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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 31 mai 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 1423) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, fait l'appel nominal à 2 heures e un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :

« Des brasseurs à Audenarde demandent que, dans le projet de loi relatif aux octrois, la taxe de l'accise sur la bière soit portée à 3 francs par hectolitre de cuve-matière. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Les membres du conseil communal de Wevelghem demandent que le projet de loi qui abolit les octrois supprime l'impôt de capitation ou d'abonnement dans les communes rurales. »

« Même demande du conseil communal d'Assche. »

- Même décision.


« Des habitants de Furnaux présentent des observations sur le projet de loi relatif aux octrois. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Gain propose de faire participer le produit des assurances contre l'incendie à la suppression des octrois. »

- Même décision.


« Des habitants de Ferrières demandent l'achèvement de la route de Huy à Stavelot. »

- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.


« Le sieur Chalet, vétérinaire pensionné à Molenbeek-Saint-Jean, né à Dôle (France), demande la naturalisation avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.

Projet de loi supprimant les octrois communaux

Discussion générale

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, le principe du projet qui supprime les octrois ne me paraît pas contestable. On ne peut différer que sur le mode de remplacement. Je reconnais bien volontiers que le système qui nous est proposé offre des combinaisons ingénieuses, qu'il porte les traces d'une étude approfondie de la matière et de cet amour du bien dont l’honorable ministre des finances est pénétré.

Mais toute œuvre humaine a ses côtés faibles. M. le ministre, en présentant son projet à la Chambre, a fait, sous ce point de vue, de sages et prudentes réserves ; il a provoqué modestement les améliorations que l'examen parlementaire pourrait y apporter. C'est donc, pour chacun de nous, un droit et un devoir d'apporter dans ce débat notre contingent d'observations personnelles et de renseignements particuliers, afin d'éclaircir les points douteux et de signaler les inconvénients qui peuvent avoir échappé à la perspicacité de M. le ministre.

Et d'abord, s'il est évident que la suppression de l'octroi ne peut avoir pour compensation qu'un revirement d'impôts, il est aussi incontestable que ce revirement doit avoir lieu de telle sorte qu'il ne froisse aucun intérêt garanti jusqu'à ce jour, et qu'il ne consacre aucune inégalité dans la répartition des charges nouvelles, et dans le partage du fonds communal.

Sous ce rapport, sans m'associer aucunement aux clameurs et aux critiques dissolvantes de l'esprit de parti, je suis forcé de reconnaître qu'il y a lieu d'amender certaines dispositions du projet.

Parmi les objections qui se présentent, il en est une qui peut soulever quelques scrupules parmi les esprits strictement attachés à l’inviolabilité absolue du principe légal et constitutionnel. Aux termes de la loi communale, les 2,460 communes de la Belgique ont le droit d'imposer leurs habitants d'un droit de consommation, et cela après libre délibération et vote indépendant des représentants communaux. Or, voilà un droit que semble leur enlever le projet de loi en leur imposant un système de contribution sur la consommation, sans que ce système puisse être ni examiné, ni débattu par elles.

Sans doute on peut dire que le droit de s'imposer n'a pas été donné aux communes par la loi communale d'une manière absolue et sans restriction.

Cette loi prescrit l'homologation par le gouvernement exécutif et réserve à celui-ci le droit de veto. Mais il y a une différence entre le droit de contrôler, d'empêcher même une contribution locale, et celui d’ordonner, d'imposer une contribution quelconque.

Toutefois, je le reconnais, c'est là une question de casuiste politique. Je laisse le soin de la résoudre, si tant est qu'il soit utile de s'y arrêter, à des esprits spécialement compétents en matière de droit constitutionnel.

En second lieu, bien que le reproche fait au projet de consacrer une inégalité choquante et inique entre les campagnes et le ; villes, me paraisse évidemment exagérée et exploitée par l'opposition, je n'oserais pas soutenir qu'il soit entièrement dépourvu de fondement sur certains points.

Je ne m'arrête pas à l'objection fondée sur l'injustice qu'il y aurait à imposer des charges nouvelles aux campagnes pour débarrasser les villes d'un système d'impôt qui trouve sa compensation dans la concentration des grands établissements et dans l'agglomération de populations industrieuses et riches. Ces avantages, qui sont propres aux villes, profitent d'une manière moins directe, mais tout aussi effective, aux campagnes. Si les campagnes sont les lieux de production, les villes sont les lieux de consommation, et il est très exact de dire que plus les villes consommeront, plus les campagnes devront produire, ce qui ne peut que les enrichir. Il y a entre les unes et les autres réciprocité et solidarité.

Voici des causes d'inégalité plus réelles, plus patentes, et sur lesquelles on ne peut trop attirer l'attention de la législature et du gouvernement :

Si l'on veut bien remarquer que la part de 75 p. c. du produit des droits sur le café, et de 34 p. c. du produit des droits d'accise sur les vins, les eaux-de-vie, les bières, les vinaigres et les sucres, se répartissent, d'après le projet, au prorata du principal de la contribution foncière sur les propriétés bâties, du principal de la contribution personnelle et des patentes, il faut reconnaître que ces bases étant les moins imposables dans les communes rurales, il en résultera inévitablement une inégalité en faveur des villes.

Je m'explique. A la campagne, c'est l'impôt foncier qui produit le plus, c'est l'impôt sur les bâtisses qui rapporte le moins. En négligeant de faire compter pour sa part la contribution foncière rurale, le projet (article 3) froisse donc en réalité l'intérêt des communes rurales. Il leur donne moins qu'il ne leur revient en bonne justice sur le fonds communal, et ce sont les villes qui profitent de cette lacune dans les bases.

Je pense qu'il suffit de signaler cette anomalie pour qu'elle disparaisse. Si le gouvernement ne jugeait pas à propos de la corriger spontanément, mon vœu serait qu'un amendement en fît justice.

Messieurs, le rapport de la section centrale dit ; « C'est à la bière qu'on demande la plus forte part du revenu du fonds communal. Comme le projet ne lui attribue (au susdit revenu) que 34 p. c. de l'accise sur cette matière, il a fallu augmenter cette accise dans de notables proportions... On porte donc l'accise, d'une manière générale, de 2 francs 06 c. à 4 francs par cuve-matière, et on supprime les droits d'octroi. Ces droits variaient beaucoup ; ils étaient de 2 fr. et plus, pour la plus grande partie fabriquée ; de 1 à 2 fr. pour les autres. Il en résulte que la brasserie gagnera à la réforme, dans certaines villes, y perdra dans d'autres. »

Puis, le rapport ajoute que le prélèvement proposé sur les bières est de 6 millions 100 mille francs, dont il convient de défalquer 2,919,775 francs, montant des droits actuellement perçus par l'octroi, ce qui réduit la surtaxe réelle de cette matière à 3,180,224 fr.

