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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 2 mai 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Orts, second vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1433) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart et donne lecture du procès- verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.

Il présente l'analyse des pièces suivantes.

Pièces adressées à la chambre

« Des habitants de Felenne prient la Chambre d'accorder aux sieurs Lonhienne la concession d'un chemin de fer de Liège à Givet par la vallée de l'Ourthe. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Baghuys, brigadier honoraire de la gendarmerie, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Edouard Martha, notaire à Fayt-lez-Manage, adresse à la Chambre 108 exemplaires du Moniteur du notariat. »

- Distribution aux membres de la Chambre.

Composition des bureaux de section

Composition des bureaux des sections du mois de mai

Les sections de mai se sont constituées comme suit :

Première section

Président : M. Jouret

Vice-président : M. Coppieters ‘t Wallant

Secrétaire : M. de Perceval

Rapporteur de pétitions : M. de Portemont


Deuxième section

Président : M. de Paul

Vice-président : M. de Moor

Secrétaire : M. Crombez

Rapporteur de pétitions : M. de Ruddere de Te Lokeren


Troisième section

Président : M. Lesoinne

Vice-président : M. Snoy

Secrétaire : M. Martens

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Quatrième section

Président : M. de Baillet-Latour

Vice-président : M. Wautelet

Secrétaire : M. Calmeyn

Rapporteur de pétitions : M. Julliot


Cinquième section

Président : M. Le Bailly de Tilleghem

Vice-président : M. de Renesse

Secrétaire : M. de Lexhy

Rapporteur de pétitions : M. Allard


Sixième section

Président : M. Osy

Vice-président : M. Rousselle

Secrétaire : M. Van Iseghem

Rapporteur de pétitions : M. Mascart

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion générale

M. de Haerne. - Messieurs, si je n'étais intimement convaincu que la cause que je viens défendre devant vous est bonne et que les intérêts les plus sacrés du pays y sont engagés, j'hésiterais peut-être à prendre la parole après l'orateur habile et érudit que vous avez entendu hier.

Mais lorsqu'on jette un coup d'œil sur l'ensemble de son discours, il est évident que l'orateur est parti d'une idée entièrement opposée à celle que nous défendons en cette matière. Il a parlé charité publique, centralisation, droits de l'Etat.

Nous au contraire, tout en sauvegardant en cette matière, comme en toute autre, les droits de l'Etat et de la charité publique, nous demandons qu'on donne à la charité privée toute son extension, toute sa liberté.

Voilà la divergence qui existe entre le point de départ de l'honorable membre et celui que nous avons choisi. Il n'est donc pas étonnant que, malgré les raisons qu'il a alléguées, il me soit impossible d'adhérer à ses conclusions.

Messieurs, avant d'aborder le fond de la question et de répondre, dans les développements de mes idées, aux objections qui out été faites par l'honorable membre, je crois devoir m'arrêter à une idée qui semble avoir dominé tout son discours.

Il nous a fait un reproche d'avoir monopolisé la liberté dans le sens religieux et contre le pouvoir civil, d'avoir, pour me servir de ses expressions, rendu le pouvoir civil esclave. Lorsqu'il a prononcé ces paroles, un cri est parti de ces bancs ; on a dit : vous faites le procès à la Constitution :

L'honorable membre ne siégeait pas dans cette enceinte lorsque nous fûmes appelés à fonder ce grand monument de nos libertés publiques. Il ne sait pas la transaction qui s'est opérée entre les deux grandes tractions de l'opinion publique et avant, et pendant et depuis la réunion du congrès.

Oui, messieurs, nous avons demandé la liberté religieuse, mais à côté de cette liberté nous avons admis avec la même franchise, avec la même loyauté, les libertés civiles, les libertés politiques.

Messieurs, croyez-vous qu'il fût sans importance pour ceux qui préludèrent et prirent part à cette grande œuvre de notre nationalité, d'établir un équilibre entre les deux tendances qui se partagent aujourd'hui la société ?

Pensez-vous que l'on eût cru pouvoir abandonner aux fluctuations de l'opinion et aux tendances démoralisatrices et révolutionnaires de l'époque, toutes les destinées du pays, si l'on n'avait pas pu compter sur un grand contrepoids moral et religieux ? C'est dans ces termes que la transaction s'est opérée. C'est ainsi qu'on est parvenu à s'entendre, et après nous être entendus, nous sommes restés fidèles au pacte que nous avons fondé et juré. Ah ! croyez-moi, si les libertés religieuses n'étaient pas si larges, les libertés politiques ne le seraient pas non plus. Vouloir restreindre l'usage de quelques-unes de ces libertés, c'est les anéantir toutes.

Messieurs, si nous nous permettions la moindre attaque indirecte contre ces libertés, si nous insinuions seulement la possibilité de toucher à une de ces libertés, qu'entendrions-nous ? Des accusations, des récriminations. On nous accuserait de vouloir violer le pacte fondamental, de vouloir détruire la Constitution.

Et cependant, que faites-vous quand vous dites que le pouvoir est esclave de la liberté constitutionnelle ? N'est-ce pas là blâmer et attaquer indirectement cette liberté et la Constitution même ?

Mais enfin quelle est donc la liberté qui est de trop ? Quelle est la liberté dont nous abusions ?

Est-ce la liberté de la presse par hasard ? Est-ce la liberté des associations ? Est-ce la liberté de l'instruction ? Est-ce la liberté de conscience ? Nous les admettons toutes ; nous en usons comme vous ou comme vous pouvez en user, nous en usons sans nous appuyer sur le pouvoir, comme vous devriez le faire. Ne voyez-vous pas que si vous détachez un anneau de cette chaîne, elle tombe tout entière ? Que devient alors la Constitution, que devient la nationalité ?

Nous ne pouvons accepter l'accusation dirigée contre nous ; nous la repoussons de toutes nos forces, au nom de la Constitution.

Cette protestation me paraissait nécessaire, parce que l'idée contre laquelle je m'élève domine tout le débat, parce qu'on semble repousser les libertés que la charte consacre en faveur de la religion.

La grande cause que nous avons à défendre dans cette circonstance, c'est celle de la liberté de la charité qui se rattache au bien-être du peuple et de la société tout entière.

Oui, messieurs, la question est sociale avant tout, je tiens à faire voir comment la liberté doit servir de base et de stimulant à la charité ; et d'un autre côté je tiens à démontrer que la charité doit s'appuyer sur les institutions publiques.

Je dis que la question est sociale. Je tâcherai de faire voir l'utilité sociale de la charité, l'utilité sociale des congrégations charitables, l’utilité sociale des fondations de charité.

On a dit, messieurs, à propos du projet de loi, qu'il s'agissait de combattre le paupérisme, ce grand fléau des temps modernes, qui menace la société. Plusieurs orateurs ont avancé, et avec grande raison, selon moi, que le premier moyen de combattre ce fléau, c'est le travail. Je suis d'accord avec les honorables membres, mais on n'invente pas le travail ; on ne procure pas du travail quand on le veut ; il faut les moyens de donner du travail. Il ne suffit pas de dire : Travaillez ! Il faut mettre les travailleurs à même de s'appliquer à une industrie quelconque. Or, pour assurer le travail, lorsque l'industrie fait défaut, il n'y a pas de milieu entre les ateliers nationaux et les ateliers organisés par la charité libre.

On a beau dire qu'il faut du travail ; mais en présence de ce qui se passe depuis une dizaine d'années, ne voit-on pas qu'on est souvent dans l'impossibilité d'assurer le travail à l'ouvrier ? Or c'est là précisément une des grandes prérogatives, un des grands mérites de ces institutions libres dont nous prenons ici la défense.

Mais, messieurs, le travail à lui seul ne suffit pas. Car enfin, à côté du travail le plus développé, de l'industrie la plus prospère, ne voyons-nous pas se dresser, dans les pays en apparence les plus heureux, ce formidable ennemi de la société, le paupérisme ? L'Angleterre n'est-elle pas en proie à ce fléau, et où trouve-t-on un pays plus prospère que l'Angleterre en commerce, en industrie et même en agriculture ?

Il faut moraliser le peuple, il faut le moraliser par le travail, je le veux bien. Mais à côté du travail, il faut d'autres moyens de moralisation : il faut l'instruction ; et, à côté de l'instruction, il faut la morale religieuse, il faut la religion. C'est à ce prix seulement, et en combinant avec intelligence ces divers éléments, qu'on peut espérer de vaincre le paupérisme, ce ver rongeur du corps social.

Ainsi, le travail, l'instruction, la morale qui pour le peuple se confond avec la religion, voilà les trois moyens d'améliorer le sort des classes inférieures ; ces trois moyens doivent constituer le plan de moralisation, et pour exécuter ce plan le mieux possible, il faut l'association.

A Londres, dans cette ville opulente, on dépense annuellement, en taxes pour les pauvres, en charités libres, organisées par association, et par fondation et en aumônes, l'énorme somme de plus de 30,000,000 de francs. Le Times évaluait dernièrement à un million de livres (page 1434) sterling ce qu'on dépense annuellement en aumônes individuelles dans cette ville, la plus grande et la plus prospère de l'univers.

Ce n'est pas le travail qui manque dans ce pays ; il y manque autre chose. Il y manque d'abord l'instruction, quoique le gouvernement, les associations et les particuliers fassent les efforts les plus louables pour développer largement l'instruction publique au sein de la classe ouvrière.

Voulez-vous une preuve de l'état arriéré de l'Angleterre, sous le rapport de l'instruction publique ? Je lis dans un ouvrage statistique qu'en 1854 sur 319,450 personnes mariées en Angleterre et dans le pays de Galles, 116,800 ne savaient pas écrire. C'est près du tiers. Beaucoup plus d'élèves sont inscrits à l'école ; mais il faut voir l'instruction qu'il y reçoivent, d'après le temps qu'ils y passent.

Et comment l'Angleterre, où il existe tant de moyens de s'instruire, tant d'écoles, comment est-elle si peu avancée sous ce rapport ?

La cause de ce mal est toute morale ; elle consiste dans l'abandon de la classe ouvrière, au point de vue moral.

Il faut une impulsion religieuse et morale, pour donner l'instruction comme pour donner le travail. Il faut agir énergiquement non seulement sur l'enfance, mais sur les parents ; il faut stimuler les parents par les moyens matériels et par les moyens religieux.

Il faut le concours de toutes les forces sociales pour amener le progrès dans l'instruction comme dans le travail.

La solution de la question du paupérisme est donc très complexe : il faut un concours de moyens énergiques, à la fois moraux et matériels, en rapport avec la double nature de l'homme.

Voilà le secret de la solution définitive de ce grand problème qui occupe les premiers génies en Europe.

L'association a toujours été un des moyens les plus efficaces pour produire de grandes choses ; elle est aussi un des principaux moyens que l'homme possède pour arriver à cette combinaison ; des éléments dont je viens de parler, des éléments de civilisation si nécessaires pour extirper le fléau du paupérisme.

Ajouterai-je encore une cause plus spéciale à notre pays, spéciale surtout à quelques parties des Flandres ?

Voyez, messieurs, ce qui s'y passe malgré le progrès que nous avons fait depuis trois ou quatre ans, quant à l'organisation du travail libre, voyez cette émigration progressive qui s'opère vers la France ; plus de 110 mille de nos ouvriers sont aujourd'hui en France, quoique dans la plupart des districts des Flandres le travail abonde aujourd'hui.

Mais il y a une supériorité de salaires dans ce pays voisin ; voilà pourquoi nos ouvriers se déplacent encore. On dira : Il n'y a pas grand mal à cela. Je ne suis pas de cet avis, j'y vois un danger, parce que l'industrie se déplace avec l'ouvrier et parce que les ouvriers employés dans les manufactures pendant une partie de l'année sont nécessaires à l'agriculture pendant une autre partie. Il en résulte un très grand dommage pour l'industrie agricole, surtout en Flandre, où les richesses de la terre dépendent surtout du travail.

C'est là, messieurs, une condition toute spéciale à notre pays. Pour remédier à ce mal, qui est aussi une grande cause de démoralisation dans nos provinces, pour arrêter le flot de l'émigration, il n'y a qu'un moyen, c'est celui dont j'ai eu l'honneur de vous parler tout à l'heure ; c'est la combinaison du travail avec l'instruction et la religion ; c'est dans nos associations, dans nos corporations religieuses que réside le secret d'opérer cette grande transformation de l'état social de l'ouvrier.

