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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 2 février 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 443) (Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vermeire, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présenté l'analyse des pétitions suivantes.

« Des cultivateurs, à Lombeek-Sainte-Catherine, prient la Chambre d'établir le libre échange pour le houblon ou de soumettre ce produit à un droit d'entrée équivalent à celui dont les houblons belges sont frappés à l'étranger. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Par trois pétitions, autant de sauniers de la province de Flandre orientale prient la Chambre de n'apporter aucune modification à la loi du 5 janvier 1844. »

- Même renvoi.

Composition des bureaux de section

Les sections de février se sont constituées comme suit :

Première section

Président : M. Godin

Vice-président : M. Coppieters ’t Wallant

Secrétaire : M. Moreau

Rapporteur de pétitions : M. d’Ursel


Deuxième section

Président : M. d’Hoffschmidt

Vice-président : M. Mascart

Secrétaire : M. de Paul

Rapporteur de pétitions : M. de Boe


Troisième section

Président : M. le Bailly de Tilleghem

Vice-président : M. Deliége

Secrétaire : M. Van Iseghem

Rapporteur de pétitions : M. Julliot


Quatrième section

Président : M. de Luesemans

Vice-président : M. Manilius

Secrétaire : M. Dechentinnes

Rapporteur de pétitions : M. H. Dumortier


Cinquième section

Président : M. Muller

Vice-président : M. De Fré

Secrétaire : M. Orban

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Sixième section

Président : M. Van Leempoel

Vice-président : M. de Breyne

Secrétaire : M. Frison

Rapporteur de pétitions : M. Tack

Rapport sur une pétition

M. le président. - L'ordre du jour appelle en premier lieu l'examen du rapport de la commission permanente de l'industrie sur une pétition de plusieurs négociants d'Anvers, qui réclament contre le régime de faveur dont jouissent, selon eux, au chemin de fer de l'Etat, les vins de France importés en Belgique par la voie de Dunkerque. La commission conclut, par l'organe de son rapporteur, au renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.

M. Loos, rapporteur. - Messieurs, dans les pays où les chemins de fer appartiennent et sont exploités par des compagnies particulières, les gouvernements veillent à ce qu'elles fassent leur service avec sécurité pour les voyageurs et en général avec la plus grande régularité. Ils veillent aussi à ce que, au moyen des tarifs, il ne soit pas apporté de perturbations fâcheuses pour l'industrie et le commerce.

Dans notre pays, messieurs, la mission du gouvernement ne doit pas se borner à assurer l'exécution régulière du service des chemins de fer ; il doit veiller encore à ce que, dans la formation des tarifs, il ne soit produit aucune conséquence fâcheuse pour les intérêts nationaux.

Il nous a paru que, dans la circonstance qui fait l'objet de la réclamation, il n'avait pas été suffisamment tenu compte de ces derniers intérêts.

On s'est borné, selon nous, à former un tarif qui assurât au trésor des recettes convenables ; mais on a perdu de vue l'intérêt du commerce et de l'industrie.

Ainsi, au lieu de veiller à ce qu'il ne fût porté aucun préjudice à nos ports de mer, on a adopté un tarif qui établit des avantages marqués en faveur des ports étrangers.

En d'autres termes on a cherché, les faits du moins ont produit cette conséquence, à neutraliser les avantages de la position des ports belges sur les ports étrangers, par des réductions de tarifs qui ont profité aux marchandises venant de l'étranger.

Ainsi le port de Dunkerque, qui est à une plus grande distance qu'Anvers du centre de notre pays, se trouve pouvoir effectuer les transports dans notre pays, à des conditions plus avantageuses que ne peuvent le faire les ports belges. On a, comme je viens de le dire, complétement annihilé par des réductions de tarif les avantages naturels de notre position.

C'est ainsi, messieurs, qu'il en coûte moins pour expédier de Quiévrain à Bruxelles que d'Anvers à Bruxelles.

En effet, un tonneau de vin soit 4 barriques, transporté de Quiévrain à Bruxelles, ne coûte que 6-60 fr. d'après notre tarif international ; d'après le tarif appliqué aux expéditions qui se font d'Anvers vers l'intérieur du pays, on paye pour un tonneau de vin 7-15 fr. jusqu'à Bruxelles.

Pour les expéditions d'Anvers le prix est appliqué sur le poids réel de 1,100 kilog, tandis que pour les transports venant de France un tonneau de vin est admis au poids de 1,000 kilog.

Ces différences entre ces tarifs ont pour conséquence de mettre le port d'Anvers dans l'impossibilité de lutter avec celui de Dunkerque. Il existe un service de bateaux à vapeur entre Bordeaux et Anvers et un autre service entre Bordeaux et Dunkerque. Eh bien, on expédie à des conditions plus avantageuses vers notre pays par le port de Dunkerque que par celui d'Anvers.

Il me paraît qu'avant de conclure de pareils arrangements avec des compagnies étrangères, on aurait dû avant tout commencer par examiner les conséquences de l'application du tarif et on aurait été certainement amené à ne pas souscrire de pareils arrangements.

Maintenant, messieurs qu'y a-t-il à faire pour remédier à cet état de choses ? Il y a, je crois, à abaisser les frais du transport pour les importations au port d'Anvers au taux que l'on appliquera au port de Dunkerque.

Ii faut que le port d'Anvers et le port d'Ostende puissent jouir des avantages naturels de leur position et que ces avantages ne soient pas détruits par des combinaisons de tarif.

En définitive, je crois que dans les arrangements de tarifs pour l'exploitation des chemins de fer, c'est l'intérêt national qui doit dominer, c'est l'intérêt du commerce et de l'industrie du pays et non celui du commerce et de l'industrie de l'étranger.

Je demande donc que dorénavant, lors de la formation des tarifs internationaux, ces intérêts soient sérieusement pris en considération et j'espère que la réclamation dont nous nous occupons aura produit ce bon effet, que le gouvernement cherchera à remédier au mal qui a été fait jusqu'à présent.

Dans d'autres circonstances, j'ai eu l'honneur d'entretenir la Chambre de faits analogues qui se sont produits sur un autre point, c'est-à-dire pour les expéditions de Rotterdam vers la Belgique ; j'ai démontré à la Chambre qu'il en coûtait moins pour transporter par chemin de fer, du café par exemple, de Rotterdam à Liège que d'Anvers à Liège, tandis que la marchandise expédiée de Rotterdam doit passer par Anvers pour se rendre à Liège.

Il me paraît que cette situation est intolérable et doit cesser d'exister et qu'il faut qu'il y soit remédié d'une manière efficace. J'engage donc beaucoup M. le ministre des travaux publics à vouloir s'en occuper et à faire cesser un état de choses qui nuit si essentiellement aux intérêts du pays.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, je suis parfaitement d'accord avec l'honorable député d'Anvers qu'en ce qui concerne les tarifs des chemins de fer, l'intérêt du commerce et de l'industrie doit dominer avant tout.

Mais tout en étant d'accord sur ce principe, je ne suis pas d'accord avec l'honorable membre quant à la conclusion qu'il pose.

Je ne suis pas en effet d'accord avec lui sur les faits.

Le premier point que l'honorable député d'Anvers a soulevé, c'est de savoir si le port de Dunkerque est avantagé au détriment du port d'Anvers en ce qui concerne le tarif du transport des vins. Or, messieurs, il n'en est rien.

L'honorable député d'Anvers dit que le prix de transport d'une certaine quantité de vin de Quiévrain à Bruxelles est de 6 fr. 60 taudis que le prix de transport de la même quantité de vin d'Anvers à Bruxelles est de 7 fr. 15. Messieurs, ce calcul est entaché d'une double erreur.

II est évident que pour comparer les prix de transport des vins de Dunkerque vers Bruxelles et d'Anvers vers Bruxelles, il faut prendre d'un côté le prix du transport entier d'Anvers vers Bruxelles, et d'un autre côté non pas le prix de Quiévrain vers Bruxelles, mais ce prix augmenté de celui du transport de Quiévrain à Dunkerque.

On n'arrive pas de Dunkerque à Bruxelles par Quiévrain sans payer le transport de Dunkerque à Quiévrain. Or, mon honorable contradicteur ne tient aucun compte de cette portion du prix de transport.

C'est ainsi que je trouve que le port d'un tonneau de vin de Dunkerque à Quiévrain est de 12 fr., que celui de Quiévrain à Bruxelles sur 1000 kil. est de 6 fr. 60, ce qui fait que le prix de transport de Dunkerque à Bruxelles est de 18 fr. 60, et non de 6 fr. 60 comme le dit l'honorable membre ; ainsi nous avons d'un côté 18 fr. 60 et nous avons de l'autre pour le prix d'Anvers à Bruxelles, non pas 7 fr. 15 comme le dit l'honorable député, mais 6 fr. 50.

Voici d'où provient la différence entre nous de 7 fr. 15 à 6 fr. 50 pour le transport d'Anvers à Bruxelles.

L'honorable membre prétend qu'un tonneau de vin expédie de (page 444) Dunkerque n'est calculé sur le chemin de fer qu'à raison de 1,000 kil., tandis qu'il serait calculé à raison de 1,100 kil. sur le chemin de fer belge

Je dis que c'est là on une méprise ou un abus. Si c'est une méprise, il y a lieu à rectification de l'honorable député d'Anvers. S'il y a un abus, c'est un fait qui ne doit pas entrer en ligne de compte.

Il y a lieu évidemment de ce chef de la part de l'administration à donner des instructions à ses agents, et si ce fait s'est présenté, ce que je ne sais pas, il ne se représentera plus.

Ainsi en ce qui concerne les vins, je commence par contester formellement les calculs auxquels arrive l'honorable M. Loos, j'en ai fait de mon côté que je ne crois pas seulement exacts, mais que je garantis exacts, et en voici le résultat.

De Dunkerque par Quiévrain à Bruxelles, le tonneau de vin paye 18 fr. 60, d'Anvers à Bruxelles il paye 6 fr. 50. Il est vrai que le fret de Bordeaux à Anvers est plus élevé que le fret de Bordeaux à Dunkerque, mais il est évident que ce qu'en paye en plus pour le fret de Bordeaux à Anvers, n'est pas imputable au chemin de fer ni aux tarifs internationaux.

En ce qui concerne les arrangements que l'Etat belge a conclus avec la compagnie du Nord pour le transport des marchandises et du vin en particulier, j'arrive à cette conclusion que la même quantité de vin venant de Dunkerque vers Bruxelles paye 18 fr. 60 c. tandis que d'Anvers à Bruxelles elle ne paye que 6 fr. 50, différence en faveur d'Anvers 12 fr. 60.

. Pour Mons, cette quantité venant de Dunkerque paye 14 fr. 70 c. ; venant d'Anvers, elle paie 13 fr. différence en faveur d'Anvers 1 fr. 70 c.

Pour Gand, de Dunkerque fr. 14-80, d'Anvers fr. 8-50, différence en faveur d'Anvers fr. 6-30.

Pour Liège, de Dunkerque fr. 23-80, d'Anvers fr. 13-50, différence en faveur d'Anvers fr. 10-30.

Enfin pour citer la dernière ville qui se trouve renseignée dans la pétition arrivée à la Chambre de la part des négociants anversois, pour Cologne, on paye de Dunkerque fr. 32-90, et d'Anvers fr. 18, différence en faveur d'Anvers fr. 14-90.

Vous voyez, messieurs, que la ville d'Anvers a tort de se plaindre des tarifs internationaux, tout au moins en ce qui concerne les vins, et c'est à propos du transport des vins que la réclamation s'est élevée.

En effet la réclamation ne porte que sur cette seule marchandise ; c'est à ce point que les réclamants prétendent qu'il y a un tarif spécial pour les vins, ce qui est une erreur.

Maintenant pour tout dire, il y a une légère différence en faveur de Dunkerque en ce qui concerne le transport des vins pour Courtrai et Tournai. Mais cela tient à la position topographique de ces deux villes, à ce que ces villes sont des villes frontières.

