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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 21 janvier 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 363) (Présidence de M. Orts, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.

M. Vermeire, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Chrétien Wagener, ancien sous-officier au 4ème régiment de ligne, né à Obermertzig (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Par 10 pétitions, autant de négociants en charbons prient la Chambre de ne pas accéder à la demande de quelques sociétés charbonnières du Couchant de Mons, de créer des courtiers officiels qui, seuls, auraient le droit d'affréter les bateaux transportant la houille.

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des négociants en charbon, des propriétaires de bateaux ou fabricants, des consommateurs de charbon de terre demandent la réduction des péages sur le canal de Charleroi à Bruxelles, »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à la réduction de péages sur le canal de Charleroi.


« Des négociants en dentelles à Gand réclament l'intervention de la Chambre pour qu'il ne soit pas fait application du droit de patente aux écoles dentellières établies dans certaines communautés religieuses.

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Colson, sous-directeur à l'hôpital militaire de Mons, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir, soit une pension, soit sa mise en non-activité, soit des congés à demi-solde ou sans solde, et demande que, si l'une ou l'autre de ces positions ne peut lui être accordée, il lui soit donné une gratification ou indemnité qui le couvre des dépenses qu'il a faites pour l'amélioration alimentaire et pour des publications d'utilité publique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par 5 pétitions, des journalistes, publicistes, écrivains, des membres de sociétés artistiques, scientifiques et littéraires, des éditeurs et imprimeurs prient la Chambre de s'en tenir quant aux clauses pénales édictées ou à édicter contre les délits de presse dans le chapitre premier, titre II, livre II du Code pénal, aux peines comminées par le décret de 1851 et par la loi du 6 avril 1847. »

M. le président. - Je vous propose le renvoi de cette pétition à la commission chargée d'examiner le projet de loi de révision du Code pénal.

M. Savart. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission ordinaire des pétitions. La commission chargée de la révision du Code pénal est déjà saisie de plusieurs pétitions de même nature. En faisant ma proposition, j'ai pour but de fournir au gouvernement le moyen de nous donner quelques explications, s'il le juge à propos, sur ses intentions. Le doute qui existe à cet égard me paraît très préjudiciable, et c'est pour le faire cesser que je formule ma proposition. Il est bien entendu, toutefois, que le gouvernement gardera le silence, s'il le juge convenable ; je n'ai évidemment pas la prétention de lui dicter sa ligne de conduite.

M. le président. - Les autres pétitions du même genre ont été renvoyées à la commission chargée de l'examen du projet de révision du Code pénal.

M. Lelièvre. - La commission chargée de l'examen du Code pénal est saisie des pétitions qui lui ont été renvoyées. Je ne vois aucun motif de renvoyer les réclamations de même nature à une autre commission. Mes collègues et moi nous examinerons avec le plus grand soin les observations qui nous sont transmises, et nous y ferons droit, s'il y a lieu. La proposition de M. Savart n'a, à mes yeux, aucune utilité.

M. Savart. - Je n'ai fait ma proposition, je le répète que pour fournir au gouvernement le moyen de s'expliquer. Au surplus, je n'insiste pas.

M. le président. - En conséquence la pétition sera renvoyée à la commission chargée de l'examen du projet de révision du Code pénal.


M. Magherman demande un congé de quelques jours, motivé par une indisposition.

- Accordé.


M. Van Overloop demande un congé de quatre jours pour affaires.

- Accordé.


« M. Mertens fait hommage à la Chambre de 110 exemplaires de documents concernant la proposition de crédit pour les défrichements. »

- Distribution aux membres de la Chambre, et dépôt à la bibliothèque.


« Les auteurs de la publication connue sous le nom de Acta sanctorum, font hommage d'un exemplaire de leur ouvrage. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi modifiant le code pénal (livre II, titre VII)

Rapport de la commission

M. Lelièvre. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a examiné le titre VII du livre 2 du Code pénal ; son impression ne pouvant avoir lieu avant quelques jours, je demande que la Chambre décide que le jour de la discussion sera fixé ultérieurement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il faut nécessairement que les titres V et VI soient discutés et votés avant de pouvoir fixer le jour de la discussion du titre VII.

M. le président. - Le rapport sera imprimé et distribué ; le jour de la discussion du projet sera ultérieurement fixé.

Rapports sur des pétitions

M. le président. - L'ordre du jour appelle en premier lieu la présentation de prompts rapports.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il me semble que nous devons continuer d'abord la discussion qui a été interrompue hier sur la question de l'instruction obligatoire.

- Voix nombreuses : Oui ! oui !

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, les prompts rapports qui figurent à l'ordre du jour étaient déjà prêts antérieurement aux vacances de Noël. Or, si nous en ajournons encore la discussion, on pourra dire que ce sont, non pas de prompts rapports, mais des rapports tardifs.

Le vendredi est le seul jour réservé aux prompts rapports.

Si donc la Chambre ne s'en occupe pas aujourd'hui, ces prompts rapports seront remis encore à huitaine.

Je me soumets à la volonté de la Chambre, mais j'attire son attention sur cette observation.

- Plusieurs membres. - A demain. Les prompts rapports peuvent donner lieu à de nouvelles discussions. Il vaut mieux ne pas interrompre celle qui est commencée.

- La Chambre décide qu'elle continuera la discussion commencée hier.

En conséquence la discussion continue sur les conclusions du rapport sur la pétition des habitants de Saint-Josse-ten-Noode relative à l'enseignement.


M. Muller. - Messieurs, à l'occasion d'une pétition ayant pour but de demander l'inscription dans la loi du principe de l'enseignement obligatoire et la réforme de la législation de 1842 sur l'enseignement primaire, des observations ont été présentées tant par M. le ministre de l'intérieur que par l'honorable M. De Fré et sur ces deux objets et sur la convention d'Anvers. J'ai cru devoir, à mon tour, demander la parole pour exprimer aussi dans cette enceinte mon opinion sur ces trois questions, pour l'exprimer avec la même franchise, avec la même modération dont les deux orateurs qui m'ont précédé ont fait preuve dans la séance d'hier. S'il m'échappait quelques paroles qui fussent contraires à ma pensée et au désir que j'ai de rester dans les limites des convenances, je prierais la Chambre de vouloir bien les excuser, prêt à faire volontiers le sacrifice de mon amour-propre.