Voilà donc à peu près le quart du fonds communal constitué aux dépens d'un seul objet de consommation, et d'un objet de première nécessité dans un pays où le vin est une boisson de luxe. Mais ce n'est pas encore là ce qui blesse le plus l'équité. Le plus grave reproche qu'on peut articuler contre cette mesure, c'est l'inégalité de la répartition, par le fait même de l'inégalité de condition entre les établissements producteurs. Examinons ; et jugeons-en par des exemples.

Le droit d'accise actuel est de fr. 2,06. Le projet propose de le porter à 4 fr. Que résultera-t-il de ce changement ? Que, dans les communes où le droit d'octroi s'élevait à 2 fr., les brasseurs dégrevés de ce droit payeront un droit équivalent à l'Etat, ce qui ne changera rien à leur position. Mais ce n'est là qu'une exception ; presque partout ailleurs il y aura lésion. Ainsi, le droit d'octroi étant à Anvers fr. 2,20 ; à Bruxelles, fr. 2,05 ; à Gand, fr. 3 ; à Liège, fr. 2 ; il est vrai que pour ces quatre villes, il n'y aura pas de perte, mais plutôt du gain pour les brasseries. En effet, si l'on ajoute aux droits d'octroi susdits le droit d'accise actuel de fr. 2,06, on a : pour Anvers, fr. 4,26 ; pour Bruxelles, fr. 4,11 ; pour Gand, fr. 5,06 ; pour Liège, fr. 4,06, or, on voit que ces droits cumulés étant remplacés par la taxe unique de 4 fr, proposée au projet, il en résultera pour la première de ces communes, 26 centimes de bénéfice ; pour la seconde, 11 centimes, pour la troisième, 1 franc 6 centimes ; pour la quatrième, 6 centimes.

D'où il résulte que l'augmentation frappera exclusivement les petites communes à octroi où l'impôt local est inférieur à 2 francs, et les communes sans octroi. Il est impossible de soutenir que ce régime soit conforme à l'équité.,

En somme, les petites communes à octroi ne payeront, en sus de ce qu'elles payent actuellement, que la différence de leur droit d'octroi avec la taxe uniforme proposée, tandis que les communes rurales où il n'y a pas d'octroi, subiront, en sus du droit d'accise actuel (fr. 2-06), un (page 1424) droit, nouveau pour elles, représentant fr. 1-94. Ici l'inégalité est flagrante. On ne peut y remédier, en bonne justice distributive, que par l'impôt proportionnel.

Enfin, messieurs, le rapport rédigé avec la loyale franchise qui distingue son auteur, dit encore ceci :

« On ne saurait le nier, même sans tenir compte des griefs des industriels frappés par l'augmentation de l'accise, l'accroissement de la taxe sur les bières n'est agréable à personne, et pourquoi ne pas le dire ? il n'est pas bon en soi.

« Loin de voir s'élever le prix de cette boisson saine et fortifiante, on voudrait pouvoir le diminuer et en mettre l'usage à la portée d'un plus grand nombre. Il faut toutes les exigences, toutes les nécessités de la réalisation d'une réforme utile à la généralité des citoyens, pour faire accepter cette base. »

Messieurs, ce sont là de graves paroles. Elles parlent de la conscience d'un honnête homme, qui ne sait pas dissimuler la vérité pour servir une cause chère à son cœur. Il est impossible que la Chambre n'en soit pas vivement frappée. Il est évident qu'il y a quelque chose à faire pour améliorer cette partie de la loi. Il surgira, je l'espère, quelque combinaison qui remédiera aux inégalités et aux surcharges que je viens de signaler. A part la transformation de la taxe uniforme en une taxe différentielle, si la réduction de cette taxe ne peut avoir lieu sans compensation, il conviendrait de créer un impôt nouveau, tel que celui qu'on a proposé sur les extractions de houille, sur les mines. Mais, avant tout, je regarde comme extrêmement désirable que l'on s'occupe activement et efficacement de la question de l'impôt sur le tabac.

Il n'en est pas de plus juste, car il frappe une passion et non un besoin réel, et il n'en est pas de plus productif, car la consommation ne cesse de s'accroître. Les difficultés du mode de perception ne peuvent être insurmontables, même en écartant le monopole, qui, je le déclare, me paraît absolument contraire au sentiment de liberté qui anime notre nation, de même que l'inégalité de répartition est antipathique à son sentiment de justice. On peut, il me semble, percevoir le droit à la fabrication, ainsi que cela se fait pour les distilleries et les brasseries.

L'exercice et les employés seraient les mêmes. On peut encore imposer l'hectare cultivé en tabac. C'est un mode à trouver et non une impossibilité.

Messieurs, la question que nous examinons est une des inspirations les plus louables de l'esprit du siècle, qui demande l'abolition pacifique et raisonnée des entraves léguées par les époques écoulées. Bien des considérations nouvelles surgiront dans ce débat. Je les suivrai, pour mon compte, attentivement, et subordonnerai mon vote aux satisfactions qui seront apportées, de part ou d'autre, à la série de griefs, très remédiables, que je viens d'exposer.

(page 1455) M. Vander Donckt. - Messieurs, d'après le rôle d'inscription, je parais être hostile au projet. J'avais demandé à M. le président d'être inscrit sur le projet. Il n'a pas pu me l'accorder, parce que je ne voulais pas, immédiatement et dans la discussion générale, présenter un amendement. Je me réserve de présenter des amendements, de concert avec d'autres honorables collègues, mes amis, lorsque nous en serons arrivés aux articles. C'est donc sur le projet et non contre le projet que j'ai demandé la parole.

La Chambre n'attend pas de moi que j'examine en détail toutes les questions nombreuses et difficiles que soulève le projet de loi. Je me bornerai pour le moment à quelques réflexions générales.

Messieurs, le projet de loi a donné lieu dans le pays à des manifestations en sens divers. D'un côté, les villes se sont empressées d'adresser leurs félicitations à M. le ministre des finances ; d'autre part, la plupart des communes rurales ont réclamé, et vous voyez sur le bureau l'énorme dossier de pétitions qui sont arrivées contre le projet, les unes sur quelques articles, d'autres sur le système tout entier.

Il est permis d'en conclure avec fondement que le projet de loi est fait en faveur des villes à octroi qui sont appelées à en retirer des avantages immenses et au grand détriment des campagnes qui en supporteront toutes les charges.

Les villes à octroi, en amies imprudentes du cabinet, se sont trop empressées d'adresser leurs félicitations au ministre ; elles auraient dû attendre que le projet fût adopté. Car elles ont dénoncé toute la faveur, les avantages immenses que les villes doivent retirer de la loi contre les campagnes,

Messieurs, je m'empresse de témoigner toute ma reconnaissance à la section centrale, en me joignant à mon honorable collègue, M. Vermeire, pour le pas qu'elle a fait en proposant une amélioration assez notable par l'augmentation du fonds dans l'intérêt des communes sans octroi.

La section centrale nous a démontré par là une fois de plus tout le bien fondé des communes rurales dans leurs réclamations, car elle aussi a eu la conviction que le gouvernement n'avait pas fait pour les communes, comme il aurait pu le faire dans l'intérêt de la justice distributive, ce qu'il a fait pour les villes.

