêts qui est parvenue à maintenir jusqu'ici l'injustice contre laquelle nous sommes en quelque sorte obligés d'épuiser notre énergie.

Mais quoique tout soit privilège, l'industrie nouvelle qui est réellement l'enfant gâtée, ne se développe guère et ne satisfait aucunement aux pompeuses promesses qui avaient été faites en son nom.

En effet, au moyen de l'établissement du haras on prétendait affranchir la Belgique de l'obligation de faire encore des achats de chevaux à l'étranger. En outre, on voulait assurer la remonte de la cavalerie dans le pays.

Ouvrez la statistique, vous verrez que l'importation des chevaux étrangers va plutôt en augmentant qu'en diminuant ; donc, sous ce premier rapport, impuissance de l'industrie nouvelle prouvée à l'évidence. Quant au contingent fourni à l'armée par la nouvelle industrie, cela est insignifiant, cela s'élève à peine à 30, 40 ou 50 chevaux par an et ce nombre non plus ne va pas en augmentant. D'où cela vient-il ? D'une raison bien simple, c'est que vous allez à rencontre des exigences de noire situation économique,

Messieurs, puisque nous nous avisons trop souvent de réglementer l'emploi des forces productrices du pays, nous ne devrions au moins jamais perdre de vue que sous le rapport de la densité de la population nous sommes placés au premier rang.

Il y a en Belgique ce qui ne se rencontre nulle part ailleurs, il y a un habitant par 65 ares, en y comprenant, pour fixer cette moyenne, les provinces les moins peuplées : le Limbourg et le Luxembourg.

Il y a un habitant, dans les provinces rhénanes par 95 ares, en Hollande par 1 hectare 3 ares, en Angleterre, par 1 hectare 11 ares, en En France, par 1 hectare 47 ares.

Nous avons donc de beaucoup la population la plus dense.

D'un autre côté, nos terres subissent un renchérissement incessant qui continue de prendre des proportions dépassant toutes les prévisions. Je dis que c'est là une position détestable pour forcer les développements de l'industrie chevaline, et surtout de cette spécialité de production qui a besoin d'être nourrie longtemps, avant d'avoir atteint toute sa valeur, c'est-à-dire des chevaux destinés aux usages du luxe.

Sous ce rapport, nos races indigènes sont particulièrement adaptées aux besoins de notre situation, parce que leur développement est plus précoce et qu'à l'âge de deux ans en général elles gagnent leur nourriture par le travail.

Une circonstance qui est reconnue par les défenseurs du haras même vient à l'appui de ce que j'avance.

En effet, pour prouver l'utilité du haras, on cite notamment ce fait que la France vient acheter nos poulains de la race croisée, même avant l'âge de deux ans ; on prétend en outre que cela donne lieu à un mouvement d'exportation assez considérable, et on conclut que les produits du haras sont appréciés par l'étranger. Mais il y a une autre conclusion très logique qui découle de ce fait, c'est que nous pouvons bien produire grâce à l'intervention exagérée de l'Etat, mais que souvent nous serions en perte s'il fallait achever nos produits par l'élevage et qu'ainsi nous sommes obligés de les vendre à l'étranger, placé dans des conditions d'élevage plus favorables, avant qu'ils aient aiieint leur véritable valeur.

Vous pouvez produire parce que vous avez des primes pour la production. Mais quand il s'agit d'élever, comme vous n'avez plus de primes pour l'élevage, vous vendez à l'étranger.

M. de Mérode. - A cause des dépôts de remonte existant en France.

M. de Naeyer, rapporteur. - On les vend à l'étranger parce qu'on les nourrit plus avantageusement à l'étranger que chez nous. Autrement vous les conserveriez jusqu'à ce qu'ils aient atteint une grande valeur. C'est alors que vous pourriez réclamer ces grands prix qu'on a évalués jusqu'à 1,500 ou 1,800 francs. Comment ! On se défait des poulains pour 300 ou 400 fr., alors que vous pourriez, en les conservant, réaliser les hauts prix dont on a parlé ! Et vous dites que ce sont là des conditions favorables pour le développement de la nouvelle industrie qui est souvent impuissante pour compléter ses produits.

Je crois donc qu'il est prouvé que la protection dont il s'agit est exorbitante, anomale, qu'elle forme une exception injustifiable à notre régime de protection, en outre qu'elle va directement à l’encontre des exigences de notre situation économique.

Mais, dit-on, il y a des considérations d'un ordre supérieur, qui doivent faire place à toute autre considération d'un ordre secondaire, qui doivent dominer tous les petits calculs de bénéfice et de perte. Ainsi, il y va de l'honneur du pays ; notre dignité nationale exige que dans l'industrie chevaline, comme en tout, nous nous mettions au niveau des autres natuons. Il y va de l'avenir de notre production, qui est perdue à tout jamais si l'industrie ne subit pas des transformations en présence des nouveaux besoins résultant de la civilisation nouvelle.

Ensuite il faut, dans l'intérêt de la défense de la Belgique, que nous puissons remonter dans le pays même notre cavalerie. Cela seul justifie toutes les dépenses.

Enfin pourquoi enlever cette faveur à l'agriculture ? Pourquoi la traiter en paria ? Pourquoi abaisser celle grave question au niveau d'une (page 523) question d'intérêts individuels ou tout au moins d'une question d'intérêt provincial ?

On fait sonner bien haut ce qu'on appelle le tribut que nous payons à l'étranger pour l'achat de 2 ou 3 mille chevaux par an, appartenant à des spécialités que la Belgique ne possède pas, et qui sont évalués, dans notre statistique commerciale, à environ 3 millions de francs. Mais on perd de vue que nos exportations dans les pays étrangers sont de 18 à 20 mille têtes de chevaux et même davantage, auxquelles notre statistique commerciale assigne une valeur de 9 à 10 millions. Vous le voyez donc, la balance commerciale est tout à fait en notre faveur, et il est même à remarquer qu'un résultat aussi favorable n'existe pour aucune autre branche de notre production agricole.

Ainsi, pour les denrées alimentaires, pour les grains, nous sommes réellement tributaires de l'étranger. Je me se sers du mot « tributaires », parce qu'il est en usage, quoique au fond il ne soit propre ici qu'à exprimer une idée éminemment fausse, mais enfin cela veut dire qu'en ce qui concerne les grains, nos importations excèdent considérablement nos exportations.

Pour la race bovine aussi, qui intéresse si vivement l'alimentation publique, nous sommes encore tributaires de l'étranger, toujours dans le même sens. Mais en ce qui concerne les chevaux, on a réellement tort de s'effrayer du tribut que nous payons, puisque je viens de démontrer que la balance penche considérablement en notre faveur jusqu'à concurrence même d'une somme de 6 à 7 millions.

Je répète ici ce que j'ai dit dans une autre occasion, c'est que le tribut que nous payons pour les chevaux de luxe, nous pouvons le solder à peu de chose près, rien qu'avec les lapins que nous exportons en Angleterre.

Vous voyez donc que ce mot de « tributaires » est un grand mot dont on se sert pour effrayer les imaginations, mais qu'en définitive il ne résiste pas à un examen tant soit peu sérieux.

On veut que nous imitions les autres pays, en créant des haras, des dépôts de remonte et autres institutions de ce genre. Eh bien, voici la vérité, c'est que sans toutes ces institutions, ordinairement très coûteuses, la Belgique a su obtenir par ses propres forces une portion plus favorable peut-être, ou au moins tout aussi favorable, au point de vue de l'industrie chevaline qu'aucun des autres pays qu'on nous cite pour modèles.

Ainsi, la France qui a dépensé des millions et (erratum, page 541) des millions dans l'intérêt de la race chevaline, où. en est-elle aujourd'hui ? Elle est tributaire de l'étranger puisque (la statistique le constate) ses importations dépassent considérablement ses exportations.

M. de Mérode-Westerloo. - C'est du commerce.

M. de Naeyer, rapporteur. - Sans doute ; mais ce commerce indique la véritable situation de la production. C'est là le véritable baromètre.

L'Angleterre elle-même, elle qui doit dominer tout au point de vue industriel, est dans une position moins favorable que nous : ses exportations ne dépassent pas considérablement ses importations. Car dans tous les pays du monde elle n'exporte guère que trois mille chevaux, tandis qu'en Angleterre seulement nous exportons 8,000 chevaux.

Cela prouve une fois de plus que la liberté seule est véritablement puissante dans le domaine de l'industrie, et que les immixtions gouvernementales ne servent qu'à y ajouter la perturbation et le désordre.

Mais, dit-on, vous ne produisez pas de chevaux de grands prix ; vous êtes sous ce rapport dans une infériorité humiliante. Vous n'êtes pas à la hauteur du siècle, au niveau de la civilisation ; votre industrie est restée en quelque sorte à l'état primitif.

Messieurs, si le degré de civilisation d'un pays doit être calculé d'après l'élégance de formes et la perfection absolue des chevaux qu'il produit, il en résulte que le peuple arabe est le peuple le plus civilisé du monde. Or, je ne pense pas que l'on veuille nous faire aboutir à cette civilisation.

Messieurs, savez-vous quel est en quelque sorte l'état primitif au point de vue de l'industrie chevaline ? C'est le noble coursier du désert. Voilà le type tel qu'il est sorti des mains du Créateur. Mais le cheval de gros trait est une véritable conquête de la civilisation : c'est l’animal créé par Dieu, mais façonné par la main de l'homme et approprié à ses besoins et a ses usages.

Je crois que le malentendu dans cette question provient de ce que la passion du cheval (car c'est une passion) fait qu'on se laisse guider par des idées artistiques, par des considérations de perfection absolue et qu'on néglige complètement le côté économique, qui est cependant le côté important.

Mais, dit-on, le cheval de gros trait a fait son temps ; dans quelques années il ne sera plus demandé.

C'est la thèse qui a été développée surtout par l'honorable baron de Steenhault.

C'est la thèse qui avait déjà été développée antérieurement au sein de la commission spéciale, par l'honorable comte de Marnix, inspecteur général du haras. Il disait, si je ne me trompe, que dans un siècle où tout le monde va au galop, les chevaux doivent au moins aller au trot.

Cette même thèse est soutenue en général par les partisans du haras. Je me rappelle maintenant que le directeur du haras, l'honorable M. Deby a parlé à peu près dans le même sens au sein de la commission spéciale.

Vous le voyez donc, le but de ces messieurs est clairement indiqué.

Il est évident et palpable qu'ils veulent restreindre la production du cheval de gros trait qui, suivant eux, ne peut plus se soutenir que sur une petite échelle. C'est là l'idée qui les domine lorsqu'ils soutiennent avec tant de chaleur le haras. Le haras doit opérer la transformation de notre industrie. Cette transformation est devenue indispensable. Car, sans cela, la production chevaline du pays est perdue dans un avenir prochain. Voilà, en général, sur quoi ils se basent pour justifier les dépenses que nous combattons.

