Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 30 avril 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858

(page 873) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.

M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Les employés au commissariat de l'arrondissement de Philippeville demandent que leur position soit améliorée. »

« Même demande des employés au commissariat de l'arrondissement de Namur. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Botte, propriétaire à Vielsalm, proteste contre la pétition qui a été présentée à la Chambre sous son nom et demande une enquête judiciaire à ce sujet. »

- Même renvoi.


« Le sieur Quail, ancien médecin militaire, demande une pension et le payement de subsides arriérés. »

- Même renvoi.


« Le sieur Fafchamps prie la Chambre de lui accorder une récompense nationale pour les services qu'il a rendus à l'industrie houillère, par son invention de la machine d'exhaure à traction directe et par l'établissement des premières machines de ce genre en Belgique. »

- Même renvoi.

Rapport sur une pétition

M. Jacquemyns. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission permanente de l'industrie sur deux pétitions émanant : l'une de propriétaires et meuniers de Bouillon, l'autre de meuniers de Couvin, demandant une protection en faveur de leur industrie. »

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur une demande en grande naturalisation par le sieur Jean-Jacques-Adolphe Lejeune

Vote de l’article unique

Le projet de loi est ainsi conçu :

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, salut :

« Vu la demande du sieur Jean-Jacques-Adolphe Lejeune, propriétaire à Verviers, né à Vienne (Autriche), le 21 octobre 1828, tendante à obtenir la grande naturalisation ;

« Attendu que les formalités prescrites par les articles 7 et 8 de la loi du 27 septembre 1835, ont été observées : que le pétitionnaire a justifié des conditions d'âge et de résidence exigées par l'article 5 de ladite loi ;

Considérant que le paragraphe 2 de l'article 2 de la loi du 27 septembre précitée est applicable au pétitionnaire, et qu'il y a lieu de statuer définitivement sur sa demande ;

« Les Chambre ont adopté et nous sanctionnons ce qui suit :

« Article unique. La grande naturalisation est accordée audit sieur Jean-Jacques-Adolphe Lejeune.

- Personne ne demandant la parole ; il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

Le projet est adopté à l'unanimité des 68 membres présents.

Ce sont : MM. de Bast, de Boe, de Bronckart, C. de Brouckere, H. de Brouckere, Dechentinnes, de la Coste, Deliége, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Devaux, Dolez, Faignart, Frison, Goblet, Godin, Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, Lesoinne, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, Rogier, Saeyman, Savart, Tack, Tesch, Thiéfry, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Stichelen, Van Iseghem, Vermeire, Wala, Allard, Ansiau, Coppieters 't Wallant, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour et Verhaegen.

Motion d’ordre

M. de Moor. - Messieurs, dans le numéro de la Patrie du 26-27 avril 1858, je lis :

« On nous assure de la manière la plus formelle que des instructions sont parties du ministère, lesquelles tendent à défendre aux fonctionnaires publics la lecture de la Patrie, du Bien Public et du Journal de Bruxelles.

Je me demande si le gouvernement a pu se rendre coupable d'un pareil acte. (Interruption.) Oui, l'allégation est fausse et ridicule, et l'on pourrait se borner à la mépriser, mais selon moi, il est préférable que le gouvernement s'explique. Beaucoup de personnes s'imaginent que l'assertion de la Patrie de Bruges est vraie ; des fonctionnaires m'ont fait la confidence du doute où ils étaient s'ils pouvaient encore continuer à lire les journaux de la droite.

Le journal auquel je fais allusion, ce journal qui n'a pas, je pense, la prétention d'être tolérant et qui accuse le gouvernement de le mettre à l'index avec d'autres feuilles ultramontaines qui ne partagent pas ses opinions, n'est pas même un journal national : s'il l'était, il aurait protesté énergiquement contre un article émanant d'un journal étranger, l’Univers, qui n'a pas craint de nous représenter, nous Belges, comme une population de sauvages insultant à chaque instant dans les rues les prêtres et les religieuses. Non il n'y a pas un seul journal de l'opinion cléricale qui ait eu le courage de protester contre ces calomnieuses paroles de l’Univers.

Eh bien, que le gouvernement veuille bien répondre et dire si un seul fait de ce genre a été porté à sa connaissance, et si oui ou non il y a eu la moindre défense aux fonctionnaires de lire certains journaux. Pour moi je ne peux pas le croire, mais je désire qu'il soit bien établi que la Patrie de Bruges et l’Univers, ces organes de la vérité, ont dit la chose qui n'est pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis convaincu qu'il n'y a pas, dans la Chambre, un seul membre qui ait pu croire, une seule minute, au fait si ridicule et impossible qu'on a signalé. Nous n'avons pas d'index, nous n'interdisons la lecture d'aucuns journaux, nous désirons, au contraire, que certains journaux de l'opposition soient lus par certains fonctionnaires.

Cette lecture profiterait à ceux qui seraient disposés à agir et à administrer dans le sens de ces journaux ; ils seraient bientôt guéris de cette envie, s'ils se livraient à une lecture assidue de ces feuilles soi-disant conservatrices.

Ce qu'il y a à faire de cet article, c'est d'en rire, c'est aussi ce qu'il y a à faire et c'est ce que le pays a fait de ces journaux étrangers ultra-conservateurs, qui n'ont pas craint d'affirmer une première fois et une seconde fois après un démenti, qu'en pleine capitale de la Belgique, les prêtres et les religieuses sont journellement insultés, maltraités.

Je demande si de pareilles inventions ne sont pas le comble du ridicule. Mais si elles ne peuvent pas avoir d'effet chez nous, elles peuvent, en produire à l’étranger où elles sont lues. Aussi, je remercie l'honorable membre de son interpellation ; il est très bon qu'il soit constaté au sein du parlement belge que pas une seule voix ne s'est élevée pour soutenir cette assertion aussi odieuse que ridicule, nue les prêtres et les religieuses seraient insultés dans les rues de Bruxelles. Voilà qui est bien constaté.

- Plusieurs voix. - Oui ! oui !

M. le président. - Nous reprenons l'ordre du jour.

Projet de loi relatif aux conseils de prud'hommes

Discussion des articles

Titre premier. De l’institution et de l’organisation des conseils de prud’hommes

Chapitre III. De l’organisation intérieure des conseils
Article 36

M. le président. - La discussion continue sur l'article 36 de la section centrale.

M. Ch. de Brouckere. - Je n'ai que peu de chose à ajouter à ce qui a été dit pour combattre l'article 36, proposé par le gouvernement et la section centrale. Je ne veux plus encourir le reproche d'emprunter mes arguments à un collègue qui me tient de très près ; je tâcherai d'en ajouter un nouveau. L'honorable rapporteur de la section centrale a eu beau se défendre et chercher de nouveaux arguments, quand on a dit qu'il n'avait opposé qu'un seul argument à l'amendement proposé par mon frère.

Son rapport a été distribué, et il en résulte qu'il n'oppose qu'un seul argument, c'est que s'il y avait coalition, on ne pourrait plus juger. Je vais plus loin ; du moment qu'il y a coalition entre les patrons ou entre les ouvriers, il n'y a plus de conseil de prud'hommes. L'assemblée en conseil pour juger, c'est l'exception ; la règle, le travail de tous les jours, c'est la conciliation.

Le bureau de conciliation doit être composé d'un maître et d'un ouvrier, s'il y a coalition de la part des patrons ou des ouvriers, il n'y a plus de bureau de conciliation, et s'il n'y a plus de bureau de conciliation il n'y a plus de conseil de prud'hommes.

Je désire qu'on m'explique comment, en présence de la disposition qui exige que le bureau de conciliation sait composé d'un maître et d'un ouvrier, on fasse tant de difficultés pour admettre le système que nous proposons pour la composition du conseil. S'il y avait coalition, il serait impossible de composer le bureau de conciliation, à moins de supposer une coalition des ouvriers ou des patrons moins un. Ce serait une drôle de coalition ; elle serait faite exprès pour la cause. Je crois que les choses ne se passeront pas comme le prévoient ceux qui nous opposent des difficultés.

En général les prud'hommes, à leur première réunion, régleront leurs travaux, et c'est pour cela que je n'insiste pas pour n'avoir rigoureusement que le nombre de cinq, et que je me rallie à l'amendement proposé, parce que je pense que là où il y a beaucoup de prud'hommes, les prud'hommes et leur président comprendront que s'ils sont nombreux, (page 874) c'est parce qu'il y a une grande population industrielle et que, pour n'être pas surchargés de besogne ils les a répartiront dès le principe, en établissant un roulement par fractions, par exemple de trois prud'hommes patrons et d'autant de prud'hommes ouvriers, auxquels seraient adjoints deux prud'hommes supplémentaires pour le cas où l'un ou l'autre des prud'hommes effectifs serait empêché de remplir ses fonctions.

Le mois suivant, ce seront six autres prud'hommes qui siégeront, et ainsi de suite. Voilà, je pense, comment se passeront les choses, c'est-à-dire d'une manière tout à fait amiable.

