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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 27 juillet 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)

(page 1290) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Crombez fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Fauvillers demandent la construction d'un embranchement de chemin de fer sur Bastogne et prient la Chambre d'augmenter les subsides pour la voirie vicinale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des propriétaires et habitants de Borgerhout, l'un des deux faubourgs d'Anvers, présentent des observations contre la réclamation d'habitants de la cinquième section de cette ville, relative aux fortifications d'Anvers, et prient la Chambre d'adopter le projet de loi du gouvernement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.


« Le conseil communal de Blankenberghe présente des observations contre la proposition de la section centrale de supprimer le crédit demandé au paragraphe 6 de l'article premier du projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d'utilité publique. »

M. Coppieters. - Comme la section centrale ne se réunir ,plus, je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi. Je me permettrai en même temps d'appeler la bienveillante attention des membres de la Chambre sur le contenu de cette pièce.

- Cette proposition est adoptée.


« Le conseil communal de Verviers prie la Chambre d'allouer au gouvernement les fonds nécessaires pour l'amélioration de la Vesdre. »

M. David. - Depuis que le gouvernement a fait des travaux d'assèchement dans la forêt d'Hertogenwald, les eaux dans les années ordinaires, manquent dans la vallée de la Vesdre pendant trois mois de l'année au moins. Mais après des sécheresses comme celles de l'année dernière et de cette année, la Vesdre est complètement à sec. L'eau est cependant un des éléments les plus indispensables à l'industrie de cette vallée.

Comme il s'agit d'un objet urgent et d'une immense importance, je prie la Chambre de renvoyer cette requête à la section centrale afin qu'elle veuille bien étudier la question de plus près. L'industrie de Verviers est si considérable qu'il est désirable de donner quelques minutes de temps à l'examen de cette question vitale pour tout notre arrondissement.

M. Grosfils. - J'appuie cette proposition.

M. le ministre des travaux publics (M. Partoes). - Je ne puis accepter le renvoi à la section centrale. Ce serait probablement retarder la discussion qui nous occupe en ce moment. Indubitablement cela ferait naître une série d'autres propositions analogues et je crois que cela ne pourrait pas aboutir.

Du reste, le gouvernement fixe son attention sur l'objet dont vient de vous entretenir l’honorable membre et je pense qu'il sera possible, pour la session prochaine, de présenter un projet relativement à la Vesdre.

M. David. - Je renonce à ma proposition. Je suis complètement satisfait de l'explication de M. le ministre.

- La pétition sera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les travaux publics.


« Le sieur Falkenbergh prie la Chambre de s'occuper de l'établissement d'une caisse de retraite en faveur des secrétaires communaux. »

- Renvoi à la section centrale du projet de loi.


« Le sieur Jean-Henri Ferdinand Muller, chef de musique à Gheel, né à Schlossvippach (Saxe-Weimar), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le conseil communal d'Anvers prie la Chambre de rejeter la proposition du gouvernement relative aux fortifications de cette ville. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Fafchamps transmet copie de sa lettre à M. le ministre de la guerre, relative aux travaux de défense à exécuter à Anvers. »

- Même décision.


M. Prévinaire, forcé de s'absenter pour motifs de santé, demande un congé de 15 jours.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi concernant l’exécution de divers travaux d’utilité publique (question des fortifications d’Anvers)

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. Thiéfry. - (La première partie de ce discours a été prononcée dans la séance d’hier) Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis ,pour les fortifications d'Anvers, nous a déjà été présenté en 1856 par un ministère catholique ; la section centrale, dont je faisais partie et où se trouvaient des hommes appartenant aux deux opinions représentées dans cette Chambre, l’a examiné principalement au point de vue de la défense nationale ; elle a été unanime pour lui préférer la grande enceinte. Il ne s'est rien passé depuis lors, aucun argument nouveau ne m'a été fourni pour me faire changer d'avis.

La Belgique, voisine de la France et de la Prusse, ne saurait, à elle seule, lutter longtemps contre l'une ou l'autre de ces puissances ; elle ne peut avoir de garantie contre une invasion, ou une occupation étrangère, que dans l'assistance qu'elle recevra de la part de celle qui aura respecté son indépendance. C'est là la position de tout pays qui est contigu à un autre beaucoup plus considérable.

Si cette situation offre des dangers permanents pour les Etats de moindre importance, il y a une espèce de compensation dans la certitude qu'ils ont, d'être secourus par des armées alliées. Cette opinion est surtout applicable à la Belgique.

Il suffit, pour en être certain, de faire un retour sur les événements qui ont eu lieu : chaque fois, par exemple, que la France a envahi notre pays, les Allemands sont accourus à notre secours ; l'indépendance de la Belgique est trop nécessaire au maintien de l’équilibre européen, pour qu'à l'avenir il en soit autrement. D'un autre côté un Etat neutre commettrait une imprudence impardonnable en se reposant entièrement sur l'inviolabilité de son territoire : les grandes armées ne respectent point la neutralité, dès que cette violation peut tourner à leur avantage. L'histoire de presque tous les pays nous en donne des preuves. Je me bornerai à citer la république de Venise envahie par Bonaparte en 1790 et la Suisse qui a vu deux fois sa neutralité violée, en 1798 par les Français et en 1814 par les alliés. L'occupation des forteresses d'un pays par une puissance étrangère avec laquelle on n'est point encore en guerre, n'est pas moins fréquente. La conduite des Français en Espagne et en Italie prouve la justesse de mon observation.

Ainsi donc je pose en fait que nous serions secourus en cas d'attaque, et que nous ne devons pas nous fier à notre neutralité pour supposer notre pays invulnérable. Je crois, au contraire, que notre neutralité est un motif puissant pour fortifier une position, dans laquelle l'armée nationale serait à l’abri des coups de l'ennemi ; et, en effet, par suite des traités, il ne nous est pas permis d'avoir des alliés, et, par conséquent, des secours, avant l'agression d'une puissance ; si nous étions menacés d'une invasion, il faudrait rester dans une situation d'attente ; de toute manière, nous serons abandonnés à nos propres forces pendant quelque temps.

La plupart de nos places ont été construites en 1815, dans la prévision d'empêcher une invasion française ; elles ont été si multipliées que les Anglais et les Prussiens devaient en occuper une partie à la première apparence de danger ; elles ont été placées là où elles pouvaient intercepter les routes qui communiquaient de France en Belgique. Depuis lors les chemins de fer ont été construits, les routes multipliées, des ponts établis sur les cours d'eau, on a par conséquent facilité aux armées ennemies les communications jusqu'au cœur du pays. Les militaires qui après 1830 avaient, pendant bien des années, adopté pour système de défense la conservation de toutes les places fortes, comprirent que l'ensemble de ces travaux avait extraordinairement affaibli leur importance.

La commission nommée en 1851, pénétrée de l’impossibilité de mettre sur pied assez de force pour les défendre toutes, proposa la démolition de quelques-unes ; j'ai trouvé que le démantèlement n'était pas même assez considérable, et j'ai réclamé encore celui de Mons.

On ne voulait alors à Anvers qu'une position retranchée ; l'intérieur des ouvrages devait être balayé par le feu des batteries placées en arrière, ou par le canon de la place ; sept forts en terre furent construits dans ces conditions.

Un an plus tard leurs gorges furent fermées par des réduits casemates, et cela contrairement à l'opinion de deux commissions.

Un an encore après, on demanda à revêtir ces forts en maçonnerie, on voulait ainsi transformer des ouvrages de campagne en fortification permanente. Ces travaux n'ont pas été exécutés par suite des observations présentes dans celle Chambre ; on comprit parfaitement que l'emplacement des forts détachés ne pouvait pas être le même que celui d'une position placée sous le canon d'une forteresse.

On sollicite maintenant les fonds pour la construction de 5 citadelles en avant des fortins terminés il y a 3 ans.

Ce projet, accompagné de l'annonce de la démolition d’un certain nombre de forteresses, m'avait d'abord fait supposer que le gouvernement comprenait que, si l'on n’avait pas beaucoup de temps devant soi, avant le commencement des hostilités, il serait difficile de réunir assez d'infanterie pour défendre toutes les places, et que dans les prévisions de parer à ce danger, on allait diminuer le nombre des places (page 1291) fortes, afin de concentrer plus de troupes pour l'armée en campagne, et avoir, en cas de retraite forcée, un effectif plus considérable dans une grande place de guerre ; ce système de défense présente des avantages incontestables ; je l'ai déjà dit, en cas d'attaque nous serions aidés ; si donc l'armée belge est concentrée dans une position bien fortifiée et forme un corps assez nombreux, il lui sera facile de résister à une armée supérieure en nombre, et de saisir une bonne occasion pour manœuvrer de manière à rejoindre ses alliés ; tandis que les troupes laissées inutilement dans Mons, et dans plusieurs autres places, diminueraient considérablement l'effectif de l'armée, et en voulant tout conserver, on serait faible partout.

Un petit pays ne peut imposer à une nation belliqueuse assez de crainte pour empêcher une invasion : ce rôle est réservé aux grandes puissances, telles que la France, l'Autriche, la Russie, la Prusse, etc. Si cette invasion a lieu, je ne prétends pas que l'année nationale doive immédiatement et sans résistance abandonner le centre du pays, mais je pense que la prudence exige que l'armée nationale ait derrière elle un lieu de refuge, une position bien fortifiée où elle pourra se maintenir contre des forces supérieures jusqu'à l'arrivée des secours.

La concentration des troupes dans une vaste place de guerre est, à mon avis, le seul et unique moyen d'avoir ce refuge assuré pour empêcher la désorganisation du pouvoir central, pour soustraire l'armée belge à l'action de l'armée envahissante, et pour lui permettre enfin d'unir ses efforts à ceux des alliés pour forcer l'ennemi à évacuer le pays.

La concentration admise, il faut rechercher l'endroit où elle doit avoir lieu. Je n'indiquerai pas la direction probable des armées, selon que l'invasion aurait lieu par la France ou par l'Allemagne, ou par l'Angleterre, l'Allemagne et la Hollande ; ce sont là des mouvements à abandonner aux militaires seuls : ne pouvant d'ailleurs avoir deux places de refuge pour faire face à une attaque qui viendrait ou du sud ou de l'est, toute la question est de savoir s'il ne serait pas préférable de faire une grande place de guerre de Bruxelles plutôt que d'Auvers.

Au point de vue politique, personne ne méconnaîtra l'importance de la conservation de la capitale. Le gouvernement, en s'y maintenant, exercerait une plus grande influence sur toute la nation, il entretiendrait plus facilement ces sentiments patriotiques qui sauvent un peuple du joug de l'étranger.

Sous le rapport militaire, Bruxelles, située plus au centre du pays, entre deux grands fleuves, rendrait évidemment à l'armée plus de services qu'Anvers ; d'autant plus que ne connaissant pas à l'avance quelle sera la puissance envahissante, cette situation satisferait mieux à toutes les éventualités. Il y a dans l'armée un savant officier, M. le capitaine Vandevelde, qui défend avec talent ce système depuis 10 ans. Cependant engager le gouvernement à fortifier Bruxelles, n'est-ce pas s'exposer à entraîner l'Etat dans des dépenses énormes ? La fortification, pour être complète et susceptible d’une bonne défense, exigera des frais considérables, puisqu'il y a absence d'obstacles naturels, sauf les eaux de la Senne qui pourraient être utilisés. Quoique je n'aie point de données positives à cet égard, il me suffit de voir sur la carte le grand développement qu'aurait une place semblable, pour être certain que le pays se résoudrait difficilement aux sacrifices que cette fortification exigerait. Mon ami M. Loos en estime la dépense à 70 millions, moitié de ce qui ont coûté les fortification de Paris. Mais comment le génie militaire belge accepterait-il un plan semblable à celui de Pais, pour une place qui aurait bien plus de fronts attaquables qu'Anvers, alors que dans le projet qu'il nous présente, il y a beaucoup d'ouvrages extérieurs qui ne sont point exécutés à Paris ?

Il est à mes yeux un autre obstacle insurmontable. Bruxelles exigerait pour sa défense plus de troupes qu'Anvers, le gouvernement serait nécessairement obligé de démolir toutes les forteresses du pays ; et d'après ses réponses à la section centrale, nous sommes tous certains qu'il ne satisferait pas à cette obligation.

Puis il y a une autre considération qui mérite aussi une sérieuse attention. Anvers présente plus de ressources pour l'approvisionnement de l'armée et de la population, l'entrepôt renferme souvent une certaine quantité de grains, de riz, de café, etc., etc. Par l'Escaut et par le chemin de fer de Hollande, on pourra recevoir des vivres, surtout des bestiaux : on y aura en outre une chance de plus d'être secouru par mer.

On a dit que la prise de la capitale pourrait donner lieu à des mouvements révolutionnaires provoqués par l'ennemi. Sans contester toute la valeur de celle objection, je pense qu'on ne peut la généraliser et que dans tous cas ne sont pas à craindre, dans un pays qui, comme le nôtre, apprécie les avantages de ses institutions et est gouverné par un souverain qui respecte les lois. Dans les discussions qui ont eu lieu, on a prétendu que si le gouvernement évacuait Bruxelles, toute la Belgique serais perdue. C'est là, messieurs, une pensée qui ne doit pas germer, nous devons la combattre parce qu'elle est peu patriotique, et que d'ailleurs elle est fausse. La prise d’une capitale n'entraîne pas la perte l'un pays, lorsqu'il y a dans l'armée et dans la population assez d’énergie et d’esprit national pour le défendre. Madrid a été occupé par le roi Joseph, Lisbonne par le général Junot, Moscou par Napoléon, et cela n'a pas empêché les armées françaises de devoir évacuer l'Espagne, le Portugal et la Russie.

Ainsi dans mon opinion, Anvers doit être considéré comme le lieu de refuge du gouvernement, comme le dernier boulevard de l'indépendance belge.

Plusieurs membres de cette Chambre et la presse même y ont vu un danger pour le pays qui serait abandonné à l'ennemi. Remarquons d'abord, messieurs, que l'armée nationale ne se retirera à Anvers que si elle y est forcée par une armée supérieure en nombre.

Or si cette armée supérieure se présente sans que nous ayons un lieu de refuge, le pays en sera-t-il moins occupé, moins frappé de contributions ? Evidemment non. Et l'armée où ira t-elle ? S'exposera-telle à être écrasée par le nombre ? Il y a, messieurs, cette différence que l'on ne doit pas oublier : sans lieu de refuge, nos soldats, s'ils ont affaire à une armée plus nombreuse que l'armée belge, peuvent être mis dans une déroute complète ; avec une position bien fortifiée, cette déroute pourra être évitée et l'occupation du pays serait alors momentanée. Aidée de ses alliés, l'armée nationale prendrait sa revanche en forçant l'ennemi à évacuer la Belgique.

J'ai maintenant à examiner si les travaux proposés satisfont aux exigences de la position.

M. le ministre de la guerre dit dans une lettre adressée à la troisième section, que le système qu'il propose peut, sous le rapport de l'importance militaire, être placé sur la même ligne que la grande enceinte. La section centrale a demandé les motifs sur lesquels le gouvernement s'appuyait pour émettre une semblable opinion ; elle n'a pu rien apprendre, on s'est borné à lui répondre que dans une commission composée de 11 membres, 5 s'étaient prononcés pour le projet présenté, 5 pour la grande enceinte et 1 pour l'un ou l'autre de ces projets : quant aux raisons alléguées en faveur de chacun des systèmes, quant à connaître les auteurs de telle ou telle opinion, pour apprécier le degré de confiance qu'elle doit inspirer, la section centrale n'a rien obtenu, elle n'a su rien présenter à la Chambre pour l'éclairer.

Néanmoins, l'honorable général Goblet, dans son lumineux rapport, a parfaitement fait ressortir combien l'opinion de M. le ministre de la guerre était peu fondée ; je partage entièrement les idées qu'il a si bien développées à cet égard.

Comme, dans les deux hypothèses, des forts doivent toujours être construit, soit en avant de l'enceinte, soit en avant des fortins en terre existants aujourd'hui, la réponse du gouverneront veut dire que ces fortins, avec la vieille enceinte, donnent à l'armée un abri aussi assuré, des moyens de résistance aussi bons que la grande enceinte. Je trouve au contraire qu’il ne saurait y avoir aucune comparaison entre les avantages que présentent ces deux genres de fortifications.

Que l'on dise que pour exécuter la grande enceinte, il en coûterait trop, je le conçois ; mais que l'on prétende que les deux projets ont la même valeur pour la défense, je ne le comprends pas. On aurait derrière les forts avancé, d'un côté une ligne continue, partout un large fossé plein d'eau, partout un solide rempart derrière lequel la troupe pourrait s'abriter, de l'autre des forts de campagne, éloignés de 700, de 1,100, de 1,400 et de 1,500 mètres les uns des autres ; et l'armée en arrière ou entre les intervalles, si l'ennemi s'empare d'un des forts de la première ligne, l'armée nationale n'aurait plus un abri convenable.

Peut-il dès lors y avoir la même sécurité pour l'armée dans les deux systèmes ?

