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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 12 février 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 558) M. Ansiau fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Désiré Fromont, receveur des contributions à Gouy-lez-Piéton, né à Condé (France), demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les bourgmestre, échevins et membres du conseil communal d'Austruweel demandent l'endiguement des schorres de Santvliet. »

- Renvoi à la commission.


« Les membres du conseil communal de Limerlé, Houffalize, Mont, Chérain, Montleban, Tavigny, Mabompré demandent la construction d'une route entre la barrière de Champion et Houffalize par Ortho et Engreux. »

M. Lambin. - Messieurs, le 16 janvier dernier, vous avez renvoyé à la commission des pétitions une requête ayant pour objet la construction de la route dont il s'agit dans la pétition dont on vient de faire l'analyse. Je pense qu'il conviendrait de renvoyer celle-ci à la même commission qui pourrait faire, si rien ne s'y oppose, un seul et même rapport sur les deux pétitions.

- La proposition de M. Lambin est adoptée.


« Plusieurs secrétaires communaux de l'arrondissement de Tournai demandent qu'il soit apporté à la loi communale une modification pour améliorer leur position, et prient la Chambre de décréter l'organisation d'une caisse centrale de retraite en faveur des secrétaires communaux, de leurs veuves et orphelins. »

- Même renvoi.


« Le sieur Alberts prie la Chambre de lui faire accorder une pension ou une place. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Grootenberge prient la Chambre de décréter la construction d'un chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand par Enghien, Grammont et Sottegem ou de toute autre ligne dont la concession est demandée et qui aurait pour point de départ le bassin houiller du Centre. »

- Même renvoi.


« Plusieurs secrétaires communaux de l'arrondissement de Mons déclarent adhérer à la pétition des secrétaires communaux en date du 21 décembre dernier.

« Même déclaration de secrétaires communaux dans l'arrondissement de Charleroi, Ath, Thuin, Soignies et des secrétaires communaux de Ronquières, Bassilly, Marche-lez-Ecaussines, Naast, Mareq, Bousoit, Thoricourt, Ecaussines d'Enghien, Saint-Denis, Ghoy, Biévène, Hennuyères, OEudeghien. »

- Même renvoi.


« Le sieur Ancion, lieutenant-colonel d'artillerie en retraite, soume à la Chambre des explications relatives à sa pétition du 26 novembre dernier et demande que, par extension à l'article 17 de la loi du 24 mai 1838, l'augmenttion de pension qu'il détermine soit aussi accordée au lieutenant-colonel ayant plus de 2 et moins de 10 années d'activité dans ce grade, pourvu qu'il ait 10 années dans celui de major. »

M. Lesoinne. - Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la pension des officiers qui ont combattu comme volontaires en 1830. »

- Cette proposition est adopiée.


« Des marchands de farinés et boulangers à Frameries demandent qu'il soit pris des mesures contre la falsification des levures liquides nécessaires à la fabrication du pain. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la falsification des substances alimentaires.


« Il est fait hommage à la Chambre par la direction de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale de 112 exemplaires du compte rendu des opérations de la Société pendant l'année 1835. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt de la bibliothèque.

Ordre des travaux de la Chambre

M. le président. - Dans une des séances précédentes vous avez décidé que l'on fixerait le jour de l'examen en sections du projet de loi sur la charité, après son impression et sa distribution. Cette distribution ayant eu lieu, je propose de fixer l'examen en sections huit jours après l'examen du projet de loi sur le jury universitaire, c'est-à-dire jeudi, prochain en quinze.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi relatif à la contrainte par corps pour dette

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi portant dérogation à l'article 14 de la loi du 15 germinal an VI, relative à la somme à payer par le créancier qui exerce la contrainte par corps sur son débiteur.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi, la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder plusieurs lignes ferroviaires

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de soumettre aux délibérations de la Chambre un projet de loi autorisant le gouvernement à concéder diverses lignes de chemins de fer.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; il sera imprimé et distribué. La Chambre le renvoie à l'examen des sections.

Ordre des travaux de la Chambre

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker) (pour une motion d’ordre). - Puisque nous en sommes à régler l'ordre de nos travaux, je me permets de faire une motion à la Chambre.

J'ai eu l'honneur de présenter dernièrement un projet de loi relatif à la prorogation de la loi de 1849 sur les jurys d'examen universitaire. Un rapport vous a été présenté sur ce projet de loi. La session de Pâques doit s'ouvrir, cette année, le 17 mars. Les publications qui doivent se faire au Moniteur pour les inscriptions des élèves, doivent paraître un mois au moins avant la réunion des jurys. Il y a donc une certaine urgence à ce que la Chambre vote le projet de loi de prorogation.

Je propose de fixer la discussion de ce projet de loi entre les deux votes du budget de l'intérieur.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi relatif à la dotation de S.A.R le Comte de Flandre

Rapport de la section centrale

M. de Chimay. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif à la dotation de Son Altesse Royale le Comte de Flandre.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met a la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1856

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XIII. Industrie

Article 72

M. le président. - La discussion continue sur l'article 72 : « personnel du bureau de la librairie : fr. 6,600. »

M. de Haerne. - J'ai demandé la parole dans la séance d'hier, principalement pour témoigner de mes sympathies, à côté d'autres membres de cette Chambre, en faveur des typographes de la capitale dont le sort n'est pas des plus brillants. Vous vous le rappellerez, messieurs, lorsqu'il s'est agi en 1854 de la ratification de la convention littéraire conclue en 1852, j'ai été un des premiers pour appeler l'attention de la Chambre sur la nécessité de venir en aide à cette classe intéressante de nos travailleurs. Mais il importe de ne pas exagérer la situation qui nous a été faite par la convention littéraire avec la France.

Il m'a semblé que dans les observations qui ont été faites hier, on est tombé dans quelques exagérations à cet égard. Je tiens à cœur, dans l'intérêt du pays, dans l'intérêt des Flandres particulièrement, dans l'intérêt aussi de nos bonnes relations avec un des pays qui nous entourent, à présenter à la Chambre quelques considérations relativement à la situation qui nous a été faite par la convention artistique et littéraire conclue avec ia France.

Je dirai d'abord, messieurs, que les souffrances de nos ouvriers typographes sur lesquelles on a appelé l'attention de la Chambre, sont antérieures en grande partie à la conclusion de la conventiou dont il s'agit.

Déjà précédemment la France avait, d'après un projet conçu et expliqué à la chambre des députés par M. Guizot, resserré le marché extérieur de la Belgique, en concluant des conventions successives avec la plupart des nations qui nous entourent. C'est là l'origine de la gêne qui s'est fait sentir parmi nos typographes. Il ne faut pas perdre de vue cette première cause de la détresse dont on se plaint.

Après la conclusion de ces diverses conventions avec les pays voisins, la France a cherché à en conclure une semblable avec la Belgique. Vous le savez, en 1852 une convention avait été conclue sans compensation suffisante aux yeux d'une grande partie de cette Chambre.

Cette compensation a été donnée par l'adjonction d'un nouveau traité, du grand traité de 1854, et c'est l'ensemble de ces traités qu'il faut bien comprendre pour ne rien exagérer dans la question qui nous occupe. C'est aussi l'intérêt général de la classe ouvrière que nous devons considérer avant tout, dans cette question comme toujours.

Tout en reconnaissant la perte momentanée éprouvée par quelques personnes engagées dans la typographie, il faut dire que d'autres y ont trouvé un grand avantage, en ce que la convention, en interdisant les nouvelles éditions d'ouvrages déjà contrefaits, a donné aux détenteurs de ces ouvrages la faculté d'en élever le prix et de les vendre partout hors de France. Plusieurs imprimeurs ont su aussi placer avantageusement leurs clichés soit en France soit en d'autres pays.

Parmi les causes à assigner à la détresse de la classe ouvrière qui s'occupe de la typographie à Bruxelles, il y en a une qui n'est point spéciale à la Belgique, mais qui se fait sentir dans d'autres pays et surtout en France. C'est que, depuis quelques années surtout, une grande concurrence se manifeste entre la typographie des départements ou dés provinces d'un côté, et celle des capitales de l'autre ; une décentralisation s'opère et c'est pourquoi la détresse qui résulte de cette concurrence est plus vive dans les capitales que dans les provinces. Les hommes compétents signalent, sous le rapport du prix de la main-d'œuvre, une différence qui va de 35 à 45 p. c. à l'avantage des provinces.

Telle est la cause de cette décentralisation. Mais lorsqu'il s'agit d'une convention internationale on ne peut pas s'attacher à une localité, il faut envisager la question dans sa généralité, au point de vue des intérêts du pays entier.

La France, messieurs, après avoir conclu d'abord avec le Portugal, par les soins de M. A. Barrot, je pense, une convention littéraire, a marché constamment dans la voie qui lui avait été ouverte par ce diplomate. Elle continue à faire des arrangements du même genre, elle vient de conclure une convention semblable avec la Hollande ; deux autres vont être signées sous peu, l'une avec la Saxe, l'autre avec la Bavière. Ces nouveaux traités ne rendent pas notre situation plus mauvaise. Tout au contraire ; mais je ferai remarquer que si nous n'avions pas nous-mêmes de convention littéraire avec la France, à mesure que ce pays conclurait des conventions avec des nations tierces, notre position vis-à-vis de ces nations deviendrait plus mauvaise ; parce que la France, par les conventions conclues avec ces nations, vient interdire chez celles-ci toute contrefaçon, et par conséquent défend la vente sur ces marchés des livres français qui seraient imprimés en Belgique en dehors du régime conventionnel. Mais la Belgique, ayant elle-même une convention avec la France, peut imprimer des éditions autorisées par les auteurs et placer ces éditions même sur les marchés soumis à la loi conventionnelle hors de France.

De cette manière la position s'améliore pour toutes les éditions autorisées, à raison même des conventions nouvelles conclues par la France avec les nations étrangères, tandis que si nous n'avions pas de convention avec la France, notre marché se restreindrait constamment et dans la même proportion.

On a exagéré aussi en ce qui concerne le mouvement d'exportation et d'importation des articles de librairie, surtout quant aux échanges entre la Belgique et la France.

Messieurs, en 1854, immédiatement après la conclusion de la convention il y eut une certaine restriction dans nos exportations vers la France. Plus tard il y eut une reprise, puis il y eut de nouvelles oscillations. Mais je ferai observer que ces alternatives se présentent pour la plupart des autres produits.

Dans cette matière comme en toute autre, il faut examiner nos relations avec tous les pays et non avec un seul, d'autant plus que le système conventionnel, en matière artistique et littéraire, doit s'améliorer, comme je l'ai démontré, à mesure que ce régime s'étend à d'autres pays. Eh bien, voyons si dans la généralité nous avons beaucoup à nous plaindre des importations de livres en Belgique. En 1855 le chiffre total s'est élevé à 218.530 kilog. Il avait été pendant quatre années précédentes, de 781,424 kilog., donc en moyenne de 195,356 kilog. par année. C'est-à-dire qu'il y a eu une différence de 23,174 kil en 1855.

Nous voyons par nos statistiques qu'en 1854, nos importations ont augmenté dans une certaine proportion, mais non pas dans la proportion énorme qui a été signalée hier par un honorable député de Bruxelles. J'ajouterai cette remarque : c'est qu'en 1854, c'est-à-dire pendant l'époque à laquelle la convention existait déjà, l'augmentation de nos importations de France, comparées aux importations de 1853 est exactement la même que celle qui avait eu lieu de 1852 à 1853, époque à laquelle nous n'étions pas sous l'empire de la convention.

Voici les chiffres :

En 1852 : 113,000 kil.

En 1853 : 126,000 kil.

En 1854 : 139,000 kil.

Preuve que ce mouvement ne tient pas à la convention que nous avons faite avec la France ; mais qu'il tient à d'autres causes, et notamment à l'extension que la France à donnée au régime conventionnel.

Messieurs, il ne faut pas non plus s'attacher exclusivement aux importations de France ; il faut considérer aussi nos exportations vers la France. Il est à remarquer que nos exportations vers la France ont augmenté. Ce fait paraîtra assez singulier ; mais une seule observation suffira pour en faire connaître le secret : C'est que dans cette matière, comme dans beaucoup d'autres, il y a des spécialités propres à tel pays, et des spécialités propres à tel autre pays.

La France nous importe des livres de littérature moderne, et certes nous ne pouvons pas rivaliser avec elle sous ce rapport. Nous introduisons en France des livres d'une autre catégorie ; d'abord des livres qui sont tombés dans le domaine public, ensuite des livres en langues anciennes et en langues étrangères ; nous pouvons les y introduire avec un avantage énorme, relativement aux droits que les Français payent en entrant en Belgique sur la même catégorie de livres.

