Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 2 mars 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 939) M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Tack donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur de Herder réclame l'intervention de la Chambre pour que l'administration du chemin de fer de Dendre-et-Waes l'indemnise des dégâts occasionnés à quatre maisons, par suite des travaux de terrassement et de pilotage exécutés près de ses propriétés. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


«Le sieur Parlongue prie la Chambre d'accorder aux anciens patriotes liégeois la pension dont jouissent les décorés de la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« La veuve Eggers-Peeters demande que les meuniers puissent continuer à faire usage de balances romaines. »

« Même demande de meuniers à Casterlé. »

- Même renvoi.


« Le sieur Raux prie la Chambre d'accueillir favorablement les mesures qui seront proposées par le gouvernement pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale d'Ingoyghem demandent une loi qui étende aux péages sur les ponts les exemptions établies par la loi sur les barrières, en faveur de l'agriculture. »

- Même renvoi.


« Le sieur Guilbert, combattant de la révolution, demande la pension de 250 fr. dont jouissent les décorés de la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Dulait, combattant de septembre, demande qu'on lui accorde la pension dont jouissent les décorés de la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants d'Hougaerde demandent l'établissement d'un.bureau de poste et la distribution dans cette commune. »

- Même renvoi.

M. de La Coste. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission, avec invitation de faire un prompt rapport. L'objet de cette pétition est d’une très grande importance pour Hougaerde, commune industrielle qui se plaint, avec raison selon moi, de la manière dont son service des postes est organisé. Elle s'est adressée au gouvernement ; n'ayant pas obtenu la justice qu'elle attendait, elle s'adresse maintenant à la Chambre par la voix d'un grand nombre d'habitants notables, espérant que la question sera examinée de nouveau avec l'attention qu'elle mérite et qu'il sera fait enfin droit à sa réclamation par le département des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.


« Des instituteurs dans la Flandre orientale demandent une augmentation de traitement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


M. de Naeyer. - Conformément à la décision de la Chambre, le bureau a procédé à la nomination de deux commissions spéciales pour examiner deux projets de loi ayant pour objet le premier de fixer la délimitation des communes de Nederzwalm-Hermelgem et Laethem-Sainte-Marie.

Membres de la commission : MM. Vander Donckt, Desmet, de Kerchove, de Portemont et Magherman.

Le deuxième d'ériger en commune distincte la section de Grupont commune de Masbourg.

Membres de la commission : MM. Jacques, Tesch, Lambin, de Moor et Thibaut.

Projet de loi modifiant la législation sur la mendicité, le vagabondage et les dépôts de mendicité

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, le Roi m'a chargé de présenter à la Chambre un projet de loi ayant pour objet d'apporter des modifications à la législation qui régit la mendicité, le vagabondage et les dépôts de mendicité.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi qu'il vient de déposer.

Ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Projets de loi portant les budgets de la dette publique, des non-valeurs et remboursements, des recettes et des dépenses pour ordre de l’exercice 1858

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Le Roi m'a chargé de présenter aux Chambres les projets de lois suivants :

1° Budget de la dette publique pour l'exercice 1858.

2° Budget des non-valeurs et des remboursements pour le même exercice.

3° Budget des recettes et des dépenses pour ordre de l'exercice 1858.

Projet de loi qui autorise le gouvernement à céder à la province de Hainaut les bâtiments de l'ancienne maison d'arrêt de Charleroi

Dépôt

4° Projet de loi qui autorise le gouvernement à céder à la province de Hainaut les bâtiments de l'ancienne maison d'arrêt de Charleroi.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget des non-valeurs et remboursements et au budget du ministère des finances

Dépôt

5° Projet de loi tendant à ouvrir au budget du ministère des finances et au budget des non-valeurs et remboursements des exercices 1856 et 1857, des crédits supplémentaires ou extraordinaires, s'élevant ensemble à 271,709 fr. 6 c.

Le gouvernement ne présente pas les autres budgets pour 1858, parce qu'il en est qui ne sont pas encore votés pour l'exercice courant et qu'il convient d'attendre la décision que prendra la Chambre sur le crédit demandé pour augmenter les traitements des employés inférieurs de l'Etat.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation des projets de lois qu'il vient de déposer.

Ces projets et les motifs qui les accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

- M. Delehaye remplace M. de Naeyer au fauteuil.

Projet de budget portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1857

Discussion du tableau des crédits

Chapitre V. Frais de l'administration dans les arrondissements

Discussion générale

M. Dubus. - J'applaudis aux bonnes dispositions de M. le ministre de l'intérieur en faveur des employés des commissariats d'arrondissement et j'approuve l'institution d'une caisse de retraite pour les secrétaires communaux, mais à condition que l'Etat n'y contribue pas au moyen de subsides.

Il me semble que ni la Chambre, ni le gouvernement ne peuvent améliorer d'une manière efficace la position des secrétaires communaux sans porter atteinte à une disposition formelle de la loi communale. D'après cette loi, le Conseil communal fixe le traitement des employés communaux, et d'après l'article 111, ce n'est que la députation seule qui peut, sur la proposition des conseils communaux, modifier le traitement des secrétaires.

Je conçois l'intérêt que l'on porte dans cette enceinte aux secrétaires communaux ; cependant il me semble qu'on exagère les désavantages de leur position. S'il est vrai que certains secrétaires jouissent d'émoluments insuffisants pour les rémunérer d'une manière convenable du travail dont ils sont chargés, il est également vrai qu'ils trouvent souvent le temps de remplir à la fois plusieurs places de secrétaire.

Ainsi, d'après un relevé fait il y a quelques années par l'administration provinciale du Brabant, les places de secrétaires communaux dans les 330 communes rurales de cette province étaient desservies par 181 individus, et de ce nombre 93 remplissaient encore divers autres fonctions ou emplois dont voici l'énumération :

Receveurs de bureau de bienfaisance, 71

Receveurs communaux, 35

Instituteurs communaux, 23

Trésoriers de fabriques d'églises, 12

Clercs et organistes, 8

Commissaires-voyers, 4

Secrétaires d'hospices, 3

Bourgmestres, 2

Greffiers de justices de paix, 2

Huissiers, 2

Receveurs de contributions, 2

Trésorier de l'école du gouvernement à Jodoigne, 1

Vérificateur des poids et mesures, 1

Percepteur des postes, 1

Sacristain, 1

Piqueur cantonal, 1

Garde forestier, 1

De sorte qu'en totalité 181 individus remplissent 500 emplois. Je pourrais citer encore diverses industries auxquelles bon nombre de secrétaires communaux consacrent leurs loisirs, industries interdites aux autres employés des communes, notamment aux instituteurs et aux gardes champêtres.

(page 940) Je pense toutefois que les communes feraient bien de s'imposer un léger sacrifice et de mieux rétribuer leurs secrétaires afin de les rendre moins avides de cumul. Il en résulterait un grand avantage pour leur administration.

Je prie M. le ministre de l'intérieur de demander à MM. les gouverneurs de province un état indiquant toutes les fonctions, emplois et.industries, exercés par les secrétaires communaux. Si un pareil travail se trouvait à la disposition de la Chambre, elle pourrait se convaincre que parmi les agents communaux les secrétaires sont ceux qui ont en général la position la plus avantageuse et qu'il n'est nullement nécessaire de modifier, en leur faveur, des dispositions bien sages de la loi communale.

Je terminerai en disant quelques mots sur les employés des commissariats. Je pense que les gouverneurs de province feraient bien de choisir leurs employés parmi ceux des commissariats d'arrondissement. Ces employés ont l’habitude des affaires et les gouvernements provinciaux ne feraient qu'y gagner. Toutefois, je ne puis admettre toutes les demandes des pétitionnaires. Ainsi ils demandent que leur nomination émane du gouvernement. Ce serait un avantage incontestable pour eux, mais je désire que cette nomination ne change pas leur position vis-à-vis du commissaire d'arrondissement, car dans l'intérêt d'une bonne administration il faut que ces employés dépendent exclusivement de leurs chefs. Comme les employés des gouvernements provinciaux dépendent des gouverneurs, de même les employés des commissariats doivent dépendre des commissaires.

Ils demandent aussi que la partie de l'abonnement allouée aux commissaires d'arrondissement pour le traitement des employés fasse l'objet d'un paragraphe spécial au budget du ministère de l'intérieur. Ce serait là une mesure qui aurait les plus mauvais résultats.

Ce qu'ils veulent, c'est toucher en entier le montant de l'abonnement ; de sorte qu'un commissaire d'arrondissement qui, en s'imposant un surcroît de travail, pourrait n'occuper que deux employés, par exemple, au lieu de trois, serait encore obligé de remettre l'abonnement en entier à ses employés, c'est-à-dire départager le traitement du troisième entre les deux autres.

