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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 30 juillet 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)

(page 91) (Présidence de M. Orts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à deux heures et demie ; il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« La dame Bouchez et le sieur Caufriez, victimes de l'ophtalmie militaire, demandent un secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale de Sottegem demandent que le gouvernement soit autorisé à concéder un chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand par Enghien, Sottegem et Oosterzede. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à cette concession.


« Les membres de l'administration communale d'Audenhove-Sainte-Marie prient la Chambre d'accorder au sieur Boucqueau la concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand. »

- Même renvoi.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des finances

Discussion générale

M. B. Dumortier. - Le projet de loi en discussion me parait résoudre une question excessivement grave, celle de savoir si l'Etat est responsable de tous les cas de force majeure. Si le système du gouvernement était admis, il pourrait en résulter les conséquences les plus sérieuses, d'autant plus sérieuses que, comme il est question, par un autre projet de loi, d'embastionner Anvers, il pourrait en résulter que des indemnités excessives fussent mises à la charge du trésor public.

Pour mon compte, je me demande sur quels principes on s'est fondé pour faire subir par l'Etat les conséquences des cas de force majeure qui peuvent se présenter ; et je déclare qu'il me serait impossible d’émettre un vote favorable sur le projet de loi, en présence d'un pareil système, dont les conséquences dans l'avenir sont incalculables.

Les cas de force majeure sont prévus par la loi, et chacun sait que la responsabilité n'en incombe pas à l'Etat. On nous présente, il est vrai, une loi pour sanctionner la mesure qu'on nous propose ; mais il est toujours préférable, ce me semble, de ne point s'écarter, en ces sortes de matières, des principes établis ; et il est extrêmement important de laisser à qui de droit la responsabilité des cas de force majeure.

Voyez, messieurs, ce qui arriverait si demain, par suite d'un bombardement, l'entrepôt d'Anvers était incendié. Où iriez-vous avec un pareil système ?

M. Coomans. - Nous serions ruinés.

M. B. Dumortier. - Je le crois et je déclare que je ne saurais donner mon assentiment à un pareil principe, principe qui peut avoir les plus graves conséquences dans l'avenir. L'entrepôt d'Anvers s'est écroulé par l'affaissement d'un pilier à l'intérieur et l'on dit que c'est là un événement de force majeure ! D'après ce système, l'Etat serait donc exposé à chaque instant à payer des indemnités pour des événements de force majeure et cela pourrait nous mener excessivement loin.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable préopinant raisonne comme si nous proposions à la Chambre de décider, en principe, que désormais l'Etat est responsable de tous les cas de force majeure.

M. B. Dumortier. - C'est la conséquence de votre système.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas le moins du monde. On décide sur un cas particulier, à raison de circonstances spéciales et par des considérations d'équité ; rien de plus. Dans chaque cas particulier, la Chambre pourra examiner s'il y a des raisons suffisantes pour justifier l'intervention de l'Etat ; mais on n'abroge nullement les principes de droit relatifs aux cas de force majeure : ces principes subsistent et continueront de subsister.

Y a-t-il ici des motifs suffisants, des circonstances particulières assez graves, pour engager le gouvernement à accorder des indemnités aux négociants dont les marchandises étaient déposées dans l'entrepôt d'Anvers ? D'abord, il y a un procès à éviter, nous avons toujours soutenu, au nom du gouvernement, qu'il s'agissait ici d'un cas de force majeure ; mais cela n'est pas admis par tout le monde ; cela n'est pas admis par les intéressés ; c'est un point contesté, et dont on demanderait la solution aux tribunaux. Les tribunaux pourraient déclarer que ce n'est pas à une force majeure que l'écroulement doit être attribué ; que cet événement a été causé par un vice de construction ou par quelque autre cause...

M. de Naeyer. - Y a-t-il eu transaction ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non ; j'indique les considérations qui ont déterminé l'Etat à agir comme il l'a fait. Il importe donc d'abord d'éviter un procès ; voilà un premier motif et il est sérieux.

M. de Naeyer. - Il faudrait une transaction pour éviter le procès.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si la Chambre n'attend qu'une transaction, il est extrêmement simple de l'écrire ; c'est comme si cela était fait.