Le droit que nous payons en France sur cette catégorie de livres qui est la spécialité de la Belgique, est de 10 francs seulement les 100 kil., tandis que le droit que la France doit payer pour les mêmes livres à l'entrée en Belgique est de fr. 31 80.

On a eu tort de dire d'une manière générale que la Belgique s'était désarmée en matière de protection vis-à-vis de la France. Cela n'est pas, si la Belgique a abaissé son tarif, dans des vues d'intérêt général, c'est sur une spécialité de livres pour laquelle la concurrence est impossible à la Belgique vis-à-vis de la France. Mais la Belgique a maintenu une protection suffisante et peut-être même à certains égards exagérée pour ce qui regarde sa production spéciale, la seule dans laquelle elle ait des chances de pouvoir concourir avec la France.

Nos exportations vers ce pays ont augmenté sous le régime conventionnel par les raisons que je viens d'indiquer.

Messieurs, on a encore rembruni considérablement la situation, lorsqu'on a parlé du dépérissement de la typographie en Belgique. J'admets qu'il y a une certaine perte dans nos relations avec l'étranger, perte qui tend à diminuer par l'extension du système conventionnel, surtout de celui qui régit la France à l'égard d'autres pays. Mais il y a une amélioration incontestable sous d'autres rapports. Je tiens ici un journal tout nouveau, et qui, soit dit en passant, n'a paru que par suite de la convention.

Ce journal signale article par article toutes les éditions qui se sont faites en Belgique, d'abord la première année de la convention, c'est-à-dire en 1854, et celles qui ont paru en 1855. Je vous donnerai ces indications en abrégé, la Chambre ne pourrait pas me suivre dans les détails qui seraient trop longs.

En 1854, il y a eu 586 livres nouveaux en langue française imprimés en Belgique, il y a eu 88 ouvrages périodiques et 160 ouvrages flamands.

En 1855, nous avons eu, non pas 586 livres nouveaux en langue française, comme en 1854, mais 881 ; 300 de plus ; nous avons atteint en ouvrages périodiques, non plus le chiffre de 88, mais celui de 103, et en fait d'ouvrages flamands, nous sommes allés de 160 à 196.

En présence de ces chiffres, vous voyez qu'on est tombé dans une grande exagération en disant que l'imprimerie belge était pour ainsi dire morte, anéantie. Je dis, moi, qu'à la prendre en général, elle est en progrès.

Quand il s'est agi de la convention à conclure avec la France, ou a fait valoir un fait qui s'était déjà produit ailleurs à l'occasion de conventions semblables ; je veux parler des éditions spéciales autorisées pour l'étranger par les auteurs. Ces éditions se font en Belgique et s'y multiplient de plus en plus. Le journal, dont je parlais tout à l'heure, fait connaître ces éditions spéciales.

Il serait trop long de les énumérer ; je me bornerai à vous dire que pour le mois de décembre seul de l'année dernière il y a eu huit éditions spéciales.

(page 560) C'est ainsi que nous ayons une édition belge du dernier ouvrage de M. le comte de Montalembert et une édition de l'ouvrage de M. Troplong sur les donations entre-vifs et les testaments. Ces éditions spéciales peuvent se placer non seulement en Belgique mais à l'étranger, même dans les pays avec lesquels la France a des conventions. C'est ce que nous ne pourrions pas faire, si nous n'avions pas nous-mêmes une convention avec elle, parce qu'alors nous n'aurions que des contrefaçons qui seraient exclues de tous les pays liés conventionnellement avec la France.

Il est à remarquer aussi que depuis que nous avons conclu une convention avec la France, nous imprimons des livres pour d'autres pays, pour la Suisse, par exemple, à cause de la perfection que l'art typographique a atteinte chez nous ; c'est d'autant plus remarquable que la main-d'œuvre est à très bon compte en Suisse, et dans quelques localités à meilleur marché qu'en Belgique.

Permettez-moi, messieurs, de faire encore quelques observations sur cette matière intéressante ; je n'abuserai pas de vos moments.

On a soulevé une question très délicate au sujet des classiques. M. le ministre de l'intérieur a dit avec raison que ce n'était pas le moment d'aborder cette question, puisqu'elle est déférée aux tribunaux, mais on peut cependant en dire quelque chose.

D'abord je ferai remarquer que lorsqu'on a dit en 1854, dans la discussion qui eut lieu en comité secret sur la convention, que les classiques français pouvaient être réimprimés par continuation, on n'a entendu parler que des classiques tombés dans le domaine public. Pour les autres livres classiques, on a consacré le droit de propriété et ce qui le prouve, c'est que l'on a abrogé, à cette occasion, l'article de la loi qui les déclarait du domaine public. C'était l'article 25 de la loi du 25 janvier 1817.

C'était un régime tout spécial auquel était soumis le pays, par la loi votée sous le régime hollandais, et qui distinguait, quant à la propriété littéraire, entre les ouvrages ordinaires et les ouvrages destinés à l'instruction publique, « school-boeken », à l'égard desquels elle ne reconnaissait pas le droit de propriété. C'était une anomalie difficile à comprendre ; mais enfin elle existait, et avant la convention ces ouvrages étaient du domaine public.

Qu'en résultait-il ? Que les ouvrages français publiés sous l'empire de la loi des Pays-Bas étaient considérés comme appartenant au domaine public et qu'il y a eu, de ce chef, des intérêts froissés, lorsque la convention a été conclue. Il a fallu, par cette convention, accorder le droit de propriété à la France pour les ouvrages classiques comme pour les autres. Or, il eût été absurde de reconnaître ce droit à la France, sans l'admettre pour la Belgique.

On a donc inséré dans la loi relative à la ratification de la convention, un article portant abrogation de l'article 5 de la loi du 23 janvier 1817 pour les ouvrages classiques d'origine belge, aussi bien que pour ceux d'origine française.

On s’est plaint de ce que nous devions recourir à la France pour les livres classiques ; on a bien eu raison à cet égard. Je partage l'opinion exprimée dans cette Chambre qu'il y a de grands inconvénients dans cet état de choses. Mais faut-il s'en étonner ? Etait-il possible, sous le régime hollandais, qu'il y eût en Belgique des ouvrages classiques ? Puisqu'ils ne constituaient pas de propriété, il était impossible généralement parlant, que des auteurs distingués s'occupassent de ce genre d'ouvrages.

Voilà la véritable cause de ce que nous n'avons guère d'auteurs de livres classiques. Vous reconnaîtrez, messieurs, que ce n'est pas au bout de deux ans qu'on peut espérer trouver un assez grand nombre d'auteurs pour combler la lacune qui existe sous ce rapport.

Le régime consacré par la loi de 1817 est la cause de l'inconvénient réel qui existe à cet égard dans le pays.

Remarquez que la cause du mal a disparu à l'occasion de la convention ; on a abrogé la disposition qui avait étouffé l’élan national sous ce rapport. Le mal lui-même doit disparaître avec le temps. Des ouvrages nationaux se produisent déjà et vont se multiplier en Belgique, comme dans d'autres pays ; j'en ai la conviction profonde.

Je dois signaler à cet égard une contradiction dans laquelle on est tombé hier.

D’un côte, on a fait sentir avec beaucoup de raison toute l'importance d'ouvrages nationaux pour les classes, pour les distributions de prix, d'ouvrages à mettre entre les mains de la jeunesse, destinés à composer plus tard ce que M. le ministre de l’intérieur a appelé le noyau de la bibliothèque de la famille. On a eu raison de s’appesantir sur les inconvénients qui se font sentir à cet égard dans l'état actuel des choses.

Mais, d’un autre côté, l'on est venu dire que c’était une calamité pour le pays que la convention ait interdit aux éditeurs belges de faire usage de leurs clichés, on aurait voulu leur laisser cette faculté ; mais qu’en serait-il résulté ?

On aurait continué a imprimer et à vendre tous les ouvrages français, y compris les classiques, répandus dans le pays. Par conséquent, on aurait perpétué le mal qui tend à introduire dans nos écoles un esprit plus ou moins étranger aux idées et aux mœurs de la Belgique. On a donc eu tort de critiquer, sous ce rapport, les dispositions de la convention littéraire.

Quant aux intérêts froissés, j’ai été le premier à m’en plaindre ; j’ai appelé la sollicitude du gouvernement sur la situation des personnes qui souffrent dans leur industrie. Mais il y a de grands avantages au point de vue national, au point de vue de la littérature nationale, dans la convention littéraire. C'est là, il faut bien le dire, le but principal qu'on a eu en vue, lorsqu'on 1852 on a conclu cette convention.

Je l'ai déjà dit, elle ne présentait pas aux yeux du pays une compensation suffisante ; mais on a compris qu'il y avait là quelque chose de moral et de national.

D'abord, on a, en acceptant la convention, répondu à tous ces reproches qui nous étaient adressés depuis longtemps non pas seulement par la France, mais surtout par l'Angleterre, du chef de la réimpression d'ouvrages étrangers.

L'Angleterre traitait la contrefaçon plus durement encore que le faisait la France, puisqu'elle la qualifiait de piraterie et de brigandage, « piracy » ; c'est le seul mot qui dans la langue anglaise réponde à celui de contrefaçon.

Nous avons fait disparaître ce grief en adoptant la convention littéraire avec la France, et plus tard celle avec la Grande-Bretagne, qui était impossible avant la conclusion de la première.

Je disais tout à l'heure que la convention était favorable non seulement à la publication d'ouvrages classiques, mais encore à la publication d'œuvres littéraires proprement dites. Elle doit nécessairement exercer une influence décisive sur le développement de la littérature nationale. Mais vous savez qu'une littérature ne s'improvise pas. En matière de littérature comme en matière d'art, les productions ne se commandent pas ; elles sont le résultat d'un concours de circonstances et de conditions matérielles d'un côté, et morales de l'autre.

Ce n'est qu'avec le temps que ces conditions se présentent, ce n'est pas en serre chaude que se développent la littérature et les arts. Ils ne peuvent se produire qu'au grand soleil de la nationalité.

Pour me résumer, je dirai donc qu'on est tombé dans des exagérations, dans des contradictions, en signalant les inconvénients réels qui sont résultés de la convention que nous avons conclue avec la France. Pour ce qui regarde ces inconvénients que je reconnais, j'appelle l'attention du gouvernement sur les mesures à prendre pour les faire disparaître.

Je serai le premier à donner les mains à ces mesures.

Je suis d'accord avec les honorables MM. Verhaegen et Dumortier, qu'il faut autant que possible interdire dans les établissements d'instruction de l'Etat, l'usage des livres étrangers, encourager la composition d'ouvrages classiques belges, afin de les placer dans nos établissements publics.

Je répète donc que la convention littéraire de 1852 qui a été complétée par le traité de 1854, n'a pas offert lous les inconvénients qu'on a voulu y trouver.

Il y a quelques inconvénients ; mais il y a des avantages incontestables, eu égard à la situation générale où se trouve le pays, et à la balance du commerce entre la France et la Belgique, balance qui est telle, que les exportations de Belgique en France se sont élevées en 1834, à 118 millions de francs, tandis que les exportations de France en Belgique n'ont été que de 57 millions de francs, deux chiffres bien significatifs, puisqu'ils font voir que nous exportons en France plus du double de ce que nous importons de ce pays.

Dans de telles circonstances, on peut conclure au point de vue matériel et au point de vue politique et national, une convention offrant certains inconvénients, lorsqu'on prend d'ailleurs toutes les mesures raisonnables pour atténuer ces inconvénients, et les faire disparaître autant que possible.

- L'article 72 est mis aux voix et adopté.

Articles 73 à 75

« Art. 73. Matériel du bureau de la librairie ; charge extraordinaire : fr. 3,000. »

- Adopté.


« Art. 74. Musée de l’industrie. Traitement du personnel : fr. 17,748. »

- Adopté.


« Art. 75. Matériel et frais divers : fr. 10,252. »

- Adopté.

Chapitre XIV. Poids et mesures

Articles 76 à 78bis

« Art. 76 Traitement des vérificateurs et d'un aspirant vérificateur des poids et mesures : fr. 53,400. »

- Adopté.


« Art. 77. Frais de bureau et de tournées : fr. 18,000. »

- Adopté.


« Art. 77bis. Frais de tournées extraordinaires pour la vérification des balances et des étalons de troisième rang ; charge extraordinaire : fr. 7,000. »

- Adopté.