Messieurs, je dis que rien ne justifie ces prévisions et ces prédictions, et je crois pouvoir les ranger dans la même catégorie que celles qui se sont produites au commencement de l'exploitation de nos chemins de fer, lorsqu'on prétendait que les chevaux ne devaient plus servir qu'aux amusements du peuple en dansant au son du violon.

En effet, n'est-il pas vrai, n'est-il pas incontestable que chaque jour le cheval de gros trait est plus demandé, est plus recherché, et que chaque jour il devient plus rare dans la plupart des pays ?

Or, n'est-ce pas la demande qui doit régler la production, et est-il permis de venir renverser cette vérité fondamentale en matière d'industrie, en voulant en quelque sorte dérober à Dieu le secret de l'avenir ?

Messieurs, je prétends et je crois que je suis à même de prouver que l'emploi du cheval de gros trait devient chaque jour plus nécessaire, et cela au fur et à mesure que les travaux de l'agriculture prennent du développement, au fur et à mesure que le cultivateur est de plus en plus pénétré de cette vérité que, pour avoir de bonnes récoltes, il faut des labours profonds.

Je dirai même qu'il devient plus nécessaire (et ceci vous étonnera au premier abord), au fur et à mesure que la construction des chemins de fer augmente et se développe.

En fait, quel est le résultat des chemins de fer ? N'est-ce pas d'accroître dans des proportions considérables le transport des objets pondéreux ? Or, messieurs, l'action des chemins de fer est en quelque sorte limitée aux stations. Il leur est impossible d'effectuer le transport des marchandises jusqu'à leur véritable destination. Il faut donc un complément à l'action des chemins de fer, et ce complément se trouve surtout dans le cheval de gros trait.

Voici pourquoi : C'est qu'il est admirablement approprié à ce service spécial, étant doué d'une grande force de traction qui est ici une condition fondamentale. Car ici la condition de célérité n'est plus que secondaire, attendu que les transports ne doivent plus s'effectuer qu'à de petites distances.

Or, messieurs, voici les faits qui viennent confirmer cette opinion. Vous savez tous qu'aucun pays n'est aussi riche en chemins de fer que l'Angleterre. Eh bien, c'est justement vers l'Angleterre que nos exportations de chevaux de gros trait prennent des développements presque inouïs, presque incroyables. Il y a dix ans, nous transportions en Angleterre 300 à 400 chevaux peut-être. Aujourd'hui le chiffre des exportations s'élève à 8,000 têtes de chevaux.

Ce qui veut dire que depuis longtemps les Anglais venaient nous enlever nos juments de la race indigène pour opérer des croisements, et alors nos exportations étaient assez limitées. Mais depuis, les Anglais ont besoin de notre cheval comme instrument de travail pour le transport des objets pondéreux, le chiffre s'élève à 8,000. Les faits condamnent donc absolument les sinistres prédictions de nos adversaires quant à l'avenir de nos anciennes races chevalines.

Il y a une autre circonstance qui augmente la valeur du cheval de gros trait, c'est que, comme le reconnaissent les hommes les plus experts dans cette matière, le cheval de gros trait est le moule par excellence pour faire le carrossier, au moyen du croisement avec le sang noble, parce que c'est lui qui doit fournir le volume, la taille, l'étoffe en quelque sorte, c'est donc là une matière première que nous pouvons produire et que nous trouverons toujours le moyen de vendre.

La question de savoir quel est le pays qui a le plus d'avantages à s'adonner à l'emploi de ce moule, pour faire des chevaux carrossiers, surtout cette question est tout autre, et je crois avoir prouvé antérieurement que nous sommes dans de bonnes conditions pour faire le cheval de gros trait qui n'a pas besoin d'être nourri longtemps avant de travailler, mais que nous ne sommes pas dans des conditions aussi favorables pour faire le cheval approprié aux usages du luxe. D'ailleurs,, si nous nous trouvions, sous ce rapport, dans de bonnes conditions, la production marcherait sans avoir besoin de cette protection exorbitante dont on réclame maintenant le maintien.

Mais, dit-on, la question militaire domine tout ici ; il faut avant tout pourvoir à la défense du pays. Eh bien, je réponds que votre haras a prouvé sous ce rapport son inefficacité complète. Ce qu'il a fourni àt l'armée est insignifiant. Mais, dit-on, si nous avions un dépôt de remonte, c'est alors que vous auriez des résultats merveilleux. Messieurs, c'est la raison qu'on invoque toujours quand on a fait une mauvaise entreprise ; il manque toujours quelque chose.

L'honorable M. Thiéfry soutient spécialement cette thèse. Quand il s'agit de l'armée il est toujours sur la brèche ; il reste fidèle à d'anciennes amours, qui sont très respectables et très légitimes.

L'honorable membre a insisté particulièrement sur cette considération-ci : c'est que tous les éleveurs, toutes les commissions qui se sont occupées de cette question-là, et qui étaient composées en grande (page 524) partie d'éleveurs, ou bien de personnes qui s'intéressent à la production du cheval croisé, ont été unanimes pour rcclamer un dépôt de remonte.

Rien de plus naturel au monde que ces réclamations : l'industrie à laquelle ces messieurs s'intéressent profite du budget de l'intérieur, et elle voudrait profiter également du budget de la guerre. C'est fort naturel ; l'industrie du cheval croisé étant habituée à manger au râtelier de l'Etat trouve naturellement que ce râtelier sera mieux fourni par deux ministres que par un seul.

Messieurs, le projet d'un dépôt de remonte est réellement usé. Il a traîné partout ; dans les cartons du ministère, dans les commissions, à la Chambre, et je crois qu'il est suffisamment constaté que c'est une idée irréalisable (Interruption.)

Je ne m'occupe pas de ce qui se fait en France ; je discute les intérêts de la Belgique ; c'est pour cela que je suis envoyé dans cette enceinte, et quand il faudra en discuter d'autres, je m'en irai.

L'honorable M. Thitfry a reproduit cette idée plusieurs fois. Il n'est point parvenu à la faire accueillir par l'honorable général Anoul, qui est parfaitement au courant des besoins de la cavalerie et dont le patriotisme nous inspire à tous la plus grande confiance.

Je me rappelle aussi qu'elle a été parfaitement combattue par l'honorable M. Dumon, qui était alors rapporteur du budget de la guerre et qui a clairement démontré à l'honorable M. Thiéfry que les comptes fictifs sur lesquels il s'appuyait appartenaient en réalité au règne des fictions.

Ce projet, messieurs, est fondé sur l'idée la plus radicalement fausse qu'on puisse imaginer ; celle idée, la voici : c'est que le gouvernement serait à même de nourrir des chevaux à meilleur compte que les particuliers et alors surtout que le gouvernement devrait nourrir ces chevaux sans en retirer momentanément aucun service, tandis que les éleveurs prétendent qu'à l'âge de trois ans ils peuvent déjà faire travailler le cheval croisé. Ainsi, chez l'éleveur le cheval peut gagner sa nourriture par le travail, tandis que chez le gouvernement il serait nourri sans rendre aucun service, et cependant le gouvernement le nourrirait à meilleur marché !

Mais, pour le service du dépôt de remonte vous trouvez dans l'armée un personnel qui ne doit entraîner aucune nouvelle dépense et puis vous avez des prairies au camp, où les chevaux seront nourris à peu près pour rien. Mais il a été répondu plusieurs fois à ces observations. D'abord en ce qui concerne le personnel, de deux choses l'une : ou le personnel qui existe maintenant dans l'armée excède les besoins, et alors il faut le réduire ; ou bien il n'excède pas les besoins, et alors il faut un personnel nouveau pour l'établissement qu'on se propose de créer. Je crois qu'il n'y a pas moyen de sortir de ce dilemme.

Ensuite quant aux prairies du camp de Beverloo, ou bien les herbes qu'elles produisent sont peu nutritives et sans valeur réelle, et alors comment serviront-elles à développer vos jeunes chevaux qui ne peuvent prospérer qu'à l'aide d'une alimentation substantielle ? ou bien ces prairies donnent une bonne herbe et alors cette herbe a une valeur qui pourrait être convertie en argent, et si vous la faites consommer par vos jeunes chevaux, il y a évidemment une dépense très réelle.

D'après le système que nous combattons, on pourrait, je suppose, établir une usine dans une forêt de l'Etat et y employer le bois comme combustible au lieu de charbon, et à ceux qui feraient l'observation que ce combustible coûte plus cher que le charbon, on répondrait : Mais ce bois ne coûte rien, c'esl le bois du gouvernement.

Vous voyez, messieurs, que cette idée, examinée d'une manière approfondie, ne résiste pas à l'examen.

Que vous placiez vos chevaux dans les prairies de Beverloo ou dans un autre dépôt quelconque, ils vous coûteront toujours plus cher en frais de nourriture et d'entretien que chez les éleveurs.

Maintenant, est-il absolument nécessaire que la remonte de notre cavalerie s'opère dans le pays ? Est-ce là une condition indispensable pour avoir une bonne armée ? Si cela m'était démontré, je serais très disposé à voter les dépenses qu'on nous proposerait ; car je veux avant tout la défense de mon pays ; mais je crois que toutes les considérations qu'on a alléguées sont dénuées de fondement.

Le grand argument, le voici : c'est que dans tous les autres pays, en France, en Angleterre, en Prusse, on fait ce qu'on veut faire ici. C'est donc sur une comparaison qu'on se base. Or, très souvent comparaison n'est pas raison.

Notre système militaire est avant tout un système défensif ; notre position militaire ne nous commande pas, ne nous permet même pas de porter la guerre au loin. Je crois que dans toutes les discussions relatives à l'organisation de l'armée et au budget de la guerre, il a été reconnu que, sous le rapport de la cavalerie, nous avons des besoins beaucoup moindres que les pays qu'on veut nous faire imiter.

Ensuite, pourquoi la France doit-elle nécessairement aviser au moyen d'opérer la remonte chez elle ? Parce que cette puissance peut trouver toutes les frontières fermées, peut être entourée d'ennemis de tous côtés. Notre système à nous, quel est-il ? C'est de résister à une invasion ; c'est de compter sur l’assistance de nos voisins qui doivent aussi faire respecter notre neutralité dans leur propre intérêt. Je n'insisterai pas sur ces considérations que j'ai développées dans d'autres circonstances et auxquelles on n'a rien répondu.

