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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 21 avril 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)

(page 785) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Crombez fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vander Stichelen lit le procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces adressés à la Chambre.

« Des fabricants de dentelles présentent des observations sur le projet de loi concernant les conseils de prud'hommes et demandent que ces conseils soient appelés à connaître des plaintes en contrefaçon soit entre fabricants, entreposeurs, facteurs ou ouvriers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des devoirs de famille obligeant M. de Man d'Attenrode de s'absenter pour quelques jours, il demande un congé. »

- Ce congé lui est accordé.

Projets de loi de naturalisation

Dépôt

M. H. de Brouckere. - J'ai l'honneur de déposer plusieurs projets de loi ayant pour objet des naturalisations ordinaires et une grande naturalisation.

- La Chambre ordonne l’impression et la distribution de ces projets de loi et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi relatif à la cession des droits de la session concessionnaire du chemin de fer de Mons à Manage

Discussion générale

M. Jouret. - Messieurs, la question qui est soumise à l'appréciation de la Chambre a été, dans la séance d'hier, traitée déjà d'une manière complète.

L'honorable M. de Paul a, à un point de vue restreint, celui de la loyauté, de la délicatesse, de l'équité, traité la question d'une manière approfondie.

L'honorable M. Pirmez s'est mis de préférence à un autre point de vue. Il a traité la question au point de vue de l'intérêt qu'a l'Etat à la reprise, sous le rapport financier ; et je n'hésite pas à dire, la Chambre sera de mon avis, qu'il l'a fait avec un grand talent.

M. le ministre des travaux publics a répondu avec non moins de talent. Seulement sa réponse aurait été complète à l'égard de quelques chiffres, s'il avait eu sous la main quelques données statistiques qui lui permettront sans doute de la compléter dans le courant de la discussion.

Dans les quelques observations que je présenterai à la Chambre, je ne suivrai pas M. Pirmez dans le détail des chiffres. Je laisserai ce soin à de plus experts que moi et surtout au gouvernement.

Il me suffit de savoir que la rente que l'Etat va payer à la compagnie ne représente que 4 1/2 p. c. environ du coût de la ligne, qu'il ne devra payer cette rente que pendant 84 ans, qu'il ne devra pas amortir le capital de cette rente par la suite, que la ligne de Mons à Manage coûtera moins à l'Etat que ses autres lignes, et qu'il est incontestable qu'elle devra toujours être considérée, par ses produits, comme une des meilleures sections du réseau de l'Etat.

Messieurs, il y a, dans le projet de loi en discussion, des questions de droit qui me paraissent dominer la matière, et qu'il est indispensable de bien poser pour apprécier la question au point de vue où, selon moi, il convient de se placer, celui de ne permettre, dans aucun cas, à une compagnie étrangère puissante d'arriver à une extension trop grande d'exploitation de chemins de fer belges, en concurrence avec des parties importantes de notre réseau national exploité par l'Etat.

Messieurs, une concession d'établissement et d'exploitation de chemin de fer est un droit civil. Elle constitue une propriété (un usufruit, si l'on veut) soumise aux règles générales du droit.

Le concessionnaire peut en disposer comme de toute autre propriété, sauf sa responsabilité personnelle pour l'exécution des travaux. Voir article 53 du cahier des charges.

Et je me permettrai de faire remarquer à la Chambra que cette responsabilité personnelle même n'est plus stipulée dans les concessions nouvelles.

Si les concessionnaires primitifs de Mons à Manage étaient restés isolés, ou avaient formé une société en nom collectif, ils auraient pu vendre ou céder leur droit de concession comme ils l'entendaient.

Mais ils ont formé une société anonyme. Celle-ci, régie par des lois particulières, est strictement limitée par ses statuts ; elle ne peut faire que ce qu'ils ont prévu.

Les statuts de la société anonyme de Mons à Manage n'autorisent pas la cession de la concession ; la direction ne pouvait donc l'opérer légalement, et lorsqu'il s'est agi de faire la cession de Liège à Namur, elle a dû modifier ses statuts, afin d'être autorisée, par un article spécial, à opérer cette cession.

Il est hors de doute, messieurs, que, si, lors de la rédaction des statuts primitifs, on avait prévu cette possibilité de cession, une clause formelle y aurait été insérée sans opposition de qui que ce fût, et la société n'aurait pas dû recourir au gouvernement, pour y être autorisée.

Cette modification a donc dû, comme toute constitution ou modification de société anonyme, être soumise à l'approbation de l'Etat.

N'est-il pas étrange, messieurs, et n'y a-t-il pas là quelque chose qui froisse la raison, qu'aujourd'hui on invoque, pour dénier à la compagnie le droit de cession, une disposition qui a été ajoutée aux statuts précisément et uniquement afin de lui reconnaître ce droit ?

Et remarquez que cela est d'autant plus étrange qu'il ne s'agissait pas de faire la cession de ce chemin de fer à une compagnie peu sérieuse, incapable de l'exploiter convenablement et ne présentant pas, sous ce rapport, des garanties suffisantes ce que devaient avoir eu en vue les expressions : « avec l'assentiment du gouvernement » introduites dans la modification apportée aux statuts mais qu’il s'agissait encore de la même compagnie du Nord, à laquelle la cession du chemin de fer de Namur à Liège avait été faite.

Ce n'est donc pas sérieusement que l'on prétend que la réserve de l'assentiment du gouvernement introduite dans les statuts pouvait s'appliquer à la société du Nord. C'était, au contraire, pour lui faire, à elle, la cession de Namur à Liège, qu'ils avaient été modifiés, et je n'hésite pas à en tirer la conséquence qu'en s'opposant à la cession de la ligne de Mons à Manage à cette compagnie, le gouvernement a moralement contracté l'obligation d'atténuer le préjudice causé aux actionnaires et qu'il fait bien de proposer la reprise de ce chenin de fer, puisqu'elle peut s'opérer sans préjudice pécuniaire sensible pour l'Etat, et, sous d'autres rapports, à son grand avantage.

Si l'on veut interpréter autrement cette clause : « avec l'assentiment du gouvernement» lorsqu'on la rapproche des circonstances qui y ont donné lieu, ce sera le cas de dire, messieurs : « La lettre tue, l'esprit vivifie, » et j'estime pour mon compte que, si le gouvernement n'avait pas pris la mesure qu'il nous propose de ratifier, et que vous ratifierez, j'espère, on serait autorisé à dire qu'il a donné à la modification apportée aux statuts une interprétation judaïque peu équitable et peu digne.

Messieurs, les points de droit que je viens d'indiquer étant établis, pouvons-nous, dans les déductions à en tirer, aller aussi loin que le faisaient les membres de la minorité de la section centrale de 1857, et que le fait à son tour l'honorable M. Faignart, rapporteur de la section centrale, en 1858 ?

Voici le passage consigné au rapport de l'honorable M. Vander Donckt et reproduisant l'opinion de la minorité : « On est peut être tenté à soutenir qu'en l'absence d'une défense formelle la société avait le droit de céder son exploitation, sans que le gouvernement eût rien à y voir. »

Et voici ce que M. Faignart dit à son tour au nom de la section centrale : « Supposons que, le refus de la Chambre étant définitivement prononcé, la société concessionnaire remette, sans aucune espèce d'autorisation de la part du gouvernement, son chemin de fer à la compagnie du Nord et donne ainsi exécution à la convention du 30 août 1836. Que pourrait-il en résulter ? quel moyen le gouvernement belge aurait-il de s'opposer à cette combinaison ? Aucun.

II est évident pour moi, messieurs, que la minorité de la section centrale de 1857, de même que l'honorable M. Faignart, dans son rapport, du reste fort remarquable, se trompent à cet égard.

La société anonyme est soumise à des prescriptions, à des règles qu'elle ne peut éluder, et surtout à des limites qu'elle ne peut absolument franchir, et, si elle le faisait, nous sommes, comme on dit vulgairement, en pays de droit, et il n'est pas douteux que les tribunaux sauraient la forcer à remplir toutes ses obligations, comme à n'agir que dans le cercle des attributions et des pouvoirs que les lois lui donnent.

Mais sans aller aussi loin que l'honorable rapporteur de la section centrale, il me semble que l'on peut tenir pour certains et incontestables les principes suivants :

Si la compagnie en assemblée générale déclarait demain opérer sa dissolution et liquidait, on ne pourrait l'empêcher de le faire.

Cela ne peut offrir l'ombre d'un doute, et, à part le principe qui est certain, il suffit pour s'en assuré de lire l'article 46 du Code de commerce. (L'orateur lit cet article.)

Si ses liquidateurs vendaient publiquement l'avoir de la société, ou constituaient une société en nom collectif, on ne pourrait non plus les en empêcher.

On ne pourrait pas davantage empêcher une société anonyme française d'acquérir une propriété en Belgique, puisque, d'après une loi récente, dont je ne me rappelle pas la date, ces sociétés ont reçu la personnification civile, et sont reconnues légales en Belgique.

Ces principes, messieurs, me paraissent incontestables.

Ces observations faites, il me suffira de rappeler à la Chambre à quel point de vue je me place, pour qu'elle comprenne de suite, qu'abstraction (page 786) faite de toute autre considération, un vote affirmatif de ma part est, non seulement une conséquence logique des principes que j'ai posés, mais l'accomplissement d'un consciencieux devoir.

Messieurs, je considère l'indépendance de notre pays comme la sauvegarde la plus importante, la seule, peut-être, dont nous devions sérieusement nous préoccuper, des libertés si larges et si précieuses, auxquelles tous, tant que nous sommes, nous devons être dévoués corps et âme. Je ne vois à l'intérieur, pour ces libertés, de danger sérieux nulle part, car j'ai la conviction que les exagérations, déplorables, je n’hésite pas à le dire, de quelques hommes voués aux idées des siècles écoulés (et que le pays, dans sa dignité, accueille avec le plus profond dédain) ne feront que les affermir et les consolider encore.

L'indépendance du pays, solidement assise, du reste, sur notre neutralité garantie par les traités, et mieux peut-être sur un heureux équilibre des intérêts européens, me préoccupe à tel point en toutes choses, que toute apparence d'immixtion de l'étranger dans nos affaires, tout ce qui peut être considéré comme un commencement, une crainte même d'absorption me blesse et m'inquiète.

Or, il résulte à toute évidence des considérations que j’ai fait valoir, que si la Chambre se refuse à voter le projet de loi en discussion, c'est, dans ma profonde conviction, comme si elle déclarait que dans un temps plus ou moins rapproché le chemin de fer de Mons a Manage passera aux mains de la compagnie du Nord.

Le gouvernement, dans l'exposé des motifs du projet de loi, vous a énuméré les conséquences, vraiment préjudiciables pour les intérêts de l'Etat, qui doivent être la suite d'un pareil état de choses. Je ne veux de cette éventualité à aucun prix et toujours je la repousserai de toutes mes forces. Je considérerais comme un véritable malheur qu'une compagnie étrangère puissante, soit par des acquisitions successives, soit par une fusion des intérêts de lignes diverses, formant une ligne parallèle à celle de l'Etat, vînt exploiter cette ligne en concurrence avec celle de l'Etat.