« Art. 78. Matériel : fr. 2,000. »

- Adopté.


« Art. 78bis. Frais extraordinaires de matériel, occasionnés par l’exécution de la loi du 1er octobre 1855 ; charge extraordinaire : fr. 25,000. »

Chapitre XV. Instruction publique. Enseignement supérieur

Article 79

(page 561) « Art. 79. Dépenses du conseil de perfectionnement de l’enseignement supérieur : fr. 4,000. »

- Adopté.

Article 80

« Art. 80. Traitement des fonctionnaires et employés des deux universités de l'Etat : fr. 580,240. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je proposerai un transfert à cet article.

J'avais déjà proposé, et la section centrale a admis cette proposition, de reporter à cet article les 600 fr. pour l'augmentation de traitement du sieur Boudin, attaché à l'école du génie civil de Gand. Mais, il y aurait encore un transfert à opérer du matériel sur le personnel des universités, du chef d'un ouvrier jardinier au jardin botanique, attaché à l'université de Liège. C'est une simple régularisation. Il y a quelques années, les salaires des ouvriers des jardins botaniques des universités de l'Etat étaient imputés sur le crédit du matériel ; depuis 1851, on impute ces dépenses sur le crédit du personnel. On a alors alloué, de ce chef, une somme de 4,000 francs à l'université de Gand, tandis qu'à l'université de Liège on n'avait alloué qu'un chiffre de 3,450 francs ; et comme les besoins sont au moins aussi étendus à Liège pour le jardin qui est beaucoup plus vaste que celui de Gand, on a proposé au gouvernement, et le gouvernement trouve cette proposition très juste, de transférer du matériel et de porter au personnel une somme de 550 fr. Ainsi, le chiffre du personnel serait de 580,790 fr. et celui du matériel de 118,210 fr.

- L'article, modifié comme le propose M. le ministre, est adopté.

Articles 81 à 83

« Art. 81. Bourses. Matériel des universités : fr. 118,210. »

- Adopté.


« Art. 82. Frais de route et de séjour des membres des jurys d'examen pour les grades académiques et pour le grade de professeur agrégé de l'enseignement moyen de l'un et de l'autre degré ; salaire des huissiers des jurys, et matériel : fr. 52,000. »

- Adopté.


« Art. 83. Dépenses du concours universitaire et frais d'impression des Annales des universités de Belgique : fr. 10,000. »

- Adopté.

Chapitre XVI. Enseignement moyen

Discussion générale

M. le président. - La discussion est ouverte sur ce chapitre.

M. Vandenpeereboom. - Messieurs, à l'occasion du chapitre de l’enseignement moyen, je désire demander à M. le ministre de l'intérieur quelques explications sur un fait posé par lui, il y a quelques mois et qui a causé une grande émotion, sinon dans tout le pays, au moins dans la Flandre occidentale, et surtout dans la localité où cet acte a été posé. Je veux parler de l'élimination d'un certain nombre de membre d'un bureau administratif d'une école moyenne.

Afin de faire bien comprendre la situation de cette affaire, et de faire saisir la portée de l'acte, je serai obligé d'entrer dans quelques détails.

A Furnes, chef-lieu d arrondissement de la Flandre occidentale, existait une école primaire supérieure, créée en vertu de la loi du 25 septembre 1842. Le clergé prêtait son concours à cet établissement.

En 1850, l'école primaire supérieure fut transformée en école moyenne de l'Etat et le clergé retira son concours à Furnes, comme il le retira, du reste, dans le pays entier.

Après la retraite du clergé, un établissement libre d'enseignement moyen fut fondé parallèlement, à côté de l'école moyenne de l'Etat, et, dès lors, une vive concurrence exista entre ces deux institutions d'enseignement.

Je ne me plains pas, messieurs, de cette concurrence ; au contraire, je crois que de la concurrence naît le progrès, naît l'émulation et que cette concurrence est un bien. Mais je constate que cette concurrence s'est faite à Furnes entièrement à l'avantage de l'école moyenne. L'école primaire supérieure, à la fin même de son existence, comptait 40 à 45 élevés. L'école primaire supérieure, au mois d'août 1855, en comptait 140 à 150. Ce fait est important à noter, et je prie la Chambre de ne pas le perdre de vue. Tout marchait donc pour le mieux dans l’école moyenne de Furnes, lorsque au mois d'août dernier, le gouvernement adressa au bourgmestre de cette localité une lettre officielle par laquelle il lui faisait remarquer que le mandat des membres du bureau administratif était expiré, et qu'il y avait lieu de procéder à son renouvellement. Il invitait en même temps le bourgmestre à soumettre au conseil des propositions nouvelles pour renouveler le mandat des quatre membres électifs du bureau dont les pouvoirs étaient expirés par suite de non-renouvellements antérieurs.

Si je suis bien informé, M. Je ministre de l'intérieur invitait M. le bourgmestre de Furnes à engager le conseil à comprendre un ecclésiastique parmi &ss propositions.

Jusque-là tout était parfaitement bien. Le gouvernement était dans son droit.

Le bourgmestre de Furnes, fonctionnaire toujours très gouvernemental, s'empressa de soumettre cette lettre au conseil et comprenant que la proposition d'appeler un ecclésiastique ne pouvait aboutir ainsi, il proposa au conseil de nommer une commission qui serait chargée de négocier avec l'évêque, afin d'assurer l'exécution de l'article 8 de la loi.

Cette proposition fut soumise par le conseil au bureau administratif de l'école. Le bureau, composé de sept membres, délibéra sur cette proposition et, par 5 voix contre 2, fut d'avis qu'il n'y avait pas lieu, quant à présent, de se mettre en rapport avec le chef du diocèse, et qu'il valait mieux attendre, pour des motifs qu'il sera utile, je pense, d'indiquer en donnant lecture des considérants de la délibération du bureau.

Ces considérants vous feront comprendre toute la modération des membres qui composaient autrefois le bureau administratif de l'école moyenne de Furnes. Voici, messieurs, comment s'exprime ce collège :

« Considérant que l'école moyenne se trouve dans une situation prospère, qu'elle satisfait à toutes les exigences par l'excellence de son enseignement et par l'éducation morale et religieuse qu'on y reçoit, qu'il y aurait même de l'ingratitude à méconnaître qu'elle occupe une place honorable parmi les institutions les plus utiles que la ville ait jamais possédées ;

« Considérant que cet établissement n'a pas cessé un instant de jouir de la confiance des pères de famille et qu'il est fréquenté par un nombre d'élèves bien plus considérable qu'on n'était en droit d'espérer ;

« Considérant que si le clergé n'a pas, jusqu'à présent, prêté son concours à l'établissement, les élèves, composés exclusivement d'externes et appartenant à peu près tous à la localité, vont chercher l'instruction religieuse dans les églises et au sein de leurs familles... »

Je ferai remarquer, messieurs, que cette opinion est conforme à celle que l'honorable ministre de l'intérieur a manifestée dans la discussion de la loi de 1850. Je continue la citation.

« Considérant que parmi les établissements d'instruction du même rang, érigés en même temps et dans les mêmes conditions, dans le diocèse de Bruges, aucun n'a conclu jusqu'à présent un accord définitif avec l'autorité ecclésiastique.

« Considérant que, parmi ces établissements, on n'en connaît qu'un seul, celui d'Ypres, qui est entré depuis plus d'un an en négociations avec l'évêque du diocèse, pour se concerter avec lui sur l'enseignement religieux sans que l'on soit arrivé, jusqu'à ce jour, à une conclusion ;

« Considérant qu'il serait tout au moins prudent d'attendre le résultat des mesures prises ou à prendre par des établissements d'enseignement moyen plus importants ou aussi importants, appartenant au diocèse, afin de s'assurer, par l'expérience des autres, qu'il y a possibilité de parvenir à un rapprochement convenable ; afin de s'éclairer sur les moyens les plus propres d'arriver à la solution des questions les plus graves et les plus difficiles ; et afin d'apprendre à connaître les conditions les plus avantageuses qui pourraient faire l'objet d'un arrangement, etc. »

Ainsi, messieurs, le bureau administratif de Furnes ne rejette pas la convention, il émet seulement l'avis :

» Qu'il serait sage et de bon conseil de maintenir purement et simplement l'état actuel des choses et de s'abstenir de faire aucune démarche pour ce moment, soit pour traiter sur l'exécution de l'article 8, soit pour introduire un ecclésiastique dans le bureau administratif de l'école moyenne. »

Cet avis, messieurs, a été adopté par 5 voix contre 2. Soumis au conseil communal, l'avis du bureau reçut un accueil favorable.

Après une discussion assez longue, la proposition faite par le bourgmestre de nommer une commission pour entrer en négociations avec le clergé fut rejetée ; j'ignore quel était le chiffre de la majorité.

Le conseil s'occupa ensuite de la formation de la liste de candidats à présenter au gouvernement pour la nomination des membres du bureau administratif et il présenta, à l'unanimité des voix, tous les membres sortants, comme premiers candidats.

Les membres du conseil qui désiraient l’introduction de la convention d'Anvers, avaient cru devoir donner leur voix aux membres du bureau qui avaient été hostiles à la proposition faite à cet égard et je ferai remarquer que les quatre membres sortants avaient voté la résolution dont j'ai donné lecture ; tous les quatre obtinrent, au conseil communal, l'unanimité des voix comme premiers candidats.

Eh bien, messieurs, dans cette situation très nette, que fait le gouvernement ? Au lieu de faire ce qu'il fait toujours, au lieu de nommer les premiers candidats, il en élimina trois, il n'en choisit qu'un seul.

Tous les quatre cependant, je le répète, avaient été présentes à l'unanimité et avaient été unanimes pour voter l'ajournement.

Maintenant, messieurs, je serai forcé d'indiquer quels étaient les titres et les antécédents des candidats éliminés.

J'hésite cependant à livrer ici ces noms à la publicité, car depuis quelque temps, dans cette enceinte, chaque fois que le nom d'un fonctionnaire est prononcé lorsqu'il ne partage pas d'une manière complète l'opinion de certain parti, il est sujet à des attaques tellement personnelles, que nous devons nous abstenir avec le plus grand soin de prononcer ici les noms de nos amis.

(page 562) M. Dumortier. - Vous critiquez ce qui se fait sur nos bancs.

M. Vandenpeereboom. - Je suis fâché que vous m'interrompiez ; vous feriez croire que c'est à vous que j'ai fait allusion et que vous justifiez certain proverbe. (Interruption.) Je n'ai jamais attaqué personne et je désire que l'honorable M. Dumortier puisse en dire autant.

Cependant, je suis, messieurs, forcé de nommer les candidats qui ont été éliminés par le gouvernement. Savez-vous, messieurs, quels sont les hommes honorables frappés d'ostracisme ? L'un était le fils, je pense, de l'ancien bourgmestre de Fumes, homme extrêmement honorable, aujourd'hui agent de la Banque Nationale en cette ville. Le deuxième, c’est le premier fonctionnaire administratif de l’arrondissement, le commissaire de district. Le troisième, c’est le premier magistrat de Furnes, c’est le président du tribunal.

Eh bien, messieurs, je le demande, quand on frappe trois personnes aussi haut placées, qui occupent un rang si élevé, il doit y avoir des motifs graves, des motifs sérieux, des motifs en dehors de la politique. Et quand le gouvernement frappe de pareils coups, il est de notre devoir de les signaler, afin de provoquer des explications franches et catégoriques.

Le cabinet nous dira ; « J'use de mon droit. » Personne ne le conteste ; il est évident que quand deux candidats sont présentés, le gouvernement a le droit de choisir le deuxième. Je ne conteste donc nullement le droit du gouvernement ; mais ce que je contrôle et ce que je dois contrôler, c'est l'usage de ce droit. Il est de notre devoir d'examiner si le gouvernement fait de ses droits un usage conforme aux intérêts du pays.

Eh bien, selon moi, le gouvernement n'a pas fait de son droit na usage que l'on puisse approuver ; il n'a pas, dans cette circonstance, mis en pratique les principes qu'il a inscrits si largement dans son programme, les principes de modération et de coneiliatiou des partis. L'acte posé par le gouvernement a, selon moi, des conséquences graves à un triple point de vue : d'abord il nuit à la considération des honorables membres qui ont été éliminés et il constitue de la part du gouvernement un acte d'ingratitude ; je le démontrerai. En second lieu, c'est un acte mauvais au point de vue administratif, au point de vue de la prospérité de l'école ; je le démontrerai encore.