L'ennemi a en outre plus d'avantage à attaquer des forts qu'une ligne continue ; il peut entourer un fort, élever 10 ou 15 batteries dont les feux convergeât vers le même but, il mettrait bien vite hors de service les canons des fortins.

Il éprouvera d'ailleurs plus de difficultés à démonter les pièces mises en batterie sur les remparts d'une ligne continue ; et ce dernier mode de fortification permettrait de lui opposer une quantité bien plus considérable de canons, une plus grande masse de feux.

Et puis, comme l'a très bien dit l'honorable rapporteur, il est indispensable, dans un camp retranché, que la zone en arrière des forts soit libre et soumise à l'action des batteries de l'enceinte de la place ; et vous savez tous, messieurs, que les constructions existantes empêchent déjà que cette condition ne soit remplie. Tandis que si l'enceinte était reportée à la hauteur des fortins, les forts à construire en recevraient une protection directe, qui donnerait à l'ensemble des fortifications une valeur défensive bien plus considérable. Sinon, ces forts manqueront d'un appui essentiel.

Il n'est donc pas exact de soutenir que sous le rapport militaire les deux systèmes peuvent être placés sur la même ligne.

M. le commissaire du Roi nous a dit en section centrale : Derrière la deuxième ligne, il y a une ville entourée de hautes murailles, elle servira de véritable citadelle, elle augmentera l'énergie du soldat ; sachant qu'il a encore un lieu de refuge, il aura plus de confiance en lui-même ; l'armée s'y défendra longtemps.

La ville d'Anvers, à mon avis, loin de pouvoir être comparée à une citadelle, sera, au contraire, une cause d'affaiblissement, elle empêchera la durée de la lutte, et, en effet, dans une citadelle, il n'y. a que des soldats intéressés à se défendre vigoureusement pour sauvegarder leur honneur et pour ne pas être faits prisonniers ; un commandant énergique exalte facilement leur courage.

Tandis que quand l'armée sera retirée à Anvers, il n'en sera pas de même ; il y aura un tel encombrement, que l'auteur du projet que nous (page 1292) discutons a dit que les soldats bivaqueraient dans la rue ; et il avait raison, car les habitants des faubourgs et des communes voisines, les personnes attachées au gouvernement, etc., etc., augmenteront de 25,000 à 30,000 âmes la population de la ville, déjà trop considérable pour son étendue. L'ennemi maître du pays aura le plus grand intérêt à s'emparer bien vile d'Anvers, il détachera une partie de ses troupes pour empêcher la population d'en sortir. Dans cette situation, un millier de bombes ou de boules, des incendies allumés dans divers endroits, jetteront dans la ville un désordre épouvantable ; l’ennemi usera d'autant plus facilement de ces moyens, que le plus grand nombre de maisons construites autour de la place annihileront la défense. L'armée, qui aura déjà abandonné deux lignes de défense, ne pourra pas tenir longtemps dans cette position ; une grande partie de ce danger serait évitée, en reportant l'enceinte au-delà des faubourgs.

On veut que nous autorisions la construction de cinq citadelles revêtues en maçonnerie et placées en avant des forts en terre. Un officier qui a l'expérience de la guerre doit savoir qu'une troupe, après avoir enlevé un ouvrage revêtu en maçonnerie, ne s'arrêtera guère devant un fortin qui sera défendu par des hommes plus ou moins démoralisés par suite de la prise de l'ouvrage principal placé devant eux. Pour qu'Anvers soit un refuge où la défense sera énergique et efficace, il est nécessaire que, derrière les forts proposés, il y ait une grande enceinte et que le nombre des troupes à y réunir présente un effectif suffisant : ces deux conditions sont essentielles et également indispensables. J'ajouterai que l'effectif ne peut être assez nombreux sans la démolition de quelques forteresses.

La différence dans l'organisation des armées qui peuvent se trouver en présence, nous oblige aussi d'avoir recours au système que je préconise. La nôtre est composée de miliciens, dont plus des deux tiers sont en congé pendant de longues et de très longues années, ils ne sauraient par conséquent avoir ni la même confiance, en eux, ni cet aplomb dans les manœuvres, ni la justesse dans le tir, que le soldat restant longtemps sous les armes et ayant eu l'occasion de faire la guerre.

Je ne pense pas blesser l'honneur national dans cette comparaison, l'infériorité dépend de l'organisation militaire et non de l'homme. Je n'ai point méprisé le courage de mes compatriotes, tout le monde sait, et M. le commissaire du Roi l'a rappelé fort à propos dans une circonstance récente qu'ils ont donné tant de preuves de bravoure dans une infinité de guerres, que depuis des siècles, ils sont cités parmi les meilleures troupes de l'Europe. Seulement j'ai compté nos soldats, ceux de France et de Prusse, et j'ai apprécié froidement la situation de la Belgique.

Les armées se distinguent par des qualités qui se ressentent du caractère même des nations ; ainsi l'armée anglaise met dans l'attaque le calme que l'on remarque en Angleterre chez tous les individus, elle avance lentement et avec méthode. L'armée française, au contraire, apporte dans ses mouvements une impétuosité excessive, elle veut tout renverser au premier choc, ses attaques sont fougueuses ; il faut donc disposer les moyens de défense de manière à résister à cette impétuosité : dans cette occurrence ce n'est pas par des forts détachés seulement que l'armée doit être protégée ; il ne faut pas que derrière les fortins existants, elle reste à découvert, ou abritée par des retranchements de campagne : car à la guerre, pour obtenir un grand résultat, un général sait faire un grand sacrifice d'hommes ; c'est à un ouvrage de meilleure consistance qu’il est nécessaire d'avoir recours, c'est enfin à une bonne enceinte précédée d'un large fossé ; il faut qu'après avoir pris un fort, l'ennemi trouve un obstacle qui l'arrête. « La fortification, dit le général Paixhans, c'est du temps, or à la guerre le temps est tout. » Ce principe est plus vrai pour la Belgique que pour tout autre pays, puisqu'elle ne saurait être attaquée par une puissance sans qu'une autre accoure à son secours.

Je ferai probablement mieux comprendre la nécessité de construire l'enceinte, je prouverai mieux que c'est la prudence et non la peur qui m'inspire, en comparant notre situation avec celle de notre plus proche voisin. Pourquoi a-t-on fortifié Paris ? Parce que le gouvernement français a voulu mettre une faible armée qui y serait renfermée, en mesure de résister à une armée beaucoup plus nombreuse. Il a prévu la nécessité d'arrêter les alliés devant la capitale, pour donner le temps à une armée française d'accourir au secours de Paris. Ne pourrait-on pas dire que c’est là une situation en quelque sorte identique avec ce que nous prévoyons pour notre pays ? Nous cherchons à fortifier une bonne position, pour que l'armée nationale puisse y attendre une armée de secours.

Je demanderai maintenant si on a fortifié Paris comme on nous propose de fortifier Anvers ? On s'en est bien gardé. Derrière les forts détachés, construits d’après les principes de la fortification permanente, a-t-on, pour épargner la dépense, placé des fortins en terre dans les intervalles, ou a-t-on d'abord construit des ouvrages en terre, puis des citadelles en avant ? Non, Paris est défendu par une enceinte continue, protégée par des forts solidement construits. On n'y a point établi ces ouvrages extérieurs qui augmentent considérablement la dépense. Les forts sont-ils à 3,400 et 3,800 mètres des remparts de la place ? Encore une fois, non. Sauf le fort Nogent, qui défend le passage de la Maine, pas un seul n'est construit à cette distance : si même on en excepte les forts protégés par la Seine ou par la Marne, ce n'est pas encore à la moitié de cette distance qu'ils se trouvent de l'enceinte.

J'ai encore un autre exemple à citer, et sur lequel M. le ministre de la guerre pourrait prendre, des renseignements. Copenhague est aujourd'hui à peu près dans la même situation qu'Anvers. Il s'agit de nouvelles fortifications du côté de terre ; on a projeté la construction de forts détachés à 3 mille mètres au-delà de l'enceinte actuelle, pour donner plus de garantie à la défense, on les a multipliés en assez grand nombre. Eh bien, ce projet a été trouvé mauvais, et le chef du génie de Danemark propose précisément ce que nous soutenons être dans l'intérêt de la défense ; la suppression de quelques forts et la construction d'une nouvelle enceinte plus rapprochée de ceux à conserver, et cette enceinte sera construite en terre.

Pendant la discussion en section centrale, la société Keller a présenté le plan d'une grande enceinte. M. le ministre de la guerre ,consulté à cet égard, a répondu qu'elle était trop faible ; il l'a sans doute comparé au projet du général de Lannoy, qui, à mon avis, comprend bien des ouvrages qui pourraient être supprimés. Certes, personne ne niera la compétence de l'honorable rapporteur, en cette matière, et lorsque son opinion est appuyée sur l'expérience, sur ce qui s'est pratiqué en France, en Allemagne et en Italie ; lorsque dans les places à grands développements on n'a point construit d'escarpes revêtues en maçonnerie, là où les fossés sont remplis d'eau, il est permis d'accorder à l'honorable. général Goblet assez de confiance pour pouvoir dire que les plans de M. de Lannoy sont inutilement compliqués, que le plan Keller offre une garantie suffisante, et que dans tout état de chose, il a une valeur défensive supérieure au projet du gouvernement.

Je viens d'exprimer mon opinion sur les conséquences du projet de loi quant à la défense nationale, c'est là l'objet principal sous lequel nous devons envisager la question. Je présenterai maintenant quelques considérations au point de vue du trésor. Il m'avait paru qu'on avait constamment exagéré à plaisir les dépenses de la grande enceinte. J'augurais de là que l'inspecteur général du génie en était un adversaire ; comme je ne veux pas attribuer trop légèrement à un général une opinion qui doit exercer une certaine influence sur l'idée qu'on se forme de ses connaissances militaires, je demanderai à M. le ministre.de la guerre ou à M. le commissaire du Roi de vouloir bien me dire si, au lieu d'être adversaire de la grande enceinte, le général de Lannoy n'en est pas un grand partisan, si la note explicative qu'il a remise il y a plusieurs années, ne contient pas d'excellentes raisons en faveur de la grande enceinte, si, enfin, il n'a pas déclaré de la manière la plus formelle, qu'avec les constructions existantes, l’enceinte actuelle n'avait aucune valeur défensive On me l’a assuré, il y a déjà longtemps, et c'est le motif pour lequel j'ai tant insisté pour avoir communication de cette note explicative. Ne serait-ce pas parce qu'elle condamne le projet qui nous est soumis qu'on s'est refusé à nous la produire ? N'ayant pas pu en prendre connaissance, je ne saurais affirmer que ce soit là l'exacte vérité ; mais s'il en était ainsi, ce serait le meilleur témoignage que nous aurions à invoquer en faveur de notre système.

Quoi qu'il en soit, revenons au coût de l'enceinte. Quand en 1856 la section centrale a demandé le chiffre de la dépense, ou lui répondit « plus de 60 millions » ; à peine eut-elle examiné le devis qu'elle s'aperçut qu'il y figurait des travaux complètement inutiles, elle en fit l'observation à M. le ministre de la guerre, et quatre jours après le devis de 60 millions fut réduit à 52 : 8 millions de moins obtenus en quatre jours, c'était déjà quelque chose, et pourtant la somme était encore beaucoup trop élevée, puisque dans une note adressée à la Chambre un an plus tard, M. le ministre de la guerre a fait connaître que l'exécution de la grande enceinte coûterait 45 millions : voilà maintenant 15 millions de moins que la première estimation.

Celte réduction, quoique importante, pourrait, selon le plan que l'on adoptera, n’être pas encore la dernière. Une compagnie sérieuse, prête à verser un cautionnement dans les caisses de l'Etat, offre, si on lui abandonne les terrains de l'enceinte actuelle, d'en construire une nouvelle pour 28 millions. Si, d'après M. le ministre de la guerre, elle est inférieure au plan général qui nous est soumis, cela ne veut pas dire qu'elle ne serait point suffisante, avec quelques changements à indiquer par le gouvernement, et toujours est-il qu’en soutenant que la grande enceinte couverait plus de 60 millions, on état dans la plus complète erreur, dans une erreur matérielle que les faits démontrent à évidence.

Le capitaine Brialmont, un des officiers les plus distingués de l'armée belge, a écrit une remarquable brochure intitulée : Résumé des études sur les principes généraux de la fortification des grands pivots stratégiques ; elle est pleine de bons raisonnements sur la différence que l'on apporte dans la fortification d'une grande place de guerre et d'une place ordinaire. M. le ministre a bien dit que la défense d’Anvers pourrait être abandonnée à sa propre garnison. Je ne comprends pas que, sur un théâtre d'aussi peu d’étendue, il se trouverait un général belge assez imprudent, pour se laisser couper de la forteresse qui doit lui être d’un si grand secours. Anvers doit être défendu par un corps d'armée qui opérera offensivement contre l'ennemi, pour l'empêcher d'en faire le siège.

La brochure dont je viens de parler renferme aussi des renseignements instructifs sur les remparts en terre. Lorsqu’ils sont précédés d'un large fossé plein d'eau, et qu'ils doivent être défendus par une armée. Je veux aussi dire mon opinion à ce sujet.

Je considère les revêtements en briques comme complètement (page 1293) inutiles pour les contre-escarpes de l'enceinte, elles ne ont établies que pour empêcher l'ennemi de descendre dans le fossé, où il se réunirait pour monter sur le rempart. Or, les fossés étant remplis d'eau, le revêtement de la contre-escarpe devient sans utilité. Je crois du reste, d'après le devis, que le général Delannoy ne. compte point les revêtir. Mais il y a plus de huit millions pour le revêtement de l'enceinte ; et ce revêtement pourrait n'être pas partout indispensable, si, bien entendu, derrière les remparts, on était certain d'avoir une armée ; ce dont la démolition des places fortes seule pourrrait donner la certitude. Le rempart précédé d'un fossé de 40 à 50 mètres de largeur, ayant 2 mètres d'eau semble offrir une bonne garantie à la défense ; surtout si l'on établit au bas de l'escarpe une rangée de fortes palissades.

La preuve que des retranchements en terre peuvent donner une garantie suffisante dans une place à grands développements, c'est que le gouvernement les a adoptés pour des forteresses destinées à être défendues par leur seule garnison. Diest, Audenarde, Termonde ont des remparts en terre ; Ostende a un front d'attaque en terre. A Anvers, la partie de l'enceinte située entre la citadelle et la lunette d'Herenthals n'est pas revêtue en maçonnerie.

Toutes les places de Hollande ont généralement des retranchements en terre, parce qu'elles sont précédées d'un fossé rempli d'eau.

Plusieurs grandes places de guerre ont été fortifiées depuis 1815, en Allemagne et en Italie : là où les fossés sont secs, l'escarpe est revêtue en maçonnerie ; quand le fossé est plein d'eau l'escarpe est en terre.

Le capitaine Brialmont à la page 26 de sa brochure, cite bien des places avec remparts non revêtus, et qui ont résisté plus longtemps que d'autres, dont les remparts avaient un revêtement en maçonnerie.

Il y a peu d'années, en 1854, nous vîmes les Turcs, dans le camp retranché de Silistrie, opposer une vigoureuse résistance aux Russes, bien qu'ils ne fussent abrités que derrière des retranchements en terre, d'un faible profil.

Le siège le plus remarquable parmi ceux qui ont eu lieu depuis plusieurs siècles est celui de Sébastopol. L'attaque décisive a eu lieu contre des retranchements en terre, la défense a été opiniâtre et la résistance bien longue. Je sais bien que l’on me dira, avec raison, que cela tient à des circonstances exceptionnelles. Ainsi la nature du sol a augmenté les difficultés que présentait le creusement des tranchées. Le matériel dont les Russes ont disposé par la destruction de leur flotte et la masse des troupes se renouvelant sans cesse, sont réellement des circonstances extraordinaires qui ont puissamment aidé à prolonger la défense.

Je conviens que ce siège ne saurait être comparé à aucun autre. Néanmoins l'opinion du général Tottleben doit être d'un grand poids, son expérience mérite que l'on y ait égard ; il a séjourné trop longtemps ici pour qu'on ne l'ait pas consulté, d'une manière officieuse bien entendu ; sans aller à Anvers, il aura vu les plans du camp retranché ; y aurait-il indiscrétion à demander à M. le commissaire du Roi, ce que pense l'illustre défenseur de Sébastopol du dispositif du projet qui nous est soumis ? Je suis désireux de savoir s'il ne donne pas la préférence aux remparts non revêtus en maçonnerie, lorsqu'il y a dans la place une quantité de troupes suffisante, et s'il n'accorde pas plus d'importance à une grande quantité de canons qu'à des escarpes revêtues. Je n'ai pas eu l'honneur de le voir, cependant ce qui m'est revenu de ses conversations me donne le droit d'adresser ces questions.

Pour terminer ce que j'ai à dire sur cet objet, j'ajouterai que de nombreux exemples prouvent que la résistance d’une place forte dépend plus de la qualité des troupes, de l'énergie de son gouverneur, que de l'espèce de revêtement de l'escarpe.

