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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 16 décembre 1858

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 247) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Vermeire procède à l'appel nominal à 2 heures.

M. Vander Stichelen donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vander Stichelen présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des habitants d'Opvelp demandent l'impression du rapport de la commission pour la langue flamande. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Le sieur Rolle présente des observations sur l'application qui lui est faite des dispositions de la loi relative aux dépôts de mendicité. »

- Même décision.


« Le comice agricole de Soignies réclame l'intervention de la Chambre pour que le département des travaux publics fasse abattre les peupliers du Canada qui sont plantés le long de la grande route de Mons à Bruxelles. »

- Même décision.


« Les membres du conseil communal et des cultivateurs d'Esschene demandent l'établissement d'un droit d'entrée sur le houblon. »

M. J. Jouret. - Cette pétition, messieurs, émane d'un corps constitué fort respectable présidé par un honorable membre du Sénat. Il signale un état de choses qui serait de nature à causer du préjudice à l'agriculture. Je demande donc le renvoi de cette pétition à la commission permanente de l'industrie, avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Des propriétaires de bois dans la province du Luxembourg demandent la suppression du droit sur les charbons de bois à la sortie par la frontière du Grand-Duché du Luxembourg. »

M. Pierre. - Par la pétition dont il vient d'être fait analyse, des propriétaires de bois dans la province de Luxembourg demandent la suppression du droit de 6 p. c. ad valorem, en principal, soit 7 p. c, additionnels compris, qui pèse encore sur les charbons de bois à la sortie par la frontière du grand-duché de Luxembourg. en conformité de la loi ou 26 avril 1853, taudis qu'en destination de France l'exportation est libre, aux termes du traité de 1854. Par diverses autres pétitions qui nous ont été adressées dans les premiers mois de l'année courante, la même demande nous a été faite. Un vœu, dans ce sens, a été exprimé par le conseil provincial du Luxembourg. Les pétitionnaires se plaignaient alors, avec raison et fondement, comme ils le font maintenant de nouveau, de l'injustice ayant pour objet de maintenir le droit de sortie dont il s'agit. Il faut bien le reconnaître avec les réclamants, ce droit frappant exclusivement la propriété boisée du Luxembourg, constitue un véritable surcroît d'impôt foncier tout exceptionnel, dont la justification ne me semble point possible.

S'il est vrai de dire que cette sorte d'impôt foncier exceptionnel n'est pas équitable, il n'est pas moins vrai de dire que les conséquences de cet impôt, dans son application, ne sont pas plus irréprochables et justes. Je n'examinerai point ici ces conséquences que les pétitionnaires indiquent et démontrent suffisamment. Les pétitions précédentes, tendantes au même but que celle dont nous sommes saisis en ce moment, ont été renvoyées à notre commission permanente de l'industrie. Cette commission, en son rapport du 15 avril dernier, a trouvé la demande des pétitionnaires fondée et elle a donné, sans réserve aucune, l'autorité de son approbation aux motifs sur lesquels les pétitionnaires se basent pour réclamer la suppression du droit en question. La commission a conclu au renvoi des pétitions à M. le ministre des finances, en l'engageant à saisir la première occasion de supprimer ce droit dont le maintien est injustifiable et irrationnel. Dans cet état de choses, ce serait perdre du temps mal à propos que de renvoyer à la commission permanente d'industrie la pétition nouvelle, puisque les motifs et le but sont absolument les mêmes que ceux des pétitions antérieures, en la matière qui nous occupe. Je propose donc le renvoi direct à M. le ministre des finances, en le priant de bien vouloir statuer le plus promptement possible, car la saison des approvisionnements de bois, dans laquelle nous sommes imprime un caractère particulier d'opportunité et d'urgence à la décision à intervenir.

M. d'Hoffschmidt. - J'appuie les observations que vient de présenter l'honorable M. Pierre. Il me semble que le gouvernement peut fort bien maintenant prendre une résolution en parfaite connaissance de cause ; car, ainsi que l’a fait remarquer l'honorable M. Pierre, d'autres pétitions, tout à fait identiques, nous sont déjà parvenues et ont été renvoyées à la commission permanente de l'industrie, laquelle a donné des conclusions tout à fait favorables. Depuis, le conseil provincial du Luxembourg a pris aussi une résolution tendante à ce que l'attention du gouvernement fût appelée sur cette question. Dès lors, il n'y a plus aucune raison sérieuse qui puisse s'opposer à la demande des pétitionnaires, et je ne sais pas s'il y a lieu de la renvoyer encore à la commission de l'industrie, qui ne pourrait prendre que les mêmes conclusions, ou s'il ne serait pas préférable de la renvoyer directement à M. le ministre des finances.

Il me semble cependant qu'il serait plus régulier de la renvoyer de nouveau à la commission de l'industrie ; cette commission pourrait vous soumettre très promptement son rapport, qui ne saurait être que favorable à la demande des pétitionnaires. De cette manière il n'y aurait guère de perte de temps et nous nous conformerions à tous nos précédents.

M. Loos. - Je ne puis qu'appuyer les considérations qu'ont fait valoir les honorables préopinants. J'ai demandé la parole quand j'ai entendu proposer par le bureau le renvoi de la pétition à la commission de l'industrie, parce que je crois que ce renvoi est parfaitement inutile. La commission de l'industrie à l'unanimité, si mes souvenirs sont fidèles, a déjà statué sur cette question ; une première fois, elle a proposé le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances, en appuyant très vivement la demande des pétitionnaires. Je crois donc qu'elle ne pourrait proposer que les mêmes conclusions ; c'est-à- dire le renvoi à M. le ministre des finances. Or, peut-être M. le ministre des finances a-t-il déjà arrêté quelque mesure à cet égard, ou bien peut-être est-il à même de nous donner une explication qui rendrait le renvoi de la pétition superflu.

M. Orban. - Je me joins à mes honorables collègues pour appuyer la réclamation des pétitionnaires ; mais puisque la commission permanente de l'industrie s'est occupée déjà de la question des charbons de bois, il me semble qu'elle pourrait fort bien s'occuper aussi de la question des écorces ; les deux questions sont identiques, et, bien qu'il existe, sur la sortie des écorces, une prime en faveur du port d'Anvers, j'espère que l'honorable M. Loos voudra bien se joindre à moi pour demander que l'on supprime le droit de 6 p. c. dont les écorces sont frappées à leur sortie par terre.

() page 264) M. Vermeire. - Je crois qu'il est convenable que toutes les pétitions soient renvoyées à la commission des pétitions, laquelle, en faisant son rapport, peut demander le renvoi ou à la commission d'industrie, ou à l'un de MM. les ministres.

Il me paraît donc que la pétition dont on s'occupe devrait d'abord être renvoyée à la commission des pétitions.

M. Pierre. - Je ne puis acquiescer à la proposition que fait l'honorable M. Vermeire.

Pour éviter des lenteurs, j'avais proposé le renvoi immédiat à M. le ministre des finances. L'honorable M. Vermeire voudrait le renvoi à la commission des pétitions, qui viendrait ensuite nous proposer le renvoi à la commission d'industrie. Il en résulterait une perte de temps considérable.

Pour concilier toutes les prétentions et rester dans les voies suivies par la Chambre, je propose le renvoi à la commission d'industrie, avec prière de faire un prompt rapport.

M. Loos. - Je ne m'oppose pas à ce renvoi. Mais j'ai fait pressentir quelles seraient les conclusions de la commission d'industrie.

M. le président. - C'est une affaire de forme.

- Le renvoi à la commission d'industrie, avec prière de faire un prompt rapport, est ordonné.


« M. Coppieters 't Wallant, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1859

Discussion du tableau des recettes (II. Péages)

Domaines

Trésor publics

(page 247) La discussion continue sur l'article Postes.

M. Vermeire. - Messieurs, mon intention, en prenant la parole dans ce débat, n'est pas de me livrer à un examen approfondi de la question qui est agitée devant vous. Les orateurs qui m'ont précédé se sont chargés de cette tâche et je ne pourrais qu'affaiblir les arguments qu'ils ont produits, si je venais ajouter à leur œuvre.

Je concède très volontiers que le prix du transport des lettres qui n'était primitivement que la rémunération d'un service rendu, a dégénéré depuis en impôt.

Je me bornerai donc à constater, d'abord, que la réforme postale à 10 cent. est de droit, du moment que le produit net de deux millions est atteint, que conséquemment le gouvernement n'a point la faculté, mais bien l'obligation de concéder la réforme.

J'examinerai ensuite, eu peu de mots, quels seraient les résultats financiers de la taxe uniforme à 10 centimes.

Il me semble, messieurs, que si l'on se reporte à la discussion qui a eu lieu eu 1849 au Sénat, la réforme postale à 10 centimes est acquise du moment que le produit net de 2 millions est atteint.

L'honorable M. d'Hoffschmidt, dans le discours qu'il a prononcé hier, a tâché de démontrer le contraire, a soutenu que le gouvernement restait maître de la situation ; que cela résultait des opinions qui avaient été émises par certains orateurs du Sénat.

Je crois qu'en pareille matière, il faut surtout prendre acte des garanties qui sont données par le gouvernement. Or, il s'agit de savoir si ces garanties sont formelles. D'autres orateurs vous ont déjà rappelé les engagements qui ont été pris à cet égard par le ministre des travaux publics de l'époque, lequel disait que la taxe uniforme à 10 centimes serait établie du moment que le produit net de 2 millions aurait été atteint ; et pour qu'il n'y eût pas de malentendu sur les bases d'après lesquelles le produit net devait être établi, il déclarait qu'on se servirait des mêmes éléments consignés au budget des travaux publics pour l'exercice 1848.

Si l'on procède de cette manière, le produit net est, non pas de 2 millions, mais de 2,400,000 IV.

Maintenant, messieurs, le produit net ne devrait, ce me semble, porter que sur les recettes qui sont faites du 1er janvier au 31 décembre d'une année. A-t-on procédé de cette manière dans les calculs qui nous ont été présentés ? Je ne le pense pas. En effet, si on défalque du produit obtenu eu 1857 le nombre des timbres-poste qui étaient encore en circulation au 31 décembre de cette année, il me semble qu'on devrait alors également porter en recette le nombre des timbres-poste qui étaient en circulation au 31 décembre de l'année antérieure. Or, ces deux chiffres, rapprochés l'un de l'autre, constatent que le nombre des timbres-poste en circulation au 31 décembre 1856 avait une valeur de 193,700 fr., tandis que celui des timbres-poste qui étaient en circulation au 31 décembre de l'année 1857 n'avait plus qu'une valeur de 134,350 francs ; de manière qu'au lieu de diminuer la recette de ce chef, il faudrait au contraire l'augmenter de 60,000 fr.