En troisième lieu, cet acte n'est pas conforme à ce que la Chambre a voulu lorsqu'elle s'est prononcée sur la convention d'Anvers ; il constitue, en réalité, une pression gouvernementale sur des autorités inférieures et qui peuvent subir cette pression.

Messieurs, les populations flamandes sont accusées d'avoir des préjugés et, en effet, elles en ont. Un de leurs préjugés, par exemple, c'est de croire que les gouvernements sont toujours justes, c'est de croire que les gouvernements agissent toujours dans l'intérêt général. Nos populations croient que l’Etat ne fait que des choses parfaitement équitables et qu'il est étranger à toute espèce d'esprit de parti.

Eh bien, quand elles voient les premiers magistrats d'un arrondissement si rudement frappés, elles doivent se dire : Une faute grave doit avoir été commise ; le gouvernement ne peut pas être injuste, le gouvernement administre et gouverne, mais il ne se venge pas. Je dis, messieurs, que cette élimination comporte aux yeux de nos populations une idée inévitable de blâme ; élimination est synonyme de punition. Eh bien, par leurs antécédents les honorables membres éliminés ne méritaient pas un pareil traitement.

Ils étaient honorables par leurs talents, honorables par leurs antécédents, honorables par les services qu'ils avaient rendus ; et quand le gouvernement les a exclus, je le répète, il a commis un acte d'ingratitude gouvernementale vis-à-vis d'hommes instruits, dévoués et zèles, qui depuis de longues années s'étaient consacrés aux progrès de l'enseignement et qui n'avaient jamais fait de leur concours une question de parti.

Avant la loi du 1er juin 1850, il existait à Furnes une école primaire supérieure à laquelle le concours du clergé était acquis. Deux au moins des honorables membres éliminés, le président du tribunal et le commissaire d'arrondissement, faisaient partie de la commission administrative de l'école primaire supérieure ; le clergé leur prêtait un entier concours ; et le clergé de Furnes d'alors pourrait dire avec quel zèle ces deux honorables fonctionnaires remplissaient leurs devoirs, avec quel zèle ils stimulaient les élèves, avec quelle ardeur ils s'attachaient à faire progresser l'enseignement en dehors de toute idée de parti.

Mais, à un autre point de vue, la mesure qui a été prise me paraît mauvaise, elle doit nuire à l’établissement.

En effet, l'école de Furnes marchait bien, le nombre des élèves, en peu d'années, de 40 s'est élevé à 150. A qui doit-on ce succès réel. N’est-ce pas à la présence, dans le bureau, des honorables membres qui en ont été exclus, à leur zèle, à leur intelligence, à leur expérience, peut-être aussi à leur influence ? Les pères de famille dont on parlait tant, quand on présentait des pétitions contre la loi de 1850 ; les pères de famille envoyaient avec confiance leurs enfants dans un établissement dirigé par des personnes aussi honorables.

En éliminant ces honorables membres, ne s'expose-t-on pas à faire une part plus utile à la concurrence ? Il ne faut pas perdre de vue qu'à côté de l'établissement de l'Etat il existe un autre établissement qui lui fait une concurrence de tous les jours. Eh bien, si vous retirez à vos propres établissements leurs éléments de succès, il est évident que vous faites une part plus belle à vos adversaires ; il est évident que le gouvernement nuit ainsi aux établissements de l'Etat qu'il est tenu, par devoir, de sauvegarder et de défendre.

On me dira peut-être : « Les successeurs des membres éliminés du bureau rempliront convenablement les fonctions auxquelles ils ont été appelés. » Je l'ai dit, je ne m'occupe jamais de questions de personnes ; je n'examine pas l'honorabilité des nouveaux élus ; si M. le ministre de la justice était présent, je ne lui demanderais pas même s'il est vrai oui ou non qu'un des nouveaux membres du bureau, avocat à Furnes, a reçu, en même temps que sa nomination, la promesse d'être nommé juge, après la discussion du budget de l'intérieur, et d'être placé ainsi au tribunal à côté du président dont il occupe la place au bureau administratif.

Je ne demanderais pas à M. le ministre de la justice même, s'il était présent aàla séance, si l'on a créé une vacature au tribunal de Furnes en nommant un juge de ce siège au tribunal de Termonde afin d'avoir la possibilité de remplir une promesse. Je le répète, ce sont là des questions de personnes dont je ne m'occupe pas. Si cet acte est posé, nous aurons à l'apprécier et nous dirons alors que c'est un... ou plutôt pour rendre la même pensée, nous trouverons, si c'est possible, uu mot conciliant et de transaction dans le dictionnaire du langage parlementaire le plus épuré.

Je ne veux donc pas m'occuper des nouveaux membres du bureau ; j'admets que c'a sont des personnes honorables ; l'une d'elles est un de nos amis, c'est l'ingénieur des wateringues qui a accepté par dévouement le mandat de membre du bureau.

Mais je suis convaincu, messieurs, que les nouveaux membres ne remplaceront pas utilement les membres qui ont été éliminés parce qu'ils n'ont pas l'expérience et les connaissances spéciales de leurs prédécesseurs.

J'ai dit que l'acte que je blâme me semblait constituer une certaine pression gouvernementale sur les autorités inférieures, dans la hiérarchie administrative. La question est délicate. Cependant, je dois déclarer que plus que personne je me trouve à l’aise.

La Chambre voudra bien se rappeler que lorsqu'il a été question de la convention d'Anvers, non seulement je l'ai votée, mais je me suis levé le premier sur ces bancs pour la défendre.

J'ai fait plus rentré dans mes foyers, comme échevin d'une ville importante, j'ai proposé au conseil communal d'adopter la convention d'Anvers, et j'ai fait tous mes efforts pour amener cette adoption.

Ce que j'ai dit, voté et fait, je suis prêt à le dire, à le voter, à le faire encore aujourd'hui ; mes convictions ne sont pas changées ; c'est avec plaisir que je voudrais voir la convention d'Anvers appliquée partout. Mais il y a une limite à ce désir, et cette limite, c'est le sens et la portée du vote que nous avons émis au mois de février 1854, lorsque nous avons approuve le gouvernement qui nous avait communiqué la convention.

Eh bien, cette limite, c'est la liberté communale ; là est le cercle dout on ne peut sortir ; on a dit à satiété lors de ces discussions : La convention d'Anvers est bonne, parce qu'elle laisse aux communes une liberté complète.

Mon honorable ami, M. Loos, qui devait bien connaître l'esprit de la convention, parce qu'il en est le père et que le gouvernement n'en a été que le parrain, l'honorable M. Loos insista surtout sur ce fait, que la convention d'Anvers était bonne, parce que les communes restaient complètement libres de l'adopter ou de ne pas l'adopter. Il concluait en ces termes : Les conseils communaux conserveront toute leur liberté d'action.

Le seul membre de la droite qui, dans cette circonstance, ait pris la parole, l'honorable M. de Theux, était parfaitement d'accord avec nous ; il disait : « ... Il n'y a pas la moindre contrainte exercée sur les conseils communaux. »

Et, chose assez rare, il était encore d'accord avec l'honorable M. Delfosse qui disait : « Je ne comprends pas que les conseils communaux puissent raisonnablement se plaindre d'une convention qu'ils sont libres d'accepter ou de reluser. »

Ainsi, le fait de la liberté communale est acquis : c'est la limite ; on ne peut pas aller plus loin.

Mais, messieurs, il faut nécessairement que cette liberté ne soit pas une liberté illusoire ; il faut que cette liberté soit entière ; il faut qu'il n'y ait pas contrainte morale, directe ou indirecte ; il ne faut point, je ne dirai pas par des manœuvres, mais par une action quelconque, violenter les communes. Il ne faut pas non plus les détourner d'accepter la convention. Il faut qu'elles aient leur liberté entière.

Comme j'ai défendu la convention dans cette enceinte, je tiens à établir d'une manière claire, et nette les principes sur ce point ; je dis que la liberté de la commune doit rester intacte. Je tiens d'autant plus à m'exprimer de la sorte qu'un moment peut venir, car les majorités sont changeantes, où l'on cherchera à exercer sur les conseils communaux une pression contraire à celle qu'on veut exercer aujourd'hui ; où l'on cherchera à entraver l'application de la convention d'Anvers. Si ce moment doit arriver, je le déclare franchement, alors comme aujourd'hui, je me lèverai pour appuyer les principes qui ont guidé notre vote au mois de février 1854 : et alors je me mettrai du côté de ceux qui m'attaqueront peut-être tantôt.

Messieurs, quelle est donc la cause unique de l'élimination des trois honorables personnes dont il s'agit ? Elle ne peut pas être administrative ; elle ne peut être que le vote consciencieux émis par eux, au sein (page 563) du bureau, et tendant à ajourner momentanément l'application de la convention d'Anvers à la ville de Furnes.

On me dira peut-être : Il n'y a pas eu pression, nous n'avons pas agi sur le conseil, nous avons remplacé trois membres du bureau, nous n'avons pas touché au conseil. Et d'abord on ne pouvait pas y toucher, le gouvernement a fait tout ce qu'il pouvait faire, s'il n'a pas fait plus ce n'est pas sa faute, la loi était un obstacle infranchissable. Le bureau administratif était composé d'hommes méritant quelques égards ; on n'agit pas vis-à-vis d'hommes dans cette position, comme vis-à-vis d'un fonctionnaire subalterne et salarié qu'on renvoie, dont on augmente ou diminue le traitement à volonté ; on doit avoir égard à des fonctions remplies avec beaucoup de zèle et de désintéressement.

Il y a d'ailleurs des rapports intimes entre les bureaux administratifs et les conseils communaux. Le bureau administratif de Furnes, sur sept membres, compte cinq conseillers communaux. Il y a donc connexité entre le bureau administratif et le conseil communal.

Il faut bien remarquer aussi que le conseil communal était complice du vote émis par le bureau administratif, puisqu'il n'a pas admis, quant à présent, l'application de la convention d'Anvers. Il ne faut pas perdre de vue qu'en frappant le bureau, on frappe le conseil, puisque cette assemblée a nommé à l'unanimité tous les membres sortants, premiers candidats et que tous les membres avaient été hostiles à la proposition du bourgmestre.

Le bourgmestre de Furnes lui-même a été plus ami de la transaction que M. le ministre, puisque après avoir vu rejeter sa proposition il a voté pour des personnes qui n'avaient pas partagé sa manière de voir. Cette tolérance indique que la présence des anciens membres du bureau était fort utile, pour ne pas dire indispensable. Je n'insiste pas davantage sur ce point ; je crois avoir exposé clairement la situation.

Si je regrette cette mesure, c'est que je la trouve mauvaise au triple point de vue dont je viens de m'occuper ; je la crois fâcheuse au point de vue de la convention d'Anvers même, parce que je crains que cette pression ne produise un effet diamétralement opposé à celui qu'on se proposait. Sans cette mesure, la convention serait, sinon appliquée, peut-être sur le point de l'être. La violence en toute chose ne peut être que nuisible.

J'espère que M. le ministre de l'intérieur, avec sa loyale franchise ordinaire, voudra bien donner des explications catégoriques sur ces faits.

J'espère qu'il réhabilitera les honorables fonctionnaires qu'il a cru devoir éliminer ; qu'il prononcera quelques paroles de sympathie pour l'école de Furnes, maintenant qu'elle semble abandonnée ; qu'il donnera enfin quelques explications sur la pression exercée à l'égard des autorités communales.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, je donnerai brièvement à la Chambre les explications qui sont devenues nécesaires par suite du discours que vous venez d'entendre. J'espère prouver que le cabinet est resté fidèle aux principes qu'il a proclamés à son avènement et qui l'ont constamment guidé dans les actes qu'il a posés. J'espère prouver que c’est par esprit de modération, pour combattre l'exagération de l'esprit de parti que j'ai posé l'acte que l'honorable représentant d'Ypres vient d'incriminer.

Voici l'exposé rapide des faits :

Au commencement du mois d'août, je reçus la visite de M. le bourgmestre de la ville de Furnes. C'est un ancien camarade d'université que je n'avais plus revu depuis l'époque de nos études.

Dans le cours de la conversation qui roula sur les divers intérêts de la commune qu'il administre, il parla de l’école moyenne de Furnes ; il exprima le regret que la convention d’Anvers n'eût pas pu y être appliquée encore, bien que la presque unanimité de la population de la ville de Furnes désirât l'adoption de cette convention. Nous convînmes d'une démarche à faire qui permît à l'administration communale d'exprimer sa manière de voir à cet égard.