En somme le tarif international en ce qui concerne le vin est éminemment favorable à la ville d'Anvers.

Mais, messieurs, il y a plus, il faut prendre ce tarif dans son ensemble. Il ne faut pas voir seulement comment il se comporte vis-à-vis la marchandise spéciale appelée vin, il faut considérer ses stipulations générales et en supposant même que l'honorable député eût raison, ce que je nie énergiquement, sur la question des vins, il faut voir ce que le tarif stipule dans son ensemble pour le commerce et pour l'industrie belge.

Eh bien, nous voyons figurer à côté des vins pour le transport à des prix réduits (car il est vrai que les prix des tarifs internationaux pour certaines marchandises sont inférieurs aux prix des tarifs intérieurs, nous voyons, dis-je, figurer à côté des vins, les bières belges qu'on transporte sur le chemin de fer du Nord, à meilleur marché que les bières françaises. Nous y voyons figurer les bois de construction, les cafés, les cotons, les clous, les tôles, les fers, que la Belgique a le plus grand intérêt à transporter vers la France à bas prix. Nous y voyons figurer quelque chose de mieux, nous y voyons figurer l'article transit, c'est-à-dire l'application du tarif le moins élevé au transport de toutes espèces de marchandises qui empruntent le port d'Anvers soit pour sortir de France soit pour y entrer.

Le tarif du transit a amené ce résultat, que le mouvement actuel entre la Belgique et la France ne s'élève pas à moins de 10,000 tonnes par an.

Maintenant ce tarif international qu’on critique à tort, à, quelle conséquence conduit-il, au point de vue du transit ? Il conduit à cette conséquence très remarquable, sur laquelle j'appelle l'attention de la Chambre et particulièrement celle de l'honorable député d'Anvers, que la ville d'Anvers peut alimenter Lille à beaucoup meilleur marché que ne peut le faire la ville de Dunkerque....

M. Loos. - Sauf les droits.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Nous parlons tarifs.

D'Anvers à Lille, l'Etat belge perçoit, du chef de 124 kilom. de parcours, une prime de 8 fr. 70 c., la compagnie du Nord, pour 18 kilom. touche 2 fr. 50 c.

Ensemble poir 142 kilomètres, 11 francs. Maintenant, de Dunkerque à Lille, la distance n'étant que de 84 kilom., on paye 11 fr. 50 c. C'est-à-dire 50 c de plus pour 58 kilom. de moins.

Voilà l'application du tarif international avec la France, pour l'approvisionnement de Lille, en ce qui concerne Anvers. Je n'ai pas besoin de faire remarquer qu'il en est de même pour l'approvisionnement de toutes les villes du Nord de la France, de centres très importants de population, comme Douai, Arras, Valenciennes.

Un fait qui est encore plus remarquable, c'est la concurrence que peut faire, au moyen des tarifs internationaux, la ville d'Anvers à celle du Havre pour l'approvisionnement de Paris,

D'Anvers à Paris, il y a 415 kilom., dont 124 sur le territoire belge et 291 sur le territoire français. Or, le prix de transport d'Anvers à Paris est de 29 fr. par 1,000 kilog., tandis que du Havre à Paris, on paye 24-30 fr., bien que la distance entre ces deux dernières villes ne soit guère que de moitié de celle d'Anvers à Paris ; ainsi il y a dans le prix de transport une différence de fr. 4-70.

Il n'y a donc pas tant à se plaindre des tarifs internationaux.

J'arrive au tarif avec la Hollande.

Il est vrai que dans l'état de choses que la compagnie de Rotterdam à Anvers a créé, le prix de Rotterdam vers certaines villes de la Belgique est un peu inférieur au prix d'Anvers vers ces mêmes villes. Ainsi, en ce qui concerne Liège, on transporte la même quantité de marchandises de Rotterdam à Liège, à un prix moindre que d'Anvers à Liège ; la différence est insignifiante ; elle est un peu plus forte pour d'autres localités, comme Verviers, Aix-la-Chapelle, Cologne. Mais ce n'est pas là le fait des tarifs. D'après le tarif arrêté entre la Belgique et la compagnie hollandaise de Rotterdam à Anvers, tous les prix de transport d'Anvers vers un point quelconque de la Belgique sont inférieurs aux prix de transport de Rotterdam vers ces mêmes villes.

Maintenant il y a un fait nouveau indépendant du tarif, c'est une remise que la société de Rotterdam à Anvers a consentie sur certaines marchandises transportées par quantités d'au moins 10,000 kil. Eh bien, ce n'est pas le gouvernement belge qui a introduit cette remise ; c'est la société hollandaise qui l'a accordée de sa seule autorité. Ce n'est qu'à la suite de cette remise consentie en dehors de notre participation, qu'effectivement il y a une légère différence entre les prix de Rotterdam à ceux d'Anvers pour certaines marchandises, vers certaines villes et pour certaines quantités.

Mais ce n'est pas au tarif international qu'on doit s'en prendre de cette différence, c'est un fait provenant de la seule volonté de la compagnie hollandaise.

Maintenant y a-t-il intérêt pour nous à défendre ce fait ? Avant d'examiner si nous avons intérêt à le défendre, je dois me demander si nous avons le droit de le défendre, car c'est la compagnie hollandaise qui supporte exclusivement le montant de la remise, qui la fait directement ; nous avons, nous, toujours notre part dans le prix du transport d'après le tarif primitif arrêté entre les deux parties.

II est très contestable que nous ayons le droit d'interdire à la compagnie hollandaise de faire la remise qu'elle a consentie. Mais supposons que nous ayons ce droit et que nous en usions, quelle en sera la conséquence ? Pourquoi la compagnie hollandaise a-t-elle introduit la remise dont il s'agit ? Pour faire concurrence, non à Anvers, mais au cabotage intérieur.

De Rotterdam on peut expédier les marchandises par bateau vers les villes les plus importantes de la Belgique, à des prix inférieurs à ceux du chemin de fer, même en tenant compte de la remise. Ainsi, si on relève le tarif, il peut arriver que ce ne soit pas Anvers qui profite de ce retour au tarif, mais la navigation intérieure. Dans ce cas, je demande au nom de quel intérêt sérieux on chercherait à relever le tarif de la compagnie hollando-belge par l'abolition de la remise ?

Anvers, je le répète, et ce point est d'une extrême importance, n'est pas le seul intermédiaire entre Rotterdam et les principales villes de la Belgique, il y a beaucoup de canaux, l'Escaut, la Meuse, le Ruppel, le canal de Willebroeck, celui de Charleroi, qui transportent de Rotterdam aux principales villes de notre pays, à des prix plus bas que ceux auxquels le chemin de fer pourra jamais descendre. Je prie la Chambre de ne pas perdre de vue ce point.

Maintenant, cette remise consentie par la société de Rotterdam, offre encore ceci de remarquable ; je viens de dire qu'elle semble nécessaire pour faire la concurrence au cabotage intérieur.

De plus, elle est applicable aux transports d'Anvers vers la Hollande Elle n'est pas seulement introduite pour les expéditions qui ont Rotterdam pour point d'origine, mais pour les expéditions qui partent de Belgique et qui ont pour point de destination l'une des localités traversées par le chemin de fer hollandais sur le territoire de la Hollande. C'est ainsi qu'on paye moins pour envoyer une certaine quantité de marchandises d'Anvers pour un point intermédiaire vers Rotterdam, que pour opérer ce transport de Rotterdam vers cette même localité, si l'on fait entrer en compte la remise consentie par la compagnie, car la remise ne s'applique qu'aux expéditions internationales, Anvers a plus à gagner à conserver qu'à voir changer l'état de choses introduit par la société de Rotterdam.

Quoi qu'il en soit, je pense que les tarifs internationaux, en ce qui concerne les réclamations dont nous nous occupons, ne souffrent pas les critiques que l'on a fait valoir. Je pense qu'on pourrait plus fortement critiquer ces tarifs sous un autre rapport.

Les tarifs intérieurs ont trois classes, trois catégories de taxes, savoir (page 445) à 5, à 4 et à 3 centimes par 100 kilog. et par kilomètre ; les tarifs internationaux n'en ont que deux, à 5 et à 5 centimes.

La classe intermédiaire de 4 centimes que nous avons dans les tarifs intérieurs manque dans les tarifs internationaux, dans les tarifs avec la France, avec la compagnie hollandaise de Rotterdam, avec le chemin de fer Rhénan et la Société néerlando-belge, de Londres à Maestricht, ainsi appelée pour la distinguer de la compagnie hollando-belge proprement dite de Rotterdam à Anvers.

Les tarif, internationaux n'ont donc que deux classes à 5 et à 3 centimes. Outre la différence de transport, une autre différence existe entre les tarifs internationaux et les tarifs intérieurs, elle résulte de la différence de classification des marchandises, telle marchandise figurant dans la section la plus élevée du tarif extérieur, qui figure dans la section la moins élevée du tarif international. Cette dernière différence existe et existera toujours.

Un tarif international est un contrat bilatéral dans lequel on a cherché à concilier les intérêts de la Belgique et ceux du pays ou plutôt de la compagnie avec laquelle on traitait.

Mais le pays étranger ou plutôt la compagnie étrangère a su nous empêcher, en consultant ses propres intérêts, et sauf à nous faire des concessions réciproques, de classer les marchandises à notre gré.

Il y a donc des différences importantes dans la classification des marchandises ; et ces différences pourraient être atténuées en grande partie par l’introduction, dans les tarifs internationaux, d'une section intermédiaire à 4 centimes, entre les sections à 5 centimes et à 3 centimes qui existent. Cette catégorie intermédiaire manque et il n'y a pas de raison tout à fait concluante pour qu'elle continue à manquer. Le département des travaux publics pense qu'il y a là quelque chose à faire ; et, en ce moment même il est en négociation avec les compagnies des pays voisins pour faire subir aux tarifs internationaux une modification dans le sens de l'introduction de cette catégorie intermédiaire à 4 centimes.

Si ces négociations aboutissent, et j'ai tout lieu de croire qu'elles aboutiront, elles sont même assez avancées déjà, il y aura nécessairement une nouvelle classification des marchandises à établir dans les tarifs. Cette mesure aurait aussi pour effet de faire disparaître beaucoup de petites anomalies qu'on pourrait signaler actuellement.

Je crois ; messieurs, avoir démontré que les anomalies indiquées par l'honorable député d'Anvers n'existent pas. Il se peut cependant qu'il y en ait d'autres ; voici pourquoi : c'est que, en ce qui concerne les tarifs intérieurs, il y a certaines marchandises figurant dans la classe la plus élevée dont le transport à l'intérieur est fixé à cinq centimes ; tandis que, par suite des concessions faites aux sociétés étrangères, ces mêmes marchandises figurent dans la classe la moins élevée des tarifs internationaux et sont transportées à raison de 3 centimes. Il en résulte certaines bizarreries dans la pratique qui viendraient à disparaître si l'on établissait cette catégorie intermédiaire à 4 centimes dans les tarifs internationaux.

Il faudrait alors, comme je viens de l'indiquer, faire subir un changement à la classification des marchandises en destination ou en provenance de l'étranger, et faire payer 4 centimes aux marchandises qui payent aujourd'hui tantôt 5 et tantôt 3 centimes.

Ainsi, messieurs, tout en étant en désaccord avec l'honorable député d'Anvers sur le fait spécial signalé dans la pétition dont nous nous occupons, nous parviendrons, je pense, à nous entendre et à faire cesser quelques anomalies au moyen de la mesure que je viens d'indiquer. La chambre de commerce d'Anvers a connaissance de ces négociations et je crois que tout ce qui a été fait jusqu'à présent dans cette question par le département des travaux publics a reçu son approbation. Il a surgi quelques difficultés de détail, mais ces difficultés viendront, j'espère, à disparaître.

Je pense donc que, dans un avenir prochain, MM. les pétitionnaires d'Anvers obtiendront, sous ce rapport, une satisfaction complète.