J'arrive donc, messieurs, à la seconde considération dont je vous ai parlé tout à l'heure.

J'ai à vous faire voir l'utilité sociale des associations, et particulièrement des associations religieuses dont on a tant parlé dans cette discussion ; mais avant de donner cette démonstration à la Chambre, je me hâte de vous dire comment et pourquoi j'envisage l'existence de la charité publique comme nécessaire. Quoique je sois convaincu que la charité privée doit recevoir tout son développement, toute sa liberté, je considère la charité publique comme une nécessité dans l'état actuel de la société, surtout dans notre pays ; elle est nécessaire par cela seul qu'il y a divergence d'opinion ; elle est nécessaire, parce qu'il y a dans le pays un grand nombre de personnes qui n'ont pas assez de confiance dans la liberté, dans la charité privée, dans la charité religieuse, pour confier leurs dons et legs aux associations qui pourraient les accepter.

Il faut, pour que le pauvre ne soit pas en souffrance, n'ait pas à perdre un denier de ce qu'on veut lui donner, il faut des institutions publiques, il faut l'organisation dd la charité publique par les bureaux de bienfaisance, par les commissions d'hospices.

Il faut la charité publique, ne fût-ce que pour la concurrence et pour donner des modèles de centralisation ; car la centralisation est jusqu’à un certain point utile et nécessaire. Mais à côté de cette centralisation il faut la liberté pour que la centralisation ne dégénère pas en monopole, en despotisme.

Ces deux éléments de la charité et de la bienfaisance ont été comparés par un orateur hollandais, M. Groen Van Prinsterer, dans la discussion mémorable qui a eu lieu au sein de états généraux, en 1854, a une armée et un corps de réserve. La charité libre, privée, c’est l’armée. La charité publique, c’est le corps de réserve. Telles sont les forces qu’il faut organiser contre l’ennemi qui nous envahit, contre le paupérisme.

Il faut la charité publique, parce que, enfin, le paupérisme est une plaie sociale dont les ravages n'ont pu être arrêtés jusqu'ici par toute les forces combinées de la société. Il la faut enfin, parce que nous vivons dans un pays constitutionnel, où toutes les influences doivent se faire jour, pour arriver à une harmonie, à un accord, à une pondération équitable, dans l'intérêt public.

Mais s'il faut la charité publique, cette charité ne doit pas enchaîner la charité privée. Autrement, l'on rendrait la charité publique dangereuse ; car on donnerait au peuple l'idée du droit à l'assistance.

On a beau dire que la charité publique diffère de la charité légale.. Le peuple croit trouver, dans l'organisation actuelle de la charité publique, la consécration d'un devoir de l'Etat envers le pauvre, et d'un droit d'assistance de la part de celui-ci.

Et en dernière analyse, à quoi se réduit la charité publique, sinon à des subsides qui donnent au peuple l'idée du droit à l'assistance ?

C'est ce qui a été parfaitement démontré en Angleterre, en Hollande et dans d'autres pays. J'ajouterai que la charité privée, existant à côté de la charité publique, doit être bien organisée ; car si elle ne l'était pas, elle engendrerait aussi des dangers et des inconvénients dont j'aurai à parler tout à l'heure.

Il faut la charité privée, parce que la liberté est une garantie de l'ordre, surtout dans notre pays.

L'ordre maintient la liberté, mais dans un pays où les mœurs sont aussi libérales qu'en Belgique, il est évident que la liberté est une garantie de l'ordre. On veut la liberté, on la veut avec énergie, et si elle venait à disparaître, on chercherait à la reconquérir par tous les moyens, même par des moyens qui pourraient compromettre la tranquillité publique.

Voilà comment la liberté sert d'appui à l'ordre, de même que l'ordre assure la liberté.

La charité privée et la charité publique sont deux forces sociales dont la résultante s'accroît à mesure qu'elles se rapprochent pour se diriger parallèlement dans le même sens.

Je disais tout à l'heure que la charité privée peut avoir ses inconvénients, et, j'en conviens, l'expérience le prouve ; mais elle prouve en même temps que les abus résultant de la bienfaisance légale sont bien plus grands et plus dangereux.

Sous ce rapport plusieurs objections nous ont été faites ; d'abord, nous l'avouons, lorsque la charité privée n'est pas intelligente, elle dégénère en abus. Mais d'un autre côté, l'on suppose bien à tort qu'elle présenta toujours ce caractère.

Il n'en est pas ainsi, messieurs, et surtout aujourd'hui que l'on a sondé la profondeur de la plaie sociale qu'on appelle le paupérisme-La charité privée a profité de l'expérience ; elle s'est éclairée, elle s'est organisée, elle s'est élevée, sous le rapport de l'administration, à la hauteur de la charité publique dont elle a imité l'exemple, dont elle a imité l'organisation, mais sans entraîner les mêmes dépenses, comme on l'a constaté partout. Elle aussi a centralisé ses moyens dans une certaine mesure. Croyez-vous donc que les associations qui se sont formées dans le pays procèdent en aveugles et n'ont pas aussi leurs moyens de centralisation pour éviter les doubles emplois ? Mais il est une limite à laquelle il faut s'arrêter ; car enfin si la centralisation n'avait pas ses limites, elle devrait embrasser non seulement les communes, grandes et petites, mais même les provinces et tout le pays. Lorsque la centralisation est trop vaste, elle embrasse trop pour suffire à sa tâche ; elle suggère en même temps l'idée du droit au travail, du droit à l'assistance.

Car enfin, d'où dérive chez le peuple cette idée ? Elle dérive de ce qu'on compte trop sur l'abondance des secours. Eh bien, si la centralisation est trop vaste, n'est-il pas évident qu'on se repose sur le grand nombre dont on croit que les ressources sont inépuisables ? La centralisation trop grande, trop étendue, fait naître l’idée du droit à l'assistance, lorsque les secours, quelle qu'en soit la source, ne sont pas accompagnés d'une leçon qui fasse voir au pauvre qu'il doit compter avant tout sur lui-même» sur son travail.

Après cela, si l'on n'a pas de moyen d'agir efficacement sur son esprit et sur son cœur, il n'acceptera pas la leçon, parce qu'il est convaincu que, dans tous les cas, il sera secouru et que les ressources ne feront pas défaut. Voilà ce qui résulte de la trop grande centralisation, mais surtout de la centralisation administrative qui s'appuie sur les subsides, sur l'impôt. Il importe donc d'établir un accord entre la centralisation administrative ou la charité publique et la décentralisation ou la charité privée.

C'est par une combinaison sage et prudente de ces deux principes qu'on peut atteindre le but désiré, mais en mettant au premier plan l'idée du devoir à inculquer aux pauvres.

La charité publique doit se décentraliser en se rapprochant de la charité privée, comme celle-ci doit se centraliser, en se rapprochant de la première. C'est ainsi que l'accord s'établit entre les deux dans l'intérêt des pauvres.

Je le répète, il faut, avant tout, sauvegarder la charité aux yeux du peuple ; il faut qu'elle conserve son caractère de spontanéité.

Il faut faire disparaître l'idée de l'obligation civile d'entretenir les pauvres, du droit au travail, du droit à l’assistance. J’ai la conviction, basée sur l’expérience, qu’on ne peut y parvenir que par l’action morale et religieuse.

La discussion qui a eu lieu, en 1854, aux états généraux de Hollande est des plus remarquables, sous ce rapport. Plusieurs systèmes (page 1435) étaient en présence. Il y avait le système du ministère Van Hall ; il y avait le système de l'ancien ministre, M. Thorbeke ; il y avait le système qu'on peut appeler des exagérés. Mais toutes les opinions étaient d'accord sur un point, c'est qu'il fallait adopter un nouveau système plus en rapport avec la,liberté.

La charité en Hollande était basée sur les institutions libres, sur les diaconies, sur les administrations privées soit protestantes, soit catholiques. Mais par la loi de 1818, le caractère de ces institutions avait été altéré en ce qu'elles avaient été assujetties à l'administration publique. C'était là ce qu'on voulait changer. On voulait donner plus de liberté, et dans le rapport du ministère aussi bien que dans celui des sections, on énonce clairement l'idée qu'il faut arriver autant que possible à la transformation de la charité publique, pour la rapprocher de la charité privée, pour s'en rapporter, autant que possible, à la charité religieuse, à la charité ecclésiastique, dit-on, et privée.

J'ai dit qu'il y avait des nuances entre les opinions. En effet, le ministre de l'intérieur, M. Van Rheenen, allait jusqu'à supposer qu'on pouvait arriver par une loi de transition, comme on l'appelait, à un état de choses où la charité publique aurait été tout à fait secondaire et presque nulle en présence du développement de la charité particulière et ecclésiastique.

Il y avait une autre opinion qui allait plus loin encore et qui prétendait supprimer d'emblée la charité publique.

Celle de M. Thorbeke, qui avait été formulée dans un projet de loi présenté l'année précédente, était moins favorable à l'extension à donner à la charité privée. M. de Thorbeke, se fondant sur l'article 195 de la loi fondamental, soutenait, et avec raison, selon moi, qu'il fallait maintenir la charité publique, parce que l'art. 195 de la loi fondamentale fait au gouvernement hollandais un devoir de l'entretien des pauvres. Il voulait la surveillance pour la charité privée comme pour la charité publique ; mais il ajoutait qu'il la voulait, parce que c'était de droit commun en Hollande. Il disait de droit commun, messieurs, car la liberté d'association n'y est pas illimitée comme en Belgique, d'après l'article 10 de la loi fondamentale modifiée en 1848.

Mais un point essentiel, et qu'on ne peut pas perdre de vue, c'est que dans le système de l'honorable M. de. Thorbeke, la charité publique était subsidiaire par rapport à la charité privée et ecclésiastique.

Voilà comment, chez nos anciens frères, on entend la charité privée dans ses rapports avec la bienfaisance publique. On a soin de subordonner celle-ci à la première, non seulement dans l'opinion et en sauvant les apparences aux yeux des pauvres, mais même dans la loi, d'après laquelle on ne peut recourir à l'administration publique qu'à la condition de faire voir qu'on ne peut être secouru par les administrations ecclésiastiques ou privées. C'est dans a sens que la loi de 1854 a été admise par la grande majorité des protestants et des catholiques. Si ceux-ci se plaignent de l'exécution de la loi dans certaines communes où ils sont en minorité, c'est parce que l'administration communale emploie les subsides d'une manière partiale et dans un but de prosélytisme protestant. Ce n'est donc pas à la charité privée qu'on adresse des reproches.

D'un autre côté, les associations charitables en Hollande ne sont pas limitées dans leurs possessions de mainmorte comme elles le seront en Belgique d'après le projet qui nous est soumis. Il résulte de là que le contrôle peut être plus étendu en ce qui concerne les rapports qui doivent exister entre les administrations communales et les associations libres.

Toutes les opinions sont d'accord en Hollande pour reconnaître que les dons que l'on fait à l'administration publique sont des gratifications faites aux contribuables, puisqu'ils viennent en déduction des subsides alloués.

Cette idée, messieurs, a été comprise depuis longtemps, et permettez-moi de vous rappeler à ce sujet un simple fait dont j'ai été témoin oculaire en 1831, et qui prouve que les bureaux de bienfaisance sont quelquefois en défaut et que l'intervention de la charité privée peut être nécessaire.

Un honorable membre du gouvernement provisoire, M. de Potter, voulait, par une générosité bien louable, donner aux pauvres de Bruxelles et de Bruges, sa ville natale, toute l'indemnité qu'il avait reçue de ce chef.

C'était une somme de 11,830 fr. A cette époque, M. de Potter n'était plus en Belgique ; il avait dû, par suite des circonstances, quitter le pays. Il s'adressa à l'autorité publique de Bruxelles et à celle de Bruges, et il exigea pour seule condition de sa libéralité que l'on fît connaître qu'elle venait de lui. Sans cela, on aurait diminué les subsides dans la proportion du don.