Le moyen le plus naturel de fournir à l'administration communale l'occasion de manifester ses vues, sous ce rapport, était de lui proposer le renouvellement du bureau administratif de l’école moyenne. Ces bureaux doivent être renouvelés tous les trois ans. Ils auraient dû l'être le 1er janvier 1854.

Ils ne l'ont pas été, parce que la convention d'Anvers ayant été discutée vers cette époque, le gouvernement voulut laisser à toutes les administrations communales le temps de réfléchir sur la décision qu'ils jugeraient à propos de prendre quant à l'adoption de cette convention. En effet, le moyen officiel offert aux administrations communales de manifester leurs intentions favorables à la convention était de laisser dans les propositions pour la formation du bureau administratif une place vacante destinée à l'ecclésiastique, que l'ordinaire du diocèse pourrait nommer plus tard, pour le cas où les négociations vinssent aboutir.

Le bureau administratif de l'école moyenne de Furnes se trouvait dans le cas de presque tous les bureaux administratifs du royaume : il n'avait pas été renouvelé en 1854, pour le motif que je viens d'indiquer

Quelques jours après la visite de M. le bourgmestre de Furnes, j'écrivis une lettre à l'administration communale de cette ville, pour la prier de procéder au renouvellement du bureau administratif de son école moyenne ; et pour le cas où il lui conviendrait d'entrer en négociation pour l'application de la convention d'Anvers, de laisser une place vacante dans le bureau, afin que, plus tard, un ecclésiastique pût être adjoint à ce bureau ainsi formé.

L'honorable bourgmestre de Furnes communiqua cette lettre au conseil communal. Le conseil renvoya cette demande à l'avis du bureau administratif. Le bureau se prononça contre toute ouverture à faire à l'évêque de Bruges, dans le but de provoquer l'application de la convention d'Anvers.

Le bourgmestre convoqua de nouveau le conseil communal, lui donna lecture de l'avis du bureau administratif, et voulut, malgré cet avis, soumettre au conseil la question de savoir s'il y avait lieu de provoquer l'adoption de la convention d'Anvers. L'honorable bourgmestre, s'il avait exactement suivi les prescriptions de ma lettre, se fût borné à demander, à l'occasion du renouvellement du bureau administratif, qu'on laissât dans les propositions pour la formation de ce bureau une place destinée à être occupée éventuellement par un ecclésiastique à désigner par l’évêque du diocèse en cas d'entente. Ce fait seul équivaut, dans la pensée de l'administration, à une invitation adressée au clergé de prêter son concours.

L'honorable bourgmestre proposa de nommer une députation chargée d'aller s'informer auprès de l'évêque du diocèse des conditions auxquelles son concours pourrait être obtenu. Le conseil communal rejeta cette proposition par parité de voix, quatre contre quatre. Un honorable échevin s'était, avant le vote, prononcé contre la proposition ainsi formulée ; de manière que, si l'on avait simplement demandé au conseil communal de laisser une place vacante dans ses propositions pour le bureau administratif, il est à présumer que la majorité du conseil eût accédé à cette demande.

Voilà les faits.

Je puis donc dire, non seulement d'après les propositions que m'a faites l'honorable bourgmestre, mais encore d’après la position prise par le conseil communal, que la majorité désirait l'application de la convention d'Anvers au collège communal de Furnes.

M. Vandenpeereboom. - On était deux contre un.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - La proposition a été rejetée par parité de voix, 4 contre 4, parce que la question a été mal posée. Si elle avait été posée comme j'avais demandé qu'on la posât, c'est-à-dire en ce sens qu'on laissât dans le bureau une place vacante pour un ecclésiastique, il n'y a pas de doute pour moi qu'elle eût été résolue favorablement.

Les propositions pour le renouvellement du bureau ayant été soumises à l'administration centrale, je me trouvais dans la nécessité de me prononcer sur la présentation de ces candidats.

J'avais pour moi toutes les présomptions dont je vous ai parlé. Elles devaient me donner la conviction que le vœu de la ville de Furnes était de voir appliquer, dans un avenir plus ou moins éloigné, la convention d'Anvers.

Il n'était pas question de l'appliquer immédiatement, ni d'exercer une pression dans ce but, puisqu'on proposait de renouveler intégralement le bureau. Du moment qu'il y avait renouvellement intégral, il n'y avait plus de place pour un ecclésiastique. Par conséquent, il ne s'agissait plus d'appliquer la convention d'Anvers.

Que me reproche-t-on donc ? Au lieu de prendre les candidats présentés en première ligne, sur quatre qui avaient été présentés, j'en ai nommé trois qui étaient présentés en seconde ligne.

L'honorable membre a bien voulu reconnaître que les personnes que j'ai choisies sont parfaitement honorables, tous aussi honorables que celles qui n'ont pas été nommées. Qui ai-je exclus ? Des personnes qui s'étaient, au sein du bureau administratif et du conseil communal, montrées ouvertement hostiles à loute application de la convention d'Anvers. Eh bien, je me trouvais comme ministre (du moins c'est ainsi que je comprends mes devoirs), obligé de faire exécuter l'article 8 de la loi sur l'enseignement moyen.

C'est ce que l'honorable préopinant a complètement perdu de vue. Il nous a dit que tout allait pour le mieux à l'école moyenne de Furnes. Mais tout n'allait pas pour le mieux, l'enseignement religieux n'était pas donné. Or, c'était évidemment pour le gouvernement un devoir de contribuer à faire exécuter un des articles les plus importants de la loi sur l'enseignement moyen, l'article relatif à l'enseignement religieux.

Il se peut que pour quelques membres du bureau tout allât pour le mieux, et qu'il y eût toutes les garanties de succès désirables en dehors de l'enseignement religieux. Mais je soutiens, et j'espère que la Chambre partagera mon avis, que le gouvernement est obligé, sans pour cela exercer de pression sur les esprits, de faire donner dans les établissements de l'Etat, l’enseignement religieux inscrit à l'article 8 de la loi comme faisant une partie essentielle du programme des études.

Parmi les membres dont je n'avais pas renouvelé le mandat se trouvait le commissaire d'arrondissement. Je ne crains pas de le dire, ce fonctionnaire, à qui l'on avait donné lecture de la dépêche du gouvernement, aurait dû, d'après moi, au moins pour ce cas-là, s'abstenir.

Ce fonctionnaire ne pouvait, dans une question qu'ii savait fort délicate, se prononcer et agir contre le gouvernement dont il connaissait l'opinion et dont il est l’agent. Il est évident que si je suis coupable, c'est plutôt d'un excès de modération.

Je pose en fait que d'autres ministres à ma place ne se seraient pas conduits comme moi.

M. Dechamps. - Ils auraient destitué.

M. de Mérode. - On a destitué pour moins que cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - L’honorable représentant (page 564) d'Ypres critique la conduite du gouvernement pour trois motifs. D'abord, il prétend que par cette substitution des noms de trois seconds candidats à ceux de trois premiers candidats, j'aurais jeté sur ceux-ci de la déconsidération. Je crois inutile d'insister pour réfuter une pareille assertion. L'honorable membre ne s'est pas pris au sérieux en disant cela. Aucune espèce de déconsidération ne rejaillit sur ces membres, parce qu'ils n'ont pas été nommés membres du bureau administratif.

Tous les jours de telles préférences sont manifestées par le gouvernement, et il est permis de croire que la présentation des seconds candidats n'est pas une vaine formalité.

L'honorable membre demande si l'un des candidats ne doit pas être nommé juge dans quelque temps, et il s'est permis une insinuation peu agréable à ce sujet. C'est le premier mot que j'en entends dire. Je ne me rappelle même pas la carrière que suit la personne à laquelle il a fait allusion.

Le second motif pour lequel l'honorable membre critique cet acte, c'est que, d'après lui, il serait de nature à nuire à l'école moyenne de Furnes. J'ai peine à comprendre une pareille argumentation.

Il est pour moi évident que le moyen le plus puissant et le plus naturel d'aider au développement de cette institution était d'y faire donner l'enseignement religieux. Comment ! On dira que, dans les Flandres, on aura détruit la confiance des familles en faisant donner l'enseignement religieux, et c'est un député des Flandres qui dira cela !

Comment ! vous dites qu'il y a concurrence entre cet établissement et l'établissement épiscopal !

Eh bien, à mes yeux, le meilleur moyen de soutenir avantageusement cette concurrence, c'est de faire en sorte qu'il n'y ait plus de motifs de préférer l'établissement épiscopal, au point de vue de l'enseignement religieux à l'établissement de l'Etat.

Loin donc d'avoir compromis l'institut du gouvernement, je suis convaincu qu'en facilitant l'adoption de la convention d'Anvers, j'ai posé un acte tout à fait dans son intérêt, un acte qui fournit à cette institution le moyen de soutenir avantageusement la concurrence avec l'institution rivale.

Reste la dernière objection ; j'aurais violenté la liberté communale.

Messieurs, je serais, quant à moi, très désolé d'avoir posé un acte ayant cette portée ; mais j'ai la conviction de ne pas l'avoir fait. L'honorable membre vous a dit, et il a reconnu lui-même que si, d'une part, il ne veut pas qu'on exerce une pression pour amener l'application de la convention d'Anvers, il ne veut pas non plus qu'on puisse détourner les autorités communales d'accepter cette convention. Eh bien ! c'est la position que j'ai voulu prendre. Je déclare que je n'ai voulu exercer aucune espèce de pression sur l'autorité communale de Furnes, et la preuve, c'est que d'ici à je ne sais combien de temps, il ne peut plus être question d'appliquer à Furnes la convention d'Anvers.

J'ai d'ailleurs, pour expliquer ma conduite, ce que j'ai fait dans d'autres occasions. Il a été question dans vingt localités peut-être de l'application de la convention d'Anvers. Je défie qu'on dise que j'ai exercé quelque part la moindre pression pour amener l'application de cette convention. Mais d'autre part, j'ai vu qu'il y avait à Furnes deux ou trois personnes qui, par parti pris et par esprit de parti, voulaient détourner l'autorité communale de l'application de la convention d'Anvers.

Je n'ai pas voulu donner les mains à cela. J'ai voulu, en renouvelant le bureau administratif, en y plaçant des membres, parfaitement honorables du reste, en remplacement d'autres membres qui avaient exercé une pression défavorable à l'acceptation de la convention d'Anvers, j'ai voulu me placer en dehors de toute influence de l'esprit de parti.

Il m'est donc permis de croire, messieurs, que j'avais raison, en commençant ces explications, de vous dire que le cabinet est resté, ici encore, fidèle à sa politique de modération.

M. Vandenpeereboom. - Je remercie l'honorale ministre des explications qu'il a données.

Je dois cependant dire que je ne les trouve ni très satisfaisantes ni extrêmement concluantes.

Je rends immédiatement hommage aux bons sentiments que vient d'exprimer l'honorable ministre, sentiments que je partage, et qu'il me trouvera toujours prêts à propager avec lui dans toutes les circonstances où il s'agira de défendre une question de conscience. J'ai sous ce rapport des antécédents.

Dans toutes les circonstances graves où des questions qui touchaient à cet ordre d'idées ont surgi dans cette Chambre, j'ai eu le courage de nie séparer de mes amis politiques, de n'écouter que la voix de ma conscience, de faire abstraction complète de l'esprit de parti. La Chambre doit se souvenir que dans une circonstance éloignée, lors de la question du serment, je me suis réuni à l'honorable ministre pour voter contre un cabinet qui avait toutes mes sympathies politiques, parce que ma conscience ne me permettait pas de le suivre ; et lorsqu'il surgira encore de semblables questions, toujours l'honorable ministre me trouvera avec lui ; il a donc tort de lancer contre moi de semblables insinuations.

Si, dans la circonstance actuelle, j'ai demandé la parole, c'est parce que j'ai pensé que la mesure prise par l'honorable ministre est diamétralement contraire à ce que nous voulons. Je désire que la convention d'Anvers soit appliquée, mais je veux qu'elle le soit loyalement. Je ne veux pas qu'on fasse entrer cette convention dans les règlements comme on fait entrer un coin dans le bois ou comme anciennement on voulait sauver les âmes en faisant brûler les corps au milieu de la place publique. Je ne veux pas le « compelle intrare », je veux la liberté entière, la commune indépendante.

Ce que l'on fait d'une manière violente, ou par passion, n'est pas durable et, dans l'affaire de Furnes, le résultat le prouvera mieux que tout ce que je pourrais dire.