Je pense aussi que des explications que je viens d'avoir l'honneur de donner, il résultera pour la Chambre cette conviction que nos tarifs internationaux ne sont pas aussi mauvais qu'on l'a dit, et que, du fait nouveau que je viens d'annoncer, le fait de l'ouverture de négociations avec les compagnies étrangères, il résultera, pour l'honorable député d'Anvers en particulier, la garantie que droit sera fait aux réclamations qu'il vient de produire, par la mesure que je viens d'annoncer, quoique nous ne soyons pas d'accord sur plusieurs points de cotte discussion.

M. Loos. - Je remercie M. le ministre des travaux publics des conclusions de sou discours, conclusions qui nous permettent d'espérer de voir enfin disparaître les anomalies que présentent certains de nos tarifs internationaux.

M. le ministre, en me répondant, a dit que mon argumentation était entachée d'une double erreur. Il n'en est rien, messieurs, j'espère vous en convaincre complétement.

M. le ministre nous a dit, d'abord, qu'en évaluant à 7 fr. 15 c. le transport de quatre barriques de vin d'Anvers pour Bruxelles, je commettais une erreur ; qu'en réalité ces frais de transport ne sont que de 6 fr. 50 c. Il a ajouté que, si l'on transportait quatre barriques de vin de Dunkerque à raison de 1,000 kilogrammes tandis que l'on comptait 1,100 kil. en partant d'Anvers, il y avait là une erreur ou un abus.

Oui, messieurs, j'ai pensé aussi qu'il y avait là ou une erreur ou un abus ; les pétitionnaires qui s'adressent aujourd'hui à la Chambre ont cru de leur côté ; ils ont signalé cette erreur ou cet abus à l’administration depuis le mois de janvier 1858 et je tiens en main des preuves positives qu'au 31 décembre 1858 la même erreur ou le même abus existait encore.

J'offre à M. le ministre la communication des pièces auxquelles je fais allusion ; elles lui fourniront la preuve que de Dunkerque vers la Belgique quatre barriques de vin ne sont comptées que pour 1,000 kilog., tandis que d'Anvers on les compte pour 1,100 kilog. Je n'ai donc pas fait erreur, messieurs, en vous disant que le transport d'Anvers à Bruxelles revient à 7 fr. 15 c. par tonneau, tandis que de Quiévrain à Bruxelles il ne coûte que 6 fr. 60 c.

Mais, dit M. le ministre, vous prétendez que, de cette façon, le port de Dunkerque peut importer plus avantageusement que le port d'Anvers, et il a cherché à prouver qu'il n'en était rien.

Messieurs, si je ne vous ai pas parlé du port qui se perçoit de Dunkerque à la frontière belge, c'est que j'ai pensé que, à cet égard, une réclamation adressée à la Chambre ne pouvait avoir aucun résultat.

La compagnie du Nord a le droit de compter ce qu'elle veut pour le parcours sur ses lignes ; de même que la Belgique peut établir un tarif comme elle le juge convenable.

Je n'ai donc pas cru devoir produire devant la Chambre belge une réclamation qui s'adresserait au parcours de Dunkerque à la frontière. Mais le fait de la supériorité de Dunkerque sur Anvers n'en existe pas moins et je vais encore vous en fournir la preuve.

M. le ministre dit que le fret par bateaux à vapeur de Bordeaux à Anvers est plus élevé que celui de Bordeaux à Dunkerque. J'en conviens, mais si l'on appliquait aux transports d'Anvers vers l'intérieur du pays le prix appliqué aux transports de Dunkerque vers l'intérieur de la Belgique, la différence entre le fret de Bordeaux à Dunkerque viendrait à disparaître. J'en ai fourni la preuve à l'administration depuis fort longtemps, car cette réclamation remonte déjà à notre dernière session et toutes les preuves que j'ai en mains, je les ai fournies à l'administration pour qu'elle en fît son profit.

Ainsi j'établis de nouveau que d'Anvers quatre barriques de vin payent pour 1,100 kilog. tandis que, importées par Dunkerque, elles ne payent que pour mille kilog. ; j'ajoute que ce fait existe depuis fort longtemps, qu'il a été officiellement signalé à l'administration dès le mois de janvier de l'année dernière et que, n'obtenant aucune solution, les réclamants ont dû finalement s'adressera la Chambre. Si le fait dont ils se plaignent est le résultat d'une erreur ou d'un abus, il me semble que l'administration aura largement le temps d'y mettre un terme.

Voici, messieurs, le compte d'importation par Dunkerque et par Anvers : au prix du tarif international le transport d'un tonneau de vin de Dunkerque à Bruxelles s'élève à 40 fr. 60 c, si au contraire on y applique le tarif intérieur en prenant 1,100 kilos, on paye 45 fr. Si l'on applique aux transports d'Anvers le prix du transport international, il n'en coûte que 39 fr. 70 c. par tonneau transporté de Bordeaux à Bruxelles ; au prix du tarif intérieur, celui qui est appliqué il en coûte 41 fr. 65 c. Vous voyez donc qu'il y a une différence importante entre ces deux hypothèses.

Il y a donc de la marge en faveur d'Anvers, si les mêmes tarifs sont appliqués aux importations par Anvers comme aux importations par Dunkerque.

Si l'on applique les tarifs intérieurs aux importations par Dunkerque, il en coûte plus pour faire revenir par Dunkerque ; d'un autre côté, si on applique le tarif international au transport d'Anvers et au transport de Dunkerque, Anvers peut encore transporter à meilleur marché.

Les conséquences que j'ai signalées existent donc bien réellement. Les comptes que j'ai tous les yeux, je les ai remis aussi à l'administration il y a à peu près un an.

J'ai attendu qu'on en fît la réfutation auprès des réclamants.

Cette réfutation n'est pas arrivée, et je trouve qu'elle n'existe pas plus aujourd'hui.

M. le ministre a dit : On nous parle de l'importation des vins, mais on ne s'occupe pas d'autres marchandises. Messieurs, la commission permanente d'industrie n'a été saisie que d'une réclamation en ce qui concerne les vins ; elle n'a donc pas cru devoir entrer dans des considérations sur d'autres parties du tarif.

M. le ministre nous dit qu'on paraît croire qu'il existe un tarif spécial pour les vins.

Eh bien, oui, il existe un tarif spécial pour le vin, puisque le vin, par le tarif international, se trouve autrement classé que dans le tarif intérieur : c'est donc une classification spéciale. Si le vin était classé chez nous dans la même catégorie qu’en France, la différence de transport que je signale n'existerait pas. Il y a donc un tarif spécial pour le vin, c'est à-dire que les vins sont autrement classés quand ils sont transportés par Dunkerque que quand ils sont transportés par Anvers.

M. le ministre dit que nous avons passé sous silence les avantages qui résultent de ce tarif quant aux importations de la Belgique vers la France. Vous savez bien que les avantages qui pourraient résulter du tarif des transports sont tout à fait annulés par les droits de douane. Que m'importe si je puis transporter à bon marché et si les droits de douane y mettent obstacle ! Vous comprenez qu'il ne résulte alors aucun avantage de vos tarifs.

(page 446) Maintenant, pour ce qui concerne les transports par Rotterdam, M. le ministre dit : C'est la compagnie particulière qui agit de son propre mouvement et qui prend à sa charge la réduction qu'elle a opérée dans son tarif. Je le veux bien. Mais, comme je l'ai dit en commençant, dans les pays où les chemins de fer en général sont exploités par des compagnies particulières, le gouvernement veille à ce qu'il ne se présente pas de ces sortes d'anomalies, par lesquelles les intérêts du commerce et de l'industrie éprouvent un préjudice.

Il est souvent arrivé en France que des arrangements particuliers ont été faits avec certaines industries et que le gouvernement est intervenu pour faire cesser ces arrangements et annuler des avantages qui avaient été faits non pas dans le but d'avantager une industrie, mais dans le but de favoriser la caisse des chemins de fer.

Je suis persuadé que si des anomalies du genre de celle que nous signalons s'étaient présentées en France, elles auraient disparu depuis longtemps sur les réclamations du commerce et de l'industrie.

M. le ministre nous dit aussi que la réduction que la compagnie de Rotterdam a introduite dans son tarif avait pour but de parer à la concurrence que fait la navigation, et M. le ministre a conclu en disant que si les marchandises de Rotterdam se transportaient par eau, le port d'Anvers n'en profiterait pas.

Messieurs, je ne suis pas seulement le défenseur des intérêts du port d'Anvers, il s'agit ici des intérêts nationaux, et si des marchandises peuvent être transportées dans des conditions meilleures par eau, je ne vois pas pourquoi nous nous prêterions à des combinaisons de tarifs qui, pour empêcher les importations par eau, viendraient à créer un privilège en faveur d'un port étranger.

Je le répète, je ne plaide pas seulement ici pour Anvers, je sais fort bien qu'il existe dans le pays des canaux et que les marchandises qui seront amenées à Louvain, à Bruxelles, etc., par les canaux n'apporteront aucun profit à Anvers. Mais ce n'est pas un motif pour que j'admette que le gouvernement peut se prêter à des combinaisons qui jettent la perturbation dans les intérêts belges.

Ces anomalies ne sont donc pas justifiées par les intérêts qu'invoque la compagnie hollandaise.

M. le ministre nous dit encore que le tarif qui existe en Hollande, profite d'un autre côté à la Belgique, qu'Anvers peut expédier vers la Hollande, à des prix plus bas qu'on ne peut expédier de Rotterdam vers l'intérieur du pays. Il oublie que la même chose existe en Belgique. Nous avons, en Belgique, un tarif pour l'intérieur et un tarif pour l'étranger. La compagnie de Rotterdam en a fait de même, son tarif intérieur est plus élevé que son tarif international. Mais ce n'est pas pour donner au port d'Anvers la facilité d'expédier des marchandises coloniales vers la Hollande, ce qui, du reste, ne se fait pas et ne se ferait pas alors même que les prix seraient plus réduits encore.

Je maintiens donc les conclusions du rapport qui tendent à renvoyer la pétition à M. le ministre des travaux publics. Elle a déjà eu pour conséquence de voir le département des travaux publics s'occuper de l'affaire en promettant qu'avant peu la plupart des anomalies qui ont été signalées viendront à disparaître, et pour mon compte je me tiens satisfait des explications de M le ministre.

M. Tack. - L'honorable ministre des travaux publics, en terminant son discours, a reconnu qu'il y avait, dans les tarifs du chemin de fer de l'Etat, certaines anomalies qu'il importait de faire disparaître. Ces anomalies sont assez nombreuses et elles ont eu pour conséquence d'introduire dans nos tarifs une espèce de système de pondération, d'équilibre, un véritable régime différentiel, d'autant plus imparfait qu'il n'a pas été le résultat de vues d'ensemble, d'un plan arrêté d'avance, mais plutôt des circonstances qui se sont successivement présentées et que partant il a nécessairement jeté la perturbation dans les rapports naturels du commerce et de l'industrie pour y substituer des relations factices.

Il n'y a pas seulement des anomalies dans le tarif international, il y en a encore et peut-être d'aussi fortes dans le tarif qui règle le service intérieur des chemins de fer de l'Etat dans ses rapports avec les tarifs des voies concédées.

Voici un exemple. Supposez un waggon chargé de 5,000 kil. de marchandise expédié de Liège vers Courtrai au tarif spécial ; le prix de transport sera de 85 fr. Mais supposez que ce même waggon chargé de 5,000 kil. de produits pondéreux de certaine espèce, au lieu de s'arrêter à la station de Courtrai, la traverse et s'arrête dans la station de Heule qui est la première station du chemin de fer de la compagnie concessionnaire de la Flandre occidentale, située au-delà de Courtrai dans la direction de Bruges, il ne payera plus 85 fr., comme dans la première hypothèse, mais seulement 65 fr. ; c'est donc une différence de 18 fr., ou même de 20 fr. si vous avez égard au décompte à faire entre l'Etat et la compagnie, c'est-à-dire que le prix du transport est en raison inverse de la distance parcourue, ou, si vous voulez, que, plus les frais de transport, de traction et d'administration sont considérables, moins élevée est la rémunération que reçoit l'Etat. En résumé l'Etat accorde ici une prime de 25 p. c.