On refusa de faire connaître l'auteur du don, parce qu'on s'imaginait que cette générosité n'en était pas une, qu'elle était dictée par une idée politique. Il s'adressa à d'autres personnes et il ne trouva pas moyen de se défaire de son don.

On lui suggéra à Paris l'idée de confier son aumône au clergé. Après quelques hésitations, il s'y résigna et il eut recours à un distributeur spécial. Ce fut au moyen de cette distribution spéciale qu'il parvint à se défaire de son argent. On avait craint qu'il n'y eût des troubles à cette occasion. Mais le clergé sut faire un excellent emploi de ce don, et pour prévenir tout inconvénient, il eut soin de réunir le peuple dans les églises, de lui donner l'instruction nécessaire, alla d'éviter toute apparence de désordre.

Il n'en résulta que du bien ; le peuple se contenta de crier : Vive de Potter ! et tout fut dit.

Vous voyez, messieurs, qu'il y a des cas où l'intervention de la charité privée est tout à fait nécessaire, parce qu'elle n'a pas les mêmes susceptibilités, parce qu'elle ne porte pas la même responsabilité que l'administration publique.

Je suis loin de blâmer la prudence extrême des autorités auxquelles M. de Potter s'était d'abord adressé. La seule conséquence que j'en tire, c'est que la charité publique est quelquefois impuissante, tandis que la charité privée peut agir efficacement.

On a cité hier, en faveur de la charité centralisée, des autorités respectables. L'honorable M. Tesch vous a parlé de l'abbé de Feller, savant jésuite, qui a honoré le pays par ses écrits. Il y a d'abord une observation à faire à cet égard : c'est qu'il faut bien reconnaître que le problème du paupérisme n'a pas été étudié dans les siècles précédents, ni approfondi comme il l'est aujourd'hui.

Mais je ferai une autre remarque en réponse à cette objection comme en réponse à plusieurs autres de la même nature qui ont été faites par l'honorable membre : c'est que l'organisation publique de la charité était, du temps de de Feller, toute différente de ce qu'elle est aujourd'hui ; la religion catholique était la religion de l'Etat, et l'on comprend parfaitement bien que si ce savant jésuite a appuyé la centralisation religieuse qui existait alors, il se serait probablement refusé à donner son appui à la centralisation telle que l'honorable membre veut l'introduire en Belgique.

C'est là, messieurs, une observation fondamentale qu'il ne faut pas perdre de vue, lorsqu'on examine la situation dans les siècles antérieurs. Car enfin quoique, dans l'organisation religieuse, il puisse y avoir des abus, quoiqu'il y en ait eu souvent, surtout dans les temps passés où toutes ces questions étaient moins étudiées, cependant il faut dire que, en général, la religion est un grand contrepoids aux inconvénients de la centralisation exclusive, parce que la religion moralise et qu'en moralisant elle dicte les devoirs à l'ouvrier ; que, par conséquent, elle ne fait pas naître, elle écarte même l'idée dangereuse, si répandue aujourd'hui, du droit à l'assistance.

Messieurs, ne doit-on pas avouer qu'il y a une immense différence entre la misère telle qu'elle existait autrefois, et ce qu'on est convenir d'appeler le paupérisme ? Le paupérisme est une calamité des temps modernes. Le paupérisme résulte de l'individualisme qui a succédé au moyen âge et qui a morcelé la société. Le moyen âge avait ses vices et ses abus, l'état de la société réclamait des réformes. Le moyen âge s'appuyait sur l'inégalité des conditions, sur les privilèges qui donnaient lieu à de graves abus ; mais il y avait des éléments de sociabilité qui neutralisaient souvent ces abus et écartaient les dangers qui pouvaient résulter de la féodalité ; le principal de ces moyens, c'était la solidarité.

Chacun était responsable non seulement de ses œuvres, de ses actions, mais des actions de ceux qui leur étaient subordonnés. Le maître répondait de l'ouvrier, et l'ouvrier dépendait du maître. On peut critiquer cet état social ; j'ai déjà dit que cette époque avait ses abus, qu'elle était loin d'être parfaite, mais on comprend que dans un tel état de la société, le paupérisme, comme résultat de la condition sociale, était impossible.

La misère existait ; l'indigence pouvait prendre des propositions plus ou moins dangereuses, plus ou moins effrayantes ; mais ce danger était accidentel ; il n'était pas inhérent à l'état social comme le paupérisme actuel qui résulte, je le répète, de l'individualisme, de l'absence de responsabilité et de subordination.

C'est l'individualisme, messieurs, qu'il faut combattre, et comment le combattre si ce n'est par des moyens opposés ? Et qu'est-ce qui est opposé à l'individualisme ? L'association, l'association morale avant tout, et par conséquent religieuse, surtout lorsqu'il faut agir sur l'esprit du peuple. Car l'association qui ne serait pas morale, et elle n'est pas morale pour les pauvres lorsqu'elle n'est pas religieuse, l'association elle-même présenterait de graves dangers, lorsqu'elle n'aurait qu'un but matériel.

J'arrive, messieurs, à la question des congrégations religieuses. Elles ont été bien injustement traitées, elles ont été calomniées dans cette enceinte. On a parlé à ce propos et de mainmorte et de résurrection des couvents, et de je ne sais quelles choses monstrueuses qu'on croit découvrir dans les institutions de l'Eglise. On a cru voir dans les couvents la domination du pouvoir religieux sur le pouvoir temporel.

Enfin on a évoqué à cette occasion le souvenir de tous les abus qui ont pu exister dans le monde. On n'a pas compris que cette question doit être envisagée au point de vue de l'histoire. Messieurs, permettez-moi de vous faire connaître, à ce sujet, l'opinion de quelques hommes célèbres dont certes vous ne récuserez pas le témoignage ou dont le témoignage ne vous paraîtra pas suspect en cette matière.

Voici comment Voltaire s'est exprimé sur la question des couvents :

« Ce fut, dit-il (il parle des couvents des temps anciens), ce fut une consolation pour le genre humain, qu'il y eût de ces asiles ouverts à ceux qui voulaient fuir les oppressions du gouvernement goth et vandale. On échappait dans la douceur des cloîtres à la tyrannie de la guerre. Les lois féodales ne permettaient pas qu'un esclave fût reçu moitié, mais les couvents savaient éluder la loi. Les couvents cultivaient la terres chantaient les louanges de Dieu, vivaient sobrement, étaient (page 1436) hospitaliers ; leurs exemples pouvaient servir à mitiger la férocité des temps barbares. »

Il ajoute, en parlant des couvents de son temps : « Il n'est guère de couvent qui ne renferme des âmes admirables, qui font honneur à la nature humaine. Les crimes commis par les religieux n'ont été si remarqués que par leur contraste avec la règle. »

Plus loin, Voltaire met au rang des services rendus à la société, ceux qui ont pour objet le soulagement des pauvres et des malades par les couvents, et alors il s'écrie :

« Il n'est rien de plus grand sur la terre que le sacrifice de la beauté, de la jeunesse, souvent de la haute naissance, pour soulager dans les hôpitaux ce ramas de toutes les misères humaines, dont la vue est si humiliante pour l'orgueil humain, si révoltante pour notre délicatesse ! »

Ces passages sont extraits de l’Essai sur les mœurs.

Je disais qu'il faut examiner cette question au point de vue de l'histoire. Quelle a donc été la cause de la création de ces associations ? C'est encore la transformation de la société. Reportons-nous à l'origine des monastères et des couvents. C'est lorsque le christianisme avait brisé les chaînes de l'esclavage. Que devait-il donc faire de ces millions d'hommes qui lui tombaient sur les bras ? Il leur donnait la liberté civile, la liberté politique, et il n'aurait pas pu leur donner du pain ! Il fallait un moyen social et énergique pour maintenir la vie aux esclaves affranchis et pour ne pas les laisser tomber dans un dénuement complet. Voilà la première cause de la création des monastères.

Rappelez-vous que les deux tiers du genre humain étaient plongés dans l'esclavage, lorsque le Christ est venu apporter la bonne nouvelle à la terre.

Un grand écrivain des temps modernes, le comte de Maistre, a dit que le christianisme a remplacé l'esclavage corporel et forcé de l'antiquité, par l'esclavage spirituel et volontaire de la vie monastique.

Ce sacrifice volontaire était une nécessité, pour créer, par le travail agricole, des ressources suffisantes à l'accroissement de la population rendue à la liberté.

Un autre auteur, M. Guizot, s'exprime sur les couvents de la manière suivante :

« La société civile, nationale, provinciale ou municipale était en proie à toutes sortes de désordre ? Elle se dissolvait de toutes parts. Tout centre, tout asile manquait aux hommes qui voulaient discuter, s'exercer, vivre ensemble ; ils en trouvèrent un dans les monastères. La vie monastique allume un foyer de développement intellectuel ; elle sert d'instrument à la fermentation, à la propagation des idées. Les monastères du Midi sont les écoles philosophiques, du christianisme ; c'est là qu'on médite, qu'on discute, qu'on enseigne ; c'est de là que partent les idées nouvelles, les hérésies même. » Tel est le langage que tient M. Guizot dans l'Histoire de la civilisation.

Les monastères ont produit les plus grands hommes dont parle l'histoire Les Descartes, les Racine, les Pascal, les Corneille, les La Bruyère ont été élevés par des moines.

Messieurs, il y avait au moyen âge des majorats, et voilà la source des graves abus qui se sont rencontrés dans bien des couvents.

Qu'arrivait-il à l'occasion de ce qu'on appelait les majorats ? C'est que les familles envoyaient souvent dans les couvents leurs cadets qui manquaient de vocation et de fortune et qui y apportaient leurs convoitises leur ambition, leurs passions, et ces abus provenaient de l’immixtion du pouvoir civil dans les affaires des couvents.

Qu'a fait encore l'Eglise, depuis l'abolition des majorats ? Elle a en grande partie introduit par les congrégations religieuses des majorats volontaires, en ce que les personnes qui entrent en religion se contentent ordinairement du revenu de leurs biens et cèdent le capital aux autres enfants.

C'est en grande partie une substitution du majorat volontaire au majorât légal, lequel, malgré ses inconvénients, a un bon côté social, qui consiste dans la conservation du patrimoine et du maintien de la famille. C'est ce qui est reconnu en Angleterre. Cette institution ne présente plus les inconvénients d'autrefois, du moment qu'elle écarte la contrainte, et qu'elle est l'effet du libre choix de ceux qui y entrent.

Voilà, messieurs, de quelle manière on doit considérer la question des couvents dans les temps anciens ci modernes. Ils ont toujours été le résultat des circonstances. Il n'y a pas jusqu'aux ordres mendiants qui ne répondent aux besoins de l'époque qui les a vus naître. Les cathares, les vaudois et d'autres hérétiques affectaient la sainteté qu'ils faisaient consister dans la mendicité. Ils séduisaient par là le peuple ignorant. L'Eglise institua des ordres nouveaux, chargés de la prédication, et qui, par une véritable austérité, durent mendier le nécessaire, pour gagner la confiance du peuple égaré.

Après tout, si les couvents présentent des abus, les libertés modernes sont là pour les faire cesser. Ceux qui crient sans cesse à l'envahissement de l'esprit monastique prouvent qu'ils n'ont pas de confiance dans la liberté. Ils ne veulent pas voir que là où il y a liberté il y a des abus à côté.

Est-ce que la liberté d'association ne permet pis l'érection des sociétés secrètes ? Pourquoi ne parle-t-on pas des dangers de ces association- ? Est-ce que la liberté de la presse ne donne pas lieu à des excès, à des abus ? Pourquoi ne s'élève-t-on pas contre cette liberté ? La liberté de conscience qui a mis au XVIème siècle l'Europe à feu et à sang n'a-t-elle pas aussi ses dangers ?

Nous acceptons ces libertés parce que nous sommes assez forts pour les supporter dans toute leur étendue. C'est pour cela que nous les avons inscrites dans notre Constitution. Pourquoi raisonnerions-nous autrement pour ce qui regarde une des conséquences de la liberté religieuse ?