Il est une dernière considération à faire valoir dans l'intérêt des finances de l'Etat pour la construction d'une nouvelle enceinte ; il ne s'agit pas seulement de voir ce que l'on a à dépenser maintenant, il faut aussi envisager ce que l'on aura à payer plus tard et les pertes auxquelles on serait un jour exposé. Si le projet du gouvernement est exécuté, il arrivera de deux choses l'une : ou on fera la grande enceinte après, et alors il y aura encore des dépenses inutiles ; ou, ce qui est plus probable, on ne la construira pas. Eh bien, dans ce cas, l'armée ne saurait être forcée de se retirer dans Anvers, sans devoir abandonner un immense matériel appartenant au département de la guerre et à celui des travaux publics ; les pertes que l'Etat éprouvera alors seront bien autrement importantes que les millions supplémentaires que coûterait une enceinte, qui mettrait les magasins et le matériel plus en sûreté.

Au surplus, comme je n'admets l'extension des fortifications d'Anvers, qu'à la condition expresse de démolir un certain nombre de forteresses. l'opération, faite de cette manière, ne serait pas onéreuse au trésor, la vente des terrains disponibles compenserait les dépenses à faire pour ces travaux.

Je devrais, messieurs, examiner le projet de loi au point de vue de la ville d'Anvers. Bien que les intérêts de notre métropole commerciale doivent aussi être pris eu sérieuse considération, je ne m'étendrai pas longuement sur ce sujet ; je laisserai à ses représentants le soin de vous exposer les besoins des Anversois. Déjà l'honorable M. Loos s'est acquitté de cette pénible tâche en homme qui a bien étudié cette question ; je me bornerai à dire quelques mots pour faire ressortir combien peu la position de cette ville est a envier.

Lorsque le département de la guerre avait pour système de défense la conservation de toutes les places fortes, et alors qu'aucune d'elles n'était démantelée, l'armée nationale, en cas d'hostilité, aurait été en grande partie disséminée dans toutes les forteresses. Aujourd'hui il ne peut plus en être de même. Le gouvernement, par ses travaux, a affiché son plan de défense, la première puissance qui envahira le pays, connaîtra d'avance les mouvements de l'armée belge ; elle saura qu'Anvers est son lieu de refuge. La conséquence de cette situation, lors d'une invasion par une armée nombreuse, est facile à prévoir. L'ennemi dirigera toutes ses forces sur Anvers ; sachant que le Roi et les principales ressources militaires y sont renfermées. Il fera les plus grands efforts pour s’emparer promptement de cette ville, il aura d'avance préparé ses moyens d'attaque, et comme le plus expéditif est le bombardement, Anvers peut s'attendre à de déplorables malheurs.

Eh bien, je le demande, y a-t-il un seul membre de la Chambre demeurant dans une ville qui en réclamerait l'agrandissement au prix auquel ses habitants pourraient le payer un jour ? Et si la grande enceinte est favorable à la défense, en même temps qu'elle éloignerait les chances de bombardement, devons-nous regarder à quelques millions à dépenser dans l'intérêt d'une ville qui se sacrifiera peut-être un jour pour sauver l'indépendance belge et l'honneur de notre drapeau ?

J’ai exprimé mon opinion sur la neutralité, sur les avantages de la concentration, sur la ville à fortifier, et enfin sur l'utilité d'une grande enceinte à Anvers.

C'est assez vous dire, messieurs, combien je serais heureux, dans l'intérêt de la défense nationale, de pouvoir doter mon pays d'une grande place de guerre ; et cependant je suis forcé de refuser au gouvernement les fonds nécessaires pour l'exécution de toute construction à Anvers. Une raison péremptoire détermine mon vote.

En lisant, à la page 16 de l'exposé des motifs, que l'exécution du projet de loi aurait pour conséquence nécessaire la démolition d'un certain nombre de places fortes, j'ai pensé, comme je l'ai dit en commençant, que l'on avait adopté un système de concentration, et que le gouvernement nous aurait donné la certitude que telle et telle place auraient été démantelées, que l'on aurait commencé immédiatement cette démolition, et la construction des fortifications d'Anvers. En 1856 M. le ministre de la guerre prévenait officiellement la section centrale que Mons serait démoli. Aujourd’hui le gouvernement craint des difficultés, il nous dit que cette ville ne peut être démantelée qu'après l'entier achèvement des travaux d'Anvers, c'est-à-dire dans cinq ou six ans, alors que les hommes qui nous font ces promesses n'auront probablement plus la responsabilité de l'exécution.

Il en résulterait d'ailleurs que pendant un certain temps, ou les fortifications d'Anvers, ou les places fortes manqueraient de défenseurs. Tandis que si le démantèlement a lieu en même temps que la construction, il ne saurait en surgir aucun inconvénient, puisque les troupes destinées à la défense d’une place dont on aurait commencé la démolition, seraient employées à la défense de la position principale.

MM. les ministres ont, en outre, déclaré en section centrale, qu'aucune forteresse ne pouvait être désignée, ni dans la loi, ni dans la discussion comme devant être démolie, rien n'est porté pour ces sortes de travaux dans le crédit pétitionné.

Il ressort évidemment de l'ensemble des faits que l'on cherche seulement à obtenir les fonds pour les fortifications projetées à Anvers et que l'on conservera toutes les places fortes. A ce système-là je ne donnerai jamais mon assentiment, l'effectif de l'infanterie organisée n'étant pas suffisant pour défendre toutes les positions. Le développement des fortifications d'Anvers, n'importe l'espèce d'ouvrage que l'on adopte, est nécessairement subordonné à la démolition de plusieurs places fortes : sinon, dans certaines circonstances, il faudrait plus d'infanterie, ou bien laisser des forteresses sans défense, ou enfin se résoudre à voir succomber Anvers en peu de temps. Je ne veux pas prendre sur moi la responsabilité d'une telle position à faire à l’armée ; et sans la démolition des places fortes, je ne voterai rien, absolument rien, ni pour une enceinte, ni pour les forts.

M. le ministre de la guerre s'est appliqué à détruire l'effet produit par l'excellent rapport du général Goblet, et il a commencé par une rectification de chiffres. N’ayant pas les éléments sous les yeux, je ne la contesterai pas, ce n'est point quelques centaines de mille francs de plus ou de moins, que l'on aura dépensés pour les gorges de forts, qui exerceront de l'influence sur la décision de la Chambre. Il pourrait d’ailleurs se faire qu'un chiffre indiqué comme une erreur, ne le fût cependant qu'en apparence, en ce sens que d’un côté on aurait seulement compté les dépenses extraordinaires, et de l'autre ces mêmes dépenses avec celles ordinaires ; peut-être aussi a-t-on confondu les dépenses faites à la citadelle et à la Tête-de-Flandre avec celles du camp retranché ; ce qui s’expliquerait facilement par la promptitude avec laquelle le rapport a dû être rédigé. Je n'ai pas voulu passer mon temps à examiner d'où vient la différence ; cela n'a pas la moindre importance. Ce qui suit en a davantage :

« J'arrive, dit M. le ministre, à un passage du rapport sur lequel je crois devoir appeler toute l’attention de la Chambre, le voici :

« En présence de l’état de choses qui résultait de la grande extension donnée au camp retranché, il parut évident à la section centrale de 1856 que par cette extension, l’on inaugurait le système d'une concentration absolue de toutes les forces nationales. »

() page 1294) M. le ministre ajoute :

« Toute l'économie du rapport de la section centrale actuelle est fondée sur cette hypothèse gratuite que l'armée se trouvera constamment tous les murs d'Anvers. »

J'ignore où M. le ministre de la guerre a trouvé que les raisonnements de la section centrale avaient cette signification : d'abord je ferai un appel aux membres de la section centrale de 1856. Alors comme aujourd'hui on a entendu par système de concentration, celui de défendre moins de places fortes, d'en démolir pour avoir plus de troupes réunies, concentrées : mais ni en 1856 ni en 1858 la section centrale n'a point dii que l'armée se trouverait constamment sous les murs d'Anvers. J'ajouterai même que dans une de nos séances, en présence de MM. les ministres, j'ai exprimé une opinion contraire.

Plus loin M. le ministre de la guerre dit : « La section centrale prévoit la possibilité d'un cas de guerre tellement exceptionnel, qu'il n'y a aucun système de défense qui puisse y répondre.

« La section centrale pose le cas d'une attaque subite, inopinée, et elle prétend que notre réserve ne serait pas en mesure de garnir à temps nos places fortes.

« Il importe, messieurs, de faire justice d'une semblable hypothèse qui nous conduirait, si elle était admise, à entretenir constamment 100,000 hommes sur pied ou à n'avoir pas d'armée du tout.

« Il n'est pas possible que nous soyons exposés à être attaqués à l'improviste, dans un temps de profonde paix, et au milieu de gouvernements réguliers. »

Une attaque subite est réellement celle qui est la plus à craindre, et comme preuve qu'il est imprudent de ne pas la prévoir, je rappellerai 1815 et ce que 1848 a failli devenir ; nous n'entendons pas par attaque subite, cette qui se produit du jour au lendemain, comme le suppose l'honorable général, mais une invasion qui aurait lieu avant le temps nécessaire pour l'organisation de la réserve ; et ce temps-là, M. le ministre, sera bien long ; oui, je vous le déclare, il faudra beaucoup de temps.

C'est pour exercer une certaine influence sur la Chambre que l'on vient dire que, pour parer à de semblables dangers, il faudrait entretenir constamment 100,000 hommes. L'armée active comprend 43,700 hommes d'infanterie, M. le ministre ne les paye pas tous, il n'y en a que 23,041 au budget ; et pourtant nous ne contestons pas la possibilité de les réunir et de les avoir prêts à entrer en campagne dans l'espace de huit jours. C'est que ces bataillons-là sont organisés, et les bataillons de réserve ne le sont pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je n'entrerai pas aujourd’hui dans la discussion générale. Je tiens seulement à rectifier un fait d'une certaine importance qui a été allégué hier par mon honorable ami M. Loos.

J'y aurais répondu immédiatement si je n'avais pas pensé que la réflexion aurait donné à mon honorable ami les moyens de rectifier une erreur matérielle. Mais l'erreur matérielle se trouve reproduite aux Annales parlementaires.

Faisant allusion à la séance du 22 mai 1856, l'honorable représentant d'Anvers dit : « Vous connaissez tous le résultat de cette discussion. Elle dura, je pense, une demi-séance et grâce au départ de quelques membres, il n'a pas été possible de voter. »

Or, messieurs, c'est dans cette même séance que le projet de loi relatif à l'agrandissement et aux travaux défensifs d'Anvers, c'est dans cette même séance que le rapport de la section centrale devait être discuté ; il était à l'ordre du jour. Je faisais partie de la section centrale et j'insistai dans les termes les plus pressants pour que la discussion eût lieu immédiatement.

Je fis sentir les inconvénients qu'il y aurait à écarter par un nouvel ajournement ces travaux si importants, si urgents et pour l'intérêt national et pour l'intérêt commercial d'Anvers. J'adressai de vifs reproches à M le ministre de la guerre qui se refusait à accepter les conclusions conciliantes et pratiques de la section centrale.

En quoi consistaient les conclusions de la section centrale, dont l'honorable général Goblet était rapporteur ?

Elles consistaient en ceci : 6 millions 200 mille francs étaient accordés immédiatement au gouvernement pour les travaux de l'agrandissement au nord de la ville d'Anvers et pour le renforcement du fort numéro 2, fort qui était compris dans le nouveau système présenté par le ministre de la guerre. C'est le système que nous reproduisons aujourd’hui. La section centrale s'était mise d'accord sur ce point : elle disait au gouvernement : Nous vous offrons dès maintenant une somme de 6,200,000 fr., à dépenser utilement sans rien préjuger et de manière que votre projet, dont nous ajournons une partie, puisse ultérieurement se compléter.

Voilà la position que je pris. J'en fis une question de responsabilité ministérielle et je dis que je voulais dégager ma responsabilité personnelle si un nouvel ajournement avait lieu.

Je fus soutenu par l'honorable M. de Perceval, qui s'exprima dans les termes suivants, appuyant aussi la discussion immédiate :

« Avant de rentrer dans nos foyers, je désire pouvoir constater que j'ai contribué par mon vote à créer un bon système de défense, et je suis d'opinion que j'aurai clos très dignement notre session législative. »

De quel côté, messieurs, vint l'opposition ? De quel côté vint la demande d'ajournement ? Qu'est-ce qui empêcha alors la proposition si utile, si pratique de la section centrale, d'aboutir ? Qui contribua à nous faire perdre deux années entières ? Quels furent ceux qui appuyèrent l'ajournement ? J'ai le regret de le dire, mais j'y suis forcé par l'intérêt de la défense personnelle. L'honorable M. Loos s'exprima dans les termes suivants :

« Je ne vois pas, pour ma part, quel que soit mon désir d'arriver à une conclusion satisfaisante pour tous les intérêts, la possibilité d'aboutir en cette session. »

Je combattis fortement cette opinion de mon honorable ami, mais elle eut le malheur de triompher. L'honorable orateur qui vient de parler avec tant d'énergie et de patriotisme, appuya également l'ajournement bien que membre de la section centrale.

L'honorable M. de Mérode, au contraire, pensa qu'il ne fallait pas perdre ce qu'il appelait une campagne. M. le ministre de la guerre eut le tort très grave de ne pas se rallier à la proposition de la section centrale. Si la proposition de la section centrale avait été adoptée dans cette séance, nous n'aurions pas perdu deux années entières. Les travaux qu'elle proposait d'exécuter seraient à l’heure qu'il est achevés, et je vous laisse à juger quel pas nous aurions fait faire à la question qui est aujourd'hui si embarrassante pour nous tous.

Je sais le parti qu'on a voulu tirer contre tous de ce qu'on a appelé notre retraite, celle de mon honorable ami M. Frère et la mienne, dans cette séance ; je sais que des journaux que l'honorable député d'Anvers, a loyalement désavoués hier, nous ont accusés d'avoir par notre retraite empêché la prompte exécution des travaux d'Anvers. Je regrette que l'honorable M. Loos ait été chercher dans ces mêmes journaux une accusation aussi mensongère,

A la suite de la discussion, qu'est-il arrivé ? D'autres membres qui n'avaient pas été pénétrés, comme nous, de l'utilité d'entamer immédiatement le débat sur des travaux d'un intérêt national, pensèrent qu'il y avait lieu de passer à une autre discussion. On avait proposé 21 millions pour des travaux publics. Le rapport sur cette proposition avait été distribué le matin même ; 3 membres seulement avaient pris part aux travaux de la section centrale ; M. le ministre des travaux publics était absent.

Néanmoins, M. le ministre des finances proposa d'ouvrir la délibération sur le crédit de 21 millions ; mais, sur les réclamations qui s'élevèrent de toutes part, il demanda qu'on détachât du projet une somme de 4 millions pour être discutée immédiatement. D'honorables membres que je ne veux plus nommer et qui avaient combattu la proposition de discuter immédiatement les travaux d'Anvers, crurent utile d'appuyer la discussion des autres travaux.

C'est alors que mon honorable ami M. Frère dit à la Chambre : Comment ! vous venez de prononcer l'ajournement de travaux d'un intérêt national, qui étaient suffisamment étudiés et qui avaient fait l'objet d'un examen approfondi de la part d'une section centrale compétente, et vous voulez nous forcer d'improviser la discussion d'un projet de crédit qui est bien moins urgent et alors que nous n'avons pas même eu le temps de lire le rapport de la section centrale.

Voilà quelle a été la position de mon honorable ami et la mienne. Nous nous opposâmes alors à la discussion immédiate de travaux qui n'avaient pu suffisamment être étudiés. Je ne sais par quel caprice, la Chambre ne crut pas devoir adopter notre opinion ; c'est alors qu'usant d'un droit parfaitement constitutionnel, nous crûmes devoir nous abstenir et nous retirer de la séance. Je me flatte de cet acte ; et je m'honore de la discussion qui eut lieu alors, loin d'avoir à m'en excuser.

Dans la séance du 22 mai 1856, je le répète, j'insistai pour qu'on passât à la discussion de la loi relative aux travaux d'Anvers. Mes efforts ont été vains. Voilà le fait saillant de cette séance, qu'on nous a depuis reproché avec tant d'acrimonie et d'injustice, et dont hier encore mon honorable ami nous a fait si légèrement un grief.

J'ai pensé, messieurs, qu'il était important de rectifier ce fait, me réservant d’ailleurs de prendre ultérieurement la parole pour en rencontrer et en rectifier d’autres.

Maintenant une seconde rectification qui n'a pas la même importance.

L'honorable représentant d'Anvers nous a dit que c'était à la suite de (page 1295) cette séance que le ministre de la guerre d'alors avait écrit à l'administration communale d'Anvers pour connaître en quoi consisterait le concours financier que la section centrale avait imposé comme condition sine qua non de l'exécution de la grande enceinte.

Il y a là une nouvelle erreur : un intervalle d'un an sépare la séance du 22 mai 1856 de la lettre du général Greindl à l'administration communale d'Anvers. Cette lettre est du mois d'avril 1857, c'est-à-dire d'une époque rapprochée de celle à laquelle allait se discuter le projet de loi.