L'honorable ministre nous a conviés tous à émettre notre opinion dans le but d'améliorer le projet de loi, si cela était possible. Je crois que l'honorable ministre, après avoir témoigné de ses bonnes intentions, accédera à nos propositions, fera un pas de plus que la section centrale. Celle-ci n'a pas cru pouvoir aller au-delà, mais avec le concours du gouvernement, elle pourra faire un pas de plus. Le gouvernement peut améliorer le projet, il peut le rendre acceptable et alors il recevra les félicitations non seulement des villes, mais encore des communes ; et il faut que le projet de loi, en augmentant le fonds communal, soit tel que les villes n'adressent plus autant de félicitations au gouvernement, qu'elles se plaignent un peu à leur tour et que les communes ne se plaignent plus avec autant de raison et de fondement.

Evidemment, tout le poids de la balance pèse ici en faveur des villes et contre les campagnes. Messieurs, cela est trop évident. Toutes les commissions qui ont examiné antérieurement la question, de savoir s'il y avait moyen de supprimer les octrois, ont été d'avis qu'il fallait en même temps supprimer les capitations. Le gouvernement n'a pas jugé à propos de comprendre d'emblée dans son projet cette suppression ; il a dit : Nous y viendrons, vous recevrez un appoint et insensiblement le fonds communal augmentera et vous finirez par être à même de supprimer vos capitations. Mais il ne détermine aucune époque. Eh bien, messieurs, comme les campagnes ne sont pas habituées à se payer de paroles, voici comment elles ont interprété cette manière de voir ; elles se sont dit : Pour les villes on accorde d'emblée le remboursement du produit des octrois tel qu'il est, et la loi leur garantit que ce remboursement leur sera fait à tout jamais ; pour les communes on a dit : Vous recevrez une part, vous ferez votre ménage et vous y viendrez bien.

Messieurs, la conséquence de ce raisonnement est appréciée par le bon sens des campagnards de cette manière-ci : le gouvernement payera en beaux écus sonnants aux villes le montant de leurs octrois, et les campagnes on les payera en belles paroles. S'il y a excédant sur le fonds, elles auront quelque chose, mais s'il n'y a pas d'excédant, les communes se trouveront non seulement dans la même position où elles se trouvent aujourd'hui, mais elle se trouvera considérablement aggravée par l'augmentation des accises sur le vin, les bières, etc., et le maintien de l'odieux impôt de capitation par-dessus le marché.

Les communes sans octroi gravement lésées par la manière dont le projet a été combiné, ont qualifié ce projet de loi en deux mots ; elles ont dit : « Den boer zal alles betaelen » ; le campagnard payera le tout.

Non seulement le gouvernement rembourse aux villes le montant de leurs octrois, mais il leur rembourse en outre, au détriment des campagnes, le produit de l'impôt de capitation perçu extra muros. On dit dans l'exposé des motifs : « cette addition se justifie facilement parce que l'impôt établi extra muros est l'équivalent de l'octroi. » Eh bien, messieurs, nous disons nous aussi : Les capitations établies dans les campagnes sont l'équivalent de l'octroi. Nous n'avons pas de murs d'enceinte, nous n'avons pas de portes et nous sommes bien forcés d'imposer par capitation ce que nous ne pouvons pas imposer indirectement. Y a-t-il justice à ne pas comprendre ces capitations dans les impôts à rembourser quand on rembourse aux villes non seulement ce qu'elles imposent extra muros, ce qui est une véritable capitation, et qu'en outre le gouvernement se propose de rembourser aux villes une autre somme qui est imposée par capitation sur leurs habitants mêmes soumis à l'octroi. Je ne comprends pas comment on peut justifier cette manière d'agir.

Parce que je m'appelle Anvers ou Bruxelles.je dois recevoir 50,000 ou 60,000 francs en restitution de l'impôt de capitation extra muros, et parce que je m'appelle Scheldekewindeke ou Schellebelle, je dois trouver moi-même des ressources pour satisfaire à mes besoins sans être admis à participer au fonds commun que j'ai contribué à former. Cela n'est pas admissible.

La part que l'on rembourse aux villes constitue donc un véritable privilège, une criante injustice, injustice d'autant plus flagrante, que vous garantissez aux villes le montant de la capitation perçue dans les parties extra muros, et dont vous n'abolissez pas même le principe.

D'après les intentions que le gouvernement a manifestées, il ne veut pas pour les communes garantir les capitations, il ne les rembourse pas, et pour les villes, il dit : C'est l'équivalent de l'octroi ; il faut donc le comprendre dans les sommes à restituer.

Quelle différence y a-t-il entre la capitation établie dans les faubourgs et la capitation établie dans une commune plus éloignée ? C'est absolument identique ; il n'y a pas de différence.

Et, comme je l'ai dit, l'injustice est ici d'autant plus flagrante, que les grandes villes viennent puiser, dans le fonds commun, une part pour laquelle elfes n'ont rien abandonné, pas même la faculté de réimposer leurs habitants par capitation ; et l'injustice est plus manifeste encore, en ce que ce fonds-là vient garantir aux villes, non seulement leur octroi, mais le montant de la capitation. Cela est tellement révoltant, que si le gouvernement ne parvient pas, par une explication catégorique, à justifier ce système, on doit reconnaître qu'il y a ici deux poids et deux mesures.

D'un côté, il y a en faveur des villes à octroi un privilège qui est contraire au dispositif de l'article 112 de notre Constitution, et d'autre part, le projet de loi est incomplet en ce qu'il maintient l'impôt de capitation dans les communes rurales ; que s'il est vrai de dire que les communes en général ont demandé l'abolition des octrois, c'était dans la ferme persuasion que les octrois personnels ou de capitation y auraient été compris, car l'impôt de capitation est sans contredit le plus gênant, le plus arbitraire et le plus vexatoire aux yeux des campagnards et des administrations dans les communes rurales ; et les rapports de toutes les commissions, et tous les hommes spéciaux qui s'en sont occupés l'ont compris ainsi et ont proposé en même temps l'abolition des octrois personnels.

Le projet de loi est incomplet, tant que les communes ne sont pas admises à participer à la distribution du fonds commun, du chef de la capitation sur le même pied que les villes.

Un exemple. Intervertissons les rôles, et voyons ce que diraient les villes, si on leur disait : Le fonds commun est fait, et au lieu des octrois des villes, on prélèvera les 4 millions de capitation, même les centimes additionnels, et on vous abandonnera le reste et faites votre ménage. J'attends la réponse du gouvernement et des villes sur ce point. Je ne vois pas pourquoi il faut donner un privilège aux octrois des villes. S'il est vrai de dire qu'en privant les villes de la faculté d'avoir des octrois, de recouvrer ainsi une partie des fonds nécessaires à leur administration, il1 est juste de les indemniser jusqu’à un certain point, mais je ne vois pas pourquoi il faudrait les indemniser intégralement, et en leur abandonnant le restant des fonds, on ferait ce qu'on fait aujourd’hui pour les communes.