Ne voyez-vous pas dans les diverses parties e l'Europe que ces institutions, grâce à la liberté et au bon usage qu'on en fait, se modifient suivant les circonstances ? Voyez comment les associations religieuses se sont transformées, ont pris une direction analogue aux circonstances ! Voit-on tant de couvents qui ne s'occupent ni d'instruction, ni de prédication, ni d'études, ni des soins à donner aux malades ? Non. Les associations religieuses ont presque toutes pour but de soulager les malades, les malheureux, d'instruire la jeunesse, ou d'exercer le ministère ecclésiastique ; et encore pour ce qui regarde l'instruction, on voit que les congrégations se modifient d'après les circonstances et d'après les besoins.

Il y a, en proportion de la population, plus de frères de la doctrine chrétienne dans les grandes villes de France que dans celles de Belgique.

Pourquoi ? Parce qu'on a compris depuis 1848, c'est depuis cette époque que les associations des frères se sont surtout multipliées en France, parce qu'on a compris que les écoles y étaient mal dirigées ; la statistique a constaté que les deux tiers des instituteurs étaient socialistes. C'est ce danger qui a fait comprendre la nécessité de développer les institutions chrétiennes pour améliorer l'état de l'instruction du peuple.

Voyez ce qui se passe en Belgique, faites la comparaison entre nos provinces, voyez-vous les institutions religieuses se multiplier de la même manière partout ? C'est surtout dans les Flandres qu'on les rencontre. Pourquoi ? Parce que c'est là que le besoin s'en est fait sentir, parce qu'il fallait combiner les moyens de combattre le paupérisme dont je vous ai parlé tout à l'heure, le travail, l'instruction, la religion. C'est là que les associations ont pris le plus d'extension, parce que c'est dans les Flandres que le besoin s'en est fait le plus sentir.

Je tiens en main un tableau qui est le résultat des informations que j'ai prises et des longues recherches que j'ai faites dans tout le pays relativement aux œuvres de charité.

C'est le résumé de ceux que j'ai publiés dans le Spectateur belge. Je l'ai dressé par province, je demanderai la permission de pouvoir l'insérer dans ses détails au Moniteur (Voir ce tableau à la fin delà séance).

Ou comprend que ces statistiques, comme toutes les statistiques, ne peuvent être qu'approximatives. Mais au lieu d'exagérer en faveur de la charité privée, je suis resté, dans le doute, en dessous de la vérité.

D'après ce tableau il y a 234 hôpitaux qui sont fondés par la charité privée, dans lesquels il y a 1,453 religieux ou religieuses, chiffre approximatif car, je le répète, je n'ai pu établir ces résultats que par approximation ; 14.800 malades sont traités dans ces hôpitaux ; ils coûtent 2,484,287 fr. par an : il y a 306 écoles primaires de garçons, dirigées par 1,196 religieux, fréquentées par 50,909 élèves et dont la dépense est de 521,590 fr. ; pour les filles, il y a 444 écoles primaires dirigées par 1,796 religieuses, fréquentées par 65,358 tilles et dont la dépense s'élève à 6,237 fr. 40.

Les écoles dominicales qui servent à donner non seulement l'instruction religieuse, mais aussi l'instruction scientifique, ces écoles sont au nombre de 336, dirigées par la charité privée ; elles renferment 176,034 élèves et les dépenses se montent à 172,413 francs.

Les écoles dentelières d'après le tableau sont au nombre de 374 sous la direction de religieuses ; elles sont fréquentées par 39,697 élèves et donnent pour le pays un produit annuel qui peut être évalué à 4,152,909 francs.

La société de Saint Vincent-de-Paul a 277 conférences ; je dois dire que je me suis tenu encore ici en dessous de la réalité, parce que j'ai écarté tout ce qui m'a paru douteux ; j'ai même reçu des reproches de ce chef et des journaux ont fait remarquer que je n'avais pas renseigné toutes les œuvres.

Les orphelinats sont au nombre de 123. Il y a dans ces établissements 4,474 orphelins qui donnent lieu à une dépense de 706,308 fr.

Les écoles gardiennes entretenues par la charité privée, sont au nombre de 96. Il y a 35,972 enfants, et la dépense s'élève à 369,094 fr.

Ensuite il y a 24 à 25 fermes de bienfaisance qui se trouvent particulièrement dans les deux Flandres.

Je tenais surtout faire à voir, messieurs, que ces établissements sont fondés d'après les besoins, et qu'ils ne peuvent s'étendre d'une manière arbitraire.

Je viens de vous donner le chiffre des écoles dentelières, des élèves qui s'y trouvent, ainsi que du produit. Je m'arrête à ce dernier chiffre, qui me suffira pour faire comprendre ma pensée. Le chiffre total du produit des écoles dentelières est de 4,152,909 fr. Savez-vous quelle est la somme qui revient aux deux Flandres ? 3,880,000 fr. par an, produit du travail de ces enfants qui sont en apprentissage depuis l'âge de 7 ans jusqu'à celui de 16 ou 18.

En comparant ce chiffre à celui des bureaux de bienfaisance des deux Flandres, le produit de ces seules écoles l'emporte sur le produit de tous les bureaux de bienfaisance, qui était en 1850 de 3,400,000 fr.

Voilà ce qui a été organisé par la charité privée, par les congrégations religieuses.

Les fermes de bienfaisance, qui sont d'une grande utilité dans les (page 1437) deux Flandres, se sont-elles répandues partout ? Les voit-on dans la province de Liège, dans la Hainaut, au milieu de ces populations qui sont dans l'aisance ?

En aucune manière. Mais on les voit s'établir par l'esprit de charité, là où le besoin s'en fait sentir.

Des vingt-quatre fermes sur lesquelles j'ai pu obtenir des renseignements (il en existe davantage), il y en a quinze dans la Flandre occidentale, cinq dans la Flandre orientale, trois dans la province d'Anvers et une dans le Brabant.

Encore un mot sur ce que j'appelais tout à l'heure la combinaison des œuvres, des moyens et des efforts pour anéantir le paupérisme.

Que se passe-t-il dans ces institutions ? Pensez-vous que les choses y marchent d'une manière uniforme et machinale ? Nullement. Tout se modifie d'après les circonstances. Entrez dans une ferme de bienfaisance. Là le travail est fondé avant tout sur l'agriculture. Comme vous le savez, d'après les progrès de la science, c'est de préférence au travail agricole qu'il faut appliquer les pauvres.

A côté de ce travail, il y a le travail du lin, le travail de la dentelle, le travail des machines nécessaires à l'agriculture. Tout cela plus ou moins se trouve dans ces fermes. Ce qui s'y trouve aussi c'est la satisfaction, le bonheur qu'on lit sur les figures. C'est l'effet de la charité morale et religieuse, des soins tendres et affectueux qu'on y prodigue aux pauvres.

L'instruction doit être donnée surtout à l'enfance en même temps que le travail ; car ces deux choses doivent se combiner pour qu'on puisse arriver à la solution du problème du paupérisme.

On dit que le travail qui se donne dans les écoles fait tort au progrès de l'instruction. Mais ignore-t-on donc ce qui se passe, je ne dis pas seulement dans notre pays, dans les Flandres, mais en Angleterre ? Ne sait-on pas qu'on a les plus grandes peines du monde à attirer les enfants pauvres aux écoles ? El si l'on ne trouvait pas le moyen de les y entraîner par l'appât du gain, d'un salaire, ils préféreraient se livrer au vagabondage et à la mendicité. Ils s'y livrent quelquefois par la spéculation des parents. Je vais plus loin ; j'ai la preuve qu'ils s'y livrent par une spéculation tacite de certains membres des bureaux de bienfaisance.

Il faut donc, pour donner une instruction quelconque, attirer les enfants par le travail. A côté du travail, on donne la soupe, des habillements, des récompenses. De là des dépenses qui se rattachent à ces écoles, particulièrement aux écoles dentellières. En général, elles ne sont pas prélevées sur le produit. Je vais expliquer pourquoi. Ces dépenses sont couvertes par la charité privée. Pourquoi des dépenses ne sont-elles pas prélevées sur le produit ? En vous l'expliquant, je vais vous signaler l'immense bienfait de ces institutions.

Savez-vous ce qui résulte directement de ces nombreux ouvroirs où l'on fait de la dentelle, de ces ouvroirs qu'on a eu tant de peine à créer, pour l'entretien desquels il a fallu combattre, pendant des années, les préjugés des cultivateurs ; car les cultivateurs n'en voulaient pas ? Ils prétendaient que c'était contraire aux mœurs agricoles, que le travail agricole en souffrirait. Il y a des endroits où les curés étaient seuls contre tout le village, où ils ont triomphé, où ils sont parvenus à créer, par les faibles mains des enfants, un produit annuel de cent mille francs, à distribuer en salaires à tous les ménages pauvres de la commune.

C'est ce qui est arrivé, notamment à Ruysselede.

Je reviens à la question dont je m'étais un peu écarté.

On demande pourquoi dans ces écoles les dépenses ne sont pas en général prélevées sur les produits.

Les ateliers de dentelles travaillent pour compte de fabricants, souvent pour plusieurs. Cela assure l'écoulement régulier des produits, et facilite l'érection de ces écoles-manufactures.

Aussitôt que ces écoles ont été fondées, on en a reconnu les avantages. La spéculation s'en est mêlée et l'on a vu, dans presque toutes nos communes, s'élever autour de ces écoles fondées par les religieuses, d'autres écoles érigées par des particuliers qui n'avaient d'autre but que celui de la spéculation. Cette concurrence est bien légitime sans doute et il faut l'approuver, puisqu'elle tend à rendre le travail de plus en plus libre. Mais il en résulte qu'on ne peut même pas prélever sur le produit du travail des élèves de quoi leur donner une gratification, parce que du moment où l'on remarquerait une petite différence entre le salaire des écoles religieuses et celui des autres écoles, les enfants quitteraient les premières pousse rendre aux secondes.

Vous voyez comment la liberté sur laquelle reposent ces institutions, est assez forte pour en faire disparaître les inconvénients.

Mais, messieurs, si ces écoles fondées par des industriels et dans un but de spéculation, comme j’avais l'honneur de le dire, présentent des avantages au point de vue du travail, elles présentent des inconvénients sous d’autres rapports, inconvénients que les premières institutions font disparaître. Quels sont ces inconvénients ? C’est l'absence d'instruction dans les écoles des particuliers, car les particuliers et les industriels ne songent avant tout qu'à une chose, c'est le travail.

Souvent même les institutrices que l'on met à la tête des écoles dentellières pour enseigner la dentelle, sont incapables d'enseigner autre chose. Il faut donc pour qu'une instruction soit donnée à cette jeunesse malheureuse, il faut qu'on en ait soin, qu'on l'entretienne, qu'on lui donne des gratifications, des récompenses, à côté du travail, dans l'école religieuse.

C'est à ce prix seulement, c'est à cette condition qu'on peut atteindre ce double but : de donner à la fois et le pain matériel et le pain intellectuel aux déshérités de la fortune.

Les évêques ont prescrit aux ateliers de consacrer tous les jours, à l'instruction scientifique, le temps convenable d'après les circonstances. L'instruction journalière se combine d'ailleurs avec celle qui est donnée dans les écoles dominicales.

On dit : Les écoles publiques sont là ; pourquoi confier les enfants aux écoles particulières ? Ah ! messieurs, ceci est bon en théorie ; mais en pratique ce raisonnement pêche par la base. Les écoles publiques sont là ; n'y en a-t-il pas à Bruxelles, n'y en a-t-il pas dans les grandes villes, telles que Gand, Anvers, Liège ?

Ces villes n'ont-elles pas assez de ressources pour ériger les écoles nécessaires et y faire instruire tous les enfants ? On devrait le croire et le désirer ; mais les faits ne se passent pas ainsi. On constate dans la jeunesse une grande ignorance, ignorance qui se révèle, d'un côté, de la part des miliciens, et M. le ministre de la guerre pourrait attester la vérité de mes paroles, et qui se révèle d'un autre cô'té à la première communion. Il m'est revenu qu'à la paroisse de Sainte-Gudule, cette année, il y a eu à peu près la moitié des enfants pauvres admis pour la première communion, qui ne savaient pas écrire, et plus d'un tiers qui ne savaient pas lire.

Voilà ce qui se passe dans la ville de Bruxelles et l'on viendrait, d'après une idée préconçue, et, j'ose le dire, systématique, soutenir que les écoles publiques suffisent !