Messieurs, ces considérations suffisent pour expliquer le vote affirmatif que j'émettrai, et ne voulant pas examiner la question au point de vue financier, je pourrais m'arrêter ici.

Je désire cependant dire quelques mots relativement à ce que l'on a dit de l'intérêt public que l'on prétend n'être nullement engagé dans cette question.

On a dit que l'intérêt public n'était nullement engagé dans cette question.

Sans doute, en se plaçant à un point de vue très général l'intérêt public n'est pas engagé dans cette question. Il importe fort peu, par exemple, aux populations desservies par lu chemin de fer d'Erquelinnes ou par le chemin de fer de Namur à Liège, que ces chemins de fer soient administrés, soient exploités par la compagnie du Nord ou par l'Etat. Il importe à ces populations que ces chemins de fer soient bien administrés, soient administrés à bon marché. C’est là le plus grand intérêt qu'elles ont. Mais, messieurs, vous vous rappelez la déclaration fort énergique et fort catégorique que M. le ministre des travaux public nous faisait naguère dans cette enceinte ; c'était lors de la discussion du budget des travaux publics. L'honorable ministre nous a dit que le gouvernement n'était nullement disposé à abandonner l'exploitation du chemin de fer de l'Etat.

Il vous a dit que le gouvernement croyait qu'il y avait les raisons les plus graves pour persister dans l'exploitation de notre réseau national, et à cet égard l’honorable ministre des travaux publics vous a cité une circonstance qui fait honneur à la Belgique ; c'est que quelques nations étrangères, frappées des bons résultats que l'exploitation de nos chemins de fer produit pour le pays, s'occupent elles-mêmes d'études qui tendent à ramener dans leurs mains l'exploitation de leurs chemins de fer qui constituent un réseau national pour ces différents pays. L'honorable ministre des travaux publics vous a cité pour exemple la Prusse.

Je ne sais si mon impression dans ce moment m'a trompé ; mais il m'a paru que la Chambre accueillait ces paroles de l'honorable ministre des travaux publics avec bienveillance et sympathie. Dès lors, nous avons la certitude que nous aurons pendant longtemps encore la continuation de l'esxploitation de notre réseau national par l’Etat. Est-il permis, dès lors, de dire que la reprise du chemin de fer dont il est question n'a pas au plus haut point un caractère public ? Je prétends qu'aussi longtemps que vous garderez l'exploitation de votre chemin de fer, une question comme celle-ci est au plus haut point une question d’intérêt public, car une pareille ligne conservera toujours une grande importance comme affluent et comme débouchés du chemin de fer de l'Etat.

Je conçois parfaitement à cet égard le système des adversaires de l'exploitation du chemin de fer par l'Etat, et je crois que mon honorable ami, M. Pirmez, est un peu dans ces idées. Si cela est, l'honorable M. Pirmez et les membres de cette Chambre, qui ont cette manière de voir, sont très conséquents. Mais, pour moi qui, je me plais à le déclarer, suis un partisan de l'exploitation du chemin de fer par l'Etat, je trouve que dans la question actuelle il y a un intérêt public majeur, un intérêt des plus importants, et j'ajoute qu'il n'y a que les adversaires de 1’exploitation des chemins de fer par l'Etat qui puissent prétendre qu'il n'y a pas ici une question d'intérêt public. Ceux qui n'ont point d'opinion formée à cet égard, ceux qui désirent s'éclairer et qui prévoient que tôt ou tard cette grande question sera déférée à la Chambre, ceux-là doivent désirer encore que la reprise soit votée, parce que c'est le seul moyen de conserver intacte, pour le moment où elle viendra à la Chambre, cette grande question de l'exploitation du chemin de fer de l'Etat, si jamais elle doit être discutée.

Messieurs, en méditant consciencieusement l'exposé des motifs du projet de loi, j'ai acquis la conviction que les nombreux avantages qu'il énumère seront généralement acquis par la reprise de la ligne qui est proposée :

D'abord nous évitons une concurrence anomale très pernicieuse au chemin de fer de l'Etat, humiliante peut-être, et à coup sûr dangereuse pour notre indépendance.

En second lieu, nous assurons aux lignes de l'Etat un affluent très important, qui procure une recette de plus de 1,000,000.

En troisième lieu, on évite de de compromettre une recette de 30,000 sur les expédition de charbons vers la France.

Et enfin nous obtenons la jouissance du produit propre de Mons à Manage, qui, en 1857, a été, selon la rectification indiquée par l'honorable M. Pirmez, de 665,000 fr., et on peut lui prédite un accroissement, en présence des développements incessants que prend notre magnifique bassin du Centre.

Sans doute, la concurrence des chemins de fer qui viennent de s'établir, qui s'établissent et qui s'établiront, peut modifier sensiblement ces prévisions ; mais les résultats signalés seront généralement atteints, il est permis de l'espérer et de l'affirmer.

Messieurs, une dernière considération et qui n'est pas sans quelque valeur, c'est que la question n'est pas seulement une question de convenance pour l'Etat et pour nous, d'équité envers la société anonyme de Mons à Manage ; c'est encore, comme l'a dit M.de Paul, une question de bonne politique.

Cette compagnie est une compagnie anglaise, constituée avec des capitaux anglais.

En 1848, on invoquait le concours de ces capitaux, pour donner du travail aux ouvriers, on considérait leur intervention comme un grand bienfait.

Depuis lors, au lieu de les protéger, on semble les considérer comme taillables à merci, et l’on irait, si la Chambre pouvait être en majorité de cet avis, jusqu'à ne plus permettre à l'une de ces compagnies étrangères de disposer de sa propriété comme elle l'entend.

Dans cet ordre d'idées, messieurs, qu'il me soit permis d'indiquer à la Chambre une chose que, sans doute, elle trouvera très bizarre.

Dans le rapport de la section centrale de 1857, la majorité, de même que dans le rapport de 1858, la minorité de cette section, invoquent, contre la reprise par l'Etat, la concurrence que va faire, à la ligne de Manage la section de la Louvière aux Ecaussines.

M. Pirmez a fait la même chose dans la séance d'hier.

Après avoir exposé la position du chemin d fer d'Erquelinnes aux Ecaussines, par rapport à celui de Mons à Manage, M. Pirmez vous a dit : « Les houilles du Centre destinées à Bruxelles, allaient à Manage pour y prendre le railway de l'Etat, elles faisaient en en ce dernier point un angle aigu, qui sera évité par la nouvelle ligne des Ecaussinnes. La partie de voie comprise entre le Centre et Manage doit évidemment perdre beaucoup de son utilité.

« Voilà donc la position : c'est au moment où une ligne nouvelle vient détruire presque toute l’importance de celle de Mons à Manage qu'on veut la faire racheter par l'Etat. »

Mais la concession même de cet embranchement constitue une véritable injustice commise envers la société de Manage.

D'après l'article 54 du cahier des charges, la société de Mons à Manage devait avoir la préférence pour cet embranchement. Elle l’a demandé ; on le lui a refusé, on l'a accordé à une autre compagnie, et la société de Mons à Manage a été obligée d'intenter à l'Etat une action en dommages-intérêt.

Voici ce que dit cet article 54 : « Le gouvernement se réserve également de décréter l’exécution d'embranchements accessoires au chemin de fer concédé.

« La compagnie aura la préférence pour l'exécution de ces embranchements, qui feront, le cas échéant, l’objet de concessions nouvelles, etc. »

Vous voyez, messieurs, que la compagnie de Mons à Manage devait nécessairement avoir la préférence. Eh bien, je le répète, cette préférence, on la lui a refusée, on a concédé l'embranchement à une autre compagnie et l'on argumente de la circonstance qu'on a dépouillé une première fois cette compagnie, en lui refusant cet embranchement ; on argumente de cette circonstance pour la dépouiller une deuxième fois en repoussant le projet de loi en discussion.

Vous comprenez, messieurs, combien cela est bizarre et injuste, et je dis que c'est un nouvel argument en faveur de l'obligation morale que l'Etat avait contractée de présenter à la Chambre le projet de loi en discussion. (Interruption.)

L'honorable M. de Paul me fait observer qu’il y a encore ici un intérêt financier très considérable, c'est qu’en votant la reprise on mettra fin au procès existant.

En résumé, messieurs, j'adopte sans réserve les conclusions finales du rapport de le section centrale, et je dis, avec ce rapport, qu'il existe pour le gouvernement belge, dans l'état où les choses se présentent, une obligation morale de reprendre lui-même l'exploitation de la voie ferrée de Mons à Manage ; que le prix d'achat fixé dans la convention qui vous est soumise n'est pas trop élevé, et qu'au point de vue financier, l’opération se justifie parfaitement ; qu'il y aurait danger pour les intérêts (page 787) généraux du pays et pour les intérêts particuliers du chemin de fer de l'Etat, de laisser passer la ligne de Mons à Manage dans les mains d'une compagnie étrangère, ce qui arriverait infailliblement, si vous refusiez votre approbation à la convention des 16/17 février 1857.

Je voterai donc pour la reprise par l'Etat de la ligne en question, convaincu que je pose un acte utile au pays tout entier et plus particulièrement au centre industriel que j'ai l'honneur de représenter plus spécialement dans cette Chambre.

M. Lelièvre. - Je viens appuyer le projet de loi qui vous est soumis, parce que l'honneur et la loyauté belges réclament son adoption, qui ne peut être sérieusement contestée.

Le gouvernement s'est oppose à la cession de la ligne dont il s'agit au profit de la compagne du Nord. Dans un intérêt national, il a entravé le droit de propriété de la société du chemin de fer de Mons à Manage, alors que la compagne du Nord présentait toutes les garanties nécessaires au point de vue d'une exploitation convenable et de l'exécution des engagements souscrits par les concessionnaires primitifs.

Eh bien, messieurs, si dans cet état de choses nous examinons la question en nous élevant aux considérations d'un ordre élevé qui le domine, je maintiens que l'administration belge est tenue, si pas en strict droit, du moins eu vertu d'une obligation morale, à conclure le contrat soumis à notre sanction.

Il existe un fait qui oblige le gouvernement à toutes les suites que réclament les principes d'équité. Dans un intérêt public, il enlève à une société concessionnaire le droit de cession. Il est donc obligé moralement à une indemnité.

Cela est si vrai, que, dans l’esprit du traité qui réservait au gouvernement belge le droit de veto relatif à la cession, il n’avait jamais été question d'empêcher les concessionnaires de céder leur entreprise à une compagnie, par cela seul que celle-ci serait étrangère au pays On avait simplement voulu accorder à l’Etat un moyen d'assurer l'exécution des obligations prises originairement par les concessionnaires.

Par conséquent, lorsque le gouvernement, s'écartant de la pensée qui avait présidé à la disposition dont il a fait usage, a trouvé convenable, par des motifs d'intérêt général, d'opposer un veto, contrairement aux prévisions de l'acte qui le lui conférait. Il a évidemment contracté un engagement d'honneur et de loyauté, de reprendre lui-même l'entreprise qu'il entravait et à l'exploitation de laquelle il causait un grave préjudice.