Cette mesure serait des plus fâcheuses pour certains commissaires d'arrondissement. Le traitement de ces fonctionnaires étant peu élevé, certains d'entre eux sans fortune personnelle peuvent cependant vivre d'une manière convenable en faisant quelques économies sur leurs frais de bureau. Il n'en serait plus de même si la demande des employés des commissariats était accueillie par la Chambre, et les fonctions de commissaire seraient inaccessibles aux personnes non favorisées de la fortune.

- La discussion est close.

Articles 38 à 41

« Art. 38. Traitement des commissaires d'arrondissement : fr. 166,800.

« Charge extraordinaire : fr. 765. »

- Adopté.


« Art. 39. Emoluments pour frais de bureau : fr. 81,200. »

- Adopté.


« Art. 40. Frais de route et de tournées : fr. 26,000. »

- Adopté.


« Art. 41. Frais d'exploits relatifs aux appels interjetés d'office, en vertu de l'article 7 de la loi du 1er avril 1843 : fr. 500. »

- Adopté.

Chapitre VI. Milice

Discussion générale

La discussion est ouverte sur ce chapitre.

M. Moncheur. - Messieurs, un projet est présenté depuis quatre ou cinq ans pour réviser la loi sur le recrutement de l'armée. Ce projet est renvoyé à la section centrale, et la Chambre a reçu dernièrement la promesse que la section centrale s'en occuperait incessamment. Je désire que cette promesse se réalise.

D’un autre côté, messieurs, je vois avec plaisir, dans le rapport de la section centrale, que M. le ministre de l'intérieur a l'œil ouvert sur l'expérience que l'on fait, dans un pays voisin, du système de l'exonération et qu’il a demandé des renseignements sur les résultats qu'a pu y avoir le système nouveau.

L'honorable ministre de l'intérieur déclare qu'il n'a pas d'opinion absolue sur le système ; je le conçois, et je déclare aussi que j'ai pas d'opinion absolue sur le mérite du système dont s'agit. Il serait téméraire d'affirmer qu'il est excellent avant que l'expérience ait parlé.

Mais, je désirerais savoir si M. le ministre de l'intérieur a déjà reçu les renseignements qu'il s'est empressé de demander en France, et je crois que lorsqu'il aura reçu ces renseignements, il serait fort utile qu'il voulût bien les communiquer à la section centrale chargée de l'examen de la loi sur le recrutement de l'armée. Cela fournira, dans tous les cas, des données fort utiles à la section centrale qui a le mandat de faire un rapport à la Chambre sur cette matière extrêmement importante.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Ces renseignements n'ont pas été reçus jusqu'à présent par le gouvernement belge. Une nouvelle demande a été adressée, il n'y a pas longtemps, et du moment où les renseignements seront arrivés, je m'empresserai de les communiquer à la section centrale.

- La discussion sur le chapitre est close.

Articles 42 et 43

« Art. 42. Indemnités des membres des conseils de milice (qu'ils résident ou non au lieu où siège le conseil) et des secrétaires de ces conseils. Frais d'impression et de voyage pour la levée de la milice. Vacations des officiers de santé en matière de milice. Primes pour arrestation de réfractaires : fr. 63,000. »

- Adopté.


« Art. 43. Frais d'impression des listes alphabétiques et des registres d'inscription. Frais de recours en cassation en matière de milice (loi du 18 juin 1849) : fr. 2,100. »

- Adopté.

Chapitre VII. Garde civique

Articles 44 à 46

« Art. 44. Inspecteur général et commandants supérieurs. Frais de tournées, etc. : fr. 6,885. »

- Adopté.


« Art. 45. Achat, entretien et réparation des armes et objets d'équipement ; magasin central, etc. (Une somme de 4,185 fr. pourra être transférée de l'article 44 à l'article 45.) : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 46. Personnel du magasin central : fr. 3,115. »

- Adopté.

Chapitre VIII. Fêtes nationales

Article 47

« Art. 47. Frais de célébration des fêtes nationales : fr. 40,000. »

- Adopté.

Chapitre IX. Récompenses honorifiques et pécuniaires

Article 48

« Art. 48. Médailles ou récompenses pécuniaires pour actes de dévouement, de courage et d'humanité ; impression et calligraphie des diplômes, frais de distribution, etc. : fr. 8,000. »

- Adopté.

Article 48bis

« Art. 48bis. Chasse. Mesures répressives du braconnage : fr. 25,000. »

La section centrale propose le rejet de cet article.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Je dirai quelques mots pour justifier la demande qui a été faite par le gouvernement d'un crédit de 25,000 francs pour la répression du délit du braconnage.

Messieurs, ce crédit, comme le gouvernement l'a dit à la section centrale dans une note qui lui a été communiquée, n'est pas nouveau. Un crédit de 3,000 francs avait été alloué pendant un grand nombre d'années pour les mêmes motifs. Ce crédit fut supprimé en 1849, sur la proposition de l'honorable M. Lelièvre. Cet honorable membre avait allégué pour principal et pour ainsi dire pour unique motif de cette suppression, que ces encouragements donnés aux agents de la force publique pouvaient donner lieu à des poursuites qui seraient faites à la légère.

Messieurs, ce motif n'existerait plus d'après la proposition faite par le gouvernement, parce qu'il ne suffirait plus d'un simple procès-verbal, mais il faudrait une condamnation par le tribunal pour qu'il y eût lieu d'accorder une prime. On aurait donc là une garantie contre l'abus et contre l'excès de zèle de la part des employés.

Messieurs, lorsque ce crédit de 3,000 fr. a été supprimé, les orateurs qui se montrèrent à cette époque contraires à cette suppression firent entrevoir comme conséquence naturelle de cette suppression, l'extension que prendrait le braconnage. Je crois que l'expérience est venue confirmer ces prédictions. Je ne suis personnellement pas chasseur et j'ai très peu d'expérience dans la matière. Mais, d'après ce qui m'a été dit bien souvent dans mes relations officielles ou privées, le braconnage a pris des proportions très considérables. On dit même qu'il donne lieu à de véritables associations qui sont parfaitement organisées pour l'exploitation du braconnage.

C'est donc au nom des intérêts les plus élevés que nous proposons cette augmentation ; c'est au nom de l'intérêt de la morale d'abord, car le braconnage est souvent le premier pas dans la voie du crime. C'est aussi au nom de l'agriculture, dont nous devons protéger les produits ; c'est encore dans l'intérêt des administrations communales qui louent la chasse sur les propriétés des communes : c'est enfin dans l'intérêt du trésor, car si l'on ne prend pas des mesures plus efficaces que (page 941) celles qui sont prises aujourd'hui pour la répression du braconnage, on dégoûtera les chasseurs, le nombre des ports d'armes diminuera et déjà il a diminué quelque peu, d'après les statistiques qui ont été faites.

Encore, messieurs, s'il s'agissait d'imposer à l'ensemble des citoyens un sacrifice nouveau pour la répression du braconnage, je concevrais les objections que l'on pourrait faire, mais c'est à ceux-là mêmes qui profitent du plaisir de la chasse que nous demandons la rémunération du nouveau service dont il s'agit. C'est par une légère augmentation du prix des ports d'armes qu'on obtiendra la somme nécessaire pour la répression efficace du braconnage.

Le gouvernement persiste donc, messieurs, dans sa demande de 25,000 fr., et, je le répète, il n'en résultera aucune charge nouvelle pour le trésor ; la somme sera fournie au moyeu d'une augmentation de 3 fr. sur le prix des ports d'armes, qui serait porté de 32 à 35 fr.

M. David. - Je crois, messieurs, qu'on se trompe quand on espère obtenir un produit plus considérable en augmentant le prix des ports d'armes.

Je suis convaincu, au contraire, que si on augmente le prix des ports d'armes on n'obtiendra plus qu'une somme considérablement réduite. Savez-vous, messieurs, ce que vous obtiendrez ? C'est une augmentation du braconnage. Beaucoup de personnes qui n'ont qu'une petite propriété renonceront à prendre des ports d'armes et continueront à chasser au risque de se faire arrêter ; ce seront autant de braconniers en plus. Si vous voulez, messieurs, augmenter le produit des ports d'armes et, en même temps, détruire presque complètement le braconnage, il faut faire ce qu'on fait dans beaucoup de pays : donner les ports d'armes à très bas prix à 5, 6, 8 ou 10 francs. Alors un très grand nombre de personnes prendront des ports d'armes, le produit en augmentera considérablement et vous n'aurez presque plus de braconniers à traduire devant les tribunaux correctionnels.