M. le rapporteur de la section centrale a encore dit hier que, dans sa manière de voir, une fois l'assemblée des prud'hommes formée, il n'y avait plus de distinction entre patrons et ouvriers et c'est même en partant de là qu'il s'est opposé à l'un des amendements qui ont été adoptés hier. Encore une fois, si vous voulez qu'il n'y ait pas de distinction permanente, constante, entre l'élément patron et l’élément ouvrier, changez l'article relatif aux bureaux de conciliation et ne dites pas qu'ils doivent être absolument composés de patrons et d'ouvriers, et quand vous aurez dit cela je pense qu'il n'y aura plus, dans la Chambre, dix membres qui voudront encore de la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ainsi que j'ai eu l'honneur de le faire remarquer hier, la loi actuelle n'est pas une loi politique ; nous devons, de part et d’autre, chercher à trouver les mesures qui rencontrent, s’il est possible, l’adhésion de la Chambre entière. J’ai, je pense, fait preuve, sous ce rapport, d’un esprit de conciliation suffisant dans la section centrale et dans la Chambre.

Je reconnais, à certains égards, et nous reconnaissons tous le fondement des observations des honorables MM. de Brouckere.

Nous sommes d'accord que le principe de la lui est celui-ci : l'égalité dans le nombre des juges des deux catégories qui composent le conseil, patrons et ouvriers.

Cette égalité est indispensable et elle est requise à tout prix dans les bureaux de conciliation. Si l'un des deux éléments venait à y faire défaut, le bureau de conciliation ne pourrait pas siéger ; il faut là nécessairement un nombre égal de patrons et d'ouvriers. L'on veut dans le conseil général la même égalité. L'honorable M. H. de Brouckere la veut d'une manière absolue en toute hypothèse. Eh bien, nous avons dit que cette égalité absolue, il serait quelquefois impossible de l'obtenir et que dès lors la justice se trouverait suspendue. Mais ne peut-on rien faire pour atteindre, autant que possible, à cette égalité que nous voulons tous puisqu'elle est dans le principe de la loi ?

Voyons s'il y a quelque moyen pratique d'arriver à ce résultat. La règle générale, messieurs, sera l'égalité. Je le crois, parce que les prud'hommes n'auront pas intérêt à faire des courses inutiles, des déplacements onéreux ; ils tâcheront d'être toujours en nombre égal.

Supposons qu'ils se trouvent en nombre suffisant, c'est-à-dire au-delà de 4 membres. Je prends le chiffre minimum fixé par la loi pour que le conseil puisse siéger. Supposons qu'ils soient nu nombre de 5 (nous laissons toujours à part le président) ; qu'il y ait trois ouvriers et 2 patrons. Ils ne peuvent siéger, ils sont en nombre inégal, comment procédera-son ? Ne pourrions-nous pas proposer ceci ? Dans ce cas les cinq membres réunis indiqueront celui des 3 ouvriers qui dévia se retirer. Ils devront faire cette déclaration à l'unanimité.

S'ils ne parviennent pas à s'entendre pour désigner le membre qui devra se retirer, il faudra bien qu'alors on déclare que ce sera le plus jeune. Il y aura à cela un inconvénient pratique, parce que ce plus jeune prud'homme pourrait précisément être une spécialité qui serait apte à décider l'affaire. Mais il est impossible que nous prévoyions et que nous prévenions tous les inconvénients.

Ils se mettront donc en nombre égal par suite de la retraite de celui qui établit l'inégalité.

J'ai raisonné dans l'hypothèse où l'on se présenterait en nombre plus que suffisant. Mais, voici un second cas.

Supposons qu'il se présente 4 membres, 3 patrons et 1 ouvrier.

Si l'on élimine un patron, les prud'hommes ne sont plus en nombre suffisant. Que fera-t-on dans ce cas ? Il faudra remettre l'affaire à une prochaine audience.

Si à une seconde audience le cas que j'ai prévu en premier lieu se reproduit, c'est à-dire qu'il se présente trois prud'hommes d'une catégorie et deux de l'autre, on procède a de la même manière que dans le premier cas, c'est-à-dire qu'on cherchera à se mettre d'accord pour désigner le prud'homme en trop qui devra se retirer ; si cet accord ne se fait pas, ce sera le plus jeune qui se retirera.

Mais si à cette seconde audience il arrive seulement 3 ouvriers et un patron, ou 3 patrons et un ouvrier, cette fois, messieurs, il faudra bien passer outre. Vous ne pourriez pas recommencer la même opération qu'à la précédente audience sous peine de n'en pas finir. C'est à ceux qui ne sont pas présents à s'attribuer les conséquences d'une négligence redoublée.

Je crois avoir été très loin dans mes prévisions ; mais nous n'avons pas voulu qu'il restât le moindre scrupule, la moindre objection de la part de ceux qui tiennent avant tout à faire respecter le principe d'un parfait équilibre entre les deux intérêts représentés au sein du conseil.

Nous avons, messieurs, de concert avec mon honorable ami, M. le ministre de la justice, rédigé sous forme d'article le système que je viens de développer, Je déposerai cet article sur le bureau et si les auteurs des amendements s'y rallient, nous pourrions l'adopter sauf à revenir sur la rédaction, au second vote.

Pour plus de précaution encore nous chargeons le greffier de convoquer le conseil pour la deuxième audience au moyen de lettres spéciales dans lesquelles on indiquerait les motifs pour lesquels on n'a pas pu délibérer dans l’audience précédente et où l'on rappellerait aussi la disposition en vertu de laquelle le conseil pourrait, à la deuxième audience, passer outre et juger.

Voilà, messieurs, les moyens que nous proposons pour faire droit aux propositions des honorables MM. de Brouckere.

M. le président. - La proposition de M. le ministre est ainsi conçue :

« Si au jour de l'audience les prud'hommes d'une des catégories se présentent en nombre supérieur aux prud'hommes de l'autre catégorie, le conseil pourra, à l'unanimité des membres présents, désigner les membres de la catégorie la plus nombreuse qui devront se retirer, afin d'établir l'égalité. En cas de désaccord, les membres les plus jeunes ne prendront point part au jugement.

« S'il ne se présente pas un nombre de prud'hommes suffisant pour composer le conseil conformément à l'article 33, les affaires seront remises à une prochaine audience.

« Si à cette audience le nombre des prud'hommes patrons et des prud’hommes ouvriers est suffisant, il est procédé le cas échéant à la formation du conseil comme il est dit à l'article précédent.

« S'il est insuffisant, il pourra être passé outre au jugement des affaires remises sans tenir compte des différentes catégories de prud'hommes, pourvu que ceux-ci soient au nombre de quatre.

« Après la première audience, le greffier convoquera les prud'hommes par écrit et à domicile pour la deuxième audience. Les bulletins de convocations devront être remis au moins trois jours francs avant celui de la réunion.

« Il sera mention de l'impossibilité où s'est trouvé le conseil de se composer et rappellera la disposition de l’article précédent. »

M. Vander Stichelen, rapporteur. - L'honorable M. Ch. de Brouckere a fait remarquer qu’il n'y a qu'un seul argument dans mon rapport. Je vais tâcher d'en présenter un nouveau et je le ferai d'autant plus volontiers, que cet argument nouveau rentre dans une observation générale que je voulais faire. Il y a chez certains membres de la Chambre quelque répugnance à se rallier à l'ensemble de la loi ; puisqu'il y a des divergences d'opinion provenant de ce que nous n'apprécions pas tous de la même manière l'économie de la loi.

L'honorable M. Devaux a encore répété hier, malgré les explications très catégoriques qui lui ont été fournies, que nous introduisons le système du suffrage universel, en ce qui concerne les ouvriers. C'est une erreur profonde. Prétendre que nous introduisions le suffrage universel, c'est prétendre exactement le contraire de ce qui est. Le système que nous consacrons par la loi, loin d'être trop large, est plutôt restrictif. Ce que nous voulons, en ce qui concerne l'élément ouvrier, c'est que ce soit, permettez-moi l'expression, la partie aristocratique de la classe ouvrière qui soit appelée à élire, que ce soient les ouvriers d'élite, comme le dit l'honorable bourgmestre de Bruxelles. Voilà le vrai système de la loi.

La loi commence par statuer qu'il faudra remplir certaines conditions générales d'électorat. Une de ces conditions suppose que l'ouvrier occupe une bonne position dans sa classe ; cette condition est que l'ouvrier sache lire et écrire. Ceux qui remplissent toutes cette condition, et les autres sont-ils appelés indistinctement à être électeurs ? Pas le moins du monde.

II y a une double épuration à faire, la première par les administrations communales, la seconde par les députations permanentes.

On dit que ce caractère restrictif dont nous parlons n'est pas inscrit dans la loi. Pardon, il y est inscrit. L'article 7 montre qu'il faut appartenir à la partie aristocratique de la classe pour être inscrit sur la liste.