Il y a ici une question de bonne foi, messieurs ; or, notre mandat est un mandat de loyauté, de délicatesse et d'honneur belges.

Mais, à mes yeux, il existe une obligation née d'un véritable quasi-contrat.

Quoi ! lorsque la société du chemin de fer de Mons à Manage a adhéré à la stipulation qui réservait au gouvernement le droit de s'opposer à une cession, elle a pensé, et le gouvernement convient que lui-même a partagé cette opinion, que jamais l'on ne ferait usage de cette faculté que quand il s'agirait d'une cession dépourvue de garanties suffisantes.

En entravant l'abandon en faveur de la compagnie du Nord, on n’a donc pas usé de la faculté dans l’esprit qui avait dicté la clause dont il s’agit, la commune intention des parties a été méconnue.

La mesure prise en cette occurrence a uniquement été fondée sur des motifs d'utilité publique.

Il est donc vrai de dire que la société de Mons à Manage a été expropriée d'un droit important uniquement par des causes d'intérêt général ; par conséquent c'est à l’Etat qu'incombe le devoir de reprendre une entreprise qu'il n'a pas voulu laisser abandonner à une compagnie qui ne laissait rien à désirer sous le rapport des garanties qu'on pouvait raisonnablement exiger.

Le seul fait d'avoir émis le veto contrairement à la pensée qui avait dicté la stipulation relative à cette mesure a créé une obligation que la justice et l'équité ne permettent pas. de méconnaître.

Du reste, a-t-on bien pesé les conséquences du système contraire ? S'il était vrai que le gouvernement eût pu sans indemnité, dans l'intérêt du chemin de fer belge, entraver la cession de l'entreprise de la société de Mons à Manage, il résulterait de cet ordre de choses que l'Etat aurait pu commettre licitement un véritable dol, car il y aurait dol à user, dans un but de concurrence, d'une faculté qui n’était stipulée qu’à l'effet d'assurer l'exécution du contrat primitif arrêté entre l'Etat belge et la société concessionnaire.

D’ailleurs lorsque cette dernière société a consenti à ce que le droit de veto fût accordé au gouvernement, il était entendu, d’après les principes de bonne foi qui présidaient à la convention, que le droit en question serait exercé par l'Etat, agissant en bon père de famille, d'une manière raisonnable et équitable. Il n’est donc jamais entré dans l'intention des parties que le gouvernement fît usage de la faculté à lui concédée dans des vues de concurrence et d'intérêt personnel. En conséquence l'usage que l'Etat a fait, dans l'espèce, du droit énoncé à la convention oblige nécessairement l'administration à une indemnité qui est même fondée sur les stricts principes du droit.

Je persiste donc à affirmer que le projet de loi propose non seulement une mesure équitable, mais qu'il arrête un ordre de choses conforme à des principes de justice que la Belgique sera toujours heureuse de consacrer et dont nos chambres législatives ne se départiront jamais.

En conséquence, je donnerai mon assentiment au projet en discussion.

M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - Messieurs, les conséquences du vote que vous allez émettre sont tellement graves au point de vue des intérêts de l'Etat, que je demande la permission de fixer encore un moment votre attention sur cet objet.

Je maintiens, messieurs, avec les orateurs que vous venez d'entendre, qu'il y a obligation morale pour l'Etat de racheter le chemin de fer de Mons à Manage. Cette obligation découle des circonstances particulières dans lesquelles cette affaire se produit.

On a cherché, messieurs, à vous effrayer des conséquences que pourrait avoir la reconnaissance de cette obligation morale. On y a vu un principe. Il ne s'agit pas ici de poser un principe.

Il s'agit simplement d'un fait que vous avez à considérer avec les conditions qui lui sont propres. Voilà tout. Le chemin de fer de Mons à Manage se trouve dans des conditions tout à fait spéciales ; c'est une enclave au milieu de lignes du réseau de l'Etat ; c'est un tronçon de 25 kilomètres établi sur un des points du pays où les transports sont les plus actifs, les plus abondants.

Ce chemin de fer a donc une valeur particulière et, ainsi que je viens de le dire, les précédents de cette affaire lui donnent un caractère tout spécial. Il n'y a donc pas à s'inquiéter du principe du rachat par l'Etat et des conséquences que ce principe pourrait avoir.

C’est surtout au point de vue des résultats financiers que le projet de loi a été critiqué. On vous a présenté à ce sujet des calculs qui, s'ils étaient exacts, seraient de nature, je le reconnais, à vous faire hésiter.

La valeur pour l'Etat, du chemin de fer qu'il s'agit de racheter, se compose, je l'ai déjà dit, de deux parties ; d'abord la valeur que le chemin a comme affluent ; en second lieu, le produit propre de ce chemin.

Pour combattre le projet, on s'est évertué à amoindrir la valeur comme affluent, et on a présenté le produit propre dans des conditions que je ne puis pas admettre.

Je dois reconnaître que les chiffres qu'on a mis sous vos yeux sont vrais, pris isolément ; mais on a usé, dans cette circonstance, d'une manière très large et très habile, de ce qu'on appelle l'art de grouper les chiffres.

Quant à l'affluent, il a produit un million dans le courant d'une année ; ce chiffre s'est modifié ensuite précisément par l’influence de faits que nous sommes en train de corriger.

On dira que cet affluent perdra beaucoup de sa valeur, par l'établissement du chemin de fer du Centre et par la construction prochaine de l'embranchement vers les Ecaussines.

Il y a d'abord à considérer que quand la compagnie du Nord a déterminé le prix du rachat de la ligne de Mons à Manage, le chemin de fer du centre était en construction ; le chemin des Ecaussines était décrété ; cela n'a pas empêché de fixer le prix à la somme que vous connaissez.

On ne s'inquiétait donc pas outre mesure de l'absorption complète des transports vers la France par cette ligne et on ne craignait pas que le chemin de fer de Mons à Manage perdît désormais toute sa valeur.

Il y a deux directions à considérer, la direction vers Mons et la direction vers Manage. La direction vers Mons comprend les expéditions en destination du canal, et en destination du chemin de fer de Quiévrain ; ce sont des charbons qui vont vers le Nord de la France et jusqu'à Paris.

On dit que désormais ces charbons prendront la voie du Centre, mais pour cela il faudrait que l'on cessât d'expédier par la voie d'eau, par la voie du canal de Condé, et c'est peu probable ; il faudrait que tous les charbonnages fussent raccordés ; on ajoute que ces raccordements sont en train de s'exécuter ; il est vrai que ce travail s'exécute pour trois exploitations charbonnières, mais il sera toujours très difficile, sinon impossible, de raccorder tous les charbonnages, et cette observation s'applique précisément aux exploitations les plus importantes.

Cela exigerait des travaux considérables qui nécessiteraient une dépense énorme, laquelle pèserait nécessairement sur les prix des transports.

Je crois donc qu'il ne faut pas s'exagérer outre mesure les conséquences de ces raccordements. Ce que je viens de dire de cette direction s'applique aussi en partie à la direction vers Bruxelles. Le chemin des Ecaussines, quand il sera ouvert, pourra causer quelque tort à l'exploitation de Manage, mais les transports aboutissent à une ligne de l'Etat, de sorte que si l'État, devenu propriétaire de Manage, éprouve quelque diminution de recette, il conservera du moins les transports sur sa ligne actuelle.

Qu'arriverait-il si l’Etat ne reprenait pas la ligne de Manage ? On pourrait avoir la crainte sérieuse que les transports qui doivent passer par cet embranchement n'en soient en partie détournés pour passer, en faisant un crochet, par Manage. Déjà la chose se fait aujourd'hui, et le crochet qu'on est obligé de faire est beaucoup plus grand ; on passe par Ottignies pour venir à Bruxelles.

On a contesté la crainte que nous avons exprimée de voir des transports qui nous appartiennent légitimement passer sur d'autres lignes. Cette inquiétude est très réelle ; quel que soit le soin, quelle que soit l'attention apportée à la surveillance de l'exploitation des lignes concédées, ou ne peut pas empêcher certains détournements de transports au préjudice des voies de l'Etat.

Cela, du reste, n'a rien de répréhensible en soi ; on ne peut pas blâmer les efforts que font les exploitants d'une ligne concédée pour augmenter les produits de leur ligne ; ces efforts sont naturels ; toutefois il (page 788) est prudent de s'en préoccuper. Il ne s'agit pas de vouloir détourner des lignes concédées des transports qui leur appartiennent naturellement, mais seulement d'empêcher une concurrence qui serait poussée à outrance et qui pourrait nuire à tout le monde.

Le chemin de Manage à Wavre n'a pas été construit pour le transport des charbons vers Bruxelles. Il a été créé en vue des transports à effectuer vers Wavre et Louvain ; il n'a pas été établi pour faire concurrence à la ligne de l'Etat entre le Centre et Bruxelles.

On a dit aussi que la valeur de l'affluent devait baisser beaucoup, puisqu'on sollicite une réduction de péage sur le canal de Charleroi et qu'il peut se faire que cette réduction soit accordée dans un temps plus ou moins prochain et qu'il doit en résulter une diminution dans les transports de charbon par terre.

Messieurs, le canal de Charleroi existait quand on a construit le chemin de fer. Le canal a toujours continué à transporter des charbons concurremment avec le chemin de fer ; et les transports ont éprouvé un tel accroissement de part et d'autre, qu'on peut être certain qu'ils continueront à s'effectuer par les deux voies, quel que soit l'abaissement éventuel des péages sur le canal, lesquels, dans tous les cas, seront maintenus de manière à ne pas rompre un certain équilibre.

D'ailleurs, aujourd'hui déjà, les expéditions par le canal se font à moindre prix que par le chemin de fer. Voilà pour ce qui est de l'affluent.

On a examiné la valeur propre du chemin de fer. Pour cela on s'est appliqué à présenter sous les couleurs les plus sombres les frais d'exploitation par la compagnie pour le passé et les frais d'exploitation par l'Etat pour l'avenir.

Ici encore, je trouve une preuve manifeste de cet art de grouper les chiffres. D'abord on s'est prévalu d'erreurs grossières qui auraient été commises par l'administration ; on a dit que, suivant les sources auxquelles ou puisait, on trouvait des chiffes différents pour la recette et pour la dépense.

Mais, messieurs, cela est tout simple, attendu qu'il y a aussi différentes manières d'envisager les choses.

Ainsi, quand on parle des frais d'exploitation, on arrive nécessairement à des chiffres différents selon qu'on veut connaître, soit le chiffre des frais d'exploitation que la compagnie supporte aujourd'hui, soit le chiffre qui doit servir de base au calcul de ce qui revient aux actionnaires ; soit enfin le chiffre de ce que le chemin de fer rapporterait à l'Etat si le projet de loi était adopté.