(page 248) Messieurs, la taxe uniforme de l0 centimes constituera-t-elle le trésor en perte d'un million, comme l'ont fait entendre plusieurs orateurs ? Pour moi, je ne le pense pas et je crois que cette démonstration peut être fournie d'une manière péremptoire. Il est un fait bon démontré : c'est que la plus grande perte à résulter de cette réforme doit se produire durant les premières années.

Lorsqu'on compare le produit de l'année de 1847 au produit de l'année 1849, l'on voit que pour le transport des lettres la différence n'est que de 800,000 fr., que cette différence diminue d'année en année et qu'en 1854 le produit dépassait déjà celui de l'année 1847 ; de manière qu'en cinq exercices on est parvenu à récupérer les pertes qu'on avait faites sur les exercices antérieurs.

Dans les tableaux qui nous ont été distribués par le gouvernement, nous ne trouvons pas les éléments nécessaires pour établir d'une manière exacte notre opinion sur la perte éventuelle qui pourrait résulter de la réforme.

Ainsi l'on confond parmi les lettres simples, les lettres qui payent des ports extraordinaires, celles qui pèsent au-delà de dix grammes, les lettres chargées, et enfin les lettres recommandées.

Ainsi le tableau qui se trouve à la page 32 de la note qui nous a été remise par le département des finances est intitulé :lettres transportées à l'intérieur du royaume au-delà de 30 kilomètres et payant 20 c et au-dessus. Pour pouvoir apprécier la perte éventuelle à résulter de la réforme à 10 centimes pour les lettres simples, on aurait dû nous renseigner la quantité de ces lettres qui sont transportées au-delà du premier périmètre. C'était un renseignement indispensable qu'on a oublié de nous donner.

Dans la supposition que les lettres simples transportées à plus de 30 kilomètres fussent du quart ou même de la moitié des lettres qui nous sont renseignées, la perte à résulter de la réforme, au lieu d'être d'un million, serait réduite à 200 ou 300 mille francs au plus.

Je ne pense pas que ce soit pour un résultat aussi mesquin que le gouvernement voudrait retarder cette dernière réforme, alors que des engagements aussi formels lui en font une obligation.

Je dois encore faire observer qu'on ne porte pas au compte de la poste les lettres qui sont transportées par le chemin de fer, en dehors de la poste, et pour lesquelles on paye un port extraordinaire d'un franc. Ce produit devrait encore figurer dans la colonne de l'avoir de la poste.

Maintenant peut-on raisonnablement mettre à la charge du compte des lettres, toutes les dépenses indiquées, tous les frais de transport sur le chemin de fer et d'autres encore ? Mais si on procédait de cette manière, il faudrait, pour être juste, établir les parts de frais afférentes au transport des journaux et des imprimés qui se remettent à des prix assez réduits pour constituer le trésor en perte sur ces opérations.

Ainsi, en 1847, le timbre des journaux existait ; il a été supprimé en 1848 ; il en est résulté que beaucoup de journaux ont été créés et que leur transport s'est développé d'une manière vraiment prodigieuse.

Enfin, messieurs, de quelque manière que l'on envisage la question, il y a, d'après moi, obligation formelle, de la part du gouvernement, à réduire la taxe au taux uniforme de 10 centimes, du moment que le produit net de 2 millions sera atteint ; et ce produit net ne peut être déterminé, d'après les déclarations de M. le ministre des travaux publics de l'époque, qu'en prenant les éléments qui figuraient au budget de 1848.

Je suis également convaincu que la perte, au lieu d'être d'un million, ne s'élèvera pas à beaucoup près à ce chiffre.

Par ces motifs, messieurs, je voterai pour la proposition de l'honorable M. Orts.

M. Vander Donckt. - Messieurs, dans la séance d'hier, l'honorable M. Vandenpeereboom a longuement développé les motifs d'où il a voulu déduire qu'il y a engagement pris et par le gouvernement et par la Chambre, qu'il y a obligation au moins morale de réduire la taxe des lettres au taux uniforme de 10 centimes dès que le produit net de 2 millions serait atteint. Je ne suivrai pas l'honorable membre dans l’énumération des chiffres qu'il a groupés à ce sujet, mais je soutiens que la taxe des lettres, comme toutes les autres impositions, sont de la catégorie de charges qui rentrent dans la loi du budget qui doit être annuellement soumise par le gouvernement à la législature et votée par elle, et dès lors, il me semble que toute cette éloquence est faite en pure perte et que nous sommes parfaitement libres d'examiner la question de ce qu'on est convenu d'appeler la réforme postale, de l'admettre ou de la rejeter, et qu'aucun pouvoir n'a pu lier ni le gouvernement ni la Chambre.

L'honorable membre a beaucoup insisté aussi sur cette considération que nos finances sont actuellement dans une situation très favorable. Ce fait est réel, messieurs, il a été rappelé récemment encore dans un passage du discours du trône dont l'honorable membre a reproduit les termes ; mais, messieurs, dès l'instant où ce fait a été connu, n'avons-nous pas vu surgir de toute part des réclamations tendantes à faire réduire les charges qui pèsent sur les contribuables ? Les uns ont demandé la décharge d'une partie de la contribution foncière, et ils avaient raison ; d autres ont demandé des réductions sur les péages des canaux et rivières ; parmi ceux-ci, il en est qui ont plus spécialement réclamé une réduction des péages sur le canal de Charleroi ; d'autres encore ont demandé des réductions sur le tarif des douanes ; d'autres enfin demandent la réforme postale, d'où il résulterait immédiatement une réduction de vos produits.

Eh bien, messieurs, ne vous semble-t-il pas qu'il est beaucoup plus rationnel, plus raisonnable, plus sage et plus prudent de laisser au gouvernement l'appréciation de la question d'opportunité et de lui abandonner l’option ou le choix des décharges d'impôts qui lui paraîtraient le plus convenables. Car soyez-en convaincus, les honorables membres de cette assemblée qui plaident le plus énergiquement la cause de la réforme postale, seraient bien embarrassés de leur succès s'ils parvenaient à triompher. Et, pour ma part, si je voulais susciter des embarras et des désagréments au gouvernement, je n'hésiterais pas un instant à adopter l'amendement proposé.

Dès qu'il s'agit de diminuer les charges publiques toutes les catégories des contribuables font valoir leurs griefs ; tout impôt a son côté odieux et chacun cherche à s'y soustraire ; les hommes sont faits ainsi et à mon point de vue je classerais la taxe des lettres dans la dernière ligne de celles qui exigent une réforme.

La plupart des partisans de la réforme sont tombés dans une contradiction assez étrange. Ainsi, comme l'a fait remarquer déjà M. le ministre des finances, l'honorable M. Lelièvre s'est plaint de ce que l'impôt n'atteignît pas, dans une proportion équitable la propriété mobilière, et immédiatement après il est venu se contredire en réclamant la réforme postale. Et en effet, en définitive, qui est-ce qui paye surtout la taxe des lettres ? Mais, messieurs, ne sont-ce pas en grande partie les personnes aisées appartenant aux finances, les industriels, les négociants ?

Il n'est pas exact de dire le commerce et l'industrie en général, car on ne peut pas y comprendre les petits industriels, les détaillants, ni les petits commerçants, attendu que leurs relations sont généralement circonscrites dans le rayon de 30 kilomètres. Je parle des banquiers, des grands industriels, des grands négociants, des gens riches enfin, de ceux qui renferment leur fortune dans un portefeuille. Eh bien, je le demande, pouvons-nous dédaigner un revenu auquel les personnes fortunées prennent la plus large part, et cela dans un moment où nous pouvons avoir à réviser plusieurs de nos lois financières ? Car, messieurs, ne nous le dissimulons pas, après la révision de la contribution foncière, nous arriverons immédiatement et nécessairement à la révision de la contribution personnelle. A cette occasion, vous serez indubitablement amenés à diminuer notablement les charges qui pèsent sur les classes moyenne et inférieure de la société ; et comme il a été constaté déjà par des statistiques que les riches sont en si petit nombre, qu'il n'est pas permis de compter sur une compensation de la perte qui résultera pour le trésor de la révision de la contribution personnelle ; il me semble que c'est là un motif très sérieux de plus pour laisser au gouvernement l'initiative de la mesure qu'on réclame et le soin de la prendre quand la situation du trésor le permettra.

Une autre contradiction dans laquelle ont donné les honorables partisans de la réduction du port des lettres, c'est celle-ci : ils ont longuement appuyé sur le système anglais. Ce système était un système de progrès ; c'était ce qu'il fallait adopter pour la Belgique ; mais, ces honorables membres ont oublié une circonstance, c'est qu'en effet la taxe des lettres en Angleterre est uniforme, mais que les documents que nous a distribués le gouvernement nous apprennent qu'à côté de la taxe uniforme des lettres, il y avait en Angleterre une réserve pour les imprimés ; que, tandis qu'ici la feuille d'imprimé circulait dans toute la Belgique, pour un centime, en Angleterre, elle payait 10 centimes, c'est-à-dire dix fois autant. Le tableau comparatif que nous avons reçu et qui est un document authentique, nous prouve qu'en Angleterre on paye une foule de taxes pour des transports qui coûtent 1 centime en Belgique et 10 centimes en Angleterre.

Je demande aux honorables membres, partisans de la réforme, pourquoi ils ne nous proposent pas franchement, carrément le système anglais tout entier. Qu’ils nous le proposent, nous l'examinerons. Pourquoi donc le tronquer, le mutiler et n'y prendre que ce qui vous convient ?

Mais, nous répondra-t-on, nous ne voulons pas que les imprimés soient taxés à 10 centimes. Cependant, messieurs, ne nous faisons pas illusion ; le gouvernement transporte les imprimés à perte. Si l'on ne tenait compte que du produit de ce transport, il faudrait que le gouvernement augmentât la taxe sur les imprimés. Mais il y a d'autres considérations pour lesquelles ou a cru qu'il fallait maintenir cette taxe d'un centime.

Messieurs, le système anglais a produit pendant plusieurs années une perte très considérable pour le trésor de ce pays. Cependant, les partisans de la réduction de la taxe dans cette Chambre n'en prennent que la partie favorable à leur opinion, et ils repoussent ce qui est encore le correctif de ce système. Cela ne me paraît ni logique ni rationnel.

Je crois que, pour être juste, il faut laisser au gouvernement le soin de juger de l'opportunité d'alléger les charges qui pèsent sur les contribuables et ne pas anticiper sur sa décision. Car, dans ma manière de voir, la réduction de la taxe des lettres devrait être rangée dans la dernière classe des réductions à faire. Il y aurait beaucoup plus de raisons pour en opérer sur les autres impositions, connue nous en avons déjà une preuve quant à la patente des bateliers, sur la contribution personnelle, sur les péages des canaux et rivières, toutes charges qui pèsent lourdement sur les contribuables. Il y aurait en faveur de ces réductions des (page 249) motifs beaucoup plus urgents, plus péremptoires que pour la réduction du port des lettres à 10 centimes.