J'aborde, messieurs, la question de l'enseignement obligatoire, et je dis qu'avant tout il faut savoir ce qu'on entend par là. S'il s'agit du domaine de la morale, je comprends parfaitement que l'on dise, sans rencontrer de contradicteurs, qu'il y a obligation de la part du père de famille de soigner l'instruction et l'éducation de ses enfants, comme on peut dire d'une manière tout aussi incontestable que le père de famille doit donner l'exemple des vertus, qu'il doit corriger ses propres défauts et vices, pour pouvoir ensuite corriger les défauts et les vices de ses enfants.

Est-ce cet enseignement obligatoire que l'on réclame ? Nous serions tous d'accord.

Mais s'il s'agit d'un enseignement obligatoire aux termes d'une loi positive, je ne considère comme ayant sérieusement cette signification que celui qui est protégé, commandé même, à l'aide de mesures coercitives ; c'est-à-dire, qu'il faut de toute nécessité que la loi soit en état de faire exécuter les prescriptions qu'elle établirait. Or, quelles pourraient être ces mesures coercitives ? Quant à moi, j'avoue que des mesures directes, des mesures tombant sous la répression du Code pénal, ne me paraissent pas admissibles.

L'honorable ministre de l'intérieur, exprimant une opinion qui lui est toute personnelle, a dit qu'au besoin, mais après épuisement de tous les (page 364) autres moyens, il pourrait aller jusqu'à l'amende et l'emprisonnement Mais, messieurs, je ne serais nullement tenté de le suivre jusque-là, et je lui ferais une opposition consciencieuse et énergique, parce que de telles mesures ne me semblent pas légitimes, parce qu'elles sont inefficaces, parce que, quand vous auriez épuisé tous les éléments de persuasion, tous les moyens attrayants, ce n'est pas, à coup sûr, à l'aide de gendarmes et de garnisaires que vous obtiendriez un résultat plus favorable.

Je dis donc, messieurs, que le système des amendes et de la prison, que M. le ministre de l'intérieur a qualifié lui-même de violent, doit être repoussé sans hésitation ; j'ajoute qu'un tel régime n'est pas dans nos mœurs, qu'il répugne à nos habitudes, à toutes nos traditions. Messieurs, dans notre pays lorsqu'il s'agit de faire réaliser par les populations des progrès moraux et intellectuels, ce n'est pas la compression, ce n'est pas la coercition qui sera jamais considérée comme un moyen efficace.

Je sais que l'on a, en dehors de cette enceinte, comme l'a très bien rappelé hier l'honorable ministre de l'intérieur, divisé, à propos de cette question de théorie et de plusieurs autres, les libéraux en avancés et en modérés, voire même en jeunes et vieux. Or, il se trouve que, dans les rangs des uns et des autres, les opinions sont partagées, très controversées sur les prétendus mérites de l'enseignement obligatoire.

Ainsi, dans les rangs des avancés, il y a les plus avancés des avancés, En voulez-vous une preuve ? Aujourd'hui même il m'est tombé sous les yeux un article de l'un des publicistes les plus avancés de la Belgique : il maltraite, naturellement, les libéraux qui ont la chance malheureuse d'être rangés dans la catégorie des stationnaires, des modérés, des vieux ; mais il fait aussi très bonne guerre aux libéraux avancés, qu'il trouve, lui, singulièrement arriérés, et précisément en ce qui concerne l'enseignement obligatoire.

Permettez-moi, messieurs, de vous citer un petit passage de son article :

« Le parti libéral, avancé ou rétrograde, ne paraît pas comprendre la distinction de ce qui est afférent à la tutelle sociale et de ce qui appartient à la liberté personnelle. Les libéraux avancés ne sont pas moins de l'école césarienne, que M. Tesch en droit : Incarcérer ! Que M. Frère en finances : Prendre ! La prison, sauf pour les journalistes, ne leur inspire pas trop de répulsion. Ils imaginent eux-mêmes des cas nouveaux où ils veulent appeler les gendarmes et les geôliers, par exemple à propos d'éducation publique.

« Oh ! le bon moyen d'éduquer les enfants que de mettre les pères en prison ! Mais la question d'éducation universelle revient à une question économique, et non à une question pénale ! On ne voit pas que les citoyens qui ont la moindre aisance esquivent l'obligation naturelle et sociale de donner de l'éducation à leurs enfants. Le moindre petit marchand, le moindre petit bourgeois, a toujours l'idée de faire de son fils, un avocat ou un notaire. Cette prison n'est donc inventée que contre les pères de famille pauvres. C'est donc la pauvreté qu'il faudrait combattre, au lieu de punir l'indigent. »

Voilà, messieurs, un langage qui doit rendre au moins excusable, aux yeux de quelques libéraux, la conduite de ceux qui soutiennent que l'enseignement obligatoire, loin d'être un progrès, serait un acte rétrograde. (Interruption !)

L'article est de M. Delhasse ; il vient d'être inséré dans la Revue trimestrielle.

Je déclare donc de nouveau, messieurs, en ce qui concerne l'enseignement obligatoire, que si l'opinion toute personnelle de M. le ministre de l'intérieur était soutenue au nom du gouvernement, un grand nombre de mes amis et moi, nous la combattrions avec une conviction opiniâtre et énergique.

Heureusement, messieurs, ce ne sont là, il faut bien le reconnaître, que des questions de théorie et qui n'auront d'ici à bien longtemps aucun point d'application pratique possible.

L'honorable ministre de l'intérieur l'a dit hier avec sagesse ; avant de songer à imposer l'enseignement obligatoire, avant de remuer ces points de discussion abstraite, avant d'essayer de leur donner un corps pour arriver à une réalisation plus ou moins immédiate, demandez-vous ce que vous feriez si ce beau, ce fameux principe devait être, dans un délai même prévu, mis à exécution ? Avez-vous des écoles, des instituteurs et des institutrices en nombre suffisant ? Où renfermeriez-vous ces masses d’enfants qui arriveraient chez vous par la contrainte ? Comment leur donneriez-vous l'enseignement ? Il vous manque et matériel et personnel enseignant.

Il y a donc une seule tâche actuellement à remplir, tâche importante, impérieuse. Cela vaut bien mieux que cette agitation à laquelle on se livre en soulevant des débats stériles, sans solution possible, au point de vue pratique, d'ici à un grand nombre d'années.