En effet, cet article dit quels sont les électeurs de droit ; ce sont ceux qui sont décorés, ceux qui ont fait des économies, enfin ceux qui ont posé des actes du courage, et encore tous doivent-ils réunir les conditions de l'article 7.

Si, nonobstant l'exposé des motifs, le rapport de la section centrale, et la discussion publique, qui sont les commentaires naturels de la loi, il pouvait rester encore tout le moindre doute, le gouvernement, chargé de l'exécution do la loi, donnerait les instructions nécessaires.

Je répète que, dans l'esprit de la loi, c'est la partie aristocratique, par conséquent restreinte de la classe ouvrière, qui sera appelée à l'élection.

M. Devaux. - Si nous discutons de nouveau cette question, je demanderai encore la parole.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - Il y a aussi une différence de manière de voir entre l'honorable M. H. de Brouckere et la section centrale ; c'est ce qui explique encore la différence entre l'amendement de l’honorable M. de Brouckere et le projet de la section centrale.

Quel est le caractère essentiel de la loi ? C'est l'institution, non pas d'un pouvoir judiciaire proprement dit, mais d'un pouvoir conciliateur. Aussi, lorsqu'il s'est agi de savoir comment les élections se feraient, la section centrale a agi comme on agit dans la pratique ordinaire de la vie civile. Lorsqu'il se présente une contestation à décider par des arbitres, chaque partie nomme son arbitre ; pour les conseils de prud'hommes, l'élément ouvrier nomme son arbitra et l'élément patron nomme le sien ; de là l'élection séparée et double. Vient alors le tiers-arbitre. Et qui est-ce qui nomme le tiers-arbitre dans les conseils de prud'hommes, (page 875) tiers-arbitre qui est ici le président, puisqu'il a voix prépondérante en cas de partage ? Le gouvernement, pouvoir essentiellement neutre entre les deux parties.

Voilà bien le tribunal arbitral composé comme il l'est tous les jours. Qu'y a-t-il donc de si exorbitant dans la loi ? C’est la copie de ce qui se passe incessamment dans la vie civile.

Il ne faut pas perdre de vue que le conseil de prud'hommes est un pouvoir essentiellement conciliateur. Il faut remarquer ensuite que c'est seulement dans des cas rares qu'il est appelé à juger, et qu'il ne prononce que sur des contestations de la plus minime importance.

Prendre pour le jugement de pareilles contestations les grandes mesures de précaution qu'on prend pour les jugements des affaires ordinaires, serait faire une dépense à laquelle ne correspondrait le résultat. C'est ce qui condamne l'amendement de M. de Brouckere.

Le gouvernement et la section centrale ont été beaucoup mieux inspirés quand ils ont considéré le conseil de prud'hommes comme un tribunal de famille. Le mot de cour d'appel a même été prononcé en termes de comparaison.

Je soutiens que quand par exception les conseils de prud'hommes seront appelés à juger, ils ne seront toujours qu'un tribunal de famille. Nous ne pouvons donc pas les traiter avec rigueur ; on sait que des membres s'absenteront, mais on suppose qu'il en restera toujours assez pour rendre un bon jugement comme tribunal de famille. Voilà le système de la loi ; je le crois parfaitement logique.

L'argument que je tire de ces observations, c'est que quand on veut établir ici des règles inflexibles, que je trouve bonnes dans les autres ordres dé juridiction, on renie le point de départ de notre loi.

Voilà un argument nouveau. J'ai cependant une réserve à faire ; la voici. Je la fais non au nom de la section centrale, mais en mon nom personnel. Il y a un cas grave où le conseil peut être appelé à statuer, c'est celui où il aurait à appliquer des peines. Dans les contestations civiles, il est appelé à juger deux ou trois fois sur cent. Combien de fois a-t-il appliqué des peines depuis son existence ? Celui de Bruges a prononcé dix fois des peines disciplinaires et celui de Gand une fois seulement.

Rappelons-nous ce qui a été dit hier. L'honorable M. H. de Brouckere a fait miroiter devant la Chambre le danger de conférer à un conseil, où tout un élément serait absent, le droit de prononcer des peines, et il a voulu composer le conseil de manière à obvier à ce grave inconvénient. C'est pour arriver au but indiqué qu'il propose d'établir toujours dans le conseil parité parfaite entre les deux éléments.

Voici ma réponse : c'est que le conseil n'a occasion d'exercer son pouvoir répressif que dans des cas extraordinairement rares. Or si, à raison de ces cas exceptionnels, vous introduisez un système général de procédure s'appliquant à tous les autres cas, vous n’êtes pas logique. Je dis que dans les contestations civiles, le plus souvent de nulle importance, il ne faut pas suivre les règles que je voudrais voir suivre moi-même dans le cas de l'article 39, où il s'agit de l'application de peines. Si l'amendement de M. de Brouckere, au lieu d'être présenté à l’article 36, l'avait été à l'article 39 pour les seuls cas que cet article prévoit, je ne l'aurais pas repoussé, mais j'aurais été le premier à l'appuyer et à le voter. Moi aussi je crois que quelques précautions sont à prendre à l'article 39, mais non à l'article36. (Interruption.)

Est-ce que je serais par hasard en contradiction avec moi-même ?

M. H. de Brouckere. - Je m'adresse à M. le ministre de l'intérieur et je dis que vous êtes en contradiction avec lui.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - Je le regretta mais je ne parle pas en qualité de rapporteur ; j'exprime une opinion personnelle, et je dis que l'amendement de M. le ministre de l'intérieur est également gros de difficultés pratiques, car quant aux modifications proposées, il n'y a que des difficultés pratiques qui nous séparent, même pour les contestations civiles. Il est désirable que les deux éléments siègent en nombre égal, cela est entendu, mais en le prescrivant, on s'expose à de nombreuses difficultés pratiques, voilà qui me paraît incontestable.

Au jour déterminé pour la réunion, s'il ne se présente pas un nombre suffisant de patrons et d'ouvriers, le conseil ne siégera pas. Les conseils ont des circonscriptions qui s'étendent à plusieurs lieues ; il arrivera que des assignations auront été données pour se présenter devant un conseil qui, au moment d'ouvrir la séance, il ne se trouvera pas composé de manière à pouvoir délibérer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous indiquons le moyen de remédier à cet inconvénient.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - Toujours est-il que dans telle hypothèse donnée, le conseil ne pourra pas siéger. Devant les juridictions ordinaires, il n'y a pas de cas où les individus assignés ne trouvent pas le tribunal devant lequel ils ont à se présenter.

M. Ch. de Brouckere. - Si un juge vient à mourir ?

M. de Naeyer, rapporteur. - On appelle un juge suppléant.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - Evidemment. Je me résume, messieurs. J'accepte pleinement l'amendement de M. H. de Brouckere à l'article 39 ; je ne dis pas que je le repousse à l'article 36 ; mais, en ce qui me concerne, à ce dernier article il me paraît inutile. Tout en le considérant comme tel, pour donner satisfaction à l'honorable membre, je l'adopterais si on pouvait prévenir les inconvénients pratiques que son amendement ou celui du gouvernement présente. Mais à une simple lecture il est difficile de dire si l'amendement du gouvernement est ou non susceptible d'amélioration. C'est un point sur lequel je ne me prononce pas pour le moment. Nous pourrons examiner à loisir d'ici au second vote.

M. David. - J'ai demandé la parole pour adresser une question à M. le ministre de l'intérieur. D'après l'esprit de la loi, c'est un devoir de siéger quand on est nommé prud'homme. Je crois que M. le ministre est d'accord avec moi là-dessus. La loi a établi des jetons de présence pour que les conseillers ouvriers puissent siéger sans éprouver de préjudice. Il peut se présenter des cas où l'élément ouvrier fût mis dans l'impossibilité de siéger.

L'ouvrier est dans la dépendance de son maître. Un patron pourrait, sous diverses formes, lui interdire d'aller siéger au sein du conseil de prud'hommes. Je crois que le cas devrait être prévu par la loi, car un manquement de cette espèce à la discipline de l'atelier, une désobéissance de cette espèce peut entraîner le renvoi de l'ouvrier, une perte de travail, de salaire pendant très longtemps jusqu'à ce qu'il ait retrouvé du travail autre part. Par un amendement à l'article de la loi, il serait possible de prévenir ces inconvénients, que je considère comme graves.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, la plus grande partie du discours que vient de prononcer l'honorable M. Vitrier Stichelen se rapporte bien plus à l'ensemble de la loi qu'à la disposition dont nous nous occupons en ce moment. Il a véritablement rouvert une discussion générale sur le projet de loi. Je ne le suivrai pas dans cette voie ; mais comme il a cherché à nous expliquer quel était l'esprit de la loi, je vous dirai, moi, quel est l'esprit de son discours. C'est de réduire l'institution des prud'hommes à une valeur presque insignifiante.