En effet, que voulait le bureau administratif de l'école de Furnes ? Avait-il réglé la convention d'Anvers ? Non. Avait-il blâmé cette convention ? Non. Le bureau administratif disait : Attendons, d'autres villes sont en négociation. Je dois même dire plus : j'étais chargé alors moi-même de mener une négociation pour le collège communal et l'école moyenne d'Ypres, négociation qui a marché de la manière la plus parfaite, et la plus convenable, négociation qui n'a pas abouti jusqu'ici, si vous le voulez, parce qu'il y avait de grandes difficultés, mais qui, du moins je l'espère, aboutira bientôt.

Eh bien, les membres du bureau administratif de l'école de Furnes m'écrivaient pour avoir des renseignements ; ils me demandaient s'il y avait possibilité d'aboutir pour demander plus tard eux-mêmes, dans ce cas, l'application de la convention.

L'honorable ministre vient de nous dire que, d'après l'opinion du bourgmestre de Furnes, la majorité des habitants est favorable à la convention d'Anvers. Mais, pour moi, il n'y a de majorité reconnue que la majorité légale, la majorité du conseil communal et cette majorité, qu'elle se manifeste par parité de voix ou par une demi-voix, ce n'en est pas moins la majorité et il faut la respecter.

Or, l'application de la convention d'Anvers a été rejetée par le conseil communal de Furnes et, ce qui est plus fort, c'est, qu'après ce rejet, tous les membres du bureau administratif ont été renommés premiers candidats à l'unanimité.

On a parlé du commissaire d'arrondissement. Je n'ai à cet égard qu'une simple observation à faire.

Je sais qu'il doit exister une hiérarchie entre les pouvoirs et que toute administration est impossible, si le gouvernement n'a pas d'autorité sur ses fonctionnaires. Je suis trop gouvernemental pour soutenir le contraire. Seulement, je ferai remarquer que l'honorable commissaire d'arrondissement ne siégeait pas dans le bureau administratif comme commissaire d'arrondissement ; il y siégeait comme père de famille. Dans le chef-lieu d'arrondissement le commissaire de district n'est pas président du bureau administratif. Il y siégeait parce qu'il avait été nommé par le gouvernement, et le gouvernement l'avait désigné dans l'intérêt de l'école, parce qu'il avait été depuis longtemps chargé de l'instruction moyenne, d'abord à l'école primaire supérieure et ensuite à l'école moyenne depuis son organisation.

Telles sont les seules explications que je crois devoir donner. Quant au point de savoir si le gouvernement doit peser, oui ou non, sur les autorités communales pour amener ou écarter l'application de la convention d'Anvers, je crois que non.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Et moi aussi.

M. Vandenpeereboom. - Je crois qu'il n'obtiendrait que des résultats contraires et qu'il s'exposerait dans un temps donné, à voir des pressions s'exercer dans un sens opposé.

M. Delfosse. - Messieurs, lors de la discussion qui a eu lieu en 1854 sur la convention d'Anvers, il a été formellement déclaré que les conseils communaux seraient entièrement libres de l'admettre ou de la rejeter. Cette liberté laissée aux conseils communaux a été le motif principal, la condition essentielle du vote que j'ai émis sur l'ordre du jour proposé par l'honorable M. Osy.

Je regrette de devoir dire que les explications que M. le ministre de l'intérieur vient de donner, tendent à rendre la liberté des conseils communaux illusoire. M. le ministre de l'intérieur a avoué avec franchise et quelque peu de naïveté, qu'il considère comme un devoir de faire prévaloir la convention d'Anvers, et il a ajouté que pour la faire prévaloir il ne reculait pas devant l'élimination du bureau administratif d'hommes honorables qui ne sont pas partisans de cette convention.

Je dois déclarer à M. le ministre de l'intérieur que, s'il persiste dans cette voie, que j'envisage comme fatale, le vote que j'ai émis en faveur de la convention d'Anvers devra être considéré comme non avenu.

Depuis quelque temps on paraît donner à cette convention une portée qu'elle ne devait pas avoir. Il a été formellement reconnu dans la discussion que le père de famille aurait le droit de dispenser ses enfants d'assister au cours de religion ; eh bien, si j'en crois certains journaux, ce droit commence à être mis en question. Ainsi à Namur l'ecclésiastique qui donne l'enseignement religieux aurait dénié ce droit. Cependant, je le répète, ce droit a été formellement reconnu dans la discussion. M. Piercot, ministre de l'intérieur, écrivait au cardinal-archevêque de Malines, dans une lettre du 2 février 1854, ce qui suit :

« Je suis disposé à les soumettre à la sanction du Roi (les dispositions du règlement d'Anvers) en tenant compte des explications qui ont été données par le bureau administratif sur le mode d'exécution du règlement. »

Or quelles étaient ces explications ? Elles portaient entre autres sur le droit du père de famille de dispenser ses enfants d'assister à l'enseignement religieux.

(page 565) Le cardinal-archevêque répondit le 3 février :

« Je m'empresse de vous informer en réponse à votre lettre du 2 de ce mois que je me rallie à la marche que vous indiquez pour faciliter l'exécution de l'article 8. »

Quelle était cette marche ? C'est qu'il fallait entre autres choses tenir compte des explications données par le bureau administratif d'Anvers et par conséquent du droit reconnu au père de famille de dispenser ses enfants d'assister à l'enseignement religieux.

Le 7 février le cardinal-archevêque écrivait encore :

« Je suis disposé à faire donner l'enseignement religieux sur le pied indiqué dans votre lettre du 2 de ce mois. »

Une autre prétention que je déclare également inadmissible paraît encore surgir. Un honorable sénateur a parlé de la convention d'Anvers comme si elle était venue combler une lacune de la loi sur l'enseignement moyen.

La convention d'Anvers n'est pas venue combler ue lacune ; elle a été conclue en exécution de l'article 8 de la loi sur l'enseignement moyen. D'après cette convention, c'est le ministre du culte catholique qui doit donner l'enseignement religieux dans les établissements où elle est appliquée ; mais peut-on, parce que l'enseignement religieux est donné dans un établissement, par un ministre du culte catholique, en conclure que l’enseignement des autres branches comprises dans le programme des études, doit porter l'empreinte du catholicisme ? C'est là la prétention que l'on paraît mettre en avant et que je dois repousser de toutes mes forces.

Evidemment l'enseignement des autres branches comprises dans le programme d'études ne doit porter l'empreinte d'aucune religion (interruption), ne doit porter l'empreinte d'aucune religion de préférence aux autres. Sans cela, ce serait exclure des écoles moyennes et des athénées, les élèves qui n'appartiennent point au culte catholique. Par cela seul qu'on les dispense d'assister à l'enseignement donné par le ministre du culte catholique, on proclame le respect qui est dû, dans les autres cours, à leurs croyances religieuses. La dispense qui leur est accordée d'assister à l’enseignement religieux serait une dérision si ou les condamnait à entendre professer, dans les leçons qu'ils ont le droit et qu'ils sont tenus de suivie, des doctrines hostiles à leurs croyances religieuses ; si on les froissait dans leurs convictions intimes.

Il y aurait dans ce fait une atteinte au moins indirecte au grand principe de la liberté des cultes proclamé par la Constitution.

Les professeurs des écoles moyennes et des athénées doivent observer dans les leçons obligatoires une entière impartialité, une stricte neutralité entre les divers cultes. La convention d'Anvers, telle qu'elle a été expliquée dans les discussions parlementaires et dans la correspondance du gouvernement avec le clergé, n'a rien qui viole ce principe.

Elle porte, il est vrai, que dans les autres cours il ne sera fait usage d'aucun livre contraire à l'instruction religieuse ; que les professeurs devront s'abstenir également de tout ce qui pourrait la contrarier ; mais cette clause n'est pas exclusive de la règle que je viens de poser, de la règle d'impartialité et de neutralité entre les divers cultes : on peut, sans contrarier un culte déterminé, rester parfaitement impartial entre tous les cultes. C'est là le devoir des professeurs autres que celui qui donne le cours de religion.

Le fait qu'il y avait et qu'il y a encore, à l'athénée d'Anvers, deux professeurs protestants prouve bien qu'il n'est entré dans la pensée de personne de faire pénétrer dans les cours donnés à l'athénée des tendances catholiques et des idées hostiles aux autres cultes.

Si une extension aussi exorbitante, aussi contraire aux principes de tolérance et de liberté déposés dans la Constitution, était donnée à la convention d'Anvers, cette convention n'aurait pas d'adversaire plus déterminé que moi.

Je l'ai dit tantôt, il en serait de même si le gouvernement, comme il paraît vouloir le faire, pesait sur les conseils communaux pour les forcer à accepter la convention d'Anvers. La liberté laissée aux conseils communaux d'accepter ou de ne pas accepter cette convention a été le motif principal de mon vote et je ne le maintiendrai qu'autantq ue cette liberté demeure intacte.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, je dois un mot de réponse à l'honorable préopinant relativement à la question qu'il vieni de soulever.

En effet, dans une de nos villes trois pères de famille, si je ne me trompe, ont réclamé, pour leurs enfants, l'exemption d'assister au cours de religion. Je reconnais, avec l'honorable membre, que, d'après tout ce qui s'est passé lors de la discussion de la convention d'Anvers, il n'y a pas lieu de manifester le moindre doute à l'égard du droit des pères de famille de réclamer une pareille exemption, et par conséquent de l'obligation qui existe, pour le gouvernement, de respecter ce droit.

Le ministre de l'intérieur avait adressé au mois de décembre 1855, au bureau administratif de l'école moyenne d'Anvers la demande que voici :

« Quel accueil sera-t-il fait à un élève réclamant la dispense de participer au cours de religion en s'appuyant sur l'article 15 de la Constitution ? »

i.a réponse du bureau administratif fui conçue en ces termes :

« La dispense réclamée sera accordée, pour autant que la dispense soit faîte par les parents ou tuteurs de l'élève. »

Le bureau administratif ajouta ;

« Nous croyons devoir ajouter que jamais pareille dispense n'a été réclamée. »

Mais enfin, messieurs, elle est aujourd'hui réclamée, et je reconnais ouvertement à ces pères de famille le droit d'adresser au bureau administratif la demande qu'ils lui ont adressée.

Je reconnais aussi, par conséquent, pour le gouvernement l'obligation de respecter ce vœu et de dispenser de toute participation au cours de religion l'élève dont les parents ou les tuteurs ont réclamé une semblable dispense.

M. Frère-Orban. - Messieurs, on reconnaît le droit du père de famille de dispenser ses enfants d'assister à l'enseignement religieux. Mais dans le cas particulier qui nous occupe, ou a mis aux voix, dans le bureau administratif, la question de savoir si les élèves seraient dispensés, alors que le vœu des pères de famille avait été exprimé. C'est là manifestement une erreur.

Je pense que M. le ministre de l'intérieur le reconnaîtra aussi et donnera des instructions, pour que désormais on se borne à prendre acte du vœu émis par les pères de famille. Sous aucun prétexte, leur droit ne peut être contesté. Le doute à cet égard n'est pas possible.

Un mot maintenant sur un autre objet.

Messieurs, la loi sur l'enseignement moyen a donné lieu à de longues et graves discussions. Elle a provoqué des manifestations exceptionnelles ; d'abord, une démarche de messieurs les évêques auprès du Sénat, puis une déclaration papale, signalant, à propos de cette loi, les périls que la religion catholique courrait en Belgique.

Depuis, est intervenu ce qu'on est convenu d'appeler la convention d'Anvers, convention qui, je le présume, aura été considérée, sous le rapport religieux, comme donnant, en principe, une pleine et entière satisfaction au clergé.

Cet acte, il est vrai, est loin d'être adopté par tous les établissements d'instruction moyenne ; il peut être admis ou repoussé par les communes ; mais par cela seul qu'il constitue un mode d'exécution de la loi, on a renoncé, à ce qu'il paraît, à attribuer à là loi elle-même un caractère irréligieux.

Sous ce rapport, et après les deux décisions solennelles de la Chambre, je n'ai plus à m'occuper et je ne veux plus m'occuper de cet objet.

Mais la loi était, aux yeux d'honorables membres, infectée de griefs non moins importants. Particulièrement l'honorable ministre de l'intérieur s'était fait l'écho des critiques qui étaient adressées au projet déposé par le gouvernement.

Toutes ces critiques, si elles étaient fondées, subsistent aujourd'hui ; elles avaient aux yeux de M. le ministre de l'intérieur, alors simple député, un tel caractère de gravité que je me crois obligé de lui demander s'il maintient la loi du 1er juin 1850 sur l'enseignement moyen ou s'il est dans l'intention d'y proposer des modifications.