On leur dirait : Tous les ans ce fonds va augmenter et il s'accroîtra de telle manière que d'ici à dix ans vous serez riches. C'est ce que l'on dit aux communes. Eh bien, messieurs, nous communes, nous ne voulons pas être riches ; nous voulions rester ce que nous sommes, mais nous voulons recevoir ce qui nous revient de droit dans le fonds commun.

Si l'on nous laisse dans la position de devoir trouver les ressources nécessaires, de devoir maintenir, même partiellement, le droit de capitation, nous sommes traités d'une manière défavorable. Les villes n'ont pas plus de droits que les communes à l'intégrité du fonds. Qu'elles se créent également des ressources, qu'elles cherchent aussi à couvrir un, partie du fonds et qu'elles attendent.

Nous verrons alors si les villes se contenteront de ces belles paroles du gouvernement et si lorsque les communes seront remboursées intégralement du montant de l'impôt de capitation tandis que les villes ne recevront qu'un à-compte pour leur octroi, nous verrons, dis-je, si elles se contenteront de la part qui leur sera allouée.

Messieurs, encore un mot sur les bases. On a proposé dans plusieurs sections l'impôt foncier comme base de répartition. Quand il s'est agi de la loi sur l'instruction primaire, on a imposé 2 centimes additionnels sur le foncier et l'on a dit : Les provinces et les communes s'imposeront ces deux centimes additionnels et jusqu'à ce qu'elles aient épuise ce fonds, elles n'auront droit à aucun subside de la part de l'Etat pour l'instruction primaire.

(page 1456) Je n'examine pas jusqu'où cette base est applicable à la loi présente, mais je dis : De deux choses l'une : ou l’on a commis une flagrante injustice en imposant les deux centimes additionnels d'après les bases de la contribution foncière quand on a fait la loi sur l'instruction primaire, ou bien cette base était bonne alors et elle doit l'être encore aujourd'hui. Si elle était bonne, il faut la maintenir ; si elle était fausse, il faut la modifier.

Il est évident que si elle était bonne pour imposer, elle doit l'être encore pour partager un fonds créé par les communes et qui s'appelle fonds communal.

Ceci, messieurs, soit dit en passant ; mais il y a encore une autre observation qui est relative aux provinces.

Les bases qui sont présentées par le gouvernement, ceci est évident et chacun a pu le vérifier, favorisent certaines provinces au détriment des autres.

Il est de, toute évidence que les deux Flandres, comme l'a dit hier mon honorable collègue, sont sacrifiées par le projet de loi. (Interruption.) Il est également de toute évidence, aurait-il pu ajouter, que les provinces flamandes sont sacrifiées au profit des provinces wallonnes. En effet, messieurs, dans les provinces wallonnes, il n'y a pas de capitation.

M. de Lexhyµ. - Il y a des centimes additionnels.

M. Vander Donckt. - Le projet de loi accorde aux communes wallonnes comme aux provinces flamandes une part dans le fonds commun, mais les premières obtiennent cette part sans bourse délier, sans aucun sacrifice de leur part ; c'est un véritable cadeau qu'on leur fait.

Mais, dit-on, ces communes emploieront au mieux la part qui leur sera accordée. Je le crois sans peine, messieurs, et en cela elles ne feront que ce qu'elles doivent, et elles auront d'autant plus de facilité de le faire qu'il ne leur en coûtera absolument rien.

Il y a ici, messieurs, une question qui domine tout le débat, c'est qu'il faut ici, comme en toutes choses, de la justice distributive ; et puisqu'il s'agit d'augmenter le fonds, puisque cette augmentation est indispensable pour pouvoir rendre justice aux communes des Flandres, et en général à toutes les communes à capitation, il y a un moyen fort simple d'obtenir au moins en partie ce résultat, et ce moyen a été indiqué déjà par l'honorable comte de Renesse, parmi plusieurs autres dont il a également parlé. Ce moyen consisterait à élever le taux de la redevance des mines.

Messieurs, la loi de 1810, comme l'a dit l'honorable membre, imposait une redevance de 5 p. c. ; aujourd'hui, cette redevance n'est plus que de 2 1/2 p. c. ; et voulez-vous connaître l'un des résultats de cette réduction ? Les mines du territoire neutre de Moresnet payent à la Prusse une redevance annuelle de 30,000 francs ; et la Belgique ne perçoit de ce chef que 15,000 francs.

Eh bien, messieurs, s'il est prouvé et nous pourrons prouver à toute évidence que les provinces flamandes éprouvent ici un préjudice notable, n'y aurait-il pas justice à élever de nouveau la redevance des mines à 5 p. c. comme en France, en Suisse et en Prusse et à accroître le fonds communal de l'augmentation de recette qui en résulterait ?

Pour le moment, je le répète, messieurs, je ne propose pas d'amendement ; mais je me réserve, quand nous serons arrivés aux articles, de me concerter avec d'honorables collègues pour proposer les amendements que nous jugerons utiles. J'ai dit.

(page 1424) M. H. de Brouckere (inscrit sur). - Messieurs, quelque partisan que je sois du projet de loi qui fait en ce moment le sujet de vos délibérations, ce n'est pas pour en prendre la défense que j'ai demandé la parole, car je ne le regarde pas comme sérieusement menacé. Je ne comprendrais pas même la possibilité qu'un semblable projet pût être accueilli par un vote négatif de la part de la Chambre.

Quoi ! messieurs, le gouvernement, prenant une courageuse initiative, vient vous proposer, en vous en fournissant les moyens, la suppression des octrois, de cette institution surannée, vexante, inique, immorale, de cette institution que tous, campagnards et citadins, nous supportons si impatiemment, et la Chambre répondrait à une semblable ouverture en déclarant qu'elle veut le maintien des octrois ? Cela n'est pas possible !

La présentation du projet de loi, l'accueil qu'il a reçu de la part des sections et de la part de la section centrale, le rapport de cette dernière section, les discussions qui ont eu lieu dans les divers organes de la presse, les manifestations qui sont venues de toutes les parties du royaume, tout cela, messieurs, constitue un ensemble de faits qui dès aujourd'hui a condamné les octrois, les a condamnés définitivement et à perpétuité.

Que l'on discute devant vous dans quelle proportion la suppression des ocltois sera favorable aux villes, dans quelle proportion elle sera favorable aux campagnes, je le comprends, et cette discussion vient parfaitement à propos. (Interruption.)

Je n'ai pas compris l'interruption.

M. Vermeire. - Nous ne disons pas autre chose.

M. de H. de Brouckereµ. - Que l'on critique les combinaisons financières à l'aide desquelles le gouvernement vous invite à supprimer les octrois, cela est encore parfaitement convenable ; mais ceux qui critiquent les mesures proposées par le gouvernement devraient comprendre le devoir qui leur incombe de proposer d'autres mesures pour les remplacer. (Interruption.)