Il vous a dit, en effet, que nous avions bien fait de prendre tant de précautions pour rendre l’institution des prud'hommes aussi bonne que possible ; qu'elle ne valait pas tous les efforts que nous faisions dans ce but ; qu'au bout du compte elle avait très peu d'importance.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'a pas dit cela.

M. H. de Brouckere. - Si ce ne sont pas ses paroles, c'est le sens de son discours.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - Pas le moins du monde.

m. H. de Brouckere. - Je me trompe fort ou vous avez dit que l'institution ne valait pas tous nos efforts.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Certaines dispositions.

M. H. de Brouckere. - Je dis, moi, que la disposition dont nous nous occupons mérite particulièrement l'attention de la Chambre. J'ajoute que je regarde l’institution des prud'hommes, si l'on veut qu'elle se généralise dans le pays, comme une institution très importante, et qu'il est du devoir de tous les membres de la Chambre d'apporter le concours de tous leurs efforts pour améliorer le projet qui nous est soumis et qui laisse beaucoup à désirer.

L'honorable orateur auquel je réponds nous dit : Qu'est-ce que c'est que le tribunal de prud'hommes ? Ce n'est pas autre chose qu'un tribunal arbitral, un tribunal de famille. Il se constitue comme se constituent tous les tribunaux arbitraux, c'est-à-dire qu'une partie nomme ses arbitres, l'autre partie en nomme un nombre égal de son côté, puis vient un tiers arbitre pour les départager.

Oui, mais en général, je n'accepte un pareil tribunal que quand cela me convient, et quand je n'en veux pas, je le récuse et je porte ma cause devant des juges inamovibles, devant des juges institués par la loi en vertu de la Constitution.

Ici, vous établissez un tribunal arbitral, soit, mais en l’instituant vous l'imposez, vous ne permettez pas qu'on le récuse.

Il faut donc qu'il soit composé avec toutes les précautions qu'il réclame pour répondre convenablement à la mission que vous lui imposez.

J'en viens maintenant à l'article 36 du projet de la section centrale. M. le ministre de l'intérieur accepte mai proposition en y ajoutant...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je l'accepte eu la rendant praticable.

M. H. de Brouckere. - Je prie M. le ministre de vouloir bien me permettre de ne pas accepter ses expressions et de répéter qu'il accepte, lui, ma proposition, en y ajoutant 2 ou 3 paragraphes. M. le rapporteur de la section centrale l'accepte, lui, pour certains cas seulement et quant aux autres cas, il ne se prononce pas ; il ne dit pas si, pour ces cas, il accepte ou non ; il s'abstient de s'expliquer. Eh bien, je crois, moi, que cette proposition est acceptable pour tous les cas et parfaitement praticable.

Elle est acceptable pour tous les cas.

M. le rapporteur de la section centrale veut qu'on commence par déclarer qu'elle ne sera applicable qu'au cas où les prud'hommes siègent en quelque sorte comme tribunal de police, c'est-à-dire au cas où il s'agit d'infliger une peine.

Sur ce point nous sommes d'accord.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - Sauf rédaction.

M. H. de Brouckere. - Votre sauf rédaction tombe sur (page 876) l’amendement de M. le ministre de l'intérieur et pas sur les miens. Je dis donc que nous sommes d'accord sur ce point, mais M. le rapporteur doute s'il faut exiger l'égalité des deux catégories de prud'hommes, quand il s'agit d'une affaire contentieuse, c'est à-dire quand il s'agit du tien ou du mien.

Eh bien, messieurs, je vous avoue que je tiens tout autant à avoir une juridiction qui m'inspire confiance, quand il s'agit de décider des questions d'intérêt civil, comportant, comme je l'ai démontré, des sommes parfois considérables ; car si le conseil ne peut juger sauf appel que jusqu'à concurrence de 200 francs, il peut juger, jusqu'à concurrence de cette somme, des questions de principe, de nature à être soulevées par un très grand nombre d'ouvriers. Je désire donc que l'égalité des prud'hommes patrons et des prud'hommes ouvriers soit exigée aussi bien pour les questions contentieuses, que lorsqu'il s'agit d'application de peines.

Maintenant, je viens à la pratique. On me dit que l'amendement, tel qu'il est formulé, présenterait, s'il n'était pas modifié, des inconvénients dans la pratique. Je déclare formellement que je n'en crois rien.

Premièrement, les dispositions présentées par le gouvernement ont pour but de décider ce qui se fera quand il se présentera un trop grand nombre de prud'hommes de l'une ou de l'autre des deux catégories, comment on s'y prendra pour éliminer un, deux, trois prud'hommes. Quant à moi, je suis convaincu que, de ce chef, il ne surgira jamais aucune difficulté. On fera dès le principe un règlement d'ordre, dans lequel on conviendra à l'amiable quels sont, le cas échéant, les prud'hommes qui auront à se retirer.

Cela ne fera pas naître l'ombre d'un embarras, j'ose l'affirmer, pas plus que cela ne rencontre de difficulté dans les corps judiciaires.

On veut, en second lieu, prévoir le cas où une catégorie de prud'hommes se présenterait en nombre insuffisant, ou ferait entièrement défaut ; ce cas peut se produire, en effet ; je l’ai reconnu dès le principe ; mais ou suppose qu'il pourra se produire une seconde fois. J'ai déjà expliqué pourquoi l'inconvénient qu'on veut prévoir n'est pas à redouter. Quoi qu'il en soit, je n'y mets aucune espèce d'obstination et je suis assez disposé à accepter les paragraphes présentés par M. le ministre de l'intérieur, sauf à les examiner plus mûrement quand nous les aurons sous les yeux.

Je ne vois aucun inconvénient, je le déclare bien franchement, à accepter au premier vote ces paragraphes ; ils constituent des amendements et seront par conséquent soumis à un second vote ; nous aurons donc le temps de les examiner plus attentivement et de nous en expliquer de nouveau lors du second vote.

M. Devaux. - Messieurs, je n'avais aucune intention de revenir sur la discussion d'un amendement que j’ai présenté l'autre jour et sur lequel la majorité de la Chambre s'est déjà prononcée. L'honorable rapporteur de la section centrale vient de rouvrir cette discussion et je suis obligé de lui répondre un mot quand ce ne serait que pour expliquer une interruption que je me suis permise et qui pourrait paraître peu polie.

M. le rapporteur nous disait que la députation et les conseils communaux trouveraient dans la discussion, dans le discours du ministre et dans les siens, les instructions nécessaires pour savoir dans quelle proportion ils devraient réduire les listes électorales des ouvriers.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - Je n'ai pas parlé de moi, mais du rapport de la section centrale.

M. Devaux. - Vous pouviez parler de vous ; vous parliez comme organe, de la section centrale et vous vous acquittiez de cette tâche avec talent. Quoi qu'il en soit, lorsque j'ai interrompu M. le rapporteur, c’était pour lui dire que ni les députations ni les conseils communaux ne trouveraient dans la discussion rien qui pût leur indiquer jusqu'où, dans nos intentions, ils devaient réduire le nombre des électeurs. La liste des citoyens parmi lesquels se tirent au sort les jurés subit aussi des réductions de la part de plusieurs autorités ; mais la loi ne les laisse pas dans l'incertitude sur ce qu'elles ont à faire. Elle dite l'une de ces autorités qu’elle aura à réduire la liste d’un quart, à l’autre, elle indique également d’une manière exacte, la proportion des éliminations qu’elle aura à opérer. Mais ici il n’y a rien de semblable, et la discussion ne supplée pas à la loi.

Je suppose une députation en présence d'une liste de 5,000 ouvriers remplissant toutes les conditions de la loi. Eh bien, la discussion ne leur dit en aucune façon si elle doit réduire cette liste à 5,000 à 1,000, à 500, à 200. La députation restera, à cet égard, dans la plus complète incertitude sur les intentions de la législature.

C'est pour cela que j'avais demandé (ce n'était pas énorme) que le gouvernement reçût de la loi l'autorisation nécessaire pour dire à la députation permanente : Voici, dans le cas où vous êtes, la limite qu'il ne faut pas dépasser.

Cet amendement a été écarté par une majorité peu nombreuse à la vérité, mais contre la décision de laquelle je n'avais aucune intention de revenir. Maintenant qu'il est écarté, l'honorable rapporteur lui rend les honneurs inaccoutumés d'une discussion posthume. Il va plus loin encore, il veut le faire passer dans l’exécution de la loi par des instructions ministérielles qui auraient le même but et le même résultat. Pourquoi dès lors avoir combattu mon amendement qui avait l'avantage de tracer une voie dont la régularité ne pouvait être mise en doute ? On n'en a pas donné une seule raison.

M. Orts. - Messieurs, je crois qu'on a fait un reproche injuste à l'honorable rapporteur de la section centrale, en critiquant l'explication, qu'il a donnée de l'opposition que la loi rencontrait dans certains détails. L'honorable rapporteur était parfaitement dans le vrai en caractérisant comme il l'a fait les appréhensions que l'exécution de certaines dispositions de détails soulève chez quelques membres. Elles sont nées du principe général et fondamental de la loi.