Messieurs, pour vous faire apprécier la nature des griefs que l'on articulait contre cette loi, il est bon que je vous rappelle le langage tenu par M. le ministre de l'intérieur en diverses circonstances. Il disait dans la séance du 19 avril 1850 :

« Je le proclame sans ambages et sans circonlocutions, le projet de loi que nous discutons est à mes yeux un projet de réaction contre les principes déposés dans notre pacte fondamental. Il a pour moi essentiellement ce caractère.

« ... C'est une loi pétrie de préjugés et de rancunes »

Elle consacrait, aux yeux de l'honorable M. de Decker, un véritable monopole.

El comme on contestait le caractère de monopole à la loi, l'honorable ministre de l'intérieur répondait :

« Le monopole résulte de l'ensemble de la loi, de cet esprit essentiellement centralisateur qui se trouve au fond de tous les articles de la loi. Permettez-moi de vous le démontrer en peu de mots.

« Le monopole résulte : de la faculté de supprimer les établissements d'enseignement moyen (article 6), de former exclusivement les professeurs (article 10), d'avoir la direction des établissements et la nomination des professeurs (article 11), d'élever les traitements des professeurs et d'accaparer ainsi les talents (article 17), de pouvoir accorder des subsides illimités aux établissements subventionnés (article 28), de révoquer les professeurs (article 31), de disposer arbitrairement des établissements patronés pour prétendus abus graves (article 32). »

Ce système de centralisation paraissait effrayanl à M. le ministre de l'intérieur, et il le déclarait en ces termes dans le sein de la section centrale :

« Une centralisation de cette nature constitue le côté le plus effrayant du socialisme, par la mise en tutelle des intelligences, par la domination accordée au gouvernement sur les consciences. »

M. le ministre de l'intérieur reconnaissait cependant qu'une part devait être faite au gouvernement dans l'enseignement et il exposait un système que, peut-être, il a l'intention de faire prévaloir.

« Je suis disposé à reconnaître au gouvernement, disait-il, le droit d'aovir quelques établissements modèles, destinés à maintenir, pour ainsi dire, le niveau de la civilisation du pays, destinés à maintenir une émulation salutaire. A ce point de vue, j'admets le chiffre de dix athénées.

« De plus, je veux encore laisser au gouveraemsnt une action (page 566) d’ensemble, par l'inspection, par les concours, par l'influence de l'examen pour le grade d'élève universitaire.

« En dehors de cette intervention limitée, justifiée par l'intérêt général qu'il représente, le gouvernement n'a pas mission de diriger tout l'enseignement moyen. Cet enseignement appartient essentiellement à la commune.

« On veut plus d'unité. . . c'est une fausse théorie que celle qui consiste à soutenir que pour avoir l'unité, il faille absolument subir l'impulsion de la bureaucratie de Bruxelles. »

« ... L'avenir de notre patrie est compromis par cette loi que nous discutons en ce moment. »

En présence de déclarations aussi formelles, je crois n'être pas trop exigeant, en demandant à M. le ministre de l'intérieur quelles sont les intentions du gouvernement quant à la loi du 1er juin 1850.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, l'honorable député de Liège, rappelant des opinions que j'ai eu occasion de manifester dans d'autres circonstances relativement aux principes de la loi organique de l'enseignement moyen, me demande si ces opinions sont encore les miennes aujourd'hui.

Ces opinions, messieurs, seraient encore les miennes aujourd'hui, si aujourd'hui les circonstances dans lesquelles je les ai exprimées étaient encore les mêmes ou venaient à se reproduire.

Ce qui, d'après moi, constituait le vice fondamental de la loi du 1er juin 1850, c'était la prétention affichée par quelques personnes, de vouloir que l'enseignement religieux pût être donné par l'Etat. C'est contre cette prétention que je me suis élevé...

M. Frère-Orban. - Personne n'a soutenu cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Cette doctrine a été soutenue par beaucoup de membres.

J'ai dit alors que si l'on proclamait, dans l'article 8 de la loi, la nécessité de l'enseignement religieux, il fallait arriver à une entente avec l'autorité religieuse, seule compétente pour donner cet enseignement. Voilà, au point de vue des principes religieux, le motif principal de mon opposition.

La convention d'Anvers est venue modifier précisément cet état de choses. Tous ceux qui voulaient introduire l'instruction religieuse dans les établissements d'enseignement moyen de l'Etat, qui voulaient voir donner cette instruction religieuse par l'autorité seule compétente, par l'autorité religieuse ; ceux-là ont reçu satisfaction par la convention d'Anvers.

Je puis donc, à ce point de vue, me rallier à la loi de 1850 en toute sûreté de conscience, sans avoir à rétracter aucune des opinions que j'ai exprimées à cette époque.

Quant à l'autre objection, à l'objection que je pourrais appeler l'objection administrative, elle était tirée, en effet, du caractère centralisateur qu'on avait donné primitivement à la loi. Je maintiens encore cette opinion. Je crois, aujourd'hui comme alors, que l’enseignement moyen, abandonné à la direction exclusive du gouvernement, pourrait devenir un danger et qu'il valait mieux permettre aux administrations communales de conserver en partie cette direction.

La Chambre tout entière l'a si bien senti, qu'elle a fini par donner à la loi amendée un caractère beaucoup plus communal que cette loi n'avait quand on l'a présentée.

Je ne pense pas que ce soit l'honorable membre qui viendra me faire un reproche d'avoir défendu l'autorité communale dans un intérêt important que celui de l'enseignement.

Les deux vices principaux que la loi de 1850 présentait à mes yeux ont donc disparu.

Mais en supposant même que la loi de 1850 ne m'eût pas donné tous mes apaisements, qu'elle n'eût pas toutes mes sympathies, ce que je ne reconnais à personne le droit de dire, je ne m'en crois pas moins obligé de l'exécuter franchement.

En agissant ainsi, j'ai fait ce que d'autres ministres ont fait dans des circonstances analogues. Je demanderai à l'honorable membre comment il se fait qu'il ait, comme ministre, contribué pendant cinq ans à l'exécution de la loi sur l'enseignement primaire. Je ne crois pas qu'il fût grand partisan des principes de cette loi ; cependant il a contribué, pour sa part, à l'exécuter. Je cite ce fait comme exemple : il s'en présente fréquemment dans la vie constitutionnelle. Sous toutes les administrations, des ministres sont appelés à exécuter des lois qu'ils n'ont pas votées.

Pour peu qu'on soit loyal, qu'on se place au point de vue gouvernemental, on applique loyalement, comme membre du gouvernement, une loi qu'on n'a pas votée comme député.

M. Frère-Orban. - J'ai été le premier à reconnaître que l'adoption de la convention d'Anvers permettrait à l'honorable ministre de l'intérieur de prétendre que le grief religieux dirigé contre la loi avait disparu, et sous ce rapport je me suis abstenu d'invoquer les opinions qu'il avait manifestées contre la loi. Je me suis attaché au côté exclusivement politique de la question ; et frappé des critiques si vives, des déclarations si formelles, des protestations si énergiques de l'honorable membre contre les principes essentiels que la loi consacre ; me souvenant qu'il avait envisagé cette loi comme organisant l'un des côtés les effrayants du socialisme, j'ai cru que le temps était venu de constater tout ce qu'il y avait d'injuste et d'exagéré dans les attaques dont nous avons été l'objet à une autre époque ; et d'obliger à reconnaître devant le pays, que cette loi, qui souleva une si violente opposition, devait, de l'aveu de l'honorable ministre de l'intérieur lui-même, être maintenue et exécutée.

C'est ce qu'il vient de reconnaître ; c'est ce que je désirais savoir.

Mais dit-on, cela n'a rien d'étonnant ; vous-même, je ne pense pas que vos sympathies fussent acquises aux principes déposés dans la loi sur l'enseignement primaire, vous avez passé cinq ans au pouvoir et vous n'avez pas amené la réforme de cette loi.

Il n'y a aucune analogie dans les positions, et pour ce qui me regarde, rien n'est plus facile à expliquer. Dans la session de 1849, la section centrale du budget de l'intérieur émit à l'unanimité l'opinion qu'il y avait lieu de voter la loi sur l'enseignement primaire. Il y a eu, à la suite de cette manifestation de la section centrale, une discussion dans le sein de la Chambre ; une proposition fut faite pour obliger le cabinet à déclarer si son intention était d'apporter à la Chambre une loi de révision ; le cabinet déclara que son intention était de réviser cette loi et qu'il en ferait la proposition en temps opportun.

M. Dechamps. - Le ministre de l'intérieur déclara qu'il trouvait la loi bonne.

M. Frère-Orban. - Il a déclaré en même temps qu'elle devatl être revisée.

La Chambre ne s'associa pas en majorité au projet d'ordre du jori formulé ayant pour but de contraindre le gouvernement à déposer sans retard un projet de loi sur cet objet.

A l'ouverture de la session de 1850, le discours du Trône annonça la révision de la loi sur l'enseignement primaire, la majorité de la Chambre parut s'associer à cette pensée ; un projet fut préparé et même imprimé en épreuve ; mais lorsqu'il fut question de le déposer, le gouvernement constata que parmi ses amis il y avait un certain nombre de membres qui n'admettaient pas la nécessité d'une révision de cette loi.

Il était impossible dès lors de déposer et de faire adopter ce projet Mais je n'ai pas abdiqué mon opinion, je n'ai pas reconnu que certains principes déposés dans cette loi étaient bons. Au surplus, je n'ai jamai exprimé dans cette enceinte mon opinion sur la loi d'instruction primaire. Je n'ai pas fait connaître quels principes j'aurais pu substituer à ceux qui y sont consignés. Mais surtout je ne me suis livré en aucun temps aux exagérations, aux accusations passionnées qui ont poursuivi la loi sur l'enseignement moyen. La position de l'honorable ministre de l'intérieur est bien différente, M. le ministre de l'intérieur était d'accord avec tout son parti, tou son parti a voté contre la loi, tout son parti peut penser maintenant avec lui que la loi est bonne... (Interruption.)

- Divers membres à droite. - Non ! non !

M. Frère-Orban. - Si M. le ministre trouve la loi bonne et que son parti persiste à la trouver mauvaise...

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je ne dis pas que je trouve la loi bonne.

M. Frère-Orban. - Eh bien, je répète que si vous continuez à être d'accord avec votre parti dans l'opinion que vous avez tous exprimée par la loi, il sera inexplicable que vous la mainteniez, à moins d'avouer, sur ce fait, et c'est là ce qu'il m'importait de constater, que votre opposition n'avait rien de sérieux et que vous ne vous inquiètez guère des côtés les plus effrayants du socialisme.

M. de Mérode. - Je demande la parole.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

- D'autres voix. - Non, non, parlez.

M. de Mérode. - Je n'ai qu'un mot à dire, c'est relativement à l'observation de M. Delfosse, qui me paraît rendre inapplicable la convention sur l'enseignement. L'impartialité absolue qu'il demande entre toutes les religions n'est pas en rapport avec l'article 11 qui porte :

« Le préfet des études et les professeurs profiteront des occasions qui se présenteront dans l'exercice de leurs fonctions pour inculquer aux élèves les principes de morale et l'amour des devoirs religieux. Ils éviteront dans leur conduite comme aussi dans leurs leçons tout ce qui pourrait contrarier l'instruction religieuse. »

De plus on lit dans l'article 7 : « On n'emploie pour l'enseignement religieux que les livres désignés par l'évêque du diocèse. Dans les autres cours, il ne sera fait usage d'aucun livre qui soit contraire à l'instruction religieuse. Les livres destinés à la distribution des prix sont choisis sous l'approbation du bureau administratif, par une commission dont le préfet des études et l'ecclésiastique font partie. »

Je voudrais savoir comment on fera pour découvrir des livres approuvés par l'ecclésiastique où il n'y ait rien ni contre le christianisme ni contre la loi mosaïque ou celle de Mahomet, ni contre le lamanisme ni contre une religion quelconque.

Je ne sais comment cela se pourrait. Quand on veut atteindre un but réel, il faut tenir compte des faits.

Quand on adopte pour un collège la convention d'Anvers, et par conséquent l'intervention sérieuse du clergé catholique, on veut que l'enseignement y soit donné dans un sens catholique. (Dénégations de la part de (page 567) plusieurs membres.) C'est évident ; car autrement on n'aurait pas besoin de convention.

Je dis que l'enseignement, dans les conditions que vous indiquez, est impraticable, puisque vous lui imposez une neutralité, une impartialité tellement illimitée et mathématiquement rigoureuse qu'elle dépassera toutes les bornes du possible.