Ce qui fait que les négociants de Courtrai, quand ils ne sont pas pressés de recevoir leurs marchandises telles que les céréales, la houille, le coke, les engrais, les expédient sur la station de Heule au lieu de les expédier sur la station de Courtrai, et puis les font rétrograder soit par chemin, soit par voie de roulage en empruntant la route pavée. (Interruption.)

Mon assertion ne semble pas croyable, et un honorable ministre fait un signe de tête négatif, mais je maintiens ce que j'ai dit, j'en garantis l'exactitude, j'en ai la preuve ; oui il arrive que l'on décharge les marchandises dans la station de Heule pour les faire revenir par roulage jusqu'à Courtrai et les négociants y trouvent leur bénéfice. Je me souviens en ce moment d'une circonstance qui, a produit dans le temps une certaine émotion dans la ville de Courtrai. C'était au moment de la cherté des denrées alimentaires.

On avait remarqué que les céréales, en destination de Courtrai, étaient expédiées sur la station de Heule ; puis on faisait faire la navette à la marchandise, on la faisait voyager entre cette station et celle de Courtrai.

Le public prétendait que les négociants en agissaient ainsi dans le dessein de faire renchérir les céréales, il n'en était rien ; informations prises, on constata qu'ils n'avaient en vue que de réaliser des économies sur les frais de transport.

Maintenant pourquoi cette espèce de concession faite à la compagnie de la Flandre occidentale ?

Le motif en est aussi curieux que le fait même ; l'Etat belge a voulu par-là permettre à la société concessionnaire de faire concurrence à la navigation qui se pratique sur la Lys. Donc l'Etat a fourni à la société des armes contre lui-même. Des plaintes ont surgi, beaucoup d'anciens négociants de charbon étaient établis le long de la Lys ; d'autres sont venus fonder, au détriment des premiers, des établissements dans des localités situées le long du chemin de fer concédé de la Flandre occidentale ; la compagnie elle-même a fait le commerce des houilles par l'intermédiaire de ses agents. Les plaintes des anciens négociants ne seraient certes pas fondées, si les prix étaient uniformes pour le transport des marchandises sur le chemin de fer de l'Etat et sur le chemin de fer concédé.

Mais il faut l'avouer, en présence de la divergence que j'ai signalée, il y a quelque chose à redire, et il conviendrait, au moins, que le gouvernement consentît à abaisser les péages sur la Lys.

Je n'entends pas faire de reproche au gouvernement. De pareilles anomalies existent aussi ailleurs, ainsi que me l'affirme l’honorable M. Vermeire. C'est la conséquence des tâtonnements auxquels on a été nécessairement réduit dans le principe ; les chemins de fer n'ont pas dit leur dernier mot, le temps apprendra quels perfectionnements il faudra ultérieurement adopter.

Nous sommes peut-être nous-mêmes un peu cause de ces anomalies ; car plus d'une fois j'ai entendu répéter dans cette enceinte qu'il fallait que le gouvernement exploitât commercialement le chemin de fer ; beaucoup de membres entendent par là qu'il conviendrait d'avoir des tarifs flexibles, grâce auxquels on peut accorder, dans des moments donnés, des faveurs à certaines industries ; je comprends qu'une compagnie puisse faire cela ; mais je ne puis admettre que le gouvernement eu aurait le droit.

Une compagnie a un but unique, celui de réaliser les plus grands bénéfices possibles et de distribuer à ses actionnaires de gros dividendes au bout de l'année ; le gouvernement, lui, ne doit avoir eu vue que l'intérêt général de l'industrie ; il doit traiter toutes les industries de la même manière, sur le pied de l'égalité, car toutes sont égales devant la loi de l'impôt.

Je conclu en faisant remarquer qu'il serait désirable, conformément à ce que nous faisait espérer M. le ministre des finances dans la séance précédente, que le gouvernement pût introduire dans nos tarifs certains principes généraux, larges, mais avant tout stables, et qui auraient pour base l'égalité.

Il ne faut pas laisser s'invétérer le mal ; il ne faut pas que des industries factices se créent, se développent et grandissent à la faveur et sur la loi des tarifs ; car nous rencontrerions, lorsque nous voudrions admettre des reformes, l’inconvénient qui se présente actuellement quant aux péages sur les canaux, que les uns voudraient voir réduire, que d'autres cherchent à maintenir. Ceux qui auraient immobilisé leurs capitaux dans ces industries qui jouissent des faveurs sur les transports par chemin de fer pourraient venir prétendre avec certaine raison qu'ils se sont fondés sur la foi des tarifs et règlements et qu'il n'appartient pas au gouvernement de venir brusquement bouleverser et rendre stériles des' entreprises importantes qu'il avait auparavant encouragées.

M. Vermeire. - Messieurs, mon intention n'est pas d'entrer dans le fond du débat qui s'est engagé entre le ministre des travaux publics et les honorables préopinants. Seulement je constate de nouveau que nos tarifs sont établis de telle sorte qu’ils prêtent à la critique la plus sévère et la plus juste.

J'engagerai M. le ministre des travaux publics à vouloir bien étudier ce qu’il y a à faire dans l'occurrence et à nous présenter un projet de loi ayant pour objet de régler la tarification du transport des marchandises sur le chemin de fer.

Cela est d'autant plus nécessaire, que la loi qui a décrété les chemins de fer, en fait une obligation formelle au gouvernement. Je pense que c’est le seul moyen de sortir de l’embarras dans lequel nous nous trouvons et qui donne lieu à des observations toujours renouvelées.

M. le président. - Personne né demandant plus la parole, je mets (page 447) aux voix les conclusions de la commission qui sont le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explication.

- Un membre. - Le renvoi pur et simple !

M. Loos, rapporteur. - D'après les explications qui ont été données aujourd'hui, pour ma part je n'insisterai pas pour qu'on demande de nouveau des explications.

Je propose donc le renvoi pur et simple de la pétition de M. le ministre des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.

Motion d’ordre

M. Rodenbach. - Messieurs, je regrette infiniment de n'avoir pas été présent dans cette enceinte, lorsque la Chambre a discuté la taxe à 10 centimes. Mais puisqu'un vote est intervenu et qu'on ne peut pas revenir sur cette décision, du moins cette année, je crois devoir signaler de graves abus qui se rencontrent surtout dans la poste rurale.

Je sais que M. le ministre des travaux publics est entré depuis trop peu de temps aux affaires pour qu'il ait eu le temps de porter son attention sur cet objet. Mais tous ses prédécesseurs se sont occupés de la question postale depuis un grand nombre d'années, des documents nombreux doivent reposer dans les archives du département des travaux publics, de manière que M. le ministre n'aura plus qu'à les parcourir, à se former une opinion et à prendre des mesures.

Messieurs, je serai bref dans mes observations. La poste rurale est mal organisée en Belgique.

C'est à tel point que les lettres qu'on envoie par suite de l'insuffisance du nombre des facteurs ne sont remises bien souvent qu'au bout de deux ou trois jours.

M. le président. - C'est une discussion qui n'est pas à l'ordre du jour.

- Plusieurs voix : Au budget ! au budget !

M. Rodenbach. - Mais au budget, c'est dans un an !

M. de Naeyer. - Mais non, au prochain budget des travaux publics.,

M. Rodenbach. - Soit, au budget des travaux publics. Je me résume. En Angleterre, on vient d'introduire des améliorations ; à dater du 10 de ce mois, la poste n'expédiera plus à l'intérieur les lettres non affranchies, car les destinataires les refusent.

Le commerce réclame fortement qu'on s'occupe de la poste et notamment de la poste rurale. Il y a des abus nombreux, c'est un fait ; il est plus que temps qu'on y porte remède, et lors de la discussion du budget des travaux publics, je signalerai de graves abus. Je me bornerai aujourd'hui à ce peu de mots.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre IV)

Discussion des articles

Titre IV. Des crimes et des délits contre l’ordre public, commis par des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions, ou par les ministres des cultes, dans l’exercice de leurs ministères

Chapitre premier. De la coalition des fonctionnaires

M. le président. - Précédemment nous avons eu une discussion générale ; elle a été close ; nous en sommes arrivés à la discussion des articles.

La discussion s'ouvre sur le projet du gouvernement.

Intitulé du titre IV et article 247

« Titre IV (projet du gouvernement). Des crimes et des délits contre l'ordre public, commis par des fonctionnaires ou des ministres du culte dans l'exercice de leurs fonctions. »

« Chapitre premier. De la coalition des fonctionnaires »

« Art. 247 (projet du gouvernement). Tout concert de mesures contraires aux lois, pratiqué soit par la réunion d'individus ou de corps dépositaires de quelque partie de l’autorité publique, soit par députation ou correspondance entre eux, sera puni d'un emprisonnement d'un à six mois, et les coupables pourront de plus être interdits du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics. »

« Titre IV (projet de la commission). Des crimes et des délits contre l'ordre public, commis par des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions, ou par les ministres des cultes, dans l'exercice de leur ministère. »

« Chapitre premier. De la coalition des fonctionnaires »

« Art. 247. Tout concert de mesures contraires aux lois, soit par la réunion d'individus où de corps dépositaires de quelque partie de l'autorité publique, soit par députation ou correspondance outre, eux, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à six mois, et les coupables pourront être condamnés, en outre, à l'interdiction du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je me rallie à la rédaction proposée par la commission. Toutefois je signale l'omission d'un mot, du mot « pratiqué » après les mots : « tout concert de mesures contraires aux lois. »

Mais je ne me rallie pas aux commentaires faits sur cet article par l'honorable rapporteur ; on s’est demandé si les arrêtés pris «en exécution de la loi étaient compris dans la dénomination générale de lois employée dans l'article et si par conséquent le concert de mesures contraires à un de ces arrêtés tomberait sous son application.

La commission qui a rédigé ce projet s'était fait la même question et l'avait résolue affirmativement ; elle avait dit : Sous la dénomination générale lois l'article comprend les arrêtés royaux rendus pour l'exécution d'une loi. L'honorable M. Moncheur dans son rapport ne se rallie pas à cette opinion, cependant je pense que c'est la vraie. Quand le législateur délègue au pouvoir le droit de prendre des arrêtés organiques, ces arrêtés participent du caractère de la loi ; ils doivent être garantis de la même manière que la loi elle-même.

D'un autre côté, il peut arriver que le gouvernement soit appelé à déterminer par un arrêté certaines conditions d'où dépende l'exécution de la loi.

Si des mesures contraires aux dispositions d'un semblable arrêté pouvaient être concertées impunément, il pourrait s'ensuivre que la loi elle-même serait paralysée.

Je dois donc maintenir l'interprétation qui a été donnée à cet article par la commission.

Depuis la publication du rapport de la commission, celle-ci s'est livrée à un nouvel examen de cet article, et j'espère qu'elle se ralliera à mon opinion.

M. Moncheur, rapporteur. - Si le rapport de la commission qui sert d'exposé de motifs au projet de loi de révision du Code pénal, s'était exprimé comme vient de le faire M. le ministre de la justice, votre commission n'aurait, sans doute, pas cru nécessaire de faire l'observation qui se trouve consignée dans son rapport à elle, mais l'exposé des motifs ne s'exprime pas de cette manière.

En effet, M. le ministre de la justice suppose, si je l'ai bien compris, le cas où la loi aurait délégué au pouvoir exécutif la mission de prendre, par un arrêté royal d'exécution, certaines dispositions, certaines mesures d'où pourrait dépendre, sur quelques points donnés, l'exécution de la loi elle-même. Or, dans ce cas, un semblable arrêté pris par délégation du législateur, serait pour ainsi dire, censé faire partie de la loi elle-même ; car, on est censé avoir fait soi-même ce qu'on a fait par mandataire.

Je pense donc que dans cette hypothèse, l'arrêté royal pourrait être mis, au point de vue de l’objet de notre article, sur la même ligne que la loi.