D'ailleurs avec votre dépôt de remonte vous ne remédiez pas aux difficultés que vous signalez ; ces difficultés consistent principalement dans la transition du pied de paix au pied de guerre. C'est alors qu'il vous est difficile de compléter votre remonte. Or, voulez-vous dans votre dépôt placer des chevaux en nombre suffisant pour faire face à cette éventualité-là ?

Je crois que cela n'entre pas dans les idées de l'honorable M. Thiéfry lui-même ; il veut un dépôt de remonte suffisant pour faire face aux besoins ordinaires, pour maintenir l'effectif de l'armée sur le pied de paix ; mais la difficulté, je le répète, consiste à opérer le passage du pied de paix au pied de guerre.

Le nombre des chevaux de selle, propres au service de la cavalerie, est limité dans le pays par nos besoins ; que vous les produisiez à l'intérieur ou que vous les fassiez venir de l'étranger, le nombre reste le même ; donc dans les deux cas, les ressources pour la remonte dans l'intérieur du pays restent à peu près les mêmes.

Voulez-vous, par hasard, remplacer les chevaux employés aux travaux de l'agriculture par des chevaux produits par la nouvelle race ? Mais alors vous entraînez le cultivateur dans une voie fatale, il ferait ainsi usage d'un instrument de travail plus cher que celui qu'il emploie aujourd'hui, et rendant moins de service ; pour réaliser votre idée, il faudrait donc bouleverser la bonne situation du pays et porter atteinte aux intérêts les plus graves.

Ainsi, messieurs, un dépôt de remonte ne remédie pas à la grande difficulté du passage du pied de paix au pied de guerre et dès lors les dépenses qu'on ferait pour la création d'un pareil établissement sont dépourvues d'un véritable caractère d'utilité.

Messieurs, dans ma manière de voir, pour satisfaire à ce grand intérêt de l'Etat, il y a mieux à faire que le haras et les dépôts de remonte ; je crois que la race ardennaise, améliorée par elle-même, nous offre sous ce rapport de grandes ressources.

Il y a, messieurs, dans le cheval deux choses : il y a les qualités morales et les formes. Quant aux qualités morales, je ne crains pas de dire que le cheval ardennais vaut au moins le cheval anglais ; il est plus enfant de la nature ; l'autre est trop artificiel pour supporter les fatigues de la guerre. Des événements récents justifient jusqu'à un certain point cette appréciation.

Le cheval ardennais possède au plus haut degré les qualités nécessaires au cheval de guerre ; il est sobre, dur à la fatigue, il résiste aux privations. Vous savez que le plus grand capitaine des temps modernes l'a appelé infatigable. Maintenant, je l'avoue, quant aux formes, il laisse' à désirer.

Ainsi, en général, la taille est trop peu développée, l'avant-main n'a pas de bonnes proportions, l'encolure est trop peu développée, mais les vices de forme sont plus faciles à corriger que les vices de fond.

J'ai remarqué que les chevaux ardennais transportés dans les Flandres, à un an ou un an et demi, et recevant une nourriture plus substantielle, se développaient admirablement et pouvaient fournir un cheval très convenable pour la cavalerie. S'il est vrai que nous devions aviser au moyen de remonter notre cavalerie dans le pays même, qu'on encourage l'amélioration de la race ardennaise par elle-même. Je crois que c'est là qu'on peut espérer pour l'avenir un véritable dépôt de remonte établi dans des conditions normales.

Remarquez que dans le Luxembourg surtout l'industrie chevaline peut se développer, la population y est moins dense et les terrains y ont une valeur beaucoup moindre que daus le reste du pays. Je sais qu'il faudrait que l'agriculture s'y développât aussi, qu'on pût y trouver des fourrages plus abondants et plus nutritifs ; mais je crois que les deux choses exerceraient l'une sur l'autre une influence salutaire.

Un dernier mot, messieurs, quant à l'intérêt de l'agriculture, que les partisans du haras ont beaucoup invoqué et dont je crois être aussi soucieux que qui que ce soit.

Mais je suis intimement convaincu que cette grande industrie n'est guère intéressée dans ce débat.

En effet, je vous ai fait connaître l'importance de la production du cheval croisé et l'ai caractérisée en deux mots : elle forme la deux millième partie de la production agricole ; et c'est au nom des intérêts de l'agriculture qu'on vient réclamer le maintien d'une chose aussi insignifiante au point de vue de l'industrie rurale !

D'ailleurs, le cheval croisé n'appartient à l'agriculture que comme produit ; ce n'est pas l’instrument de travail de l'agriculteur ; c'est l'ancienne race qui lui rend les services les plus précieux.

Voici encore une circonstance qui prouvera combien les partisans du haras doivent être convaincus du peu d'influence que leur industrie de prédilection exerce sur les progrès de l'agriculture.

Quand nous discutions, il y a quelque temps, la question de l'enseignement agricole, l’honorable M. Faignart, pour démontrer la nécessité de cet enseignement, a fait ressortir combien l'agriculture a encore de progrès à faire dans différentes contrées du pays et spécialement dans l’arrondissement de Nivelles, qui est le centre et le siège principal de la nouvelle industrie chevaline ; il reconnaissait donc implicitement que le développement de cette industrie est loin de marcher de pair avec les progrès de l'agriculture. Au sein de la commission spéciale de 1854, j'ai demandé que dans la répartition des encouragements eu faveur de l'ancienne industrie chevaline, on voulût bien tenir compte des encouragements donnés à l’industrie nouvelle, par exemple dans un (page 525) district où il y aurait une station temporaire des reproducteurs du haras.

J'aurais voulu qu'on fût plus sobre d'encouragements affectés à l'ancienne industrie chevaline, afin d'accorder ces encouragements dans des proportions plus fortes, aux localités qui ne font point usage des étalons du haras ; c'était, me paraissait-il, un système de compensation fondé sur des considérations de justice et d'équité. Or, il m'a été répondu, et notamment par l'honorable M. Tremouroux, que l'adoption de ce système entraînerait la suppression du haras, évidemment, parce que les cultivateurs appelés à opter en partie entre les bienfaits du haras et les encouragements affectés à l'ancienne industrie chevaline, donneraient toujours la préférence à ces derniers, preuve évidente que la production du cheval croisé intéresse bien faiblement l'agriculture, et ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire, que ceux qui s'adonnent à cette industrie sont généralement mus par d'autres considérations.

L'honorable M. Faignart a réclamé le maintien du haras dans l'intérêt de la province de Hainaut et il a dit que ce serait injuste de ne pas maintenir cette faveur dont profite la province de Hainaut, alors que des subsides, dont on ne demande pas la suppression, sont accordés à d'autres provinces ; il a fait particulièrement allusion aux subsides accordés aux Flandres pour les aider à traverser la crise de l'industrie linière.

Je regrette que l'honorable membre ait perdu de vue qu'ici l'intervention du gouvernement était fondée sur des considérations toutes spéciales et notamment sur des considérations d'humanité.

Toutefois, voici à cet égard une déclaration franche et nette ; je ne suis guère partisan des subsides dont l'honorable membre a particulièrement parlé, et quant à moi, je n'insiste pas pour leur maintien. J'aime à faire cette déclaration très précise à la veille des élections, parce que je préfère de beaucoup de rester dans la vie privée que d'être envoyé ici pour défendre des principes ou des propositions qui seraient contraires à mes convictions.

Mais il est une considération essentielle que l'honorable M. Faignart a trouvé convenable de laisser de côté, c'est que les subsides dont il s'agit n'ont été accordés aux Flandres que moyennant le concours des provinces.

Or, au sein de la commission spéciale de 1854, j'ai demandé également que les provinces dussent concourir jusqu'à un certain point aux dépenses du haras dans la proportion des avantages qu'elles en retirent. Ainsi j'avais demandé notamment que les frais des stations temporaires fussent supportés au moins en partie par les provinces. Eh bien, cette proposition a été rejetée, évidemment parce qu'on a craint de soumettre la question de l'utilité du haras à l'appréciation des autorités provinciales qui sont cependant parfaitement placées pour juger les résultats de cette institution, et il en est résulté que, sous ce rapport encore, il y a un privilège injuste en faveur des provinces les plus riches, dispensées de devoir prêter leur concours pour jouir des subventions du gouvernement.

La comparaison faite par l'honorable M. Faignart est donc absolument dénuée de fondement, et il demeure établi qu'il a été créé pour la nouvelle industrie chevaline un système exceptionnel de privilèges et de faveurs exorbitantes et anomales qu'il me paraît impossible de maintenir. J'insiste donc pour l'adoption de l'amendement de l'honorable M. David.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, les orateurs que vous avez entendus ont donné à ce débat relatif au haras des proportions fort étendues et j'apprends que sept orateurs sont encore inscrits. La Chambre comprendra que, dans ces circonstances, je laisse là toutes les considérations accessoires, et que j'aille tout droit au cœur de la question.

Messieurs, l'amélioration de la race chevaline est de la plus haute importance pour tous les pays ; elle l'est surtout pour la Belgique, qui est essentiellement agricole dans la plupart de ses provinces.

C'est donc une question importante, au point de vue de l'agriculture. Elle est aussi importante au point de vue commercial ; car la Belgique fait un commerce très considérable en chevaux. On peut même dire, qu'à part le Hanovre et le Danemark, c'est la Belgique qui a le commerce le plus étendu en chevaux.

Elle est non moins importante, lorsqu'on l'envisage dans ses rapports avec la défense du pays, comme moyen de remonte pour notre cavalerie.

Quels sont les devoirs du gouvernement, ayant à résoudre le problème de l'amélioration de la race chevaline ?

L'honorable préopinant ne me paraît pas comprendre toute l'étendue des devoirs du gouvernement.

D'après lui, le gouvernement n'a qu'à se préoccuper de l'amélioration de l'ancienne race chevaline. Je crois, au nom du gouvernement, que son devoir ne se borne pas là, qu'il doit aussi faciliter au pays les moyens de se créer une race nouvelle. Le gouvernement doit embrasser l'ensemble de la question, et ne négliger aucun des intérêts qui s'y rattachent.

J'admets, avec l'honorable membre, que la partie essentielle de cette mission du gouvernement est celle qui se rapporte à l'amélioration de la race chevaline indigène.

Je n'examinerai pas tous les calculs qu'a faits l'honorable préopinant, pour vous démontrer la supériorité de l'ancienne industrie (amélioration de notre ancienne race) sur la nouvelle industrie (élève du cheval par le croisement).

On peut, dans ces sortes de matières, avancer beaucoup de chiffres, mais il est fort difficile de dire jusqu'à quel point ils sont conformes aux faits.

D'après des renseignements que j'ai lieu de croire exacts, l’amélioration de l'ancienne race chevaline (la race par la race) peut avoir une importance annuelle de sept à huit millions, tandis que la valeur des produits de l'industrie nouvelle (croisement) peut aller jusqu'à 5 ou 6 cent mille francs par an.