Messieurs, je crois avoir prouvé qu'il ne sera pas possible de faire sortir de l'augmentation du prix du port d'armes la somme de 25,000 francs qu'on vous demande pour réprimer le braconnage. La majorité de la Chambre pensera sans doute avec moi que celui qui a une chasse, et qui est censé être riche, doit faire surveiller cette chasse. Si un garde ne lui suffit pas, qu'il en paye deux. Ce n'est pas à la nation de payer les plaisirs des riches.

Quant à moi, je m'oppose à cette augmentation de dépense qui n'est nullement justifiée.

M. Rodenbach. - Messieurs, si les 25,000 fr. que le gouvernement propose devaient sortir des caisses de l'Etat, je m'y opposerais de toutes mes forces, parce que, comme je l'ai déclaré samedi dernier, je ne veux pas augmenter le budget de l'intérieur qui se trouve majoré, depuis six ans, de 200,000 fr. par an. Mais c'est un essai à faire, proposé par le gouvernement, pour arriver à la diminution du braconnage. En accordant une prime aux gardes champêtres et aux gendarmes, il est possible qu'on obtienne une amélioration en cette occurrence. Mais on doit être très circonspect dans les ordres que l'on donne aux gardes champêtres et aux gendarmes, afin de ne point nuire au service de la police rurale, qui n'est pas déjà merveilleusement fait.

Je n'ignore pas que le nombre des gendarmes a été augmenté ; depuis 50 ans, celui des gardes champêtres ne l'a pas été ; c'est peut-être une des causes pour lesquelles les délits ruraux ont pris beaucoup trop de développement. Les chasseurs eux-mêmes font beaucoup de dégâts. (Interruption.) C'est très exact.

J'entends très souvent à la campagne, de la bouche des laboureurs eux-mêmes, que ce sont les chasseurs qui font le plus de dégâts.

Ainsi les gardes champêtres et les gendarmes ne devraient pas seulement empêcher les délits de braconnage, ils devraient aussi protéger efficacement l'agriculture.

Un honorable député de Verviers pense qu'en diminuant le prix du port d'armes, on diminuera le nombre des braconniers. Je crains, moi que par là on n'organise légalement le braconnage. Les braconniers trouveront sans peine des personnes aisées qui leur payeront 10 fr. à l'effet de faire chasser pour leur propre compte et pour se faire payer avec usure en gibier.

Un grand propriétaire, qui siège à mes côtés, me dit déjà que certains propriétaires prennent aujourd'hui plusieurs ports d'armes qu'ils donnent à des gardes et à des chasseurs sans fortune pour en recevoir force lièvres, perdreaux, etc.

M. de Baillet-Latour. - Je ne viens pas appuyer le chiffre proposé par le gouvernement, mais je pense qu'il serait possible d'arriver à la répression du braconnage sans que nous votions des fonds pour cette destination.

Le gouvernement a décidé que pour constater un délit de chasse ou tout autre, les gendarmes ne peuvent plus se déguiser, qu'ils doivent porter l'uniforme. Comment voulez-vous que les gendarmer qui parcourent ainsi la plaine, en uniforme et bonnet à poil, ne soient pas aperçus de très loin des braconniers ou des maraudeurs, et que ceux-ci ne puissent pas toujours s'éloigner d'eux et se soustraire à toute leur vigilance ?

Il me semble qu'on pourrait autoriser au besoin les gendarmes à se déguiser pour constater les délits de chasse ; ils pourraient se trouver à deux, puisqu'ils doivent être deux pour dresser un procès-verbal. Les particuliers donnent des primes à leurs gardes, ils pourraient en donner aux gendarmes. On pourrait ainsi arriver à une répression efficace.

Dans la province de Namur, nous avons une association qui donne de bons résultats. J'appelle l'attention de M. le ministre sur ces observations.

J'ajouterai que des étrangers louent des chasses dans notre pays, et le plus souvent ne prennent pas de port d'armes, se réservant, pour le cas où ils seraient pris en contravention, de se retirer dans le pays voisin et d'échapper ainsi à toute poursuite pour délit de chasse.

Les chasses communales sont louées à des prix élevés, le gouvernement devrait aider les particuliers qui les louent à les conserver ; les gardes communaux, payés sur le budget de la commune, sont très peu rétribués ; j'en connais qui ne reçoivent que 50 fr. par an ; il est impossible de demander un service actif à des agents si peu rétribués ; le gouvernement, en les faisant mieux rétribuer, donnerait plus de force à la répression.

M. de Steenhault. - Messieurs, je suis peu et même pas du tout chasseur ; ce n'est donc pas un intérêt privé qui me fait parler ; si j'ai demandé la parole pour défendre la proposition du gouvernement, c'est parce que je pense que l'intérêt de l'agriculture est en jeu ; qu'il y a là une question de morale publique.

Il pourra vous paraître étrange d'entendre parler de morale publique à propos de braconnage ; mais le fait n'en est pas moins vrai, et j'en appelle au souvenir de ceux qui ont été à même de voir ce qui se passe dans les campagnes ; je leur demanderai si, dans les communes qu'ils habitent, les braconniers ne sont pas les hommes les plus immoraux les plus dangereux, si, dans les communes frontières, ce n'est pas parmi eux qu'on rencontre les fraudeurs les plus audacieux.

Au point de vue de l'agriculture, je demanderai s'il n'est pas affreux de voir, dans la saison du gibier, des champs entiers dévastés par des bandes de braconniers traînant des filets. (Interruption.)

Oui, vous avez beau vous récrier, je le répète, par bandes de 12 à 15 ; le braconnage n'est plus ce qu'il était autrefois, le braconnage est aujourd'hui organisé sur une grande échelle, ce n'est plus individuellement qu'il s'exerce, mais par société, ayant ses actionnaires, ses agents, ses correspondants.

M. Vandenpeereboom. - Ce sont des sociétés anonymes.

M. de Steenhault. - Anonymes, si vous y tenez ; ces sociétés ont des correspondants, des agents dans les localités où l'on peut espérer de travailler, car ils appellent cela travailler.

Il est un fait, c'est que si le gouvernement ne prend pas des mesures, le gibier disparaîtra et on n'en parlera bientôt plus que comme nous parlons des mastodontes, et le gouvernement y perdra la ressource de quelques centaines de mille francs, car le port d'armes ne sera plus qu'un objet de luxe inutile.

La section centrale n'admet pas la proposition du gouvernement, parce que, selon elle, c'est aux chasseurs à faire les frais de la conservation de leurs chasses, mais elle perd de vue que le gouvernement précisément se propose de faire supporter par les chasseurs la dépense de 25 mille francs pour laquelle il vous demande un crédit.

- Un membre. - Mais la recette n'a pas été portée au budget des voies et moyens.

M. de Steenhault. - La section centrale pense que si on encourageait la répression du braconnage, l'encouragement devrait s'étendre à la répression de délits plus graves. La section centrale oublie la nature du délit de braconnage et la difficulté que présente la répression de ce délit. Le braconnier doit être pris en flagrant délit ; pour les autres délits, les vols notamment, on les constate au moyen de recherches à domicile ; la répression du braconnage expose à plus de fatigue et de dangers que des délits où il ne s'agit qui de prendre un seul individu.

Vous voudriez qu'un garde particulier, un garde champêtre ou gendarme se mît toutes les nuits à la recherche des délits de chasse. Si vous n'accordez pas de primes, il sera impossible d'arrêter le braconnage.

Quelque loi que vous portiez, quelque mesure que vous preniez, on ne parviendra jamais à empêcher le braconnage en grand sans primes, et pour une très bonne raison : c'est qu'il s'exerce la nuit et que, sans encouragements, vous n'obtiendrez jamais que des agents de la force publique s'astreignent à courir les champs la nuit, à s'exposer à des dangers réels, et cela pour constater un délit qui ne peut être constaté que de cette façon, et qui ne peut jamais leur valoir le moindre reproche ou la moindre remontrance.

Je termine par une dernière considération. C'est qu'il est déplorable que quand l'exemple de la soumission à la loi devrait partir du haut de l’échelle sociale, c'est précisément de ses plus hautes régions que part l'encouragement au braconnage.

Je le répète, n'est-il pas déplorable, et j'en appelle ici à votre mémoire, de n'assister jamais à un banquet officiel ou non, en temps de chasse prohibée, sans y voir le gibier qui abonde.

Je dois l'avouer, on a mauvaise grâce à venir se plaindre de délits qu'on est des premiers à encourager, et il serait rationnel de commencer la répression par soi-même.

M. Maertens, rapporteur. - La section centrale, à l'unanimité, moins une voix, a rejeté ce crédit. Je crois, quant à moi, que s'il n'y avait pas de chasseurs à la Chambre, les propositions de la section centrale (page 942) ne rencontreraient pas la moindre opposition. En effet, il y a anomalie entre la proposition d'un crédit, afin d'accorder des primes pour réprimer le simple braconnage, alors qu'il y a absence de prime d'encouragement pour la répression de tous autres délits. C'est la réflexion par laquelle la section centrale m'a chargé de terminer la partie du rapport sur cet article.