Cette tâche consiste à construire des maisons d'école sans le moindre retard, à aviser à former une pépinière nombreuse de bons instituteurs et de bonnes institutrices, à multiplier les moyens de sollicitude et d'encouragement en faveur de ces instituteurs et de ces institutrices. Et quand vous aurez obtenu un personnel convenable, quand vous aurez des locaux suffisants, les familles, n'en doutons pas, enverront leurs enfants à l’école.

Que voyons-nous aujourd'hui ? Les classes ouvrières dont on calomnie trop les sentiments et qu'on veut trop diriger, éprouvent le besoin de s'instruire ; tout père de famille aime à ce que son enfant s'élève moralement et intellectuellement ; il aspire à ce qu'il soit plus que lui-même. C'est là le cri de la nature, c'est un des instincts conservateurs de la société, parce que la société repose sur l'esprit et l'amour de la famille.

Messieurs, voyons d'où nous est arrivée la pétition sur laquelle porte le débat et qui est revêtue de 134 signatures. Voyons, si dans cette localité même, les écoles gratuites n'ont point répondu à leur but, contribué à propager l'instruction primaire. Si j'ai bonne mémoire, l'administration communale de Saint-Josse-ten-Noode a ouvert tout récemment une nouvelle école. Qu'est-il arrivé là ? Ce qui arrive partout : l'école a immédiatement regorgé d'élèves, parce que le besoin de l'enseignement se fait universellement sentir. Ce ne sont donc pas les élèves qui manquent aux écoles, ce sont les écoles et les maîtres qui manquent à la jeunesse. Je citerai un autre fait, qui est à ma connaissance personnelle et qui doit être aussi à la connaissance de M. le ministre de l'intérieur. Il y a 4 jours, je reçus à Liège la visite de l'inspecteur provincial de l'enseignement primaire, par suite d'une dépêche adressée, au nom du département de l'intérieur, aux inspecteurs provinciaux et aux députations permanentes.

Quelle est, messieurs, la position fâcheuse dans laquelle se trouve aujourd'hui le gouvernement vis-à-vis de plusieurs communes ? Il est placé dans cette pénible alternative de compromettre la santé ou l'instruction des élèves à cause de l'état d'encombrement des locaux affectés à l'enseignement, ou de devoir renvoyer une partie des élèves à leurs parents ou de les laisser entassés pour ne recevoir qu'un enseignement incomplet et peu efficace.

Voilà un fait tout récent, M. le ministre de l'intérieur pourra le vérifier dans ses bureaux. Je ne le cite que pour prouver que lorsque des écoles suffisantes et spacieuses seront construites et lorsqu'il y aura des instituteurs et des institutrices en assez grand nombre, et offrant des gages de capacité, il n'y a pas à craindre que notre pays croupisse dans l'ignorance.

Et à propos d'ignorance, nous qui défendons la thèse de la liberté en cette matière, nous qui ne voulons pas de l'instruction obligatoire avec un cortège de pénalités, nous sommes médiocrement émus du reproche banal d'être partisans de la liberté de l'ignorance. Tout le monde n'entend pas le progrès de la même manière, les uns veulent le conquérir par la liberté, les autres par la coercition, par la force, je persiste à penser, quant à moi, que le premier moyen est mille fois préférable au second, j'ajoute même que c'est le seul efficace.

Voilà, en ce qui concerne l'enseignement obligatoire, ce que j'avais à dire. Si, messieurs, la séance d'hier n'a pas été, on le dit du moins, considérée comme défavorable par ceux qui ont soutenu, très consciencieusement, je ne le mets pas en doute, la doctrine opposée à celle dont je me constitue aujourd'hui le défenseur, je n'aurai garde, moi, de me plaindre du résultat qui me semble avoir été obtenu ; car je vois avec satisfaction que tout le monde sera amené à reconnaître que, préalablement à toute autre chose, nous avons de grands travaux à faire, une grande tâche à accomplir immédiatement, sauf, de la part de nos contradicteurs, à se féliciter que la question de l'enseignement obligatoire soit réservée pour le futur. Je ne fermerai à personne ce champ de l'avenir, mais je crois que c'est une question que nos arrière-neveux traiteront avec beaucoup plus de maturité que nous.

J'arrive maintenant, messieurs, aux observations qui ont été échangées hier à propos de la convention d'Anvers ; et ma position à cet égard sera aussi nette que celle que je viens de prendre sur l'enseignement obligatoire.

Je resterai fidèle à mes précédents, à ceux que j'ai posés, à la veille même du jour où j'allais être élu, répondant à des interpellations qui n'étaient faites au nom du corps électoral de Liège.

Je suis, messieurs, l'adversaire convaincu de la convention d'Anvers ; je n'admets pas une convention qui a eu des effets que j’appellerai léonins ; mais je ne me suis jamais permis, et aujourd’hui pas plus qu’auparavant, je ne me permettrai d'accuser ceux de mes amis politiques qui ont pensé d'une autre manière que moi sur cette question, d’voir déserté le drapeau du libéralisme. Leur conduite, ils l’ont loyalement expliquée ; ils voulaient pousser jusqu'à la dernière limite l’esprit de conciliation ; ils voulaient témoigner à nos adversaires que s’il s’agissait d’une transaction qu'ils avaient lieu de croire franche et loyale, ils ne seraient pas en demeure d'y souscrire, même en faisant violence à leurs doutes. Voilà, messieurs, la position qui fut prise par une partie, et il faut bien le dire, par une grande partie de nos amis politiques.

Comment, messieurs, a-t-on répondu à cet acte de loyauté, à cette transaction poussée, je le répète, jusqu’à la dernière limite ?

On vous l'a déjà dit dans cette enceinte et j'ai à peine besoin de le rappeler, on y a répondu en faisant de la convention d’Anvers un instrument, je ne dirai pas de parti, mais un instrument de mercantilisme : là où l'épiscopat n'avait pas d'établissement, il demandait la convention d'Anvers et il s'introduisait dans les établissements de l’Etat, mais là où l'établissement de l'Etat pouvait faire concurrence à l'un des siens, le clergé repoussait la convention d'Anvers.