Il est incontestable, en effet, que la difficulté qui nous divise tient précisément à un cas déterminé d'application des grands principes qui ont amené, de la part du gouvernement, les changements radicaux proposés par lui au régime en vigueur. Certains membres de cette chambre, en un mot, pourquoi ne pas le dire ? certains membres se défient de l'intervention nouvelle et sérieuse de la classe ouvrière dans la constitution des conseils de prud'hommes.

On craint qu'il n'y ait lutte, conflit. Et j'ajouterai que, pour ma part, j'attribue précisément à la même crainte, à la crainte des résultats éventuels de cette innovation, cette opposition de quelques localités industrielles du pays, dont on a beaucoup trop parlé dans les séances précédentes. Si dans les grands centres industriels on avait consulté sur le mérite de la loi nouvelle, sur le mérite des innovations qu'elle contient, les ouvriers et non les patrons, l'opposition serait beaucoup moins générale qu'on ne le suppose.

L'élément ouvrier prend une part désormais sérieuse dans la formation des conseils de prud'hommes. C'est une innovation que j'approuve de toutes mes forces ; c'est l’honneur de la loi. Mais cette innovation peut effrayer ; elle est le motif manifeste de l'appréhension qui existe chez quelques membres de cette Chambre. D'autres membres n'ont pas ces appréhensions, je suis du nombre. Il est naturel que ceux-là ne s'effrayent pas de voir quelquefois les ouvriers siéger dans les conseils de prud'hommes en nombre plus grand que les patrons.

Mais d'autre part ceux qui redoutent que l'influence des ouvriers ne soit trop considérable et ne pèse d'une manière fâcheuse sur l'intérêt des patrons sur ce que j'appellerais l'intérêt aristocratique engagé dans l'industrie, dans le travail, si je ne craignais de voir prendre en mauvaise part cette qualification d'un intérêt légitime et respectable, ceux-là insistent pour les précautions que recommande l'honorable M. de Brouckere. Ceux-là exigent que les ouvriers ne puissent siéger sinon à la condition d'avoir un nombre égal de patrons assis à côté d'eux.

M. Muller. - Ni les maîtres.

M. Orts. - Ni les maîtres. Vous voulez l'égalité, c'est-à-dire le fractionnement des intérêts en deux parties égales se neutralisant jusqu'à l'impuissance. Et vous ne voyez pas que si l'antagonisme que vous craignez pouvait exister, on en arriverait à ce résultat que le conseil de prud'hommes n'existerait plus que dans la personne du président départageant ses collègues.

Vous auriez beaucoup mieux fait si vous manquez de foi dans la confraternité des prud’hommes de toutes catégories, vous auriez mieux fait alors de renvoyer les affaires au juge de paix qui lui, au moins, serait toujours neutre entre les patrons et les ouvriers.

Messieurs, il me semble que la disposition primitive de la section centrale était plus propre que tous les amendements proposés à amener le fonctionnement loyal et régulier de la loi. La disposition primitive de la section centrale seule aurait contraint l'élément patron à concourir à la franche et complète exécution de la loi.

La crainte de voir les ouvriers siéger en nombre supérieur aux patrons, devait immanquablement amener les patrons à venir au conseil de prud'hommes et à remplir leurs fonctions avec la plus scrupuleuse exactitude. Maintenant ce stimulant n'existe a plus pour eux. Cet aiguillon de l'intérêt de caste supprimé, je crains que le zèle des patrons ne se ralentisse considérablement et que leur concours soit moins efficacement assuré à l'exécution de la loi.

L'amendement de M. le ministre de l'intérieur vaut mieux sans doute que l'amendement primitif de l'honorable M. de Brouckere. Je ne prétends pas soutenir la disposition primitive de la section centrale et du gouvernement. J'y renonce. J'ai dit ce qui m'aurait engagé à la voter.

Mais je ne veux pas être plus ministériel que le gouvernement, pas plus que je n'ai l'habitude de me poser comme plus catholique que le pape. Je me rallierai donc par esprit de conciliation à la disposition que vient de proposer le gouvernement ; toutefois, il est, à mon avis, un moyen de conciliation plus pratique.

Nous arriverions à ne plus nous défier des conseils de prud’hommes ; leur composition se réglerait d'une manière beaucoup plus simple et beaucoup plus facile, si la question de compétence en matière répressive, question de détails, était écartée. Faisons du conseil de prud’hommes un véritable tribunal de famille, un tribunal arbitral, ce qui, quoi qu’on en ait dit, est le véritable caractère de l'institution, et les défiances vont toutes s'évanouir.

Quel est l'abus que l'on craint ? Qu'un élément, l'élément ouvrier ou l'élément patron, s'il est en majorité dans le conseil, n'écrase l'autre, lorsqu'il fera usage de la compétence attribuée au conseil en matière de répression. S'il s'agissait de concilier les différends, de statuer sur de très légers intérêts civils, on ne s'inquiéterait pas du point de savoir si les patrons pourront être plus nombreux que les ouvriers ou les ouvriers plus nombreux que les patrons. Mais ce qu'on craint', ce qui peut présenter des dangers, c'est qu'à un moment déterminé, la majorité du conseil de prud'hommes, composée d'ouvriers, ne condamne des patrons à trois jours d'arrêts ou à l'amende.

(page 877) Eh bien, supprimez le pouvoir répressif du conseil de prud'hommes, tonte défiance disparaît, toute difficulté est écartée. Voilà ce que vous avez à faire. Lorsque nous arriverons à l'article qui consacre le droit d'infliger ces pénalités, un amendement se présentera ; je n'anticipe pas sur sa discussion, je l'indique.

Remarquez-le, messieurs, ce pouvoir répressif que je demande d'abandonner, est, en définitive, très peu de chose. L'honorable rapporteur vous l'a dit, le conseil de prud'hommes de Bruges, le plus ancien je crois, en Belgique par ordre d'inscription, a, depuis son origine c'est-à-dire depuis le premier empire, appliqué dix peines disciplinaires ; le conseil de prud'hommes de Gand en a appliqué une seule. L'institution ne tient donc pas au pouvoir disciplinaire ; elle fonctionnerait très bien, très utilement, alors même que le pouvoir disciplinaire n'existerait pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La crainte agit sur les ouvriers.

M. Orts. - La crainte pour des peines aussi peu élevées que celles dont il est question dans votre projet ! La crainte de la peine d'une détention de trois jours que vous n'osez pas appeler un emprisonnement ! Alors que la crainte de quelques jours de prison réelle ne retient pas les classes ouvrières ne les empêche pas de se livrer à des manquements d'une tout autre gravité.

Ce n'est pas là évidemment une répression sérieuse, avouez-le, M. le ministre. Si c'est par la crainte que vous voulez procéder, vous feriez beaucoup mieux d'énumérer les méfaits qu'il faut tâcher d'éviter et déclarer que ces méfaits seront de la compétence du juge de paix.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous êtes trop sévère,

M. Orts. - Je ne suis pas sévère, je veux faire peur, et vous aussi Vous dites que vous ne voulez que la crainte. Eh bien, soit, la crainte ne fait pas de mal.Vous produiriez plus d'effet en faisant miroiter devant la classe ouvrière la crainte du juge de paix, que la crainte des arrêts. Mieux vaut, après tout, une grosse crainte, fût-elle exagérée, que d'être frappé d'une peine minime à défaut de crainte suffisante.

L'institution conserverait alors son caractère de tribunal de famille et de tribunal arbitral, où chacun choisit son juge, comme l’a dit avec beaucoup de bon sens et d'intelligence le rapporteur de la section centrale.

L'honorable M. de Brouckere fait une objection, il dit : On ne peut appeler tribunal de famille, tribunal arbitral que des tribunaux devant lesquels on ne saurait nous traîner malgré nous. Ici la juridiction est forcée. L'honorable M. de Brouckere a oublié une chose, c'est qu'il y a des arbitres forcés, des arbitres devant lesquels on est obligé de comparaître, quoique chacune des parties choisisse le sien ; cela est écrit tout au long en l'article 51 du Code de commerce pour les contestations entre associés.

C'est donc véritablement à un tribunal de famille, à un tribunal arbitral que nous avons à faire, un tribunal conciliateur est surtout utile quand il concilie ; et depuis le premier empire, remarquons-le, les conseils de prud’hommes ne font en Belgique que concilier ; la statistique le prouve. C'est parce qu'ils ont si bien rempli cette mission qu'on veut les maintenir ; maintenons-les donc avec leur caractère actuel et n'en faisons pas des tribunaux répressifs au petit pied, sans garanties, sans contrôle et plus dangereux par cela même que les juridictions d'un ordre plus élevé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, nous voulons conserver aux conseils de prud'hommes le caractère qu'ils ont toujours eu.