Or, que fait-on ? Au lieu de prendre les dépenser qui s'appliquent seulement à l'exploitation du chemin, pour établir le revenu net, on porte en compte ce qu’il a fallu défalquer du produit net qui reste à payer aux actionnaires. C'est ainsi qu'on arrive à trouver que pour 1857 la recette ne s'est élevée qu'à 268,000 fr., que la dépense est de 778,000 fr. ; tandis que l'Etat ne renseigne qu'une dépensé de 505,000 francs Cette différence, quant à la dépense, provient de ce qu'on a défalqué, ce qui était très juste, les sommes qui ont été appliquées au renouvellement d'une partie de la voie.

On dit que c'est de l'entretien ; mais c'est là une erreur évidente ; il s'agit de dépenses tout à fait exceptionnelles que l'on ne peut pas porter au compte d'une seule année : on a remplacé des rails de 24 kilogr. par des rails de 34 kilogr. ; c'est bien certainement là un travail de premier établissement, au moins pour une grande partie. On a porté en compte aussi les frais d'un procès. Or, ces frais, qui se sont élevés à 15,000 francs ne constituent certainement pas des frais d'exploitation. C'est également en 1857 qu'ont eu lieu les négociations avec la compagnie du chemin de fer du Nord ; on a également porté en compte les frais de ces négociations ; et à ce propos, messieurs, je dois dire qu'il n'y a dans ces frais absolument rien qui ne soit parfaitement régulier : la somme qui est portée en compte de ce chef représente les frais de voyage et de séjour à Paris des administrateurs de la compagnie ; et elle n'a rien d'exagéré puisqu'elle ne s'élève qu'à 10,000 francs.

Enfin, on a fait entrer en ligne de compte des commissions de banque payées pour d'anciennes affaires de la compagnie, ainsi que les frais occasionnés par l'existence des deux administrations générales établies à Londres et à Bruxelles. Il figure de ce dernier chef une dépense de plus de 60,000 francs. Or, il est bien évident que si l'Etat était propriétaire du chemin de fer de Mons à Manage, cette dépense notamment serait supprimée de fait ; tandis qu'il est tout naturel que la compagnie la porte en compte pour établir son bilan.

Vous le voyez, messieurs, il y a dans tout ce jeu de chiffres des détails extrêmement difficiles à suivre dans une discussion. C'est précisément pour cela qu'on s'en rapporte généralement aux travaux des sections centrales, ce sont elles qui, ayant tous les documents sous les yeux, se font rendre compte de tous les détails que présentent les projets de loi soumis à leur examen.

Sous ce rapport, messieurs, vous avez, dans le cas présent, les garanties les plus complètes. Le projet de loi a été examiné de la matière la plus scrupuleuse, la plus approfondie par la première section centrale qui y était hostile.

Cette section a, dans un rapport très développé, exprimé tous ses doutes et ses prévisions qui étaient fort sombres. Eh bien, ce premier rapport a amené quelques changements dans le second exposé des motifs, où l'on s'est appliqué à rencontrer les objections de la première section centrale. En outre, votre section centrale actuelle a eu connaissance de ce rapport, des réponses faites par le gouvernement, en un mot de tous les détails de l'affaire ; et c'est après cela, messieurs, qu'elle vient vous proposer l'adoption du projet de loi.

Je dis donc, messieurs, qu'il est très difficile de faire comprendre dans une discussion comme celle-ci, tous ces rapports différents que l'on peut tirer des mêmes chiffres, parfaitement exacts, mais placés de différentes façons.

Il en est de même pour la somme de 1,400,000 fr., on dit qu'il faut ajouter le montant de cette somme aux dépenses d'exploitation qui ont été faites jusqu'ici par la compagnie. C'est là une erreur, les 1,400,000 francs doivent s'appliquer à un autre objet que l'entretien. Je reconnais que la compagnie aurait pu faire un peu plus de dépenses dans son exploitation actuelle ; mais il n'en est pas moins vrai que ces 1,400,000 francs doivent servir à couvrir une dépense qui n'est pas normale.

Ces 1,400,000 francs représentent le chiffre de l'évaluation qui a été faite pour remettre dans un état complètement satisfaisant le chemin de fer. Cette somme comprend entre autres la reconstruction d'un atelier à la Louvière, qui ne sera plus nécessaire si l'Etat reprend la ligne. Elle comprend des frais d'agrandissement de la station de Manage qui deviendront complètement inutiles. Cette somme de 1,400,000 fr. se réduit donc en réalité à 1,251,000 francs. Cela est reconnu ; mais j'ai laissé passer le chiffre, parce que j'avais la conviction que la section centrale, ayant en main tous les éléments d'appréciation, ne s'arrêterait pas à cette différence, ou n'aurait pas besoin de s'y arrêter pour approuver le projet de loi.

Cette somme de 1,400,000 francs comprend encore des travaux d'amélioration extraordinaires et exceptionnels.

Ainsi, dans cette somme est comprise la dépense très considérable qui doit être faite pour remplacer les rails légers de 24 kil. par des rails de 34 kil. avec éclisses, et enfin, pour introduire dans les accessoires du chemin de fer toutes les améliorations qu'il comporte et qu'exige le mouvement considérable de marchandises auquel il doit suffire. Evidemment ce ne sont pas là des dépenses que vous puissiez porter en compte des dépenses annuelles d'exploration pour établir le revenu réel du chemin de fer

C'est en ne portant en compte comme recette nette du chemin de fer, que la somme de 268,000 francs qui est celle payée en définitive aux actionnaires, après déduction de dépenses étrangères à l'exploitation, que l'on arrive aux conséquences qui vous ont été présentées.

Ainsi, pour avoir la moyenne des recettes, on a porté en compte dans les trois dernières années ce chiffre de 268,000 fr. au lieu de porter celui de 500,000 fr. ; on a divisé par trois ; on a dit : Voilà la recette moyenne par année.

Voilà un petit échantillon de cet art de grouper les chiffres dont je vous parlais tout à l'heure.

Je craindrais de fatiguer votre attention, si je poussais plus loin toutes ces rectifications. Il me suffit de vous citer quelques exemples pour vous démontrer la vérité de ce que j'avais l'honneur de vous dire, qu'en matière de chiffres, en matière de calculs aussi délicats, aussi difficiles, aussi détaillés que ceux-là, il est impossible de s'en rendre bien compte autrement que dans le silence du cabinet. Eh bien, cette étude a été faite ; elle a été faite d'une manière tellement complète, qu'il me semble que vous pouvez avoir confiance dans le rapport de la section centrale.

J'aborde un autre point qui est extrêmement important, c’est celui du tarif.

On a dit : La recette, telle que nous la présentons, est déjà très mauvaise ; mais elle va devenir plus mauvaise encore, quand il y aura application du tarif de l’Etat, attendu que le tarif de l’Etat est moindre que le tarif de la compagnie.

Messieurs, la compagnie avait un tarif qui comportait une taxe de 8 centimes par tonne-kilomètre. Cette taxe comprenait tous les accessoires ; c'était une taxe unique. Elle était appliquée par kilomètre ; mais en vertu de stipulations, tous les charbonnages sont placés sur la même ligne.

Pour maintenir entre eux une sorte d'égalité, on a pris un terme moyen de distances qui s'applique aux expéditions vers Mons et une autre moyenne qui s'applique aux expéditions vers Manage. La taxe correspondante à cette moyenne était de 8 centimes par kilomètre ; c'était le tarif particulier de la compagnie.

Elle a jugé à propos, il y a peu de temps, d'appliquer, dans le but d’accroître ses profits, la taxe de l'Etat. Elle a appliqué un tarif qui comporte 6 centimes par kilomètre ; mais, profitant du droit qu'elle avait, elle a ajouté à la taxe de 6 centimes par kilomètre une taxe accessoire pour frais de chargement et de déchargement, qui représentent 50 centimes par tonne.

Quel a été le résultat de l'application de ce tarif ? Ce résultat a été une augmentation considérable de recettes.

Il y a progression naturelle des transports ; mais à part cela, c'est l'application de la taxe nouvelle qui a produit à la compagnie le bénéfice qui figure dans ses recettes.

Maintenant qu'arrivera-t-il si l'Etat reprend la voie ? Ici la matière est assez délicate. Je ne voudrais pas que l'on puise, dans mes déclaration, un droit pour l'avenir.

Je fais donc à cet égard toutes réserve, parce que je sais par expérience combien les intérêts privés sont prompts à s'emparer d'une parole exprimée dans la discussion et qui est quelquefois susceptible d’interprétations diverses.

(page 789) Toutefois je vous prie de croire que je ne prends pas ces précautions de langage pour déguiser en quoi que ce soit la vérité.

L'application du tarif de l'Etat maintiendra donc la taxe à 6 c, soit variable selon les distances, soit avec l'application du système de moyennes qui est aujourd'hui pratiqué.

Mais l'Etat qui ne perçoit pas sur le charbon (c'est ici l'objet principal des transports) une taxe de chargement et de déchargement, a dans son tarif un droit fixe d'un franc.

Afin de favoriser les transports à des distances un peu longues, on a, vous le savez, combiné le tarif de telle façon, qu'une tonne de charbon embarquée paye d’abord 1 franc plus 6 centimes par kilomètre.

Voilà donc le tarif qu'il faudrait appliquer à la ligne de Mons à Manage.

Eh bien, je tiens en main un tableau qui indique les transports qui sont faits vers les lignes de l’Etat soit à Mons soit à Manage, puis ce qu'on appelle les transports à l'intérieur, c'est-à-dire tous les transports qui ont une autre destination. Il se trouve que ceux-là figurent en 1857 pour 383,000 tonnes. C’est sur ces transports que lia compagnie depuis peu de temps a perçu le demi-franc par tonne dont je vous parlais il y a un instant ; mais lorsque l'Etat appliquera son tarif, au lieu d'un demi-franc il percevra un franc de droit fixe.

Il y aura donc une augmentation de ce chef de 50 centimes par tonne ; or le nombre de tonnes étant de 383,000, cette augmentation produira, à raison d'un demi-franc par tonne, environ 200,000 fr.

Il y aura d'autre part quelques réductions ; celles-ci seront beaucoup moindres et la compensation établie, il restera en définitive une augmentation sensible dans le produit de la recette

Ainsi, messieurs, il n'y a pas à s'inquiéter autrement de cette question de tarif. Le changement de tarif n'influera pas d'une manière défavorable, bien s'en faut, sur les recettes actuelles du chemin de fer. Je ne prétends pas que celles-ci croîtront d'une manière fort notable ; mais, tout au moins, les choses resteront à peu près ce qu'elles sont aujourd'hui, et, ce dont je suis très persuadé, c'est que le changement ne sera pas défavorable pour l'Etat.

Je pense, messieurs, que les explications que je viens d'avoir l'honneur de donner à la Chambre sont suffisantes, et j'attends avec confiance votre résolution.

Je le répète, messieurs, votre vote aura des conséquences très grandes pour le chemin de fer de l'Etat, je pense que dans cette circonstance les considérations accessoires qui viennent se mettra en travers ne pourraient pas nous empêcher de veiller à cet intérêt.

- La discussion générale est close.

Discusion des articles

Il est procédé au vote des articles.