Mes chiffres ne sont donc pas les mêmes que ceux présentés par l'honorable député d'Alost. Mais enfin, je reconnais volontiers que les résultats obtenus par l'industrie ancienne sont bien plus importants que les résultats obtenus jusqu'à présent par l'industrie nouvelle. C'est un point admis par tout le monde.

Le gouvernement a-t-il perdu de vue l'amélioration de notre race indigène ? J'aurais compris ce reproche, cette accusation, il y a quelques années. Alors, en effet, le gouvernement n'avait peut-être pas, comme il l'a fait depuis trois ou quatre ans, témoigné toute l'importance qu'il devait attacher à l'amélioration de la race indigène. Mais, vous le savez, depuis les travaux de la commission spéciale, le gouvernement a constamment diminué le crédit pour le haras, et a consacré cette économie à l'amélioration de l'ancienne race indigène.

C'est par voie de compensation que cela a eu lieu. Le gouvernement s'est dit que toutes les provinces ne profitent pas à un égal degré de l'établissement du haras et de l'élève du cheval par le croisement, et qu'il serait injuste de ne pas accorder à ces provinces une sorte de compensation.

C'est ainsi que le gouvernement consacre 70 mille fr. annuellement à améliorer, surtout dans quelques-unes de nos provinces, l'ancienne race chevaline.

Le système suivi par le gouvernement a été accueilli avec beaucoup de faveur par ces provinces ; il a une importance qu'on ne saurait méconnaître sans injustice. Voici en quoi il consiste.

Quelques-unes de nos provinces s'étaient, il y a quelques années, arrêtées à l'établissement d'un certain nombre de primes en faveur d'étalons et de juments propres à la reproduction par voie de sélection. Voyant l'utilité de ces primes, le gouvernement en a considérablement augmenté le nombre.

Ces primes étaient, il y a quelques années, de 122 pour toutes nos provinces ; elles sont aujourd'hui de près de 280.

C'est donc par voie indirecte que le gouvernement est intervenu dans l'amélioration de notre ancienne race chevaline. Et il a bien fait. Nous avons dans le pays des personnes s'occupant beaucoup de cette industrie, des étalonniers qui, loin d'être encouragés par le gouvernement, pouvaient se plaindre de sa concurrence. Le gouvernement n'est plus en concurrence avec ces éleveurs indigènes.

Dans toutes les provinces, excepté celle de Liège, des règlements ont organisé un régime à peu près uniforme pour favoriser l'élève de nos chevaux de trait.

Les administrations provinciales veillent à l'observance de ces règlements ; elles s'associent à la pensée du gouvernement par des subsides ; de tous côtés, on peut le dire, une impusion nouvelle est donnée à l'amélioration de la race chevaline indigène.

La part du gouvernement dans ces résultats n'est pas sans importance.

Le gouvernement consacre, d'abord, une somme annuelle de 58,000 francs, répartie entre nos provinces, à encourager l'ancienne industrie, par le système de primes dont nous venons de parler.

Ces primes s'appliquent aux étalons comme aux juments. Les primes pour étalons sont au nombre d'environ 280, celles pour juments sont au nombre de 73. Ces primes sont accordées non seulement pour la production des plus beaux sujets, mais aussi pour leur conservation dans le pays, afin de prévenir l’enlèvement par l'étranger. De plus, le gouvernement dispose encore annuellement d'une autre somme de 10,000 francs pour favoriser l'achat d'étalons de trait étrangers qui conviennent le mieux à'chacune de nos provinces.

C'est ainsi que la Flandre occidentale, en ce moment même, reçoit du gouvernement un subside de 5,000 fr. pour acheter en France des étalons percherons ou boulonnais, qui semblent particulièrement convenir à l'amélioration de la race chevaline de cette province. La province d'Anvers a reçu aussi une somme de près de 5 mille francs pour l'achat d'étalons de trait afin d'améliorer la race par la race, couronnement au vœu si souvent exprimé dans cette discussion.

Il y a plus : les comices agricoles, subsidiés par le gouvernement, ont aussi cherché, et non sans succès, à instituer des concours où le gouvernement intervient et qui exercent une heureuse influence sur l'amélioration de notre race indigène.

Voilà ce que le gouvernement fait en faveur de la race chevaline indigène. Je ne pense pas que le gouvernement puisse ni doive aller plus loin. Je ue pense pas que l'honorable membre, adversaire de l’intervention du gouvernement, voulût qu'il allât plus loin. On ne peut donc pas soutenir que le gouvernement néglige notre race indigène.

M. de Naeyer, rapporteur. - Je n'ai rien dit de semblable.

(page 526) M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - C’est toute la base de votre argumentation. Le gouvernement, avez-vous dit, n'encourage pas l'amélioration de l'ancienne race chevaline.

L'honorable membre est allé jusqu’à dire que le système du gouvernement est nuisible à la race indigène. Il a essayé de prouver que non seulement le gouvernement ne fait rien pour l’ancienne race indigène, mais qu'il lui nuit. Examinons ce grief.

L'honorable M. de Naeyer fonde son allégation sur deux motifs.

Le gouvernement, dit-il, nuit à l'ancienne rare chevaline, parce que, par l'industrie nouvelle (système du croisement) il enlève à l'ancienne industrie chevaline ses meilleures juments. D'abord, l'honorable membre sait parfaitement bien que, dans un grand nombre de nos provinces, il n'y a pas de stations pour le croisement. Là, la reproduction se fait donc par la race même. Ainsi, dans les Flandres, il n'est pas question d'enlever les meilleures juments.

Elles sont réservées, comme moyens de reproduction, pour la propagation de notre espèce indigène.

Dans les provinces où le croisement est préféré, de quel droit pourriez-vous enlever au cultivateur la liberté de faire de ses juments l'usage qui lui paraît le plus avantageux ? Si le cultivateur trouve que son intérêt exige que sa jument se reproduise par le croisement, pourquoi l'empêcher de le faire ? Il me semble qu'il y aurait là une sorte de tyrannie.

Le deuxième motif, c'est que si le gouvernement étend l'industrie nouvelle (élève par le croisement) il n'y ait bientôt plus de place pour la race ancienne (race indigène) et qu'il n'y ait plus moyen de la développer. C'est un argument qui n'est pas sérieux. Rien ne dit que pour les fourrages et autres aliments destinés à la race chevaline, nous soyons arrivés au point de ne pouvoir produire davantage sans nuire à l’agriculture, ou à l'alimentation de l'homme.

Et puis, nous avons la ressource d'acheter à l'étranger. D'ailleurs il est évident que plus on élève de chevaux, plus on produit d’engrais, élément indispensable pour l'industrie agricole. C'est un capital. A ce point de vue encore, le développement simultané des deux races ne peut qu'être utile à l'agriculture.

Messieurs, il est donc hors de toute contestation que le gouvernement ne s'oppose en aucune façon à ce qu'on améliore la race indigène ; au contraire, il encourage cette amélioration par tous les moyens à sa disposition.

Une seconde question est celle de savoir si le gouvernement doit se borner là. Eh bien, je crois, moi, que le gouvernement a encore un autre devoir à accomplir.

On peut dire que dans tous les pays, à côté de l'amélioration de la race indigène, on a senti la nécessite d'encourager la création d une race nouvelle par le croisement. Faut-il que la Belgique fasse exception ? Je ne vois pas pourquoi elle ferait exception. Ne pouvons-nous pas produire cette race nouvelle comme tous les autres pays ? Ne voyons-nous pas que tous nos voisins le font, et avec avantage ? Pourquoi ne pourrions-nous le faire aussi ? Nous voyons que l'étranger vient nous enlever nos juments pour opérer chez lui ces croisements que vous voulez nous interdire chez nous.

Avons-nous intérêt à le faire ? Oui, nous avons intérêt à le faire.

Nous payons encore, pour nous servir d'une expression consacrée par l'usage, un tribut à l'étranger, en ce sens que nous devons lui prendre des chevaux de trait léger, de carrosse et de selle. Je ne vois pas pourquoi la Belgique doit s’interdire la création chez elle de ces races et ne pas se réserver ainsi la ressource de ces trois millions qu'elle paye annuellement à l'étranger. Je ne vois pas non plus pourquoi, lorsque cette question sera mûrie, nous ne trouverions pas dans le pays même les chevaux nécessaires à la remonte de notre cavalerie.

Le gouvernement est donc d'avis qu'il y a aussi lieu de créer en Belgique une race nouvelle par le croisement.

Le gouvernement est-il seul de mon avis ? Messieurs, il a consulté à diverses reprises tout ce qu'on peut appeler des autorités en matière agricole. L'honorable préopinaut a beau contester ce fait, il est réel. Ainsi le conseil supérieur d'agriculture, qui n'est pas une commission gouvernementale, puisqu'elle est composée des délégués des comices et par conséquent indépendante ou gouvernement pour la manifestation de son opinion, le conseil supérieur d'agriculture, à diverses reprises et à l’unanimité pour ainsi dire, a émis l'avis qu'il y avait lieu d'une part à améliorer la race ancienne par la voie de sélection, et d'autre part à créer une race nouvelle par la voie de croisement. Le congrès agricole, la société centrale d’agriculture ont, à cet égard, émis les mêmes idées.

Les comices agricoles, quelle opinion ont-ils manifestée ?

J'ai été fort étonne d’entendre l’honorable M. David se servir d’arguments qui tournent tout à fait contre lui. L'honorable membre nous a lu successivement les opinions émises pas les comices.

Or, qu’en est-il résulté ? Il nous a prouvé par cette lecture que là où l’on n’a pas de stations, où l'on n’a jamais pu apprécier les résultats du croisement, on s'est montré ou indifférent ou defavorable. Mais partout on l'on a pu apprécier les résultats du croisement, partout où l’on a des stations, on est favorable au croisement. On peut donc dire, avec raison, à l'honorable M. David que son argumentation tourne contre lui. Il y a 105 ou 107 districts agricols dans le pays, et il n’y a que 22 stations.

Ainsi, la plupart des districts ne peuvent apprécier les résultats du croisement. Mais sur les vingt-deux districts qui ont des stations, il se trouve qu'il y en a vingt qui se déclarent favorable au croisement. Ainsi, toutes les personnes qui ont été à même d'apprécier les résultats du croisement trouvent que les résultats en sont avantageux, et proclament qu'il est digne des encouragements du gouvernement.

Si donc, messieurs, il est utile d'encourager l'industrie nouvelle de l'élève du cheval par voie de croisement, comment faut-il le faire ? Là est maintenant toute la question.