Voici comment les choses se sont passées. La section centrale de 1856, reconnaissant la nécessité de nouveaux forts conformément au système que nous proposons aujourd’hui, les avait acceptés en principe, comme je pense qu'elle les accepte encore aujourd'hui. Mais il lui restait des doutes sur la dépense, l'emplacement et la construction même. C'était pour éclaircir ces doutes qu'elle avait fait des réserves et que tout en votant un premier crédit elle avait dit au gouvernement : Travaillez d'abord à 1 agrandissement au nord d'Anvers et au fort n° 2 et mettez le temps à profit pour vous livrer à de nouvelles études, en ce qui concerne les nouveaux forts et la grande enceinte. La section centrale trouvait que les dépenses relatives à la grande enceinte telles qu'elles avaient été formulées par le département de la guerre portaient un caractère d'exagération évidente. Le ministre fit examiner de nouveau les plans et les devis, et les évaluations furent ramenées à un chiffre inférieur : celui de 45 millions aujourd'hui présenté.

Le ministre songeant à exécuter la condition mise par la section centrale à la construction de la grande enceinte, c'est-à-dire le concours efficace de la ville d'Anvers, lui adressa cette lettre de 1857 qui est restée sans réponse.

Cependant notre honorable ami reprochait au gouvernement de n'avoir jamais adressé d'interpellations à l'administration communale d'Anvers pour avoir son concours. Cette interpellation lui avait été adressée. Eli était restée sans réponse.

Il est certain que l'administration communale d'Anvers avait été mise en demeure de se prononcer d'une manière formelle, en dehors de de toute espèce de chicane.

M. Loos. - Je suis réellement étonné de l'importance que M. le ministre de l'intérieur attache au fait qu'il vient de relever. J'avais présent à la mémoire, et sous ce rapport je ne me suis pas trompé, que dans la discussion dont il a été question, un membre qui siège aujourd'hui au banc ministériel s'était levé et avait quitté la salle avec plusieurs de ses amis pour n'être pas obligé de voter. Je me suis alors levé également et j'ai suivi cet honorable membre pour le solliciter de rentrer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il ne s'agissait pas, dans ce moment, de la loi sur les travaux d'Anvers.

M. Loos. - Permettez, M. le ministre, je ne vous ai pas interrompu ; je désire ne pas l'être non plus. Au surplus, je n'ai jamais fait allusion à l'honorable M. Rogier.

Maintenant, dans quelles circonstances ai-je rappelé ce fait ; en quoi ai-je voulu incriminer le cabinet à raison de ce fait ? J’ai voulu tout simplement justifier la ville d'Anvers du reproche de n'avoir pas répondu à une demande du cabinet précédent au sujet de la participation éventuelle de cette ville aux dépenses à résulter des travaux projetés ; et puisqu'on a le Moniteur à la main, on y trouvera aussi que j'ai dit que je n'attachais à ce fait aucune importance.

Messieurs, je n'ai rien à rétracter sous ce rapport, si ce n'est une légère erreur, que je me réserve au surplus de vérifier dans les Annales parlementaires. Si je me suis trompé, je ne ferai pas la moindre difficulté de le reconnaître ; mais, je le répète encore, ce fait est pour moi sans importance aucune.

M. le ministre de la guerre du cabinet précédent a écrit à la ville d'Anvers pour savoir quelle serait, le cas échéant, sa participation aux charges à résulter des travaux projetés. Un mois après, la session législative a été close. Anvers a donc eu un mois pour réfléchir à une question posée dans des termes aussi vagues, aussi difficiles à saisir ; c'est donc en 1856. que la section centrale avait témoigné l'espoir de voir Anvers contribuer à la dépense et c'est au mois d'avril 1857, c'est-à-dire un an après, que l'honorable général Greindl s'adresse à Anvers, pour répondre au vœu exprime par la section centrale de l'année précédente. Or, messieurs, tout le monde conviendra qu’il eût été fort difficile à la ville d'Anvers de répondre en moins d'un mois à une question posée dans des termes aussi indécis que celle que M. le ministre de la guerre lui avait posée.

Aussi, messieurs, suis-je convaincu que la question n'était pas sérieuse et qu'elle n'avait été forcé que pour satisfaire au vœu exprimé par la section centrale ; et d'ailleurs si Anvers était restée sans répondre plus longtemps qu'il ne convenait à M. le ministre de la guerre, celui-ci pouvait rappeler sa lettre ; et c'est ce qui n'a pas eu lieu.

Je prétendais donc que le cabinet actuel ne s'était pas adressé à la ville d'Anvers, et ne lui avait, en aucune façon, manifesté le désir d'entrer en arrangement avec elle. Et en effet, messieurs, il n'y a pas, dans la réponse que vous avez vue hier, la moindre trace de négociations avec la ville d'Anvers.

En définitive, puisqu'il s'agit surtout d'une question d'argent, que le gouvernement ou la Chambre dise donc ce que l'on attend d'Anvers, quelle participation on exigerait d'elle. Partout ailleurs, dans des circonstances analogues à celles-ci, le gouvernement a été au-devant des villes fortifiées qu'il s'agissait d'agrandir,

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous êtes dans l'erreur.

M. Loos. - Mais, pour la ville de Lille, nous avons vu le préfet et le maire négocier à Paris l'agrandissement de la ville. Qu'a-t-on fait sous ce rapport avec Anvers ? Absolument rien. Avant mon départ d'ici lors de notre dernière réunion dans le courant de ce mois, M. le ministre de l'intérieur après avoir reçu les dernières propositions de la ville d'Anvers m'a témoigné le désir d'entrer en négociation avec moi ; il s'est informé, une séance de cabinet devant avoir lieu le lendemain, si je pourrais me mettre à la disposition du gouvernement.

J'ai nécessairement répondu d'une manière affirmative. Je n'ai pas reçu la moindre nouvelle du cabinet.

A présent, messieurs, voyons, êtes-vous sincères dans ce que vous nous dites ? faites-vous dépendre le grand agrandissement d'Anvers de la participation de la ville ? Si vous dites oui, alors entrez franchement, loyalement en négociation avec la ville d'Anvers.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Que la ville d'Anvers fasse des propositions.

M. Loos. - Pourquoi ne pas nous avoir fait des propositions ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous m'avez déclaré que vous n'appuieriez pas dans le sein du conseil communal une demande de concours financier de la ville d'Anvers.

M. Loos. - Je puis avoir eu des conversations confidentielles avec l'honorable M. Fière ; mais je ne lui ai pas fait de proposition.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous ne m'avez fait aucune espèce de confidence et je répète que vous m'avez déclaré que vous n'appuieriez pas dans le conseil communal la proposition d'un concours financier de la ville d'Anvers.

M. Loos. - Si vous voulez y mettre un peu de franchise....

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'y mets de la franchise ; mettez-en de votre côté.

M. Loos. - Vous devriez ajouter que je vous ai dit que, pour ce qui concernait les terrains, j’étais prêt à entrer en négociations. N'est-ce pas là une participation réelle ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non ; nous l'avons démontré.

M. Loos. - Eh bien, offrez-en une autre et on examinera jusqu'à quel point elle est acceptable. La ville d'Anvers, je le répète, veut bien alléger la dépense. Mais jusqu'ici vous ne lui avez offert aucune occasion de vous faire des propositions que vous pourriez envisager comme acceptables. Puisque nous avons fait les premières démarches, si vous désirez réellement la participation de la ville d'Anvers, faites-en vous-mêmes auprès de nous. Du reste, je vous en offrirai l'occasion.

M. le général-major Renard, commissaire du Roi. - Messieurs, dans la séance d'hier, l'honorable M. Thiéfry a exposé devant vous des principes qui sont les nôtres, et s'il n'existait pas entre lui et nous l'idée qu'il poursuit de voir détruire, un jour, la loi de 1853 sur l'organisation de l'armée, il est probable que nous aurions été complètement d'accord.

Il vous a démontré qu'une neutralité désarmée était une chimère. Il vous a dit qu'il était nécessaire de posséder une armée active en campagne. Il vous a expliqué comment pour cette année active il était indispensable de créer une grande position fortifiée.

Je vais moi-même, messieurs, revenir sur ces trois points, car c'est là, véritablement, la base de toute la discussion. Mais en quoi nous sommes en désaccord avec l'honorable M. Thiéfry, c'est au sujet de l'organisation même de cette grande position fortifiée. C'est par cela que je terminerai.

La neutralité désarmée, messieurs, est un non-sens. Chacun sait qu'il est reconnu par le droit des gens que la nécessité peut forcer une armée d'envahir un territoire neutre et voisin, lorsqu'il n'y a personne pour le garder, et que ce fait n'est pas considéré comme une atteinte à la neutralité.

Voici comment s'exprime, dans son traité du droit des gens, Vattel que l'on a l'habitude de consulter d'ordinaire.

« La nécessité autorise un général à violer un territoire neutre et même à y vivre. » Vattel ajoute : « La nécessité peut même autoriser à se saisir pour un temps d'une place neutre et à y mettre garnison, pour se couvrir contre l'ennemi, ou pour le prévenir des desseins qu'il a contre cette même place, quand le maître n'est pas en état de la garder.»

« Tout le mal qui pourrait résulter de la guerre entre les nations belligérantes, n'est pas une attaque à la neutralité. »

Cette conséquence est naturelle. Lorsqu'une armée se met en campagne, aucune considération ne doit l'arrêter. Il faut vaincre ; et lorsqu'elle ne trouve pas de résistance, elle se place là où elle le juge convenable pour l'accomplissement de ses desseins.

Les principes exposés par Vattel étaient suivis avant lui et ont existé après lui.

(page 1296) Rappelez-vous la neutralité du pays de Liège, en 1672. Liège voulait rester neutre et désarmée.

Louis XIV s'est emparé sans façon de Maestricht et de Tongres et a fait sauter la citadelle de Liège. De son côté, le chef de l'armée impériale, M. de Souches, autorisé par son exemple, s'empara du pays de Verviers et le livra au pillage. Les Espagnols, à leur tour, envoyèrent leurs commissaires pour sommer Liège de leur procurer des vivres, puisque les autres armées rivales vivaient aux dépens de l'évêché. Ayant éprouvé un refus, ils rançonnèrent les environs de Bilsen au nom de la neutralité.

Voilà ce qu'on fait d'un pays neutre et désarmé.

Nous avons, sur ce sujet, un discours de lord Palmerston, lequel est fort significatif. Dans la séance de la chambre des communes du 8 juin 1855 il s'exprimait ainsi :

« La Belgique et la Suisse sont neutres, c'est vrai, mais je n'attache aucune importance à la neutralité, car j'ai toujours remarqué que, lorsque la guerre éclate, et qu'une nation croit utile de traverser avec son armée un territoire neutre, elle ne songe guère à respecter la neutralité inscrite dans les traités. »

La neutralité désarmée, je vous le répète, messieurs, c'est l'invasion de la Belgique, chaque fois que la guerre se portera vers l'occident ; parce que la position de notre pays est telle, qu'une année qui manœuvre dans les environs ne peut pas le laisser à son ennemi. Dès l'instant qu'une puissance entrera en Belgique, une autre suivra et la guerre se déchaînera fatalement sur vos provinces.

Il est donc nécessaire d'établir un contre-poids à cette situation, et ce contre-poids c'est une armée.

Tout est calcul à la guerre. Une nation ne tournera jamais de gaîté de cœur une force quelconque contre elle sans une nécessité absolue. Si la Belgique, par exemple, forçait une des puissances à détacher 100,000 hommes pour la tenir en arrêt, celle-ci hésiterait infailliblement, car ces 100,000 hommes en moins pèseraient d'un poids énorme dans la balance de ses destinées.

Ainsi, pour la Belgique, il est indispensable de posséder une armée, de l'avoir assez forte pour obliger l'ennemi à la respecter.

Du reste, la Belgique doit tout gagner à se défendre.

On vous dit que la Belgique sera secourue ; mais si vous n'avez rien qui intéresse les puissances au moment de la lutte, si vous n'avez pas d'armée à sauver, si vous n'avez pas une force à ajouter à celles des puissances qui désirent prendre votre parti et une situation militaire de nature à faire pencher la balance de leur côté, qu'arrivera-t-il ? C'est qu’elles ne viendront qu'à leur heure et à leur temps, et que les destinées de la Belgique se décideront peut-être à l'étranger, sans elle et peut-être contre elle.

Si donc vous voulez être secourus, il faut avoir quelque chose à secourir et ce n'est pas pour nos beaux yeux seulement qu'on se mettra en campagne.

Nous avons du reste, dans l'histoire de la Belgique, un fait que je vous livre et peut-être est-il dans cette Chambre, des hommes d'Etat qui se le rappelleront. En 1840, la guerre a failli éclater en Occident Eh bien, en cette circonstance, une puissance amie de la Belgique, très dévouée à ses intérêts, lui a fait demander si elle pouvait s’opposer à un corps d'armée qui passerait sur notre territoire pour menacer sa frontière. On demandait à la Belgique quelle était la force dont elle pouvait disposer, et on lui disait que si cette force n'était pas suffisante, on se verrait, quoique à regret, obligé d’entrer immédiatement et de prendre position.

Voilà ce qui domine toute notre situation et à chaque guerre cette alternative se présentera. On vous demandera si vous pouvez défendre votre territoire, de quelles forces vous disposez pour le garantir, et si ce que vous avez n'est pas convenable, on entrera immanquablement chez vous. Il faut donc avoir une année de campagne.

Or, c'est ce qu'on a voulu en organisant notre état militaire. La loi de 1853 est tout un système. La loi de 1853 nous donne une armée active et c'est à conserver les éléments de cette armée toujours forts, toujours intacts, que nous devons consacrer tous nos soins.

Mais, messieurs, on ne lance pas une armée en campagne, à l'aventure. Pour qu'une armée en campagne puisse manœuvrer avec succès, il importe qu'elle soit ce que l'on appelle basée. Examinez les frontière des Etats. Les forteresses qui s'y trouvent ne sont pas toutes organisées pour la défense ; si les puissances qui les possèdent prennent l'offensive, ces forteresses constituent la base d'opération de l'armée.

La ligne que protègent ces forteresses sert également de point de concentration pour les divers corps et de base d'approvisionnement. Il faut que l'armée qui manœuvre soit constamment en communication avec cette base. Dès l'instant qu’elle n'est plus derrière l'armée, dès l'instant que cette armée ne peut plus en tirer tout ce dont elle a besoin, les opérations sont considérées comme compromises.

Mais lorsque la guerre se porte à l'intérieur, lorsque d'offensive elle passe à la défensive, ces forteresses ont un autre rôle à jouer ; elles deviennent alors une ligne de défense et la base d'opération est portée à l'intérieur du pays. Ainsi dans toutes les guerres défensives il faut une base d'opération à l'intérieur du territoire.

Si le pays a une grande profondeur comme la Prusse, comme la France, on crée plusieurs bases d'opération successives. De plus, on a soin d'établir, sur les principales directions d'invasion, de grandes places de guerre dans lesquelles une partie de l'armée battue se renferme pour arrêter momentanément les mouvements du vainqueur et permettre au reste de la nation d'organiser de nouveaux moyens de résistance.

Vous avez vu établir de notre temps, en France, les grandes positions fortifiées de Lyon et de Paris, et en Allemagne on élève encore les remparts d'Ulm et de Rastadt, derrière la grande ligne du Rhin.

Lorsque le pays n'a point de profondeur, toutes ces bases successives et ces grandes places de guerre se rapprochent. Dans un petit pays comme le nôtre, qui n'a pas l'espace nécessaire, ces bases intérieures et ces forteresses se confondent en une seule grande position fortifiée, située, autant que possible, au centre du territoire, laquelle sert à la fois ce base d'opérations pour les mouvements des troupes en campagne, de point de concentration pour les divers corps, de base d'approvisionnement et, enfin, en cas de revers, de lieu de refuge, pour que l'armée puisse continuer la lutte en présence de forces supérieures, et attendre des secours.

Ce que le gouvernement vous demande aujourd'hui, c'est de donner à l'armée la possibilité d'agir avec efficacité et avec énergie. Quelle que soit la manière dont on envisage notre état militaire, quelles que soient les divergences d'opinion, en ce qui concerne l'étendue de nos forces, je crois qu'il ne peut y avoir qu'une seule et même appréciation, au sujet de la création d'une grande position fortifiée au centre du pays. C'est surtout une indispensable nécessité, alors qu'il s'agit d'une nation neutre dont le rôle sera toujours défensif.

Dès qu'un pays possède une armée, c'est évidemment pour qu'elle agisse. Or, pour qu'elle agisse, nous devons évidemment lui procurer une base d'opération et d'approvisionnement, un point de concentration, un lieu solide de refuge.

La création que nous demandons ne peut pas être considérée comme une mesure de circonstance, comme un acte de défiance ou de mauvais procédé envers qui que ce soit ; c'est un objet de nécessité absolue, une conséquence obligée de notre position et de notre état militaire ; c'est une mesure qui nous est impérieusement imposée par les soins de notre propre conservation.