Articles 1 à 4

« Art. 1er Est approuvée la convention, en date du 16 et du 17 février 1857, conclue entre le ministre des travaux publics, au nom de l'Etat belge, et la société des chemins de fer de Namur à Liège et de Mons à Manage avec leurs extensions, portant cession et abandon, au profit de l'Etat belge, de tous les droits compétant à ladite société anonyme sur la ligne de Mons à Manage, en vertu de la concession qui lui a été octroyée par arrêté royal du 20 juin 1845 ; cette cession et cet abandon comprenant le chemin de fer de Mons à Manage avec ses embranchements et dépendances ainsi que le matériel d'exploitation.

- Adopté.


« Art. 2. Deux crédits de six cent soixante et douze mille trois cent trente francs sont respectivement ouverts à l'article 23bis du budget de la dette publique pour les exercices 1857 et 1858 sous la rubrique : « Rente annuelle constituant le prix de cession du chemin de fer de Mons à Manage. »

- Adopté.


« Art. 3. L'évaluation des produits du chemin de fer de l'Etat pour chacun des mêmes exercices est augmentée d'un million cinquante mille francs. »

-Adopté.

« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté par 61 contre 16.

Ont voté l'adoption : MM. Allard, Ansiau, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Decker, de la Coste, Deliége, de Luesemans, de Moor, de Paul, de Perceval, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Terbecq, Devaux, Dolez, H. Dumortier, d’Ursel, Faignart, Frère-Orban, Godin, Grosfils, Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Magherman, Manilius, Moreau, Muller, Orban, Orts, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Saeyman, Savart, Tack, Thiéfry, A Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Stichelen, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vervoort, Veydt, Vilain XIIII, Wala, Wanderpepen et Verhaegen

Ont voté le rejet : MM. Coppieters 't Wallant, Dechentinnes, De Lexhy, de Naeyer, de Portemont, Desmet, d'Hoffschmidt, Frison, Janssens, Mascart, Notelteirs, Pirmez, Thienpont, Vander Donckt, Van Overloop et Verwilghen.

Projet de loi cédant certains immeubles au bureau de bienfaisance de Lillo

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) présente un projet de loi ayant pour objet ta cession de certains immeubles au bureau de bienfaisance de Lillo.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1859

Dépôt d’amendements

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le budget de l'intérieur a été imprimé et distribué ; j'annonce dans l'introduction que des notes spéciales donneront les motifs de diverses augmentations portées à ce budget ; demain ou aptes demain au plus tard ces annexe pourront être imprimées.

Voici quelles sont les différentes augmentations proposées.

1° Un crédit nouveau est demandé comme dotation de la caisse des secrétaires communaux, que nous vous proposerons d'établir. Le projet de loi concernant cet objet sera présenté prochainement. Ce crédit est de 15,000 francs.

2° Une augmentation de 30,000 fr. est destinée aux blessés de septembre que nous proposons d'assimiler, quant à la pension de 250 frs., à ceux qui sont décorés.

3° Il y a une augmentation au chapitre de l'enseignement moyen, pour les athénées, et une autre augmentation au même chapitre, pour les écoles moyennes.

Une autre augmentation figure au chapitre de l'instruction primaire pour les instituteurs et les sous-instituteurs.

Enfin, il y a deux autres augmentations qui sont également justifiées dans les développements que je ferai imprimer et distribuer ; l'une est relative aux lettres et aux sciences ; l'autre est relative aux beaux-arts, et elle a spécialement pour objet l'encouragement de la peinture historique et religieuse.

M. le président. - Ces notes seront imprimées et distribuées, et les sections seront convoquées immédiatement après la distribution.

Projet de loi révisant la législation sur les conseils de prud’hommes

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je demande que la discussion s'établisse sur le projet du gouvernement ; il est un certain nombre d'articles sur lesquels nous nous sommes mis d'accord avec la section centrale ; je ferai connaître successivement à la Chambre quels sont les articles auxquels le gouvernement se rallie.

M. le président. - Ainsi la discussion s'ouvre sur le projet du gouvernement. La parole est à M. Janssens.

M. Janssens. - Les conseils de prud'hommes sont, dans les villes manufacturières surtout, d'une utilité qui de bonne heure a été comprise dans la partie du pays à laquelle je suis heureux d'appartenir. Après les deux capitales des Flandres qui avaient été dotées de cette institution depuis 1810 et 1813 ce furent les villes de l'arrondissement de St-Nicolas qui les premières sollicitèrent le bienfait ; l'exposé des motifs de la loi de 1842 constate que dès 1825 les administrations de St-Nicolas et de Lokeren étaient en instance pour obtenir l'établissement de conseils de prud'hommes.

Aujourd'hui l'institution fonctionne dans ces deux villes d'une manière régulière et conforme à l'esprit qui en a inspiré la création, et c'est l'observation que j'ai pu faire de l'utilité qu'elle présente qui m'a engagé à donner une attention spéciale au projet de loi qui nous est actuellement soumis.

En abordant l'examen de ce projet de loi, je me suis demandé en premier lieu si une législation toute nouvelle en matière de prud'hommes est d'une nécessité telle, que nous devions nous déterminer à modifier profondément une institution qui fonctionne d'une manière très satisfaisante. Cette question, messieurs, mérite que nous l'examinions sérieusement, en nous déliant un peu de notre amour-propre, qui nous porte aisément à exagérer l'utilité de notre travail

Que les conseils de prud'hommes, tels qu'ils sont érigés aujourd'hui, rendent des services véritables, c'est ce qu'on ne peut contester ; le besoin que l'on éprouve d’en augmenter le nombre l'indique, et l'on en obtient la conviction lorsqu'on suit de près la marche de ces conseils.

En jetant un coup d'œil sur les affaires traitées par celui que je suis mieux à même de connaître, celui des prud'hommes de Saint-Nicolas, connus sous la dénomination flamande plus propre de werkrechters, je remarque qu'en embrassant une série d'années on aperçoit en moyenne une augmentation dans le nombre des causes et une diminution dans le nombre des jugements.

Ces faits, messieurs, veuillez-le remarquer, sont très significatifs ; ils prouvent que l'institution se popularise puisqu'on y a plus fréquemment recours. Ils prouvent en second lieu que la mission de conciliation des werkrechters est de mieux en mieux comprise et acceptée ; ils prouvent enfin que ces conciliations se font à la satisfaction des ouvriers, puisque la rareté extrême des jugements n'empêche pas les ouvriers de recourir très fréquemment à l'intervention des prud'hommes, car remarquez bien que ce sont presque toujours les ouvriers qui sont demandeurs. Cette augmentation du nombre des causes a une signification d'autant plus grande que l'action du conseil de prud'hommes a déjà fait diminuer certains abus dont les ouvriers pouvaient avoir à se plaindre, et que suivant l'observation judicieuse de l'honorable rapporteur de la loi de 1842, l'existence même d'un conseil de prud'hommes est la garantie de l'exécution loyale des conditions du travail.

(page 790) Je puis donc considérer comme établi que l'institution gagne de plus en plus la confiance des ouvriers et je trouve là un motif très grave pour ne pas remuer à la légère une question aussi délicate que celle qui touche aux rapports entre les ouvriers et leurs patrons. Je suis d'autant plus porté à douter de l'opportunité de la réforme actuelle, que je remarque que, dans le même ordre d’intérêts, il est une autre loi, celle des livrets des ouvriers, loi dont la révision a plus d'importance pour la classe ouvrière et dont il serait désirable de faire l'étude, sinon au préalable au moins en même temps que celle du projet qui nous est soumis.

Mais, messieurs, cette réforme que je ne crois pas urgente, dont l'opportunité même me semble très douteuse, constituera-t-elle au moins une amélioration bien certaine de la législation en vigueur ? A considérer l'ensemble de la loi, je n'oserais pas dire : Oui.

Certainement, messieurs, le projet contient des dispositions sur lesquelles notre appréciation sera probablement unanime ; ainsi l'augmentation du nombre des conseils, soit qu'on l'arrête par disposition législative, soit qu'on en laisse la faculté au gouvernement, cette augmentation est un bien.

L'introduction d'éléments nouveaux pour la formation des listes d'ouvriers électeurs et éligibles est presque une nécessité ; en effet c'est rendre le droit des ouvriers illusoire que de le limiter aux ouvriers patentés.

La représentation en nombre égal dans le conseil de l'élément ouvrier et de l'élément patron ne doit pas, je pense, rencontrer une opposition bien vive.

La concession de jetons de présence aux prud'hommes paraît une idée sagement démocratique, quoique les auteurs des projets semblent n'avoir pas prévu toutes les conséquences de cette innovation.

Mais il est une autre difficulté dont l'importance est très grande et qui, à mon sens, n'a pas reçu une solution heureuse. C'est le mode de formation du conseil.

C'est sur cette question que je désire appeler votre attention, remettant à la discussion des articles quelques observations accessoires dictées par la pratique.

Les conseils de prud’hommes se composent de juges patrons et de juges ouvriers nommés par des électeurs patrons et par des électeurs ouvriers. D'après la législation actuellement en vigueur, les deux catégories d'électeurs concouraient simultanément à la nomination des deux catégories de juges.

Tous les juges sont donc les mandataires de tous les justiciables et ne semblent avoir pour mission que de soutenir les principes d'équité qui, après tout, sont les mêmes pour les ouvriers comme pour les chefs d'industrie. En pratique, c'est ainsi qu'ils comprennent leur mission et l'on peut dire que c'est ainsi que leur intervention est acceptée. Les faits que j'ai cités le prouvent, le calme avec lequel se font actuellement les élections en est une autre preuve.

La loi nouvelle au contraire sépare les deux classes d'électeurs et confère aux uns et aux autres le droit d'élire séparément leurs représentants parmi leurs pairs.

Je crains bien que cette disposition n'éveille une pensée de défiance qui ne se manifeste point maintenant et dont l'absence est le principal élément de succès de la mission conciliatrice des prud'hommes.

Pourquoi soustraire les candidats à l'influence des électeurs d'une catégorie différente, alors que les suffrages de ceux-ci sont ordinairement dictés par les meilleurs sentiments.

En effet, messieurs, l'ouvrier ne détermine son choix en faveur d'un chef d'industrie, que parce qu'il lui connaît des idées généreuses, un caractère droit.

Le maître, de son côté, ne donnera son vote à l'ouvrier, que parce qu'il aura reconnu en lui des garanties d'ordre.

N'est-il pas à craindre que chaque classe d'électeurs, voyant qu'elle a à stipuler pour elle, ne songe à assurer la défense de ses droits par des choix faits dans les extrêmes, alors que la position toute nouvelle que vous aurez faite aux classes opposées aura éveillé en elles une idée d'antagonisme, alors surtout qu'elles seront tentées de soupçonner ceux qui ont des intérêts contraires de prendre les mêmes précautions ?