Ici encore, le gouvernement fait non seulement ce qu'il doit faire, mais ce que seul il peut faire. L'établissement du haras doit nécessairement avoir lieu par le gouvernement. Ici, l'intervention directe du gouvernement est indispensable. L'intervention est indirecte pour l'amélioration de la race indigène. Il y a des intérêts particuliers, des traditions, le concours des provinces. On ne doit pas subsidier et encourager ainsi par voie indirecte. Mais pour l'introduction d'une race nouvelle, il fallait de toute nécessité que le gouvernement intervînt d'une manière directe.

Car, de bonne foi, l'honorable préopinant doit le reconnaître, il est impossible que des particuliers créent un haras dans ce pays surtout. Dans un pays de petite culture, de grande division des fortunes et des propriétés, il est impossible que des particuliers établissent un haras.

Mais, dit l'honorable M. de Naeyer, on pourrait recourir à l'association. D'abord, nous savons tous que, dans notre pays, l'esprit d'association n'a malheureusement pas encore pris tous les développements qu'il pourrait et qu'il devrait prendre comme complément de notre vie politique. Mais, il y a un autre motif, pour lequel une association pour l'établissement d'un haras est chose impossible. Les honorables membres qui croient une telle association possible, s'imaginent que l'élève du cheval par croisement est une espèce de caprice aristocratique, qu'il n'y a que quelques grands éleveurs, quelques grands seigneurs qui se donnent ce plaisir. Mais ils versent dans une erreur fondamentale.

Si je pouvais vous mettre sous tes yeux, comme je les ai eus tout à l’heure, les Mémoriaux administratifs où l’on cite nom par nom les éleveurs qui s'adressent aux stations du gouvernement pour opérer le croisement, vous verriez que la presque totalité appartient à la catégorie des petits cultivateurs. Vous voudriez donc établir une association de petits cultivateurs ? Cela n'est pas sérieux, en vérité.

Il faut donc, si vous voulez la création d'une industrie nouvelle pour l’amélioration de la race chevaline par le croisement, ce qui se pratique dans tous les pays, ce que nous pouvons faire et ce que nous avons intérêt à faire, il faut l’intervention directe du gouvernement.

Messieuts, je crois en avoir dit assez pour faire comprendre à la Chambre quelle est au fond toute la question qu'elle a à décider par son vote.

Maintenant deux mots des amendements qui ont été proposés.

Les honorables MM. de Naeyer et collègues proposent de retrancher 50,000 fr. du budget pour, dans leur pensée, empêcher le renouvellement du matériel vivant. Ces 50,000 fr., en effet, sont destinés à faire des acquisitions nouvelles propres à renouveler le matériel vivant.

Messieurs, ces honorables membres ont eu la franchise de vous dire que c'est proposer indirectement la suppression du haras. L'honorable M. David vous l’a dit sans ambages. L'honorable M. de Naeyer vous a avoué que ce n'est pas la mort immédiate, mais la mort lente de cette institution qui serait la conséquence de l'adoption de leur amendement.

La question csl donc nettement posée. Il s'agit de savoir si l'on veut, oui ou non, la suppression du haras. Ne pas allouer ces 50,000 francs, c'est ne pas permettre le renouvellement nécessaire et plus nécessaire que jamais, du haras. En effet, il se trouve précisément que le matériel vivant du haras est dans un état très peu satisfaisant et qui exige un prompt renouvellement.

Parmi les chevaux qui sont actuellement, au haras, quatre étalons de pur sang ont plus de vingt ans ; trois ont plus de quinze ans et deux ont plus de quatorze ans. On y compte, en outre, quatre étalons de demi-sang qui ont de treize à seize ans, et trois étalons de trois quarts sang qui ont du quinze à dix-neuf ans.

Ces données officielles vous prouvent que le matériel vivant du haras n'est pas déjà trop remarquable et qu'il éprouve le besoin de se renouveler. Dans une telle situation, vous le comprenez, ne pas permettre ce renouvellement c’est vouloir la destruction du haras. La Chambre verra ce qu’elle aura à faire, mais il importe qu'elle sache parfaitement quelle est la portée pratique du vote qu'elle est appelée à émettre.

L’honorable M. de Baillet voudrait qu'il y eût au haras de l'Etat un tiers d’étalons de gros trait, un tiers d’étalons de demi-sang et un tiers d’étalons de trois quarts sang.

Autrefois, messieurs, nous avions au haras de l'Etat des étalons de gros trait, mais alors on faisait un autre genre d'objections. On disait : Laissez cela aux éleveurs ; vous avez dans le pays une masse d’étalonniers qui fourniraient d’excellents étalons de trait ; il ne faut pas faire concurrence à l’industrie privée. On avait parfaitement raison, et l'on a enevé du haras de l’Etat les étalons de gros trait.

L’Etat a donc laissé aux particuliers le soin d'améliorer les chevaux de gros trait, mais il s’est réservé d'avoir au haras des animaux reproducteurs que les éleveurs ne pourraient pas nous donner, sans l intervention de l'Etat. (Interruption.) L'Etat ne peut pas en donner partout.

M. de Baillet-Latour. - Tout le pays paye !

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - La répartition doit se faire (page 527) équitablement. L'honorable comte de Baillet a fait une demande au gouvernement, cette demande sera examinée. Il est évident que quand on n'a que quelque étalons on ne peut pas en fournir à tout le pays ; mais il y a là une question de justice distributive qui fera l'objet de toute la sollicitude du gouvernement.

Mais, messieurs, si l'Etat n'a plus d'étalons de gros trait dans le haras, il subsidie l'achat de ces sortes d'étalons par les administrations provinciales.

Comme je vous le disais tout à l'heure, il y a un fonds de 10,000 fr. consacré à cet objet. Et puis, il y a des provinces plus avancées sous ce rapport, comme le Hainaut, où l'on demande avant tout des pur sang et où l'on s'en trouve parfaitement bien, puisqu'on obtient des produits très beaux et que l'on vend très bien.

Ainsi, hier encore a eu lieu dans le Hainaut la vente de chevaux d'un de nos anciens collègue, M. Dumont, et, si mes renseignements sont exacts, tous les chevaux ont été achetés à des prix vraiment exorbitants, 1,600, 1,800 et 2,000 fr.

Messieurs, la question est donc bien nettement posée devant vous, je crois l'avoir, en peu de mots, rendue parfaitement intelligible pour tous. Je m'en réfère volontiers à la décision de la Chambre.

La Chambre saura montrer qu'elle a de l'esprit de suite. L'année dernière encore elle a autorisé le transfert du haras de l'Etat à Gembloux ; les constructions sont faites et elle irait maintenant détruire cet établissement qu'on a eu tant de peine à créer ?

D'un autre côté, que la Chambre veuille bien se garder d'un sentiment d'impatience qui serait injuste et funeste. Ce serait une grande erreur que de vouloir qu'une semblable institution produise des résultats immédiats. Sachons compter avec le temps. Sachons attendre : nous représentons la nation ; la nation a son lendemain : elle ne doit pas se montrer si pressée de recueillir les fruits de ses institutions ; elle a pour elle l'avenir.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je n'ai pas la prétention, messieurs, d'apporter un nouveau contingent de lumières dans une question si laborieusement étudiée et si savamment développée par les orateurs qui ont successivement pris la parole dans cette enceinte, mais, en qualité de ministre de la guerre, je crois devuir donner mon appui à l'opinion qui se prononce dans le sens de la conservation du haras. A cet effet, je me permettrai de dire quelques mots à la Chambre.

L'insuffisance de nos chevaux de race indigène pour la remonte de la cavalerie a été prouvée à l'évidence par les diverses expériences qui ont été faites.

Si ces chevaux fournissent de très bons attelages de guerre, ils ne donnent que des chevaux de selle impropres au service de l'armée, Des épreuves ont été faites à ce sujet et les septièmes escadrons seuls, qui avaient été organisés dans cette vue, n'ont pu employer des chevaux de race ardennaise que parce qu'ils étaient affectés au service d'estafette, au service d'ordonnance, en un mot à des services isolés qui permettaient d'utiliser les qualités morales que l'honorable M. de Naeyer a très judicieusement développées.

Ces qualités consistent surtout dans la résistance à la fatigue, la bonne volonté et l'aptitude au travail, mais elle ne se prête pas à la discipline des manœuvres et des marches combinées, en un mot aux mouvements des chevaux réunis à l'escadron.

Il est donc impossible d'employer les chevaux de race ardennaise au service de la cavalerie, et nous devons nécessairement recourir à l'étranger.

Quelle que soit la force proportionnelle des différents armes, toujours est-il que sept régiments ont besoin de se recruter par la remonte et que c'est à l'étranger seul que nous pouvons nous procurer les chevaux nécessaires. Dès que les circonstances deviennent défavorables ou difficiles, toutes les frontières étrangères se ferment à la sortie, et nous ne pouvons plus alors nous procurer les chevaux dont nous avons besoin.

L'honorable M. de Naeyer a dit qu'un de mes prédécesseurs s'était opposé à la création de dépôts de remonte. Je pense, messieurs, que le ministre auquel on a fait allusion avait répondu à la question dans un ordre d'idées autre que celui qui se produit aujourd'hui. La nécessité d'un dépôt de remonte se fait sentir tous les jours davantage. Différentes commissions ont été consultées sur ce point et ces commissions n'étaient pas, comme l'a dit l'honorable M. de Naeyer, composées de gens intéressés dans la question ; j'ai eu, moi, sous les yeux les rapports de plusieurs commissions exclusivement composées de militaires, d'hommes enfin qui n'avaient d'autre intérêt que celui de l'armée.

Toutes ces commissions ont été d'accord sur la nécessité de créer des dépôts de remonte ; mais des divergences d'opinion se sont produites lorsqu'il s'est agi de l'exécution : la plupart de ces systèmes conduisaient à des dépenses considérables, à une mise de fonds énorme et à des résultats très éloignés. Comme vient de le dire mon honorable collègue, l'impatience ordinaire et de ceux qui administrent et de ceux qui contrôlent l'administration permet difficilement des épreuves dont les résultats ne doivent se produire que dans un temps fort éloigné.

Il a donc fallu se livrer à de nouvelles études, et jusqu’à ce jour nous n'avons pu obtenir de résultat assez complet pour être présente aux Chambres sous la forme d'un projet de loi. Cependant des nécessités sérieuses nous pressent, les avantages qui doivent résulter pour le pays de dépôts de remonte sont suffisamment appréciés pour que nous cherchions avec persévérance à nous affranchir des difficultés que pons éprouvons aujourd'hui. Dans cet ordre d'idées, j'ai prescrit déjà quelques mesures préliminaires qui rentrent dans les opinions émises hier par l'honorable M. Thiéfry.