Et en disant cela, on faisait allusion, comme le dit, en m'interrompant, l'honorable M. Verhaegen, aux délits ruraux ; car ce serait une indignité que l'on ne fît rien pour empêcher le maraudage par lequel on dévaste le champ du pauvre et on enlève la moitié des récoltes qui doivent soutenir sa pénible existence et qu'on votât des primes pour assurer les plaisirs du riche.

Cette idée me semble dominer le débat.

Dans la section centrale, on est allé beaucoup plus loin, on a même critiqué la loi sur la chasse. On a dit qu'il était regrettable que l'on se fût départi des règles larges de la loi ancienne ; que l'esprit de la loi actuelle est déjà trop sévère et que, si l'on s'est trop écarté du grand principe de la liberté, il ne faut pas que, dans l'application on introduise des mesures plus restrictives encore.

En m'exprimant ainsi, je suis loin de vouloir justifier le braconnage, mais je prétends que c'est un délit qui n'a pas l'importance qu'on y attache, et s'il prenait les grandes proportions dont a parlé l'honorable M. de Steenhault, s'il était commis par des bandes de 15 à 20 individus, ce n'est pas évidemment en y opposant des gardes champêtres isolés qu'on parviendrait à le réprimer ; ce serait, à ce qu'on prétend, les envoyer à une mort certaine ; car il paraît, à ce que l'on dit, que ces braconniers en bandes armées ne reculent devant rien.

La législation n'offre-t-elle donc pas des moyens suffisants pour réprimer d'aussi graves délits ? C'est une question que je soumettrai à M. le ministre de la justice. Et s'il en était ainsi, je pense que ce serait pour le gouvernement un devoir impérieux d'aviser à combler cette lacune dans los lois répressives. On obtiendra ainsi bien plus sûrement un résultat qu'en donnant quelques pièces de cinq francs à un garde champêtre.

Mais si, comme je le pense, le braconnage se borne à enlever quelques pièces de gibier, il appartient à ceux qui s'intéressent au plaisir de la chasse de payer largement leurs gardes, pour que leur réserve soit respectée.

Ce sont les idées qui ont dominé en section centrale. Je crois que l'on a eu parfaitement raison de supprimer ce crédit ; et j’espère que la Chambre, s'associant à sa manière de voir, fera disparaître définitivement cet article du budget.

M. de Bronckart. - Messieurs, je voterai contre le crédit demandé parce que, en principe, je suis adversaire de toute proposition de quelque importance qui se présente dans cette Chambre à l'occasion d'un budget.

J'ai remarqué qu'en général les mesures de ce genre ne répondent pas au but que se proposait la Chambre en les adoptant. La raison en est simple : c'est que, présentées comme accessoires du budget, elles ne sont que très accessoirement discutées.

Si donc l'honorable ministre a réellement en vue de faire quelque chose d'efficace pour la répression du braconnage, il doit nous présenter une loi spéciale qui passera par la filière des sections et de la section centrale et qui sera discutée dans la Chambre. Il pourra faire ainsi quelque chose de réellement utile.

Messieurs, le gouvernement semble vouloir adopter une marche que je ne puis approuver, et sur laquelle, je me permets d'attirer un instant l'attention de la Chambre parce que cette marche est tout à fait irrégulière.

On nous demande de voter, de confiance en quelque sorte, des sommes assez considérables pour l'exécution de mesures que nous ne connaissons pas, dont nous n'avons même aucune idée.

Ainsi, dans la séance de samedi, vous avez voté 62,000 fr. pour l'amélioration du sort des employés provinciaux, et veuillez le remarquer, vous les avez votés, non pas comme crédit extraordinaire et provisoire, vous les avez votés comme crédit définitif. Cependant, le règlement prétendu organique, présenté par le gouvernement à l'appui de sa demande et qui seul pouvait et devait assurer la bonne répartition du crédit, a été reconnu mauvais par le gouvernement lui-même ; il vous a, en effet, déclaré vouloir y introduire tant de changements et de modifications, qu'il sera bouleversé de fond en comble. Mais en quoi consisteront ces modifications ? C'est ce que vous ignorez, et vous n'avez pas non plus la certitude qu'elles se feront, car l'honorable M. Dedecker a bien pu s'engager personnellement, mais son engagement ne peut pas lier son successeur.

Voilà donc la Chambre, ayant voté un crédit définitif de 62,000 fr. sans moyen d'action pour en diriger la répartition. Je sais bien que la Chambre peut toujours réduire les crédits ordinaires ou autres. Mais c'est là une mesure d'une extrême gravité, devant laquelle elle reculera et devant laquelle elle aura raison de reculer, car elle porterait atteinte à des droits acquis.

Voilà donc la Chambre entièrement désarmée et le gouvernement maître de faire ce qui lui plaira ; ce qui est regrettable. Aujourd’hui, messieurs, on veut nous entraîner dans la même voie.

Le gouvernement vient nous dire : Il me prend fantaisie de réprimer un peu le braconnage, mais pour me passer cette fantaisie il me faudrait 25,000 fr. Donnez-les-moi... La section centrale demande à M. le ministre de l'intérieur en quoi consisteront les mesures répressives qu'il se propose de prendre.

L'honorable ministre répond qu'il n'en sait rien encore, qu'elles pourraient bien consister en primes, mais que ces primes ne suffiront pas, selon toute apparence ; qu'il faudra aviser à d'autres dispositions dont il n'a pas encore d'idée ; qu'il consultera à cet égard des personnes expertes, et qu'en attendant il insiste pour que la Chambre mette à sa disposition, les 25,000 fr. demandés.

Messieurs, je le répète, cette manière de procéder est tout à fait anomale. Rien de mieux, assurément, que de créer des ressources en décrétant des dépenses ; mais créer des ressources et les mettre à la disposition du gouvernement pour des dépenses dont on ne connaît ni l'utilité ni le chiffre, me semble une grande imprudence ; et je conjure la Chambre de ne pas poser de pareils précédents ; je conjure aussi l'honorable ministre de ne point insister. S'il veut faire quelque chose de réellement utile, je le répète, qu'il présente une loi à la Chambre, et je ne serai pas le dernier à voter les fonds nécessaires à son exécution, s'il m'est démontré qu'elle pourra efficacement atteindre le but qu'on se propose.

Jusque-là je m'opposerai à toute espèce de crédit et je supplie la Chambre d'en faire autant.

Il va sans dire qu'en votant contre le crédit demandé, je n'entends nullement approuver les motifs consignés dans le rapport de la section centrale, à savoir que la loi sur la chasse serait faite au profit des chasseurs et que les frais d'exécution d'une loi doivent, en principe, être à la charge de ceux à qui elle profile. Je fais toutes mes réserves ; car, je ne puis, en aucune façon, sanctionner un principe dont on pourrait tirer des conséquences qui seraient peu du goût de l'honorable rapporteur et déplairaient assurément beaucoup à ses commettants.

M. David. - Je ne dirai que quelques mots pour répondre à l’honorable M.de Steenhault qui, comme vous vous en êtes aperçus, a cherché à déplacer complètement la question. A propos de braconnage ; il a parlé du ravage des campagnes.

Pour moi, j'ai voulu parler du braconnier qui se glisse par les sentiers le long des haies, et ne cherche nullement à ravager les campagnes.

Mais l'honorable M. de Steenhault a fini par nous avouer quel était son but. Il nous a dit : Pauvre gibier ! bientôt, il n'y en aura plus. Mais les grands propriétaires, les amateurs de chasse n’ont qu'à payer leurs gardes pour faire respecter leur chasse. Il n'est pas nécessaire, que l’Etat accorde dans ce but 25,000 francs en primes aux gendarmes et aux gardes champêtres.

L’honorable ministre de l'intérieur a dit que le braconnage a pris une telle extension, que le droit de chasse n'a plus aucune valeur. Mais il s'en faut bien qu'il en soit ainsi dans la province de Liège ; car le droit de chasse sur certaines propriétés, qui se payait autrefois 50 francs, se paye aujourd'hui mille francs. Voilà comment le braconnage a déprécié le droit de chasse dans la province de Liège.

Je m'oppose donc au crédit de 25,000 francs.

M. Vandenpeereboom. - J'ai demandé la parole, parce que, quoique chasseur, j'ai voté contre le crédit et que je voterai encore contre. Je désirerais dire deux mots afin de faire connaître les motifs de mon vote. (Parlez ! parlez !)