Messieurs, la charge qui résulte de la taxe des lettres est pour le contribuable très peu sensible. Elle est d'ailleurs la rémunération d'un service rendu. De tous les impôts ceux qui sont volontaires, auxquels ou se soumet de bon gré ou que l'on peut éviter, sont certainement les préférables.

Il est donc rationnel de diminuer d'abord les charges qui pèsent sur les contribuables et qui sont plutôt forcées que de réduire les charges qui sont volontaires. Celui qui ne veut pas payer la charge d'un port de lettre n’écrit pas.

On s’est encore longuement appuyé sur une autre considération. On a dit : les conscrits, les militaires qui sont violemment enlevés à leur famille, à leurs foyers et qui sont sous les drapeaux, sont assujettis à une charge trop lourde pour correspondre avec leur famille. Mais je suppose qu'aux 10,000 conscrits qui sont sous les armes on distribue chaque trimestre un timbre de 10 centimes je suis persuadé que la plupart d'entre eux le changeraient pour augmenter leur argent de poche, et se procurer le plaisir de boire un verre de genièvre ou un verre de bière.

Ce sont là, messieurs, des arguments beaucoup plus spécieux que réels, et pour ce motif, en me résumant, j'engage la Chambre à laisser au gouvernement le soin de juger de l'opportunité du moment de faire des réductions, et de choisir les réductions s'il y a lieu d'en opérer.

M. le président. - La parole est à M. Orts.

M. Orts. - J'ai cédé mon tour de parole à M. Loos.

M. Loos. - Après le discours si substantiel prononcé hier par mon honorable ami M. A. Vandenpeereboom, il me reste peu de chose à dire ; j'aurais même renoncé à prendre la parole, si je n'avais pensé qu'on pourrait supposer que j'ai déserté la cause que je défends depuis que j'ai l'honneur de siéger à la Chambre.

En effet, messieurs, dès les premières années de mon entrée nu parlement, j'ai cherché à faire adopter par le gouvernement une mesure qui avait produit d'aussi bons effets dans un autre pays au point de vue libéral

Il est hors de doute que la réforme postale est une mesure véritablement libérale. Faciliter la transmission des idées, répandre la lumière, mettre les habitants des diverses provinces du pays en communication plus facile les uns avec les autres, est, me paraît-il, travailler à augmenter le sentiment patriotique dans le pays et répandre les idées de nationalité dans nos diverses provinces. Je suis resté avec le sentiment qui me guidait alors. Il me semble encore aujourd'hui que la réforme postale est une des réformes les plus utiles que nous puissions introduire dans notre législation.

En effet, messieurs, personne n'a contesté l'utilité de cette réforme. Mon honorable ami vous a fait hier les noms des membres qui se sont associés à nous en 1849. Ce sont les hommes qui ont le plus contribué à la création de notre nationalité. Tous ceux qui s'honoraient de professer des opinions libérales dans cette enceinte ont été d'accord pour demander la réforme postale.

Ne serions-nous plus d'accord aujourd'hui ? Je ne puis le croire. Je crois que les idées qui ont été émises alors subsistent encore aujourd'hui chez leurs auteurs. Seulement on croit que, dans le moment actuel, la réforme postale pèserait trop lourdement sur le trésor.

Messieurs, je crois qu'il a été fait justice de cet argument qui consiste à dire que les 2 millions qui étaient prévus en 1849 ne sont pas atteints aujourd'hui.

La réforme postale rencontre dans notre pays à peu près l'opposition qu'elle a rencontrée en Angleterre. L'opinion des hommes qui sont au pouvoir n'est pas hostile à la réforme. Trop de circonstances se sont présentées dans lesquelles ces honorables membres ont fait connaître leur opinion. Ils ne sont pas personnellement hostiles à la réforme ; mais d'où vient donc cette opposition que nous rencontrons aujourd'hui ? Je me hâte de le dire, parce que les mêmes faits se sont produits en Angleterre : c'est l'influence des bureaux.

Pour les bureaux, la réforme postale est un embarras immense. Ce sont des mesures de toute nature à prendre ; c'est de l'activité plus qu'ordinaire qu'on demande ; c'est la création de nouveaux services et je ne m'étonne pas que cela ait de l'influence.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a rien à faire.

M. Loos. - Je vous dirai, M. le ministre, que c'est parce qu'il n'y a rien à faire ou plutôt parce qu'on n’a rien fait, que vous devez disputer aujourd'hui si le chiffre de 2 millions est ou n'est pas atteint. Si l'on ne veut pas faire la réforme aujourd'hui, c'est parce qu'on n'a rien fait et qu'on ne fera rien, à moins que la Chambre n'en décide autrement.

En Angleterre aussi c'est l'influence des bureaux qui a retardé la réforme postale d'au moins dix ans. Nous avions devant nous un grand fait accompli, la réforme anglaise. Il ne nous a donc pas fallu dix ans pour arriver à une première réforme, mais de la manière dont on y va, il est à craindre qu'il ne faille dix ans aussi pour arriver à la seconde partie et nous mettre de niveau avec la réforme anglaise. A quoi a-t-il tenu cependant qu'une réforme complète fût décidée ? La Chambre l'avait votée. Un autre corps a pensé qu'on pouvait encore attendre quelques années, qu'il ne fallait pas toucher d'une manière imprudente à la situation du trésor. On a voulu voir enfin si par la première réforme le résultat net de la poste pourrait se maintenir à 2 millions.

Pour moi, je crois avec l'honorable orateur qui a pris la parole dans la séance d'hier, que le résultat est incontestable et que les 2 millions qu'on avait prévus en 1849 existent bien réellement comme résultat de l'exploitation de la poste.

Messieurs, ce qui, pour moi est la preuve que l'opposition que nous rencontrons aujourd'hui est le résultat de l'influence des bureaux, ce sont les motifs qu'on nous oppose, pour ne pas faire la réforme.

On nous dit : Vous voulez réduire le port des lettres à 10 centimes, tandis qu'il est encore, dans le pays, tant de communes qui n'ont pas même un bureau de perception ou de distribution. Laissez-nous faire d'abord cette réforme, et quand nous l'aurons faite, nous verrons s'il faut arriver à l’abaissement du prix des lettres.

Eh bien, messieurs, on disait aussi en 1849 : Il y a de grandes améliorations à opérer dans le service des postes et il faut faire jouir des bienfaits de ce service jusqu'au moindre hameau de la Belgique.

Nous avions déjà aboli le décime rural, premier bienfait pour les campagnes ; il restait à créer dans le pays des bureaux de distribution et des bureaux de perception. Aujourd'hui on nous dit : Attendez que toutes les communes du pays soient dotées de bureaux de poste et alors seulement nous pourrons abaisser la taxe.

Je le demande, messieurs, si, au lieu de se croiser les bras on s'était, dès la première réforme, occupé de doter toutes les communes du pays d'une distribution de lettres, aurions-nous le droit de prétendre aujourd'hui que le chiffre de 2 millions est atteint ? Non, messieurs, vous dites qu'il faut 30,000 fr. pour créer dans toutes les communes du pays une distribution régulière de lettres ; eh bien, ces 300,000 fr. vous les eussiez ajoutés à vos dépenses, et nous aurions ajourné peut-être l'époque où il nous aurait été permis de constater, comme on le fait aujourd'hui, qu'en réalité le chiffre de 2 millions est atteint.

Remarquez, messieurs, que c'est grâce à nous, que c'est grâce à ceux qui demandent la reforme postale, que les communes du pays, qui n'ont pas encore de bureaux de poste, en seront enfin dotés. ; c'est parce que nous exigeons aujourd'hui l'exécution d'un engagement pris en 1849, c'est parce, que nous insistons pour la réforme postale, qu'on examine sa conscience, qu'on se demande : Avons-nous fait dans l'intérêt public tout ce qu'il était possible de faire pour obtenir de la poste les plus grands services qu'elle soit susceptible de rendre ? et on se met à dire, non pas dans l'intérêt des commîmes, mais pour combattre la réforme, on se met à dire : Beaucoup de communes ne sont pas encore dotées de bureaux de distribution.

Messieurs, ce qui prouve encore qu'il y a parti pris, dans l'administration, de ne pas arriver au but que nous désirons, c'est la manière dont on groupe les chiffres dans les comptes de dépense des postes, pour nous prouver que le chiffre de deux millions n'est pas atteint : on est obligé de dire : Nous ne compterons pas le produit des journaux, le produit des imprimés, le produit des offices étrangers, nous ne compterons pas le produit des transports d'argent, le produit des lettres chargées.

Je crois même que l'administration des postes ne serait pas éloignée d'admettre qu'il ne faut porter au compte des recettes réelles que le produit des lettres affranchies, toutes celles dont le port est payé à l'arrivée n'ayant pas subi l'influence de la réforme.

Qu'il me soit permis de le dire, messieurs, je ne vois dans tout ceci que de la mauvaise volonté, j'y vois un parti pris de la part de l'administration, j'y vois le même esprit d'opposition systématique qui existait également dans l'administration anglaise.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est inutile d'attaquer l'administration ; je suis ici le représentant de l'administration et j'accepte la responsabilité unique de tout ce qu'elle fait.

M. Loos. - Je ne me crois pas obligé de parler comme M. le ministre le désire ; j'ai le droit de m’exprimer comme je l'entends.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous n'avez pas le droit d'attaquer l'administration ; attaquez le ministre.

M. Loos. - En Angleterre aussi le chef de l'administration a pris très courageusement la responsabilité de l'opposition faite à la réforme, mais il n'en a pas moins été reconnu que c'était principalement l'influence des bureaux qui avait agi sur le ministre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous faites le roman de l'histoire.

M. Loos. - Il est impossible au chef du département de préparer tous ses chiffres, il doit nécessairement les demander et on les groupe un peu selon le but que l'on veut atteindre ; c'est ce qui est arrivé pour le document relatif à la réforme postale, mais, en définitive, messieurs, votre impartialité jugera s'il faut, oui ou non, comprendre dans la recette tout ce qu'on a jugé convenable d'en élaguer. Vous savez tous qu'on fait dire aux statistiques à peu près tout ce qu'on veut qu'elles disent.

On semble s'effrayer de cette uniformité du prix de transport des lettres pour toutes les parties du pays. Mais ne transportez-vous pas les journaux dans toute l'étendue du pays à raison d'un centime par feuille ? Ne transportez-vous pas les imprimés, les livres à raison d'un centime par 16 pages ? Ainsi de Verviers à Ostende ou d'Arlon à Anvers vous (page 250) transportez pour 20 centimes un volume de 320 pages et vous craignez de transporter une lettre pour 10 centimes !

Cette uniformité de taxe existe pour le chemin de fer. Le volume dont je viens de parler serait transporté par le chemin de fer dans quelque partie du pays que ce fût pour 50 centimes.

Ces prix uniformes pour les imprimés par la poste et par le chemin de fer ne sont pas dus aux instances de la Chambre ; ils sont dus à l'initiative du gouvernement. Pourquoi craindre d'appliquer le même principe au transport des lettres ?