Eh bien, qu'arriva-t-il alors ? C'est que les hommes honorables qui avaient été poussés jusqu'à la limite la plus extrême de la modération (page 365) protestèrent énergiquement, et ils protestèrent avec d'autant plus d'indignation que leur bonne foi d'honnêtes gens avait été trompée.

Messieurs, un souvenir qui me traverse en ce moment l'esprit m'émeut profondément.

Je remplace ici un homme de bien, un citoyen éminent que vous avez tous aimés, qui a donné l'exemple du patriotisme, du désintéressement, de la probité politique. Ce, noble représentant, mon ami de cœur et d'affection, qui fut aussi le vôtre à tous, fit aussi le sacrifice dont je parlais tantôt, cette tentative loyale de pacification.

Mais quand elle fut reconnue stérile, quand ainsi que l'honorable M. Devaux, il vit l'exécution démentir l'espoir qu'il avait conçu de voir le clergé renoncer à des prétentions exorbitantes, espoir que d'autres ne partageaient pas, et je suis du nombre, car, en qualité de membre du bureau administratif de l'athénée de Liège, j'ai combattu de toutes mes forces la convention d'Anvers et j'ai été assez heureux pour contribuer à la faire écarter.

J'ai, conséquemment, recueilli avec bonheur, et il en sera de même sur tous nos bancs, où il doit sur ce point y avoir accord complet par suite de l'expérience acquise ; j'ai, dis-je, accueilli avec bonheur la déclaration de M. le ministre de l'intérieur, que la convention d'Anvers doit être considérée en quelque sorte comme une lettre morte.

J'ajoute qu'il y a un moyen de la faire considérer plus complétement comme une lettre morte, c'est que les conseils communaux qui l'ont adoptée et entre les mains desquels son sort est provisoirement remis aujourd'hui, hâtent de tout leur pouvoir une conclusion que désirent tous les libéraux du pays. A eux aussi, comme au gouvernement, incombe une part de tâche et de responsabilité dans cette question, et ils ne peuvent la décliner, surtout après l'exécution peu loyale qui a été donnée de la part de l'une des deux parties à la convention d'Anvers.

Maintenant si je ne fatigue pas trop la Chambre, j'exprimerai également mon opinion sur le retrait demandé de la loi de 1842, qui concerne l'enseignement primaire.

Cette loi, messieurs, a inscrit dans un de ses articles un principe qu'il m'est impossible d'admettre, contre lequel je protesterai toujours ; c'est celui de l'intervention du clergé à titre d'autorité. En effet, cette intervention avec le caractère que lui imprime la loi, est une sorte de partage de pouvoir, et je dirai (faisant moins allusion à ma province qu'à d'autres) que dans l'exécution le clergé s'est souvent attribué la part du lion.

Je désire donc vivement que nous puissions arriver à faire justice de ce mauvais principe. Mais ce que je disais, sous le coup de mon élection, la veille, lorsque j'étais interpellé à cet égard, je le répéterai dans cette Chambre. Je ne suis pas entré au palais de la Nation pour y semer la scission, le désaccord. Dans les diverses fractions qui y représentent le libéralisme, je ne serai pas un de ceux qui contribueront à rompre en quoi que ce soit le faisceau de la majorité.

Je regrette profondément que certains précédents font hésiter une partie, hélas ! trop nombreuse de nos amis politiques ; je regrette surtout et j'en appelle au témoignage de mes collègues, que le reflet de l'indifférence des corps électoraux de quelques provinces en cette matière si importante, se fasse trop vivement sentir dans cette enceinte. L'honorable ministre de l'intérieur a eu parfaitement raison de dire hier que ce n'était pas des bancs ministériels que venait l'obstacle à la réalisation immédiate de notre vœu, mais des bancs mêmes de la gauche. Le jour où j'aurai une certitude contraire, je serai des premiers à demander la réforme de la loi de 1842.

Mais jusque-là, n'ayant aucun espoir actuel d'obtenir ce résultat utile, je m'abstiendrai de jeter imprudemment un brandon de discorde dans nos rangs. Ce n'est pas un tel rôle que j'ai assumé lorsque le mandat de représentant m'a été dévolu.

Si, messieurs, nous devons à cet égard (et l'honorable M. De Fré a reconnu lui-même qu'il ne pouvait être question de réforme immédiate), si nous devons nous armer de patience, il est en dehors du principe même de l'intervention du prêtre à titre d'autorité, des abus qui ne dérivent pas directement de la loi, abus qui peuvent, comme vous l'a dit M. le ministre de l'intérieur, être corrigés administrativement.

Ainsi, messieurs, nous sommes tous d'accord qu'il faut multiplier les écoles, qu'il faut créer de nouveaux instituteurs, de nouvelles institutrices en nombre beaucoup plus considérable. Et quels établissements avons-nous pour créer des instituteurs et des institutrices ? Nous avons deux établissements de l'Etat, un pour les populations wallonnes, un autre pour les communes flamandes. Et savez-vous, messieurs, jusqu'à quel degré de prétention l'on avait, au profit du clergé, poussé l'exécution de la loi de 1842 dans ma province ? Nous avions organisé une école normale provinciale d'accord avec la ville de Liège. Nous y formions des aspirants instituteurs. Cette école, pendant les mois de vacance, servait aussi à donner des cours temporaires aux instituteurs qui nous étaient signalés comme ayant besoin de recevoir un supplément d'enseignement, d'être renforcés dans leur méthode, dans leurs connaissances.

Eh bien, messieurs, à la suite de la loi de 1842, on nous a forcés à fermer cette école que nous soutenions des deniers de la province, des subsides de la commune de Liège.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'était illégal.

M. Muller. - C'était illégal ; mais il n'en est pas moins vrai que la force était là pour nous subjuguer et que nous avons dû renoncer à l'espoir de faire admettre au budget de la province le chiffre qui y avait toujours figuré de ce chef.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La loi vous en donnait le droit.

M. Muller. - C'est une erreur, parce que c'est le gouvernement qui approuve les budgets des provinces. (Interruption.) Quand je cite des faits, c'est toujours avec certitude, et je connais bien ce qui s'est passé à cet égard attendu que j'étais un des membres de la commission de surveillance de l'école normale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne nie pas le fait ; je dis seulement que vous aviez le droit de maintenir votre école, à la condition de la faire adopter.