Messieurs, on pourrait aisément arriver par cette voie à réunir ce qu'il y a de moins généreux parmi les chefs, à ce qu'il y a de moins gouvernable dans la classe ouvrière, et c'est avec des éléments si profondément différents, différents par l'éducation et la position sociale, différents par leurs propres intérêts et différents encore par l'origine de leur mandat que vous voulez composer une assemblée qui devrait être avant tout conciliatrice. Elle pourrait bien ne pas l'être, d'abord parce que les conciliateurs seraient trop divisés entre eux, ensuite parce qu'ils n'auraient pas la confiance des justiciables, et quelle confiance voulez-vous que mérite un juge amovible, qui dans chaque affaire rencontrerait un électeur dans une des parties.

Cette dernière considération sera d'autant plus grave, messieurs, que vous avez attaché des avantages pécuniaires à la position qui sera occupée par l'ouvrier prud'homme.

La grande garantie d'impartialité se trouvera donc dans la représentation en nombre égal des deux éléments dans le conseil ; mais cette égalité, messieurs, est illusoire. D'abord les auteurs du projet ont reconnu la nécessité de donner voix prépondérante au président, la nomination de celui-ci donnera donc la prédominance à la catégorie dans laquelle il sera pris.

Puis, messieurs, ne perdons pas de vue ce qui se fait dans la pratique. Les prud'hommes ouvriers, flattés déjà et à juste titre de la mission dont ils sont investis, ne seront pas insensibles aux jetons de présence qu'on leur alloue. Ces jetons représenteront la valeur d'une journée de travail, et la séance peut ne lui prendre qu'une heure. Il est donc à prévoir que tous assisteront à toutes les séances, et il n'y aurait qu'à les en louer ; mais il n'en sera pas de même des patrons pour qui les jetons de présence ne représenteront pas la valeur du temps perdu, qui sont tenus souvent par des occupations urgentes ou obligés de faire des voyages.

Les patrons ne seront pas ne pourront pas être aussi assidus. Dans la pratique donc, la représentation égale n'existera pas. Le projet, du reste, ne se préoccupe pas de la nécessité de la présence au conseil des prud'hommes des deux catégories, et l’honorable rapporteur de la section centrale fait, à ce sujet, une observation que je comprends difficilement. Il dit, en parlant de la réforme de l'élection : « La modification, sur ce point, du régime en vigueur est si peu dictée par une autre pensée que celle d'une satisfaction morale à donner à la classe ouvrière, qu'une fois les conseils régulièrement constitués, notre projet les admet à siéger en l'absence d'une partie de leurs membres, sans se préoccuper de la qualité des membres absents. »

Ah ! si tous les prud'hommes avaient une origine commune, je comprendrais ce silence de la loi ; mais ici c'est précisément parce que vous leur aurez donné en quelque sorte une mission opposée que la loi devrait se préoccuper de la présence obligatoire des deux éléments dans une certaine proportion.

Et remarquez bien, messieurs, que l'on vous demande pour des juges, que l'on aura tout fait pour rendre partiaux, des pouvoirs très étendue. Ils pourront pour des manquements graves, et ils seront appréciateurs de cette gravité, condamner soit les ouvriers, soit les maîtres, à des peines que l'on veut appeler disciplinaires et non répressives ; mais qui enfin pourront aller jusqu'à trois jours de prison, et ces sentences seront sans appel. Il est évident, messieurs, que cet ensemble de dispositions pourrait donner lieu aux faits les plus déplorables et dont personne d’entre vous ne voudrait être la cause.

Ce n'est pas, messieurs, que pour les temps ordinaires je craigne tous les inconvénients que je vous représente. Non, le sentiment de l'équité, le sentiment du devoir a conservé sur nos populations un empire qui les rend dignes de notre confiance. Cette confiance est très grande en moi, à l'égard de la population au milieu de laquelle je vis, et celle-ci la mérite d'autant mieux, qu'elle s'est montrée jusqu'ici moins sensible à ces attaques déplorables dont on ne cesse de poursuivre les grands principes sur lesquels reposent toutes les obligations des hommes. Mais enfin, messieurs, des époques plus difficiles peuvent se présenter, et c'est alors surtout que la mission de pacification et de conclusion des prud'hommes pourrait devenir plus important.

Il est donc nécessaire que les dispositions de la loi soient rédigées de manière à leur conserver à l'institution son caractère.

Quel mode d'élection faut-il donc préférer ? Parmi les systèmes qui ont été mis en avant, tous donnent lieu à des objections fondées ; mais aucun, me semble-t-il, n'en soulève d'aussi graves que celui que le projet consacre.

En France on a établi en 1848 un système qui m'a paru avoir un certain mérite, il consistait à faire élire les prud’hommes patrons par les ouvriers et les prud'hommes ouvriers par les patrons, l'élection était faite sur une liste triple de candidats désignés par leurs pairs. Ce mode d'élection a été abandonné, quels inconvénients présentait-il ? C'est un point sur lequel nous ne sommes pas complétement édifiés. On a dit qu'il rendait les opérations électorales longues. Et pourtant en l'appliquant au renouvellement triennal des conseils par moitié on n'aurait qu'une élection double tous les trois ans, tandis que par la loi en vigueur on a une élection chaque année. La charge pour les électeurs ne serait donc pas aggravée.

Un autre mode, c'est le plus simple et celui qui se pratique actuellement, consiste à réunir en un seul collège tous les électeurs chargés d'élire à la fois les deux catégories de prud'hommes. On a exprimé la crainte que dans cette réunion l'un élément n'eût une influence prédominante sur l'autre et qu'ainsi la représentation ne fût pas sincère. Dans la pratique, messieurs, en admettant pour les ouvriers les conditions d'électorat stipulées dans le projet, ils est certain que ceux-ci pourront se présenter à l'élection en bien plus grand nombre que les chefs d'industrie ; mais examinons si cette position offrirait de grands dangers. Pour moi, je ne m'en effraye pas beaucoup.

L'influence des votes des ouvriers sur le choix des prud'hommes patrons me semble peu à craindre.

J'ai déjà fait remarquer que les ouvriers ne donneraient leurs suffrages qu'au maître connu par la loyauté de ses procédés. Pour les choix qu'ils feraient parmi leurs compagnons, il y a lieu de croire qu'ils seraient d'autant plus modérés qu'ils auraient la garantie que l'élection des patrons ne peut se faire dans un esprit d'hostilité contre eux. Sans doute dans certains cas le système pourrait présenter des inconvénients, mais il me semble ni aussi probables ni aussi graves que ceux dont nous menace le projet.

En prenant la parole, mon but a été moins de préconiser tel ou tel système d'élection que de faire ressortir les inconvénients que pourrait avoir le système qu'on vous propose. Ces inconvénients me paraissent très graves ; ils sont tels, à mes yeux, que si on ne les fait pas disparaître, je ne pourrai accorder mon vote à la loi, quel que soit, du reste, le cas que (page 791) je fasse de l'instruction et quel que soit mon désir de la voir se propager partout où le besoin s'en fait sentir.

M. Lelièvre. - Je donne avec plaisir mon assentiment au projet de loi qui réalise une amélioration notable dans notre système législatif. L'institution des prud'hommes, organisée dans un sens démocratique, est une innovation heureuse qui produira de bons fruits. L'élément ouvrier est représenté dans le conseil sur un pied d'égalité avec l’élément patron. La classe ouvrière obtient ainsi des prérogatives véritablement libérales.

Pour le surplus, le projet de loi introduit un système d'élection qui s'écarte ,à la vérité, du suffrage universel, mais qui présente d'ailleurs des garanties analogues à celles concernant les membres des tribunaux consulaires et introduites par les articles 618 et 619 du Code de commerce.

Au point de vue des détails du projet, je reconnais que la section centrale a admis certaines modifications dont le mérite ne saurait être contesté ; mais d'un autre côté, divers articles me semblent susceptibles d'améliorations que je dois signaler à la Chambre. C’est ainsi qu'à mon avis l'article 8 du projet ne devrait frapper de l’exclusion du droit d'élection que les individus condamnés à l’emprisonnement. Il est impossible de frapper d'une espèce d'infamie les individus contre lesquels on n'a prononcé qu'une peine pécuniaire. L’interdiction à perpétuité d'un droit important ne peut résulter que d'une condamnation ayant certain caractère de gravité et portant une peine corporelle.

Je connais un individu appartenant à une classe honorable de la société qui, condamné à 25 fr. d'amende, est à jamais rayé de la liste des électeurs, si le Roi ne daigne user du droit de grâce. Or semblable ordre de choses me semble exorbitant et ne saurait être décreté par la loi en discussion.

L'article 12 du projet de la section centrale énonce que les membres du conseil ne peuvent être parents jusqu'au troisième degré inclusivement. On a omis de prononcer la même prohibition en ce qui concerne les alliés et ceux dont les femmes seraient parentes entre elles jusqu'au deuxième degré inclusivement.

L'article 20 du projet du gouvernement autorise non seulement le gouverneur de la province, mais aussi tous les intéressés à se pourvoir contre la décision de la députation statuant sur la validité des élections.

Le projet de la section centrale n'accorde plus ce droit qu'au gouverneur.

Je pense que, puisqu'on confère à tous les intéressés le droit de former opposition devant la députation, il faut aussi leur conserver le droit de recours contre la décision qui interviendra. Le recours en cassation doit appartenir à tous ceux qui ont été parties dans l'instance vis-à-vis de la députation.

L'article 47 du projet, 52 du projet de la section centrale, autorise les prud'hommes à prononcer des peines qui peuvent s'élever jusqu'à cinq années d'emprisonnement, en cas de troubles à l'audience et d’outrages envers les magistrats. Ne sont-ce pas là des attributions exorbitantes, en égard à la nature de la juridiction dont nous nous occupons ? A mon avis, lorsqu'il s'agit de peines correctionnelles, leur application devrait être réservée aux tribunaux chargés, par la loi, de prononcer les peines de ce genre.

L'article 61 du projet de la section centrale, propose d'appliquer aux prud'hommes les mêmes motifs de récusation que ceux qui concernent les juges de paix ; mais on a omis d'énoncer la cause de récusation écrite dans le n°4 de l’article 44 du code de procédure, c'est-à-dire le cas où il y a procès civil existant entre les prud'hommes et l'une des parties ou son conjoint. Or c'est là une cause légitime de récusation qui doit être maintenue.

Enfin, l'article 58 porte que l'exécution provisoire des sentences est obligatoire, moyennant caution, lorsqu'il s'agit d'une somme supérieure à deux cents francs. A mon avis, le second paragraphe doit être conçu de manière que l'exécution provisoire moyennant caution ne soit que facultative lorsque le litige excède 200 francs.

Il doit en être ainsi ; sans cela pour les valeurs excédant cette dernière somme, la sentence pourrait être exécutée plus rigoureusement que s'il s'agissait d'une somme moindre de deux cents francs. Au-dessous de cette dernière somme, l'exécution provisoire ne serait que facultative, tandis qu’elle serait forcée, moyennant caution, lorsqu'il s'agit d'une somme plus élevée. C'est là une anomalie qui ne peut être maintenue.

Du reste, les énonciations écrites à l'article 24 du rapport, prouvent que la section centrale comprend la chose dans le sens que je viens d'exposer. Les expressions de l'article 58 doivent donc être rectifiées.