S'il faut en croire l'honorable M. Valider Donckt, la réforme que nous demandons ne profiterait qu'aux riches. C'est la première fois que j'entends dire pareille chose. Tous ceux qui, en 1849, défendaient avec nous la réforme postale, croyaient qu'elle devait profiter à d'autres qu'aux riches ; ils attachaient beaucoup d'importance à l’influence morale qu'elle devait exercer sur les classes inférieures de la société.

Aujourd’hui la réforme postale ne devrait profiler qu'aux riches, c'est-à-dire qu'il n'y a que les riches qui écrivent des lettres. Je ne crois pas, messieurs, que ce soient les riches qui écrivent le plus de lettres ; je crois que ce sont le commerce et l'industrie, comme on nous l'a aussi objecté, et je ne crains pas d'accepter cette objection.

Admettons que le commerce et l'industrie doivent le plus profiter de cette mesure ; mais le commerce et l'industrie ne sont-ils pas la source la plus féconde, la plus abondante de la prospérité du pays ? La plupart des mesures que vous prenez dans cette enceinte, excepté celles de l'ordre moral, n'affectent-elles pas d'une manière favorable ou défavorable le commerce et l'industrie ? N'est-ce pas en vue de la prospérité de l'industrie et du commerce que nous sommes occupés la plus grande partie de l'année ?

J'admets donc que c'est principalement en faveur du commerce et de l'industrie que la réforme profiterait d'abord, mais elle profiterait aussi à toutes les conditions de la vie sociale, à toutes les classes de la société. Quant à moi, j'envisage encore la mesure comme la plus libérale qui puisse être prise à l'époque actuelle. C'est assez vous dire que je voterai pour toutes les mesures qui seraient proposées dans le but d'arriver à ce résultat.

M. Julliot. - Messieurs, l'honorable M. Vandenpeereboom, dans son exorde, nous a dit : que la majorité donnait le plus entier, le plus complet concours au ministère.

Mais, pour donner ce concours, il me semble que la majorité devrait suivre le cabinet et renoncer à la prétention de le mener.

Nous pouvons puiser un exemple dans notre histoire politique qui pourrait, peut-être servir à démontrer que les majorités qui veulent être les leaders de leur cabinet, sont celles qui font craquer l'échafaudage gouvernemental, comme l'a dit hier cet orateur.

J'espère donc que l'honorable ministre des finances répondra à la séduisante et courtoise invitation de l'honorable M. Vandenpeereboom, non pas par des concessions et des faiblesses, mais par des politesses réciproques. Ce sera bien vu, c'est comme il faut et je préfère cet échange à celui de gros mots.

L'honorable député d'Ypres a placé en grande partie toutes ses forces sur les paroles de l'honorable M. Rolin ; cet ancien ministre a été utilisé d'une manière extraordinaire, on l'a soumis à une haute pression, on l'a retourné dans tous les sens.

Messieurs, l'honorable M. Rolin avait la parole facile ; il est Flamand comme moi, c'est un embarras, car nous traduisons nos idées du flamand en français, et alors ce n'est pas étonnant que nous ne soyons pas toujours très clairs. D'ailleurs, quoi qu'il en soit, ce ministre n'a pu engager l'avenir pas plus qu'un de nous. La question se présente entière devant nous.

J'aborde maintenant le fond même pour ce qu'il vaut au point de vue économique.

Messieurs, le parlement n'ayant pas de questions bien importantes à l'ordre du jour, on a donné à cette maigre affaire de poste, une portée colossale, qu'elle ne comporte pas ; on dirait que nous allons asseoir la Belgique sur de nouvelles bases.

On nous dit : Le pays nous observe, le pays attend avec impatience. Je dis que le pays n'attend rien du tout, si ce n'est la bonne gestion de ses finances et l'absence de nouveaux impôts.

Puis c'est au nom du commerce, le commerce nous somme de nous exécuter, on dirait que le monde est fait pour l'agrément personnel du commerce.

Le commerce est un élément social indispensable, mais il ne vaut pas mieux qu'un autre ; nous nous intéressons à lui, et parfois nous faisons des lois de sûreté à son endroit, on le met même quelquefois en contact avec des chimistes, mais là n'est pas la question. Je constate seulement qu'on parle an nom du petit commerce et que le haut commerce se tient dans les coulisses.

Je voterai donc contre la réforme postale :

1" Parce qu'il ne m'est pas démontré que les deux millions de revenu net sont acquis.

2° Parce que, fussent-ils même acquis, il y a encore trop d'améliorations à faire dans le régime postal pour nous dépouiller des moyens d'y parvenir en réduisant la taxe des lettres.

Je connais, dans le Limbourg, des communes où les lettres adressées à six lieues de distance dans la province d'Anvers, n'arrivent que le troisième jour, et je conclus que les réclamations si vives des pétitionnaires bruxellois et anversois reposent en partie sur leur ignorance de ce qui se passe en dehors de chez eux, car je ne puis croire qu'ils soient assez égoïstes pour vouloir nous maintenir dans cette situation.

Je vote encore contre cette réforme, parce que, si on peut réduire cet impôt, il en est d'autres qui méritent la préférence, ce sont ceux qui pèsent plus directement et plus lourdement sur le travail.

Je dis que le revenu net de la poste est un impôt léger qui frappe plus spécialement des revenus qui se soustraient à peu près à tout autre impôt et ne payent presque rien dans l'intérêt do leur sécurité.

C'est encore la terre qui paye le gendarme préposé à la garde du coffre-fort.

Si je pouvais atteindre ces nombreuses richesses mobilières, je ne les manquerais pas, question du reste à examiner sous peu et à figurer au premier programme à faire.

Selon moi, les vrais représentants de ces capitaux ont tort d'éveiller, à propos d'une niaiserie, toute notre attention ; ils vont se faire discuter, voilà le bénéfice réel qu'ils vont en retirer.

Enfin je ne vois dans toute cette affaire qu'un remue-ménage oligarchique de deux cents maisons de haut commerce et de banque, secondées par MM. les journalistes qui aussi feraient quelques bénéfices sur leurs correspondances ; bénéfices dont ils feraient profiler leurs abonnés peut-être ; de là, l'idée a été débattue dans les cabarets où elle a été acclamée sans examen préalable ; chacun contait que son journal l'avait dit ; donc c'était comme cela.

C'est-à-dire que, dans cette question, comme dans plusieurs autres, le peuple proprement dit réclame une réforme qui tournera contre lui ; il demande à être fouetté ; et s'il réussit, il le sera, car quand le découvert sera fait, c'est au peuple qu'on s'adressera d'abord pour le combler.

Selon moi, la poursuite de cette idée est une popularité qui fait fausse route ; je crois avoir démontré que les différentes catégories qui réclament cette réforme se préparent des verges.

Je me demande si les banques, les sociétés anonymes, le haut commerce et le journalisme même ne pourraient se contenter de la place qui leur est faite.

Personne plus que moi ne respecte la presse qui est une puissance morale considérable, quand elle est véridique et loyale ; elle a le droit de discuter nos actes et moi je me crois le droit de lui donner un conseil d'ami, celui de ralentir quelque peu son feu dans cette question, car quand il faudra de nouveaux impôts, il sera possible qu'il se trouve une chambre assez avancée et assez rétrograde à la fois pour demander un impôt proportionnel à toutes les diverses valeurs qui y échappent dans l'état actuel de notre législation.

Je félicite donc M. le ministre des finances d'avoir défendu le peuple contre ce courant qui l'entraînait contre ses propres intérêts.

Néanmoins, je suis très conciliant, et si les partisans de la réforme venaient me proposer, en remplacement de notre système, le système complet de tout autre pays, y compris celui de l'Angleterre et des Etats-Unis, je l'accepterai sans examen ultérieur pourvu qu'il soit copié exactement, dans toutes ses parties, car le système belge est celui qui, pris dans son ensemble, rend le service général des postes au meilleur compte de tous les systèmes qui existent dans les cinq parties du monde. J'ai dit.

M. Mascart. - L'uniformité, messieurs, n'a pas un charme assez grand à mes yeux pour que j'embrasse avec ardeur celle qui nous est proposée et qui doit avoir pour conséquence une perte de 800.000 fr. à un million que le trésor public ne récupérerait pas d'ici à longtemps. Elle en aurait une autre, celle de faire ajourner en même temps les améliorations importantes qu'on est à la veille de réaliser.

Ce sont ces mêmes motifs qui me firent voter en 1849 contre la taxe uniforme à 10 centimes, que ses partisans présentaient comme un moyen puissant de venir en aide au trésor public : on peut dire que le temps a soufflé sur cette croyance.

Je n'ai pas la prétention, messieurs, de vouloir justifier l'exactitude des chiffres produits par le gouvernement pour démontrer que le produit net de 2 millions n'est pas atteint. Je n'ai demandé la parole que pour indiquer une des causes auxquelles il faut attribuer le mécompte constaté.

Comme on semble le croire généralement, la réforme postale n'est pas tout entière dans la taxe des lettres à 10 centimes, et c'est précisément parce qu'on n'a pas tenu compte de ce qui avait été fait antérieurement qu'il y a eu déception pour ceux qui avaient prédit en 1849 un si grand développement de correspondance.

La loi du 24 décembre 1847 a d'abord abaissé considérablement la taxe sur les imprimés ; plus tard, en 1848, on supprima le timbre des journaux, deux mesures excellentes qui rendirent possible la création de la presse à un bon marché inouï.

Bourrés de renseignements commerciaux de toute sorte, pénétrant partout en quantité presque innombrable, ces journaux ne font-ils pas l’office de correspondants ?

Certes, on ne pouvait pas prévoir en 1849 le rôle qu'ils devaient remplir plus tard au point de vue commercial, parce que les mesures adoptées à leur égard étaient trop récentes.

(page 251) En 1857, la poste a transporté 4,842,874 imprimés et 22,820,634 journaux.

Eu 1858 le produit des imprimés est évalué à 86,800 francs et celui des journaux à 387,500 francs, ce qui représente une circulation de 38,750,000 feuilles.

La moyenne dépasse 37 millions.

Ces journaux et imprimés qui sont, aujourd'hui de véritables correspondants et pour toutes sortes d'intérêts doivent nécessairement avoir pour résultat d'enrayer le développement de la correspondance écrite et cachetée.

Il faut maintenir et préférer cette situation, car elle profite au plus grand nombre, tandis que l'établissement de la taxe uniforme ne profiterait qu'à un nombre de personnes comparativement très restreint.