Cette interruption je la comprends, mon observation embarrasse les adversaires du projet ; mais il n'en est pas moins vrai que quand on critique certains détails d'un projet de loi, il faudrait indiquer les moyens de l'améliorer, il le faudrait d'autant plus que le gouvernement a loyalement fait un appel à votre concours en présentant son projet.

Le gouvernement, en effet, a dit qu'il était loin de le regarder comme parfait, qu'il comptait sur nos avis et sur nos conseils pour en faire disparaître les défauts, pour l'améliorer autant que possible.

Quant à moi, c'est précisément pour répondre à cet appel que j'ai demandé la parole. Je blâme certaines dispositions du projet de loi, et je m'en expliquerai franchement, mais je ne dérangerai en rien les combinaisons du gouvernement, je laisserai le projet tel qu'il est en ce qui concerne le produit des impôts qui doivent remplacer les octrois.

Avant d'entrer en matière, qu'il me soit permis de déclarer que j'approuve complètement et la création du fonds communal destiné à indemniser les villes à octroi de la perte qu'elles sont à la veille de subir, et à fournir aux communes sans octroi des subsides annuels ; que j'approuve également, sauf ce que je dirai plus tard, les moyens financiers à l'aide desquels ce fonds est alimenté ; que j'approuve la distribution qui est faite de ce fonds entre les communes à octroi d'un côté et les communes sans octroi de l'autre ; enfin que j'approuve encore les bases à l'aide desquelles doit se faire la répartition entre les communes sans octroi de la partie du fonds commun qui leur est destinée.

Vous voyez que j'approuve, et j'ajoute, que j'approuve hautement leprojet pris dans son ensemble.

Ce que je trouve mauvais dans le projet, ou plutôt ce que je trouve inopportun, intempestif, ce sont les dispositions qui sont destinées à faire, accidentellement et à l'occasion d'un projet de loi bien plus important, toute une nouvelle législation sur les sucres. (Interruption.)

Je vois quelques membres qui sont assis en face de moi et qui semblent étonnés de ce que je dis. Je serai curieux de voir leur vote, je pense que parmi ceux qui manifestent de l'étonnement, il y en a plus d'un qui votera dans le même sens que moi. Nous le verrons dans peu.

Je vais donc m'expliquer et je le ferai aussi clairement que possible.

Je prie donc la Chambre de bien vouloir remarquer que je m'attache ici au projet du gouvernement tel qu'il a été présenté, sans m'occuper des modifications formulées par la section centrale, bien que je sois très disposé à donner mon assentiment à ces modifications, attendu que la discussion, d'après le désir manifesté par le gouvernement, s'est ouverte sur son projet. C'est donc en prenant ce projet pour point de départ que je présenterai mes observations. Elles seraient les mêmes, si la discussion s'était ouverte sur le projet de la section centrale.

Le fonds communal se compose, en premier lieu, du produit net du service des postes et de 75 p. c. du produit de l'impôt sur le café.

Pour faire passer ces deux éléments dans le fonds communal, il n'y a qu'une seule opération à faire, c'est de les prendre dans les caisses du trésor, et de les déposer dans le fonds communal. Du reste, la loi sur la poste, la loi sur le café, restent telles qu'elles sont.

Le fonds communal se compose en second lieu de 840,000 fr. que doit fournir le droit de douane sur les vins étrangers et de 50,000 fr. que doit fournir le droit de douane sur les eaux-de-vie étrangères.

Pour trouver ces deux chiffres, on ne fait rien autre chose qu'augmenter d'une somme proportionnelle les droits de douanes dont les vins étrangers et les eaux-de-vie étrangères sont frappés en ce moment. Ici encore la législation douanière sur les vins étrangers, la législation douanière sur les eaux-de-vie étrangères restant immobiles.

Le fonds communal se compose en troisième lieu de 6,100,000 fr. à prendre sur l'accise des bières et de 2,840,000 fr. à prendre sur l'accise des eaux-de-vie indigènes.

Comment fait-on pour se procurer ces deux sommes assez élevées ? On augmente le droit sur le genièvre de 95 centimes ; on augmente le droit sur la bière de 1 fr. 94. Du reste, on ne touche à aucune des dispositions des deux lois sur les distilleries ni sur les brasseries. Il a mieux : on a bien soin, en présentant le projet, de rassurer complètement le pays à cet égard. Veuillez prendre la page 41 de l'exposé des motifs.

L'article 6 est ainsi conçu :

« § 1er. Le droit d'accise établi sur la fabrication des eaux-de-vie par la loi du 27 juin 1842 modifiée et par la loi du 30 novembre 1854, est fixé à 2 fr. 45 c. par hectolitre de contenance des vaisseaux imposables.

« § 2. Le droit est porté à 3 fr. 85 c. lorsqu'il est fait usage de fruits secs, mélasses, sirops ou sucres. »

Et voici l'observation dont M. le ministre des finances accompagne cet article :

« Les différents taux d'accise ci-contre correspondent à des rendements proportionnels de 7 et de 11 litres d'alcool à 50 degrés Gay-Lussac, par hectolitre de contenance imposable (2 fr. 45 c, 3 fr. 85 c, 7 fr. 11 c.)

« Ce rapport existe aujourd'hui déjà pour les céréales, les fruits secs, mélasses, sirops et sucres (1 fr. 50 c, 2 fr. 36 c., 7 fr. 11 c).

Ainsi non seulement on ne change rien à la proportionnalité, pour m'exprimer ainsi, qui existe dans la loi sur les distilleries, mais on a bien soin de vous le faire remarquer et l'on établit même des règles de trois pour qu'il ne reste plus de doute à cet égard.

« Art. 7. Le taux de la décharge est fixé à 35 fr. par hectolitre d'eau-de-vie à 50 degrés Gay-Lussac, à la température de 15 degrés centigrades. »

Voici l'observation qu'on lit à côté de cet article :

« Cette décharge représente exactement le montant de l'accise d'après les rendements des différentes matières.

(page 1426) « Céréales : 7 litres à 35 fr. l'hectolitre = 2 fr. 45 c., taux de l'accise (article 6, paragraphe premier).

« Mélasses, etc. : 11 litres à 35 fr. l'hectolitre = 3 fr. 85 c, taux de l'accise (article 6, paragraphe 2.) »

« Art. 8. La quotité de l'accise établie par la loi du 27 juin 1842, modifiée, sur la macération, la fermentation et la distillation des fruits à pépins et à noyaux, sans mélange d'autres matières produisant de l'alcool, est portée à fr. 1 85 c. par hectolitre. »

Et encore une fois voici l'observation :

« n élevant à fr. 1 85 c. le taux du droit sur la distillation des fruits à pépins et à noyaux, on maintient la différence de 60 c. entre les droits sur cette distillation et celle des céréales, différence dont le principe avait été admis dans la loi de 1842.

« Loi de 1842 : fr. 1 50 - 0,90 = 0 60

« Loi nouvelle : fr. 2 45 - 1,85 = 0 60. »

Passons aux bières.

« Art. 9, § 1er. Le droit d'accise établi sur la fabrication des bières et vinaigres par la loi du 2 août 1822, modifiée par la loi du 24 décembre 1853, est fixée à 4 fr.