Du reste, messieurs, l'organisation de cette position militaire a fait l'objet des préoccupations de tous les officiers de l'armée aussitôt après la conclusion de la paix avec la Hollande. A partir de ce moment, des discussions se sont élevées, des brochures ont été publiées. Les unes préconisaient Anvers, d'autres Bruxelles ; mais l'armée n'a été véritablement saisie officiellement de cette question qu'en 1847, lors de la création du comité de défense ; ce comité discuta avec le plus grand soin toutes les faces de cette importante question ; il s'est efforcé de rechercher quelle était la position qui répondait le mieux à l’objet qu'on avait en vue.

Dans sa séance du 5 février 1848 (et il est utile d'enregistrer cette date), dans sa séante du 5 février 1848, il fixa son choix sur Anvers comme étant le point sur lequel, dans le plus grand nombre des cas, l'armée belge devait se baser et vers lequel elle devait se mirer eu cas de nécessite.

Dans ses discussions, les forteresses les plus importantes de la Belgique ont été examinées. On a pesé les avantages et les inconvénients des positions de Mons, de Namur, d'Anvers, on a discuté les mérites de Bruxelles ; et, à cette occasion un rapport de la section centrale vous fait connaître que moi-même, j'avais proposé de fortifier la capitale. Ceci, messieurs, a besoin d'une explication.

Lorsque j'ai proposé de fortifier Bruxelles, on avait déjà décidé une mesure importante : c'est que jamais l'armée belge ne pouvait se baser sur elle, qu’elle avait d'autres points de retraite plus utiles et plus favorables, et j’avais voté avec ceux qui posaient ces principes.

En ce moment on n'avait pas encore agité la question de savoir en quel lieu le gouvernement devait se retirer. La proposition de fortifier Bruxelles signifiait simplement ceci :

Il me semblait utile que la capitale ne tombât point entre les mains de la première division ennemie qui se présenterait devant ses murailles. Il me semblait que les mouvements de l'armée devaient être rendus aussi libres que possible, afin qu'elle ne fût pas obligée de se retirer en tout cas vers Bruxelles. J'avais donc simplement proposé de mettre la capitale à l'abri d’un coup de main et de la faire défendre par la garde civique et quelques troupes de ligne. Mais il n'entrait aucunement dans mes vues d'en faire une position analogue à celle que nous demandons pour Anvers.

En fortifiant Bruxelles je n'en conservais pas moins Anvers comme le réduit du pays dans certaines occasions. Ainsi que l'honorable M. Thiéfry l'a parfaitement démontré, je maintiens que dans certaines éventualités il serait très désirable de voir Bruxelles fortifié, attendu que c'est le centre de l'opinion nationale et des forces vives de la nation.

Mais la grande position militaire du pays exige des conditions exceptionnelles. Il ne s'agit pas de tenir quinze jours, trois semaines ; or (page 1297) dans le cas où la défense devrait être prolongée, il serait de toute impossibilité de se maintenir à Bruxelles.

Deux motifs puissants s'y opposent : d'abord l'impossibilité de faire vivre la population et l'armée ; en second lieu l'impossibilité d'y amener des secours si ce n'est convoyés par une armée entière.

On a dit cependant : On pourra alimenter Bruxelles, car M. Thiers a établi qu'en cas de siège, il serait possible d'alimenter Paris.

Mais M. Thiers n'a pas du tout prouvé qu'on pût alimenter Paris au moment du danger ; il a seulement établi qu'en tout temps Paris était approvisionné pour un certain nombre de jours. Dans le rapport de M. Thiers à la chambre des députés, on lit le passage suivant :

« Paris possède par les règlements avec les boulangers et par les greniers d'abondance, trente-cinq jours d'approvisionnement assurés en grains et farines, et même, grâce au dépôt du commerce, cet approvisionnement monte quelquefois à 46 jours. Paris possède ordinairement une immense quantité de légumineuses, beaucoup de viandes salées, très peu (il est vrai) de viandes fraîches (et à cela il faudrait pourvoir) ; six mois et plus en vins, liqueurs, liquides de toutes espèces.

« Six mois d'approvisionnements en combustibles.

« Certes 1l plupart des villes assiégées seraient bien heureuses d'avoir du pain, des viandes salées, des liquides et des combustibles.

« Tous les hommes versés dans les sciences spéciales de cette nature reconnaissent que pour des causes toutes spéciales et administratives cet approvisionnement devrait être augmenté. Ils regardent comme utile de pousser à 50 et même à 60 jours, l'approvisionnement de Paris. On traite depuis longtemps avec les boulangers pour élever leur approvisionnement de 35 jours à 50. On devra tôt ou tard rétablir un système de prévoyance, sous une forme ou sous une autre par la combinaison des moyens commerciaux et administratifs.

« Jamais un ennemi ne sera soixante jours devant Paris ; c'est lui et non pas Paris qui serait affamé. »

Le général Valazé, qui a proposé l'enceinte continue de Paris, et la voulait seule, s'exprime ainsi :

« Si l'on remarque que l'ennemi, dès les premiers jours de son arrivée, intercepterait par ses courriers tous les arrivages du dehors et qu'un mois est le maximum de temps, pendant lequel on pourrait priver Paris de ses marchés habituels, on verra que l'enceinte donnerait les moyens de défendre la position aussi longtemps qu'il est possible de le faire.»

Ainsi il était parfaitement établi dans l'esprit de M. Thiers, du général Valazé et de tous les généraux qui ont donné leur avis sur les fortifications de Paris, que Paris pourrait être privé de l'alimentation extérieure ; mais ils étaient convaincus que Paris avait d'ordinaire un approvisionnement de vivres assez considérable pour résister jusqu'à l'arrivée des secours.

Je sais qu'on a une réponse à tout : l'un avance qu'au moyen d'habiles manœuvres on trouvera moyen de nourrir pendant longtemps une grande ville comme Bruxelles et l'armée qui s'y tiendrait renfermée II est cependant, à ce sujet, une autorité militaire devant laquelle nous devons nous incliner. Quand Napoléon a posé un principe militaire et s'énonce d'une manière absolue, nous devons bien en croire son expérience, nous qui n'avons pas créé et conduit de grandes armées, nous qui ne pouvons parler de notre expérience propre. Or voici ce que dit Napoléon.

« Il faut 500 voitures par jour pour nourrir 100,000 hommes. (Il faudrait 2,000 voitures par jour pour Bruxelles et sa garnison.) L'armée envahissante étant supérieure d'un tiers en infanterie, cavalerie et artillerie, empêcherait les convois d'y arriver, et sans bloquer hermétiquement comme on bloque les places, elle rendrait les arrivages si difficiles, que le famine serait dans le camp. »

Je le répète, tous les généraux et les hommes d'Etat qui ont donné leur avis sur les fortifications de Paris, ont admis que cette position fortifiée, malgré le développement immense de sa ligne de défense, ayant les trois quarts de la France encore debout, et des armées en campagne, pourrait être affamée au bout d'un mois selon le général Valazé, de deux mois suivant M. Thiers.

Aussi ce dernier, pour ne pas alarmer, a-t-il bien soin de démontrer en même temps que l'ennemi ne saurait résister un mois devant les murailles de la capitale sans être affamé lui-même, et sans voir la France arriver en masse pour les délivrer.

Bruxelles n'est pas du tout dans la position de Paris. Il ne possède ni arrangement avec les boulangers, ni greniers d'abondance, ni grands approvisionnements de commerce ; elle vit pour ainsi dire au jour le jour de ses marchés.

Je suppose même qu'au moyen des chemins de fer on parvienne à y introduire des vivres pour quelques jours ; il n'en serait pas moins impossible, même pour quelques semaines, de faire vivre la capitale et son armée pendant plusieurs mois.

Remarquez que Bruxelles n'est aucunement dans la position de Paris. Si la Belgique est envahie par une force très supérieure, l'ennemi arrivera en peu de jours vis-à-vis de la capitale.

Il enlèvera aussitôt tous les vivres des environs à une grande distance, et repoussera vers ses murs le plus d’habitants qu'il pourra pour augmenter les bouches inutiles. A moins que vous ne parveniez à introduire des denrées du dehors, vous n'aurez donc à votre disposition que pour 8 à 10 jours de vivres, c'est à dire son approvisionnement ordinaire, pour parer à toutes les éventualités d'un long siège.

Paris, au contraire, ne serait assiégé qu'après de longues guerres, après que toutes les armées françaises auraient succombé. Paris aura donc de longs mois pour se préparer, tanis que nous, nous n'aurons que quelques jours, et pourtant nous venons de voir que Paris ne compte réellement que sur les approvisionnements permanents dont il dispose en tous temps, et qui nous font complètement défaut.

Le second point, la difficulté d'y amener des secours, mérite aussi d'être prise en sérieuse considération. Lorsqu’on choisit une position d'attente, il importe de conserver avec un soin extrême tous les moyens de rester en communication avec ses alliés éventuels. Les secours que nous avons à attendre ne viendront pas du pays, comme cela aura lieu pour Paris, mais de l'étranger. Si donc notre position d'attente n'est pas facilement abordable par des corps peu nombreux, nos alliés ne pourront venir à notre aide qu'avec des troupes assez considérables pour briser la ceinture de fer qui nous étouffera, c'est-à-dire avec de grandes armées. Ils ne viendront donc que lorsqu'ils pourront le faire sans compromettre l'honneur de leur drapeau et avec des chances de triompher. Les puissances secondaires par contre, seront dans l'impossibilité de nous tendre la main.

Après avoir exposé les raisons qui ne permettent pas de faire de la capitale la grande position militaire du pays, je vous développerai les raisons qui nous ont fait choisir Anvers.

Il suffit d'énumérer les qualités que doit posséder cette grande position militaire pour juger que c'est la seule localité qui convienne.

Il faut d'abord que la position soit une position militaire au point de vue absolu, c'est-à-dire qu'on soit forcé de la fortifier alors même qu'on ne lui donnerait pas cette destination ; il faut ensuite que cette position militaire soit bonne au point de vue de notre neutralité ; il faut qu'elle ne soit menaçante pour personne, ou bien qu'elle soit menaçante au même degré pour tout le monde ; il faut que les diverses puissances qui nous avoisinent aient un grand intérêt à ne pas la voir tomber en d'autres mains que les nôtres ; évidemment on viendra moins vite à notre secours si notre position choisie, en tombant en d'autres mains que les nôtres, n'est pas de nature à porter préjudice à nos alliés éventuels.

Il faut que cette position présente par elle-même de grandes ressources, car plus que la position aura de ressources, moins vous serez obligés d'avoir recours à l'assistance de l'étranger.

Il faut que la position soit difficile à bloquer ; il faut qu'elle soit facile à approvisionner, facile à secourir, facile à défendre.

Il faut qu'au point de vue financier, la grande position militaire coûte le moins possible.

Il faut enfin que nos relations avec nos alliés éventuels soient promptes et faciles.

Eh bien, en tenant compte de ces divers points, il est impossible de trouver une autre localité qu'Anvers qui satisfasse au même degré à ces exigences.

Mais on vous a dit : « Anvers ne doit pas être une forteresse ; il faut démolir les fortifications d'Anvers ; elles gênent la sécurité du commerce ; les murailles empêchent Anvers de croire et de se développer. Anvers est perdu, si on l'enserre dans une ceinture de fer. »

Or Anvers a toujours été dans une ceinture de fer ; depuis qu'Anvers prospère, Anvers a été une forteresse de premier ordre, et je demande en quoi son développement s'est trouvé gêné. Ce qui se passe aujourd'hui est une preuve du contraire. Si les fortifications avaient gêné le développement et la prospérité commerciale d'Anvers, verrions-nous d'année en année s'accroître le nombre de vaisseaux qui la visitent, et déborder la population de ses murailles ? Jamais les fortifications n'ont alarmé le commerce ; il semble, au contraire, qu'elles l'attirent ; c'est ce que prouve l'histoire ancienne et moderne.

Mais, dit-on, on se garde bien de faire au Havre ce qu'on fait à Anvers ; on ne fortifie pas le Havre, on ne l'entoure pas de canons. C'est une erreur, et le Havre ne s'en plaint pas ; on a entrepris au Havre une série de travaux de défense que nous verrons successivement se développer. En ce moment on vient de terminer du côté de terre les beaux forts d'Ingouville et de Sainte-Adresse, lesquels dominent les faubourgs, de ce nom, et ce n'est que le premier mot...

M. Loos. -Il n'y a pas d'enceinte.

M. le commissaire du Roi. - C'est vrai ; mais la position du Havre est exceptionnelle : le Havre ne doit pas jouer le même rôle que Paris, et à plus forte raison qu'Anvers.

On dit qu'une grande ville de commerce ne peut pas être le boulevard de la nationalité. Mais, Amsterdam est entourée d'une enceinte ; et dans le système défensif de la Hollande, Amsterdam doit jouer le même rôle qu'Anvers pour la Belgique.

Si l'on ne fait pas autour d'Amsterdam les grands travaux que nous exécutons pour Anvers, c'est parce que cette grande ville est protégée par une inondation immense. Néanmoins on lui a conservé sa vieille enceinte ; et elle ne l'a empêchée de prospérer ni de se développer.

M. Loos. - Ceci n'est pas sérieux.

M. le commissaire du Ro. - Ceci est très sérieux ; car il suffit de jeter les yeux sur le dispositif des moyens de défense de nos (page 1298) voisins pour découvrir qu'Amsterdam en est considéré comme le réduit.

Messieurs, en Amérique toutes les villes de commerce, Baltimore, Norfolk, New-York, Boston sont entourées de positions fortifiées.

Il y a 22,000 canons et 64,000 canonniers pour défendre les ports de commerce des Etats-Unis d'Amérique.

Il en est de même de Cadix, Gênes, Livourne, Trieste, Barcelone, Stettin, Dantzig, Memel, Riga. En ce dernier lieu on démolit les fortifications qui gênent son enceinte, mais pour les porter un peu plus loin.

M. Loos. - Beaucoup plus loin.

M. le commissaire royal. - Maintenant quand on nous dit : Si Anvers n'avait pas de fortifications, Anvers prospérerait, se développerait davantage et avec plus de sécurité, on pose, à mes yeux, une contre-vérité. Vous ne pouvez pas empêcher Anvers d'être une position militaire de premier ordre. Vous aurez beau raser les fortifications d'Anvers, ce n'en sera pas moins le point vers lequel l'envahisseur se portera tout aussitôt, parce que son intérêt l'exige ; à chaque secousse européenne, votre commerce et votre ville seront menacés de destruction ; quoi que vous disiez ou que vous fassiez. on occupera Anvers. C'est en vain que nous aurions rasé vos fortifications, on vous en fera de nouvelles et à vos frais. Le premier occupant, soit anglais, soit français, fortifiera votre ville, parce que c'est une position militaire indispensable à l'accomplissement de leurs desseins. En un mot vous aurez le sort de Hambourg.

Hambourg est une grande ville de commerce qui, placée en dehors du théâtre des guerres européennes (tandis qu'Anvers est placé au centre de ce théâtre), a cru pouvoir profiter de cette position exceptionnelle pour raser ses murailles protectrices et derrière lesquelles sa prospérité s'était développée. Dès lors Hambourg fut au premier occupant. Les Danois s'en emparèrent en 1801, nous avons vu en 1848, durant la guerre du Sleswig, un corps autrichien traverser l'Allemagne pour y prendre position. C'a été autre chose en 1813, lorsque la guerre fut portée au nord de l'Allemagne. Les Hambourgeois avaient rasé leurs murailles, mais ils n'avaient pu ôter à la position sa valeur militaire, et comme il n'y avait plus de forteresse on en fit une. Toutes les maisons bâties sur les anciennes fortifications furent impitoyablement rasées. Les pertes essuyées par la ville seule de Hambourg, de ce chef, ont été estimées à près de 125 millions, y compris 7 millions de marcs-banco empruntés à la banque. A la paix lorsque la ville vint réclamer sa part de la contribution de guerre imposée à la France, elle obtint 10 millions ; il s'en suit que les Hambourgeois en la seule année de 1813, ont payé 115 millions le désir d'être ville complètement ouverte.

Il faut tenir compte que Hambourg n'est pas dans une position aussi précaire qu'Anvers. Si donc Anvers n'est pas fortifiée, lors de l'invasion du pays, on la fortifiera, parce que c'est une de ces positions qu'on ne peut pas ne pas occuper. Si l'on rasait Anvers ou qu'on en dispersât tous les habitants, il naîtrait un nouvel Anvers et au même lieu, aussi longtemps que le commerce existera dans le nord de l'Europe Cela tient à son assiette. Il en est de même au point de vue militaire, il est des positions qu'on ne peut pas ne pas fortifier, et Anvers est de ce nombre.

L'intérêt que les grandes puissances attachent à la possession d'Anvers vous sera démontré à l'évidence par deux citations. Voici d'abord ce que lord Castlereagh écrivait à lord Aberdeen, le 13 novembre 1813 :

« Je dois particulièrement vous recommander de fixer votre attention sur Anvers. La destruction de cet arsenal est essentielle à notre sûreté. Le laisser entre les mains de la France, c'est, ou peu s'en faut, nous imposer la nécessité d'un établissement de guerre perpétuel. Après tout te que nous avons fait pour le continent, nos alliés nous doivent ou se doivent à eux-mêmes de tarir cette source féconde de périls pour eux-mêmes et pour nous. Nous ne voulons pas laisser la France en possession d'Anvers. C'est là un point que vous devez considérer comme essentiel par-dessus tous les autres, en ce qui concerne les intérêts britanniques. »

Vous avez entendu l'opinion de l'Angleterre. Voici maintenant celle de la France, exprimée par Napoléon.