Avant la suppression du timbre et l'organisation de la poste rurale, telle qu'elle existe maintenant, les journaux étaient peu répandus dans les petites villes et les campagnes. Ils n'y arrivaient que d'une manière irrégulière et souvent deux ou trois jours après leur publication. Beaucoup d'industriels et principalement les brasseurs, les meuniers, les boulangers, les marchands de farine, les gros fermiers avaient des correspondants dans la ville où était leur principal marché. Aujourd'hui un journal, qui leur coûte douze ou quatorze francs, et parfois la moitié seulement, les renseigne plus complétement, plus sûrement et plus vite que tous les correspondants d'autrefois. Il pourvoit à de nombreux besoins auxquels il n'était satisfait précédemment que par la voie de la correspondance ordinaire.

Je ne serais pas étonné que la moitié des journaux à bon marchés eût pour cause le besoin de renseignements commerciaux, et alors, l'Etat ne s'impose-t-il pas un sacrifice considérable, dans l'intérêt du commerce et de l'industrie, en transportant ces journaux à toute distance à raison d'un centime par numéro, sans bénéfice aucun, tandis qu'en Angleterre, pays qu'on cite connue modèle en matière de réforme postale, le fisc prélève une taxe de 10 centimes par numéro, taxe qui pèse lourdement sur les affaires ?

Assurément si l'Etat prélevait une taxe de 10 centimes sur tout imprimé, les 38 millions de journaux, de circulaires, de lettres de mariage et de décès descendraient à un chiffe très bas ; mais par contre le nombre de lettres cachetées augmenterait inévitablement.

Quoique je ne sois pas partisan pour le moment de la réforme postale, parce que je suis convaincu que le produit net de deux millions n'est pas atteint, je ne puis pas admettre comme exacts tous les chiffres que produit le gouvernement pour s'opposer à la mesure. Il y en a un qui me paraît spécialement contestable.

Ainsi, pour évaluer le produit net en 1858, on défalque de la somme de 4,404,900 francs, produit brut présumé, celle de 129,000 francs représentant environ un million de timbres-poste non annulés

Mais ce million de timbres représentent-ils bien une dette de 129,000 fr. due par l'Etat ? Quand le gouvernement les a émis, il a contracté un emprunt remboursable à vue, mais le remboursement n'est pas intégral, il s'en faut de beaucoup. Pour la somme de 129,000 fr. qu'il a reçue, il n'est astreint qu'à un service qui lui coûte seulement 70,000 francs. Les 59,000 francs qui forment la différence constituent le bénéfice de l'opération. Ce bénéfice il doit forcément le réaliser, car lui seul peut racheter ou rembourser les timbres-poste et il ne fait l'opération que dans les conditions avantageuses posées par la loi.

Les timbres-poste pourraient être assimilés à une monnaie ayant cours forcé, dont la valeur nominale serait presque double de la valeur réelle et que l'Etat ne rembourserait qu'au taux de celle-ci. Ce n'est donc pas 129,000 francs qu'il faut défalquer du produit de 1858, mais seulement 70,000 francs environ.

En appliquant ces données à toute la période de 1849 à 1858, période qui a laissé dans la circulation de sept à huit millions de timbres-poste, la somme de 985,000 francs qu'ils représentent et qu’on considère comme une dette réelle, cette somme devrait être abaissée de tout te bénéfice que l'Etat aurait réalisé par leur emploi. Il n'en résulterait pas encore que le produit net de 2 millions fût atteint ; aussi voterai-je contre la proposition des honorables MM. Orts et Vandenpeereboom.

M. B. Dumortier. - Messieurs, deux de nos honorables collègues ont déposé une proposition, afin de mettre la Chambre à même de faire connaître son opinion sur la réforme postale. Il y avait jusqu'à présent beaucoup de doutes sur cette question. Le vote que la Chambre est appelée à émettre viendra les dissiper.

Et d'abord, je ferai remarquer que déjà dans la séance d'hier l'honorable M. d'Hoffschmidt a admirablement établi que la stipulation de l'article 10 de la loi de 1849 devait être appréciée d'après les développements donnés par l'honorable M. Spitaels, auteur de la proposition au Sénat.

L'honorable membre, en expliquant cette proposition, ne lui a pas le moins du monde donné la portée que lui donnent l'honorable M. A. Vandenpeereboom et ses amis. C'est une simple faculté laissée au gouvernement pour le cas où il jugerait utile d'en user, pour le cas où les finances de l'Etat le permettraient. Quant à moi, j'aime beaucoup mieux que ce soit la Chambre qui soit juge de l'affaire. En effet, je ne comprends pas comment la législature actuelle pourrait se trouver invinciblement liée par la législature d'il y a dix ans.

Lorsqu'on admettait, il y a dix ans, l'article 10, était-ceq dans le prédicament où l'on se trouve aujourd'hui ? Non, on était dans une situation complétement différente. Il y a 10 ans, on était sous le régime des hypothèses ; aujourd'hui on vit sous le régime des faits accomplis ; il y a dix ans, on se berçait d'illusions sur les avantages de la réforme postale, aujourd'hui on a devant les yeux les résultats d'une longue expérience accomplie. Je ne comprends donc pas comment la Chambre qui est armée du grand instrument de la certitude devrait se regarder comme liée par la décision d'une Chambre qui vivait dans l'ordre de l'incertitude, qui en était aux tâtonnements, qui se livrait à des prévisions que l'expérience a déclarées fausses !

En effet, lorsqu'on a proposé la taxe uniforme à 10 centimes, on s'est imaginé qu'on obtiendrait des résultats tout à fait différents de ceux qui ont été réalisés. Déjà, dans une occasion précédente, M. le ministre des finances vous l'a exposé avec une lucidité parfaite, on s'attendait alors à des résultats tout différents, on pensait qu'en très peu de temps on arriverait au chiffre de 2 millions et que ce chiffre même serait de beaucoup dépassé, et c'est en raisonnant de la sorte qu'on disait que dans un an ou dans deux ans le gouvernement établirait la taxe uniforme à 10 centimes, on ne prévoyait pas qu'on dût attendre une dizaine d'années pour parvenir à ce résultat.

Il est un point important qu'il ne faut pas perdre de vue : Lorsque la Chambre a fixé le chiffre de deux millions pour la somme à laquelle le produit de la poste devait arriver, c'était le produit de l'époque ; or ce produit n'était pas immobilisé.

Chaque année, dans les exercices antérieurs, le produit de la poste s'augmentait de 120,000 à 125,000 fr. par le progrès incessant de la société belge, c'est-à-dire que si on n'avait pas fait une réforme en 1849, nous aurions maintenant un produit supérieur de 1,200,000 fr. à celui que nous avions à cette époque, c'est-à-dire que si nous faisions aujourd'hui la réforme postale pour la première fois, ce ne serait pas un capital de deux millions que nous aurions à fixer pour la somme à laquelle le produit net de la poste devrait arriver, ce serait un capital de 3,250,000 fr.

Voilà quelle était la marche de la recette. Aujourd'hui faut-il se rapporter à ce que cette recette était il y a dix ans ? faut-il ne pas tenir compte des augmentations qui auraient eu lieu sans la réforme, ne pas tenir compte du préjudice considérable que le trésor souffre déjà, faute d'avoir en caisse cette augmentation normale qui, chaque année, s'accomplissait régulièrement comme une horloge ?

Ou perd trop de vue la vérité des faits. Pourquoi vouloir réduire la taxe des lettres à 10 centimes ? Voyons les pays qui nous environnent. En France, par exemple, il y existe, comme en Belgique, une taxe à 10 et une autre à 20 centimes. Se plaint-on en France le moins du monde de cet état de choses ? Il en est de même en Belgique. Je n'ai jamais entendu quelqu'un se plaindre de la taxe actuelle des lettres, et vous voudriez bénévolement réduire le produit de cette taxe d'un million ! Vraiment, je ne conçois pas un pareil système. Je conçois que la Chambre vote des diminutions de recette, quand le pays les réclame, quand les impôts sont trop lourds, ou quand ils pèsent principalement sur les clauses malheureuses ; moi, dans ce cas, je serais le premier à voter ces réductions ; mais devons-nous agir de même pour des impôts qui ne provoquent aucune plainte ?

A la vérité, il est quelques personnes qui se sont constituées les champions de la réforme postale, parce que, suivant elles, la recette des postes n'est pas un impôt. A mes yeux, cela n'a rien de sérieux ; c'est un véritable jeu de mots.

Il s'agit, dit-on, d'un service public ; oui, c'est un service public, et c'est la plus belle manière d'établir les impôts. Pour mon compte, je ne trouve rien au monde de plus juste que de voir l'Etat recevoir une rémunération des services qu'il rend ; cela ne vaut-il pas beaucoup mieux que de prélever des impôts sur de pauvres diables, sur tous les contribuables ?

Il y a une autre considération qui me frappe tout particulièrement. J'entends dans l'opinion libérale parmi ceux de mes honorables adversaires qu'on appelle les jeunes, j'entends souvent dire des choses que j'admets : savoir qu'il est juste que le pauvre paye le moins d'impôts possible, que l'argent doit être donné par celui qui le possède ; j'approuve cette manière de voir. La taxe des lettres, si elle n'est pas un impôt, sur qui pèse-t-elle ? Sur les personnes qui ont le moyen de payer.

Dans une précédente discussion, l'honorable M. Frère, je pourrais vous signaler une vingtaine de personnes qui profiteraient de la presque totalité de la somme dont vous voulez réduire la taxe des lettres. Quels sont ceux qui payent la plus grande partie de la taxe des lettres ? Ce sont ceux qui écrivent beaucoup de lettres ; ceux qui écrivent beaucoup de lettres sont ceux qui font beaucoup d'affaires et, par conséquent, qui gagnent beaucoup d'argent ; ce sont ceux-là que vous voulez dégrever !

Vous vous dites jeunes, oc sont les pauvres que vous voulez dégrever. Soyez donc conséquents avec vous-mêmes.

Déjà nous avons poussé les choses extrêmement loin en matière de poste. Autrefois il y avait un timbre par lettre suivant les distances. et la moyenne était de 40 à 50 centimes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - De 50 centimes.

M. B. Dumortier. - Soit, do 50 centimes ; voyez la différence, elle est aujourd'hui de 15 ou 16 centimes ; il y avait un timbre de 5 centimes sur les journaux, une taxe de 5 centimes par feuille d'impression qui s'expédiait et une taxe de 10 centimes sur les lettres de faire-part, qui sont un objet de luxe ; aujourd'hui on le transporte à un centime (page 252) ce qui m'a toujours paru fort ridicule. J'ai vivement combattu le dégrèvement des lettres de faire-part, parce que cela ne concerne que les personnes riches.

Vous avez réduit le timbre dos journaux de 5 à 1 centime, vous avez réduit le port des imprimés de 5 à 1 centime, vous avez également réduit à 1 centime de 10 qu'il était le port des lettres de faire-part, vous réduisez sur tout, et à chaque instant vous voulez des augmentations au budget de dépenses. Comment voulez-vous faire marcher l'administration quand vous avez voté des augmentations de dépenses ? Si vous n'avez pas d'argent, vous devrez voter de nouveaux impôts et mettre la main dans la poche des contribuables, comme je le disais tout à l'heure.