« § 2. Le taux de la décharge, ainsi que les réductions accordées aux vinaigriers sur le montant de l'accise, sont maintenus dans la proportion existant aujourd'hui. »

Ainsi, vous le voyez, et les postes, et le café, et les vins étrangers, et les eaux-de-vie étrangères, et les bières, et les eaux-de-vie indigènes apportent leur contingent pour former le fonds communal et pas une seule des lois qui régissent ces différentes matières n'est modifiée en quoi que ce soit, sauf que l'on impose un droit plus fort sur la bière, sur le genièvre et à l'entrée, sur les vins étrangers et sur les vinaigres. Venons maintenant aux sucres et voyons si le gouvernement a agi pour les sucres avec la même prudence, avec la même sagesse.

La bière, d'après le projet de loi, doit fournir au fonds communal une somme de 700,000 fr. Je ne réclame en rien contre le montant de cette somme. Lorsque l'on demande un contingent aussi considérable qu'on le fait à la bière et au genièvre, il est juste que le sucre paye sa quote-part. La somme de 700,000 fr. qui lui est imposée n'est pas exagérée.

M. Tack. - Ce n'est pas assez.

M. H. de Brouckere. - J'entends quelqu'un dire que ce n'est pas assez, j'attendrai son amendement proposant une proportion plus grande pour les sucres. Nous verrons au surplus si je trouverai autant de personnes disposées à me répondre que j’en vois disposées à m'interrompre.

Voyons donc, je le répète, si le gouvernement a agi avec la même prudence, avec la même sagesse relativement au sucre.

En aucune manière. Veuillez lire les articles 10, 11, 12, 13 du projet et vous verrez au contraire que non seulement on modifie la législation sur les sucres dans ses principales dispositions, mais qu'on la bouleverse tout entière ; Ou augmente le droit sur le sucre de betterave ; on diminue et on diminue sensiblement le droit sur le sucre de canne.

On change le taux du rendement ; on modifie la décharge, on supprime la restitution du droit à la sortie des sirops ; c'est-à-dire, je le répète, que la législation sur le sucre cat entièrement détruite et entièrement refaite.

Je me suis demandé, messieurs, quel grand intérêt avait pu déterminer le gouvernement à nous présenter ainsi une législation entièrement nouvelle sur une matière aussi difficile, aussi compliquée, aussi ardue que les sucres ; à nous présenter cette législation nouvelle incidentellement et à l'occasion d’un projet de loi beaucoup plus important que celui qui concerne les sucres.

Eh bien, messieurs, j'ai eu beau chercher le mot de cette énigme, je ne l'ai pas trouvée. Passons en revue les intérêts engagés dans la question.

Il y a d'abord celui du trésor, et dans toutes les occasions où la question des sucres a été agitée, j'ai mis cet intérêt au-dessus des autres, le trésor est tout à fait désintéressé dans la question. La loi actuelle est conçue de telle manière qu'elle assure au trésor une recette minima de 4,500,000 fr., chiffre qui avait été indiqué dans la loi qui nous régit.

En augmentant le droit qui frappe les matières imposables, dans une certaine proportion, que je n'ai pas besoin d'indiquer en ce moment, en augmentant le droit dans une certaine proportion, vous obtiendriez tout aussi facilement le chiffre de 5,200,000 fr., que vous obtenez aujourd'hui celui de 4,500,000 fr.

Je dirai en passant, messieurs, que M. le ministre des finances semble attacher un prix particulier à la suppression de la décharge à la sortie accordée aux sirops.

Il paraît que cette décharge a donné lieu à des fraudes ; s'il en est ainsi, je déclare tout d'abord que je passe condamnation sur cet article ; on pourra augmenter dans une proportion moindre le droit sur les sucres, car il s'agit, je crois, d'un produit de 250,000 fr.

Le trésor, je le répète, est donc désintéressé dans la question, puisqu’il peut obtenir les 700,000 fr. qu'il demande, sans changer la législation et en augmentant simplement le droit sur la matière imposable.

Est-ce l’industrie du sucre de canne qui a besoin d'une modification importante de la législation sur les sucres ? Mais, messieurs, avant que le projet de loi du gouvernement eût paru, la canne sommeillait, elle ne donnait pas signe de vie, elle ne se plaignait en aucune manière et reconnaissait par son silence que son industrie n'était nullement en péril ; aujourd'hui le projet de loi l'a mise en appétit et je conçois très bien qu'elle aurait quelque peine à renoncer aux avantages qu'il a fait briller un moment à ses yeux ; mais toujours est-il que jusqu'au moment où le projet a paru, l'industrie de la canne ne se plaignait pas.

Le commerce extérieur, la navigation nationale réclament-ils impérieusement et immédiatement la réformation de la loi actuelle ? Ici, messieurs, je suis obligé d'entrer dans quelques développements.

En 1843, pour la première fois, si je ne me trompe, la question des sucres a été traitée dans cette Chambre d'une manière approfondie.

A cette époque l'industrie du sucre de betteraves qui n'avait que quelques années d'existence, ne produisait que de 3 à 4 millions de kilog. et elle produisait ces 3 à 4 millions de kilog. sans payer un centime de droits. On raffinait à cette époque en Belgique, si ma mémoire est fidèle, environ 20 millions de kilog. de sucre exotique ; vous comprenez facilement que l'apparition sur le marché du pays de 3 ou 4 millions de sucre de betteraves avait apporté une certaine perturbation dans l'industrie et dans le commerce du sucre de canne. Aussi les raffineurs et le commerce se plaignaient amèrement.

D'un autre côté, le trésor ne percevait que fort peu de chose. La loi de 1838 avait fixé le produit du sucre à un minimum d'un million. En 1838 le sucre produisit 1,516,880 fr. ; en 1839, 1,404,962 fr. ; en 1840, 1,284,722 fr. ; en 1841, 1,057,859 fr. Vous voyez qu'en 4 ans, le chiffre s'était réduit d'un bon tiers.

Il fallait donc changer la loi. L'intérêt du trésor l'exigeait, l'intérêt du commerce, celui de la navigation et celui de l'industrie du sucre de canne le réclamait également et, d'un autre côté, tout le monde reconnaissait qu'on ne pouvait pas laisser plus longtemps indemne de tout droit une industrie qui semblait prospérer, celle du sucre de betterave.

La question fut longuement discutée, et je me souviens y avoir pris un peu part. Je soutins à cette époque que la coexistence des deux sucres serait à l'avenir une cause de grands embarras, de difficultés presque inextricables, et après être entré dans certains développements pour démontrer l'exactitude de mon assertion, je proposai de supprimer l'un des deux sucres, celui de betterave, le moins important alors, mais moyennant une indemnité.

Je terminai, messieurs, mon discours en disant, je m'en souviens parfaitement, que je voudrais l'indemnité la plus large possible. L'industrie de la betterave était alors dans l'enfance et elle se serait contentée d'une indemnité qui n'aurait pas été très considérable pour le trésor.