Il a dit qu'il avait fait beaucoup pour Anvers, et que c'était encore peu auprès de ce qu'il comptait faire. Par mer, il voulait en faire un point d'attaque mortel à l'ennemi ; par terre, il voulait la rendre une ressource certaine en cas de grands désastres, un point de salut national ; il voulait la rendre capable de recueillir une armée entière, et de résister à une année de tranchée ouverte, pendant laquelle une nation avait le temps, disait-il, de venir en masse la délivrer et reprendre l'offensive.

Il disait qu'Anvers était une des causes qu'il était à Sainte-Hélène ; il n'avait pas voulu consentir à sa cession au congrès de Châtillon. »

Vous le voyez, les Anglais ne souffriront à aucun prix Anvers entre les mains de la France, et la France ne souffrira jamais que les Anglais s'y établissent.

C'est là une situation heureuse pour notre neutralité, si nous savons en tirer parti. Mais c'est à la condition que nous occupions nous-mêmes fortement la position avec des moyens puissants de résistance aussi bien contre l'une que contre l'autre ; car si nous ne l'occupions pas, ce serait, à la première guerre, à qui de ces deux nations s’en emparerait la première pour l'occuper et la fortifier, comme les Français ont fortifié Hambourg.

Au point de vue militaire, et quelles que soient les alliances que l'avenir nous réserve, Anvers fortifié et bien occupé prêtera un appui également efficace à la nation qui nous prêtera son appui.

D'abord pour l'Angleterre cela n'a pas besoin de s'expliquer. L'Angleterre par ses flottes pouvant toujours s'approcher d'Anvers trouverait dans notre camp une excellente base d'opération.

Quant à l'Allemagne, cette position est excellente pour elle, soit qu'elle occupe la Belgique, soit que, repoussée, elle ait à redouter une attaque sur ses possessions du bas Rhin. Anvers, tant qu'elle sera debout, empêcherait l'ennemi de se baser assez solidement sur la Meuse. Quant à la France, il est positif que la position d'Anvers, bien tenue, bien occupée, est pour elle, dans la défensive, d'un énorme avantage. Aussi longtemps qu'Anvers est entre nos mains, sa frontière du nord est inattaquable. Je vais vous citer, à cet égard, l'opinion du général Paixhans. Il conseille à la France de conserver toujours l'alliance de le Belgique. Il ajoute :

« Quelle influence n'aura pas la Belgique ? Et, par exemple, le chemin de fer réunissant en peu d'heures Paris et Anvers, de la Seine à l'Escaut les forces françaises et les forces belges, produira cet effet immense et nouveau, d'avoir dans ces deux grandes positions de Paris et d'Anvers, comme un seul camp, dont les fossés seront la Meuse et le Rhin avec toutes leurs forteresses comme ouvrages avancés. »

Examinez la carte, et vous verrez que dans le cas de l'alliance avec la France, les forteresses de Lille et d'Anvers sont réunies par l'Escaut, derrière lequel coule encore la Lys, et ces deux cours d'eau couvrent les puissantes inondations des Flandres.

La correspondance avec la France est constamment assurée, presque autant qu'avec l'Angleterre ; car il n'est pas admissible qu'une armée continentale s'étende jusque-là, aussi longtemps que Dunkerque et Ostende protégeront nos côtes.

Si nous examinons la position en elle-même, vous verrez qu'au point de vue de la neutralité, elle remplit un double rôle. Une double rangée de forts et une formidable enceinte la protègent du côté de la terre, mais au nord un dispositif de forts et de batteries protègent l'Escaut d'une manière non moins formidable, contre les entreprises des puissances maritimes. Outre les forts de Liefkenshoek et Lillo, munis de réduits et de casernes, à l'épreuve, nous avons en amont les batteries casematées des forts de Sainte-Marie, de Saint-Philippe et de la Perle, pour l'érection desquels des fonds sont déjà accordés ; à la gorge de la ville existeront les batteries casematées de l'enceinte et celles du nouveau fort projeté sur la rive gauche ; enfin, après cette triple ligne de feux, et sur la rade même, nous avons six forts qui croisent leurs feux sur le fleuve et empêcheront les navires de s'embosser devant la ville, ou du moins de s'y maintenir.

En ce qui concerne l'approvisionnement d'Anvers, il est toujours assuré par terre ou par l'Escaut, à moins d'une coalition entre la France et les puissances maritimes contre nous ; alors, je l’avoue, nous serions fort malades ; il ne nous resterait que les ressources d'Anvers et celles du pays de Waes, et d'une partie des Flandres aussi longtemps qu'Ostende, Gand et Termonde seront en nos mains.

Dans le cas contraire, si nous avons la France pour nous, nous serons approvisionnés facilement par terre ; et si nous avons pour alliés les puissances maritimes, notre approvisionnement sera assuré par mer. Si maintenant nous envisageons la question au point de vue des secours, la solution est la même.

Anvers, couvert par ses inondations, par les grands cours d'eau que j'ai désignés tout à l'heure, Anvers est favorisé par son assiette exceptionnelle.

Cette situation est telle, que les puissances secondaires elles-mêmes auront la possibilité de se joindre à nous.

Quant aux grandes puissances, bien loin d'être forcées d'accourir avec une armée, comme elles seraient obligées de le faire pour Bruxelles, elles pourront nous envoyer des détachements. A moins que nous ne soyons abandonnés du monde entier, en cas de danger suprême, nous ne serons donc jamais seuls dans Anvers.

La position d'Anvers a donc ceci d'excessivement important qu'elle ne peut pas ère entièrement bloquée, aussi longtemps que nous resterons maîtres des digues du fleuve, dont les inondations, les forts que j'ai désignés plus haut et d'autres mesures de précautions nous rendent maîtres. Veuillez jeter les yeux sur le plan et vous acquerrez cette conviction.

La position d'Anvers est en outre excellente, parce que le front de combat est extrêmement restreint. Son front de combat est dessiné par les forts, et il y a à peine deux lieues d'étendue ; c'est donc un champ de bataille parfaitement convenable et approprié à la force de notre armée.

Ainsi, à quelque point de vue que l'on envisage la position ; qu'on l'examine au point de vue politique, militaire ou des convenances, Anvers se. présente comme l'unique localité que l'on puisse choisir sur notre territoire pour y créer la grande position militaire du pays.

Maintenant, messieurs, que je vous ai donné les raisons déterminantes du choix qui a été fait, j'ai à vous exposer comment on comptait défendre cette position.

Le premier projet remonte au comité de 1847. Ce projet a été adopté par la commission mixte de 1851, commission qui a reconnu la nécessité d'établir un camp retranche à Anvers et, à la suite de ce vote, on a commencé les travaux.

(page 1299) Le camp a été constitué en forts détachés ; ces forts sont construits en terre avec un grand relief. Ils sont disposés d'une certaine manière que je ferai connaître tout à l'heure. Dans l'esprit du ministre de la guerre, qui les a ordonnés, dans la pensée des commissions qui s'en sont occupés, dans l'esprit de tout le monde enfin, ces forts pouvaient ou devaient, dans un avenir plus ou moins rapproché, quand la situation financière du pays le permettrait, être transformés en forts permanents. Les forts construits alors n'étaient donc pas le dernier mot du système ; ils étaient destinés à être complétés et transformés en forts permanents. Ainsi, dans le rapport du comité, en date du 17 juillet 1848, on donne la description de ces forts et l'on dit : Ce fort que l’on devrait ériger à l'avance et transformer plus tard en forts permanents.

La dépêche de M. le ministre de la guerre qui ordonna aux différents comités de travailler au projet du camp retranché, dépêche en date du 12 avril 1848, contient la phrase suivante :

« Les ouvrages devront être construits d'après les règles de la fortification permanente et en terre. Toutefois, on devra les disposer de manière à pouvoir en augmenter l'importance dans l'avenir, soit en les munissant en tout ou en partie d'escarpes en maçonnerie, soit en y introduisant des réduits, magasins, etc. »

Le rapport du conseil de défense d'Anvers contient à son tour le passage suivant ;

« Les dimensions que nous avons données aux côtés des fortins qui doivent composer le camp d'Anvers, permettent d'en augmenter par la suite l'importance. Ces améliorations consisteront : 1° dans l'établissement d'escarpes en maçonnerie ; 2° dans la construction de réduits défensifs qui serviraient en même temps de caserne. »

Je ferai remarquer que la lettre du 1er avril 1848, était parfaitement connue et se trouvait sous les yeux du comité de défense qui a proposé la construction du camp retranché et qu'il savait fort bien que l'intention du ministre était de transformer plus tard ces forts en forts permanents ; et la preuve de ce que j'avance se trouve dans la phrase du rapport que j'ai citée tout à l'heure.

Le comité de 1847 considérerait donc la dimension des forts d'abord construits eu terre et leur emplacement comme parfaitement convenables pour des forts permanents.

En ce qui concerne le dispositif du camp en lui-même, il est utile d'expliquer les idées qui ont présidé à cette création. Le camp d'Anvers, ce n'est pas Berchem, c'est Borgerhout. Il existe, entre les inondations du Schyn et la lunette d'Herenthals, le ruisseau d’Herenthals. Ce ruisseau, en avant de la lunette, est bordé par une inondation de 800 à 1,000 mètres ; de.sorte qu'il ne reste entre la tête de l'inondation et l'inondation du Schyn que 1,000 à 1,200 mètres de terrain attaquable.

Cette position est surtout favorable parce qu'elle prend de flanc toute attaque dirigée contre la ville. Aussi longtemps que l'armée est maîtresse de Borgerhout, la ville ne saurait être attaquée. Pour qu'un camp de cette sorte offre tous les avantages qu'il comporte, il faut qu'on puisse en déboucher facilement. C'est là la condition essentielle de tous les camps retranchés. A cet effet, on projeta l’érection de trois forts, les n°2, 3 et 4 ; ils constituent la clef du camp de Borgerhout ; ils servent de tête de pont à la position. Pour renforcer davantage encore la position, pour empêcher la destruction immédiate des faubourgs d'Anvers, on a demandé la construction d'un autre camp, c'est celui de Berchem, formé par les forts n°5, 6 et 7. Ces camps sont établis de telle manière que chacun d'eux se décompose en plusieurs parties, c'est-à-dire que la prise d'un fort ne paralyse pas la défense et n'entraîne pas la chute du système. Chaque système possède, si je puis m'exprimer ainsi, deux ou trois sous-systèmes, de manière que les camps de Berchem et de Borgerhout, décomposés, forment 7 ou 8 lignes successives de défense.

Il est certain que, dans cet ordre d'idées, on ne tenait aucun compte des faubourgs d'Anvers ; il est certain que la lutte se serait poursuivie au milieu des habitations, chaque maison devenait entre nos mains une petite forteresse, chaque château entouré d’eau une petite citadelle ; c'était un combat pied à pied comme doit en livrer une nation près de succomber.

En 1855, le gouvernement, entrant tout entier dans les vues du ministre de la guerre de 1848, crut, en présence des événements qui se passaient en Europe, qu'il était utile d'achever le camp retranché.

Il vint donc demander des crédits pour revêtir les forts en maçonnerie. On vit alors surgir une grande opposition ; on fit valoir combien les faubourgs d'Anvers se trouvaient compromis par le plan adopté, et on amena le gouvernement à promettre la démolition du fort n°4. Eh bien, messieurs, la démolition de ce fort et des rues et des constructions élevées le long du ruisseau d'Herenthals, c'est le renversement complet du système établi, car c'est l'annihilation du camp de Borgerhout. Tout ce qui faisait la force du système sera par-là détruit.

On a été amené de cette manière à rechercher une autre combinaison. On en vint après quelques tâtonnements au projet actuel, à savoir : de conserver le front de Berchem comme deuxième ligne et comme camp retouché, et de reporter la ligne de défense à 1,500 mètres en avant dans la campagne ; mais en même temps on demanda à regagner en force ce que l'on perdait en élasticité, pour me servir d'un mot adopté dans le rapport du comité de défense ; c’est-à-dire de constituer en première ligne des forts parfaitement constitués et susceptibles d'une défense propre et isolée.

Mais à cette époque, la question entra dans une autre phase, et la grande enceinte vint subitement au jour. Le comité de la cinquième section, qui ne demandait d'abord que la destruction du fort n°4, et des tolérances dans le rayon des servitudes, non content de voir le gouvernement éloigner des faubourgs du théâtre de la lutte, au lieu de se montrer satisfait des dépenses que le gouvernement demandait au pays pour reporter la défense principale à 1,500 mètres des faubourgs dans le seul et unique intérêt de ces mêmes faubourgs, le comité de la cinquième section, di-je, exigea la construction d'une grande enceinte, non pas une enceinte en raison du besoin des populations, mais un immense enclos de 1,300 hectares, alors qu'aujourd'hui la ville n'en possède que 200, une enceinte immense qui aurait 6,000 mètres de longueur, du fort n° 6 à l'extrémité des bassins, c'est-à-dire à peu de chose près, la largeur de Paris.

Ce projet a été mis au jour sous le nom d'un entrepreneur, M. Keller. Le ministère d'alors, toujours bienveillant pour la ville, s'empressa de soumettre ce plan à l'examen d'une commission mixte.

Cette commission, après avoir examiné le projet de M. Keller au point de vue de ses qualités défensives, le rejeta à l'unanimité des membres militaires présents. Toutefois, et toujours désireux de se montrer favorable aux intérêts d'Anvers, le ministre de la guerre demanda au chef du génie de l'armée par quelles combinaisons défensives on pourrait rendre cette enceinte acceptable, c'est-à-dire la mette à même, en cas d'exécution, de jouer un rôle en rapport avec l'importance de la position.

C'est alors que s'est produit le projet de grande enceinte du gouvernement. Et il faut bien y faire attention, il s'agissait de savoir ce qu'il fallait faire pour rendre l'enceinte Keller respectable, et non pas de proposer un plan en rapport avec les besoins de la cité, et l'on a suivi par conséquent le tracé de l'entrepreneur Keller. Le ministre de la guerre, dès qu'il fut en possession du projet du génie, nomma la commission de 1856. Il désirait connaître auquel des deux projets on accorderait la préférence, à savoir la grande enceinte, fortement constituée et précédée des forts détachés et le projet actuellement en discussion, à savoir le camp de Berchem actuel, précédé des mêmes forts, lesquels sont communs aux deux systèmes.

L'on eut alors ce fameux vote dont le rapport de la section centrale fait mention. Cinq membres se sont prononcés pour le premier système et 5 pour le système opposé, tandis que le 11ème membre reconnut que l'un valait autant que l'autre.

M. Coomans. - Ils sont donc également mauvais.

M. le général Renard. - Ou également bons. Mais il est bien nécessaire, messieurs, d'expliquer ce vote. Les cinq membres qui ont voté pour la grande enceinte l’ont fait avec des restrictions. Ainsi, l'honorable M. Thiéfry me demandait tout à l'heure quelle était l'opinion du général de Lannoy ? Eh bien, l'opinion du général de Lannoy, la voici : Expliquant à ses camarades quelle était la valeur de son projet, il s'exprime, de la manière suivante :

« Si l'on pouvait faire abstraction des intérêts d'Anvers, et de la nécessité où elle se trouve de refluer vers l'extérieur, je donnerais certainement la préférence au projet de 1855, qui satisfait à toutes les exigences militaires, et qui constituerait une position unique en Europe. »

Un autre membre militaire qui a voté pour une grande enceinte a trouvé que l'enceinte proposée est trop étendue et qu'elle est trop rapprochée des forts.

Un troisième membre accepte la grande enceinte, mais il dit qu'il y a trop peu d'espace entre l'enceinte et les forts.

Voilà, messieurs, quelles sont les diverses phases qu'a subies la question d'Anvers.

Le gouvernement a fait étudier deux projets, et la section centrale n'en accepte aucun. Elle est d'accord avec le gouvernement sur un point, c'est sur la nécessité d'ériger en première ligne la ceinture de forts pour lesquels ou vous demande aujourd’hui des fonds. Mais elle ne s'arrête pas là ; elle ne veut pas de ces forts sans une grande enceinte, non pas l'enceinte du gouvernement, mais une enceinte présentée par l'entrepreneur Keller.

Mais, messieurs, la section centrale, en admettant l'enceinte Keller, semble y rattacher un système que M. le ministre de la guerre a combattu avec grande raison. Il est vrai que dans son discours M. Thiéfry s'est exprimé de manière à pallier, en partie, le mauvais effet qu'avait produit la lecture du rapport. Mais est-il bien l'organe de ses collègues ?

Pour mon compte, je ne demanderais pas mieux que de voir la section centrale renier la théorie qui ressort évidente du rapprochement des phrases suivantes :

« On inaugure le système d'une concentration absolve de toutes les forces nationales.

« Page 5. Le développement du camp retranché ne peut être réellement défendu que par l'ensemble des forces nationales.

« Page 6. Le gouvernement veut fortifier la forteresse comme si elle devait être abandonnée à elle-même et non comme une place à grand développement, soutenue, au moment du danger, par l'armée entière.