La première difficulté à résoudre c'est de savoir si notre établissement militaire de Beverloo pourra convenir pour la création d'un dépôt de remonte. Cette question est à l'étude pratique dans ce moment. J'ai fait arrêter la vente des produits de la dernière remonte, je les ferai rassembler au camp de Beverloo et l'on verra quel parti on peut tirer, sous ce rapport, des pâturages du camp.

Toutefois je ne partage pas l'avis émis par l'honorable M. de Naeyer que, si nous parvenons à élever des chevaux au camp de Beverloo, ils nous coûteront plus cher que les produits des éleveurs particuliers. Je me permettrai de lui faire observer que nous pouvons citer dans l'armée des phénomènes de ce genre. Nous nourrissons, dans les tmnps ordinaires, un soldat avec 30 ou 35 centimes par jour, et je ne pense pas que cela puisse se réaliser, dans les mêmes conditions, chez aucun particulier.

Nous avons donc lieu d'espérer qu'à la suite de l'épreuve que nous faisons en ce moment, si nous constatons que les pâturages sont d'une qualité utile, nous pourrons, dans des proportions très modestes, commencer un établissement de remonte, et, après un certain laps de temps, arriver devant la Chambre avec un résultat connu, avec des calculs certains et avec des propositions de nature à être généralement accueillies.

Je ne partage pas entièrement non plus l'avis de l'honorable M. Thiéfry, je ne pense pas que nous puissions obtenir un résultat important, sans faire certaines dépenses.

Sans doute elles seront peu considérables au début, et dans l'ordre d'idées que je viens de soumettre à la Chambre, si plus tard nous voulons aller plus loin, les résultats déjà obtenus nous permettront de déterminer les dépenses nécessaires pour arriver au but que nous voudrons atteindre.

Ces considérations me conduisent à conclure, comme j'ai commencé : en priant la Chambre de vouloir bien prendre une décision favorable au maintien du haras de l'Etat.

- La clôture est demandée.

M. David (contre la clôture). - Messieurs, à côté de la question du haras, il vient d’en surgir une toute nouvelle. M. le ministre de la guerre vient d'annoncer à la Chambre une dépense pour laquelle il n'y a aucuns fonds dans le budget. Si nous laissons passer ce fait inaperçu, M. le ministre de la guerre se croira autorisé à faire la dépense. Il est donc nécessaire de continuer la discussion, à l’effet d'examiner s'il convient de poser le principe d'un dépôt de remonte. J'appelle sur ce point toute l'attention de la Chambre ; il peut en résulter plus tard des dépenses considérables pour le pays.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je déclare que la première étude expérimentale à faire sur les jeunes sujets, ne donnera ouverture à aucune nouvelle demande de crédit.

M. Delfosse (sur la clôture). - Messieurs, je reconnais que le débat a été très long ; mais il n'est pas dans les usages de la Chambre de prononcer la clôture après le discours d'un ministre ; or, non seulement un ministre mais deux ministres viennent de parler ; il est donc convenable de laisser répondre.

M. de Renesse (sur la clôture). - Messieurs, j'ai demandé la parole pour appuyer la demande de clôture. Je ferai remarquer à la Chambre et surtout au pays, que par suite de longues discussions continuelles sur certaines questions qui se présentent depuis quelque temps, à chaque session, l'on finit par ajourner les travaux réellement utiles de la Chambre ; c'est ainsi que, depuis le commencement de la session, l'on n'a encore pu discuter que quelques budgets et quelques projets de crédits supplémentaires ; aucun projet important n'a'encore pu obtenir son tour, par suite de ces longues discussions qui ne surgissent que trop souvent.

Il y a déjà trois jours que dure la discussion sur le haras ; il me paraît que l'opinion de la Chambre, sur cette question, doit être formée, et que l'on doit pouvoir demander la clôture sur cet article du budget de l'intérieur.

Je ferai aussi observer à la Chambre que, dans d'autres pays constitutionnels, les discussions sur les budgets sont plus courtes et qu'on ne les y traîne pas en longueur comme ici.

M. de Mérode (sur la clôture). - Messieurs, je n'ai qu'une observation à faire : il y a des membres qui prononcent des discours immenses, qui viennent en quelque sorte lire des volumes entiers ; il arrive par là que presque tous les orateurs sont privés de la parole et sont obligés d'écouter les autres indéfiniment. Je subis cet inconvénient comme d'autres, mais je le signale.

M. Delfosse (sur la clôture). - Messieurs, personnellement, je suis pour la clôture, mais je dis que ce serait un précédent fâcheux de la prononcer après que deux ministres ont été entendus.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Nous allons passer au vote des articles et des amendements qui s'y rattachent.


« Art. 52. Traitements et indemnités du personnel du haras : fr. 36,000. »

- Adopté.


(page 528) « Art. 53. Traitement de disponibilité ; charge extraordinaire : fr. 1,000. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je propose à cet article un changement de libellé.

Parmi les employés du haras dont l’emploi a été supprimé, il y a un an, se trouvent deux élèves palefreniers qui n'avaient rien qu'une indemnité. Ils figurent parmi les ayants droit aux 1,600 francs portés à cet article. La cour des comptes n'a pas voulu liquider la dépense parce que le mot « traitement » figurait seul au libellé. Il faudrait y ajouter le mot indemnité et dire : « traitement et indemnité de disponibilité, 1,600 fr. »

- L’article 53 avec la modification proposée est mis aux voix et adopté.

« Art. 54. Matériel du haras de l'Etat et achat d'étalons : fr. 102,000. »

M. le président. - MM. David, de Naeyer, Vander Donckt et Mascart proposent de réduire le chiffre pétitionné pour matériel du haras et achat d'étalons à la somme de 52,000 fr.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal !

M. le président. - Cette proposition va être mise aux voix par appel nominal.

M. de La Coste. - Je demande la parole sur la position de la question.

On a coutume de voter toujours sur le chiffre le plus élevé.

M. David. - Je veux faire une proposition subsidiaire pour le cas ou notre amendement ne serait pas adopié, je demande la division de l'article en deux :

« Matériel du haras, 52,000 francs.

« Achat d'étalons, 50,000 francs. »

M. le président. - C'est une proposition nouvelle. La discussion étant close, elle ne peut plus être produite.

L'amendement que vous avez proposé et qui est imprimé peut seul être mis aux voix.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je crois que conformément aux précédents, il vaut mieux mettre aux voix le chiffre demandé par le gouvernement. (Oui ! oui !)

- Il est procédé au vole par appel nominal sur le chiffre de 102,000 fr. demandé par le gouvernement.

En voici le résultat :

78 membtes répondent à l'appel ;

53 membres répondent oui ;

25 membres répondent non ;

En conséquence, l'article 54, avec le chiffre de 102,000 francs proposé par le gouvernement est adopté.

Ont répondu oui : MM. F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Perceval, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Sécus, de Steenhault, de Theux, Devaux, de Wouters, Dumon, Faignart, Lambin, Lange, Laubry, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Maertens, Malou, Manilis, Mercier, Moncheur, Osy, Previnaire, Rodenbach, Rousselle, Tack, Tesch, Thiéfry, Thienpont, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Van Grootven, Van Hoorebeke, Verhaegen, Vervoort, Veydt, Wasseîge, Ansiau, Anspach, Coppieters 't Wallant, de Baillet-Latour, de Breyne, de Chimay, de Decker, de La Coste, de Liedekerke, Della Faille, de Man d'Attenrode et Delehaye.

Ont répondu non : MM. de Naeyer, de Portemont, de Ruddere, Desmaisières, Janssens, Julliot, Landeloos, Magherman, Mascart. Moreau, Pirmez, Sinave, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Overloop, Boulez, Brixhe, Coomans, Dautrebande, David, de Bronckart, de Haerne, Delfossc et Deliége.


« Art. 55. Amélioration de la race chevaline indigène. Exécution des règlements provinciaux sur la matière ; exécution des règlements provinciaux pour l'amélioration de la race bovine. Amélioration des espèces bovine, ovine et porcine : fr. 98,500. »

M. le président. - M. de Baillet-Latour a proposé à cet article un amendement ainsi conçu :

« A partir de l'année 1857, le dépôt central du haras de l'Etat se composera :

« 1° D'un tiers d'étalons de gros trait ;

« 2° D'un tiers d'étalons demi-sang ;

« 3° D'un tiers d'étalons trois quarts sang.

« Toutefois, il sera loisible au gouvernement de se procurer, par exception, le nombre d'étalons pur sang qui pourrait être nécessité par les demandes particulières de quelques éleveurs. »

Il va être mis aux voix.

M. de Baillet-Latour. - Je le retire.

- L'article 55 est mis aux voix et adopté.

Articles 56 à 59

« Art. 56. Conseil supérieur et commissions provinciales d'agriculture ; subside pour concours et expositions ; encouragements aux sociétés et aux comices agricoles ; achat d'instruments aratoires nouveaux, destinés à servir de modèles ou à être distribués par l'entremise des commissions d'agriculture ; dépenses diverses : fr. 88,000. »

- Adopté.


« Art. 57. Enseignement professionnel de l'agriculture et de l’horticulture ; traitements de disponibilité.

« Charge ordinaire : fr. 79,000.

« Charge extraordinaire : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Art. 58. Service des défrichements en Campine ; charge extraordinaire : fr. 22,400. »

- Adopté.


« Art. 59. Service du drainage ; charge extraordinaire : fr. 9,000. »

- Adopté.

Article 60

« Art. 60. Mesures relatives au défrichement des terrains incultes ; charge extraordinaire : fr. 20,000. »

M. le président. - MM. de Moor, Lambin, Lelièvrc, Thibaut, de Baillet-Latour, David proposent d'ajouter à cet article 60 un nouveau littéra ainsi conçu :

« Distribution de chaux à prix réduit, dans les parties ardennaises des provinces de Luxembourg, Liège et Namur : fr. 75,000. »

M. de Moor a la parole pour développer son amendement.

M. de Moor. - Messieurs, je me serais abstenu de reproduire cette année un amendement en faveur de la distribution de la chaux à prix réduit, mais l'avis unanime du conseil supérieur d'agriculture, en fortifiant ma conviction sur l'utilité de la mesure, me prouve que j'aurais tort de cesser mes efforts pour en obtenir le rétablissement.

Voici la proposition déposée par MM. Jacquelart, le baron d'Huart et de Mathelin au conseil supérieur d'agriculture.