Ce n'est pas une innovation que l'attribution donnée au conseil de prud'hommes d'appliquer certaines pénalités ; elle lui a été donne dès son origine. C'est un conseil de famille ; un conseil de famille qui applique certaines peines très peu rigoureuses, des peines domestiques, des peines telles qu'il en existe dans les établissements publics d'instruction, dans la garde civique, dans les relations du gouvernement avec ses fonctionnaires.

La peine des arrêts, les ministres peuvent l'infliger aux militaires, aux ingénieurs civils aux ingénieurs des mines ; les colonels infligent les arrêts aux officiers et aux soldats.

M. Orts. - Vous ne mettez pas les ingénieurs aux arrêts dans une prison. C'est dans leur chambre à coucher que vous les consignez.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les gardes civiques quels qu'ils soient peuvent subir des arrêts en prison. Ici les peines de famille seront subies dans un local spécial annexé à la salle du conseil de prud'hommes.

Cette pénalité, messieurs, a existé de tout temps ; il n'en a pas été fait emploi souvent, mais la perspective d'être condamné à deux ou trois jours d'arrêts peut retenir un jeune apprenti, une jeune ouvrière qui serait tenté de commettre un acte répréhensible. Il est arrivé au conseil de Bruges de condamner une jeune ouvrière à trois heures d'arrêts. C'est une correction paternelle qui peut exercer une influence très efficace sur les autres ouvrières.

Il ne faut pas, messieurs, donner à la loi un caractère qu'elle n'a pas. On nous attribue la prétention d'apporter une loi tout à fait nouvelle et nous ne faisons que consacrer l'état de choses existant. Il y a plus, nous restreignons le nombre d'ouvriers qui, sous le régime antérieur, étaient appelés à procéder à l'élection, puisque sous le régime antérieur tous les ouvriers patentables étaient électeurs. Aujourd'hui il ne suffit plus d'être ouvrier patentable, il faut encore remplir les conditions que j'ai déjà rappelées, et quand on remplit ces conditions il faut encore avoir été choisi par l'administration communale et par la députation permanente comme digne de figurer parmi les électeurs.

Je ne recule pas devant les innovations utiles, elles ne m'effrayent point, le projet de loi renferme plusieurs améliorations notables ; mais je ne puis pas accepter pour la loi le caractère de nouveauté et de portée qu'on lui donne.

Quand nous en serons venus à l'article relatif aux pénalités, s'il est combattu je prendrai de nouveau la parole pour le défendre.

M. Dolez. - Messieurs, je suis partisan de l'amendement présenté par mon honorable collègue et ami M. de Brouckere, mais je tiens à dire à l'honorable M. Orts que si j'accueille complétement cet amendement, ce n'est en aucune manière par défiance de l'un des éléments appelés à composer le conseil de prud'hommes. Je suis partisan de cet amendement parce que, suivant moi, on ne peut pas le repousser sans reconnaître complétement le principe qui sert de la base à la loi.

Cette base, c'est l'égalité entre les deux éléments, c'est un système de balance et de contre-poids entre l'élément patron et l'élément ouvrier appelés à concourir sur un pied d'égalité parfaits à la constitution du conseil.

Ce principe est posé à l'article 3 qui porte : « Les conseils de prud'hommes sont composés de six membres au moins et de seize au plus, choisis moitié parmi les chefs d'industrie et moitié parmi les ouvriers. » Voilà le principe fondamental.

Si ce principe est bon, il faut l'appliquer à tous les degrés où l'institution fonctionne, à péril de se montrer inconséquent. Je ne puis concevoir qu'on veuille constituer le conseil par moitié de chacun des deux éléments si au moment où il doit fonctionner on doit permettre à l’un de ces éléments de constituer le conseil, à lui seul, sans la participation de l'autre.

J'ai entendu faire au système de M. de Brouckere des objections ; elles ne m'ont point frappé.

Je ne veux pas, messieurs, les examiner en ce moment, mais ce que je tiens à constater, c'est que, si ces objections étaient fondées, elles seraient applicables à d'autres dispositions du projet que pourtant la Chambre a déjà adoptées, et cela sans contradiction.

En effet, on craint que, par une abstention calculée, l'un des éléments appelés à constituer le conseil puisse rendre impossible l'action d'un conseil. C'est là la grande objection. Eh bien, si ce danger est réel, ce que je ne crois pas, il existe dans des dispositions que personne ne conteste. Il est dit à l'article 30 :

« Il est formé, dans chaque conseil de prud'hommes, un bureau de conciliation qui a pour mission de concilier les parties.

« Il est composé de deux membres dont l'un est chef d’industrie et l'autre ouvrier. » L'égalité absolue est donc exigée ici. D'autre part, l'article 32 porte :

« Nulle affaire ne peut être déférée au conseil qu'après avoir été soumise au bureau de conciliation. »

On ne peut donc aborder le conseil proprement dit qu'après avoir passé par le bureau de conciliation.

Si vous supposez qu'un des éléments veuille s'abstenir de concourir aux opérations du conseil en vue de rendre son action impossible, il lui suffira de s'abstenir de concourir aux opérations du bureau de conciliation, et par cela même l'institution sera complétement entravée.

A propos du bureau de conciliation, le projet rend hommage à un principe dont il ne veut plus quand il s'agit de constituer le conseil de prud'hommes lui-même.

Je pense que le principe posé dans les articles 30 et 32 est parfait ; et par cela même je voudrais qu'il fût appliqué jusqu'au bout et par conséquent qu'il fût décidé par l'article 33, que le conseil ne siégera jamais que quand il sera composé mi-partie des deux éléments qui doivent essentiellement le constituer.

En présentant tout à l'heure ses amendements, amendements à l'égard desquels je ne me prononce pas définitivement, tout en consentant à les adopter provisoirement, comme on l'a proposé, parce que je ne les ai pas étudiés, l'honorable ministre de l'intérieur disait que si en définitive un des éléments s'obstinait à ne pas concourir aux travaux du conseil, cet élément ne devrait imposer qu'à lui-même les conséquences de son mauvais vouloir ou de sa négligence. Cette observation ne me paraît pas juste, car si le conseil de prud'hommes était constitué par juste moitié de chacun de ses deux éléments, ce n'’est pas dans l'intérêt des juges, mais bien dans celui des justiciables que la loi ne peut punir de l'abstention de ses juges.

Ainsi, un ouvrier devra être jugé ; ses pairs ne viendront pas au conseil et par ce fait d'autrui, dont aucune règle de droit et de justice ne peut le rendre responsable, vous lui imposez d'autres juges ; il sera donc jugé par d'autres que ses pairs.

Le remède au mal que l'on redoute et à la réalisation duquel je ne crois pas pour mon compte, n'est pas, je le pense, dans les mesures proposés par M. le ministre de l'intérieur ; il est dans une sanction pénale qui rendrait obligatoires les fonctions de membre d'un conseil de prud'hommes.

Je voudrais que quiconque est nommé membre d'un conseil de prud'hommes, et a accepté ces fonctions, doit les exercer, et s'il ne les (page 878) exerce pas, je voudrais qu'il fût puni comme ayant refusé un service auquel il était légalement tenu.

Cette disposition ne serait pas exorbitante, elle existe pour le jury. Quant un juré ne se présente pas, on le condamne à une amende de 500 francs.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mes amendements paraissaient avoir obtenu l'assentiment général ; il est fâcheux que vous les combattiez maintenant.

M. Dolez. - J'ai dit tout à l'heure que je ne préjugeais pas l'ensemble de votre système ; mais dès à présent je signale à l’attention de la Chambre et à la vôtre ce qui peut-être serait un moyen de faire mieux. D'ailleurs, le danger de l'abstention systématique de la part de l'un des deux éléments constitutifs du conseil de prud'hommes ne m'effraye pas. Je ne la crois pas admissible. On ne verra pas l'élément patron ou l'élément ouvrier refuser de constituer le conseil de prud'hommes et de venir prendre part à ses opérations. Mais si cela arrivait, soyez-en bien sûrs, votre institution tomberait.

Le conseil de prud'hommes, on l'a dit, doit être un tribunal de famille ; et votre crainte n'a pour base que l'éventualité d'une antipathie entre l'élément ouvrier et l'élément patron tellement prononcée qu’elle est un obstacle à la réunion du conseil de prud'hommes. Je le répète, pour mon compte, je ne pense pas qu'une pareille situation puisse jamais se présenter.

Je suis convaincu que dans toutes les localités on verra les deux éléments concourir de bonne grâce à l'organisation du conseil de prud'hommes ; mais nous devons veiller à ce que cette organisation soit bonne, qu'elle reste toujours équitable et qu'elle ne démente jamais le principe fondamental de la loi.

- La discussion est close.

L’amendement de M. H. de Brouckere, ainsi que les sous-amendements présentés par M. le ministre de l'intérieur, sont mis aux voix et adoptés, après que M. le président a donné une nouvelle lecture de ces diverses-dispositions.