« Page 7. L'agrandissement général n'est possible qu'à des (page 1300) conditions compatibles avec nos ressources financières, et par suite en entrant franchement dans un système de concentration qui permette qu'Anvers soit défendu par l'armée entière qui, à son tour, serait parfaitement protégée par l'enceinte elle-même.

« On a parfois mis en doute que nous eussions des forces suffisantes pour défendre une aussi vaste enceinte que celle d'Anvers, généralement agrandie. C'est qu'on oubliait alors que l'armée active, qui doit se trouver dans le camp, serait elle-même la garnison de la place, qui jamais n'exigerait, pour sa défense, des forces actives aussi considérables.

« Page 30. Le gouvernement s'exagère les nécessités de détail d'une enceinte de la nature de celle que l'on établirait à Anvers, à moins, néanmoins, qu'on n'aille jusqu'à admettre que cette forteresse puisse être abandonnée à elle-même. Or il n'est pas possible d'admettre qu'après avoir adopté un système de concentration, réalisé à si grands frais, on délaisse sa base d'opération où, privée d'appui, elle serait exposée à n'éprouver que des revers. »

Je dis qu'on ne peut tirer de ces phrases qu'une seule conséquence, c'est que l'on veut transporter à Anvers toutes nos forces nationales dans une seule place de guerre. Que l'on agisse ainsi en pays ennemi, je le conçois, car ce serait une faute énorme que de disperser son armée en divers lieux. Mais dans une guerre nationale il y a autre chose dans le pays que des soldats, il y a l'esprit public, il y a les richesses du pays, il y a le territoire auquel vous ne pouvez appliquer votre faux principe de concentration absolue. Il faut des forteresses pour que le drapeau du pays flotte encore sur nos provinces ; ce sont des points de ralliement pour les mouvements populaires ; ce sont des foyers où se réchauffe l'ardeur patriotique, qu'il faut se garder de laisser éteindre.

Le projet de la section centrale consiste à avoir une armée, puis à construire une forteresse pour que cette armée s'y trouve constamment ; on ne peut les séparer, elles font corps ensemble.

La section centrale n'admet pas qu'en tout état de choses la forteresse puisse jamais être abandonnée à elle-même.

Mais, messieurs, le bon sens indique que si l'armée belge seule doit s'opposer sur le territoire, à l'invasion de l'ennemi ; il est évident que les généraux belges auront soin de ne pas abandonner leur ligne d'opération ; ils conduiront l'armée avec sagesse, avec prudence selon les circonstances, selon la nature et la force de l'ennemi que nous aurions devant nous, selon la nature de la guerre, l'esprit des populations elles-mêmes.

Dans ce cas nous n'abandonnerons pas Anvers ; l'armée sera à Anvers, dans le cas d'un revers ou lorsque, momentanément délaissés par les autres nations, nous aurons à lutter seuls contre une des grandes puissances.

Mais si les événements vous donnent pour alliée une de ces grandes puissances, si alors cette grande puissance vous invite à joindre vos forces aux siennes et à abandonner momentanément votre ligne d'opération, lui direz-vous par hasard de lui répondre : Je ne puis, je m'en vais à Anvers ; ma place est à Anvers, et seulement à Anvers ; car si je n'y suis pas, la place ne pourrait se défendre. Elle a été établie pour que s'y sois tout entière.

Je dis que ce ne serait pas là un système de concentration, mais un véritable système de dispersion. En cas d'alliance, nous combinerons nos opérations avec celles de nos protecteurs.

Si nous avons la France pour alliée, nous obéirons probablement aux combinaisons des généraux de l'armée française ; si, au contraire, nous avons l'assistance de l'Allemagne, ce seront aux inspirations des généraux allemands.

Le sort des Etats ne se décide pas au pied des remparts d'une forteresse, mais en rase campagne et les nécessités de la guerre entraînent souvent dans les opérations les plus divergentes ; or l'armée belge doit tenir à honneur de prendre une part active à la lutte qui doit avoir la délivrance de la patrie pour résultat.

Du reste il y a dans cette prétention de raser toutes les forteresses pour n'avoir qu'une armée, et avoir toujours cette armée à Anvers ; il y a dans cette prétention quelque chose qui m'étonne, alors que le rapport de la section centrale a eu pour rapporteur M. le général Goblet. Dans la séance du 27 février 1856, l'honorable général Goblet vous disait :

« La seule obligation de la Belgique, c'est de défendre les places dont la conservation est recommandée par la conférence de Londres. Ce rôle modeste suffit à garantir l'indépendance de notre patrie. Dans la pensée des puissances qui s'occupaient de nos intérêts, la Belgique ne devait avoir qu'une force publique spécialement organisée pour l'accomplissement de la mission qu'elle avait à remplir, mission qui consiste à conserver sur son sol des lignes d'opération, destinées à faciliter les mouvements des alliés éventuels venant au secours de sa nationalité violée. »

Voilà le principe que l'on proclamait le 27 février 1856, et à présent on rase toutes les lignes d'opérations dont la conservation était pour nous une obligation suprême, on transporte tout à Anvers.

Mais il y a dans le passage que je viens de citer, un système que je ne puis passer sous silence.

Comment ! la Belgique ne doit avoir qu'une force publique, uniquement organisée pour l'accomplissement de la mission que vous voulez lui faire remplir, à savoir : de garder des places utiles aux opérations des puissances étrangères. Mais c'est la neutralité désarmée, plus la honte.

Je dis qu'il serait honteux d'avoir une armée qui ne résisterait pas tout d'abord et dans la mesure de ses forces à une invasion ennemie. Si vous n'avez que le nombre de soldats nécessaire pour garder les places, comment pourrez-vous faire sortir de ces places dispersées, une partie des garnisons, pour s'opposer par une simple diversion à un corps d'armée de 25,000 hommes pendant que vos soldats dispersés sur tous les points du territoire par groupes de 5,000 à 6,000, abrités derrière des murailles, le fusil entre les jambes, cachant les beaux drapeaux avec lesquels ils paradaient en temps de paix, assisteraient, tristes et humiliés, à ce scandaleux spectacle de voir une armée ennemie plus faible que la leur, parcourir impunément le pays. C'est à cela que conduira tout système qui attacherait fatalement nos troupes à des places de guerre sans qu'elles pussent s'en détacher.

Messieurs, après avoir établi la nécessité d'une grande position militaire, après avoir cherché à vous faire entrevoir à quelles conséquences funestes conduirait l'adoption du projet de la section centrale, je vais examiner comment elle entend organiser le camp retranché, et quels sont les principes qu'elle met en avant. C'est ici que je rencontrerai les différentes questions que l'honorable M. Thiéfry m'a posées sur Sébastopol.

- La séance est suspendue pendant cinq minutes.

M. le commissaire du Roi reprend en ces termes. - Messieurs, j'aborde maintenant les questions qui se rattachent à la constitution du camp retranché, tel que le gouvernement vous le propose, et la valeur des critiques que la section centrale en a faites. Pour ne pas abuser des moments de la Chambre, je serai obligé de laisser de côté une foule de détails sur lesquels j'aurai sans doute l'occasion de revenir par la suite.

Pour rendre la discussion plus facile, je lirai les passages du rapport de la section centrale que je vais commenter :

La section centrale dit d'abord ceci :

« Un camp retranché tel que celui que l'on veut établir, ayant son front à une lieue de l'enceinte de la place, ne réunit pas toutes les conditions voulues, il n'aurait même aucune valeur s'il n'était soutenu par une armée en rapport avec son développement.

« Dans l'esprit de la fortification moderne, on entend par camp retranché une position défensive, formée par une ligne de forts plus ou moins solide, enveloppant, en partie ou en totalité, une place de guerre de premier ordre, dont elle reçoit une protection efficace. La distance des forts entre eux et par rapport à l'enceinte, varie suivant les localités et le nombre des troupes destinées à défendre la position. Mais ce qui, dans tous les dispositifs, est jugé indispensable, c'est que la zone en arrière des forts soit libre et soumise aux feux de l'enceinte. Or, on examinant la position d'Anvers, on voit tout d'abord que, dans le projet proposé l'artillerie de la place n'aurait pas d'action sur la zone que formerait le camp retranché proprement dit entre les forts existants et les citadelles à construire.

« Ce camp séparé de la place par des faubourgs populeux, qui bientôt se joindront, pour ne former qu'une masse continue de bâtisses, n'aurait à attendre aucune protection de l'enceinte actuelle et, par conséquent, ne répondrait que très imparfaitement à sa destination. Si, au contraire, cette enceinte était reportée à la hauteur des fortins existants, les forts proposés, peu redoutables comme ouvrages isolés, deviendraient des ouvrages avancés de la nouvelle enceinte dont ils recevraient une protection convenable.

« Dans leur état actuel, les fortins existants à la distance où ils se trouvent des forts nouveaux, et vu le peu de garantie qu'ils offrent contre une attaque de vive force, ne pourraient jouer ni le rôle de batteries intermédiaires, ni arrêter les troupes qui auraient enlevé ou dépassé les forts de première ligne.

« Pour que le camp ait son maximum de valeur, il faut donc que l'enceinte actuelle reçoive un développement qui est également réclamé a d'autres points de vue : Anvers, comme place de refuge et base d'opérations de l'armée, est destiné à recevoir un personnel et un matériel considérables.

« Il est d'ailleurs bien difficile de comprendre, qu'en présence d'une situation sans issue, comme est celle d'Anvers, on ait perdu de vue qu'un camp retranché ne pouvait être que l'accessoire d'une grande place de refuge et non pas former la partie principale de la position de retraite d'une armée. »

Eh bien, c'est dans cette dernière phrase que gît tout le débat ; c'est là que réside tout le différend entre la section centrale et nous.

Je soutiens, au contraire, que la forteresse d'Anvers n'est que l'accessoire de la position et que la partie principale, c'est le camp retranché ; la place est le réduit du système.

La définition que donne le rapport d'un camp retranché est applicable seulement aux camps dont parle Vauban. Ils sont destinés à 10,000 ou 20,000 hommes. Leur rôle est d'empêcher, de retarder le siège d'une place. Mais il ne s'agit pas d'un camp de cette sorte, il s'agit d'un camp organisé comme celui de St-Denis ou de Nogent sous les murs de Paris, c'est-à-dire pour protéger les approches de la ville et couvrir les mouvements d'une armée.

Je demande s'il est possible de protéger une ville contre un bombardement quand on place son enceinte à portée de canon des forts. Il est évident que dans ce cas la position que l'on veut défendre serait bombardée. Nous avons du reste un excellent moyen de nous éclairer, c'est (page 1301) de consulter tout ce qui s'est dit, lors de la discussion des fortifications de Paris sur la théorie des grands camps retranchés. Que sont venus avancer alors les hommes de guerre qui ont pris part aux campagnes de l'empire ? C'est que la défense devait être le plus éloignée possible de la place.

Le maréchal Soult disait : « La défense extérieure d'une place est plus ou moins efficace suivant qu'elle s'en éloignait davantage ;» Rogniat, Rouhault de Fleury, Lariboissière et tous les comités d'artillerie et du génie consultés, ont été unanimes pour déclarer que le camp retranché était la partie principale, que l'enceinte n'était que l'accessoire et qu’il fallait reporter la défense le plus loin possible de Paris.

Le premier qui ait projeté un grand camp retranché pour une armée et pour Paris, c'est Vauban lui-même ; il veut que la position soit défendue par deux enceintes et il les place à une distance de 2,400 mètres l'une de l'autre, et entre elles existaient de puissants faubourgs, bien autrement grands et peuplés que ceux d'Anvers, en sorte que la première ne tirait aucun secours direct de la seconde.

Il en est de même aujourd'hui à Paris. Quand on a parcouru le terrain, ou bien lorsqu'on consulte un plan des environs de cette grande capitale, il est facile de s'assurer qu'aucun des forts ne se trouve sous le canon de la place. Le fort de St-Denis n'est pas sous le canon de Paris ; il est distant de l'enceinte de 5 à 6 mille mètres ; les forts de Nogent-Rosny, le fort isolé du Mont-Valérien sont à la même distance.

Quelques forts, cependant, hors des points d'attaque, sont situés à deux mille mètres de Paris ; ce sont ceux d'Issy, de Venvres, de Montrouge, de Bicêtre et d'Ivry ; mais entre ces forts et l'enceinte il existe les localités de ces noms, de véritables petites villes, qui ne permettent pas encore à l'enceinte de protéger directement les forts.

Ce que je dis de la définition des camps retranchés de Vauban, est appuyé par d'Arçon dont le nom fait autorité.

« Il faut soigneusement distinguer les dispositions et propriétés des camps retranchés sous les places qui sont relatives aux mouvements extérieurs des armées, d'avec celles qui tiennent à la défense de la place. En confondant les objets on risquerait d'exposer l'un et l'autre. »

La section centrale prétend qu'il est indispensable de porter en avant la grande enceinte pour assurer la défense des forts de la première ligne.

Je soutiens au contraire qu'une enceinte placée à la distance de 1,200 à 1,600 mètres de ces forts ne permet pas de les défendre d'une manière aussi énergique que nous voudrions pouvoir le faire. Comment procède-t-on à la défense des forts ? En faisant agir des troupes dans leurs intervalles ; en opérant des contre-approches, en menaçant l'ennemi de sorties et de coups de main perpétuels, en opérant des sorties de 30 à 40 mille hommes s'il est possible -en obligeant ainsi l'ennemi, continuellement menacé, à tenir en tous temps dans les tranchées un grand nombre d'hommes exposés au canon des forts. Ceci exige qu'on donne à l'armée défensive des lieux de repos à l'abri du canon.

Il lui faut des camps d'où elles puissent se porter sur le lieu de l'action dans le moins de temps possible. Dans les douze à quinze cents mètres qui sépareraient les forts de l'enceinte, on n'a pas la prétention, je pense, de tracer l'emplacement du camp de l'armée, car il est inadmissible de placer des camps où l'on séjournerait longtemps, je l'espère, dans le rayon d’actions de l'artillerie de l'ennemi. Il ne vous restera qu'une ressource, c'est de prendre pour camp la ville elle-même et de placer l'armée derrière l'enceinte.

Je dis que ce serait une faute énorme ; si vous mêlez l'armée à la population, vous lui ôtez toute sa force morale, vous enlevez à la défense son caractère militaire.

Vous auriez dans cette enceinte, encombrée de rues et de jardins, plus de 70,000 habitants et plus de 10,000 chevaux ; comment établirez-vous vos troupes, dans les maisons ?

II en résultera un désordre extrême et un commencement de désorganisation.

Si vous voulez que l'armée défende la ligne des forts avec succès et énergie, tenez-la dans des camps, et que les communications avec les points à défendre soient toujours nombreuses, larges et faciles ;

En plaçant les troupes dans l'enceinte, vous leur ôtez les moyens d'agir avec promptitude ; comment les ferez-vous sortir lorsque le moment viendra de les faire agir ?

En effet, une enceinte avec des portes éloignées de 1,200 à 1,400 mètres et des fossés pleins d'eau, munis de ponts exposés aux bombes de l'ennemi. Pour faire sortir 40 mille hommes il faudra 6 heures ; si les bombes détruisent les ponts, ferez-vous sortir vos troupes en barquette ?

Ce système de fossés pleins d'eau est bon pour des places ordinaires, dont la garnison n'a d'autre mission que de défendre les murailles ; mais dans le cas qui nous occupe, une enceinte constituée comme la vôtre, et dans la position où vous la placez, ne ferait que diminuer la valeur de la position militaire.

Le rapport continue ;

« D'autre part, l'on ne saurait trop signaler les périls qui résulteraient de l'état de choses que l'on veut établir, Quelque bien fortifié que soit un camp, quel que soit le mérite des troupes préposées à sa défense, le moment viendra ou les forts de première ligue, enlevés ou simplement écrasés, seront incapables de protéger cette même armée. Celle-ci, refoulée alors par des forces d'une grande supériorité, ira-t-elle avec confiance prendre position sens une seconde ligne sans valeur, après avoir succombé, protégée qu'elle était par d'importants ouvrages ? On ne peut le croire, un premier succès contre une ligne bien constituée serait évidemment pour l'ennemi une cause d'exaltation, tandis que les défenseurs ne seraient pas garantis d'une certaine démoralisation en prenant possession d'une nouvelle position à laquelle de nombreuses bâtisses enlèvent toute valeur défensive. »

Il faut, messieurs, rapprocher ce passage de cette phrase de la citation précédente : « Dans leur état actuel, les fortins existants à la distance où ils se trouvent des forts nouveaux et vu le peu de garantie qu'ils offrent contre une attaque de vive force, ne pourraient jouer ni le rôle de batteries intermédiaires, ni arrêter les troupes qui auraient enlevé les forts de la première ligne.

Ce rapprochement renferme une contradiction qu'il m'est difficile d'expliquer.

Comment ! voilà les forts d'un camp retranché qui était représenté comme satisfaisant à toutes les conditions ; ce sont les mêmes forts proposés par le comité de 1847 et maintenant qu'on veut la grande enceinte, ces forts ne sont plus même bons à servir de batteries intermédiaires ; ils n'offrent plus aucun obstacle ; on passera outre sans la moindre difficulté ; ils devaient absolument plus rien.