Mais l'exposé des motifs dit, en termes généraux, que sous le mot lois, la commission qui a rédigé le projet a entendu les arrêtés pris pour l'exécution de la loi. Or, il y a une grande différence entre les arrêtés pris en exécution de la loi et ceux qui ont faits pour son exécution.

Ces derniers entrent souvent et même ordinairement dans des détails si minutieux, qu'il serait inutile et trop rigoureux de punir en vertu de notre article, les fonctionnaires qui auraient pratiqué un concert de mesures qui leur seraient contraires.

Votre commission, messieurs, a donc cru, d'accord eu cela avec les commentateurs et notamment avec Carnot, que les arrêtés de ce genre ne pouvaient pas être compris dans le mot lois, qui a du reste un sens déterminé.

Quant à l'explication et l'interprétation donnée par M. le ministre de la justice, je ne la trouve, quant à moi, que très juste, et je crois pouvoir m'y rallier au nom de la commission.

M. Lelièvre. - A mon avis, le mot loi est un terme générique qui comprend tout acte émané de la puissance publique, et rendu dans les limites des attributions de cette dernière. La raison est simple ; on veut empêcher que, par des coalitions des fonctionnaires, la marche de l'administration ne soit entravée. Or, pour que ce but soit atteint, il importe que l'on punisse tout concert de mesures contraires à toutes dispositions obligatoires, émanées de la puissance publique. Dans mon opinion, l'expression loi doit être prise dans l’acception la plus large.

M. Moncheur, rapporteur. - L'honorable préopinant interprète le mot loi dans un sens beaucoup trop large et qui n'est pas accepté par les commentateurs qui ont écrit sur cet article du Code pénal, et principalement par Carnot, qui est certainement un des plus distingués.

Un arrêté n'est pas une loi, et un arrêté ne peut être tout au plus assimilé à une loi que lorsqu'il est pris par délégation de la loi elle-même.

Ce qui prouve que le mot lois ne comprend pas les arrêtés royaux dans l'article. 247, c'est que lorsque le projet a voulu parler de dispositions autres que des lois, dans son article 247, il s'est servi de l'expression « ordres du gouvernement », à laquelle la commission a substitué les mots : « arrêté royal ».

Je pense donc qu'on ne peut comprendre dans ces termes de l'article 247 que les arrêtés royaux ou ces parties des arrêtés royaux, qui sont pris en exécution et par délégation de la loi, mais non point d'une manière générale, tous ces arrêtés royaux pris pour l'exécution de lois.

(page 448) M. Devaux. - Messieurs, je dois adresser une prière aux auteurs des futurs rapports sur le Code pénal. Je leur demanderai de vouloir bien, dans leurs conclusions, ne pas se borner aux deux colonnes ordinaires, renfermant, d'un côté les propositions du gouvernement, de l'autre, celles de la section centrale, mais d'avoir la bonté d'indiquer, dans une troisième colonne, les dispositions de la législation actuelle. Cela faciliterait beaucoup la discussion.

Nous avons beau nous préparer chez nous ; comme il faut chaque jour examiner une vingtaine d'articles, on oublie les rapprochements qu'on a faits chez soi ; or souvent les dispositions du Code pénal ne se suivent pas exactement dans l'ordre des propositions faites.

Comme le travail que je demande doit nécessairement se faire dans la commission, il ne s'agirait que de le reproduire à la fin du rapport.

Je ne parle que pour le futur.

M. Moncheur, rapporteur. - Ce que demande l'honorable M. Devaux est très facile à faire ; je veux seulement faire remarquer que l'article en discussion est identique pour la rédaction à la disposition du code actuel, sauf la peine, qui est beaucoup diminuée.

M. Pirmez. - Je suis chargé du prochain rapport et j'aurai égard à la recommandation de l'honorable M. Devaux, mais je crois que pour simplifier les choses, on pourrait mettre les articles du Code pénal en note en reproduisant, comme on le fait aujourd'hui, en deux colonnes, le projet du gouvernement et le projet de la commission.

M. Coomans. - L'observation de l'honorable M. Devaux me semble parfaitement juste, si juste qu'on pourrait même en étendre l'application. Ainsi pourquoi prier seulement les rapporteurs des sections centrales de présenter le travail dont parle l'honorable député de Bruges ? Ne serait-il pas plus juste, plus raisonnable encore que le gouvernement ou un membre de la Chambre qui prendrait l'initiative d'une proposition de loi, présentât le texte des lois existantes en regard du texte de la proposition faite ? On épargnerait ainsi beaucoup de recherches.

Je n'insiste pas, messieurs ; c'est une simple réflexion que j'ajoute à celle de l'honorable M. Devaux.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ferai remarquer, messieurs, que, dans le projet présenté on a indiqué les différents articles du Code pénal auxquels se rapportent les articles du projet ; ils se trouvent au bas de chaque page.

M. Coomans. - Je ne parle pas du projet actuel ; j'ai en vue toutes les propositions qui seront faites ultérieurement.

M. le président. - Le gouvernement se rallie donc à l'article 247, tel qu'il a été rédigé par la commission, sauf qu'après le mot « lois » il faut rétablir le mot « pratiqué » qui a été omis par erreur.

M. de Luesemans. - M. le président vient de faire remarquer que M. le ministre adopte la rédaction de la commission avec les explications qui ont été données ; je dois faire observer que les deux auteurs des explications ne sont pas d'accord. Ainsi, d'après l'honorable M. Moncheur, il ne s'agirait que des arrêtés royaux pris en vertu d'une délégation expresse de la loi, tandis que d'après l'honorable M. Lelièvre, il s'agirait de tout arrêté royal pris pour l'exécution d'une loi. (Interruption.)

J'entends dire que c'est une erreur ; cela s'applique probablement à la deuxième observation, mais je désire qu'il n'y ait pas de doute. Il faut que le juge qui doit faire l'application de la loi, sache ce qu'on a entendu par les mots lois.

Si l'honorable M. Lelièvre voulait bien s'expliquer, je pense qu'on serait d'accord, mais une explication est nécessaire.

M. le président. - Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. de Luesemans. - Si on ne s'explique pas, je demanderai le renvoi à la commission.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, après la lecture du rapport fait par l'honorable M. Moncheur, j'ai appelé l'attention de la commission sur l'interprétation donnée à cet article ; la commission s'est mise d'accord et a adopté l'interprétation que j'ai donnée tantôt. Maintenant les honorables MM. Lelièvre et Moucheur, qui font partie de la commission, ne sont plus d'accord, et dès lors il serait bon d'adopter le renvoi proposé par M. de Luesemans, car je tiens beaucoup à ce qu'il n'y ait pas divergence d'opinion sur l'interprétation à donner à l'article. Plus tard les explications que nous échangeons et surtout celles que donnent les membres de la commission et les ministres serviront de base aux commentaires de la loi.

- Le renvoi à la commission est mis aux voix et adopté.

Article 248

« Art. 248. Si, par l'un des moyens exprimés à l'article précédent, il a été concerté des mesures contre l'exécution d'une loi ou contre les ordres du gouvernement, la peine sera un emprisonnement de six mois à cinq ans et l'interdiction des droits mentionnés aux trois premiers numéros de l'article 42.

« Si le concert a eu lieu entre les autorités civiles et les corps militaires ou leurs chefs, ceux qui l'auront provoqué seront punis de la détention de dix à quinze ans ; les autres coupables seront punis de la détention de cinq à dix ans. »

La commission propose de substituer aux mots : « contre les ordres du gouvernement, » ceux-ci : « d'un arrêté royal. »

M. Savart. - Messieurs, depuis 1814 on n'a cessé d'apporter des modifications au Code pénal de 1810, on s'est complu à diminuer la rigueur des châtiments qu'il comminait contre divers délits.

La confiscation a été abolie.

Elle faisait réfléchir sur des innocents la peine méritée par le coupable.

Le roi Guillaume a laissé une grande latitude aux juges, dans l'application des peines.

Un arrêté du 9 septembre 1814 permet aux juges, quand le crime est accompagné de circonstances atténuantes, dans le cas où le Code prononce la réclusion ou l'exposition, de ne pas appliquer l'exposition, de réduire la peine à huit jours d'emprisonnement.

Dans les crimes menacés des travaux forcés à temps, il est licite aux juges de réduire la peine à la réclusion sans exposition publique. (Loi du 12 décembre 1817.)

Le Congrès a aboli la mort civile.

Les Chambres ont aboli la marque comme immorale.et impolitique.

Lorsque le Congrès a consigné parmi les travaux à effectuer par ses successeurs la révision des Codes, il avait certainement en vue de doter la Belgique de lois criminelles moins sévères que les lois promulguées par l'empire.

Jusqu'ici tout présageait des adoucissements aux rigueurs trop grandes déployées dans des circonstances d'ailleurs plus difficiles que celles où nous vivons, et sous un autre régime. Cependant, dans l'article 248 du projet qui correspond à l'article 124 du Code pénal en vigueur, les législateurs belges, s'écartant de la voie suivie jusqu'ici, me paraissent plus sévères que les Français n'ont été dans le Code draconien de 1810.

L'article 248 punit de la détention de 10 à 15 ans les provocateurs d'un concert entre les autorités civiles et les corps militaires ou leurs chefs, lorsque le concert a lieu contre l'exécution d'une loi ou d'un arrêté royal, et punit les autres coupables (ceux qui ne sont pas à la tête du concert) de la détention de 5 à 10 ans.

L'article 124 du Code pénal de 1810 punit ces mêmes coupables du bannissement.

Or le bannissement est le transport hors du royaume pour cinq ans au moins, dix au plus.

Les auteurs du projet belge ont substitué au simple bannissement une détention de la même durée.

La détention consiste à être renfermé dans une des forteresses du royaume ou dans une maison de réclusion désignée par arrêté royal.

Dans la détention on n'a même aucune communication avec les autres prisonniers.

On n'a pas de compagnon de douleurs qui puisse alléger et partager les maux de la captivité.

Ou se trouve seul, toujours seul. On n'a de communications avec les gens du service ou d'autres que conformément à des règlements dont nous devons deviner la future rigueur.

Cette peine est bien plus terrible que d'aller vivre, hors de Belgique, soit à Londres, soit à Paris, soit sous le beau ciel de Naples ou dans une villa se mirant aux flots bleus ou argentés des lacs de la Suisse.

La patrie sans doute est chère à tous les cœurs bien nés. Mais si on ouvrait aux condamnés à la détention leurs cachots ou leurs cabanons, si on leur laissait le choix de quitter leur patrie et d'aller autre part respirer un air frais et pur, pendant 5 ou 10 ans, ou de languir entre quatre murs et d'y croupir, leur option serait bientôt faite.

Pour moi, qui n'ai pas la prétention de compter parmi les criminalistes illustres, j'ai toujours regretté qu'on ait rayé le bannissement du livre II du Code futur.

C'était, suivant moi, une peine appropriée à la nature de certains délits.

Il me semblait qu'un législateur de bon sens pouvait dire à certains délinquants : II vous est impossible de vivre sous le gouvernement adopté par la majorité, vous l'attaquez, vous prenez de concert des mesures contre l'exécution des lois, eh bien, allez vivre autre part.

C'était d'ailleurs une peine qui ne coûtait rien au trésor, taudis que l'emprisonnement appliqué en tout et partout, grèvera le budget de la justice de sommes énormes.

|Aujourd'hui, qu'il n'est plus possible de revenir sur des faits accomplis, je crois qu'il y a lieu de remplacer la peine du bannissement par la détention non par un simple emprisonnement. Pour ce cas on fixerait l'emprisonnement :

Dans le paragraphe premier de l'article 248 de 6 mois à trois ans ;

Dans le cas du deuxième paragraphe, l'emprisonnement de trois ans à cinq ans.

L'échelle des peines serait ainsi conservée, puisque la commission paraît considérablement tenir à cette échelle ;

Quelle mesure, par pouces, par lignes, par points.

L'échelle des peines paraît d'ailleurs brisée par le projet actuel.