Article 37

« Art. 37. Le conseil tient au moins deux séances par mois ; en cas d'urgence, il peut être convoqué extraordinairement par le président. »

- Adopté.

Titre II. De la compétence des conseils de prud’hommes

Article 38

« Art. 38. Les conseils de prud'hommes connaissent, dans les limites de leur ressort respectif, des contestations, soit entre ouvriers, soit entre ouvriers et apprentis, soit entre chefs d'industrie et leurs ouvriers où apprentis des deux sexes, pour tout fait d'ouvrage, de travail et de salaire concernant la branche d'industrie exercée par les justiciables, quels que soient la demeure ou le domicile de ceux-ci. »

M. E. Vandenpeereboom. - Il y a un amendement à cet article.

M. le président. - Il est ainsi conçu :

« Les conseils de prud'hommes connaissent aussi des plaintes en contrefaçon de dessins de fabrique, soit entre fabricants, soit entre fabricants et entrepreneurs, facteurs, ouvriers ou ouvrières. »

M. E. Vandenpeereboom. - L'honorable auteur de cet amendement, M Alp. Vandenpeereboom, ayant dû quitter Bruxelles pour affaires administrative, m'a prié de dire à la Chambre, qu'il maintenait son amendement, pour le cas où le gouvernement ne serait pas à même de présenter prochainement un projet de loi sur les dessins et marques de fabrique ; que, dans le cas contraire, il le retirerait.

M. le président. - L'amendement a été soumis à la section centrale ; M. de Paul, qui l'a signé avec M. Alp. Vandenpeereboom, s'est rendu dans son sein où il a déclaré retirer l'amendement sur la déclaration de M. le ministre de l'intérieur que h projet de loi sur les dessins et 'et marques de fabrique était prêt à être présenté à la Chambre.

M. E. Vandenpeereboom. - J'étais chargé de demander au gouvernement de faire cette déclaration en séance publique, faute de quoi l’amendement serait maintenu.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cette déclaration, M. le président vient de la répéter ; je ne puis que confirmer les paroles de M. le président.

Un projet de loi sur l'objet en question est prêt ; il sera présenté en temps opportun.

M. E. Vandenpeereboom. - L’amendement est retiré.

M. le président. - L'amendement est retiré.

M. Magherman. - J'ai présenté, de concert avec l'honorable Janssens, un amendement à l'article 38. Il est ainsi conçu :

« Ils connaissent aussi dans les mêmes limites des contestations entre chefs d'industrie relatives aux obligations qui leur sont imposées per lies dispositions légales en matière de livrets d'ouvriers. »

Cet amendement apporte la même dérogation au principe de la loi que celui de M. A. Vandenpeereboom.

En effet, la loi ancienne et le projet de loi qui nous est soumis ne saisissent les conseils que des contestations entre maîtres et ouvriers et entre ouvriers exclusivement, tandis que notre amendement tend à saisir le conseil de prud'hommes de certaines contestations entre chefs d'industrie.

Il a notamment en vue les dispositions de la loi relatives aux livrets d'ouvriers qui sont consignées dans la loi du 24 germinal-2 floréal an XI et conçues comme suit :

« Art. 11. Nul individu employant des ouvriers ne pourra recevoir un apprenti sans congé d'acquit, sous peine de dommages-intérêts envers son maître.

« Art. 12. Nul ne pourra sous les mêmes peines recevoir un ouvrier s'il n'est porteur d'un livret portant le certificat d'acquit de ses engagements, délivré par celui de chez qui il sort. »

En section centrale cet amendement n'a été admis ni par les membres de la section ni par le gouvernement, parce qu'il contient une dérogation aux principes de la loi. Messieurs, quand nous faisons une loi, ce n'est pas par amour pour certains principes, mais pour l'utilité qui peut en résulter pour les citoyens. Or l'utilité qui doit résulter de cet amendement n'est pas contestable.

Les dispositions assez vagues du décret du 11 juin 1809 sur les conseils de prud’hommes, ont eu pour résultat que beaucoup de ces conseils ont cru que cet objet tombait déjà dans leurs attributions et les justiciables s'en sont très bien trouvés. L'expérience de cet amendement est donc faite d'avance, cela résulte de la multiplicité de décisions de la cour de cassation de France rendues en cette matière. Cette cour de cassations par un arrêt du 2 février 1825, a décidé que ces matières ne tombaient pas dans les attributions des conseils de prud'hommes. C'est donc que les conseils de prud'hommes s'en étaient occupés. Pareille décision a été prise par la même cour le 11novembre 1834.

Pareille décision est encore émanée de la même cour, le 18 mars 1846. Il en résulte donc que certains conseils de prud’hommes ont persisté a s'attribuer cette matière. Eh bien, la même chose a existé en Belgique, et je dois le dire, cela s'est fait ici au plus grand avantage des patrons et des ouvriers.

Mais dès que cette jurisprudence de la cour de cassation a été bien connue, il en est résulté cet inconvénient que certains chefs d'industrie, observateurs peu scrupuleux des lois et comptant d'avance sur l'impunité parce qu'ils savaient qu'on aurait reculé devant les frais pour saisir du ces petites contestations la juridiction ordinaire, ont cherché à attirer à ceux des ouvriers d'autres fabriques, sans que ces ouvriers se fussent même mis en règle tant à l'égard des livrets qu'au sujet des règlements qui existent dans certaines industries relativement au congé des ouvriers.

Mon amendement n'a donc d'autre but que de rétablir ce qui a existé de fait dans beaucoup de localités où les conseils de prud'hommes sont toujours intervenus avec beaucoup de succès dans ces sortes d'affaires. Le conseil de prud'hommes que je connais plus particulièrement, attache une grande importance à ce que l'institution des prud'hommes soit investie de cette espèce d'attribution, qu'il considère comme essentielle pour le maintien du bon ordre dans les fabriques et des bons rapports entre les patrons et les ouvriers.

M. le président. - La section centrale avait ajourné cet amendement, de commun accord, je pense, avec ses auteurs, en vue de la présentation d'un projet de loi sur les livrets.

M. Magherman. - Si le gouvernement pouvait faire une déclaration semblable à celle qu'il a faite tout à l’heure à l'égard des marques de fabrique, je n'insisterais pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne puis pas dire que la loi sur les livrets sera révisée immédiatement, ou dans un temps très rapproché. D'ailleurs, si même je devais présenter une loi sur les livrets prochainement, je ne pourrais pas prendre l'engagement d'attribuer, par cette loi, aux conseils de prud’hommes le jugement entre patrons. Ce serait étendre au-delà de ses limités raisonnables l'institution des conseils de prud'hommes. ; Ces conseils sont institués pour juger les contestations entre patrons et ouvriers et des ouvriers entre eux ; mais non pas pour juger les contestations entre patrons ; ceci est du ressort des tribunaux ordinaires, notamment des justices de paix.

Les patrons d’un même ressort qui voudront se concilier pourront le faire, aux termes de l'article 37, devant les conseils de prud’hommes, lesquels agiront alors comme arbitres dans toute espèce de questions, et même pour celles qui sortent de leur compétence. Je pense que cela suffit ; et qu'il ne faut pas étendre, outre mesure, les attributions et les travaux des conseils de prud'hommes, car ce serait le cas alors d'adopter la proposition de l'honorable M. Dolez, tendante à forcer, sous peiner d'amende, de prison, peut-être, les prud'hommes à remplir leurs fonctions.

.le ne puis donc pas prendre l'engagement d'introduire dans la loi sur les livrets une disposition tendant à attribuer aux conseils de prud'hommes le jugement des contestations entre patrons.

M. le président. - Le fond de la question n'a pas été examiné par la section centrale ; seulement il avait été entendu que cette question était réservée jusqu à la discussion de la loi sur les livrets.

M. Janssens. - J'ai appuyé l'amendement qui nous occupe en ce moment. On en a en effet ajourné l'examen en disant que cette question pourrait être discutée à l'occasion de la loi sur les livrets Je consens volontiers à cet ajournement, mais j'engage le gouvernement à proposer le plus tôt possible la révision de la législation su' les livrets. Cela est plus urgent, dans l'intérêt des ouvriers, que la loi que nous discutons.

M. le président. - Cet amendement est donc réserve sans (page 879) aucun préjudice et il ne reste plus que la rédaction de la section centrale.

M. Muller. - Je demande la parole pour présenter une simple observation toute de forme et dans le but unique de prévenir toute équivoque.

Je vois dans le rapport de la section centrale, à propos de l'article premier, que deux sections avaient demandé qu'on ajoutât le mot apprentis à celui d'ouvriers. La section centrale, est-il dit, adopte la rédaction du projet ; en ce qui concerne spécialement l'insertion du mot apprentis, elle la croit inutile, l'expression ouvriers étant ici une expression générique qui comprend les apprentis. Or, messieurs, dans l’article 38, il est fait mention d'ouvriers et d'apprentis.