Je ne suis pas suspect de ne point vouloir pour ceux dont l'éducation me serait confiée un enseignement catholique. Mais si j'étais habitant d'une ville de cent mille individus dont 99 mille professeraient une autre religion que la mienne, je ne prétendrais pas que dans le collège de cette ville on dût jamais rien enseigner qui portât plus ou moins atteinte aux croyances de ces 99 mille habitants, parce qu'elles gêneraient un millier de catholiques.

Je me soumettrais aux convenances de ce collège et si je croyais cette soumission dangereuse pour un jeune homme qui m'appartiendrait, je ne l'y mettrais pas.

Mais en aucun cas, je n'aurais la prétention de mettre arrêt, pour une minorité infime sur les croyances de 99 mille personnes, parce que je ne les partagerais pas. Je dis cela, vu que, tout en désirant la tolérance, je ne la veux pas destructive de droits qui ne peuvent être méconnus nulle part en bonne foi.

L'approbation de la convention d'Anvers emporte l'idée que l'ensemble de l'enseignement du collège où elle est admise, sera donné dans un sens catholique. Si elle n'avait pas cette signification, elle ne serait d'aucune valeur.

M. Delfosse. - Le système de l'honorable comte de Mérode ne tend à rien moins qu'à faire de la religion catholique une religion d'Etat, il est inconstitutionnel, car la Constitution proclame l'égalité des cultes devant la loi.

Les athénées et les écoles moyennes sont des établissements qui doivent être ouverts à toutes les familles, aux élèves de toutes les croyances.

Aucun d'eux ne doit être froissé dans ses convictions, dans ses sentiments religieux, c'est pourquoi on dispense les élèves qui n'appartiennent point au culte professé par la majorité des élèves d'assister au cours de religion donné par un ministre de ce culte.

Je prie l'honorable comte de Mérode de répondre à cette question. La dispense d'assister à l'enseignement religieux ne serait-elle point illusoire, si les autres cours, les cours obligatoires reflétaient les idées émises dans le cours de religion ?

Après avoir pris une mesure qui attesterait le respect pour la liberté de conscience, on en prendrait d'autres qui seraient de nature à froisser cette précieuse liberté.

Autant vaudrait dire que les élèves non catholiques seront exclus des athénées et des écoles moyennes.

L'honorable comte de Mérode invoque l'article 11 de la convention d'Anvers, ainsi conçu :

« Le préfet des études et les professeurs profiteront des occasions qui se présenteront dans l'exercice de leurs fonctions pour inculquer aux élèves les principes de morale et l'amour des devoirs religieux. Ils éviteront dans leur conduite comme aussi dans leurs leçons tout ce qui pourrait contrarier l'instruction religieuse. »

J'ai prouvé dans mon premier discours que la recommandation faite aux professeurs d'éviter dans leurs leçons, comme dans leur conduite, tout ce qui pourrait contrarier l'instruction religieuse n'est pas exclusive de l'impartialité, de la neutralité que les professeurs doivent, selon moi, observer entre les divers cultes professés par les élèves.

Quant aux principes de morale et à l'amour des devoirs religieux qui doivent être inculqués aux élèves, cela doit évidemment s'entendre des principes de morale et des devoirs religieux que chacun est tenu d'observer d'après les prescriptions de son culte.

Les principes de morale et l'amour des devoirs religieux doivent aussi être inculqués aux élèves qui font leurs études dans les établissements d'instruction créés par le gouvernement français, et cependant à la tête de ces établissements se trouve une commission dans laquelle siègent en même temps l'évêque, le grand rabbin et le ministre protestant.

M. Dechamps. - J'aurais voulu ne pas prolonger ce débat, mais l'honorable M. Delfosse vicnl d'insister à deux reprises pour la défense d'une doctrine que je crois erronée et que je ne peux laisser établir ainsi sans contradiction.

Le principe constitutionnel me paraît être celui-ci, pour l'enseignement moyen :

L'enseignement religieux fait partie essentielle de l'instruction secondaire, comme de l'instruction primaire ; il est écrit en tête des matières d'enseignement.

Cet enseignement est donné sous la direction et sous la surveillance du clergé dont le concours a été obtenu par les garanties écrites dans la convention d'Anvers.

Ainsi l’enseignement religieux est à la base de la loi du 1er juin 1850.

Le corollaire de ce principe, c'est que l'enseignement donné dans les autres classes ne peut jamais contrarier l'enseignement religieux enseigné au nom de la loi, dans l'établissement.

Si l'instruction littéraire pouvait jamais être contraire à celui-ci, la liberté de conscience des familles serait évidemment violée.

A aucun degré de l'enseignement public l'Etat ne peut faire enseigner des doctrines qui seraient directement ou indirectement en opposition avec les croyances de la grande majorité des Belges. (Interruption.)

Prétendriez-vous que l'enseignement officiel, donné aux frais de tous, puisse être contraire à l'enseignement de la religion professée par presque tous les Belges ? On n'osera pas le prétendre !

L'honorable M. Delfosse fait une objection. Comment ferez-voys, dit-il, pour concilier l'enseignement des autres classes non seulement avec la liberté de conscience des catholiques, mais avec la liberté de conscience des protestants, avec la liberté de conscience de celui qui professe la religion juive ? J'irai plus loin, pour compléter l'objection : Comment faut-il concilier cet enseignement avec l'opinion des familles qui ne professeraient aucune espèce de culte ? Il faudrait doue un enseignement qui ne froissât aucun de ces cultes, aucune de ces doctrines ou de ces opinions. Comment concilier cela ?

Messieurs, permettez-moi de vous le dire : la réponse à cette objection, ce n'est pas à nous à vous la faire.

Nous vous l'avons faite souvent, nous vous avons demandé comment l'Etat resterait neutre entre des cultes opposés ou des doctrines contradictoires ; comment vous feriez de la philosophie impartiale, de l’histoire impartiale, de la science impartiale ? Nous vous avons plus d’une fois posé cette question ; nous vous avons exprimé des craintes et des défiances.

C'est vous qui nous avez rassurés, vous nous avez dit : L'enseignement de l'Etat doit être impartial ; cet enseignement ne peut jamais froisser les croyances religieuses. L'honorable M. Delfosse qui vient de se rasseoir a prononcé des paroles rassurantes à cet égard que récemment on a citées. M. Lebeau, et avec lui plusieurs de ses amis politiques, nous ont, en toute occasion, donné la garantie de la responsabilité du gouvernement, pour nous convaincre que cette loyale et sincère impartialité serait toujours observée, spécialement, je puis le dire, envers le culte professé par l'immense majorité nationale.

M. Lebeau. - Pas spécialement. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.

M. Dechamps. - D'autres l'ont dit, et c'est ma pensée que j'exprime ici. Ce que je veux établir, c'est que la foi religieuse de la presque totalité des familles belges ne peut en aucun cas être l'objet d'une hostilité ouverte ou déguisée dans les établissements d'instruction publique. Mais s'il ne peut respecter toujours tous les cultes et toutes les opinions à la fois, que fera-t-il ? Mats encore une fois, c'est moi qui vous interroge, et en concluez-vous que c'est en ce cas en faveur des croyances des dissidents et non en faveur des croyances de la majorité que l'enseignement de l'Etat doit pencher ?

En concluez-vousn comme M. Delfosse a semblé le faire, que cet enseignement doit êlre indifférent à toutes les croyances à la fois, ce qui me paraît bien difficile à comprendre, et ce qui, en réalité, ne sera jamais ?

Mais un enseignement philosophique ou historique indifférent à tous les cultes, est un enseignement contraire à tous les cultes que l'indifférence religieuse sape tous par leur base commune.

Messieurs, comprenons-nous bien : je reconnais que la science, la philosophie, l'histoire sont des choses distinctes de la foi religieuse. La science, la philosophie, l'histoire ont des sphères qui leursont propres. Dans cette sphère les espaces sont assez vastes pour permettre le plus souvent aux professeurs de les parcourir sans se heurter aux principes religieux.

Quand le professeur peut se taire, qu'il se taise ; mais quand il doit parler, quand il rencontre un dogme, l'institution de l'église, la foi religieuse et qu'il doit y toucher, alors qu'il respecte !

Ce respect n'est pas l'indifférence qui est l'hostilité contre tous les cultes à la fois. S'il était défendu à un professeur d'exprimer dans ses leçons une opinion favorable au catholicisme, par exemple, ou au protestantisme, ou à un culte quelconque, faites attention à ceci : cet enseignement serait donné exclusivement au profit de la négation la plus large, au profit d'un rationalisme complet. C'est là où l'argumentation de M. Delfosse me semble aboutir.

L'enseignement public constituerait un rationalisme d'Etat.

L'Etat ne serait pas neutre, il ne serait pas impartial, il prendrait parti pour le culte de l'indifférence en matière religieuse, il serait partial en faveur d'un rationalisme antichrétien.

Eh bien, cette doctrine nous n'en voulons pas. Nous ne voulons pas de religion de l'Etat, mais nous ne voulons pas non plus, et moins encore, un rationalisme d'Etat. Or, voilà à quoi conduit la doctrine que je combats ; cela est clair comme l'évidence.

Si dans l'enseignement on ne peut pas parler du catholicisme par peur de froisser la conscience des protestants, si on ne peut pas parler du protestantisme par peur de froisser la conscience des juifs, si on ne peut par parler du judaïsme par crainte de froisser l'opinion des rationalistes et des sceptiques qui seraient assis sur les bancs de l'école, je dis que votre doctrine aura ce résultat : c'est que l'enseignement de l'Etat sera donné au profit de la négation la plus large, au profit du rationalisme le plus radical et que l'indifférence sera la base et le sommet de votre enseignement public, à tous les degrés.

Je vous défie de sortir de ce cercle. Il y a, j'en conviens, des difficultés de fait et d'application qu'on ne peut résoudre que par la prudence. Elles proviennent de la difficulté de concilier, au point de vue d'une logique rigoureuse, les devoirs d'un Etat enseignant, comme délégué des familles, avec sa position de neutralité entre les divers cultes professés. Si l'on pressait trop les idées logiques, on arriverait à des (page 568) impossibilités. En pareil cas, il faut s'en remettre au bon sens, comme disait l'honorable comte de Mérode.

Or, le bon sens, voici ce qu'il indique : l'enseignement de la religion professée ar la majorité des élèves de l'établissement, est donné sous la direction des ministres du culte ou de concert avec eux. Voici le principe qui a été admis pour l'enseignement primaire, qui a été admis pour l'enseignement moyen. Eh bien, je dis qu'à tous les degrés de l'enseignement, lorsque les professeurs peuvent loyalement se dispenser, dans leurs cours, de toucher aux questions religieuses dans des matières qui y sont étrangères, qu'ils le fassent, c'est leur devoir.

Lorsqu'ils peuvent se taire, qu'ils se taisent. La science a un champ assez vaste pour que le professeur puisse souvent s'y renfermer ; mais lorsqu'il doit ltoucher aux questions religieuses, il faut qu'il respecte.

L'enseignement littéraire peut être conforme, peut être en harmonie avec le cours de religion professé dans l'établissement ; jamais il ne peut y être contraire. Voilà notre principe, nous n'allons pas au-delà.

Le principe que nous combattons, c'est celui qui mènerait à la possibilité d'un enseignement hostile à la foi religieuse ; c'est celui qui ferait de l'enseignement de l'Etat une propagande rationaliste au détriment de tous les cultes ; c’est celui qui placerait l'indifférentisme à la base de notre instruction publique. (Interruption.)

Messieurs, permettez-moi. La lulle des intelligences, faut-il vous le dire ? la lutte des intelligences n'est plus entre telle et telle secte chrétienne, celle-ci tend à s'éteindre ; elle est entre ceux qui ne croient pas, entre le christianisme et l’anlichristianisme ; c'est la lutte d'hier, ce sera celle de demain.

Or, vous voulez (je ne dis pas que ce soit votre intention, mais c'est la conséquence des principes que vous défendez en ce moment), vous voulez que l'enseignement se fasse au profit de ce que j'appelle l'antichristianisme, c'est-à-dire l'indifférence en matière religieuse, c'est-à-dire, l'hostilité contre tous les cultes à la fois. La Constitution ne le permet pas.

Projets de loi autorisant des transferts de crédits au sein du budget du département de la guerre

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) présente deux projets de loi tendant à autoriser, le premier, un transfert au budget de la guerre de 1855 ; l'autre, un transfert au même budget pour l'exercice 1856.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets et les renvoie à l'examen des sections.

La séance est levée à 5 heures.