Mon opinion ne triompha point. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Je ne veux pas l'examiner, je prends les choses comme elles sont aujourd'hui.

Aujourd'hui l'industrie de la betterave produit à peu près autant de sucre qu'on importe de sucre de canne ; les deux industries sont devenues rivales, concurrentes au même degré et au même titre à peu près ; mais le commerce extérieur et la navigation nationale sont-ils, comme ils semblaient l'être en 1843, sont-ils bien sérieusement intéressés dans la question ? Voilà ce que nous avons à examiner. Eh bien, je dis que leur intérêt s'est considérablement amoindri, s'il n'a pas entièrement disparu.

En 1843 que disait-on ? On disait : Les matières d'exportation ne manquent pas en Belgique ; nous avons des fabriques qui produisent abondamment, et ce sont plutôt les moyens d'exporter qui manquent. Nous avons une marine nationale, nous avons des négociants, tout ce qu'il faut pour faire prospérer le commerce ; ce sont les retours qui manquent. Eh bien, l'on ne peut pas trouver de meilleure marchandise encombrante pour les retours que les sucres importés directement des lieux de productions sous pavillon national.

Tous ceux qui siégeaient dans cette Chambre à cette époque, comme j'y siégeais moi-même, peuvent se souvenir que nous avons été inondés de réclamations, de députations, de sollicitations de toute espèce de la part du commerce, qui nous suppliait de ne point apporter une entrave au développement qu'il commençait à prendre.

Aujourd'hui, messieurs, les choses sont bien changées. Je crois qu'il entre dans le pays 20 millions de kil. de sucre exotique. Mais d'où vient ce sucre exotique ? et comment vient-il ? D'où il vient ? Il vient, pour la plus grande partie, des marchés européens, des marchés de Londres, Rotterdam, etc. ; ou bien, il est acheté sous voiles à Cowes ou dans d'autres ports. Quel aliment ce sucre, ainsi importé et arrivant sous pavillon étranger, peut-il fournir au commerce national, à notre navigation ?

Vous voyez donc que la question se présente aujourd’hui dans des conditions tout autres que celles où elle se présentait en 1843. Aussi, je le demande à chacun d'entre vous : « Avez-vous, comme nous l'étions en 1843, été l'objet de beaucoup de sollicitations ? Avez-vous reçu beaucoup de députations de la part du commerce, de la part de ceux qui sont intéressés dans la navigation nationale ? » Pour ma part, je n'ai vu personne.

(page 1426) Je sais bien que la chambre de commerce d'Anvers a envoyé au gouvernement une adresse par laquelle elle demande l'égalité de droits sur les deux sucres ; la majorité de cette chambre de commerce s'est prononcée dans ce sens ; mais il y a eu une minorité dans un autre sens, et tout le monde sait que des membres très influents n'étaient pas présents.

Quoiqu'il en soit, c'est une simple adresse, et j'oserais demander aux députés d'Anvers si la loi actuelle produit le moindre émoi parmi le commerce. J'ai été moi-même à Auvers ces jours derniers, et j'y suis allé en grande partie pour m'assurer des dispositions du commerce.

Eh bien, sauf les raffineurs du sucre exotique que la chose concerne tout spécialement, j'ai vu que dans le commerce on s'inquiétait assez peu de savoir quel serait le sort des articles de la loi relatifs aux sucres.

Le trésor n'a pas d'intérêt dans la question, je l'ai démontré ; et je viens de prouver maintenant que ni le commerce intérieur, ni la navigation nationale n'y sont pas grandement intéressés.

Je vous ai dit, en outre, que les raffineries du sucre exotique n'avaient pas à se plaindre de la situation qu'elles avaient aujourd'hui.

On a parlé des petits fermiers, des petits locataires. Ils auraient à souffrir, prétend-on ; les terres se loueraient plus cher dans les contrées où l'on cultive la betterave.

Les terres se louent plus cher ! Est-ce là un mal ? Qui pourrait se plaindre de ce que les terres dans notre pays augmentent de valeur ? Si elles augmentent de valeur, les produits de ces terres augmentent de valeur dans la même proportion. Si un locataire, grand ou petit, paye ses terres plus cher, il en retire un profit plus considérable. Est-ce là un résultat fâcheux ?

D'où sont donc venues ces lamentations ? Je n'en ai guère vu, et s'il y en a eu, ce sont des lamentations isolées.

Ainsi, messieurs, aucun des intérêts engagés dans la question ne réclame d'une manière urgente la réforme de la loi des sucres. Qu'est-ce qui a pu déterminer M. le ministre des finances à présenter les quatre articles que j'ai indiqués ?

J'en suis convaincu : M. le ministre des finances considère la législation sur les sucres comme défectueuse. J'ai discuté cette question plus d'une fois avec lui, et je déclare que je regarde M. le ministre des finances comme tout aussi consciencieusement convaincu que son opinion est bonne que je suis convaincu, moi, que la mienne n'est pas mauvaise.

J'admets pour un moment ou, si vous le préférez, j'admets sérieusement que la législation sur les sucres appelle des réformes. Eh bien, faut-il que ces réformes nous soient présentées incidemment et à l'occasion d'un autre projet ? Je ne le crois pas ; je pense qu'il serait infiniment plus convenable que les sucres, matière très délicate, très ardue, pleine de difficultés, je l'ai déjà dit, fussent l'objet d'un projet de loi spécial ; ils valent cet honneur.

Si M. le ministre des finances présente un projet de loi spécial, ce projet de loi sera examiné dans les sections d'une manière spéciale ; il sera examiné dans la section centrale par des hommes spéciaux qui auront reçu une mission spéciale dans ce but.

Or, pensez-vous que les dispositions qui concernent la législation sur les sucres, aient été examinées dans les sections ? En aucune manière. Voici ce qui s'est passé dans la mienne ; j'appartiens à la cinquième section ; il y avait, si je ne me trompe, 15 membres présents, et j'espère ne blesser la modestie de personne en disant que parmi les 15 membres il y en avait de très capables d'examiner à fond la question des sucres ; eh bien, nous ne l'avons pas discutée, nous nous sommes bornés à causer pendant 5 ou 6 minutes.

Après quoi, on a pris, à l'unanimité des 15 membres présents, la décision suivante :

« La cinquième section, à l'unanimité, donne mandat à son rapporteur à faire tous ses efforts, soit auprès du gouvernement, soit dans le sein de la section centrale, pour que les 700,000 fr. dont on veut grever les sucres ne soient pas mis exclusivement à la charge d'un des deux sucres, mais soient répartis d'une manière équitable entre les deux sucres. »

Je suis porté à croire que les autres sections ne se sont pas occupées d'une manière plus particulière de la question des sucres.

La section centrale a été nommée par les sections, non en vue de la question des sucres, mais en vue de l'ensemble de la loi sur les octrois ; le sucre n'occupe dans cette loi qu'une place très secondaire et très accessoire. Je le demande encore une fois à la Chambre : est-ce que les sucres ne valent pas l'honneur d'une loi spéciale, quand il s'agit de bouleverser toute une législation ? Je crois très sincèrement et très consciencieusement qu'on eût mieux fait d'agir pour les sucres, comme on a agi pour les bières, et comme on a agi pour les eaux-de-vie.