Je ne suis pas partisan du braconnage. Je crois cependant que l'honorable M. de Steenhault a exagéré singulièrement les choses, quand il a présenté le braconnage comme un fléau tel, qu'il dévaste les campagnes.

j'ai lieu de croire qu'il n’existe pas de sociétés anonymes pour le braconnage. S'il en existait, je crois que les actionnaires feraient de maigres bénéfices et s’empresseraient de renoncer à une association qui les mènerait tout droit à la prison.

On a dit qu'il s'agissait de sauvegarder la morale, de défendre l'agriculture.

S’il en est ainsi, je ne sais pas pourquoi l'on devrait augmenter les ports d'armes, el faire surveiller la morale aux dépens des chasseurs. Je crois que c'est au gouvernement qu'il appartient d'aviser aux moyens de réprimer le braconnage, et que telle répression ne doit pas avoir lieu au moyen d'un impôt direct sur une certaine catégorie de personnes.

Si ce système est admis, voici ce qui arrivera. Le nombre des ports d'armes à 35 francs diminuera. La dépense de 20,000 francs restera. Il y aura diminution de recette et augmentation de dépense.

C'est ainsi que le gouvernement sera amené à payer des deniers des contribuables une surveillance qui, d'après moi, n'aura que des résultats négatifs.

Que chacun paye ses plaisirs. Que les grands propriétaires, que tous ceux qui aiment la chasse, payent les charges qui en découlent. Cela a toujours été et cela doit être.

On a dit du reste que, dans certaines provinces, les chasseurs avaient créé des sociétés. C’est une excellents mesure. C'est une manière parfaite d'arriver à des résultats.

Je dois appuyer aussi l'observation qui a été faite par l'honorable comte de Baillet. On a, depuis quelque temps, donné l'ordre aux gendarmes de surveiller les braconniers, en grande tenue, et vous voyez, entre 6 et 7 heures du soir, les gendarmes parcourir les champs en bonnet à poil et en grandes hottes.

(page 943) C'est une véritable dérision. Quand on voit sortir ces deux gendarmes, il y a un homme à l'affût, non pas cette fois des lièvres, mais des gendarmes, et il va dire dans tout le village : Ils sont là ! Chacun reste chez soi, et les malheureux gendarmes en tenue se promènent toute la nuit à travers les champs et ne prennent jamais les braconniers.

Je crois qu'on ferait bien d'en revenir à ce qui se faisait précédemment et de laisser les gendarmes faire leurs rondes habillés comme de simples mortels, au risque de ressembler eux-mêmes à des braconniers.

J'ai une dernière observation à faire. Dans certains pays, entre autres dans le grand-duché du Luxembourg, il existe un usage qui pourrait, je crois, être avantageusement introduit en Belgique. Je veux parler des ports d'armes temporaires. Dans ces pays giboyeux, lorsqu'un étranger veut venir chasser, il s'adresse au gouvernement provincial et obtient un port d'armes valable pour cinq jours ou pour dix jours. Il peut le renouveler trois fois et chaque fois il paie 5 francs. Il arrive aussi qu'en Belgique des étrangers, des Français, par exemple, désirent venir chasser pour quelques jours, et reculant devant une dépense de 35 francs, ils s'imposent à être pris comme braconniers en ne demandant pas de ports d'armes. Je crois que si l'on introduisait en Belgique ces ports d'armes de 5 fr. valables pour cinq jours et pouvant se renouveler, ce serait une source de revenus pour le trésor public, surtout dans les provinces frontières.

J'ai cru devoir indiquer cette idée au gouvernement qui en fera tel usage qu'il trouvera convenable et opportun.

M. de T'Serclaes. - J'ai voté dans la section centrale pour le chiffre demandé par le gouvernement, premièrement parce que le braconnage est une contravention très difficile à prouver et qui ne peut l'être que lorsque l'agent de la force publique constate le flagrant délit.

J'ai pensé ensuite que c'était faire acte de bonne administration que d'imposer à ceux mêmes qui profitent du plaisir de la chasse, la charge de payer en partie les frais de cette surveillance.

Enfin, j'ai cru qu'une répression active du braconnage diminuerait d'autant les délits ruraux dont on se plaint avec tant de raison. Les braconniers font beaucoup plus de tort aux récoltes que les chasseurs ; le braconnage s'exerçant de nuit par bandes et avec des filets, comme vous l'a du l'honorable M. de Steenhault, et que je l'ai appris moi-même, est un abus révoltant, contraire à la morale publique, et qui, de l'aveu de tout le monde, est aussi nuisible aux pauvres qu'aux riches.

La discussion est close.

- L'article 48bis est mis aux voix par appel nominal.

62 membres prennent part au vote.

13 votent pour l'article.

49 votent contre.

En conséquence l'article n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption :MM. Licot de Nismes, Matthieu, Rodenbach, Vanden Branden de Reeth, Dedecker, de La Coste, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Pitteurs-Hiegaerts, de Steenhault, de T'Serclaes, Dumon et Laubry.

Ont voté le rejet : MM. Loos, Maertens, Magherman, Malou, Moreau, Prévinaire, Rogier, Rousselle, Sinave, Tack, Thiéfry, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Allard, Anspach, Brixhe, Calmeyn, Coomans, Crombez, Coppieters 't Wallant, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Brouckere, de Haerne, de Lexhy, Delfosse, de Liedekerke, de Naeyer, de Paul, de Perceval, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Dubus, Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Jacques, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne et Delehaye.

Chapitre X. Légion d'honneur et croix de fer

Discussion générale

M. de Perceval. - Messieurs, la sollicitude de la Chambre s'est étendue l'année dernière sur une catégorie de ces citoyens patriotes qui ont fait triompher la cause de la révolution en 1830. Par la loi du 27 mai 1856, nous avons accordé, à titre de récompense nationale, dix années de service à ceux qui se sont distingués dans les combats de septembre.

Vous devez vous rappeler, messieurs, qu'à l'occasion de la discussion qui a eu lieu à cette époque, nous avons reçu de nombreuses pétitions, émanant d'une seconde catégorie de citoyens qui réclamaient également le bénéfice de la loi. Ces réclamations ont donné lieu à plusieurs amendements déposés dans le but de les faire participer au bénéfice de la loi.

Qu'il me soit permis de vous rappeler quelques paroles prononcées par ces honorables collègues, à l'appui de ces amendements, pour faire connaître les idées qu'ils préconisaient et dont ils voulaient amener le triomphe.

Je commencerai par l'honorable M. Rogier, parce que, comme membre du gouvernement provisoire, mieux et plus qu'aucun de nous, il a pu constater les immenses services rendus à la cause de la révolution par ceux qui ne sont pas entrés dans la carrière civile ou militaire après la constitution de notre indépendance politique.

Voici comment il s'exprimait :

« En 1830, beaucoup de Belges ont pris les armes ou ont rendu des services d'une autre manière : les uns sont rentrés chez eux, ont repris leur profession sans demander aucune récompense au pays.

« Ceux-là ne sont certes point les moins dignes d'intérêt, ceux qui ont obtenu la croix de Fer touchent une modique pension s'ils sont dans une position de fortune peu aisée ; les autres ont, et c'est quelque chose, le souvenir des services qu'ils ont rendus, mais ils n'ont que cela.»

Et l'honorable M. Rodenbach ajoutait à ces patriotiques paroles :

« Je me plais à croire qu'à la prochaine session, les autres combattants qui ont réclamé et adressé des pétitions à la Chambre éprouveront les effets de la promesse qu'a faite M. le ministre d'examiner ce qu'il pourrait y avoir à faire en leur faveur. »

Tel était, messieurs, le langage de la Chambre, quand nous avons discuté le projet de loi tendant à accorder aux officiers et aux fonctionnaires civils, à titre de récompense nationale, dix années de service.

Le Sénat, messieurs, entra dans les mêmes vues ; il disait au ministère, par l'organe de l'honorable M. Cogels :

« La loi, telle qu'elle est formulée maintenant, ne comprend pas toutes les personnes qui auraient droit à la même faveur, ou bien elle en comprend trop. La croix de Fer a été généralement accordée à tous les volontaires qui l'ont demandée, et souvent on ne l'a pas donnée à ceux qui, tout en l'ayant méritée également, n'en ont pas fait la demande. »

L'honorable M. d'Anethan disait de son côté :

« Maintenant, quant à la loi que nous discutons, M. le ministre de la guerre l'a qualifiée très justement, en disant que c'est un acte de munificence nationale. Mais cet acte de munificence, pour être équitable, doit s'appliquer autant que possible à tous ceux qui ont mérité que la munificence nationale fasse descendre sur eux ses largesses et ses bienfaits.