Il y a ensuite cette considération que le gouvernement est propriétaire de l'entrepôt d'Anvers. C'est un cas tout à fait exceptionnel, les villes étant propriétaires de l'entrepôt dans les autres localités. Les étrangers qui ont des marchandises dans l'entrepôt d'Anvers out compté que le gouvernement, dans un cas douteux, ne chercherait point à se soustraire à la responsabilité d'un sinistre ; et cette deuxième considération a déterminé le gouvernement à allouer une indemnité.

On n'engage là aucun principe ; on ne compromet rien ; on sauvegarde tous les droits ; on alloue une indemnité qui s'élève, en définitive, à une somme peu élevée.

M. Loos. - L'honorable M. Dumortier a invoqué le danger qu'il y aurait à reconnaître en cette circonstance, que les cas de force majeure tombent à charge de l'Etat. Mais je vous citerai un précédent. L'entrepôt qui existait en 1830 a été brûlé par suite des événements de guerre. Le gouvernement a déclaré que c'était un cas de force majeure. L'entrepôt appartenant à l'Etat, on a cependant payé quelque chose aux propriétaires des marchandises brûlées, on a transigé après dix ans.

Eh bien, dans le cas actuel, comment se présente la situation ? Les intéressés ont perdu leurs marchandises depuis bientôt deux ans. Le gouvernement a exigé qu'ils ne vinssent pas réclamer les intérêts depuis cette époque, et le prix des marchandises a été fixé sans la moindre valeur, c'est-à-dire qu'on a fait une transaction.

Je crois, messieurs, que la question de si voir si l'Etat est responsable pour les cas de force majeure, n'est nullement résolue par le projet. Au surplus, comme vous l’a dit l'honorable ministre des finances, c'est le gouvernement qui déclare qu'il y a eu un cas de force majeure. Mais ce point est très contestable, tellement contestable que les intéressés ont voulu entamer un procès. Mais comme la plupart des maisons intéressées sont étrangères, elles ont préféré transiger avec l’Etat.

M. Muller, rapporteur. - Messieurs, je suis un de ceux qui, hier au sein de la section centrale, ont élevé des doutes très sérieux sur le point de savoir, si dans le cas où le gouvernement n'eût pas pris la détermination d'indemniser les négociants d’Anvers, la loi eût permis de considérer comme cas de force majeure la rupture d'une ferme de bois dont l'intérieur aurait été trouvé vermoulu ? N'est-ce pas là un cas de négligence ou de manque de surveillance ? Quoi qu'il en soit, tel est le système que le gouvernement aurait développé devant les tribunaux s'il avait été obligé, à défaut de transaction, de défendre les droits de l'Etat. Mais ce système, comme vous l’a dit M. le ministre des finances et comme vient de le répéter l'honorable M. Loos, est sujet à grave contestation, même en supposant que la simple détérioration du bois soit la cause exclusive de l'accident de l'entrepôt d'Anvers. Ce n'est, au surplus, qu'une présomption à laquelle il serait difficile de donner le caractère d'une preuve et de traduire en cas de force majeure.

Il y a donc, selon moi, dans le projet de loi une transaction équitable, elle est réelle ; l'honorable M. Loos vient de le démontrer par deux motifs : le premier, c'est qu'il y a abandon de tous les intérêts, de toute espèce d'indemnité, de la part des négociants qui ont essuyé des pertes. En second lieu, le chiffre de ces pertes a été évalué au minimum, sans qu'il y ait le moindre bénéfice pour le négociant.

On a fait valoir, messieurs, d'autres considérations sérieuses dans l'exposé des motifs : elles ont un caractère moral ; ce sont des considérations de dignité, de convenance de la part du gouvernement, et d'intérêt pour le port d'Anvers.

L'Etat ne peut pas facilement se laisser traduire devant les tribunaux, à la suite des pertes essuyées par des négociants du pays et de l'étranger dans un établissement qui lui appartient ; il ne doit pas subir les chances périlleuses d'une contestation qui aurait un retentissement fâcheux dont les conséquences seraient bien plus funestes que celles que l'honorable M. Dumortier a cru à tort pouvoir attribuer au vote favorable que je demande à la Chambre, au nom de la section centrale, de vouloir bien émettre.

M. Coomans. - Au fond on allègue une seule raison à l'appui du projet de loi : c'est que le gouvernement est propriétaire de l'entrepôt d'Anvers. S'il n'en état pas propriétaire, je ne pense pas qu'il viendrait nous proposer une indemnité.

L'honorable M. Loos a fait valoir la même raison, ainsi que l'honorable M. Muller.