Les dispositions que je viens de signaler me paraissent devoir être modifiées, mais quelle que soit la décision à prendre à cet égard, je considère le projet comme digne d'une administration libérale, et je suis heureux de lui donner mon assentiment.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - L'honorable M. Lelièvre a signalé des vices qui, selon lui, se trouvent dans quelques dispositions de la loi. Je crois que nous pourrons examiner utilement les arguments qu'il a fait valoir, lors de la discussion des articles.

Comme l’honorable préopinant, la section centrale pense que la loi est susceptible d'être améliorée.

La matière est assez difficile. Elle est difficile, parce qu'il faut beaucoup prévoir et parce qu'on vient se heurter contre un double écueil. On risque d'être trop solennel ou d'être trop simple ; on risque de trop multiplier les formalités ou de ne pas prévoir certains cas qui doivent être prévus, pour que l'institution puisse marcher.

Dans cet état des choses, il est incontestable que la discussion qui s'engagera sur les articles devra révéler beaucoup d'améliorations auxquelles tout le monde et la section centrale la première, serait heureux de se rallier.

En principe, le projet de loi n'a été attaqué que sur un point ; l'honorable M. Janssens l'a critiqué, en ce qui concerne la séparation des assemblées électorales, la division des assemblées électorales en une assemblée de patrons et est une assemblée d'ouvriers.

Je crois que cette disposition, nouvelle pour la Belgique, tient essentiellement au régime que l'ensemble de la loi tend à consacrer ; je pense que le système, indiqué d'une manière très vague par l'honorable M. Janssens, ne pourrait être adopté, sans être en contradiction avec d'autres principes qui sont écrits dans la loi.

Ainsi, la séparation des assemblées électorales, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire dans le rapport, est une disposition essentiellement corrélative avec la parité de représentation des deux éléments.

Dès l'instant que vous dites que les conseils de prud'hommes ont à statuer sur des intérêts distincts ; que l'intérêt des patrons et celui des ouvriers sont également respectables, il est évident que vous devez sauvegarder ces deux intérêts avec une égale sollicitude.

Aujourd'hui, il n'y a pas parité dans la représentation ; l'élément des patrons a la supériorité ; cette supériorité ne s'explique pas. Ou bien, l'ouvrier est capable, par son intelligence et par sou honorabilité, d'intervenir dans un tribunal, car les conseils de prud'hommes sont des tribunaux ; et dans ce cas, il n'y a absolument aucune raison pour le faire siéger, à côté du patron, dans une position d'infériorité.

Ou bien les ouvriers ne sont pas capables de siéger à côté des patrons ; s'il en est ainsi, il ne faut les laisser intervenir à aucun degré, il ne faut les admettre pour rien, mais leur donner une représentation inégale et dire qu'ils sont aussi capables que les patrons de prononcer de bons jugements serait illogique.

Les conseils de prud'hommes sont appelés à statuer sur des différends qui surgissent entre deux classes de citoyens essentiellement distinctes ; ils sont appelés surtout à accomplir une mission de confiance et de conciliation.

Je dis que la classe ouvrière ne peut avoir confiance dans les conseils de prud'hommes et que ceux-ci ne peuvent remplir leur mission qu'à la condition que l'ouvrier n'ait aucun soupçon sur leur impartialité ; or ce soupçon ne peut être écarté qu'autant que l’ouvrier aura dans ces conseils une représentation complète, et la représentation ne sera complète que si elle est égale. Ce sont là des idées qui se tiennent.

Il ne faut pas croire que la séparation des assemblées des électeurs ne se trouve introduite qu'en faveur des ouvriers, Si cette séparation est justifiée par des considérations qui tiennent à un principe que je viens d'indiquer, elle l'est également par les inconvénients pratiques qui peuvent se révéler dans un système différent.

Les conseils de prud’hommes, à l’instar des tribunaux de commerce, ont été élus par des assemblées très nombreuses ; les statistiques établissent que la moyenne des électeurs qui ont fait acte de présence dans les assemblées électorales n'a été que de huit ouvriers et patrons réunis. C'est une chose déplorable, mais c'est un fait.

Ne croyez pas que ce petit nombre d'électeurs présents tienne à cette circonstance qu'il s'agissait du nommer les membres d'un tribunal qui n'a à s'occuper que d'intérêts minimes ; car pour les tribunaux de commerce qui s'occupent d'intérêts majeurs, la statistique prouverait que le nombre des notables qui concourent à la nomination de leurs, membres n'est pas beaucoup supérieur à celui des électeurs des prud'hommes.

Vous comprenez que quand vous avez affaire à une assemblée aussi peu nombreuse, un des éléments qui la composent peut, doit même, l’emporter sur l'autre.

Si le système qu'on veut substituer à celui qui est en vigueur donnait un peu plus d'activité à l’institution, et qu'au lieu d'avoir une moyenne de huit électeurs, on arrive à une moyenne de cent, qu'est-ce qui arriverait ? Ill arriverait nécessairement que l'un les deux éléments absorberait l'autre, l'un des deux éléments serait effacé ; le plus souvent ce serait l'élément patron ; le contraire pourrait arriver ; quoi qu’il en soit, vous arriverez à voir l’un des deux éléments effacé par l'autre.

Le danger existait pour les patrons comme pour les ouvriers, il était utile, indispensable, urgent de faire disparaître un système vicieux et de lui substituer un système plus logique et plus sûr.

En France, comme je l'ai mentionné dans mon rapport, on a senti la nécessité de remplacer les assemblées uniques par des assemblées séparées ; l'innovation a été introduite en 1848 ; elle a été maintenue en 1853, alors que l'expérience du système avait été faite longuement et que les inconvénients avaient eu le temps de se révéler ; eh bien cette séparation a été maintenue à une époque où certainement on était peu disposé à laisser beaucoup aux expériences d'un certain ordre.

Ce qui s’est passé alors est une garantie que ce que nous proposons d'introduire dans le projet ne présente pas les inconvénients que craint l'honorable M. Janssens et que, sous ce point de vue comme sous les autres, il y à lieu d'adopter le projet de loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les observations présentées par l'honorable député de Saint Nicolas trouveront leur place (page 792) naturelle quand nous serons aux articles et elles seront là discutées plus utilement et recevront une application immédiate.

L'honorable membre pense que la loi nouvelle n'était pas nécessaire, qu'elle n'était pas réclamée. C'est une erreur ; elle a été vivement réclamée par tous les conseils de prud'hommes, à toutes les époques ; j'ai la une liste des conseils qui ont réclamé une réforme, j'y vois figurer Anvers, Bruges, Alost, Saint-Nicolas même, Roulers, Renais, etc. En présence de ces réclamations, une réforme était devenue indispensable, elle était, d'ailleurs, la conséquence d'une mesure prise par le gouvernement en ce qui concerne les patentes dont il avait affranchi un grand nombre d'ouvriers fabricants.

Ces ouvriers ne payant plus de patente, n’étaient plus électeurs pour la nomination des prud'hommes ; la loi actuelle a pour but de remédier à cet état de choses, de rétablir ces ouvriers sur la liste électorale ; elle a pour but cette autre amélioration de faire représenter par un nombre égal les ouvriers et les patrons dus les conseils de prud'hommes ; elle élargit le cercle, elle augmente les industries ayant droit d'être représentées dans ces conseils.

L'égalité de représentation serait de nul effet pour l'ouvrier, s'il devait consacrer gratis sa journée à juger les causes soumises au conseil.

Le projet propose de lui allouer un jeton de présence qui tiendra lieu du salaire qu'il aurait gagné qu'il avait consacré sa journée à son travail ordinaire.

Voilà les améliorations qui étaient réclamées et qui ont été introduites.

Le projet de loi peut donner lieu à de longues discussions, surtout dans ses dispositions relatives à la procédure : les questions que ces dispositions soulèvent sont délicates et difficiles. Je demande qu'on examine ces questions article par article à mesure qu'elles se présenteront.

Il est des observations de l'honorable représentant de Saint-Nicolas qui me paraissent particulièrement dignes d'être prises en considération. Ce sont celles qui ont trait au mode d'élection. D'après le projet de loi, les ouvriers et les patrons se divisent pour choisir respectivement parmi eux ceux qui les représenteront dans le conseil de prud'hommes.

L'honorable député de St-Nicolas pense que les ouvriers et les patrons réunis en une seule assemblée devraient en commun faire le choix et des patrons et des ouvriers, il voudrait que l’antagonisme entre ouvriers et patrons ne se produisît pas au sein du conseil. Voilà un système qui, je le reconnais, mérite d'être examiné ; et bien que le projet de loi tende à consacrer un système contraire, j'avoue que je n'ai pas de raison absolue de m'opposer au mode indiqué par l'honorable représentant de Si-Nicolas.

Nous avons eu, à propos de diverses dispositions, des rapports avec la section centrale et avec son honorable rapporteur ; il en est résulté cet avantage que nous nous mettrons facilement d'accord sur les modifications proposées par la section centrale. Si d'autres propositions importantes devaient surgir, je prierais les honorables auteurs de ces propositions éventuelles de vouloir bien les déposer dès maintenant sur le bureau, afin qu'elles puissent être renvoyées à la section centrale.

En procédant ainsi, je crois que nous gagnerions beaucoup de temps, attendu que les auteurs des amendements, la section centrale et le gouvernement pourraient se mettre d'accord avant la discussion. Si nous ne faisons pas cela, je crains que la discussion ne nous occupe trop longtemps et n’ait pas tous les bons résultats qu'elle doit produire. J'engage donc les membres qui se proposent de présenter des amendements à les déposer le plus tôt possible, surtout ceux qui toucheraient à la procédure.

M. Muller. - Répondant inopinément à l'appel qui vient d'être fait par le gouvernement, je dirai qu'une question très importante, selon moi, doit être soulevée en ce qui concerne l'article 2, à propos du pouvoir qui y est attribué au gouvernement d’établir des conseils de prud'hommes là où il le jugera nécessaire.

J'éprouve à cet égard, messieurs, des scrupules constitutionnels très sérieux ; des doutes sont nés dans mon esprit, doutes que l’honorable rapporteur de la section centrale, dans le remarquable travail auquel il s'est livré, n'est pas parvenu à dissiper.

En principe, je suis décidé, sous réserve d'examen et de discussion, à donner mon adhésion à la loi qui organisera des conseils de prud'hommes ; je prêterai mon appui à toute mesure constitutionnelle tendante à propager autant que possible ces institutions ; mais, selon moi, elles ne doivent fonctionner que là où elles sont requises par le vœu des populations. Maintenant, il est désirable que la loi qui nous est proposée obtienne dans cette enceinte une grande et imposante adhésion ; et, pour qu'il en soit ainsi, il ne faut pas qu'il reste dans l’esprit d’un nombre même très restreint de membres des scrupules constitutionnels qui les arrêtent.