Non, messieurs, elles ne suffirent pas, et je ne crains pas de dire qu'alors même qu'elles seraient assez nombreuses, alors même qu'il y aurait assez d'instituteurs et d'institutrices, vous ne pourriez pas espérer d'y recevoir tous les enfants. Pourquoi ? Parce qu'on préfère ne pas fréquenter l'école, parce qu'on préfère se livrer au vagabondage, à la mendicité, quelquefois à la dissipation et à toute la démoralisation qui en résulte.

Voilà l'état réel, l'état vrai de la société. Il faut le prendre tel qu'il est et ne pas procéder par des théories.

Messieurs, quel est notre système ? C'est de voir prospérer les écoles primaires, qu'il faut le dire, sont généralement bien dirigées dans notre pays, beaucoup mieux qu'en France et dans les autres pays ; mais il faut à côté de ces écoles, comme il le faut en toute chose, il faut laisser la liberté se développer. C'est ainsi que la Belgique peut atteindre ses destinées qui sont toutes libérales.

A propos des couvents, on a dit encore que c'était une affaire de spéculation. Je viens de vous faire voir, dans les ouvroirs, comment cette spéculation est difficile, pour ne pas dire impossible. Maintenant parlons des pensionnats. Mais dans les Flandres particulièrement, les pensionnats sont à très bas prix. Croiriez-vous que dans la plupart de nos communes, le prix de la pension est de 275 à 300 francs par an ? Et l'on y est si bien, qu'il n'est pas rare d'y rencontrer des enfants de très bonnes familles. Voilà comment on fait de la spéculation ! Or, à côté de ces pensionnats, il y a presque toujours des écoles des pauvres sous la même direction et dans un but de charité bien louable que nous devons tous approuver. Les petits bénéfices qui peuvent résulter de l'écolage ou du pensionnat servent à couvrir les frais de l'école gratuite ; car presque toujours les communes font défaut quant aux subsides à donner pour l'instruction des enfants pauvres.

Les économies que nos congrégations religieuses réalisent en faveur des pauvres proviennent en grande partie de la réunion de diverses œuvres sous une même direction, résultat que la bienfaisance ne peut donner.

On nous a distribué, messieurs, à la demande de plusieurs membres de la Chambre, une statistique qui donne le nombre des couvents et des religieux en Belgique. Cette statistique, j'en ai la conviction, a été dressée consciencieusement, mais elle renferme un grand nombre d'inexactitudes, que je ne relèverais pas, si cette statistique n'avait pas fait tant de bruit.

Vous comprendrez, messieurs, que pour dresser des statistiques pareilles, il faut être au courant de tout ce qui se passe dans ces maisons.

Or, on peut dire que ceux qui ont envoyé ces renseignements ne se sont pas donné la peine ou n'ont pas été à même de vérifier l'exactitude de leurs calculs.

Il y a beaucoup d'inexactitudes et surtout de doubles emplois. D'après les renseignements qui me sont venus de plusieurs provinces, on peut défalquer à peu près le quart du chiffre total.

Ainsi, les nombres des frères de Notre Dame de la Miséricorde de Malines pour toutes les maisons de Belgique est porté à 107, tandis que d'api ès mes renseignements, qui sont positifs, il n'y en a en tout que 85.

Des religieuses d'Anvers ont une école ; elles sont renseignées comme si elles n'en avaient pas. Il en est de même pour des religieuses de Nivelles.

A Hal, on porte à 43 le nombre des religieux conventuels, tandis qu'il n'y en a que 22 ; mon correspondant me fait remarquer que si l'on ajoute le nombre des pensionnaires à celui des religieux, on arrive au chiffre 43, de sorte que c'est probablement l'ensemble du personnel qu'on a renseigné.

Dans le Hainaut, on porte le nombre des carmélites déchaussées de Tournai à 31 ; il n'y en a que 21 ; c'est le nombre fixé par la règle. La statistique fait mention d'un couvent à Moustier. Il n'y en a point ; les institutrices qui y tiennent l'école ne sont pas des religieuses.

(page 1438) Dans la Flandre occidentale, il y a un grand nombre de doubles emplois, je ne les énumérerai pas tous ; mais on comprend comment ces doubles emplois ont eu lieu : c'est qu'on a demandé le chiffre des religieux attachés aux maisons-mères et qu'on a renseigné souvent le chiffre total de la communauté ; puis dans les localités où il y a des affiliations, on a pris encore une fois le nombre des religieux qui s'y trouvent.

Dans certains cas, il y a eu triple emploi. On a déjà parlé de la Flandre occidentale ; aussi, je ne prendrai pas mes exemples dans cette provinces passant à la Flandre orientale, je trouve qu'à Renaix on compte 93 frères, tandis qu'il n'y en a que 25 en tout. On renseigne 81 sœurs à Waesmunster ; il n'y en a pas plus de 15 dans la maison mère.

A Gand, on compte 67 religieuses de l'Enfant-Jésus ; il n'y eu a que 20.

Pour ce qui regarde le béguinage, il y a une autre erreur plus grave encore. D'abord, je ne sais jusqu'à quel point ou peut prendre le béguinage pour un couvent, à moins qu'on ne prenne pour des religieuses, par exemple, les diaconesses protestantes qui se rencontrent en Allemagne et en Hollande, et qui même s'obligent pour trois ans, tandis que les béguines ne contractent aucune obligation pour l'avenir. Mais les inexactitudes sont plus graves. A Grammont, par exemple, on renseigne 71 béguines, tandis qu'il n'y en a pas. Le bâtiment de l'ancien béguinage est habité par des personnes laïques ; le béguinage, comme tel, est supprimé depuis soixante ans.

Une autre erreur grave, qui s'explique par les renseignements incomplets, c'est qu'on a souvent omis de signaler les occupations matérielles ou intellectuelles des religieux, qu'on fait passer ainsi à tort pour contemplatifs.

A Courtrai, on parle aussi de béguines ; mais on ne fait pas mention des écoles qui se trouvent au béguinage. Or, il y en a plusieurs, une notamment qui est tenue par une personne appartenant à une famille très honorable de la ville, personne très distinguée et qui n'aurait qu'à aller habiter à cinq pas de là et à prendre un autre costume, pour être considérée, même par nos adversaires, comme une des premières institutrices du pays.

Messieurs, les objections qu'on a faites contre les couvents en général et qui sont fort injustes, ont un caractère dangereux dans l'étal actuel de la société. On reproche aux couvents l'oisiveté, la fainéantise. Mais le plus souvent on ne tient pas compte du ministère ecclésiastique, de l'enseignement, du travail qui font l'objet de leur institution. Lorsqu'on parle d'ordres contemplatifs, on néglige souvent ce côté de la question. Eh bien, il est fort peu d'ordres contemplatifs qui ne doivent pas se livrer à l'une ou à l'autre des occupations utiles dont je viens de parler.

Ou traite les membres des couvents d'oisifs, de fainéants. N'entend-on pas adresser le même reproche à d'autres personnes ? N'y a-t-il pas des économistes qui ont divisé la société en membres actifs et non actifs, en membres productifs et non productifs. Comment a-t-on qualifié les propriétaires ? Ne les a-t-on pas qualifiés de gens oisifs ?

Je sais très bien que la science n'est plus aussi matérielle ; depuis quelque temps, elle a fait des progrès. L'économie politique admet les services personnels comme moyens de production, services qu'elle répudiait à une époque antérieure.

Mais en quoi consistent ces services personnels ? Examinons cette question. Pour ne rien dire au hasard, je vous citerai un passage d'un économiste distingué, d'un professeur d'économie politique de l'université de Heidelberg, de M. Charles Rau.

Voici ce qu'il dit des services personnels, comme moyen de production :

« C'est à tort qu'on a contesté aux services personnels toute action productive. Beaucoup de travaux, ceux notamment qui ont pour objet de protéger la sûreté, la santé, la moralité et de répandre l'instruction publique, soit que le gouvernement, soit que les particuliers en aient la direction, ont une immense influence sur l'économie nationale et particulièrement sur la production. Mais ce n'est là qu'un effet éloigne de ces travaux qui, par leur action immédiate et leur fin directe, sont de la plus haute importance pour la société. »

Ainsi d'après M. Rau on a contesté en général aux services personnels toute action productive.

C'est une erreur qui règne encore chez le peuple. Là encore on confond quelquefois les propriétaires avec les moines pour ce qui regarde l'activité, pour ce qui regarde le travail ; on les traite aussi des gens oisifs.

« Beaucoup de travaux, dit cet auteur, ceux notamment qui ont pour objet de protéger la moralité, la sûreté, la santé, se rapportent aux services personnels. A ces travaux se rattachent, entre autres, les professions de médecin, de juge, d'avocat, aussi bien que celle de capucin, par exemple, qui consiste à protéger la moralité par la prédication cl par les autres devoirs du ministère ecclésiastique. Si l'on nie les services personnels, qui se rapportent à la moralité, ne suggère-t-on pas l'idée de nier ceux qui se i apportent à la santé, à la sûreté, etc. ? On voit dons que les attaques dirigées contre les couvents retombent sur les professions les plus honorables, comme sur les propriétaires, et qu’elles présentent surtout un grand danger aujourd'hui que les idées socialistes sont si répandues ? »

Ainsi, d’après les progrès de la science économique, nous devons admettre parmi les semées productifs les services personnels. Mais comme le fait très judicieusement observer M. Rare, on ne peut pas écarter de ces services personnels ceux qui se rapportent à la moralité, à l'instruction ; car si vous les écartez, vous n'avez plus de base et vous êtes forcément amenés à n'admettre que les services matériels.

Eh bien, messieurs, si vous tenez compte de la moralité, de l'instruction, de la santé, quelles sont les maisons religieuses qui n'offrent pas des avantages sous l'un ou l'autre de ces rapports ? Toutes, j'ose le dire, rendent des services personnels, non pas au même degré, mais à un degré quelconque, et, par conséquent, toutes contribuent d'une manière indirecte au grand labeur national et économique, à la production des richesses. Qu'on ne crie donc plus contre les oisifs, contre les fainéants !

Messieurs, voilà les services que rendent les congrégations religieuses. Mais il y a d'autres associations qui n'en rendent pas moins ; il y a des associations qui sont très utiles pour les pauvres et qui n'ont pas de caractère religieux proprement dit. Il y a à cet égard une remarque à faire, qui rentre dans celles que j'ai déjà présentées, à savoir que les associations se modifient dans leurs tendances, d'après l'esprit du siècle. Autrefois, pour soulager le pauvre et pour l'instruire on ne voyait que les monastères et les couvents ; aujourd'hui, à côté de ces institutions qui sont bien précieuses et quelquefois nécessaires, il y a d'autres associations, il y a des associations plus proportionnées aux besoins de l'époque, qui prennent, je dois le dire, un caractère moins exclusivement religieux, moins austère, plus laïque, si vous voulez. Et pourquoi ? Afin de mieux pénétrer au sein de la société qui a perdu, en grande partie, les convictions religieuses.

Le contact des pauvres avec les religieux est devenu plus difficile. Mais la charité chrétienne, toujours ingénieuse, toujours féconde dans ses moyens de salut, a suggéré l'idée d'autres associations : on a vu surgir en France, en Allemagne, en Hollande, dans le nouveau monde, en Belgique, on a vu surgir ces associations de dames et de messieurs de la bonne société qui se répandent partout, qui partout vont consoler le pauvre, étudier ses besoins et lui apporter des soulagements matériels et des consolations morales. Le caractère laïque, en rapport avec les besoins de l'époque, l'emporte dans ces circonstances.

C'est encore, messieurs, le fruit de la liberté. Ces associations inspirent des préjugés, mais quelles sont donc les institutions qui n'en inspirent point, surtout aujourd'hui, du moment qu'elles présentent une tendance religieuse quelconque ? On est allé jusqu'à dire, dans cette enceinte, que la société de St-Vincent de Paul, dans quelques-unes de nos villes industrielles, attirait les pauvres et qu'elle servait à éluder le domicile de secours.