« Je reconnais avec M. le ministre de la guerre que ce que nous allons faire est un acte de munificence, mais quand on prend des mesures de ce genre il faut les prendre aussi complètes que possible, il faut récompenser d'une manière égale tous ceux qui dans des positions difficiles ont rendu les mêmes services. »

Voilà, messieurs, de quelle manière le débat s'est trouvé engagé dans les deux Chambres, lors des discussions de la loi du 27 mai dernier.

Ecoutons maintenant le langage de la section centrale, par l'organe de son rapporteur, le très regrettable comte de Mérode ; elle n'est pas moins explicite. Le comte de Mérode disait, en effet, dans son rapport :

« La section centrale est demeurée d'avis qu'il convenait d'adopter simplement le projet tel qu'il est amendé par le Sénat, mais en renvoyant au gouvernement toutes les pétitions adressées à la Chambre, avec demande d'explications ultérieures... »

Et plus loin :

« S'ensuit-il qu'aucunes mesures ultérieures et distinctes ne puissent être prises en faveur de certaines positions, qui méritent toute la sollicitude des cœurs belges, reconnaissants à l'égard d'anciens services rendus dans les moments critiques par des hommes qui montrèrent au pays un véritable dévouement, et qui se trouvent aujourd'hui soumis à de pénibles privations ? Telle n'est point la pensée de la section centrale ; c'est pourquoi elle propose le renvoi aux ministres de toutes les pétitions reçues par la Chambre à l'occasion du projet de loi, ajoutant qu'elle désire à ce sujet une attention non moins active que bienveillante de la part du gouvernement. »

Le cabinet prit l'engagement alors d'examiner la question. Il était d'avis qu'il y avait quelque chose à faire, et M. le ministre des finances s'en expliqua d'une manière très catégorique dans la séance du 15 avril lorsqu'il disait :

« Nul doute donc que les pétitions qui seront renvoyées au gouvernement, sur la proposition de la section centrale, ne soient examinées avec une sympathique bienveillance. »

Il résulte, messieurs, des discours dont je viens de présenter une courte analyse et de la réponse du gouvernement que tout le monde était d'accord qu'il y avait encore quelque chose à faire pour cette catégorie de citoyens patriotes qui ne peuvent pas invoquer aujourd'hui le bénéfice de la loi du 27 mai 1856.

Maintenant, messieurs, je constate, à mon grand regret, que le gouvernement, malgré ses promesses, malgré l'engagement qu'il avait pris d'examiner les réclamations avec une sympathique bienveillance, que le crédit porté au budget ne se trouve pas augmenté. Jusqu'à ce que M. le ministre se soit expliqué sur l'inaction dans laquelle il est resté, et sur le silence qu'il a gardé, je dois déclarer que je considère la conduite du gouvernement comme ne répondant pas aux vœux, aux désirs formellement manifestés par la législature l'année dernière.

Nous restons, messieurs, vis-à-vis d'une catégorie de citoyens, dignes à tous égards de notre sollicitude et de la reconnaissance publique dans une situation anormale et dont, dans mon opinion, les sentiments de justice, d'équité, de dignité, de gratitude nationale nous font un impérieux devoir de sortir : car, messieurs, il est pénible de voir dans la détresse et la misère des citoyens qui ont rendu, il y a 27 ans, de grands services au pays, en contribuant courageusement à fonder le régime sous lequel nous avons le bonheur de vivre.

J'ai dit, messieurs, que plusieurs de ces citoyens sont dans la détresse et la misère ; tous les jours nous pouvons constater ce fait déplorable par les nombreuses pétitions qui arrivent à la Chambre.

En effet, on nous analyse sans cesse des requêtes émanant, soit de blessés, soit de combattants de septembre ; les uns réclament (page 944) la pension civique de 250 francs, les autres prient la législature de leur accorder un secours, une indemnité ; je vous avoue, messieurs, que j'éprouve un douloureux serrement de cœur quand j'assiste à la lecture de semblables documents.

El voyez, messieurs, l'anomalie criante dans laquelle nous nous trouvons : les légionnaires de l'Empire touchent leur pension et les décorés de la croix de Fer, pour pouvoir jouir de la modique pension de 250 francs, sont forcés de constater d'abord leur état d'indigence, et encore on ne peut pas donner suite à toutes les demandes qui nous parviennent.

C’est ainsi qu'on trouve dans les documents déposés sur le bureau par l'honorable ministre, qu'il y a actuellement soixante décorés en instance, à l'effet d'obtenir la pension de décorés de la croix de Fer. Voilà donc encore soixante de nos compatriotes, soixante braves de 1830 dans un état très précaire, qui portent la croix de Fer sans profiter des avantages qui y sont attachés. Jusqu'ici les décorés de la croix de Fer n'ont eu pour apanage que les honneurs du salut militaire et du port d'armes.

Il faut avouer que la reconnaissance nationale doit se manifester d'une tout autre manière. Comme des services identiques réclament une récompense identique, il importe de n'avoir plus deux poids et deux mesures. C'est dans ce but, messieurs, que j'ai l'honneur de proposer à la Chambre : d'abord d'accorder la pension à tous les décorés de la croix de Fer. Leur nombre, vous ne devez pas l'ignorer, diminue chaque jour ; à la fin du mois de décembre dernier, le chiffre des décès s'élevait à 313.

L'ordre de la croix de Fer est un ordre qui s'éteint ; le crédit diminuera donc tous les ans. Si les renseignements que j'ai reçus sont exacts, l'armée active ne renferme plus que 67 décorés de la croix de Fer.

Je propose également à la Chambre de pensionner, d'après la loi du 27 mai 1S56, trois catégories de citoyens qui ont des droits incontestables à une récompense nationale.

Dans la première catégorie, je classe les officiers des volontaires qui ont été brevetés et qui ont figuré dans les glorieux combats de 1830. Leur nombre s'élève à 20 ; la deuxième catégorie comprend les blessés de septembre inscrits au fonds spécial ; ils ont aussi des titres irrécusables à la reconnaissance du pays ; leur nombre s'élève à 100. Enfin dans la troisième catégorie, se trouvent les combattants faits prisonniers par l'ennemi les armes à la main et envoyés sur les pontons à Anvers. Ce groupe ne contient qu'une quinzaine de citoyens.

Messieurs, si la Chambre accepte l'amendement que j'ai l'honneur de déposer sur le bureau, elle supprimera de fait, et j'en ferai également la proposition, l'administration du fonds spécial aux blessés de septembre, qui n'est et ne peut être à nos yeux qu'une succursale du bureau de bienfaisance, succursale peu digne de la nation belge au nom de laquelle les aumônes se donnent, et peu digne surtout des citoyens patriotes qui doivent, pour ainsi dire, tendre la main pour les recevoir.

Messieurs, je termine par une dernière considération.

Le Belge n'est pas ingrat de sa nature, il l'est moins encore lorsqu'il s'agit de services rendus à la patrie. Il doit donc se montrer reconnaissant puisqu'il s'agit de la grande cause de l'indépendance. Je demande que la représentation nationale et le ministère se fassent l'écho du sentiment public en adhérant à mon amendement.

Cet amendement est conçu en ces termes :

« Réunir les articles 49 et 50, et rédiger l'article unique comme suit :

« Pension de 250 francs en faveur des légionnaires et des décorés de la croix de Fer ; subsides aux blessés et combattants de septembre, à leurs veuves et orphelins (charge extraordinaire et temporaire) : fr. 277,000 francs. »

J'augmente de 100,000 francs le crédit pétitionné au budget et je supprime les mots : « peu favorisés de la fortune », ainsi que la somme de 22,000 francs comme fonds spécial aux blessés de septembre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, l'année dernière des mesures inspirées par le patriotisme le plus généreux ont été prises à l'égard de certaines catégories de citoyens qui se sont dévoués, il y a un quart de siècle, à la conquête de notre indépendance.

Le gouvernement a accepté la mission que la Chambre lui a déléguée d'examiner s'il n'y avait pas quelque chose à faire en faveur d'autres personnes non comprises dans les catégories qui ont été, si je puis m'expliquer ainsi, privilégiées l'année dernière. Je n'ai pas pu me livrer à cet examen, à l'occasion de la présentation du budget de l'intérieur, parce que ce budget a été déposé au mois de mars 1856, et que la discussion du projet de loi dont il s'agit a eu lieu au mois de mai suivant.

Lorsque l'année dernière, on a proposé quelques mesures généreuses à l'égard des défenseurs de la nationalité, on se trouvait sous une double impression.

D'un côté, on célébrait le vingt-cinquième anniversaire de la conquête de l'indépendance, et une pensée de reconnaissance nationale se reportait alors tout naturellement vers ceux qui s'étaient dévoués pour assurer à la Belgique le bienfait de cette indépendance.