M. Muller. - Rien que votre condition de devoir être adopté rendait précisément notre droit illusoire, parce que non seulement on ne voulait pas nous adopter, mais on ne voulait pas même nous laisser agir sans aucun sacrifice de l'Etat.

Maintenant, messieurs, la conclusion de tout ceci, c'est que vous, M. le ministre de l'intérieur, vous pouvez contribuer à augmenter, soit de cette manière, soit par tout autre mode, le nombre des établissements officiels dans lesquels se formeront les instituteurs et les institutrices. C'est que vous pouvez accroître le nombre des bourses que le gouvernement a allouées pour les jeunes gens, généralement peu fortunés, qui se livrent à la carrière pénible et laborieuse de l'instituteur. Il est impossible que l'on continue à n'avoir que deux établissements de l'Etat, alors que le clergé en possède sept, car c'est réellement une situation dérisoire et à laquelle il faut mettre un terme le plus immédiatement possible.

Il est encore d'autres points qui méritent de fixer l'attention du gouvernement ; il y a, messieurs, un double système d'inspection, d'après la loi actuelle ; l'inspection civile et l'inspection ecclésiastique ; il arrive souvent, par suite des habitudes contractées et qui remontent à une période d'un autre âge, que l'inspecteur civil soit en quelque sorte considéré et se laisse considérer comme l'humble subordonné de l'inspecteur ecclésiastique. Il en résulte que l'influence de l'inspecteur civil devient, aux yeux de l'instituteur, infiniment moindre que celle de l'inspecteur ecclésiastique. Il y a lieu, sous ce rapport, de recommander au personnel des inspecteurs d'avoir soin, sans se départir des égards que la loi et les convenances leur imposent envers l'inspecteur ecclésiastique, de ne pas tolérer d'empiétement de sa part. Il faut aussi que les inspecteurs civils cherchent à multiplier, à propager les écoles de filles laïques, et non pas à décourager les administrations communales qui font des efforts pour en obtenir ; il faut que les choix se portent sur des institutrices qui possèdent un diplôme de capacité et qui, sous ce rapport, offrent des garanties suffisantes quant à l'enseignement.

En ce qui concerne l'adoption des écoles enfin, il convient qu'on se conforme mieux qu'on ne l'a fait jusqu'ici à l'esprit de la loi de 1842. Lorsque cette loi autorise, à défaut de revenus suffisants ou par nécessité absolue, une commune à adopter une école, il est évident, selon moi, qu'elle a voulu que l'instituteur ou l’institutrice dirigeant cette école offrît les mêmes garanties de capacité que l'instituteur ou l'institutrice d'une école communale. C'est là, messieurs, une condition indispensable que le gouvernement a le droit et le devoir d'exiger.

Quant à la position des instituteurs, j'émets ici un vœu qui, je l'espère, sera partagé par la Chambre ; car il ne constitue qu'un emprunt à ce qui se pratique dans l'enseignement moyen.

Vous savez tous combien est modeste la carrière de l'instituteur, combien son horizon est borné, quel dévouement il faut pour accomplir cette tâche ingrate, monotone ; ne serait-il pas juste qu'il y eût, comme dans l'enseignement moyen, une période d'années de service à la suite de laquelle l'instituteur pourrait compter sur une majoration de traitement ?

Ainsi, messieurs, dans l'enseignement vous avez trois degrés de traitement ; d'abord, le degré inférieur ; puis, après cinq ans de service, une majoration ; enfin, après 10 ans de service, le maximum. Si nous voulons avoir de bons instituteurs, des hommes qui restent attachés à leurs fonctions, à ce que j'appelle, pour la plupart, un humble apostolat de village, il faut qu'il y ait rémunération en raison des années de service. J'appelle sur ce point l'attention sérieuse du gouvernement ; le dévouement qu'il a toujours montré pour la cause de l'enseignement à tous ses degrés me donne la certitude que cette question sera examinée mûrement par lui.

Un dernier point, messieurs, me reste à traiter, c'est le plus pénible pour moi, en ce sens que je voudrais être toujours d'accord avec tous ceux qui siègent sur les mêmes banes que le mien, comme amis politiques ; mais hier l'honorable M. De Fré a émis un principe que je n’ai jamais trouvé jusqu'ici dans le programme du libéralisme, et qu’on s’est bien gardé de proclamer en 1846.

Ce principe se traduit en une mesure d'exclusion absolue du clergé dans l'enseignement primaire, n'importe à quel titre. Or, je ne puis que m'élever contre cette doctrine qui tend à bannir de toute manière le prêtre de l'école, s'y présentât-il volontairement, sans condition, pour donner l'enseignement religieux. Cela ne me paraît ni juste, m justifiable.

Nous ne voulons pas de l'intervention du prêtre à titre d’autorité ; nous ne voulons pas que le prêtre ait la main haute sur l'instituteur ; (page 366) nous ne voulons pas que le prêtre puisse entrer dans l'école, et s'écrier : « La maison est à moi, c'est à vous d'en sortir. »

Mais lorsque le concours du prêtre est acquis à l'école volontairement, sans aucun sacrifice de l'autorité de l’Etat ; lorsque le prêtre s'y occupera exclusivement de l'instruction religieuse, je ne demande pas qu'on l'écarté dans ce cas, pas plus que je ne demande qu'on écarte les dames patronnesses qui par leur présence dans les écoles, par leurs conseils, par l'influence morale qu'elles exercent, favorisent le succès des écoles et tendent à la moralisation de l'enfance.

Je dis donc qu'entre le concours limité du prêtre, répondant à l'appel qui lui est fait au nom de l'autorité, qui n'abandonne pas ses droits, et l'ostracisme du prêtre, il y a tout un abîme.

Je m'exprime ainsi, parce que je n'accepte pas la solidarité des paroles consciencieuses, mais erronées, quant au principe, de l'honorable M. De Fré. Je ne tiens pas à exciter des défiances jusque parmi les nôtres ; je ne veux pas donner à nos adversaires politiques cette satisfaction, cette jouissance de pouvoir dire que, dans les rangs libéraux, on a exclu systématiquement et de toutes manières le prêtre de l'école. Nous sommes déjà calomniés avec trop d'injustice, pour que nous devions nous exposer à ce qu'on y ajoute de graves médisances.