Car si l'on a augmenté la peine dans l'article 248, on a diminué considérablement la peine dans le cas prévu par l'article 249.

L'article 249 correspond à l'article 125 du Code pénal de 1810. D'après cet (page 449) article 125, le crime prévu par l'article 249, qui est puni de la détention extraordinaire, entraîne la mort et la confiscation des biens.

Ainsi étaient accumulés les deux châtiments les plus pénibles de toute la législation.

Avec raison on a diminué le châtiment dans le projet nouveau, bien que le crime soit grand ; fallait-il une recrudescence de sévérité là où la faute est moindre dans les cas prévus par l'article 248 ?

Voilà, messieurs, de simples observations que j'abandonne à l'appréciation de la Chambre.

M. le président. - M. Savart propose-t-il un amendement ?

M. Savart. - Je proposerai un amendement si l'on n'oppose pas de bonnes raisons à celles que je viens de produire.

M. Lelièvre. - Il est facile de justifier la peine énoncée au projet. Il s'agit de crimes et de délits politiques.

Sous l'empire du Code pénal de 1810, les crimes politiques étaient en général punis du bannissement et de la déportation.

Ces peines ont été supprimées et ont été remplacées par la détention ordinaire et la détention extraordinaire.

La détention de cinq à dix ans est la moindre des peines prononcées en matière politique.

Remarquez que dans l'espèce il s'agit d'un fait extrêmement grave. Il est question d'un concert qui aurait lieu entre les autorités civiles et les corps militaires pour empêcher l'exécution d'une loi. Or, il me paraît évident que pareil acte doit être placé au rang des crimes, parce qu'il trouble profondément l'ordre social et qu'il menace la sûreté de l'Etat.

L'article 248 s'applique à une véritable conspiration contre les bases essentielles de la société. Semblable acte me semble avoir un caractère particulier de gravité exigeant qu'on le punisse de peines criminelles.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il est assez difficile de donner à l'honorable M. Savart des raisons qui entraînent sa conviction, en dehors de celles qui résultent de l'appréciation même du fait.

De quoi s'agit-il ? Il s'agit de concerts formés entre les autorités civiles et les corps militaires contre l'exécution des lois.

Eh bien, je demande, messieurs, s'il est un fait qui mette l'Etat dans un danger plus grand que celui-là. Ce fait, en raison de sa gravité, je pourrais dire en raison de son énormité, appelle une répression sévère, puissante, car il est évident qu'un Etat est à deux doigts de sa perte quand les autorités civiles et militaires méconnaissent la loi au point de conspirer contre son exécution. Je le répète, il n'y a pas d'autre raison à donner pour justifier la gravité de la peine que la gravité du crime lui-même.

Quant à la peine du bannissement, l'honorable M. Savart regrette la suppression. Il ne s'est pas élevé une voix dans cette enceinte pour en demander le maintien, et la raison en est simple : le bannissement n'était guère prononcée qu'en matière politique.

Or, en bannissant un individu du pays, on lui permettait d'aller non pas sous le beau ciel de Naples mais dans l'un ou l'autre des pays voisins qui lui convenait le mieux et il pouvait y continuer les manœuvres, les complots pour lesquels il venait d'être condamné. C'était donc, à mon avis, une peine fort impolitique.

L'honorable M. Savart dit encore que l'application de la peine proposée aura pour effet d'imposer de lourdes charges au trésor public. Il ne me semble pas, messieurs, que les crimes punis du bannissement soient assez communs pour que l'on ait lieu de redouter les conséquences signalées par l'honorable membre.

Je suis au contraire convaincu qu'en raison des réductions de peines qui sont faites par le projet et de l'application du système cellulaire, les dépenses seront beaucoup moindres qu'aujourd'hui car, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de le dire à l'honorable M. Savart, dans une autre séance, les peines telles que nous les votons actuellement sont calculées comme si l'emprisonnement devait être subi eu commun ; quand l'emprisonnement sera subi en cellules, il y aura une réduction dans la durée, réduction qui sera établie d'après une échelle qui sera soumise à la Chambre.

L’honorable M. Savart a comparé les dispositions de l'article 249 avec la disposition du dernier paragraphe de l'article 248 et il a dit que les faits prévus par l'article 249 n'étaient punis que de la détention extraordinaire qui était le degré immédiatement supérieur à la détention de 5 à 10 ans.

Cela n'est pas exact. Car la détention extraordinaire est la détention de 15 à 20 ans. La peine comminée par l'article 249 est donc de deux degrés supérieure à la peine comminée par l'article 248.

Je pense donc, messieurs, que la peine comminée par le projet de loi n'a rien d'exagéré et qu'il y a lieu de là maintenir.

M. Savart. - La question me paraît mal posée par M. le ministre de la justice. Il ne s'agit pas de savoir si le fait est grave, je n'ai jamais nié qu'il fallût punir ce fait et qu'il fût assez grave, mais la question est de savoir si lorsque nous faisons un nouveau Code pénal pour réduire les peines prévues par le Code de 1810, il faut une grande recrudescence dans les peines pour certains délits. Il s'agit de savoir si une peine équivalente à celle qui a suffi à contenir le délinquant depuis 1810 jusqu'aujourd'hui, ne sera plus suffisante, s'il faut une peine beaucoup plus forte.

Or, je vous ai dit qu'en substituant à la peine du bannissement de cinq à dix ans une détention de la même durée, vous votiez une aggravation considérable de peine ; et c'est une chose que l'on ne peut nier. Je prétends qu'en substituant à la détention de la même durée que le bannissement non pas l'impunité, mais un emprisonnement de 6 mois à 3 ans, et dans le second paragraphe un emprisonnement de 3 à 5 ans, ce qui est une peine très forte, la peine sera suffisante pour arrêter les délinquants et sera plus sévère que celle que commine le Code de 1810.

Voilà ce que j'ai dit et ce à quoi i n n'a pas répondu.

Je n'ajouterai rien à ce que j'ai dit du bannissement ; cette question est jugée et il ne s'agit pas d'y revenir. J'aurais d'ailleurs trop à dire. Les autres pays appliquent le bannissement aux délits politiques et ne s'en trouvent pas aussi mal que le prétend M. le ministre de la justice.

Quant à l'article suivant, je me suis bien expliqué, je n'ai pas dit que la détention extraordinaire était d'un ou de deux degrés supérieure à celle de 5 à 10 ans. Je vous ai dit que la détention extraordinaire était de 15 à 20 ans et que lorsque vous punissiez de cette peine ce qui était puni autrefois par la peine de mort et la confiscation, c'est-à-dire le crime dans toute son énormité, vous pouvez être indulgent pour les faits moindres, et qu'en suivant cette échelle d'indulgence, vous deviez aussi diminuer les peines pour les faits moindres dans la même proportion que vous les réduisiez pour les crimes les plus graves.

En parlant ainsi, je crois avoir été logique.

On n'a donc, messieurs, répondu à aucune de mes objections, et en conséquence je propose de remplacer dans le paragraphe premier de l'article 248 la peine de 5 ans par celle de 3 ans, et de dire, au paragraphe 2 : Les autres coupables seront punis d'un emprisonnement de trois ans à cinq ans.

M. Moncheur, rapporteur. - II est certain que, par suite du travail de révision que nous allons faire, la plupart des peines seront diminuées ; mais qu'elles soient absolument toutes abaissées c'est, ce qui n'arrivera probablement pas, parce que, dans le nombre considérable de fats prévus par le Code actuel, il en est qui peuvent être considérés comme tellement graves qu'ils devront rester passible d'une peine assez forte.

Or, le fait dont il s'agit ici est certainement un de ceux-là. Comment ! messieurs, le concert de mesures qui aura été pratiqué entre des autorités civiles et des corps militaires ou leurs chefs et qui aura pour but de s'opposer à l'exécution des lois, ce concert qui consistera dans un plan arrêté et combiné entre eux, ne serait pas regardé comme un fait excessivement coupable, et cet acte qui, comme l'a dit M. le ministre de la justice, peut mettre l'Etat à deux doigts de sa perte, serait puni d'une simple peine correctionnelle ! Mais après une résolution semblable, si vous vouliez être conséquents, je ne sais pas si vous auriez encore l'occasion de prononcer beaucoup de peines criminelles. Si ce fait n'est pas placé au rang des crimes, si c'est un simple délit de la compétence des tribunaux correctionnels, je ne sais où vous trouverez encore des crimes, au moins des crimes politiques.

Je pense donc que la Chambre doit maintenir la peine de la détention. C'est la peine qui, dans la série des peines admises dans le premier livre du Code, est la moins sévère comme peine criminelle. Elle est destinée à la répression des crimes politiques. Par conséquent en établissant cette peine, on n'a fait qu'une juste application des principes qui ont déjà été adoptés par la législature. Je m'oppose à l'adoption de l'amendement proposé par l'honorable M. Savart.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Savart croit que nous ne faisons un Code pénal que dans la vue unique de diminuer les peines comminées par la législation actuelle. C'est là une erreur. Un des résultats de la révision du Code pénal sera une proportion plus exacte entre les peines et l'immoralité de l'acte, entre le châtiment et la perversité de l'agent. Aussi quand nous trouvons que le législateur de 1810 frappe certains faits d'une manière trop rigoureuse, ce qui lui est arrivé très souvent, je l'ai démontré dernièrement dans la discussion générale de ce titre, nous réduisons la peine et souvent de plusieurs degrés. Mais quand nous trouvons que le fait n'est pas puni avec trop de sévérité, nous maintenons les dispositions existantes.

Or, que se présente-t-il quant à l'article 248 attaqué par l'honorable M. Savart ?

Cet article comprend trois paragraphes. Le premier est relatif au concert de mesures contre l'exécution des lois et contre les ordres du gouvernement. Sous l'empire du Code pénal actuel, quelle est la qualification de ce fait ? Rangé au nombre des crimes, il est puni d'une peine afflictive et infamante, ce dont ne tient pas compte l'honorable M. Savart. Que faisons-nous par le projet ? Le fait n'est plus considéré que comme un délit et par conséquent n'est plus puni que de peines correctionnelles.

Le second paragraphe a trait au même fait, mais commis cette fois par le concert des autorités civiles et des corps militaires. Ce fait est à plus forte raison qualifié de crime par le Code pénal et ceux qui l'ont provoqué sont punis de la déportation. Nous lui laissons ce caractère et nous le punissons d'une peine beaucoup moins forte que la déportation ; nous le punissons de la détention de 10 à 15 ans.

Les autres coupables sont punis par le troisième paragraphe d'une peine d'un degré inférieure, de la détention de 5 à 10 ans. Le Code le punit du bannissement.

Que fait l'honorable M. Savart ? Contrairement à tous les principe s de droit, il change la nature du fait quant aux autres coupables. Il veut que les (page 450) provocateurs soient déclarés coupables de crime, que le fait reste crime quant à eux, et que, quant aux autres coupables, le fait ne soit plus considéré que comme un délit.

Messieurs, cela est inadmissible. Que dans ce cas, les autres coupables soient punis d'une peine moins forte que les provocateurs, je le conçois, mais le fait n'en reste pas moins un crime pour eux et doit être puni d'une peine criminelle.

Je ne comprendrais pas qu'un même fait fût un crime quant au provocateur, et d'un délit quant à l'auteur ou au complice ; ce serait une véritable anomalie.

Le fait, du reste, comme je l'ai dit tantôt, est d'une gravité telle, qu'il ne peut pas être rangé parmi les simples délits. Si nous l'admettions, nous devrions changer beaucoup de dispositions du projet, et ranger parmi les délits beaucoup de faits qu'il qualifie de crimes.

Je crois donc qu'il y a lieu de maintenir cet article tel qu'il est rédigé avec le simple amendement proposé par la commission et qui remplace les mots : « ou contre les ordres du gouvernement » par les mots : « arrêté royal », qui s'appliquent à tous les arrêtés royaux sans distinction.