A la page 1 ou 2 au même rapport nous lisons des phrases en complet désaccord avec cette allégation.

« Ces travaux (et parmi eux ceux du camp retranché) étaient considérés (par la grande commission mixte) comme constituant toutes les améliorations et toutes les extensions que devait recevoir notre position sur l'Escaut.

« Ainsi toutes ces extensions, toutes ces améliorations ne signifient plus rien ; et cependant dans tous les rapports du comité de défense, ce camp composé de ces fortins est représenté comme offrant une résistance bien supérieure à celle des ouvrages généralement en usage dans les camps retranchés, et pouvant être considérés comme se rapprochant beaucoup plus de la fortification permanente que de la fortification passagère en campagne. »

Cette faiblesse subit des fortins ou camp retranché est un argument tout de circonstance.

Les forts ont aujourd'hui absolument la même valeur que quand ils ont été construits ; mais comme la section centrale veut la grande enceinte, elle trouve bon de dire qu'ils ne valent rien ; qu'ils n'ont plus même la valeur de simples batteries.

Ces forts sont en terre, c'est vrai, mais vous avez vu dans le rapport de la section centrale que des massifs en terre précédés d'un fossé plein d'eau ne laissent rien à désirer.

Maintenant, messieurs, on objecte que la première ligne est plus forte que la seconde ; et on blâme ce dispositif. J'avoue que cette critique m'étonne. Que veut-on faire à Anvers ? On veut éloigner le danger le plus longtemps possible ; c'est donc évidemment la première ligne qui doit être la plus forte. Supposons que le temps de la résistance soit représenté par dix, il vaut mieux dépenser huit à la première ligne et deux à la seconde, puisque l'ennemi sera tenu plus longtemps à des distances pendant toute la durée de la résistance de la première ligne. Au surplus, messieurs, dans tous les camps de l'espèce, la première ligne est toujours plus forte que la seconde. Retournons encore une fois à Vauban ; nous verrons que la première ligne de son camp de Paris est trois fois plus fort que la seconde. De plus derrière la seconde ligne, il place encore des citadelles.

Ainsi, nos forts détachés répondent à la première ligne de Vauban, nos fortins à sa seconde ligne, la plus faible enfin, la ville d'Anvers, le réduit de la position répond à ses citadelles.

Je continue le rapport :

« Des considérations d'humanité viennent en outre s'unir aux considérations militaires, et tout concourt à prouver qu'il n'est que la grande enceinte qui puisse concilier les intérêts divers. On veut, dit-on éloigner tout danger de la ville ; mais alors est-il juste, est-il généreux d'exposer, à l'extérieur de ses murs, une population nombreuse à un sort épouvantable, entre les canons de la place et ceux de l'ennemi ? pourrait-on recueillir cette population dans la ville, en même temps que l'armée, sans y produire l'encombrement le plus déplorable ? »

L'honorable M. Loos a dit hier que c'était une monstruosité au point de vue de la civilisation et que si Odessa avait été Sébastopol, cette ville aurait complètement disparu.

Hambourg, messieurs, s'est trouvée à peu près dans cette position et Hambourg n'a point disparu. Mais il y a encore ici une contradiction bien digne de remarque : d'une part nous plaçons à 1,500 mètres plus loin que le camp actuel de véritables citadelles pour mettre les faubourgs à l'abri de la bombe, d’autre part nous lisons dans le rapport qu'on aurait très bien concilié les intérêts de la défense et ceux de la population en se contentant de supprimer les fortins numéros 3 et 4 pour les remplacer par un autre ouvrage placé plus convenablement.

Nous lisons encore, à la page 4 : » Au moyen d'une somme relativement peu considérable, on aurait vu notre système défensif reposer sur une base qui ne laisserait rien à désirer. »

Ainsi, le seul camp de Berchem, avec la suppression de deux forts, système qui annihilait cependant le camp de Borgerhout, ne laissait rien à désirer ; et lorsque nous le reculons de 1,500 mètres pour mettre la population des faubourgs à l'abri de la première attaque, on critique nôtre système ! J'avoue, messieurs, que je ne comprends pas une pareille contradiction.

(page 1302) Je passe maintenant à l’argumentation de la section centrale pour établir la supériorité de l'enceinte affaiblie de Keller. Voici le passage :

« Or, cette différence consiste :

« 1° Dans la suppression des tenailles et des contre-gardes proposées par le génie militaire pour les onze forts attaquables de la nouvelle enceinte ;

« 2° Dans la suppression des demi-lunes qui ne servent pas à couvrir une porte de ville ;

« 3° Dans la suppression des deux lunettes établies en avant du glacis, dans les intervalles des forts n°1 et 3, n° 5 et 6.

« Ces suppressions, loin de constituer un défaut, semblent, au contraire, le résultat de l'application judicieuse des principes qui doivent présider à la construction des places à grand développement. L’expérience et la théorie sont, en effet, d'accord sur ce point : que l'enceinte d'une place défendue extérieurement par une ligne de forts permanents et par une armée active, doit être d'une grande simplicité. Les diverses commissions qui, depuis 1818 jusqu'en 1840, ont eu à se prononcer sur cette question, à propos des fortifications de Paris, ont toutes été d'avis que l'enceinte d'une place à camp retranché ou à défense extérieure doit être seulement à l'abri d'une attaque de vive force.

« Ni dans cette circonstance, ni à propos d’autres fortifications analogues, on n'a vu un ingénieur de quelque autorité soutenir que l'enceinte d'une place à camp retranché doit être construite comme l'enceinte d'une place ordinaire, avoir des tenailles, des contre-gardes, des demi-lunes, des lunettes détachées.

« Aussi peut-on constater que les enceintes de tous les grands pivots stratégiques, construites en Europe depuis 1815, et qui n'étaient pas à l'avance munies d'une enceinte, sont d'une simplicité remarquable et qui n'exclut nullement la possibilité d'une défense vigoureuse.

« Dès lors sur quel principe, sur quelle autorité se base le gouvernement pour déclarer trop faible l'enceinte du projet Keller, composée d'un corps de place à larges fossés pleins d'eau revêtu sur ses onze fronts, régulièrement attaquables, précédé d'un chemin couvert, avec glacis ou avant-fossés ayant ses sorties couverte par des demi-lunes et ses principaux accès défendus par les flux de flanc et de revers des forts n°1, 3, 5, 6 et 7, qui, modifiés comme l'indique le plan Keller, rendent complètement inutile 1'établissement des lunettes dans leurs intervalles.

« Loin d'être trop faible, cette enceinte offre une plus grande valeur défensive que celles des places neuves à camp retranché construites dans les autres pays. Il semble même qu'on pourrait supprimer, sans le moindre inconvénient, l’escarpe en maçonnerie proposée par M. Keller, pour contenter les partisans quand même des escarpes revêtues. Un large fossé rempli d'eau offre, en effet, la meilleure de toutes les garanties contre les attaques de vive force, et même contre les attaques en règle ; cette garantie a été jugée suffisante par les ingénieurs qui ont projeté la plupart des forteresses de la Hollande, les places belges d’Ostende, d’Audenarde, de Charleroi (ville basse), de Termonde et de Diest.

« Si donc il est vrai, comme tout paraît l'annoncer, que l'enceinte du projet Keller aura, sur toute son étendue, des fossés pleins d'eau, on ne peut alléguer aucune raison plausible en faveur de la construction d'une escarpe sur les onze fronts régulièrement attaquables de cette enceinte. »

Paris n’a pas de dehors, c’est vrai, mais savez-vous ce que les officiers du génie français disent de l’enceinte de Paris, enceinte qui, d’après le général Valazé, ne peut tenir qu’un mois ?

« Une pareille enceinte ne tiendrait pas quinze jours. N'est-ce pas une véritable profanation, ajoute-t-il, d'accoler le nom de Vauban à cette carcasse décharnée, sans revêtements de contrescarpe, sans demi-lunes, sans chemins couverts pour couvrir les portes et les points d'attaque ? »

Dans l'opinion des membres de la section centrale, les escarpes revêtues sont inutiles lorsqu'elles sont précédées d'un large fossé plein d'eau.

En Hollande, par exemple, les places de guerre en terrain aquatique sont entourées de massifs en terre sans escarpes. Messieurs, le chef de l'école hollandaise en fait de fortifications, c'est Coehorn.

Eh bien, derrière les massifs en terre que baignent les fossés, il veut une deuxième enceinte revêtue. C'est cette deuxième enceinte revêtue avec le fossé sec qui constitue la principale force des fortifications hollandaises.

Depuis Coehorn et de notre temps, deux officiers de mérite ont traité de la fortification eu terrain aquatique, et MM. Engelbert et Merkes, tout en rejetant les contrescarpes revêtues, préconisent des revêtements en briques pour le corps de place.

Mais d'où provient l'eau sur laquelle vous comptez ? Est-ce l'Escaut qui doit inonder les fossés ? Point du tout. L'eau doit provenir du liquide dont la terre est imprégnée. L'enceinte Keller s'appuie d'un côté à l'inondation du Schyn, et de l'autre à celle de l'Escaut, mais vers son centre, elle franchit une hauteur située à plus de huit mètres au-dessus des inondations.

Sur la crête de partage, en creusant à une certaine profondeur on trouve ordinairement de l'eau, cela est vrai, et les fossés des fortins actuels en sont plus ou moins remplis ; mais quand vous aurez joint tous ces fossés par une seule tranchée, n'aurez-vous pas de fuites, conserverez-vous encore de l'eau en suffisance ? Je prétends que personne ne peut l'assurer, et il est dangereux de baser sur une hypothèse la défense d'un point aussi important.

Supposons néanmoins que vous ayez de l'eau en quantité suffisante, vous êtes forcés, pour conserver à vos fossés une profondeur de deux mètres, de vous servir de batardeaux. Il y a là un autre danger. Avec des bombes et des canons on pourra démolir ces batardeaux à distance, ou bien quand on approchera des fossés on les fera sauter. Jamais un ingénieur n'a fondé sur des batardeaux placés dans de pareilles conditions l'espoir d'une défense sérieuse.

Dans des cas pareils on agit comme si les fossés pouvaient être privés de leur eau protectrice, et on a soin de revêtir les escarpes et les contre-escarpes.

Maintenant cette place sur laquelle on veut faire de pareilles expériences et construire en dehors des règles reçues, possède-t-elle donc un tracé qui rachète ces défectuosités ? Pas le moins du monde. Plus le tracé s'approche de la ligne droite, plus une place est forte. Une fortification en ligne droite, munie d'une artillerie suffisante, serait inexpugnable. A Paris, par exemple, l'attaque se trouverait forcée d'embrasser six fronts à la fois, et cette nécessité corrige un peu la faiblesse des défenses.

Trouvons-nous les mêmes avantages dans la grande enceinte d'Anvers ? Au contraire, le tracé est disposé de manière à ne lui donner la force que d'une place de troisième ordre.

Examinez et vous verrez.

Les deux grandes lignes qui la constituent viennent se réunir au point d'attaque sous un angle de 100 degrés.

Des batteries placées dans le prolongement de ces longues branches les désorganiseront en peu de jours, et si vous n'avez pas de remparts revêtus, on les franchira pour ainsi dire en bataille dès que l'on aura fait sauter un des batardeaux, et éteint les feux des ouvrages du saillant, ce qui ne pourrait être long,

Ou a répété à satiété qu'à Sébastopol la cause des escarpes a été perdue.

Il y avait un excellent moyen de s'éclairer à cet égard, c'était de consulter ceux-là mêmes qui ont assisté à ce siège glorieux.

Eh bien, l'avis que je leur ai entendu émettre, c'est que ce qui s'est passé à Sébastopol ne ressemble nullement à un siège ; deux armées, placées derrière des retranchements presque parallèles, ont livré un immense combat d'artillerie.

Dès que les alliés ont été assez rapprochés des massifs de terre qui couvraient les Russes, ils oût pu les franchir sans obstacle, attendu qu'il n'existait pas de remparts régulièrement organisés.

Voici à cet égard une note extraite d'un ouvrage qui verra bientôt le jour.

Je le tiens de l'obligeance de l'un des généraux illustres qui ont pris part à ce siège fameux.

Permettez-moi de la lire, elle jettera la lumière sur cette question controversée.

« Frappés de la longueur du siège de Sébastopol, quelques officiers étrangers ont émis l'opinion que les escarpes revêtus en maçonnerie se sont pas d'une utilité incontestable dans la défense des places fortes.

« Sébastopol, vaste camp retranché défendu par des fortifications de campagne à grand profil, tirait sa principale force d'un armement tel qu'on n'en peut rencontrer que dans un grand arsenal maritime, et d'une armée nombreuse qui a toujours conservé ses libres communications avec l'intérieur de la Russie.

« Si l'enceinte eût été pourvue de bonnes escarpes revêtues, s'il avait fallu y faire brèche pour pénétrer par des passages difficiles en arrière desquelles nos têtes de colonne auraient rencontré une armée, Sébastopol eût été une forteresse inexpugnable.

« Que l'on compare en effet les travaux d'attaque de Sébastopol à ceux d'un siège ordinaire, on verra qu'au 8 septembre 1855, jour du dernier assaut, on n'avait exécuté, après les plus grands efforts, que les cheminements qui précèdent le couronnement du chemin couvert ; on n'était donc pas encore entré dans la période des travaux les plus difficiles et les plus meurtriers d'un siège, et il n'y avait pas lieu de s'y engager, puisque les fossés et les parapets de l'enceinte n'étaient pas infranchissables, ainsi que l'événement l'a prouvé. La difficulté était de vaincre l'armée russe sur un terrain préparé de longue main pour sa défense tout autant que de surmonter l'obstacle matériel de la fortification. Nos places d'armes étant établies à 30 mères des ouvrages assiégés, on avait pu choisir l’instant du combat et s'élancer à l'improviste sur l'ennemi que les feux de notre artillerie avait forcé de s'abriter jusqu’au dernier moment sous ses nombreux blindages ; aller plus loin, c'eût été provoquer l'armée russe à prendre l'initiative de l’attaque.

« L'absence des murs d'escarpe qui auraient mis la place à l'abri de l'escalade, n'exerçait pas moins d'influence sur la défense, car les assiégés étaient forcés d'avoir en permanence, à la gorge des ouvrages, de fortes réserves prêtes à repousser l'assaut dont ils se sont vu menacer dès le commencement du siège.

« Enfin, il est à remarquer que ces réserves, qui ont été décimées nuit et jour par les feux concentriques de nos batteries, pouvaient sortir de l’enceinte par de larges débouchés sans passer par les étroits défilés que forment les ponts-levis des places revêtues ; elles étaient donc une menace permanente pour les assiégeants qui se trouvaient exposés à voir leurs tranchées inopinément envahies par la majeure partie de l'armée russe.

« On ne se trouvait donc, ni d'un côté ni de l'autre, dans une position analogue à celle que présente le siège d'une place forte qu'une bonne escarpe en maçonnerie met à l'abri de l'insulte. »

(page 1303) En définitive que veut-on faire à Anvers ? On veut faire une expérience, inaugurer un nouveau système. On veut une enceinte à prix réduit.

Ainsi dans le projet de grande enceinte du gouvernement on propose les dehors obligés du système bastionné dans son maximum de force, on les supprime ; on propose des escarpes revêtues, car le renversement d'un batardeau suffit pour livrer les remparts à une attaque de vive force, on veut les supprimer également.

Eh bien, si j'étais Anversois, je repousserais de pareilles propositions ; je n'accepterais qu'une enceinte à l'épreuve, une enceinte qu'on puisse défendre et non celle que l'on nous offre.

La Chambre elle-même doit la repousser au point de vue de la bonne défense de la position. L'enceinte remplacera à la fois la place actuelle et le camp retranché de Berchem. Elle doit donc présenter une force suffisante pour tenir lieu de ces deux lignes. Il faut dès lors qu'elle soit la plus forte possible.

Quelle serait la conséquence de l'établissement d'une enceinte franchissable partout, comme le disent des hommes très compétents et dans lesquels nous devons avoir toute croyance ? Si Anvers doit renfermer ce que nous avons de plus cher, quel est le général qui oserait défendre à outrance une pareille place ?

Je dis que si Anvers doit avoir une enceinte comme la désire la section centrale, on n'osera pas y attendre l'assaut, car ce serait livrer la ville et tout ce qui s'y trouve aux chances horribles d'une ville prise d'assaut. Prenez-y garde, l'adoption d'un pareil système réduit la défense de la position d'Anvers à celle des forts détachés.

Messieurs, l'idée d'agrandir Anvers au sud dans l'avenir est dans tous les esprits, personne ne la repousse. Si donc nous faisons une nouvelle enceinte, qu'elle soit solide et forte. Donnons-lui un tracé convenable et non un tracé qui nous rendrait la risée de l'Europe. Il ne faut pas, au point d'attaque, un angle favorable à l'attaque, mais de longues lignes droites, propres aux grands combats d'artillerie. Donnez enfin à vos travaux de défense toute l’ampleur et toute la solidité qu'ils comportent.

- La séance est levée à quatre heures et un quart.