Que si, désormais, le clergé n'acceptait pas une position rationnelle et honorable qui lui serait ainsi faite, s'il refusait son concours, qu'arriverait-il ? L'école ne tomberait pas parce que l'école serait toujours morale et l'on ne pourrait pas nous imputer d'avoir agi en haine de la religion et du clergé.

Et alors, si ce dernier persistait à refuser son concours dans des conditions équitables et libres de part et d'autre, il soulèverait contre lui le cri des honnêtes gens et il subirait la condamnation de l'opinion publique.

M. L. Goblet. - Messieurs, je ne croyais pas prendre la parole dans cette discussion ; j'ignorais même l'existence de la pétition qui demande la réforme de la loi du 23 septembre 1842 sur l’enseignement primaire, ainsi que l'inscription dans la loi de l'instruction obligatoire comme principe. Mais après avoir entendu M. le ministre de l'intérieur dans la séance d'hier, je n'ai pas cru pouvoir garder le silence, parce qu'il a été émis dans cette enceinte des opinions dont je ne veux et ne puis en aucune façon accepter la responsabilité.

Comme M. le ministre de l'intérieur, je vais très loin, quant au principe de l'instruction obligatoire ; comme M. le ministre de l'intérieur, je veux l'amende et la prison, si tous les moyens indirects sont épuisés et n'ont pas pu réussir. Je sais très bien que cette question n'est pas encore près d'être résolue ; je sais que nous n'avons ni locaux, ni instituteurs.

Mais quand vous aurez fait ce que demande l'honorable M. Muller, quand vous aurez épuisé sans succès les moyens indirects, vous serez forcément amenés à recourir aux moyens directs. Toutefois je laisse à de plus habiles que moi le soin de défendre la cause de l'instruction obligatoire ; je laisse à M. le ministre de l'intérieur la tâche de combattre les principes émis par l'honorable M. Muller, je suis seulement heureux de constater que sur cette question éminente de progrès je suis du même avis que l'honorable M. Rogier.

Mais, messieurs, sur un autre point ma tâche devient plus pénible. Je ne puis pas admettre, comme l'honorable M Rogier, qu'il ne faille rien faire pour modifier la loi de 1842 dans son principe, qu'il faille écarter la demande faite par les pétitionnaires, en ce qui concerne les modifications à introduire dans cette loi au sujet de l'introduction du prêtre dans l'école à titre d'autorité.

L'honorable M. Muller vous a prouvé que cette loi était essentiellement mauvaise au point de vue du libéralisme.

Il y a donc quelque chose à faire, et l'on ne doit pas toujours reculer devant une difficulté, uniquement parce que c'est une difficulté.

L'honorable M. Rogier nous a dit qu'il fallait que le prêtre entrât dans l'école seulement à titre d'autorité morale. Mais, messieurs, ce n'est pas à titre d'autorité morale qu'il pénètre aujourd'hui dans l'école ; il y est maître, il y entre à titre d'autorité légale.

Messieurs, permettez-moi de mettre sous vos yeux quelques extraits de la discussion de la loi de 1842. Un homme d'Etat, qui siégeait dans cette Chambre, disait à propos des articles 6 et 7 de cette loi où se trouve inscrit le principe de l'intervention du prêtre à titre d'autorité ;

« J'avoue, messieurs, que je ne comprends pas qu'on fixe par une loi les attributions d'un corps indépendant, d'un corps que la loi ne peut atteindre. Vous auriez beau régler par la loi la part d'intervention du clergé dans les écoles primaires subventionnées ; vous auriez beau tracer les limites et les conditions de cette intervention, votre loi serait comme non avenue, si elle ne convenait pas au clergé. Un législateur prudent ne fait pas des lois dont l'exécution dépendrait d'un corps sur lequel il n'a pas la moindre action. Si ou veut l'intervention officielle du clergé dans l'enseignement primaire, ce n'est pas par une loi qu'il faut la régler, mais par un concordat avec les évêques. » Plus loin, au moment du vote de la loi, ce même député s'écriait : « Il serait difficile, je pense, de trouver un pays où l'autorité civile se monterait assez faible, assez peu soucieuse de l'avenir, pour laisser au clergé le droit exclusif de façonner les masses. Il était réservé à notre gouvernement de donner le triste exemple de cette monstruosité. Cependant, s'il y a un pays où l'on devrait prendre des précautions, c'est bien le nôtre, où le clergé jouit d'une indépendance absolue, où il peut même être composé de prêtres étrangers, disposés naturellement à préférer les intérêts de leur pays natal aux nôtres. »

L'homme, messieurs, qui prononçait ces paroles mémorables, est celui à qui le pays tout entier va élever une statue, c'est l'honorable M. Delfosse, et il fut assisté dans cette lutte par notre honorable président M. Verhaegen.

Eh bien, ne sont-ce pas là des autorités d'un grand poids quand il s'agit de l'interprétation d'une loi au point de vue de l'opinion libérale ; et comment, en présence de leurs déclarations, pourrait-on nier encore que la loi de 1842 confère au prêtre le droit d'entrer à l'école à titre d'autorité légale ?

En 1854, à l'occasion de la discussion de la convention d'Anvers, l'honorable M. Verhaegen prononçait encore les paroles suivantes sur l’intervention du prêtre, à titre d'autorité légale, dans l'enseignement primaire :

« Je suis l'un de ceux qui ont voté contre la loi de 1842 sur l'enseignement primaire, parce qu'elle proclamait l'intervention du clergé, à titre d’autorité, dont je ne voulais à aucun prix. Plusieurs de mes honorables amis qui ont admis la loi ne l'ont fait qu'à la condition que les principes qui servaient de base à cette loi ne seraient jamais invoqués, lorsque, plus tard, il s'agirait de l'enseignement. Bien souvent ces réserves ont été répétées, et on y a eu égard dans la loi du 1er juin 1850. Aujourd'hui, toutes ces réserves, et la loi elle-même, sont mises de côté et l'on finit par accorder au clergé, par voie administrative, c'est-à-dire en fait, tout ce que naguère on lui a refusé en droit ; on est même allé au-delà de la loi de 1842. »

Au surplus, messieurs, consultez le commentaire donné à cette partie de la loi par le clergé lui-même ; consultez les mandements épiscopaux et les instructions adressés au clergé sur l'étendue des pouvoirs que lui donne la loi de 1842, et vous verrez qu'il n'est pas un seul de ces documents qui ne dise aux curés : « Vous êtes dans l'école en vertu d'un droit et non pas seulement à titre de tolérance. »

En voulez-vous la preuve ? Voici un passage d'une circulaire adressée à ce sujet aux curés : « Vous avez aidé à ériger et à faire fleurir les écoles privées ; vous avez prêté votre appui et vos soins aux écoles publiques, dès qu'elles offraient les garanties suffisantes… » Voilà la grande question, car pour un pouvoir irresponsable comme l'est celui du clergé, il n'est de garanties suffisantes que celles qu'il veut bien accepter...