Vous verrez si le peuple sera enchanté de voir dégrever de riches banquiers ! Ce sont les charges des pauvres diables qu'il faut diminuer. Si vous avez trop d'argent, dégrevez la partie de la population à laquelle vous dites vous intéresser, mais à laquelle vous ne songez pas en réalité.

L'impôt le plus lourd, c'est la patente qui pèse sur les boutiquiers qui habitent les petites villes.

Ceux d'entre nous qui habitent des petites villes savent combien cet impôt est écrasant. Autrefois les petites villes étaient des centres d'approvisionnement pour les campagnes ; aujourd'hui, il y a des marchés dans toutes les bourgades, on y trouve des magasins de toute espèce de denrées, des marchands de draps, des modistes ; le petit boutiquier des villes est dans une détresse qui mérite de fixer toute votre attention.

L'honorable M. Frère l'a bien compris, car il a supprimé la patente de 60 mille petits boutiquiers ; c'est là un acte de très bonne administration, un acte dont je lui sais gré. Si vous avez trop d'argent, continuez à marcher dans la même voie, mais ne dégrevez pas les riches, ce qui est une souveraine injustice.

Les professions les plus lucratives en Belgique payent des patentes disproportionnément petites à côté des petits boutiquiers ; les banquiers payent une patente 40 ou 50 florins, (Interruption.)

Peut-être plus, mais c'est exceptionnel ; à côté de cola, vous avez le petit boutiquier qui paye une patente de 10 ou 20 francs. Du temps du roi Guillaume, on se plaignait de la différence énorme qui existait entre ces patentes, que répondait le ministre ? Nous ne pouvons pas imposer davantage les banquiers, parce qu'ils ont l'impôt des ports de lettres, les lettres qui arrivent à leur office constituent un impôt.

Si maintenant vous supprimez l'impôt des ports de lettres supporté par les banquiers et que vous n'augmentiez par leur patente, vous commettez une injustice envers les petits boutiquiers.

Si vous avez trop d'argent, réduisez l'impôt qui pèse sur les petits ; déjà 60 mille ont été dégrevés, c'est un bienfait, c'est un acte de bon gouvernement ; continuez.

Mais y a-t-il trop d'argent ? Là est la question. Moi je dis non, et je crois qu'il n'est pas prudent de diminuer les impôts. Nous avons une dette flottante qui déjà a été réduite considérablement, je le reconnais, de 24 millions qu'elle était, on l'a réduite à 12 millions. C'est une très bonne chose, car il n'y a pas de situation plus dangereuse pour un pays que d'avoir une dette flottante quelle qu'elle soit ; car qu'une crise arrive, qu'une situation européenne un peu grave se présente, vous avez besoin d'argent pour mettre votre armée sur pied ; que vous fassiez un emprunt forcé, il sera absorbé par vos créanciers ; il ne vous restera rien pour faire les affaires du pays. C'est déjà un grand bien que notre dette flottante se trouve réduite à 12 millions, réduisons-la encore dans l'intérêt du pays, pour la sûreté de notre indépendance, pour nous mettre à l'abri des événements qui peuvent survenir ; quand nous serons à l'aise, que nous nagerons dans les excédents de recettes, nous pourrons songer à diminuer les impôts ; mais en attendant cet heureux temps, il ne serait pas sage, il ne serait pas prudent, il ne serait pas d'une bonne administration, d'un bon gouvernement de supprimer ou de réduire un impôt quelconque et à plus forte raison un impôt qui pèse sur le riche, un impôt dont personne ne se plaint, qui n'est pas à charge de la population.

Je voterai donc contre l'amendement de MM. Vandenpeereboom, et Orts et j'espère que ce vote prouvera au gouvernement que les réclamations qui lui sont arrivées, quelque respectables qu'elles soient, ne sont pas l'expression du pays et que la Chambre actuelle n'est pas solidaire de la Chambre d'il y a dix ans.

M. Muller. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion. Cependant, la liste des orateurs inscrits paraissant épuisée, je crois convenable de motiver mon vote, qui sera négatif, sur l'amendement présenté par les honorables MM. Orts et Vandenpeereboom.

Je n'examinerai pas si, en 1849, la Chambre ou plutôt les deux branches de la législature ont décidé que lorsque le produit net de la poste aurait atteint la somme de 2 millions, le gouvernement devrait réduire la taxe au taux uniforme de dix centimes. Ainsi que l'ont déjà fait remarquer d'autres orateurs, il est inadmissible que la législature de 1858 puisse en cette matière être liée par ce qui a été fait par celle de 1849 ; s’il en était ainsi, nous nous serions, en définitive, dépouillés d'une partie de nos droits de représentants.

Nous réformons des lois ; nous changeons celles qui nous paraissent offrir des caractères vicieux et exiger des corrections, et nous ne serions pas parfaitement libres de nous prononcer dans un sens que nous croyons conforme aux intérêts du pays, sur la question qui nous occupe aujourd'hui ! On parle de promesses ; je n'admets pas qu'on ait pu prendre des engagements spéciaux envers telles ou telles catégories de contribuables ou de négociants. En supposant qu'une promesse eût été faite, ce ne peut avoir été qu'au pays, et la représentation nationale en étant la manifestation légale, c'est à elle à juger si elle veut oui ou non que cette promesse soit accomplie, si la réalisation n'en serait pas onéreuse.

Examinons la situation actuelle, et nous reconnaîtrons qu'elle n'est pas du tout celle de 1849. A cette époque on se faisait illusion, et l'on ne doit en adresser de reproches à personne, tout le monde, par un instinct qui porte naturellement l'homme à alléger les charges publiques lorsqu'il suppose que le dégrèvement n'aura que des conséquences tout à fait favorables et nullement fâcheuses, toutl e monde, dis-je, était porté pour la réduction de la taxe postale à 10 centimes

Aujourd'hui encore, messieurs, je considère cette réforme comme une chose désirable, mais d'un autre côté, envoyé dans cette enceinte pour défendre notamment les intérêts des contribuables, j'ai à me demander si cette satisfaction que nous procurerions particulièrement à une catégorie d'intéressés n'aurait pas un revers de médaille désastreux.

Eh bien, messieurs, sans entrer dans le détail des chiffres que je laisse à la controverse, recherchons quelle est la situation actuelle du trésor. Elle est satisfaisante, on l'a dit. Mais on ne tient pas compte des exigences légitimes des populations, qui se sont déjà manifestées au sein de cette assemblée.

On oublie qu'on vous a demandé une réduction sur les péages, qu'on vous a demandé l'abolition du droit de tonnage, une réduction sur le droit de pilotage. On oublie qu'il s'agit d'un remaniement de la contribution foncière, qui entraînera le trésor dans des frais dispendieux ; qu'il s'agit d'apporter des réformes à l'impôt personnel ; on oublie qu'une loi sur la milice est en ce montent en élaboration et qu'il est possible que cette loi doive, dans un esprit d'équité, imposer une charge nouvelle pour le trésor ; on oublie enfin la promesse, à laquelle nous avons applaudi, de construire des maisons d'écoles dans toutes les parties de la Belgique qui en sont encore dépourvues et que cette promesse ne pourra pas être réalisée sans que le trésor ait encore une fois à intervenir, soit directement, soit à titre de subside ; or, en pareille matière il faut que les subsides soient aussi larges que possible, car bien des communes sont pauvres.

Je dis donc, messieurs, que, sans condamner le moins du monde le principe de la réforme postale, je ne puis pas en admettre en ce moment l'application immédiate.

Je pense, d'ailleurs, comme l'honorable M. Dumortier, que si vous allez au fond des choses, vous reconnaîtrez que c'est une erreur d'établir une distinction entre le produit de la poste et les autres revenus publics, pour en conclure qu'il ne doit pas rapporter au-delà des frais qu'elle nécessite.

La taxe postale est la rémunération d'un service, dit-on ; mais, tous les impôts ne sont-ils pas la rémunération de services que rend le gouvernement, soit pour protéger votre pays, vos propriétés, vos personnes, votre industrie, soit pour encourager tout ce qui mérite les encouragements de l'Etat ? Or, quand on rencontre un impôt qui n'est pas injuste, qui ne frappe personne d'une manière trop onéreuse, qui est perçu facilement, qui n'est supporté que par ceux qui usent du service auquel il est attaché, je ne vois pas pourquoi on s’en plaindrait, comme d'une mesure inique, appelant une réforme urgente, primant les autres ; je ne vois pas pourquoi on modifierait cet état de choses, avant d'être convaincu qu'il sera possible de faire droit à d'autres réclamations dont le fondement serait plus incontestable.

Un mot encore et je termine. L'honorable M. Vandenpeereboom, qui a défendu la réforme postale avec un talent qui m'aurait rallié à sa cause, si je n'étais si vivement et à juste titre, je pense, préoccupé des conséquences qui pourraient en résulter pour le trésor, l'honorable M. Vandenpeereboom, dis-je, a engagé et le ministère et ceux de ses amis politiques qui ne pensent pas comme lui en cette occurrence, à donner une satisfaction au moins partielle, sur ce point, aux corps électoraux qui les ont portés au pouvoir et élus.

J'aurai toujours, comme mandataire, beaucoup d'égards et une grande déférence pour les vœux des contribuables ; notre sollicitude doit être à ce qui touche réellement à leurs intérêts ; mais c'est précisément, ici, je le déclare avec franchise, parce que je suis convaincu que la masse des Belges, qui prendront connaissance de nos débats, ne seront point aussi impatients d'obtenir la réforme postale, que les honorables auteurs de l'amendement les ont représentés ; c'est précisément par ce motif que je repousse l'amendement, sans toutefois me lier pour l'avenir, sans proscrire en aucune façon la réforme postale. Je me présenterai tranquillement et sans crainte, au sein du corps électoral, qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette enceinte ; et je dirai à ceux qui me demanderaient compte de mon vote :

« Je n'ai pas adopté la mesure proposée, mesure que l'on décore un peu pompeusement du titre de réforme postale, puisque, en réalité, la véritable réforme est opérée depuis 1849, sauf en faire jouir, quant à la rapidité des transports, toutes les localités du pays ; je n'ai pas voté en faveur de cette mesure parce que le gouvernement jugeait qu'elle n'est pas actuellement acceptable au point de vue des besoins et de la situation du trésor ; parce je n'ai pas voulu contribuer par mon vote à ajourner des réformes plus urgentes, sollicitées avec plus de motifs(page 253) impérieux ; parce que je n'ai pas voulu paralyser l'action d'un gouvernement libéral, auquel je suis sympathique ; parce qu'enfin j'ai craint que l'adoption n'eût pour conséquence plus ou moins prochaine l'établissement de nouveaux impôts. »

Je sais, messieurs ce qu'il en a coûté au ministre courageux qui, en 1851, était, comme aujourd'hui, placé à la tête du département des finances, pour braver l'impopularité passagère à laquelle il s'exposait en présentant une loi qui était nécessaire, l'impôt sur les successions en ligne directe.