M. Lelièvre. - L'amendement de M. Savart me paraît présenter un inconvénient sérieux. D'après la disposition qu'on propose, les chefs qui auront provoqué le concert seront punis d'une peine criminelle, tandis que les autres coupables ne seront frappés que d'une peine correctionnelle. Or, à raison de la connexité, tous les inculpés devront être renvoyés devant la cour d'assises. Voilà donc la cour d'assises saisie de la connaissance d'un délit, ce qui est anomal.

Ce n'est pas tout ; d'après l'amendement de M. Savart, les chefs du concert seront punis d'une peine criminelle, les autres coupables seront punis correctionnellement. Or, il est inouï que tandis que le fait en lui-même constitue un délit, il constitue un crime vis-à-vis du provocateur.

Je conçois qu'on réprime plus énergiquement la provocation en augmentant la peine, mais l'ordre logique des choses ne permet pas que le fait change de nature. Je ne puis donc voter l'amendement de M. Savart, parce qu'il introduirait dans la loi des anomalies injustifiables.

M. Savart. - M. le ministre de la justice dit que la révision du Code pénal n'est pas seulement faite pour diminuer les peines, mais que quand les peines comminées par le Code actuel paraissent trop sévères, on les diminue, et que quand elles paraissent trop légères, on les augmente ; que pour le cas qui nous occupe, la peine comminée parle Code de 1810 a paru trop légère.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Du tout, je n'ai pas dit cela. J'ai dit, au contraire, que la peine comminée par le Code de 1810 était une peine criminelle et qu'on en faisait une peine correctionnelle.

M. Savart. - Un instant, distinguons :

Il y a d'abord le paragraphe premier. Si j'ai proposé un changement au paragraphe premier, c'était pour le mettre en harmonie avec le paragraphe 2. Mais quant au second paragraphe, vous changez le bannissement en une détention de 5 à 10 ans, vous aggravez la peine. Car si vous donniez à choisir à un homme ou d'aller passer dix ans dans une forteresse, ou d'aller passer dix ans hors de son pays, son choix ne serait pas douteux. Or, je dis que vous n'avez pas besoin de cette aggravation de peine.

Car lorsque le Code pénal de 1810 a été fait, on se trouvait sous un tout autre régime, on se trouvait sous le régime de la terreur, dans des circonstances beaucoup plus graves, beaucoup plus difficiles que dans les circonstances actuelles, et le gouvernement devait se montrer beaucoup plus sévère qu'à l'époque où nous vivons, avec un gouvernement qui dérive non pas de la terreur, mais du consentement mutuel des citoyens, de leur soumission aux décisions de la majorité.

On dit : Vous allez faire de certains coupables des criminels, tandis que vous faites des complices, des hommes seulement punissables par le tribunal correctionnel. Cela est contraire aux principes, à la théorie du droit ; mon Dieu, je le sais bien, mais vous pouvez diviser votre article. Quant à moi, je ne suis guère favorable aux idées d'échelles, de théories, de systèmes.

Je vais au fond des choses, j'examine, et quand j'atteins le but, toutes les questions de théorie me sont indifférentes ; et sur ce point, je renverrai volontiers mes honorables adversaires à ce que disait un grand criminaliste, M. Rossi, qui se moque avec beaucoup de raison et avec beaucoup de malignité des théoriciens, des échelles et des hommes à système. Il dit que le système est le grand écueil à éviter pour le législateur.

M. Pirmez. - Messieurs, l'honorable M. Savart paraît croire que nous devons abaisser sans exception tontes les peines du Code pénal. Mais c'est là une proposition qui n'est soutenue par personne.

L'honorable membre qui reproche à ses contradicteurs d'être systématique, est en cela plus systématique que personne, il a une règle dont il ne veut pas se départir, c'est qu'il faille diminuer toutes les pénalités ou du moins ne pas les aggraver.

Evidemment, nous devons voir si le fait dont il est question doit être frappé de la peine comminée par le projet ; s'il la mérite, prononçons-la, s'il ne la mérite pas, ne la prononçons pas ; mais là est toute la question.

L'honorable M. Savart n'a pas donné une raison pour prouver que cette peine est exagérée, sinon que le Code pénal de 1810, tant critiqué, ne prononce pas une peine plus forte. Il est l'adversaire des peines sévères, et doit l'être par conséquent de ce Code.

Or, ici il s'y rapporte complétement. Je crois que cette manière de raisonner est assez peu fondée pour qu'elle ne soit pas accueillie.

M. Moncheur, rapporteur. - Messieurs, je n'ajouterai qu'une observation à celles que vient de présenter l'honorable M. Pirmez. C'est que la question est uniquement celle de savoir si, lorsqu'un concert a eu lieu entre les autorités civiles et les corps militaires ou leurs chefs, pour s'opposer à l'exécution d'une loi on d'un arrêté royal, vous voulez considérer ce fait comme un simple délit. Il ne s'agit donc pas uniquement de symétrie, ni de théorie, mais il s'agit de caractériser un fait grave par lui-même.

Or, ce fait peut se produire, non pas vraisemblablement dans un temps de calme comme celui où nous vivons, mais dans un temps de trouble possible, et dans un moment où le gouvernement serait mal affermi ; croyez-vous, messieurs, que ce fait se produisant, il devrait être considéré comme un simple délit ? Non sans doute ; ce serait, permettez-moi de le dire, ridicule. Eh bien, s'il doit être mis au rang des crimes, vous ne pouvez y appliquer de peine plus faible que celle de la détention, puisque c'est la première, c'est-à-dire la moins sévère, dans l'échelle des peines criminelles.

-La discussion est close.

L'amendement proposé par M. Savart est mis aux voix et n'est pas adopté.

L'article 248, proposé par la commission, est mis aux voix et adopté.

Article 249

« Art. 249. Dans le cas où les autorités civiles auraient formé avec les corps militaires ou leurs chefs un complot attentatoire à la sûreté de l'Etat, les provocateurs de ce complot seront punis de la détention extraordinaire, et les autres coupables seront condamnés à la détention de dix à quinze ans. »

- La commission n'a pas proposé d'amendement.

L'article 249 est mis aux voix et adopté.

Article 250

« Art. 250 (projet du gouvernement). Seront punis d'un emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de cent francs à cinq cents francs, les fonctionnaires qui auront, par délibération, arrêté de donner des démissions dont le but serait d'empêcher ou de suspendre soit l'administration de la justice, soit l'accomplissement d'un service légal.

« Les coupables pourront de plus être interdits du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics. »

« Art. 250 (projet de la commission). Seront punis d'un emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de cent francs à cinq cents francs, les fonctionnaires qui, par suite de délibération, auront donné des démissions dans le but d'empêcher ou de suspendre, soit l'administration de la justice, soit l'accomplissement d'un service légal.

« Les coupables pourront être condamnés, en outre, à l'interdiction du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je me rallie à la rédaction de l'article 250, telle qu'elle est proposée par la commission ; je demanderai seulement que le mot délibération qui se trouve dans le premier paragraphe soit remplacé par le mot concert. Je pense que nous sommes d'accord avec la commission.

J'ai maintenant à faire une observation qui s'applique aux commentaires donnés par l'honorable M. Moucheur dans son rapport au sujet de cet article.

L'honorable rapporteur y parle notamment de mesures actives, préparées, combinées par les fonctionnaires. La loi n'exige pas toutes ces circonstances. Des mesures pourraient ne pas être actives, et tomber sous l'application des dispositions pénales, par exemple, quand il s'agit d'un concert tendant à ne pas exécuter une loi.

D'un autre côté le rapport semble supposer que pour qu'un fonctionnaire tombe sous l'application de l'article 250 il faut, s'il s'agit d'un juge, par exemple, qu'il ait eu en vue de suspendre méchamment l'administration de la justice. Or, cette condition n'est pas requise ; il n'est pas nécessaire que le fonctionnaire ait eu pour but de suspendre méchamment, soit l'administration de la justice, soit l'accomplissement d'un service légal ; il suffit qu'il l'ait fait sciemment et volontairement, pour tomber sous l'application de l'article 250.

M. Moncheur, rapporteur. - Je ne sais si l'observation que vient de faire M. le ministre de la justice ne s'applique pas plutôt à l'article 251.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mon observation s'applique à la fois à l'article 250 et à l'article 251.

L'honorable rapporteur a probablement consigné ces expressions dans son rapport sans y attacher de l'importance : si j'ai présenté une observation, c’est pour prévenir les inductions qu'on pourrait tirer ultérieurement de ces paroles ; on pourrait peut-être dire que lorsque les juges, par exemple, se seront concertés entre eux par suspendre l'administration de la justice, il y a lieu de rechercher leurs intentions, de voir si c'est méchamment qu'ils ont agi ou si leur but final n'est pas louable. C'est là un examen dans lequel il ne peut pas être permis d'entrer ; il suffît que des magistrats se soient concertés pour suspendre (page 451) l'administration de la justice, qu'ils l'aient fait, comme je l'ai dit, sciemment et volontairement. Ce sont là les seules conditions requises pour qu'ils tombent sous l'application de l'article 250.

M. Moncheur, rapporteur. - Je vais m'expliquer. Vous aurez reconnu, messieurs, quel est le changement qui a été proposé à cet article par la commission.

Le projet du gouvernement punissait, comme le Code pénal de 1810, les fonctionnaires qui, par délibération, auraient arrêté de donner des démissions dont le but serait d'empêcher ou de suspendre soit à l'administration de la justice, soit l'accomplissement d'un service légal.

On punissait donc l'intention, la volonté, au lieu du fait lui-même ; tandis que la commission a pensé qu'on ne pouvait punir que le fait consommé d'avoir donné sa démission dans le but d'empêcher ou de suspendre, soit l'administration de la justice, soit l'accomplissement d'un service légal. La commission a voulu exprimer, à cette occasion, l'idée qu'il fallait que ces démissions, pour être punissables, eussent été non seulement données, mais l'eussent été dans une intention mauvaise et coupable, c'est-à-dire dans le but d'arrêter ou suspendre l'administration de la justice, pour être punies ; je reconnais du reste que quand ce but est démontré, l'intention coupable est inséparable du fait lui-même.

Je suis donc, à cet égard, d'accord avec M. le ministre de la justice.

Quant à l'article 251, les observations de la commission sur cet article ont la portée suivante ;

Dans le deuxième paragraphe de cet article, on punit les juges qui auraient excédé leur pouvoir, en s'immisçant dans les matières attribuées aux autorités administratives, soit en faisant des règlements sur ces matières, soit en défendant d'exécuter les ordres émanés de l'administration.

Or, la commission, en présence de cette disposition si générale, s'est fait cette objection : Ces termes ne semblent-ils pas se rapporter à un régime qui n'existe plus chez nous ? Vous le savez, messieurs, en France et chez nous, avant la révolution, défense était faite aux juges d'examiner si les arrêtés royaux ou les règlements d'administration publique étaient ou n’étaient pas conformes à la loi.

Ils excédaient donc leurs pouvoirs quand ils n'appliquaient pas ces arrêtés et ces règlements tels qu'ils étaient, ils devaient les appliquer comme les lois elles-mêmes.

C'est ce qui existe encore en France. Chez nous, au contraire, aux termes de l'article 107 de notre Constitution les juges n'appliquent les arrêtés royaux et les règlements d'administration publique que quand ils sont conformes à la loi.

Donc, en n'appliquant pas ces arrêtés ou règlements, eu défendant, par conséquent, de les exécuter, pour autant qu'ils soient saisis de la question, en les déclarant nuls, les juges peuvent aujourd'hui ne faire que leur devoir. C'est surtout là l'idée qu'a voulu exprimer la commission, et c'est la réserve qu'elle a voulu faire. Ses observations n'ont pas d'autre portée.

M. Lelièvre. - Je pense, avec M. le ministre, qu'il n'est pas requis, pour l'application de notre article, qu'on ait agi dans une intention méchante. Remarquez qu'il s'agit ici d'un abus de pouvoir commis par des fonctionnaires. Or ; ce qui constitue l'intention criminelle en cette matière, c'est la connaissance, c'est la circonstance qu'on ait agi sciemment.