J'appartiens à cette dernière catégorie. L'article 14 de notre Constitution porte que « nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établie qu'en vertu de la loi. » Or, toute la partie de l'argumentation de l’honorable rapporteur de la section centrale relative à la juridiction contentieuse, est, selon moi, parfaitement motivée, c'est-à-dire que la juridiction contentieuse des prud'hommes existe actuellement en vertu de 1a loi. Mais cet article 91 de notre pacte fondamental emploie aussi l'expression nul tribunal. Or, il y a évidemment une différence notable entre l’une et l'autre expressions ; les deux expressions ne constituent pas bien certainement une inutile redondance.

La juridiction doit être basée sur la loi : mais le tribunal doit aussi émaner directement de la loi. On objectera peut-être que établi en vertu de la loi n'est pas synonyme de établi par la loi, et l'on dira : La législature a le droit de déléguer cette attribution au gouvernement, à l'autorité exécutive. Messieurs, je ne pense pas en principe, que lorsque le Congrès a chargé le législateur de faire lui-même telle chose, il appartienne à ce dernier de déléguer son mandat. Avec ce système, nous irions très loin ; nous en viendrions même à ce point de charger le pouvoir exécutif de revoir tel Code, telle législation. Au surplus, si cette argumentation n'était pas tout à fait concluante d'une manière absolue, j’en fournirai une autreo pour la matière qui nous occupe, qui me paraît décisive.

On a invoqué, messieurs, l'article 94 et d'autres dispositions constitutionnelles en faveur du droit exorbitant que l'article 2 du projet attribue au gouvernement. Mais on a oublié l'article 105 de notre pacte fondamental. Or, qu'y est-il dit ? « Il y a des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi ; elle règle leur organisation, leurs attributions, le mode de nomination de leurs membres et la dure des fonctions de ces derniers. » Si maintenant, messieurs, je consulte le travail de l'honorable rapporteur de la section centrl'e, comment y justifie-t-on la juridiction du conseil des prud'hommes ? On la justifie comme étant en quelque sorte un démembrement, une section inférieure des tribunaux de commerce. Voici ce passage :

« Les conseils de prud'hommes ne sont qu'un démembrement ou ne sont que le complément des tribunaux de commerce. Les uns et les autres rentrent positivement sous la même classification. C'est un même ordre d’intérêts qu'ils sont destinés à servir, un même ordre de relations qu'ils sont appelés à mettre en harmonie. S'il y a une différence, elle ne porte que sur un point de hiérarchie : c'est la position sociale des parties plaidantes, c'est l'importance des contestations, non leur nature, qui mènent à subordonner les conseils de prud'hommes aux tribunaux de commerce. »

Ainsi donc, messieurs, d'après la section centrale elle-même, la différence de nom ne peut pas emporter le fond. Comme le fait très bien remarquer le rapporteur, mas au point de vue du principe de cette juridiction contentieuse, qu'on appelle les conseils de prud'hommes, tribunaux de commerce au premier degré, et toute difficulté disparaît. Une simple désignation ne peut pas créer une inconstitutionnalité.

Mais quant à l'établissement et au siège des conseils de prud'hommes, s il est vrai qu'ils doivent être assimilés aux tribunaux de commerce, l'article 105 de la Constitution résout la question dans le sens de mes observations, car il y est dit formellement : « Il y a des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi. » Il faut donc, messieurs, que les lieux où siégeront les conseils de prud’hommes soient déterminés par la loi, il faut qu'il en soit ainsi de leur composition et de leur ressort.

Dans la loi de 1842, on s'était conformé à cette prescription constitutionnelle, on avait déterminé d'une manière nominative toutes les localités dans lesquelles pourraient être institués des conseils de prud'hommes, sous réserve par le gouvernement de ne point s'écarter des limites qui lui étaient tracées à cet égard par les lois maintenues en vigueur, c'est ainsi que j'ai trouvé dans la Pasinomie institué le conseil de prud'hommes d'Ypres, en vertu et par la loi.

Au surplus, messieurs, j'admets que d'honorables membres de cette assemblée ne partagent pas mes scrupules. Mais je prétends qu'en fait, eussiez-vous le droit de déléguer, vous ne devriez pas le faire, vous devriez vous le réserver.

Comme je le disais tantôt, les conseils de prud'hommes constituent une institution recommandable, qu'il est désirable de voir se propager, mais qui, cependant, ne peut, brusquement et sans que les populations le désirent, être introduite dans toute espèce de localité.

D'après la loi de 1842, je le rappelais tantôt, le gouvernement avait le droit d'instituer des conseils de prud'hommes en se conformant aux dispositions de la loi du 11 juin 1809 et de celle du 5 août 1810. Or, par ces lois, le gouvernement ne pouvait instituer des conseils de prud'hommes que sur la demande des chambres de commerce. Le gouvernement n'avait pas un pouvoir illimité à cet égard. Pour mon compte, je suis très peu tenté de le lui accorder aujourd'hui.

On me dit qu'il n'y a pas à craindre que le gouvernement abuse de cette faculté. Mais lorsque vous lui aurez accordé ce droit, qui nous répond que le gouvernement dans lequel aujourd'hui la majorité parlementaire a confiance sera encore au pouvoir ? Qui nous répond que le vœu des populations sera entendu, sera respecté ? Et n'est-ce pas là poser un regrettable précédent ?

Eh quoi, messieurs, quand il s'agit d'une simple séparation de communes, quand il s'agit pour elles d'une rectification de limites il faut une loi expresse, et quand il est question d'établir des conseils des prud'hommes, qui peuvent grever les finances communales d'une manière assez considérable, des conseils de prud'hommes qui peuvent très bien, dans telles circonstances et dans telles localités, ne pas répondre à l'attente qu'on en a, que j'en ai moi-même, vous donneriez au gouvernement un droit absolu, illimité ? Je ne pense pas qu'il puisse en être ainsi, et je n'y donnerai mon assentiment.

Je ne suis guère touché de l'objection qu'on pourrait me faire, que la députation permanente du conseil provincial, l'administration de la commune, la chambre de commerce de la circonscription devront être (page 793) préalablement entendus. Je sais très bien, par expérience, ce que c'est que cette audition préalable de corps constitués, alors que le gouvernement se réserve la haute main et que le gouvernement, en définitive, est juge en dernier ressort.

Je crois donc, messieurs, que sous ce rapport, l'attention de la Chambre et du gouvernement doit être sérieusement attirée sur les modifications que peut comporter l'article 2.

Je désire, pour mon compte, qu'il en subisse, et je considère comme indispensable que l'on attribue à la loi seule le droit d'établir les conseils de prud’hommes. Je n'y vois, en fait, aucun inconvénient ; voici pourquoi. On dit que dans tel moment donné, il conviendrait d'agir d'urgence. Alors, objectera-t-on, par exemple, lorsqu'il y aurait lutte entre les maîtres et les ouvriers, il faudrait établir un conseil de prud'hommes. Eh bien, dans ce moment-là, le conseil de prud'hommes serait tout à fait inefficace, il ne pourrait pas fonctionner ; il serait même dépourvu d’autorité morale. Mieux vaut l'établir par une loi, d'une manière normale et régulière que je laisse au gouvernement le soin de proposer, s'il se rallie à mon avis, parce que je comprends que dans un projet de loi aussi grave et qui doit avoir des conséquences durables, il ne faut pas légèrement improviser des amendements.

J'ai voulu aujourd'hui vous faire part des réflexions que le projet de loi m'a suggérées, tout en protestant que je suis partisan de l'organisation des conseils de prud'hommes, mais introduits par voie persuasive et non pas laissés a la discrétion du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, les scrupules de l'honorable préopinant sont sérieux et méritent d'être pris en considération. Il suffit que, dans cette enceinte, un scrupule sur la constitutionnalité d'une loi se produise, pour que l'attention de la Chambre et du gouvernement s'y arrête.

Je désirerais que l'honorable député de Liège voulût bien formuler une disposition qui serait renvoyée à l'examen de la section centrale. Celle-ci pourrait se livrer à cet examen dans la matinée de demain et arriver en temps pour la discussion.

Messieurs, il y aurait certains inconvénients pratiques à forcer le gouvernement à apporter ici des projets de loi spéciaux et successifs pour l’établissement des conseils de prud'hommes. Mais hors de là, je ne verrais pas d'objection à instituer par la loi les conseils de prud’hommes, comme nous instituons la moindre petite commune. J'y trouve seulement cet inconvénient pratique de multiplier devant la Chambre des occasions de discussion. Mais à cela près, l'objection ne me paraîtrait pas assez forte pour ne pas prendre en considération, s’ils sont fondés, les scrupules de l'honorable préopinant. Je crois que la question mérite d'être examinée attentivement de nouveau par la section centrale.

Je le prie donc de vouloir bien formuler une proposition quelconque qui serait soumise à la section centrale. Il lui suffirait de substituer le mot loi à celui d'arrêté royal.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - Messieurs, ce n'est pas la section centrale qui a fait le projet de loi ; le projet lut a été soumis par le gouvernement et la position qui nous était faite était celle-ci : les principes du projet sont-ils bons ou bien y a-t-il des motifs péremptoires pour écarter certaines dispositions ? Voilà ce que nous devions examiner. Dans cette position, il y aurait eu excès de pusillanimité à écarter comme inconstitutionnelles des dispositions contre lesquelles ne s'élevait aucune disposition formelle de la Constitution.

Mais autre chose est de prendre une pareille initiative et autre chose est de prendre en sérieuse considération le moindre scrupule constitutionnel, dès l'instant qu'il est exprimé, alors même qu'au premier abord il paraîtrait dépourvu de fondement.

Quant à moi, messieurs, je suis tout disposé, je suis plus que disposé à provoquer l'examen de la question soulevée par M. Muller, et je pense qu'il serait bon de la renvoyer à la section centrale, qui pourrait faire un supplément de rapport à l'ouverture de la séance de demain. Il n'y a, messieurs, que trois systèmes possibles : la délégation illimitée, telle qu'elle est contenue dans le projet de loi, la délégation limitée telle qu'elle existe dans la loi actuelle et, enfin, la nomenclature complète de toutes les localités non pas où le gouvernement serait autorisé à établie des conseils des prud'hommes, mais où ces conseils de prud'hommes seraient immédiatement institués.

M. Orts. - Pourquoi pas le deuxième système ?

M. Vander Stichelen. - Je ne le repousse pas.

M. Orts. - On pourrait demander au gouvernement quelles sont les localités où il croit que des conseils de prud'hommes seraient actuellement utiles et lui donner la faculté d'en établir dans ces localités.

M. Muller. - Je proposerai un amendement ainsi conçu :

« Remplacer le premier paragraphe de l'article 2 par le suivant :

« Tout conseil de prud'hommes doit être établi par une loi, qui détermine le nombre des membres, la composition et le ressort du conseil. »

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution du cet amendement et le renvoie à l'examen de la section centrale.

Projet de loi opérant un transfert de crédit au budget de la dette publique

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) dépose un projet de loi opérant un transfert de 85,000 fr. au budget des finances.

- Impression, distribution et renvoi aux sections.

La séance est levée à 4 heures 3/4.