Ce n'est donc pas moi qui le mettrai dans la position de subir de nouveau cette épreuve dont il est sorti victorieux, bien qu'on n'ait pas tenu assez compte de toute la résolution, de toute l'énergie qu'il lui a fallu pour faire triompher un principe juste, un impôt nécessaire, dans la vue de rétablir l'équilibre de nos finances.

(page 256) M. Orts. - Messieurs, ni l'un ni l'autre des auteurs de l'amendement sur lequel la Chambre va statuer, n'a attendu que l'honorable M. Muller rappelât les faits antérieurs pour rendre justice à l'énergie, au talent, à l'initiative de M. le ministre des finances en matière de réforme financière. L'honorable M. Vandenpeereboom et moi, dans la mesure très restreinte de nos forces, mais au moins avec dévouement et sympathie, nous avons aidé M. le ministre des finances à accomplir sa tâche. Nous le reconnaissons comme notre chef, comme notre guide dans la voie des réformes ; mais il nous rendra la justice de reconnaître aussi que nous avons été derrière lui des soldats dévoues.

Si nous insistons aujourd'hui, malgré M. le ministre des finances, pour obtenir le complément de la réforme postale, c'est parce que nous croyons que la tâche que nous avons commencée ensemble en 1848 n'est pas achevée, qu'il reste encore à faire aujourd'hui quelque chose que le pays attend.

La réforme postale a été incontestablement promise à cette époque. Je sais bien que les promesses que l'on fait au nom du pouvoir législatif, le pouvoir législatif peut s'en dégager plus tard, lorsque les trois branches qui concourent à son exercice sont d'accord sur ce point, de même que le pouvoir législatif peut réformer les lois votées à d'autres époques. Mais il n'en est pas moins vrai qu'une promesse a été faite, en 1849, au nom du gouvernement, de la Chambre et du Sénat, qu'on l'a offerte comme une garantie aux intérêts réclamant une réforme complète ; cette garantie a été mise sous les yeux du pays en 1849.

Et si nous avons le droit de nous délier de cette promesse, dans l'intérêt bien entendu du pays, il ne faut pas perdre de vue qu'il n'est pas bon d'habituer les populations à croire que les promesses du gouvernement, que les promesses des Chambres sont de ces choses que l'on donne comme une espèce de leurre, de piège, d'appât pour écarter les prétentions du moment, en se réservant plus tard de ne tenir aucun compte de ce qui aurait été donné. Ces déceptions sont mauvaises ; elles sont mauvaises, parce qu'elles diminuent, dans les populations, la loi, la confiance, que les gouvernés doivent avoir dans la parole des gouvernants.

L'honorable M. Vandenpeereboom vous a démontré, et sous ce rapport, personne n'a démenti ses chiffres, que l'éventualité prévue, en 1849 est atteinte ; nous n'avons pas entendu M. le ministre des finances et il est vrai que les chiffres sont sa spécialité ; mais, devant son silence, je le constate, je n'ai entendu aucun des orateurs, adversaires de l'amendement, ni l'honorable M. d'Hoffschmidt, ni l'honorable M. Dumortier, ni l'honorable M. Vander Donckt, établir, chiffres en main, que l'honorable M. Vandenpeereboom s'était trompé, en affirmant que le produit net de 2 millions était acquis aujourd'hui au trésor public.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'en charge, c'est mon affaire.

M. Orts. - C'est l'affaire de M. le ministre des finances ; oui, mais il paraît que l'affaire n'eût pas été faite du tout, si je n'avais pas parlé ; car on allait voter lorsque j'ai demandé la parole.

Il n'en est pas moins vrai que jusqu'à présent, et je le constate derechef, personne n'a renversé les arguments arithmétiques de l'honorable M. Vandenpeereboom. Je tiens donc pour acquis dans la séance d'aujourd'hui (nous verrons s'il y a quelque chose à retrancher demain) que l'époque fixée eu 1849 est l'époque actuelle, est l'époque de 1858.

Mais, dit-on, et c'est sur ce terrain que se sont placés les adversaires de l'amendement, « la poste est un bon produit, c'est un bon impôt ; c'est un de ces impôts qui ne pèsent que sur les classes riches ; personne ne se plaint de le voir percevoir, et si vous accordez la réforme postale aux auteurs de l'amendement, vous ouvrez la porte à de nouvelles exigences du trésor, et ces exigences se traduiront en impôts qui pèseront sur des populations moins aptes à les supporter. Vous réclamez la réduction d'un impôt qui pèse sur le riche et vous devrez établir une compensation en frappant sur la poche du pauvre. »

C'est là, messieurs, l'argument qui m'a le plus touché parmi ceux que j'ai entendus. S'il ne s'était pas produit, j'aurais considéré le discours de l'honorable M. Vandenpeereboom comme parfaitement debout à l'heure où je parle, et je ne me serais pas levé pour prolonger la discussion.

Messieurs, j'ai toujours entendu représenter comme une idée extrêmement populaire et démocratique l'idée de transporter les lettres à bon marché. Je n'ai jamais entendu affirmer avant aujourd'hui et avant que l'honorable M. Dumortier prît la peine de nous le démontrer, que le transport des lettres était une matière d'impôt, impôt qui n'atteignait que le riche.

Si nous nous arrêtons aux détails, on peut avoir raison. Je conviens, par exemple, que si l'on ne transportait pas les lettres de faire part, les lettres de mort et de mariage à un centime, si l'on exigeait, comme à Paris, 5 centimes, il n'y aurait pas grand inconvénient. Je concède cela à l'honorable M. Dumortier, et si M. le ministre des finances veut m’accorder le transport des lettres à 10 centimes, à condition de porter le prix du transport des lettres de faire part à 5 centimes, nous serons bientôt d'accord.

M. B. Dumortier. - Et les imprimés ?

M. Orts. - Pour les imprimés, je distingue. Pour les journaux, non, je ne veux pas que vous en releviez le port à 5 centimes.

D'ailleurs, croyez-le bien, si vous éleviez le port des journaux à 5 c., vous ne feriez pas les affaires de ceux qui ne sont pas riches. Vous établiriez un impôt qui pourrait avoir son utilité pour certaines gens et certaines idées, mais qui ne serait pas goûté de cette classe nombreuse de lecteurs acquise aux journaux depuis la réforme postale de cette nombreuse clientèle des journaux à 10 et à 12 fr. qui ne pourraient plus exister si vous ne transportiez pas ces journaux à 1 centime.

La taxe sur les lettres, avons-nous dit, ne peut pas être élevée, parce que ce n'est pas un impôt d'abord, et nous vous démontrerons surtout que ce n'est pas un impôt qui pèse sur le riche.

C'est le prix, disons-nous, d'un service rendu. Mais tous les impôts, répond l'honorable M. Muller, sont le prix d'un service rendu. Quand le contribuable paye un impôt quelconque, il acquitte le prix d'un service rendu ; le prix du service que vous rend le gouvernement en protégeant vos personnes, en protégeant votre industrie, en vous donnant une bonne administration, de bons juges pour rendre la justice, des troupes qui vous protègent à l'intérieur et à l'extérieur. L'impôt, cela est vrai, est la rémunération indirecte du travail gouvernemental. Mais la taxe des lettres a ce caractère particulier qu'elle est la rémunération directe d'un acte que le gouvernement pose, non comme gouvernement, mais que tout particulier peut poser et que le gouvernement n'a le droit de poser qu'à condition qu'il le fasse au meilleur marché possible, sans bénéfice.

M. B. Dumortier. - Comment ! sans bénéfice ?

M. Orts. - Je prie l'honorable M. Dumortier de ne pas forcer mes paroles et ma pensée. Je dis que quand le gouvernement s'attribue un monopole pour rendre un service que pourrait rendre un particulier, il fait une mauvaise chose, s'il ne rend pas ce service à meilleur marché que ne pourrait le faire le particulier. Vous avez en matière de postes le monopole des transports, et je ne vois pas qu'il y ait un intérêt public à ce que vous conserviez ce monopole, si vous ne transportez pas les lettres à meilleur marché que ne pourraient le faire les particuliers, pas plus qu'il n'y aurait un intérêt public à vous donner le monopole du transport des voyageurs dans les diligences.

Pourquoi, vous gouvernement, avez-vous le monopole de la poste ? Parce que l'on a compris que vous demanderiez moins cher pour ce transport que l'intérêt privé, et l'intérêt social exige que pareil service soit rendu au plus bas prix possible. La même raison vous a fait accorder le monopole de la fabrication des monnaies.

On a cru que vous présentiez plus de garanties de sincérité que l'intérêt privé et en même temps que vous pouviez faire cette fabrication à meilleur marché. On vous a accordé le monopole de la poste et le monopole de la fabrication des monnaies pour activer la circulation des idées d'une part, et la circulation de la richesse matérielle d'autre part.

La poste ne peut être un impôt, pas plus que le bénéfice de l'Etat sur la fabrication des monnaies.

Mais en supposant qu'il soit un impôt, est-il vrai qu'il ne pèse que sur le riche, que le dégrèvement que nous demandons profiterait à la Banque Nationale, à deux ou trois grands établissements et aux banquiers, que les classes inférieures n'en profiteraient pas. Messieurs, s'il en était ainsi, l'abaissement de la taxe de 20 à 10 centimes dans le rayon où elle fonctionne aujourd'hui, n'aurait pas amené une augmentation de lettres aussi considérable. Cette augmentation prouve que la réduction a permis d'écrire à des personnes qui n'écrivaient pas auparavant, parce que le port des lettres était trop cher. Vous ne direz pas sans doute que la Banque Nationale, par exemple, écrira une lettre de plus parce que la taxe sera abaissée de 10 centimes, que nos grands établissements, que nos banquiers reculent devant la taxe à 20 centimes.

Mais supposons que nos grands établissements financiers, industriels ou commerciaux payent dans une forte proportion la rétribution perçue par la poste. Croyez-vous que les classes qui ont besoin du service de ces établissements ne payent pas la taxe des lettres ? Est-ce que le banquier, l'industriel, voire même la Banque Nationale ne tiennent pas compte du port de lettres qu'ils sont obligés de verser au trésor, à ceux qui ont besoin de leur intermédiaire ? Est-ce que ces banquiers, ces établissements, ces industriels ne font pas entrer en ligne de compte dans le prix du service rendu, dans le prix de la marchandise vendue, leurs frais de correspondance ? Le prix des choses et des services n'est-il pas réduit à mesure que les frais généraux diminuent ? Voulez-vous un exemple ? Quand vous recevez un retour après un protêt, est-ce que celui qui a fait protester ne porte pas en compte au débiteur, le port de lettres et ce port n'est-il pas d'autant plus considérable, que la taxe est plus élevée ?

Je demande à M. le ministre des finances, puisqu'il doit maintenant prendre la parole, de bien vouloir répondre à la question que je vais poser.