J'avoue que si j'avais l'honneur d'être représentant d'une ville propriétaire d'un entrepôt je devrais protester contre ce motif. Car les (page 92) villes propriétaires d'entrepôt ne peuvent voir l'avenir que très en noir, si l'on pose en principe que les propriétaires d'entrepôt sont responsables des accidents qui peuvent survenir dans ces établissements.

Je soumets cette réflexion grave à la Chambre. J'en tire au moins cette conclusion qu'il serait fort intéressant pour toute ville propriétaire d'entrepôt, de bien stipuler d'avance qu'ils ne sont pas responsables des accidents de ce genre qui pourraient y survenir.

Je déclare que je m'abstiendrai tout au moins sur le projet de loi.

M. Vervoort. - L'article 1386 du Code civil pose un principe formel : c'est que le propriétaire d'un bâtiment dans lequel on dépose des marchandises est responsable des accidents qui arrivent à ces marchandises, lorsqu'il y a vice de construction. Le propriétaire des marchandises déposées dans ce bâtiment n'a rien à prouver ; la présomption est contre le propriétaire ; il faut que celui-ci prouve qu'il y a eu cas de force majeure.

Or, on comprend la difficulté de faire cette preuve dans le cas actuel. On prétend que des vers avaient détruit l'intérieur d'une poutre. En cas de procès, plusieurs questions graves pouvaient être soulevées. On pouvait soutenir qu'il y ava.t vice de construction résultant du choix des matériaux.

Je crois que le gouvernement a bien fait de transiger.

Il se présente ici une autre considération importante. II s'agit de marchandises qui se trouvent là par suite d'un dépôt obligé. Les négociants qui introduisent leurs marchandises en Belgique en franchise de droits sont obligés de les déposer dans l'entrepôt, s'ils veulent jouir d'avantages sans lesquels les affaires deviendraient impossibles, de manière qu'il y a là une raison encore pour ne pas hésiter un instant à adopter le projet de loi.

M. B. Dumortier. - La dernière raison que vient de donner l'honorable préopinant aurait pour conséquence, de rendre toujours le gouvernement responsable, attendu que le dépôt des marchandises à l’entrepôt est obligatoire. Vous voyez donc bien que vous posez le principe, vous posez un fait d'où le principe découle logiquement.

Tout ce qui a été dit par mes honorables contradicteurs ne prouve qu'une chose, c'est la nécessité de laisser la justice ordinaire régler ce point. C'est à la justice de voir s'il y a ou s'il n'y a pas force majeure, c'est à la justice de voir si réellement il y a eu une ferme mangée des vers, oui ou non. Et, messieurs, s'il y avait, en effet, vice de construction, l'Etat aurait encore à voir s'il n'a pas un recours à exercer contre l'entrepreneur. Dans tout cela, messieurs, il n'y a pas de moyen plus mauvais que de venir se condamner soi-même.

Je suis fort surpris d'entendre dire dans cette enceinte qu'il faut éviter un procès et, à cette fin, payer ce à quoi l'on pourrait être condamné. De cette manière vous éviterez tous les procès, mais alors il n'y a plus de principe conservateur des intérêts du trésor. L'Etat restant propriétaire de l'entrepôt d'Anvers, vous pourrez avoir à chaque instant des indemnités à payer.

L'honorable M. Loos a invoqué ce qui s'est passé à l'occasion de l'incendie d'Anvers ; mais l'honorable membre doit se rappeler qu'en 1842 on a considéré tous les malheurs venus à la suite de la révolution comme des cas tenant à notre émancipation nationale.

Il y avait là un grand fait politique qui se rattachait à ces malheurs, mais ici il n'y a rien de semblable, c'est un accident pur et simple, accident qui peut arriver tous les jours, et je le demande, de quel droit viendriez-vous de ce chef mettre le gouvernement en cause ?

Ainsi à Liège, par exemple, sur le quai d'Avroi, il y aura un malheur par suite du mauvais état du chemin de halage, et la ville de Liège viendra demander une indemnité au gouvernement ! Je crois, pour mon compte, que les principes doivent rester dans leur entier. Que l'affaire soit portée devant les tribunaux ; l'Etat se défendra, et s'il est condamné il payera ; mais payer par la crainte d'avoir un procès, c'est jouer le rôle de celui qui se jetait à l'eau dans la crainte de se mouiller.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dumortier raisonne comme si l'écroulement d'un entrepôt était un fait normal, constant, qui dût se présenter tous les ans. Chaque fois qu'il arrivera un accident dans un entrepôt, s'écrie-t-il, nous serons tenus de payer des dommages-intérêts !