Il en est ainsi de tout acte de même nature. Ainsi, si un fonctionnaire porte atteinte à la liberté individuelle, il suffit qu'il ait agi sciemment, toute autre intention n'est pas requise. La commission méconnaissait ce principe en commentant l'article '250 dans un autre sens.

Il s'agit ici de fonctionnaires qui commettent des actes illégaux. Or, ces actes sont réprimés du moment que le fonctionnaire les a commis sciemment et volontairement. Le fonctionnaire doit connaître ses devoirs et les limites de ses attributions. Eh bien, celui qui sciemment viol » la loi commet le délit qu'elle réprime.

M. Moncheur, rapporteur. - J'ai expliqué la portée de l'observation de la commission ; je suis d'accord avec M. le ministre de la justice.

M. Van Overloop. - Je voudrais avoir de M. le ministre de la justice une explication sur la portée du mot « fonctionnaire » employé dans l'article en discussion. Je désirerais savoir si on entend ce mot dans le sens du Code pénal actuel, et si on n'a voulu désigner que les agents de l'administration centrale, nommés par elle pour agir en son nom. En d'autres termes, cet article s'applique-t-il aux fonctionnaires provinciaux, communaux ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Certainement.

M. Van Overloop. - Je demande cette explication parce que, à mon avis, dans une loi pénale, il faut toujours avoir autant de précision que possible. Je demande si on n'a eu en vue que les fonctionnaires de l’ordre administratif proprement dit.

Je voudrais qu'on précisât aussi ce qu'on entend par un service légal. Par exemple, dans la garde civique, on reçoit l'ordre d'aller en personne chercher ses armes : ce n'est pas un service légal, la cour de cassation vient de le décider. Cependant le billet le porte. Je demande si l'article 250 serait applicable à des officiers de la garde civique qui auraient donné leur démission, dans le but d'empêcher l'accomplissement d'un service qualifié de légal, mais qui ne serait pas légal en réalité ?

Je voudrais qu'on renvoyât l'article à la commission pour examiner si l’expression employée n'est pas trop vague.

Toutefois, si M. le ministre de la justice me donnait des explications satisfaisantes, je retirerais mes observations.

M. Pirmez. - Je pense qu'il est facile d'apaiser les scrupules de l'honorable M. Van Overloop. La peine prononcée par l'article qui nous occupe n'est encourue que quand il y a eu délibération ; or quand des fonctionnaires délibèrent, se concertent pour donner leur démission, afin d'empêcher l'exécution de la loi, il y a toujours un fait très grave ; il n'est pas, quelles que soient les personnes auxquelles le texte s'applique, trop fortement réprimé par un emprisonnement d'un mois à deux ans. Quant aux mots « service légal », il est clair qu'on doit entendre par là celui qui est prescrit en exécution de la loi.

C'est aux tribunaux à apprécier quand un service est ainsi exigé par la loi. Il peut certainement se présenter des cas où l'administration se trompe, en prescrivant l'accomplissement d'un devoir dans la persuasion qu'il résulte de la loi, tandis qu'il n'en est pas ainsi. Mais les tribunaux ont incontestablement le droit d'apprécier si le service est légal, et ils ne peuvent appliquer une peine quand la fausse application de la loi est reconnue.

Je ne sais quelle autre expression plus précise on pourrait employer.

Nous sommes forcés de nous en rapporter aux lois d'une manière générale, sans pouvoir rappeler les différents services que notre législation impose. Mais il n'y a là, ce me semble, aucune difficulté.

M. Van Overloop. - Je renouvelle mon interpellation à M. le ministre de la justice. Par le mot « fonctionnaires » entend-on non seulement les fonctionnaires administratifs proprement dits, mais aussi les fonctionnaires électifs ?

Cela me semble excessivement grave.

Je crois vraiment que la Chambre ferait très bien de renvoyer cet article à la commission pour voir s'il n’y a pas lieu de modifier la rédaction afin de la rendre plus précise sur les deux points que j'ai indiqués.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je cherche en vain la raison des craintes que peut avoir l'honorable préopinant, à propos de cet article.

Voici, messieurs, comment il est rédigé :

« Seront punis d'un emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de cent à deux cents francs, les fonctionnaires qui, par suite de délibération, auront donné des démissions, dans le but d'empêcher ou de suspendre, soit l'administration de la justice, soit l'accomplissement d'un service légal. »

Je demande si ce n'est pas là un fait d'une haute gravité et s'il n'est pas nécessaire de réprimer le concert des fonctionnaires qui donnent leur démission dans le but d'empêcher ou de suspendre l'administration de la justice ou l'accomplissement d'un service légal ? Qu'il s'agisse de fonctionnâmes administratifs proprement dit, c'est-à-dire nommés exclusivement par le gouvernement, ou de fonctionnaires électifs, l'honorable membre veut-il que ce fait soit permis ? Veut-il qu'il soit permis à des fonctionnaires, à quelque ordre qu'ils appartiennent, de se concerter pour donner leur démission afin d'empêcher ou de suspendre l'administration de la justice ou l'accomplissement d'un service légal ?

M. Coomans. - Dans certains cas.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est ce que nous n'admettons pas. Je serais très curieux d'entendre l'honorable M. Coomans nous dire dans quels cas il pourrait admettre que des fonctionnaires pussent se concerter pour donner leur démission dans le but indiqué par l'article en discussion.

Pour moi, je ne connais aucun cas où cela puisse être permis à aucune catégorie de fonctionnaires : Ce serait tolérer les moyens indirects pour paralyser l'action de la loi, et cela ne peut pas être toléré.

Quant à la question de savoir ce que la loi entend par fonctionnaires, il me serait impossible de donner la liste de tous les agents auxquels cette qualification s'applique ; mais quand surgit une difficulté sur ce point, c'est aux tribunaux qu'il appartient de la décider.

Ainsi, je suppose des démissions données dans le but prévu par l'article 250, quelles seraient les questions que les tribunaux auraient à examiner ? Ils auraient à se demander si les faits sont constants, si les démissionnaires étaient fonctionnaires, si le service empêché, suspendu, étai tlégal.

Les tribunaux continueront à décider ces questions à l'avenir comme ils les ont décidées jusqu'à présent.

M. Coomans. - Mon interruption n'avait rien d'étrange, et il me semble que les derniers mots de M. le ministre de la justice la justifient complétement.

Voici à quoi je faisais allusion. Je suppose un fonctionnaire supérieur chargé de la direction d'un service légal et donnant des ordres que ses inférieurs croient illégaux. Ces fonctionnaires se réunissent, se concertent et déclarent qu'ils n'obéiront pas. Voilà un cas dans lequel il est possible de s'opposer à l'exécution d'un service légal. Il est bien entendu que les tribunaux prononceront ; mais s'ils déclarent que le fonctionnaire supérieur, fût-il ministre, s'est trompé, qu'il est sorti du cercle de ses attributions, il me semble que, dans ce cas, les inférieurs ne pourront pas être déclarés coupables.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Qui est-ce qui conteste cela !

(page 452) M. Coomans. - Cela prouve donc qu'il peut y avoir des cas où l'on peut se refuser à un service légal.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pas du tout : dans ce cas, le service n'est pas légal.

M. Coomans. - Il serait à désirer, dans tous les cas, qu'une disposition fît cesser tout doute à cet égard.

M. Pirmez. - Je ne conçois pas que l'honorable M. Coomans veuille proposer un amendement pour...

M. Coomans. - Je ne propose rien du tout.

M. Pirmez. ... Ou désire qu'un amendement dissipe tout doute sur la question qu'il a soulevée.

Or, son système consiste à dire qu'un service légal peut n'être pas légal…

Quant à moi, je ne pense pas qu’on puisse employer des termes plus clairs pour définir une chose qui se conçoit parfaitement et que les objections reposant sur une contradiction attaquent seules.

Dans tous les cas, on peut être parfaitement rassuré sur la portée de la disposition. Elle prévoit le cas où des fonctionnaires auraient donné, leur démission dans l'intention d'empêcher ou de suspendre l'administration de la justice ou l'accomplissement d'un service légal. Or, les fonctionnaires tiennent trop aux emplois qu'ils occupent pour que le cas prévu Ici se présente souvent.

M. Van Overloop. - Si j'ai bien compris M. le ministre de la justice, le mot « fonctionnaires » s'appliquerait même aux conseillers provinciaux et communaux et c'est là ce qui donne de la gravité à mon observation.

Je désirerais avoir à cet égard une réponse catégorique. Je demande donc si le mot « fonctionnaires » est applicable aux conseillers provinciaux et communaux.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais non, cette disposition ne s'applique pas à de simples conseillers.

Ce ne sont pas là des fonctionnaires ; ils tomberaient sous l'application d'une autre disposition. Jusqu'à présent, je ne sache pas que les conseillers provinciaux et communaux aient jamais été considérés comme des fonctionnaires.

M. Van Overloop. - La réponse de M. le ministre de la justice ne me paraît pas assez explicite. Or, toute loi pénale doit être claire, précise et ne pas laisser de place au doute. Je m'adresserai donc à M. le rapporteur de la commission, et je le prierai de nous dire quelle est l’étendue de ce mot « fonctionnaires » et si ce mot s'applique notamment aux conseillers provinciaux et communaux. C'est là un point extrêmement important, je demande qu'il soit éclairci. Il faut qu'on sache si, aux yeux du Code pénal, les fonctionnaires électifs sont sur la même ligne que les fonctionnaires administratifs proprement dits.

M. Moncheur, rapporteur. - Voici, d'après Chauveau, la définition du mot « fonctionnaire : C'est celui qui exerce au nom de l'Etat une portion de l'autorité publique. » Peut-on appliquer cette définition aux conseillers provinciaux et communaux ? Voilà la question. Quant à moi, je crois qu'elle doit être résolue négativement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Les bourgmestres et les échevins sont des fonctionnaires ; il n'en est pas de même des conseillers.

M. Moncheur, rapporteur. - Nous sommes donc d'accord sur la portée du mot « fonctionnaire » quant aux conseillers provinciaux et communaux.

M. Muller. - Je demande, messieurs, qu'il soit bien entendu, que les conseillers provinciaux et communaux, de même que les membres des Chambres, ne peuvent pas tomber sous l'application de cette disposition.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela n'est pas douteux.

M. Muller. - Jusqu'ici cependant M. le ministre de la justice et M. le rapporteur m'ont paru laisser exister un certain doute sur cette -question.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je demande la parole.

- Plusieurs voix. - A demain ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si je n'ai pas répondu la première fois à cette question de l'honorable M. Van Overloop, c'est qu'il ne m'était pas venu à la pensée que l'honorable membre pût croire à la possibilité d'appliquer la qualification de fonctionnaires aux simples conseillers provinciaux et communaux.

J'ai pensé qu'en parlant des fonctionnaires électifs, il avait en vue les bourgmestres et échevins, les membres de la députation permanente. Ceux-là sont des fonctionnaires ; mais il n'en est pas de même des conseillers provinciaux et communaux ; personne ne l'a jamais soutenu.

M. Lelièvre. - Je pense qu'il est évident que les conseillers communaux et provinciaux ne sont pas fonctionnaires. Ils ne tiennent pas leur mandat de la puissance publique ni d'aucun corps dépositaire de cette puissance.

M. le président. - Je mets aux voix l'article proposé par la commission, avec la substitution des mots : « de concert, » à ceux-ci : « par suite de délibération. »

M. Devaux. - L'article devrait subir une autre modification encore : il conviendrait de dire : « dans le dessein, » au lieu de ; « dans le but ; » cette dernière expression n'est pas correcte.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne m'oppose nullement à cette substitution.

M. Moncheur. - Je pense que l'expression « dans le but » est aussi française que l'autre. Au surplus, je crois faire remarquer qu'elle se trouve dans le Code de 1810 et certainement ceux qui ont rédigé ce Code connaissaient parfaitement le français.

- L'article du projet de la commission est mis aux voix et adopté avec les substitutions indiquées par M. le président et par M. Devaux.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.