Je crois donc qu'il faudrait supprimer le mot apprentis, pour rester parfaitement d'accord avec la rédaction adoptée à l'article premier.

M. Vander Stichelen, rapporteur. - L'observation est juste.

- La proposition de M. Muller est adoptée ; l'aride ainsi modifié est mis aux voix et adopté.

Article 39

M. le président. - La section centrale a substitué la rédaction suivante à celle qu'elle avait d'abord adoptée pour l'article 39 :

« Indépendamment des poursuites devant les tribunaux de répression, les prud'hommes peuvent infliger des peines disciplinaires pour tout fait tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier et tout manquement grave commis à l'occasion des rapports de maîtres à ouvriers »

Puis vient un article nouveau 39biss, dont nous nous occuperons ensuite.

M. E. Vandenpeereboom. - Par un document, annexé au premier rapport de la section centrale, un conseil de prud'hommes demande à obtenir, par la loi, la répression de certains faits d'embauchage d'ouvriers.

La section centrale a cru qu'il n'était pas nécessaire d'insérer une disposition expresse à cet égard, et elle motive son opinion, en disant que :

« Si les actes dénoncés se présentaient en effet avec un caractère de déloyauté et de mauvaise foi bien prouvé, ils tomberaient sous l'application de la loi. »

Je crois que l'article peut être ainsi entendu.

Je demanderai à l’honorable ministre de l'intérieur de vouloir nous dire s'il partage l'opinion de la section centrale. Je fais cette demande, afin de pouvoir juger de toute la portée de l'article, qui, tel qu'il est, ne me plaît déjà pas beaucoup.

M. Muller. - Messieurs, je demande la suppression de l'article. Je me base à cet égard sur les observations qui ont été présentées par l'honorable M. Orts.

On vous a dit combien avait été rare l'application des pénalités qu'on propose de faire infliger far les conseils de prud'hommes, pénalités qui vont droit à l'emprisonnement, déguisé sous la qualification d'arrêts. Si les faits qui donnent lieu à ces peines disciplinaires sont si rares, je trouve qu'il est fort inutile de les prévoir dans une loi spéciale ; je trouve que la loi commune est le régime le plus régulier.

Remarquez, messieurs, que l'on peut abuser de l'emploi de pénalités semblables. Remarquez que vous avez constitué une juridiction moitié civile, moitié commerciale ; mais vous n'établissez pas en définitive une juridiction correctionnelle ou de simple police. Je ne vois donc pas ce qui empêcherait la loi de fonctionner d'une manière convenable, abstraction faite de cet épouvantail. Car on dit que ce ne sera qu'un épouvantait que l'on a introduit pour réprimer quoi ? Des manquements graves. On avait ajouté : des infidélités. On a supprimé cette expression.

Messieurs, pour faire taire les répugnances assez nombreuses qui existent au sein de cette assemblée, je demande qu'on supprime cette disposition et je ne vois pas en quoi cette suppression pourrait avoir de graves inconvénients. Si les fautes sont légères, on pourra très bien infliger un blâme paternel à l'ouvrier ou au maître qui s'en est rendu coupable. Si elles sont graves, il ne faut pas les soustraire à la connaissance des tribunaux répressifs.

Remarquez que vous posez ici un principe en vertu duquel on pourrait être puni deux fois pour la même faute, un principe qui détruit celui du non bis in idem. On pourrait être condamné à trois jours d'arrêt pour telle faute. Cette faute sera prévue par le code pénal. Le procureur du roi vous traduira pour la même fuite et on pourra infliger une seconde peine. C'est ce qui résulte de la rédaction de votre disposition.

Je conseille au gouvernement de l'abandonner, attendu qu'elle n'est nullement nécessaire pour le service de la loi, que la loi marchera parfaitement bien sans cet épouvantail.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On pourrait croire qu'il s'agit encore ici d'une innovation ; mais le projet ne fait que consacrer l'état de choses existant, et toutes les objections que l'on vient de présenter peuvent aussi se produire contre la législation actuelle ; car la disposition est empruntée à cette législation.

M. de Muelenaere. - La disposition du gouvernement, mais non celle de la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je parle du droit accordé au conseil de prud'hommes d'appliquer certaines peines, et je dis que cette disposition existe dans la législation actuelle. La rédaction en est autre ; je vais la défendre.

Cette disposition, dit-on, n'est pas nécessaire parce qu'on n'en fait pas usage. Messieurs, on en fait usage quelquefois, on en fait usage salutaire, un usage proportionné aux manquements qu'il s'agit de réprimer, et je dis que la craintes des peines qui peuvent être appliquées à la suite de ces fautes de famille peut empêcher de les commettre, que l'exemple d'un apprenti condamné à un jour d'arrêt peut empêcher un autre apprenti de se mal conduire.

On dit : A quoi bon ces peines ? Vous heurtez le grand principe du non bis in idem ; vous exposez l'individu à être puni deux fois pour le même fait.

Je ne l'expose pas à être puni deux fois.

J'introduis une disposition toute paternelle qui empêchera une jeune ouvrière, un jeune apprenti, d'être quelquefois, par la trop grande rigueur de son maître, traduit devant un tribunal de police ou un tribunal correctionnel pour des faits qui constituent plutôt des fautes que des délits.

Les délits resteront justiciables des tribunaux ordinaires. Mais pour ces manquements légers, pour ce que la section centrale appelait des infidélités, pour ces fautes qui se commettent assez souvent dans l'intérieur des fabriques, l'enlèvement de quelques bouts de fil. ou, s'il s'agit de pêcheurs, le détournement d'un poisson, la répression serait trop sévère si elle devait avoir lieu par les tribunaux ordinaires. Eh bien, il y a pour ces faits une justice paternelle qui est appliquée par les patrons et par les ouvriers réunis, et qui, par conséquent, est appliquée avec une certaine douceur.

Cette disposition, quant à moi, je la regarde comme essentielle. Elle a toujours existé dans la loi. Je ne comprends pourquoi on voudrait la supprimer.

Pour les ouvriers, je la trouve excellente, car elle punit dans une juste et sage mesure certaines fautes qui, si la disposition n'existait pas, ou seraient trop sévèrement punies, ou ne seraient pas punies du tout ; car si le maître est humain, il ne livrera pas l'apprenti ou l'ouvrier à la justice régulière ordinaire pour une faute légère. Cette faute légère restera impunie. Si au contraire, il est inhumain, il est évident que ces fautes pourront recevoir des peines hors de proportion avec leur gravité. Je ne parle pas ensuite du déshonneur qui s'attache à l'individu qui, pour les fautes même les plus légères, doit paraître devant la justice ordinaire Il y perd la moitié de sa réputation et de son honneur aux yeux de ses voisins et de ses connaissances.

Je crois, messieurs, que ce qui répugne dans cet article, ce n'est pas la perspective de voir un ouvrier exposé à être puni deux fois. Ce cas n'arrivera pas. Car, s'il était puni une fois, ce serait un titre en sa faveur pour empêcher le procureur du roi de le poursuivre. Mais ce qui répugne beaucoup plus que la perspective de voir un ouvrier atteint d'une double peine, c'est la perspective de voir la peine atteindre un maître. Sous ce rapport, l'honorable M. H. de Brouckere n'a pas déguisé la répugnance qu'il éprouvait pour cette disposition.

M. H. de Brouckere. - Je n'en ai pas parlé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Comment ! mais c'est en votre honneur que la disposition nouvelle a été introduite. C'est pour tâcher d'adoucir la rigueur de votre opposition à cet article. La première rédaction était plus brutale Elle disait : Tout manquement de l'ouvrier envers le maître, du maître envers l'ouvrier pourra être puni de trois jours d'arrêts.

Et l'on s'est écrié : Quel scandale ! Des maîtres condamnés aux arrêts par des ouvriers !

Nous avons trouvé, en effet, que la première rédaction avait quelque chose d'un peu brutal et nous avons voulu ramener à notre opinion ceux qui, adoptant les principes généraux de la loi, auraient pu trouver dans cet article des motifs de la repousser.

C'est ainsi que d'abord on a fait disparaître le mot infidélités qui avait blessé, au point de vue juridique, la conscience de quelques honorables collègues. Ensuite nous n'avons plus parlé de « manquement de l'ouvrier vis à-vis du maître ou du maître vis-à-vis de l'ouvrier. »

En troisième lieu nous avons donné ouverture à une autre peine : il ne sera pas nécessaire de condamner aux arrêts ; il y a une amende. Enfin, messieurs, il y a l'appel, de manière que, si par un esprit de vengeance quelconque, une peine était infligée injustement, l'appel reste ouvert à celui qui aurait été condamné injustement.

J'espère, messieurs, que l'article, avec sa rédaction actuelle, ne présente plus aucune espèce inconvénient et ne soulèvera aucune espèce de répugnance.

Il sera appliqué très rarement, mais il peut l'être avec utilité, et la seule perspective de le voir appliquer, empêchera peut-être beaucoup de fautes de se commettre.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.