Messieurs, je ne veux pas vous énumérer les inconvénients qui se rattachent à l'institution du domicile de secours. On en a parlé beaucoup dans d'autres pays, en Hollande notamment, mais je dirai ceci : lorsque l'ouvrier, attiré soit par l'espoir du travail, soit quelquefois même par la spéculation des industriels, se trouve loin de son lieu de domicile de secours et tombe malade ou tombe dans le besoin, soit par suite de malheurs, soit par défaut de travail, soit même, si vous voulez, par l'entraînement du vice, faut-il donc l'abandonner, le laisser mourir ? C'est cependant ce qui arriverait si la charité privée ne venait pas à son secours.

Mais, messieurs, si l'idée émise ici par un honorable député de Verviers était suivie en France et si l'on renvoyait en Belgique les malades, les pauvres, les malheureux Belges qui se trouvent au milieu du nombre immense d'ouvriers qui out émigré chez nos voisins ; mais on nous renverrait peut-être plus de 10,000 malheureux ! Voilà ce qui arriverait si l'on entendait les choses d'une manière aussi matérielle, j'allais dire aussi égoïste, aussi inhumaine.

On a tiré une objection contre nous de la prospérité même de nos œuvres de charité, et l'on a dit : Pour créer ces œuvres et pour les faire prospérer, on n'a pas besoin de la personnification civile. J'admets qu'un grand nombre de ces œuvres peuvent s'établir et s'étendre sans recourir à cette forme, sans recourir à la personnification civile. Je vais même jusqu’à dire que les entraves apportées à la personnification civile suffiront pour faire reculer beaucoup d'associations devant l'adoption de cette forme d'existence.

Mais s'il est beaucoup de cas où l'on peut se passer de la personnification civile, il en est d'autres où, dans l'intérêt des pauvres, cette forme est désirable et même nécessaire. Quelle est la circonstance où il faut l'accepter ? C'est celle où le donateur en fait une loi, et ce cas se présente fréquemment.

Eh bien, messieurs, plutôt que de priver les pauvres du bienfait d'une donation, d'un legs, il faut nécessairement recourir à cette institution.

Il faut qu'il y ait stabilité dans les œuvres de charité, et comme l'honorable M. de La Coste l'a très bien fait remarquer dans une séance précédente, cette stabilité est d'abord dans l'œuvre puis dans l'esprit de l'œuvre. L'esprit de l'œuvre se perpétue par la fondation. Si ce moyen nous était refusé, il arriverait fréquemment que l'on recourrait à des pays étrangers, pour créer une affiliation avec des maisons reconnues par l'Etat dans ces pays, soit en Hollande, soit en France, soit dans d'autres pays. Je sais que la personnification civile n'existerait pas dans ce cas pour la Belgique, mais l'esprit se perpétuerait en se rattachant à une institution' reconnue par l'Etat en pays étranger. Ne serait-ce pas exposer le pays et ses institutions à la critique, à la risée de l'étranger ? (page 1439) On entrerait ainsi dans un système de centralisation qui s'étendrait au-delà des limites du pays.

On a dit, à propos des maisons religieuses, que la centralisation était une source d'économie. J'ai déjà fait comprendre que ce n'est pas toujours le cas ; mais si cela était toujours, il faudrait demander où est la limite de la centralisation. On a voulu centraliser à une autre époque ; on a créé des hôpitaux généraux, quel en a été le résultat ? L'économie ? En aucune manière, pas plus qu'on n'a obtenu ce résultat pour le travail par la création des ateliers nationaux.

On part toujours de cette idée que dans la charité privée, dans les congrégations religieuses, il n'y a pas d'esprit de centralisation. C'est une grave erreur ; j'ose le dire qu'en matière d'hospices, en effet, il y a, particulièrement dans les Flandres, des hospices créés par la charité privée qui s'attachent à centraliser leurs bienfaits en acceptant non seulement les infirmes de l'endroit, mais même les étrangers. Je citerai l'hospice de Saint-Laurent dans la Flandre orientale qui a coûté au-delà de 550,000 francs à Mlle Van Damme qui l'a fondé pour subvenir aux besoins de plusieurs communes environnantes.

Je ferai remarquer en passant que les médecins qui connaissent les besoins de nos campagnes se prononcent hautement en faveur d'hospices cantonaux, que la charité privée peut seule ériger, et qui seraient plus centralisés que ceux qui dépendent de la bienfaisance publique. Cette centralisation, qui n'exclut pas les autres avantages de la charité privée, est une source d'économie pour l'établissement que je viens dénommer. On conçoit que ces institutions ont besoin, pour s'établir et s'étendre, d'une stabilité qui leur soit garantie par la loi.

Il en est de même des fermes-hospices, en général ; elles entretiennent des personnes qui n'appartiennent pas à l'endroit, et peuvent facilement être converties en hospices cantonaux, si on leur laisse l'espoir de vivre dans l'avenir.

Messieurs, il est admis en principe économique que l'Etat est impuissant pour donner du travail ; il est impuissant chez nous pour imposer l'instruction, non pour la donner, mais pour la prescrire à certaines conditions, il est impuissant surtout en présence de nos institutions, de nos libertés, pour prescrire les devoirs religieux.

Cependant, il est certain que ces choses sont nécessaires, que le travail doit se combiner avec les éléments moraux, qu'on doit agir sur les ouvriers, sur les enfants et les parents par tous les moyens possibles, pour attaquer les nombreuses causes de la misère et couper le mal par la racine.

Cette combinaison, qui est le fait de la charité privée, des congrégations religieuses en particulier, ne peut pas se réaliser dans son ensemble par la charité publique.

Messieurs, il y a une autre raison qui fait comprendre l'importance de la charité religieuse, quant aux hospices et aux hôpitaux. Vous n'ignorez pas qu'il existe chez le peuple et cela partout, dans tous les pays, des préjugés, des préventions insurmontables contre les hôpitaux.

Le pauvre s'imagine que quand il y va, il va à la mort ; il doit rompre avec la famille, avec les affections qui l'entourent, il doit se séparer de tout ce qu'il chérit et s'abandonner à des inconnus, aller au milieu des morts et des mourants, comme il se l'imagine, entendre le râle des mourants à côté de son lit de douleur.

Voilà les idées qui le préoccupent, voilà pourquoi il préfère souvent rester dans le dénuement le plus absolu, pourvu qu'il soit dans la famille.

Ce sont des préjugés ; car en général sa position est meilleure à l'hôpital que chez lui. Il importe de lui faire voir qu'il a tort ; mais, pour vaincre ses préjugés, quels sont les moyens ? Pour suppléer aux soins de la famille il n'y a que les soins tendres et maternels que peuvent donner les religieuses et les personnes qui, par dévouement, par devoir religieux, veulent bien se sacrifier pour le bonheur du peuple, pour le bonheur du pauvre. Le pauvre en général comprend cet esprit de sacrifice, ce dévouement.

L'idée seule de voir une personne du monde, quelquefois fortunée, vivant au sein de l'abondance, quitter la maison paternelle, sa famille, ses amis, pour aller se renfermer dans un cloître, où elle se penchera au chevet du lit des malades pour recevoir leurs derniers désirs, leurs derniers soupirs ; cette idée fait comprendre au pauvre qu'il sera accueilli avec affection, qu'il trouvera au milieu de cas congrégations les soins de la famille.

Voilà les bienfaits de la charité privée, telle qu'elle se manifeste dans les associations religieuses. On dit que les sœurs dans les hospices civils rendent les mêmes services ; je l'admets ; mais en général, les hospices privés ont plus de moyens d'action dans le sens religieux, et par conséquent, répondent mieux aux besoins de la classe pauvre. Pourquoi donc leur refuser l'administration spéciale, d'où résulte la liberté d'action qui fait leur mérite ?

Nous avons des exemples qui font voir que ces maisons inspirent une pleine confiance. On a dit que les dons affluent vers les établissements publics et se retirent des établissements privés. Je ne répèterai pas ce qui a déjà été dit en réponse à cette objection, mais je citerai un fait ; dans la ville de Courtrai, depuis dix-huit ans, sur 33 fondations, il y en a eu trente en faveur de l'hospice fondé en1833 par la charité privée.

Les considérations, messieurs, je viens de présenter à la Chambre se rapportant à la troisième question que j'avais eu l'honneur d'indiquer, en abordant la discussion, savoir celle des administrations spéciales en matière d'institutions de charité.

Mais avant de continuer l'examen de cette question qui semble avoir surtout préoccupé la Chambre, je ne puis m'empêcher de dire quelques mots en réponse à l'honorable membre qui a porté la parole dans la séance d'hier.

L'honorable M. Tesch a soutenu, contre l'opinion que j'ai toujours défendue, que le système de la circulaire de 1849 est celui qui avait été suivi précédemment.

Ce système m'a paru si extraordinaire, si nouveau, que la première fois qu'il en a été question, c'était à propos du don de Mme de Montmorency, j'ai cru que c'était une distraction de l'honorable M. de Haussy. J'en ai parlé ici dans ce sens. J'ai fait, le premier, une interpellation à l'honorable M. de Haussy, au sujet de cette affaire, dont j'avais entendu parler à Vlamertinghe. Je ne doutais pas que ce fût une erreur de la part du ministère. J'étais persuadé que l'honorable M. de Haussy en serait revenu dès les premières explications. Mais il n'en fut pas ainsi, et, à notre grande surprise, on a vu peu à peu s'introduire ce système qui a été formulé dans la circulaire de 1849.

M. Frère-Orban. - Il avait été formulé dans la Chambre dès le mois de janvier 1847.

M. de Haerne. - C'est une question de date. Cela ne vaut pas une rectification, quant à l'établissement du système ; l'idée avait surgi dès 1847, je l'admets, puisque c'est vers cette époque que j'interpellai l'honorable M. de Haussy à ce sujet ; mais je répète que je ne pouvais pas croire encore que ce fût un système.

On a cité les lois françaises, les lois belges, et l'on a soutenu qu'elles étaient favorables au système de 1849. On a invoqué l'opinion de M. de-Melun. Je ne suis avocat ni d'Arlon, ni d'Ypres ; je ne suis pas même avocat. Mais je connais les faits, et ces faits sont tels, qu'il me semble qu'il n'y a aucune science, aucune habileté d'avocat, qui puisse y résister.

Pour ce qui regarde M. de Melun dont on a invoqué l'autorité, je dois croire qu'il a voulu parler du fait, mais pas du droit.

Que n'a-t-on pas vu en France, en matière de liberté ? La liberté d'enseignement était inscrite dans la charte de 1830. Savez-vous comment on a interprété cette disposition ? On a dit que cette liberté c'était l'action du gouvernement. Cela voulait dire que le gouvernement était libre de donner l’instruction et de la donner comme il l'entendait. C'était la liberté du gouvernement. C'était la liberté du monopole. C'est ainsi qu'on l'entendait. De même la liberté de la charité existait de droit, mais pas toujours de fait. Je crois que c'est là l'idée de l'honorable M. de Melun. En voulez-vous la preuve ? Je la trouve dans le Manuel des œuvres de charité, publié en 1852 à Paris, sous les auspices de Mgr l'archevêque Sibour et rédigé par M. de Melun, comme tout le monde le sait. Voici ce que je lis dans cet ouvrage :

« Reconnaissance d'une institution charitable comme institution d'utilité publique.

« Lorsqu'une association charitable veut être admise à faire des actes de la vie civile, comme posséder légalement, acheter, vendre, accepter des legs et donations, elle doit obtenir une décret du président de la république rendu en conseil d'Etat sur le rapport du ministre de l'intérieur, qui la reconnaît établissement d'utilité publique.

« A cet effet, la demande doit être adressée au ministre de l'intérieur, avec une expédition authentique de l'acte contenant les statuts de la société qui sollicite l'ordonnance.

« Toute disposition entre-vifs et par testament, faite au profit des pauvres ou d'un établissement de charité reconnu, ne peut recevoir d'effet qu'après l'autorisation du préfet lorsqu'il n'y a pas réclamation des familles.

« Les legs et donations faits à une société non reconnue ne lui donnent aucun droit. »

Voilà bien la reconnaissance de ce principe de la personnification civile en dehors des administrations publiques, c'est une chose évidente.

M. de Theux. - C'est clair.

M. de Haerne. - Il en est de même des bourses qui sont reconnues en France comme dans ce pays, c'est au fond la même question.

Quant aux bourses, c'est une chose qu'on ne conteste pas, comme on l'a déjà fait observer plusieurs fois dans cette discussion.