« Les soussignés ont l'honneur de proposer au conseil d'émettre le voeu que le gouvernement rétablisse au budget de l'intérieur le crédit qui était antérieurement accordé pour la délivrance de la chaux à prix réduit, aux cultivateurs du Luxembourg et à ceux de la partie ardennaise des provinces de Liège et de Nainur. »

Cette proposition n'a été combattue au sein du conseil supérieur que par un seul membre ; il l'a fait en déclarant que, « s'il suffisait, pour l'adopter, d'avoir la conviction qu'une dépense est utile, certainement il serait le premier à applaudir à celle-ci. Car je ne pense pas, ajoutait-il, que dans tout le budget de l'agriculture il y en ait une meilleure, une plus véritablement utile, au point de vue du progrès agricole. »

L'honorable membre terminait son discours en disant que les principes qu'il défendait le mettaient dans l'impossibilité de voter cette dépense ; mais il avouait qu'il considérait comme un devoir de logique de la part du conseil, de s'y associer, et il promettait que ce serait le premier subside qu'il voterait, lorsqu'il en voterait.

Aussi, lors du vote, l'honorable M. Coomans, car c'est de lui qu'il s'agit, malgré son hostilité bien connue à l'intervention du gouvernement en général, n'a fait que s'abstenir, et voici en quels termes son abstention est motivée au compte rendu officiel :

« Il n'a pu voter pour la proposition, parce qu'il redoute toujours de fournir à l'industrie, au commerce, des prétextes pour s'approprier des primes vingt fois plus considérables que celles que l'on daigne accorder à l'agriculture.

« Il n'a pas pu voter contre la proposition, parce qu'elle réclame une dépense qui a toutes ses sympathies, et parce qu'il en voit figurer au budget d'autres qui méritent bien moins d'y être. »

Quant à moi, messieurs, je pense que l'intervention de l'Etat en faveur de l'agriculture est indispensable, et, dans tous les cas, je crois que nous devons la maintenir aussi longtemps qu'elle aura lieu au profit de l'industrie, du commerce et des beaux-arts.

Je dirai à la Chambre ce que l'honorable député de Turnhout disait, au conseil supérieur. Elle commettrait une inconséquence grave si, tout en continuant à voter des sommes énormes en faveur des autres industries, elle refusait à la mère de toutes les industries les faibles sommes réclamées pour elle, par tout ce qu'il y a d'hommes pratiques et, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur dans son discours d'ouverture aux membres du conseil supérieur, d'hommes compétents par leurs antécédents et par leurs études.

Les crises alimentaires se succèdent en Belgique à des époques très rapprochées ; depuis bientôt dix ans, c'est la quatrième que nous traversons. Cela tient principalement à ce que notre pays éprouve un grand déficit dans la production des céréales. Malgré les progès de l'agriculture, ce déficit va en augmentant par deux raisons :

La première, parce que la population augmente, la seconde, parce que le territoire cultive en céréales diminue tous les ans ; il est distrait chaque année une grande quantité de terres à la culture des céréales, non seulement par la construction des routes, chemins de fer et canaux, mais encore par la culture des plantes industrielles en général.

C'est donc une nécessité reconnue par tout le monde d'augmenter l'étendue des terres livrées à la culture des céréales ; plusieurs de nos provinces possèdent une grande quantité de terrains qui ne demandent que du travail et des amendements pour produire.

L'expérience a démontré que les terres de l'Ardenne, aujourdhui en friche, peuvent être rendues aussi productives que celles des autres parties du pays ; mais elle a démontré, en même temps, que cette culture n'est possible que par un large emploi de la chaux.

Aussi longtemps que le chemin de fer du Luxembourg ne sera pas mis en exploitation, l'achat de cet amendement sera trop coûteux pour la généralité de nos petits cultivateurs, car c'est en faveur de ceux-ci exclusivement que nous sollicitons le rétablissement du crédit.

Soyez convaincus, messieurs, qu'aucun d'eux ne pourra entreprendre un défrichement qui, dans les conditions actuelles, est au-dessus de ses ressources.

En voici la preuve : A l'époque où le crédit a été enlevé au Luxembourg ; un grand nombre de nos cultivateurs qui avaient fait des (page 529) demandes en concession de bruyères ont exposé à l'administration provinciale qu'il était inutile d'y donner suite, que le crédit pour la distribution de la chaux à prix réduit ne figurant plus au budget, ils renonçaient à tenter cette opération.

L'intervention de l'Etat n'est donc nulle part plus indispensable ni mieux justifiée pour l'intérêt général. Du reste, dans un avenir prochain, le trésor public y trouvera son compte ; dans le Luxembourg seul il existe encore environ 130,000 hectares de terrains incultes dont la moitié peuvent être, par voie de partage entre les habitants des communes, convertis par nos populations ardennaises en bonnes terres labourables et en prairies.

Aujourd'hui ces terrains sont en dehors des transactions, le trésor ne reçoit pas de droits de mutation et l'impôt foncier ne lui donne guère plus de 20 c. par hectare ; cette contribution ne peut être augmentée pendant les vingt années qui suivent la mise en culture.

15,000 hectares de terrains communaux environ ont été défrichés, mis en culture, dans les trois provinces de Namur, Liège et Luxembourg.

Ces 15,000 hectares ne rapportent donc aujourd'hui à l'Etat qu'un revenu de 3,000 fr., mais à l'expiration du terme de l'exemption dont ils jouissent, ils payeront un impôt que l'on peut porter en moyenne par hectare à 3 fr., soit 45,000 fr.

Ce sera donc une augmentation de recettes pour l'Etat de 42,000 fr. augmentation qui, au bout d'un certain nombre d'années, compensera les avances que le trésor aura faites, et je suis en droit de dire que les résultats ne seront pas moins avantageux dans l'avenir que dans le passé, si le crédit est rétabli.

Je craindrais d'abuser des moments de la Chambre en insistant plus longtemps sur une question qui a déjà été tant de fois discutée dans cette enceinte.

Je tiens seulement à rappeler que notre proposition, si elle est accueillie, ne grèvera le budget que d'une charge temporaire, qui pourra disparaître, pour le Luxembourg du moins, dès que son chemin de fer sera terminé et aura mis nos cultivateurs en communication rapide et économique avec les marchés du pays.

Le jour où nous pourrons, de notre côté, dans les conditions dont jouissent toutes les autres provinces, transporter nos produits dans les grands centres et ramener chez nous les engrais, ce jour-là, nous renoncerons sans peine au léger sacrifice que l'Etat aura fait.

Je tiens enfin à répéter que notre intention, comme sans doute celle de la Chambre, est de ne faire participer à la distribution de la chaux à prix réduit que les petits cultivateurs, lesquels seuls ont souffert du retrait du crédit de 75,000 fr. et en souffrent encore.

C'est au gouvernement qu'il appartiendra d'aviser aux moyens d'atteindre ce but ; on pourrait, par exemple, exiger d'eux un certificat du bourgmestre de leur commuue, et pour rendre plus réelle la responsabilité de ce fonctionnaire et en même temps constater sa déclaration, on devrait exiger encore que son certificat fut accompagné d'un extrait de la matrice cadastrale.

C'est une formalité très simple et qui serait, je pense, efficace.

Le gouvernement trouvera, du reste, bien d'autres moyens d'empêcher que ce crédit ne soit détourné de sa véritable destination qui, dans notre intention, je ne saurais assez insister sur ce point, est de favoriser exclusivement les petits cultivateurs et nullement les riches propriétaires.

M. Lambin. - Messieurs, la question de distribution de chaux à prix réduit n'est pas neuve. Dans le cours de vos précédentes sessions elle a été traitée d'une manière approfondie. Plusieurs orateurs ont fait entendre dans cette enceinte des paroles éloquentes en faveur d'une proposition semblable, identique à celle que nous avons l'honneur de vous soumettre.

Aussi, je dois bien l'avouer, messieurs, il m'est impossible de rien ajouter qui puisse apporter une nouvelle lumière dans la discussion.

Je me bornerai donc à présenter quelques observations à l'appui de l'amendement qui nous occupe.

L'industrie agricole doit-elle être encouragée ? Poser cette question, messieurs, c'est demander si l'agriculture doit être abandonnée à elle-même, eltl, la mère de toutes les industries, et, pour me servir des expressions d'un agronome distingué, la fabrique du pain, la fabrique des légumes, de la viande, de tout ce qui sert à la nourriture de l'homme, la fabrique de presque toutes les matières premières nécessaires aux autres industries.

Poser cette question, c'est se demander si l'alimentation publique est suffisamment garantie, si nous n'avons plus à craindre le retour d'un déficit, de l'insuffisance des denrées alimentaires.

Poser cette question, c'est indiquer le remède que, au milieu de la crise qui préoccupe presque le monde entier, on cherche vainement ailleurs que dans l'agriculture même.

Enfin, messieurs, poser cette question, c'est la résoudre.

Il faut donc encourager l'agriculture, il faut l'encourager avant tout, par-dessus tout ; pourquoi ? Parce que ses produits sont nécessaires à tous, cela est évident ; parce que l'insuffisance de ses produits n'est malheureusement que trop bien constatée.

L'agriculture doit donc prendre un nouvel essor ; on réclame d'elle un nouveau développement. il faut non seulement inviter la terre à augmenter ses productions par un mode de culture plus intelligent, mais faire un appel aux terres restées jusqu'ici dans l'état de stérilité ; il faut, si je puis m'exprimer ainsi, leur faire violence, l'intérêt public le commande.

Maintenant, messieurs, qu'il me soit permis de dire qu'il est constant que, pour atteindre ce but, les efforts individuels, isolés, sont impuissants dans certaines parties du pays, et partant que l'assistance de l'être collectif qui forme comme un faisceau de tous ces efforts réunis contre lequel doivent venir se briser les obstacles qu'oppose la nature, en d'autres termes l'intervention de l'Etat est nécessaire.

Et pourquoi cette intervention ferait-elle défaut à l'industrie agricole ? Pourquoi l'Etat refuserait-il à l'agriculture un encouragement qu'il accorde avec tant de profusion à toutes les autres industries ? Messieurs, il est regrettable que l'agriculture ne reçoive pas la part qui lui revient si légitimement dans les subsides de l'Etat.

Pour ne parler que des Ardennes, messieurs, je dirai que là, et particulièrement là, se fait sentir la nécessité de l'intervention de l'Etat, la nécessité de venir en aide aux cultivateurs ardennais, auxquels est imposée, en quelque sorte, par une loi, l'obligation de défricher leurs terres incultes, et dont l'étendue est immense.

Pour accomplir, pour hâter l'œuvre du défrichement, il est généralement admis par tous les agronomes, il est constaté par l'expérience que l'emploi de la chaux est le moyen le plus efficace.

Je dis plus, messieurs, je dis qu'en Ardennes ce moyen est le seul efficace ; pas de chaux, pas de défrichement.

Que pour se procurer ce précieux amendement, cet agent reconnu nécessaire, les Ardennes aient besoin de secours, cela ne fait pas question pour ceux qui connaissent ce pays, pour ceux qui ont vu la quantité énorme des landes qui le couvrent, pour ceux qui ont calculé les distances qui séparent la plupart des localités, des lieux de production de la chaux.