Je poursuis :

« Vous continuerez, messieurs, à travailler à cette belle œuvre avec le même dévouement, et, nous en avons la confiance, avec non moins de succès. Le concours du pouvoir civil, que la loi vous garantit, secondant vos efforts, vous triompherez plus aisément des obstacles qui, parfois, pouvaient entraver les généreux efforts de votre charité. Votre intervention dans la plupart des écoles ayant désormais un caractère tout à la fois légal et religieux, trouvera, dans cette double autorité, une action plus puissante et plus efficace pour opérer le bien. »

N'est-ce là, messieurs, je vous le demande, qu'une simple autorité morale ? Il me semble, au contraire, que cette autorité, comme l'entend le clergé, porte bien le cachet d'une véritable autorité légale, d'un véritable droit.

Continuez la lecture de cette circulaire et si ce qui précède vous laisse quelque doute à cet égard, ce doute se dissipera complétement : « L'article 7 de la loi, y est-il dit, vous donne le droit, messieurs, d'inspecter en tout temps les écoles. »

Nul doute n'est donc possible sur la portée de la loi, confirmée par le sens qu'y assigne le clergé ; encore une fois, il s'agit incontestablement d'un droit dans toute la force du mot et non pas seulement d'une simple autorité morale.

Eh bien, messieurs, puisqu'il est démontré que le prêtre est admis dans nos écoles à titre d'autorité légale, en vertu de la loi de 1842 ; puisque vous reconnaissez (l'honorable M. Muller vient encore de le reconnaître à l'instant même) que l'intervention du prêtre à titre d'autorité dans l’école est chose essentiellement mauvaise ; pourquoi ajourner indéfiniment la réforme de la loi de 1842 ?

Je veux bien que l'on attende quelque temps encore avant d'y inscrire le principe de l'instruction obligatoire ; mais pourquoi retarder la réforme de cette autre disposition vicieuse et que nous condamnons tous ; pourquoi ne pas enlever le plus promptement possible au prêtre un pouvoir dont nous reconnaissons le danger, celui d'intervenir dans l'école à titre d'autorité ?

M. le ministre de l'intérieur nous a dit qu’inscrire dans la loi le principe de l'instruction obligatoire en même temps qu'exclure le prêtre de l'école ce serait violer le droit constitutionnel, la liberté de conscience. J'avoue que je ne saisis pas bien ce raisonnement.

Il me semble qu'on ne peut violer le droit de la liberté de conscience qu'en obligeant un individu à croire ou à ne pas croire quelque chose que sa conscience lui a fait rejeter ou admettre.

On peut donc très bien, sans violer en aucune façon la liberté de conscience du père de famille et des enfants, interdire au prêtre l'entrée de l'école à titre d'autorité- Ne reste-t-il pas au père de famille et aux enfants la véritable école en prêtre, l'église ? Où donc, si ce n'est au pied (page 367) de l'autel, le prêtre aurait-il le plus d'influence ? Et pourquoi faut-il nécessairement que le prêtre entre dans l'école pour y donner l'enseignement religieux ? D'ailleurs, comment se donne cet enseignement dans nos communes ? J'habite souvent la campagne, et je dois le dire, jamais je n'y vois le prêtre se rendre dans les écoles pour y donner l'enseignement religieux ; les enfants se rendent à l'église et c'est là que le prêtre leur enseigne le catéchisme.

Il n'est donc pas plus illogique que contraire à la liberté de conscience d'inscrire dans la loi le principe de l'instruction obligatoire et de prononcer en même temps l'exclusion du prêtre de l'école, à titre d'autorité légale.

Maintenant, messieurs, que l'honorable M. Rogier me permette de le lui dire, il méconnaît quelque peu, selon moi, l'esprit public de nos campagnes. Il est à la campagne des hommes, et ils sont nombreux, qui savent, aussi bien que les habitants des villes, opposer une résistance énergique aux empiétements du clergé, et je n'admets nullement que si l'on empêchait le prêtre de faire dans vos écoles tout ce qu'il veut (car là est toute la question), il en résulterait l'anéantissement de l'enseignement donné par la commune, au profit d'établissements d'instruction qu'érigerait le clergé.

Peut-être y aurait-il rivalité là où deux écoles pourraient s'établir côte à côte ; mais si cela était, où serait le mal, et n'en résulterait-il pas au contraire une émulation qui, en définitive, tournerait au profit de l'enseignement ? On s'exagère, je pense, l'esprit de soumission des habitants de la campagne à l'autorité du clergé, si l'on croit que, lorsqu'il le voudra, le clergé pourra enlever à son profit les élèves de l'instituteur communal. Et vous, M. Rogier, qui avez si longtemps et si vigoureusement combattu nos adversaires communs, comment pourriez-vous croire sérieusement que c'est par esprit de tolérance que le clergé laisse l'instruction primaire entre les mains du gouvernement et qu'il ne s'empresserait pas de vous l'enlever s'il en avait le pouvoir ?

Non, ce n'est pas par tolérance, mais parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement, parce qu'ils ne l'oseraient pas. (Interruption.) S'il leur suffisait d'un prétexte pour vous enlever l'instruction primaire, vous en seriez bientôt dépouillé ; le prêtre n'est-il pas irresponsable ; n'a-t-il pas le droit d'affirmer et de nier tout ce qu'il veut, et dès lors, pourquoi devrait-il attendre son exclusion de nos écoles pour les anéantir à son profit, s'il en avait le moyen ? Le premier prétexte venu lui suffirait.

Quant à la convention d'Anvers, l'honorable M. Muller a traité cette question d'une manière si complète et avec une telle autorité, que je ne me permettrai pas d'ajouter quoi que ce soit à ce qu'il en a dit.