Mais il y a autre chose, c'est qu'il existe un très grand nombre de dons et legs, qui ont été acceptés par les congrégations en France. M. Isambert, en 1843, parlait de 60 millions de dons et legs qui avaient été faits en immeubles aux congrégations, de 1802 à 1843. Il disait que cette évaluation ne représentait que les deux tiers de la valeur réelle. Il évaluait donc à 150 millions les donations recueillies dans cette période de temps par les congrégations.

Le même Lambert estimait les dons et legs faits aux congrégations en argent et en valeurs mobilières à 300 millions.

M. Isambert exagère ; mais il constate le fait.

Une autre raison, c'est que les congrégations figurent au budget en France, depuis un demi-siècle, pour 155 mille francs, 14 mille francs pour les missions étrangères et 142 mille francs pour les congrégations de femmes.

Il a été accordé par l'Etat des bourses aux pensionnats religieux, savoir : 3 en 1836, 1 en 1837, 2 en 1838, 3 en 1839, 4 en 1840 et 5 en 1841.

(page 1440) Tout cela vous fait voir qu'on reconnaissait ces congrégations. Mais ce qui donne lieu en France à des équivoques, dans cette matière, c'est qu'il y a eu une époque néfaste où l'on a supprimé les vœux monastiques. De là est née une confusion. Parce que le gouvernement ne reconnaissait plus les vœux monastiques, on a cru, en confondant les vœux avec les congrégations mêmes, que celles-ci ne pouvaient être reconnues.

M. Frère-Orban. - Il y a une loi de 1825 qui autorise à reconnaître certaines congrégations.

M. de Haerne. - Je vais vous citer à l'appui de mon assertion, mon autorité ; c'est M. Janvier : « La loi révolutionnaire abolitive des ordres religieux, dit M. Janvier, ne signifie rien au-delà de ceci : que la loi constitutionnelle ne reconnaît plus les vœux monastiques. Ne pas les reconnaître, ce n'est pas les empêcher, c'est se déclarer, par rapport à eux, incompétent et indifférent. »

Ainsi, d'après M. Janvier, l'Etat ne reconnaît pas les vœux. On a pu en conclure qu'il ne reconnaissait pas les congrégations mêmes. De là la confusion d'idées dont je viens de parler. C'est peut-être aussi ce qu'a voulu dire M. de Melun.

Voilà comment je m'explique l'opinion de M. de Melun ; d'ailleurs, s'il n'en était pas ainsi, cette opinion serait en contradiction manifeste avec l'ouvrage de cet auteur, dont je viens de vous donner une citation, d'où il résulte à toute évidence que le gouvernement français peut donner la personnification civile aux congrégations religieuses.

On soutient que le système de la circulaire de 1849 existait en Belgique avant l'avènement du ministère du 12 août 1847 ; mais si je consulte les faits qui se sont passés, il m'est impossible d'admettre cette assertion.

Je vous lirai un passage de l'exposé del(a situation du royaume de 1841 à 1850, publié sous le ministère de l'honorable M. Rogier. Voici ce que. j'y lis à la page 270 :

« Chaque ville d'une certaine importance, et même plusieurs communes rurales, possèdent des hospices pour la vieillesse et des hôpitaux où les malades indigents sont traités gratuitement.

« Ces établissements sont administrés conformément aux dispositions des lois françaises rendues applicables à la Belgique ; leurs règlements varient suivant les localités. Les uns sont communaux, c'est le plus grand nombre ; les autres sont des fondations particulières, qui ont leurs revenus spéciaux, et qui sont régis et administrés par des commissions indépendantes des conseils des hospices. »

Il me paraît que cela est clair. Cela se trouve dans l'exposé de la situation du royaume de 1841 à 1851 ; et notez bien que l'on s'en réfère aux lois françaises pour expliquer l'existence de ces institutions indépendantes et régies par leurs administrations spéciales.

J'ai déjà dit, messieurs, que ces institutions doivent être admises, parce que, dans une foule de cas, les donateurs en font une loi et que ce serait priver les pauvres d'un bienfait que de ne pas vouloir consentir à l'érection de pareilles fondations.

Il faut admettre les institutions indépendantes, parce qu'elles sont reconnues dans tous les pays. Ce système est reconnu en France ; je viens de le démontrer ; il est reconnu en Angleterre, c'est une chose incontestable ; il l'est en Hollande, il l'est en Prusse, et dans ce dernier pays on entoure ces institutions des plus grandes précautions pour ne pas les dénaturer ; et dans la crainte de diminuer les dons et legs qui pourraient affluer à ces institutions, on a à peine organisé un contrôle sérieux.

Il y a une décision émanée du gouvernement prussien, d'après laquelle on reconnaît que les redditions des comptes ne peuvent pas être régularisées et annuelles, parce qu'elles porteraient une entrave à la libéralité en faveur de ces maisons.

En Hollande, comme je l'ai déjà dit, ce sont ces institutions qui sont la base de l'organisation de l'assistance publique. C'est à elles que s'en rapporte, avant tout, la charité publique pour l'entretien des pauvres. Les maisons de toute espèce y sont admises, les catholiques ont leurs maisons comme les protestants et toujours des administrateurs spéciaux. Amsterdam, les maisons des catholiques sont très nombreuses. La loi de 1854 leur a donné une nouvelle sanction.

Ne voyez-vous pas que si l'on n'admettait pas le même système pour la Belgique, ce serait jeter une défaveur sur nos institutions. Ce serait discréditer le pays à l'étranger ; j'en ai la conviction profonde. Ce serait faire voir au peuple belge, qu'il existe à l'étranger des libertés dont nous sommes privés ; ce serait l'engager à demander la liberté comme en Hollande, comme en Prusse, comme en France.

M. Coomans. - Comme en Piémont.

M. de Haerne. Comme partout ailleurs. Messieurs, ces maisons existent en grand nombre en Allemagne, non seulement dans les villes catholiques telles que Vienne et Cologne, mais à Berlin même, et dans d'autres villes protestantes ; on y trouve les institutions catholiques à côté des institutions protestantes.

Un auteur allemand protestant, mais impartial, M. Hoser, dans une histoire de la charité, parle avec beaucoup d'éloges de ces institutions de charité privée et donne le chiffre des religieuses qui se consacrent au soulagement des pauvres.

Il fait monter ce nombre à plus de 15,000. El l'on voudrait, messieurs, nous faire peur de pareilles institutions, tandis qu'elles sont populaires et le deviennent de plus en plus dans les pays protestants.

L'auteur que je viens de citer est assez impartial pour reconnaître que les congrégations religieuses sont une des grandes forces de l'opinion catholique et que la charité religieuse est une des plus belles émanations du dogme catholique.

M. Mohl, professeur à l'université d'Heidelberg, dans un écrit périodique qui paraît sous ses auspices, proclame une idée, qui, je le reconnais, devient trop absolue à notre point de vue, mais que je cite pour faire voir les tendances des hommes supérieurs qui savent se mettre au-dessus des préjugés.

Voici, messieurs, comment il s'énonce au sujet de ces maisons établies sur le pied de la personnalité civile. Il dit :

« L'Etat doit abandonnera l'Eglise les exhortations à faire en faveur de ces œuvres de bienfaisance, ainsi que le service de ces œuvres. Il doit remettre entre les mains de l'Eglise une tâche, pour l'accomplissement de laquelle les moyens et les forces lui font défaut. »

Telles sont les paroles de M. Mohl dans l'écrit périodique, qui se publie à Heidelberg sous le litre de : Zeitschrift fur die gesammte Staatswissen schaft, page 355.

Messieurs, on a beaucoup parlé du droit de propriété dans cette discussion, et je crois pouvoir l'invoquer également en faveur des institutions dont il s'agit.

Je sais bien que l'on répond que le droit de propriété est limité par la loi, qu'il doit s'exercer conformément à la loi. Mais ce raisonnement prouve trop, car si la loi ne doit respecter aucune limite, elle peut aller jusqu'à la destruction de la propriété elle-même.

Il faut donc un autre principe et ce principe doit être nécessairement ce qui est conforme aux précédents et à ce qui se passe ailleurs ; sans cela vous faites naître chez le peuple l'idée que vous avez porté atteinte à la propriété et cette idée peut être très dangereuse.

Il y a dans cette matière une foi pour le peuple ; il y a pour le peuple une foi spéciale qui doit sauver la société, comme il y a une foi politique qui doit sauver la patrie, comme il y a une foi religieuse qui doit sauver l'individu. Si vous repoussez tous les antécédents, si vous répudiez les usages admis chez les autres peuples, vous vous écartez de cette foi universelle et vous ouvrez la porte au scepticisme dans une matière aussi fondamentale que celle de la propriété.

Mais, messieurs, je me rappelle avoir entendu soutenir dans cette enceinte que la propriété n'est que de droit civil, tout au plus de droit public. Où allons-nous avec ces principes ? Ne voyez-vous pas qu'ils renversent, par sa base, la société tout entière ? Ne voyez-vous pas les dangers que vous faites surgir en touchant même indirectement à un côté si délicat de la société.

Mais, dit-on, les lois romaines sont basées sur le droit naturel ; la grande base de la propriété. Or les anciens Romains n'admettaient pas le droit de fondation en matière de charité.

Ces questions sociales ne peuvent se résoudre par le droit romain ; car savez-vous ce qui manquait aux Romains en fait de droit de propriété ?

La reconnaissance de la première de toutes les propriétés, de la propriété de soi. Chez un peuple dont les deux tiers sont esclaves, on ne peut pas dire que la propriété est sacrée. Il est vrai qu'après avoir foulé aux pieds le peuple, les patriciens, les hommes libres peuvent se partager ses richesses, en invoquant le droit de propriété ; mais une notion chrétienne ne peut pas admettre ces principes et doit en repousser es conséquences.

Le christianisme a fondé ou plutôt rétabli la propriété telle qu'elle existait avant l'introduction de la servitude, sur une base plus solide, plus étendue, en renversant l'esclavage, en donnant à l'homme la propriété de soi, la propriété du fruit de ses sueurs, de ses efforts, de ce qui émane de son corps, de son âme, la propriété de son travail. C'est le christianisme qui a restauré le droit naturel de propriété, cette base fondamentale de toute société humaine, et, je le dis encore une fois, c'est s'exposer aux plus graves dangers que de toucher même d'une manière indirecte à ce droit, tel qu'il a été compris et mis en pratique par la société chrétienne.

Mais aux yeux du christianisme l'homme ne meurt pas d'une manière absolue par la séparation de l'âme avec le corps ; son esprit, sa volonté lui survit, avec le droit de propriété personnelle et de ce qui tenait à sa personne. Si donc le droit de propriété ne s'étendait pas au-delà du tombeau, il serait vinculé, altéré dans son principe, dans sa source.

Comment peut-on contester après cela le droit de disposer par testament de ses biens envers les pauvres d'après les usages et selon les formes consacrés par le christianisme qui nous donne la véritable notion du droit de propriété ?

Cette notion du droit vient à l'appui de l'utilité sociale des fondations indépendantes.

Messieurs, il a été question hier et dans les séances précédentes de divers systèmes qui ont surgi dans le pays relativement à la solution de la question qui nous occupe. L'honorable M. de Brouckere, dans la séance d'avant-hier, vous a développé avec une grande lucidité le système dont il est l'auteur ; hier on en a parlé encore, et déjà, plusieurs ; fois, je me suis aperçu que l'on semble nous faire le reproche de ne pas avoir émis notre opinion d'une manière sincère à cet égard.

La question dont il s'agissait d'abord, était celle de savoir si le curé devait être admis de droit au sein des commissions administratives de la charité publique. On a supposé que c'était là une idée mise en avant par l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, que nous y tenions, (page 1441) que nous voulions nécessairement la présence du curé dans ces commissions.

Messieurs, je respecte toutes les opinions dans cette matière ; je sais que bien des personnes ont cru devoir défendre ce système ; mais je n'ai jamais été du nombre de ceux qui le défendaient. Une foule de mes collègues peuvent l'attester.