D'un autre côté, les circonstances que nous traversons depuis quelques années sont tellement douloureuses, que la position de quelques-uns de ces défenseurs de la pairie était devenue vraiment intolérable pour eux et pour leurs familles, par suite des privations auxquelles ils étaient en proie. Nous devons aujourd'hui et sous l'empire des mêmes impressions, achever cette œuvre de réparation. Il y va de l'honneur du pays.

Le gouvernement peut-il s'associer cependant aux propositions que vient de faire un honorable député de Malines ?

Je n'hésite pas à dire que le gouvernement ne saurait suivre l'honorable préopinant dans la voie où il est entré.

L'honorable membre propose d'abord d'accorder une pension à tous les décorés de la croix de Fer. Cette décoration a été accordée à 1,694 citoyens. Ainsi que vient de le dire l'honorable préopinant, le décès de 313 pensionnés était constaté à la fin de l'année dernière ; le nombre des décorés pensionnés encore vivants s'élève à 411 ; ce qui fait ensemble 724. Si vous défalquez ce dernier chiffre du nombre total des décorés de la croix de Fer, il resterait, dans le système de l'honorable M. de Perceval, à pensionner 970 décorés.

M. de Perceval. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - La pension étant de 250 fr., il en résulterait une nouvelle charge de 241,500 francs pour le trésor public.

En tenant compte des décorés de la croix de Fer qui, étant dans une position aisée, ne demanderaient pas de pension, et en évaluant à 200 le nombre des décorés de cette catégorie, nous aurions toujours à voter 180,000 à 200,000 francs pour les décorés qui auraient des droits à l'obtention de la pension.

Je ne pense pas qu'il puisse entrer dans les intentions de la Chambre d'étendre le bienfait de la pension civique de 250 francs à un nombre aussi considérable de décorés de la croix de Fer.

Il y a dans ce moment environ 60 demandes instruites. Ces demandes sont faites par des décorés qui ont tous les titres à l'obtention de cette faveur. Les circonstances sont pressantes, et il est urgent de venir au secours de ces décorés.

Le gouvernement croit donc qu'il serait d'une bonne politique, d'une politique vraiment nationale, de majorer le chiffre alloué au budget d'une somme de 15 mille francs afin de pouvoir accorder immédiatement la pension à ces 60 citoyens ; c'est la proposition que le gouvernement voulait faire et qu'il fait dans ce moment par mon organe.

Après cela, le gouvernement pourrait difficilement admettre les autres propositions faites par M. de Perceval. L'honorable membre propose de pensionner trois autres catégories de personnes qui ont contribué à fonder notre indépendance.

Messieurs, le gouvernement s'est toujours attaché à ne pas sortir de la catégorie des décorés de la croix de Fer, parce que leurs titres ont été examinés à une époque où l'on pouvait en constater réellement la valeur ; vous le savez, messieurs, une commission spéciale, dite des récompenses, avait été nommée en 1834. Elle a examiné un grand nombre de demandes ; elle en a rejeté trois mille et admis 1,694. Il se peut que parmi les personnes dont la demande a été rejetée, il s'en trouvât qui avaient des titres à l'obtention d'une récompense nationale. Mais cette commission était composée d'hommes qui, en grande partie, avaient pris une part active à la révolution. Celte commission était donc parfaitement à même d'apprécier les titres des postulants à l'obtention de cette distinction. Or, cette commission a déclaré elle-même dès 1834 que ses travaux étaient achevés, qu'elle était dissoute, et qu'elle considérait sa mission comme terminée.

Le gouvernement croit qu'effectivement il n'y a plus à revenir sur les conclusions de cette commission. Il serait impossible de reprendre un à un l'examen des titres qu'on prétend faire valoir aujourd'hui. Malgré l'intérêt qu'on doit porter à tous ceux qui ont contribué à fonder notre indépendance, je crois que la Chambre, pas plus que le gouvernement, n'a envie d'abandonner le système suivi jusqu'à ce jour avec une prudente réserve. Il vaut mieux de n'admettre à la pension que des personnes décorées de la croix de Fer, c'est-à-dire qui ont été reconnues dignes d'une récompense nationale par la commission de 1834.

M. Rodenbach. - Je persiste dans l'opinion que j'ai soutenue, l'an passé, quant aux décorés de la croix de Fer et à la catégorie des combattants de la révolution dont a parlé l'honorable député de Malines. Mais, messieurs, je dirai quelques mots de la position respective qui est faite aux décorés de la croix de Fer et aux décorés de la Légion d'honneur.

La croix de la Légion d'honneur a été accordée à des Belges qui, sous Napoléon Ier, ont combattu pour leur patrie.

Tous ces décorés, même ceux qui occupent des grades d'officier supérieur, reçoivent la pension affectée à leur décoration et les veuves de ceux qui sont morts, bien qu'elles n'eussent aucun droit, touchent une pension, tandis que d'un autre côté nous voyons des hommes décorés pour avoir aussi combattu pour leur patrie, puisqu'ils ont contribué à l'affranchir, ne pouvoir obtenir la pension, et cependant ils sont dans la misère. M. le ministre vous a dit que 60 décorés de la croix de Fer étaient dans la misère, avaient des droits à la pension, mais qu'il avait été impossible de la leur accorder. Comment se fait-il qu'en Belgique, (page 945) des hommes décorés pour avoir contribué à nous donner notre nationalité soient dans la misère et ne puissent pas même obtenir la modique pension de 250 francs dont jouissent tous les décorés de la Légion d'honneur ? Il faut avoir un cœur de pierre ou de bronze pour laisser croupir dans la misère des hommes qui ont combattu pour notre indépendance et ont même obtenu une marque distinctive.

M. le ministre vous a parlé d'une autre catégorie, je ne vois pas pourquoi on ne ferait pas quelque chose en sa faveur.

La Chambre est peu disposée à prendre une mesure particulière en faveur de ceux qu'elle comprend ; mais il y a une foule d'individus, anciens employés, qui n'ont pas droit à la pension, mais auxquels on accorde des secours ; il y a des crédits alloués pour cet objet ; ne pourrait-on pas admettre à y participer ceux des combattants de la révolution qui n'ont pas droit à la pension. Eux aussi ont rendu des services au pays.

Parce qu'on n'a pas été assez adroit, je pourrais dire assez intrigant pour se faire donner la croix de Fer, ceux qui étaient à la frontière s'occupaient de servir leur pays et ne songeaient pas aux faveurs qu'on distribuait dans la capitale, ils étaient absents, et vous savez que les absents ont toujours tort, ils ont négligé leurs intérêts et beaucoup qui auraient pu obtenir la croix de Fer qui leur donnerait un droit éventuel à la pension de 250 francs ne l'ont pas reçue.

Quand on trouve dans la misère des hommes qui ont rendu de grands services, lors de la révolution, on doit pouvoir leur donner des secours aussi bien qu'à d'anciens employés.

J'ai été dans le cas de solliciter auprès du gouvernement pour un homme qui a rendu d'immenses services au pays, qui a combattu à la frontière, qui enfin a puissamment contribué à nous rendre indépendants.

J'ai dû attendre deux, trois, quatre mois jusqu'à ce qu'il y eût un décès. Par hasard, j'ai appris l'enterrement d'un décoré pensionné, je me suis rendu au ministère de l'intérieur, j'ai enfin obtenu pour ce patriote 250 fr. Il s'ensuit que, pour obtenir la pension de 250 fr. pour un décoré de la croix de Fer malheureux, il faut attendre, on pourrait presque dire solliciter la mort.

On vous a dit que la mortalité n'était que de je ne sais plus quel chiffre ; la main sur le cœur, pouvons-nous ainsi supputer les ravages que fait la mort dans les rangs des hommes qui ont constitué notre nationalité, quand il s'agit de venir en aide à ceux qui souffrent ?

M. Moreau. - Messieurs, je m'étais fait inscrire pour présenter l'amendement que vient de déposer M. le ministre de l'intérieur à l'article 49 du budget ; comme il ne paraît pas qu'il rencontrera d'opposition, je renonce à la parole pour ne pas abuser des moments de la Chambre.

M. Dumortier. - Messieurs, il faut qu'il s'agisse des hommes de la révolution pour que je prenne la parole, souffrant comme je suis.

Il me semble que la proposition de M. le ministre de l'intérieur n'est pas suffisante, dans les circonstances actuelles ; je viens demander le renvoi à la section centrale du budget de l'intérieur pour qu'elle puisse faire demain un rapport.

D'abord, la proposition de M. de Perceval dans ses termes généraux embrasse, de l'avis de tous, trop de monde : elle embrasse non seulement les combattants, mais ceux qui n'ont pas combattu.