Remarquez donc que ce sont des faits exceptionnels, très rares, qui ne se présenteront probablement plus. C'est rare comme un tremblement de terre en nos pays, ainsi qu'on le dit à côté de moi. Messieurs, ce n'est pas à la légère que le gouvernement a traité sur les bases qui vous sont proposées. Nous sommes déjà fort loin de l'époque où l'entrepôt d'Anvers s'est écroulé en partie.

Dans l'intervalle qu'a-t-on fait ? On s'est livré à une enquête judiciaire pour reconnaître à quelles causes il fallait attribuer l'accident. Avant d'avoir été éclairé par l'enquête, le gouvernement n'a rien voulu faire. L'enquête ayant eu lieu, des constatations ayant été faites ensuite par des ingénieurs du gouvernement, l'ensemble des faits a été soumis au conseil ordinaire du département des finances, et il a été d'avis qu'il valait mieux allouer une indemnité que plaider.

Le département des finances ne s'est pas borné là ; il a prié le département de la justice d'examiner de son côté et le fait et le droit ; et c'est également sur l'avis du département de la justice, conforme à celui des avocats du département des finances, que le gouvernement s'est décidé à soumettre à la législature la proposition qui est en discussion.

Voici la raison très grave qui nous a engagés à faire cette proposition : c'est que nous avions, on peut le dire, la presque certitude que si l'affaire était portée devant les tribunaux, le gouvernement aurait le désagrément d'avoir soulevé une contestation non fondée et d'avoir affaibli la position qu'il doit garder dans l'intérêt du port d'Anvers.

Il ne faut pas, sans une nécessité évidente, que les étrangers que nous essayons d'attirer dans nos ports, que nous convions à venir déposer leurs marchandises dans l'entrepôt public d'Anvers, se croient facilement exposés à des pertes et surtout à des contestations dans lesquelles la bonne foi du gouvernement pourrait être mise en question.

Il y avait là des motifs suffisants pour justifier la présentation du projet de loi, et c'est dans un esprit de bonne foi et d'équité que nous convions la Chambre à adopter la proposition du gouvernement.

- La discussion générale est close. On passe aux articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Un crédit de cent quatorze mille trois cent quatre-vingt-dix-sept francs quarante-neuf centimes est mis à la disposition du ministre des finances, pour indemniser les propriétaires des marchandises endommagées ou détruites par le sinistre arrivé au pavillon nord de l'Entrepôt d'Anvers, le 28 octobre 1857. »

M. Ch. Lebeau. - Je demanderai que pour ne pas poser le précédent qu'on redoute, on ajoute les mots : « par transaction », après ceux-ci : « pour indemniser ».

L'article 1386 du Code civil ne dit pas précisément ce qu'on lui faisait dire tout à l'heure ; cet article porte que le propriétaire d'un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu'elle est arrivée par suite du défaut d'entretien ou par le vice de sa construction.

Ce ne serait donc pas au propriétaire à prouver que la ruine du bâtiment n'est pas arrivée par suite d'un défaut d'entretien ou par le vice de sa construction ; ce serait, au contraire, à celui qui se plaindrait du dommage, à justifier ce point contre le propriétaire.

- L'amendement de M. Ch. Lebeau est appuyé.

La discussion de l'article premier est close.

L'amendement de M. Ch. Lebeau est mis aux voix et adopté.

L'article premier, ainsi amendé, est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Ce dédit sera couvert au moyen des ressources ordinaires, et formera l'article 43 du budget du département des finances pour l'exercice 1859. »

- Adopté.

Second vote et vote sur l’ensemble

M. le président. - Un amendement ayant été introduit à l'article premier, il y a lieu à un second vote qui doit être remis à la prochaine séance, à moins que l'assemblée ne déclare l'urgence,

- Voix nombreuses. - Oui, oui, l'urgence !

- L'urgence est proclamée.

L'article premier, amendé, est mis aux voix et définitivement adopté.


Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet.

53 membres seulement y répondent ; l'assemblée n'étant pas en nombre, le vote est renvoyé à une autre séance.

M. le président. - D'après la décision que la Chambre a prise hier, la Chambre est ajournée jusqu'à convocation ultérieure qui aura lieu quand les rapports des sections centrales auront été imprimés et distribués.

- La séance est levée à 3 heures et un quart.