J'ai toujours soutenu que cette idée pouvait être facilement abandonnée. Lorsque le projet a été discuté en sections, je me suis énoncé en ce gens, et les journaux qui alors, à cause de la solennité de cette discussion, rendaient compte des travaux des sections, ont fait connaître mon opinion à cet égard.

M. Allard. - C'est vrai.

M. de Haerne. - Je suis charmé d'entendre l'honorable M. Alllard affirmer la vérité de mes paroles.

Je puis dire aussi, messieurs, que ma manière de voir sur ce point était loin d'être isolée parmi les catholiques et les membres du clergé. Je tiens à faire cette déclaration à la Chambre pour lui prouver qu'il ne s'agit nullement pour nous dans cette loi de conférer au clergé des prérogatives et des moyens d'influence, mars seulement de faire aux pauvres la plus large part possible, et ne les priver d'aucune libéralité.

Mais, messieurs, la grande question dont il s'agissait ensuite dans le projet de l'honorable M. de Brouckere, était celle de savoir si la reconnaissance d'un établissement spécial devait dépendre de la loi on d'un arrêté royal, s'il fallait admettre à cet égard le système légal ou le système administratif. Telle était la grande question que M. de Brouckere avait résolue dans le sens du premier système. Si l'on s'était borné, dès le principe de cette discussion, à poser la question sur ce terrain, les débats n'auraient pas été si irritants dans la presse et dans l'assemblée, et nous eussions pu atteindre plus facilement le but que nous nous proposons tous, celui de venir au secours de nos concitoyens malheureux.

Pourquoi n'admettons-nous pas l'intervention de la loi dans cette matière ? D'abord parce que cette matière est administrative de sa nature et que partout on a entendu la chose ainsi.

En second lieu, à voir ce qui se passe aujourd'hui au milieu de nous, vous pouvez vous faire une idée de ce qui arriverait si, pour chaque fondation, il fallait une discussion dans cette Chambre. Figurez-vous l'irritation que ces discussions feraient naître dans le pays, et les lenteurs interminables qui en seraient la conséquence !

Mais il y a plus ; il me parait clair qu'après un certain temps, les fondations régies par des administrateurs spéciaux deviendraient, par l'intervention de la loi, plus nombreuses qu'elles ne le seraient par le système contraire.

Car supposons une majorité très forte qui approuve ces fondations ; on accepterait généralement toutes celles qui présenteraient quelque utilité, les Chambres n'étant pas responsables comme les ministères.

Et remarquez qu'une fondation une fois reconnue ne peut plus disparaître et, par conséquent, on créerait des antécédents qui faciliteraient la reconnaissance d'autres fondations.

Messieurs, l'utilité sociale de ces fondations ne saurait être contestée puisqu'elles doivent accroître le patrimoine des pauvres et qu'elles sont une conséquence du droit de propriété, qui est la première base de la société même. Ce principe d'ailleurs donne de la force et de la stabilité aux associations charitables, dont l'utilité sociale ne saurait être révoquée en doute, pas plus que celle de la charité privée et religieuse qui les fait naître et prospérer.

La charité privée, les associations charitables et les administrations spéciales en matière de charité, telles sont les trois considérations principales sur lesquelles j'ai cru devoir m'arrêter.

J'ai fait voir que la charité privée moralise par le travail, par l'instruction et par la religion ; je dis que ces divers éléments de civilisation doivent se combiner, qu'ils ne peuvent mieux se combiner que par l'association, et qu'il importe que l'association, puisqu'elle est utile, ait de la stabilité.

L'association est dans les nécessités de l'époque, parce que le grand vice des temps modernes est l'individualisme qui a morcelé la société et qui, en la morcelant, a détruit la solidarité, et voilà d'où naît le paupérisme qui désole les sociétés modernes.

L'association privée, qui a la charité pour but, doit être encouragée, développée, surtout lorsqu'elle s'offre sous la forme morale et religieuse ; en effet, comme j'ai eu l'honneur de vous le démontrer, lorsque l'association est purement matérielle et qu'elle arrive à s'emparer de la classe ouvrière, elle peut quelquefois la précipiter dans l'abîme, au lieu de la sauver.

C'est donc à la charité privée qu'il appartient avant tout de résoudre le grand problème qui préoccupe et qui effraye les premières intelligences de l'époque, le problème du paupérisme.

Nous ne répudions pas la charité publique ; au contraire, nous lui faisons appel, parce que nous en reconnaissons l'utilité. Nous savons, je le répète, que l'administration publique répond à des besoins réels, au point de vue des personnes qui n'ont pas confiance dans la charité privée, ni surtout dans les institutions religieuses.

Nous avons besoin des institutions publiques, parce que l'époque et es usages du pays les réclament, parce que nos mœurs, nos institutions constitutionnelles qui veulent en toutes choses une pondération entre la centralisation et la liberté, les réclament aussi.

Mais à côté des institutions publiques, il faut des institutions privées Sinon, ces institutions publiques mêmes présenteraient un danger aux yeux du peuple. Isolée, la centralisation présente un grand inconvénient, celui de faire croire au droit au travail, au droit à l'assistance ; et alors même que le principe de la taxe des pauvres n'est pas proclamé, alors même que la bienfaisance légale n'est pas admise en principe ; elle peut l'être par voie de conséquence, lorsque à côté des institutions publiques se trouve le budget et que les pauvres savent que c'est là le trésor sur lequel ils peuvent toujours compter. Voilà le danger qui a été signalé par les écrivains et les orateurs les plus distingués de l'Angleterre, de la France et de la Hollande.

Ce n'est pas qu'on proclame directement, par la taxe des pauvres, le droit à l'assistance, même en Angleterre ; les hommes d'Etat, les publicistes anglais disent que la taxe des pauvres a un caractère communal ; que ce n'est pas de la charité légale en principe, et qu'on écarte, autant que possible, le droit à l'assistance.

Mais si la charité légale n'existe pas de droit dans ce grand pays, elle y existe de fait. Voici ce qu'on lit dans un rapport récent sur la taxe des pauvres en Angleterre : « A mesure que cette manière de secourir les pauvres prend de l'importance, on leur donne une espèce d'indépendance. Ils ne sont plus tenus de se procurer du travail ni de se faire respecter par leur conduite. Ils ont la sûreté de l'esclave pour ce qui regarde l'entretien, sans en avoir la condition dégradante. Ils n'ont rien à perdre.... Le moins intelligent peut comprendre que cet état de choses ne peut durer, mais qu'il doit amener infailliblement la famine, la guerre civile et la décadence du royaume. »

Ce passage d'un rapport officiel sur la taxe des pauvres en Angleterre a été cité par M. Sloet tot Oldhuis dans la discussion qui eut lieu en 1854 aux états généraux de Hollande sur la loi concernant la charité. Depuis que l'expérience a révélé à l'Angleterre les immenses dangers de la taxe des pauvres, on a vu se développer dans ce pays la charité privée, surtout sous la forme d'associations et de fondations. M. S. Low, dans son ouvrage : the Charities of London, signale le progrès de la charité privée dans la capitale de l'Angleterre. Les œuvres de la charité privée, qui n'avaient augmenté pendant le XVIIIème siècle que de 88 à 109, se sont accrues de 294, c'est-à-dire qu'elles se sont presque triplées, pendant la première moitié du siècle actuel. Elles donnent ainsi un nombre au moins quintuple proportionnellement au temps.

Pour ce qui regarde la Hollande, les orateurs les plus distingués se sont alarmés dans la discussion de 1854 sur l'état du paupérisme dans ce pays.

Voici comment en a parlé M. Sloet tot Oldhuis : « Un rapport remarquable, présenté par M. Beucker Andréae au cinquième congrès économique de Leyde, traite du paupérisme, quant à l'Angleterre et à la Suisse, où ce fléau s'est introduit avec la taxe des pauvres.

« Le publiciste fait voir aussi, par un état statistique, jusqu'à quel point le paupérisme sévit dans quelques contrées de Hollande. D'après le budget du canton d'Oostdongeradeem, les subsides alloués pour les pauvres sont montés en 4 années de 21,750 à 48,385 florins, de sorte qu'une personne jouissant d'un revenu de 50,000 florins a eu à payer 1,200 florins eu une année.

« Il est peut-être encore temps, s'écrie cet orateur, d'arrêter la charité légale qui fait tant de ravages dans les Pays-Bas.

« Dans quelques années il sera peut-être trop tard, et alors qui peut prévoir l'avenir vers lequel nous serons entraînés ? »

Le ministre de l'intérieur des Pays Bas en défendant son système s'empresse de dire. : « On veut qu'il soit défendu aux administrations civiles d'accorder des secours si ce n'est après s'être assurées que les nécessiteux ne peuvent en recevoir de la part de la charité ecclésiastique ou particulière.» Ainsi on subordonne l'action de la charité publique, de la charité centralisée à celle de la charité particulière et ecclésiastique.

Messieurs, dans le plan, comme je le conçois, il faut que la charité privée, aux yeux du peuple au moins,» soit au premier plan, pour que le peuple sache qu'il n'a pas droit à l'assistance, voilà l'idée qui doit dominer dans l'opinion des pauvres.

C'est ainsi qu'on sauve la bienfaisance publique par l'action de la charité privée. Cette charité, fille du ciel, a toujours été reconnue, admirée, respectée dans le monde ; toujours même au dix-huitième siècle, d'après les paroles d'un auteur non suspect, Voltaire, que je citais tout à l'heure, au dix-huitième siècle qui avait tout méconnu, qui avait renversé en principe les institutions sociales et religieuses, qui avait corrompu la littérature et la morale, qui avait passé le niveau philosophique sur toute la société, dans ce siècle anticatholique, on respecta la charité religieuse, comme Voltaire le reconnaît quand il dit que la charité catholique l'emporte de beaucoup sur toutes les œuvres de la charité protestante.

Il y a un moment où la charité chrétienne a éprouvé une éclipse,, c'est dans les plus mauvais jours de la révolution. Cependant la révolution elle-même a professé un certain respect pour les sœurs hospitalières ; elle les a conservées à titre individuel.

Plus tard est venu Portalis, c'était la restauration de la charité catholique dans les maisons hospitalières ; plus tard encore on a vu se développer, s'étendre, les institutions des sœurs dans tous les pays de l'Europe. Dernièrement la charité chrétienne a fait des miracles au-delà des mers, (page 1442) elle a fait pousser un long cri d'enthousiasme dans toute l'Europe à cause du sacrifice accompli par ces admirables femmes, qui sont allées soulager les misères humaines au milieu des dangers de la guerre. Elles ont trouvé de l'écho en Angleterre ; une héroïne protestante, miss Nightingale, a marché sur leurs traces. Aujourd'hui la charité catholique pénètre jusqu'au fond de l'Asie a au milieu des populations musulmanes, elle excite l'admiration générale.

Voilà l'idée que présente la charité privée, la charité religieuse. Elle a été arrêtée dans son cours pendant quelques instants en Belgique, mais jetons un voile sur cette époque ; revenons à ce qui a toujours existé dans le pays, en France, en Allemagne, en Hollande, en Piémont et en Angleterre.

Ah ! ne vous faites pas illusion : la Belgique est catholique, et comme telle elle a sa gloire à l'étranger. Lorsqu'on cite la Belgique à l'étranger, on parle de sa liberté, cela est vrai ; mais on parle aussi et surtout de sa religion ; elle est au premier rang parmi les nations catholiques. On cite comme des miracles de la charité chrétienne les institutions qui, depuis 1830, se sont répandues, à la faveur de la liberté, comme par enchantement sur la Belgique, partout où le besoin s'en est fait sentir, pour guérir les plaies de l'humanité, pour extirper la misère.

Oui, voilà une gloire nationale, qui revient à la charité catholique. Vous ferez valoir et avec raison les progrès réalisés dans les chemins de fer, dans l'industrie, dans les sciences et dans les arts. Mais la charité catholique a sa gloire aussi qui appartient à la patrie. Elle ne demandera pas de récompense. Savez-vous où est sa récompenser, La seule qu'elle ambitionne, c'est le témoignage de sa conscience qui lui dit qu'elle a bien mérité de Dieu, de la patrie et des pauvres !

- La séance est levée à 4 heures et demie.

(Suit une énumération des établissements et œuvres de charité privée dans le royaume de Belgique. Cette énumération n’est pas reprise dans la présente version numérisée.)