J'ajouterai une seconde observation : la proposition de mon honorable collègue et ami s'applique et à ceux qui profitent de la loi des dix années de service et à ceux qui n'en profilent pas. Or, je ne pense pas qu'il soit dans l'intention de l'assemblée d'accorder la même faveur à deux titres différents ; les dix années de service et le bénéfice de la croix de Fer. Ce serait donner deux fois. Cela compromettrait la proposition de l'honorable M. de Perceval.

J'amenderai donc dans tous les cas la proposition en ce sens qu'on ne devra pas comprendre, dans la liste qui sera faite, ceux qui auront le bénéfice des dix années de service ; car les décorés de la croix de Fer à qui l'on a compté les dix années de service ont bien plus que 250 francs.

Mais d'où cela dépend-il ? Pensez-vous qu'avec les 15 mille francs que propose M. le ministre de l'intérieur vous aurez satisfait à tous les besoins ? Pour mon compte, je suis loin de le croire. Les hommes qui ont été décorés de la croix de Fer sont de deux catégories : d'abord ceux qui ont été atteints de blessures qui ont empêché la continuation de leur travail. A ceux-là une pension a été accordée.

Mais veuilles-le remarquer, comme à cette époque la Chambre était dans la voie d'une grande économie, la pension a été limitée à un franc par jour, soit à 360 fr. Il n'y a pas dans le budget de la dette publique de pension aussi modeste, aussi chétive que celles qui ont été accordées aux hommes qui nous ont fait ce que nous sommes, qui ont créé la Belgique indépendante. Accorder à ces hommes le bénéfice de la croix de Fer, ce ne serait qu'un acte de justice tardive. Ils sont tous, sauf cinq ou six, décorés de la croix de Fer. Mais jusqu'ici le cumul des deux pensions n'a pas été admis.

Il y a déjà 25 ans qu'ils sont frappés d'une incapacité de travail, à laquelle se joignent aujourd'hui la vieillesse et les soins qu'elle exige. Et quand, dans la loi des pensions, on s'est montré si généreux envers tous les fonctionnaires de l'Etat, il me semble qu'on ne doit pas être sévère envers ceux qui ont fait la Belgique indépendante et sans lesquels nous ne serions pas ici.

Ce n'est pas tout. L'honorable M. de Perceval a parlé du fonds spécial. M. le ministre de l'intérieur repousse cette partie de l'amendement. Je n'ai pas sous les yeux l'amendement. Il m'est impossible d'en saisir la portée sous ce rapport. Mais je ferai remarquer que ceux qui sont inscrits au fonds spécial ont été blessés et sont des combattants de septembre aussi bien que ceux qui ont été décorés de la croix de Fer. Malgré les soins que la commission des récompenses a apportés aux deux arrêtés qui ont décerné la croix de Fer, un nombre considérable de blessés (en raison de la masse de paperasses sur lesquelles a dû porter son examen), qui avaient les mêmes droits que les décorés, n'ont pas obtenu la croix de Fer.

Comme la commission est dissoute, que la croix de Fer ne peut plus être accordée, qu'elle ne le sera plus, il en résulte que ces blessés n'ont pas de pension. Ils touchent un subside sur le fonds spécial. Mais qu'est-ce que le fonds spécial ? C'est le produit d'une souscription ouverte, en 1830, en faveur des blessés qui ont combattu pendant les quatre journées.

D'abord on a payé les intérêts. Puis on a distribué les intérêts et le capital.

Le fonds a fini par être absorbé au bout de dix années, c'est alors qu'on a porté au budget de l'intérieur un subside pour le fonds spécial, afin que ceux qui n'avaient pu obtenir la croix de Fer, bien qu'ils eussent été blessés en combattant pour l'indépendance nationale, pussent obtenir un subside. Mais les combattants de septembre qui ont été blessés ne reçoivent sur le fonds spécial que 30 ou 40 francs par an. Il me semble qu'il est impossible de maintenir un tel état de choses.

Puisque j'ai la parole, je signalerai à la Chambre quelques lacunes qu'il est désirable de voir combler.

A plusieurs reprises, la Chambre a été saisie de pétitions qui lui étaient adressées par plusieurs personnes qui ont joué un très grand rôle dans les combats de la révolution, comme commandant directement ou indirectement des corps francs.

Il y en a plusieurs qui ont sacrifié une partie de leur patrimoine, peut-être même tout leur patrimoine par dévouement à la patrie, qui ont levé des corps francs, et qui sont partis à la tête de ces corps. Mais ils n'ont pas mis dans leurs écritures toute la régularité désirable.

Vous savez qu'en temps de révolution, cette régularité est impossible.

Plusieurs fois, depuis 25 ans, la Chambre a renvoyé au gouvernement les pétitions de ces honorables citoyens. Je citerai notamment le major de Marneffe qui a joué un si grand rôle dans les combats de la révolution, qui est mort malheureux et dont la veuve est dans une profonde misère. Je pourrais vous citer aussi la veuve d'un de nos meilleurs généraux qui, chargé par le gouvernement provisoire de lever des corps francs, les a levés à ses frais. Il a vainement réclamé auprès du gouvernement.

Je sais combien M. le ministre de la guerre est plein de bonne volonté à l'égard de ces officiers.

Je conçois que les règles strictes de la comptabilité empêchent de donner suite à de telles demandes.

Mais, quand on est glorieux de la révolution de 1830, c'est bien le moins que l'on indemnise ceux qui ont sacrifié leur fortune pour la faire triompher. Je fais donc des vœux bien sincères pour que le gouvernement accueille les réclamations de ces braves patriotes.

M. de Perceval. - Je remercie M. le ministre de l'intérieur de l'amendement qu'il a proposé et qui tend à faire jouir de la pension civile de 250 francs les soixante décorés qui sont en instance pour l'obtenir. C'est déjà, je l'avoue, une satisfaction partielle, car voilà soixante citoyens sur lesquels s'étendra la munificence nationale. Mais pourquoi ne pas compléter l'œuvre, et accorder la pension à tous les titulaires ?

L'honorable ministre de l'intérieur a voulu effrayer évidemment la Chambre sur les conséquences financières de mon amendement. Il nous a dit que s'il était adopté, il y aurait à pensionner 970 décorés. Messieurs, il n'est jamais entré dans ma pensée de croire que tous ceux qui sont décorés de la croix de Fer réclameraient la pension.

Je divise les décorés de la croix de Fer en deux catégories. Dans la première, je comprends tous les membres du Congrès ; ceux-là sont dans une position de fortune telle, qu'ils ne viendront pas au département de l'intérieur réclamer la pension. Mais, dans mon opinion, ce n'est pas une considération dont on doive tenir compte. Je suis d'avis que, puisque les mêmes services ont été rendus par tous, il faut les mêmes récompenses pour tous. Libre à certains décorés de renoncer à la pension.

Mais il importe de décréter en principe que la pension de 250 francs est attachée à la croix de Fer ; j'envisage cette question dans un tout autre ordre d'idées que celui qui a été développé par l'honorable ministre de l'intérieur.

Vous avez un ordre respectable, un ordre qui vous rappelle des souvenirs glorieux et qui ont droit à nos respects et vous dites à ceux qui en portent les insignes : Si vous êtes pauvres, vous recevrez la pension ; mais il faut d'abord constater votre indigence. Est-ce une position convenable que vous faites aux décorés du la croix de Fer ?

Quant à moi, je le déclare hautement, ce n'est pas là une position digne du pays.

La législature est vis-à-vis des hommes de la révolution dans une position peu digne d'elle : jusqu'ici elle a eu, je le répète, deux poids et (page 946) deux mesures ; elle a récompensé les uns et elle ne veut récompenser les autres que pour autant qu'ils puissent produire un certificat d'indigence. Je désire que nous sortions au plus tôt de cette fausse position.

Messieurs, les conséquences financières de ma proposition ne m'effrayent nullement.

Un pays peut bien, me paraît-il, sacrifier 200,000 fr. par an pour récompenser ceux qui nous ont donné une patrie et la liberté.

Messieurs, en dehors des décorés de la croix de Fer, il y a, comme vous l'a dit notre honorable collègue M. Dumortier, une catégorie de citoyens qui ont droit à la sollicitude active, dévouée, bienveillance du gouvernement. Je crois qu'en votant un crédit de 30,000 à 40,000 fr., nous pourrions satisfaire à toutes les exigences, fermer bien des plaies, faire disparaître bien des réclamations qui ont leur fondement, on ne peut le nier.

Je me résume, et je dis qu'en accordant à tous les décorés de la croix de Fer la pension de 250 francs, il n'en résultera pas que chaque titulaire viendra réclamer cette pension ; il est évident que mon amendement n'a en vue que les décorés qui sont dans une position telle qu'ils ne puissent se passer de la pension civique à laquelle ils ont droit.

- Le renvoi à la section centrale de l'amendement proposé par M. de Perceval est prononcé.

La séance est levée à 4 heures et demie.