Ceux-là, messieurs, ont acquis la conviction que l'agriculture n'y trouve pas en elle-même les moyens de faire des dépenses autres que celles qu'exige la culture ordinaire ; ils comprennent que, outre le prix de la chaux prise sur place, trois journées employées au transport de 10 à 15 hectolitres de chaux ne sont certes pas un bien grand stimulant pour les cultivateurs qui en général n'ont qu'un faible attelage.

Enfin, messieurs, si ce besoin n'existe pas, pourquoi cette persistance avec laquelle on vient chaque année vous demander l'allocation que nous proposons ? Supposera-t-on que les Ardennais n'ont rien de mieux à faire que de vous entretenir de plaintes mal fondées, que de vous exposer de plaintes qui ne seraient pas réels ? Oserait-on dire que les pétitionnaires veulent en imposer ? Mais alors quelle signification ou plutôt quelle qualification donnerez-vous aux vœux exprimés à différentes reprises et par le conseil provincial du Luxembourg et par le conseil supérieur d'agriculture ?

Assurément, messieurs, et quoi qu'on dise, des corps aussi respectables, aussi compétents, méritent une pleine, une entière confiance, et s'ils signalent un besoin, c'est que ce besoin existe.

Messieurs, je me résume et je dis :

Que dans l'intérêt général, dans celui de l'alimentation publique, on doit non seulement encourager l'agriculture dans toute l'acception du mot, mais tout spécialement favoriser le défrichement des terres incultes ;

Que l'emploi de la chaux peut seul aider, d'une manière efficace, à la réalisation, un peu marquante, de cette grande entreprise ;

Que, quant à l'Ardenne, l'intervention de l'Etat est indispensable ;

Que cette intervention ne peut être refusée aux cultivateurs ardennais sans blesser les règles de la justice distributive, à moins que le gouvernement ne renonce au système d'intervention pécuniaire en faveur des autres industries et du commerce, voire même des beaux-arts et d'autres objets d'agrément dont les Ardennais ne jouissent en aucune façon.

Vous vous rappellerez, messieurs, que les Ardennes offrent de livrer à la culture au moins 150,000 hectares de bruyères dont le défrichement profiterait immanquablement et à la population et aux revenus de l'Etat belge.

Vous n'oublierez pas, messieurs, que les besoins des habitants de l'Ardenne, en ce qui concerne l'agriculture, ne sont pas moins grands que ceux des habitants de la Campine ; que les Ardennais comme les Campinois font partie de la famille belge ; enfin, qu'ils ont les uns et les autres un titre égal à la sollicitude, à la protection du gouvernement.

Vous voterez donc, messieurs, je l'espère, l'allocation demandée.

M. David. - Vous comprenez, messieurs, que je ne viens pas appuyer le crédit demandé, à cause des 2,500 francs que recevait annuellement la province de Liège dans le subside de 75,000 fr. Si je viens l'appuyer, c'est afin de rétablir une justice distributive entre les provinces où se font les défrichements, et j'élève la voix en faveur de populations auxquelles la loi sur les défrichements a fait le plus grand mal.

Je demande qu'on rétablisse la justice distributive entre les Ardennes et la Campine. On continue à donner l'engrais à la Campine sous forme d'eau pour les irrigations ; il est naturel dès lors d'accorder aux Ardennes l'amendement qui leur est nécessaire, puisque les deux pays, (page 530) l’Ardenne et la Campine, sont compris dans la loi de 1847, sur les défrichements

J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de m'élever contre la loi de 1847. Il y a plusieurs années que j'en ai prédit les résultats. Aujourd'hui les faits viennent me donnor complètement raison. J'avais dit que la loi était impopulaire, qu'elle aurait pour résultat désastreux d'amener le paupérisme dans le Luxembourg ; les relevés de la commission centrale de statistique prouvent que mes prévisions sont complètement réalisées. Vous allez, messieurs, en juger par vous-mêmes ; vous allez voir de combien le nombre d'indigents s'est augmenté dans le Luxembourg.

De 1848 à 1850 il existait dans le Luxembourg :

Dans les villes, 1,418 indigents.

Dans les campagnes, 4,665 indigents.

Ensemble, 6,083 indigents.

On a fait un nouveau recensement en 1853, et voici, messieurs, où la province de Luxembourg en était malheureusement arrivée.

Dans les villes le paupérisme avait diminué, le nombre des indigents n'était plus dans les villes que de 1,031. Il est vrai que, dans les communes rurales, il était de 9,877. Total, 10,908

Il était donc de 6,083 plus considérable que deux ans auparavant.

Voici une remarque à laquelle je vous prie de faire attention, c'est qu'alors que le paupérisme se développait en Ardenne et dans le Luxembourg, il diminuait dans quatre de nos provinces. On ne peut donc accuser la disette qui s'est produite dans ces dernières années d'avoir occasionné cette augmentation du nombre des indigents.

Voici ce que dit la commission de statistique sous ce rapport-là. « Il résulte de la comparaison des chiffres inscrits au tableau qui précède que le nombre des indigents a légèrement décru dans les provinces de Brabant, des deux Flandres et de Liège, tandis qu'il a augmenté dans une assez forte proportion dans les provinces de Hainaut, de Limbourg et de Luxembourg. Cette augmentation est surtout remarquable dans les communes rurales de cette dernière province, où le nombre des indigents a plus que doublé pendant les quatre dernières années. Ainsi, malgré les récoltes relativement favorables de 1849 à 1852, la misère n'a guère trouvé d'allégement ; l'indigent est demeuré indigent. »

Par l'exécution de la loi de 1847, il n'en pouvait être autrement dans les Ardennes ; chaque petit propriétaire tenait un certain nombre de bestiaux qui allaient se nourrir dans les pâturages communs, aujourd'hui destinés à l'agriculture et défrichés. Ces petits cultivateurs qui n'ont pas de prairies ont dû vendre leur bétail, et travailler comme journaliers chez d'autres propriétaires qui ont les reins plus solides qu'eux. Le travail leur a manqué. Après avoir dépensé le produit de la vente de leur bétail, ils ont dû demander l'aumône. C'est ainsi qu'à la suite de la loi de 1847, le nombre des pauvres a augmenté dans le Luxembourg et surtout dans les communes rurales.

Je demande donc la distribution de la chaux à prix réduit dans l'Ardenne, afin d'atténuer le mal qu'a fait la loi sur les défrichements.

M. Verhaegen. - Je désirerais savoir si le gouvernement adhère à l’amendement.

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à l'amendement ?

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Non, M. le président.

M. Lelièvre. - Je me bornerai à motiver en peu de mois le vote que j'émettrai dans l'occurrence. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de l'intervention de l'Etat là où les efforts individuels sont insuffisants. Or, telle est certainement la situation de la province de Luxembourg et de certaines parties de la province de Namur. Il est impossible de contester ce fait qui est de notoriété publique. Il est donc juste d'encourager l’agriculture dans les contrées où l'industrie privée a été impuissante jusqu'à ce jour pour réaliser des progrès marqués. J'espère que la Chambre adoptera un amendement fondé sur des motifs sérieux ainsi que l'ont démontré les honorables MM. de Moor et Lambin. Je ne puis qu'appuyer les excellentes observations qu'ils ont présentées.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - La distribution de la chaux à prix réduit est certainement une chose utile au Luxembourg. Mais la question essentielle à examiner pour la Chambre, c'est de savoir si la distribution de la chaux à prix réduit est indispensable pour continuer l'œuvre du défrichement. Pour cela, il est peut-être utile de connaître les faits.

Voici la quantité d'hectares successivement mis en culture à dater de 1847, époque de la mise en vigueur de la loi sur les défrichements :

En 1847 75 hectares, 1848 625, 1849 1,002, 1850 2,349, 1851 1,573, 1852 1,126, 1853 361, 1854 1,103 et 1855 1,352.

Dans ces chiffres ne sont pas compris les terrains dont le boisement a été autorisé et qni comprennent à peu près 3,400 hectares.

La distribution de la chaux à prix réduit a duré quatre années, de 1849 à 1852.

Comme on le voit, il est difficile de tirer des chiffres que je viens de produire des inductions très exactes. On voit bien que, pendant les années 1849 à 1852, le défrichement a pris de l'extension et qu'en 1853 il a considérablement baissé. Mais la question est de savoir s'il faut attribuer ce fait à la seule influence de la distribution de la chaux à prix réduit.

Des personnes bien informées prétendent que si en 1853 il y a eu un moment d'arrêt dans les défrichements, cela tient au mauvais état de la récolte. En 1852 et en 1853, la récolte des pommes de terre ayant manqué, il est fort naturel que les petits cultivateurs, n'ayant pas de ressources, n'ont pu entreprendre des travaux ordinaires de défrichement. Ce qui semblerait confirmer cette explication, c'est que les défrichements, qui étaient tombés à 361 hectares en 1853, sont remontés en 1854 à 1,103 hectares et en 1855 à 1,352 hectares, bien qu'il n'y ait pas eu, pour ces années, de distribution de chaux à prix réduit.

On pourrait encore assigner un autre motif au ralentissement qui semble se manifester dans le défrichement en Ardenne. D'après les renseignements qui me sont parvenus, ce qui arrête un peu le défrichement, c'est que les communes spéculent déjà sur l'augmentation de valeur des propriétés par la construction du chemin de fer. Elles supposent que, quand le chemin de fer sera achevé, elles obtiendront de leurs terrains incultes des prix beaucoup plus avantageux que ceux qu'elles en obtiennent aujourd'hui.

Il peut y avoir au ralentissement dans les défrichements des causes multiples. Je n'en vois pas clairement la véritable cause.

Il est donc difficile de tirer des faits que je viens de citer à la Chambre des inductions très positives sur les conséquences de la cessation de la distribution de la chaux à prix réduit, dans la province de Luxembourg.

Comme le crédit pour celle distribution n'a été accordé en 1849 que temporairement, avec la pensée qu'il était indispensable de faire connaître aux cultivateurs les avantages du chaulage, et comme ce résultat a été obtenu, le gouvernement ne voit pas la nécessité de reproduire au budget le crédit pour distribution de la chaux à prix réduit dans le Luxembourg.

Dans cet état de choses, le gouvernement s'abstient d'appuyer une mesure dont il ne voit pas la nécessité et qui donne lieu, en définitive, à une dépense assez considérable.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Faignart. - Je désirerais beaucoup que la Chambre entendît encore quelques orateurs. Nous n'avons pas approfondi cette question qui a une certaine importance. Je demande donc que la discussion soit continuée à demain.

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.