Seulement, je dois constater que c'est une erreur de prétendre que cette convention serait aujourd'hui une lettre morte ; ce qui prouve, messieurs, qu'il n'en est pas ainsi, c'est que cette convention est encore en vigueur dans la ville même que représente l'honorable M Rogier ; c'est qu'elle reçoit actuellement encore son exécution à Namur, à Hasselt et, si je ne me trompe, dans d'autres villes encore.

Je crois, au surplus, que si elle n'a pas été plus répandue, il ne faut pas du tout en faire un mérite au gouvernement. Quand le clergé a vu que le gouvernement courbait la tête devant ses exigences, il accepté la convention d'Anvers ; mais quand il a cru pouvoir demander davantage, il l'a trouvée insuffisante.

Si donc la convention d'Anvers n'a été mise en vigueur que dans un nombre assez restreint de communes, c'est parce que le clergé, après nous avoir fait courber la tête, a voulu nous faire plier le genou ; et c'est ainsi que cette convention n'a été maintenue que dans les communes où le clergé n'avait pas intérêt à la détruire. Est-ce que les athénées où le clergé a repoussé la convention d'Anvers n'ont pas continué de subsister ; est-ce qu'ils ne subsistent pas malgré l'hostilité du clergé, malgré la guerre incessante qu'il leur fait ?

Depuis quelques jours à peine je suis dans cette enceinte et déjà plusieurs fois j'ai entendu classer les membres de la gauche en jeunes et en vieux libéraux.

Je suis jeune, je suis le dernier venu. Ces paroles, sans amour-propre aucun, et sans me les appliquer tout à fait, je puis en prendre ma part.

Eh bien, M. le ministre de l'intérieur, sans avoir de mission pour répondre pour personne, sans être en communauté d'idées ni de principes avec d'autres qui m'aient chargé d'une défense commune, je viens vous dire ce que je pense des jeunes libéraux.

Si c'est être jeune libéral que de penser, malgré les sympathies que nous avons pour le cabinet, qu'il faut conserver son indépendance, et ne pas admettre que l'obéissance au ministère est le criterium de la raison politique, j'appartiens au jeune libéralisme. (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les vieux ont donné des exemples avant vous, ils ont donné des exemples d'indépendance.

M. L. Goblet. - Laissez-moi achever ; je ne vous classe pas parmi les vieux, mais j'ai le droit de dire ce que je pense. Je ne classe personne, je laisse à chacun le soin de se classer comme il l'entend.

Si c'est être jeune libéral que d'avoir combattu la poursuite d'office, j’appartiens au jeune libéralisme.

Si c'est être jeune libéral que de vouloir la condamnation de la loi de 1842 en excluant le prêtre qui vient à titre d'autorité dans l'école, je suis un jeune libéral,

Si la condamnation officielle de la convention d'Anvers appartient à ceux qui sont du jeune libéralisme, je suis du jeune libéralisme.

Si vouloir le complément de la réforme postale, la réforme pratique de nos lois douanières et des octrois est être jeune libéral, je suis dans les rangs du jeune libéralisme.

Si ceux qui combattent les aggravations de peines pour la presse, les aggravations de peines pour ceux qui outragent les objets du culte sont de jeunes libéraux, oh ! alors, j'appartiens au jeune libéralisme, et je laisse sans regret à ceux qui s'intitulent les vieux libéraux, le droit d'être fiers de leur passé, contents de leur présent, et de s'envelopper glorieusement des plis du manteau de leur vieillesse satisfaite.

M. Lelièvre. - En ce qui me concerne, je suis partisan de l'enseignement obligatoire, c'est-à-dire je pense que la société a le droit d'exiger que les pères de famille fassent instruire leurs enfants par le motif que l'instruction est, à mon avis, le pain moral non moins essentiel que l'alimentation imposée aux parents par la législation en vigueur.

Quant aux moyens à employer pour atteindre ce but, je suis d'avis qu'il faut recourir le moins possible aux voies coercitives, parce que je suis convaincu que, par la persuasion et en assurant d'ailleurs certains avantages aux parents qui rempliront ce devoir social, on peut parvenir au résultat désiré.

Du reste, si après avoir épuisé les moyens de persuasion, l'on croyait nécessaire de recourir à des sanctions pénales, il me semble que le législateur en les décrétant n'excéderait pas les limites de ses attributions, par la raison que le père qui laisse ses enfants dans l'ignorance méconnaît ses devoirs envers la société ; pareille négligence constitue un véritable désordre social que les lois peuvent dès lors réprimer.

Mais déjà, sous la législation actuelle, le père qui néglige l'instruction et l'éducation de son fils, peut être destitué de la tutelle. Pourquoi ne pourrait-on pas le priver des avantages et droits à lui accordés par la loi sur les biens de ses enfants, pourquoi ne le priverait-on pas des droits d'usufruit dont il jouit, jusqu'à ce que les enfants aient atteint l'âge de 18 ans ?

Du moment que l'on admet qu'il importe à la société que tout le monde reçoive certaine instruction, il est certain que la loi peut prendre les mesures nécessaires pour que cet intérêt social soit satisfait, et si une pénalité est indispensable pour atteindre ce but élevé, elle est, par cela même, fondée sur la justice, parce que la légitimité des peines est toujours mesurée à leur nécessité.

Je comprends parfaitement qu'en présence du grand principe de la liberté d'enseignement, on ne peut astreindre les pères de famille à admettre telle école déterminée plutôt que telle autre. Le choix entre l'enseignement public et l'enseignement privé doit rester complétement libre, mais quant au principe même de l'enseignement obligatoire, je pense qu'il résulte des obligations que l'ordre social impose aux parents et qu'en conséquence leur exécution peut être assurée par des moyens qu'il appartient au législateur d'arrêter.

Il serait digne d'un ministère libéral de réaliser une amélioration aussi importante qui doit exercer une influence considérable sur l'avenir du pays.

J'en recommande l'examen au gouvernement, qui rendrait à la Belgique un service inappréciable, s'il décrétait un principe dont les conséquences sur la civilisation sont incalculables.

Je conçois qu'il ne soit pas possible de mettre dès à présent à exécution semblable conception ; mais au moins c'est ce but qu'il faut chercher d'atteindre le plus tôt possible. C'est donc à la réalisation de cette idée que doivent tendre les efforts incessants du gouvernement.

- La séance est levée à 5 heures.