Est-ce que M. le baron de Rothschild qui est chargé pour le gouvernement belge du service de la dette publique à l'étranger, ne porte pas ses ports de lettres en compte, et ne les porte-t-il pas d'autant plus élevés que la taxe des lettres est plus forte ? Incontestablement oui. Eh bien, ce que M. le baron de Rothschild fait pour son client le gouvernement belge, tout banquier le fait pour ses clients ; et le client du banquier n'est pas l'homme riche.

D'ailleurs, a-t-on fait le compte exact de la proportion qui existe entre (page 25) les lettres d'affaires et les lettres d'affection ? Ce compte n'est pas possible. Le gouvernement ne peut ouvrir les lettres ; il n'a pas de données. Mais je suis convaincu que le nombre de ces dernières lettres est très considérable, et que ce nombre augmente à mesure que les facilités postales deviennent plus grandes. Je suis convaincu que le nombre des lettres de cette seconde catégorie augmentera à mesure que vous permettrez à ceux qui doivent regarder aujourd'hui à un port de lettre, de communiquer leurs sentiments, leurs pensées, leurs souvenirs à leur famille, à leurs amis.

Ne dites donc pas que la réduction de la taxe des lettres ne profitera qu'aux classes riches.

On a écrit quelque part, je crois que c'est dans les renseignements officiels donnés par M. le ministre des finances, que les pauvres gens n'écrivaient pas à des distances dépassant 30 kilomètres ; leurs relations ne s'étendent pas au-delà.

Je crois que l'auteur de cet argument s'est complétement trompé.

En général, le pauvre, dénué de ressources, éprouve assez de peine à en trouver et doit les aller chercher au loin.

L'ouvrier s'éloigne à grande distance de se famille pour trouver le travail qui lui manque ; il ne peut s'arrêter au rayon de 30 kilomètres. Nombre de gens besogneux, appartenant aux Flandres par exemple, vent chercher du travail dans les provinces wallonnes. Ils éprouvent là d'autant plus vivement le besoin d'écrire à leurs proches, à leurs amis, qu'ils sont placés au milieu d'une population parlant une autre langue, douée d'autres mœurs, d'autres usages, toutes choses qui font regretter davantage la famille et le clocher du village natal, qui augmentent dès lors le désir de correspondre.

Et lorsque vous prenez les miliciens dans les campagnes pour les envoyer dans les garnisons, est-ce que vous respectez le rayon de 30 kilomètres ? Et ces miliciens arrachés au foyer n'usent-ils pas largement de la poste aux lettres ?

Il y a donc incontestablement profit pour la classe inférieure et moyenne dans la réforme que nous réclamons en ce moment. Ne niez pas l'évidence.

Je ferai pour conclure une comparaison. Soutiendra-t-on qu'abaisser l'accise sur la bière, qui est la boisson du pauvre, ce serait faire l'affaire des brasseurs et non pas de ceux qui boivent ? (Interruption.) On me dit : Oui ! cela est vrai dans le principe, mais la concurrence est là qui abaisse bientôt le prix dans la proportion exacte de l'abaissement des droits sur la fabrication. Sans cela il serait parfaitement inutile au point de vue des consommateurs de réduire un impôt de consommation quelconque établi sur la fabrication.

S'il était vrai, messieurs, que lorsqu'une réforme ne va pas directement et exclusivement trouver les classes ouvrières, cette réforme doit être systématiquement repoussée, s'il était vrai que nous ne devons pas tenir compte d'autres intérêts que de l'intérêt direct de la classe ouvrière, alors nous pourrions, en matière d'impôt, nous renfermer dans un cercle excessivement étroit, dès le moment où il ne s'agirait pas de taxer les objets de première nécessité, nous n'aurions plus à nous inquiéter de la manière dont les impôts seraient établis.

Du reste, je n'ai pas toujours trouvé l'honorable M. Dumortier aussi plein de sollicitude pour l'intérêt des classes pauvres, qu'il semble l'être lorsqu'il s'agit de combattre la réforme postale.

Quand j'ai demandé des réductions de droits d'entrée sur une foule d'objets servant à l'habillement du pauvre, je n'ai pas trouvé d'appui chez l'honorable membre.

M. Dumortier. - Je ne veux pas qu'on favorise les produits anglais au détriment du travail national.

M. Orts. - Ce que je désire avant tout, c'est que l'ouvrier belge puisse trouver à s'habiller chaudement et proprement, fût-ce même avec des étoffes anglaises. Un bon habit, même anglais, vaut toujours mieux que de n'avoir pas d'habits du tout. Lorsque nous serons arrivé à vêtir bien et à bon marché les Belges qui courent en haillons, un beau jour aura lui pour moi et pour le pays.

Quand j'ai demandé la libre entrée de la houille, le chauffage du pauvre, je ne crois pas que l'honorable M .Dumortier soit venu davantage m'appuyer ; je n'ai pas souvenir de l'avoir trouvé à mes côtés dans cette occasion.

La réforme postale est demandée dans l'intérêt des riches ! Il faudra combler le vide du trésor en pressurant le pauvre ! Je comprendrais encore l'argument si, en définitive, nous venions demander au trésor un sacrifice immense.

On nous fait un fantôme des impôts nouveaux qui vont grever les classes de la société les moins capables de les supporter. Où est cette nécessité d'impôts nouveaux ? Allons-nous, avec notre petit amendement qui doit avoir pour conséquence l'établissement de la taxe uniforme à 10 centimes, allons-nous absorber 8 à 9 millions ? On affirmait, dans une circonstance que l'honorable M. Alp. Vandenpeereboom a rappelée, que des excédants de recette de 5 à 6 millions étaient assurés au trésor pendant plusieurs années.

Eh bien, ces 5 à 6 millions, voulons-nous les avaler ? Non ; nous nous bornons à demander une réforme qui, au dire même de nos honorables adversaires, n'amènera qu'un déficit de 600,000 à 800,000 francs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Un million au minimum.

M. Orts. - Admettons un million au minimum selon vous ; au maximum selon moi et transigeons, donnez-moi ce million ; je vous en laisse quatre ; et avec ces quatre millions d'excédant vous ne serez pas évidemment dans la nécessité de grever les classes inférieures de la société.

Sans doute, si l'on trouve la réforme postale moins utile qu'une foule de dégrèvements dont on vient entretenir la Chambre, ce serait une autre affaire. Oui, si vous croyez que la réduction des droits de tonnage et de pilotage sur l'Escaut, par exemple, réduction qui doit profiter au seul port d'Anvers, soit plus utile que la réforme postale qui intéresse toute la Belgique, alors il est possible que nous allions plus loin dans la voie des sacrifices que la proportion d'un million.

Si l'on croit que la contribution foncière, par exemple, dont la réduction paraît être désirée par l'honorable M. Muller, pèse sur les classes inférieures de la société, oh ! alors nous sommes d'accord. Il s'agit encore d'une réduction préalable de la contribution personnelle ? Cette contribution pèse-t-elle sur les classes inférieures ? Evidemment, si c'est là ce qu'on veut, on peut être d'accord.

Mais la réforme postale, à mon avis, est plus utile que tout cela, et, j'ose affirmer que cette réforme serait bien mieux accueillie par l'immense majorité des contribuables que ne le serait la réduction des droits de tonnage et de pilotage du port d'Anvers, réduction très utile, sans doute, à Anvers, mais dont l'utilité n'est pas cependant généralement comprise ni sentie dans le pays.

L'honorable M. Muller parlait tout à l'heure d'une foule de dépenses à faire, il citait notamment la construction de maisons d'école. Je suis sur ce point de son avis : il faut bâtir des écoles, beaucoup d'écoles.

Mais on peut consacrer à cet objet les 4 à 5 millions excédant la recette restant au trésor, même après la réforme postale votée.

Les fonds sont là ? moi je ne demande qu'un million sur ces excédants et seulement pour une année.

A quoi bon, d'ailleurs, dirai-je à l'honorable M. Muller, bâtir des maisons d'école où l'on enseigne à écrire à des gens qui n'auront pas assez d'argent dans leur poche pour payer le port d'une lettre ? Vous n'atteindrez jamais votre but, vous ferez de mauvaise besogne si, voulant propager l'instruction primaire, vous n'opérez pas en même temps la réforme postale. En définitive la réforme postale est parfaitement profitable aux intérêts de tous ceux qui écrivent et qui ont recours à l'intermédiaire de la poste ; et comme je désire que le nombre de ceux qui écrivent des lettres devienne de jour en jour plus grand en Belgique, je veux la réforme postale, comme je veux la construction de maisons d'école et le développement le plus large de l'instruction primaire, et de cette manière je crois être conséquent. Je ne le serais plus si, pour atteindre le but, je négligeais l'un de ces trois moyens.

Maintenant ce caractère d'utilité générale que j'attribue à la réforme postale n'existe-t-il pas ? Est-il vrai que personne ne la réclame ? Personne en France ne réclame, dit l'honorable M. Dumortier ; je le crois bien, et je ne conseille pas à l'honorable membre d'aller réclamer trop haut dans ce pays quoi que ce soit à rencontre de ce qui est. Mais est-il vrai qu'en Belgique, où il est permis de réclamer, personne ne réclame ?

A ce qu'il me semble, on fait bon marché de l'agitation de nos grandes villes à propos de la réforme postale, on fait bon marche des pétitions arrivées à la Chambre, de la presse qui s'est vivement préoccupée de cet intérêt et qui demande presque unanimement la réforme, de la presse qui représente en définitive quelque chose ; car elle ne vit que par ses abonnés, c'est-à-dire par son accord avec l'opinion publique.

D'où j'incline à penser que les journaux voient un peu clair dans nos affaires lorsqu'ils s'en mêlent, quoi qu'en pense l'honorable M. Julliot.

Lorsque je regarde les signatures apposées sur les pétitions qui vous sont arrivées de nos grandes villes commerçantes et industrielles, c'est-à dire des villes qui travaillent, et que j'y lis les noms, non pas uniquement des hauts barons de la banque et de l'industrie, mais d'une foule de petits commerçants, notamment de Bruxelles, fait que j'ai pu vérifier par une pétition qui m'a passé un jour sous les yeux, un jour que j'occupais le fauteuil de la présidence, je commence à croire qu'il ne s'agit plus là d'agitation factice ; qu'il s'agit au contraire d'un besoin sérieux de réforme, besoin auquel il est urgent de satisfaire.

En résumé, messieurs l'honorable M. A. Vandenpeereboom et moi, nous sommes venus rappeler à la Chambre une promesse faite au pays en 1849, promesse qui doit être tenue aujourd'hui, parce que l'heure fixée alors est arrivée ; et en conscience nous ne trouvons pas de motifs honnêtes pour dire au pays qu'il n'y a pas lieu de lui donner ce qu'on a promis en 1849. Voilà notre amendement.

- La séance est levée à 5 heures moins un quart.