Mais, si l'honorable ministre des finances voulait se rendre aux observations que je viens de lui présenter, nous obtiendrions bien d'autres avantages encore que celui d'un examen approfondi de la matière.

D'abord, messieurs, vous savez qu'une législation nouvelle vient d'être décrétée en France. Les sucres, tous les sucres ont été sensiblement dégrevés et l'on a fait, pour le sucre de betterave en particulier, le contraire de ce qu'il est question de faire dans le projet de loi dont nous nous occupons, c'est-à-dire que jusqu'aujourd'hui il y avait pour le sucre colonial français un avantage de 3 fr. sur le sucre de betterave et que, d'après la législation nouvelle, la betterave est assimilée au sucre colonial français.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur, la détaxe est maintenue jusqu'en 1864

M. H. de Brouckere. - C'est vrai, mais le principe, c'est l'égalité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y avait une surtaxe grevant le sucre de betteraves, ou en d'autres termes, une détaxe pour le sucre colonial français depuis l'abolition de l'esclavage dans les colonies.

M. H. de Brouckere. - J'admets volontiers que l'observation de M. le ministre des finances est fondée ; mais vous comprenez que je n'ai pas en ce moment le projet de discuter la législation française ni même d'examiner la nôtre à fond ; je constate seulement ceci, c'est qu'une législation nouvelle vient d'être décrétée en France qui dégrève considérablement les sucres. Cette législation est en vigueur depuis le 24 de ce mois. Exercera-t-elle sur notre industrie et notre commerce une influence quelconque ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Aucune.

M. H. de Brouckere. - Je l'ignore.

M. le ministre des finances peut croire qu'elle n'exercera aucune influence ; mais il ne peut le garantir. C'est là son opinion, qu'il me permette non de le contredire, mais de douter, et de lui demander un délai de quelques mois pour voir s'il aura eu raison en disant que cette législation n'exercera aucune influence sur notre industrie et notre commerce.

Je le répète, messieurs, cette législation est en vigueur depuis le 24 de ce mois. Voilà donc une raison d'ajourner.

En voici une seconde. Demain nous entrons dans le mois de juin. Notre session a déjà duré sept mois, elle se prolongera pendant tout le mois de juin, car après que nous aurons terminé le vote du projet de loi abolissant les octrois, nous aurons à examiner le projet de loi sur l'enseignement agricole. (Interruption.)

Je prie 1 honorable membre qui m'interrompt de me laisser lui expliquer mon opinion. Il pourra s'en aller, s'il le veut ; mais quant à moi, si le gouvernement le désire, je resterai à ma place et je discuterai avec les membres qui feront comme moi.

Cela peut déplaire ; cela ne me plaît pas non plus, mais je me soumets.

La Chambre aura donc à s'occuper du projet de loi sur l'enseignement agricole et du projet de loi relatif au grade d'élève universitaire.

Nous en aurons certainement jusqu'à la fin de juin.

Est-ce que, gouvernement et Chambre, nous ne devons pas être d'accord pour désirer de terminer cette session après qu'elle aura duré huit mois ? Nous n'avons plus alors devant nous que trois ou quatre mois pour nous livrer à nos occupations et soigner nos affaires particulières. Je crois qu'il est de l'intérêt de tout le monde, du pays tout entier, que les sessions ne se prolongent pas outre mesure.

Enfin, je vais vous donner un dernier motif d'ajournement.

C'est une chose incontestable et incontestée que les fabricants de sucre ne s'attendaient pas à voir surgir le projet de loi sur les octrois, projet qui, vous le savez, messieurs, avait été tenu dans le plus profond secret, je pourrais presque dire dans un admirable secret. Ne s'attendant pas au projet de loi, ils avaient commandé leurs approvisionnements, avaient loué des terres, avaient fait tous leurs préparatifs pour la campagne prochaine.

Vous les prenez au dépourvu et si vous admettez le projet de loi tel qu'il est présenté, vous leur causez réellement un préjudice considérable, et je ne sais pas même s'l's n'auraient pas quelque droit de se plaindre vis-à -vis de la Chambre.

En ajournant, vous prévenez toute difficulté à cet égard et remarquez-le bien, je vous en prie, vous n'entravez en rien le projet de loi présenté par l'honorable ministre des finances.

Les 700,000 fr. ne sont pas mis en question. Mon seul désir c'est qu'on ajourne la réforme de la législation à la session prochaine et je suis tout disposé à en faire une condition qui serait insérée dans la loi actuelle.

J'avais, messieurs, rédigé un amendement résumant l'opinion que je viens d'exprimer. Cet amendement a même été signé par plusieurs de mes honorables voisins sans que j'aie fait aucune démarche, je vous prie de le croire, pour obtenir leur adhésion, car si j'avais voulu recueillir des signatures, j'en aurais eu un plus grand nombre. Je n'ai reçu de signatures que de la part de membres qui m'ont témoigné le désir de les apposer.

Je comptais présenter cet amendement dans la séance actuelle, et, je dois le dire, c'était, pour moi, un devoir, car lorsqu'on demande la parole sur un projet, c'est annoncer la présentation d'un amendement.

Je demanderai à la Chambre de vouloir me dispenser de le déposer dès aujourd'hui, parce que je désire attendre les observations que M. le ministre des finances ne manquera pas de présenter dans une des (page 1427) prochaines séances contre les considérations que j'ai fait valoir. De mon côté je m'engage à méditer les explications que M. le ministre des finances pourra donner à la Chambre et je n'ai pas besoin de le dire, je ne demande pas mieux que d'arriver à un système de conciliation qui ne contrarie pas le gouvernement et qui satisfasse les légitimes intérêts dont je crois devoir me faire le défenseur.

Messieurs, j'aurais voulu pouvoir m'arrêter ici, mais une circonstance toute récente me force à vous dire encore deux mots.

On nous a distribué hier un écrit qui a produit sur nous tous, je le sais, la plus fâcheuse impression. Je vous déclare que je partage cette impression.

J'ignore par qui la pièce a été rédigée, mais je suis certain que beaucoup de ceux qui l'ont signée n'en ont pas connu ou pas compris la portée. Je suis convaincu que, s'ils l'avaient comprise, ils n'y auraient pas apposé leur signature.

Cet écrit, je n'hésite pas à le dire, est un écrit antipatriotique !

- Des membres. - Très bien ! très bien !

M. H. de Brouckere. - Les signataires ont posé un acte qui non seulement n'est pas convenable, mais qui est diamétralement contraire à leurs intérêts, car ce n'est pas par des moyens de cette nature-là qu'on réussit dans notre patriotique Belgique.

Je tiens à ce que la Chambre veuille bien accueillir mon opinion comme n'étant pas sans fondement ; c'est que la pièce a été écrite par un rédacteur dans un moment de mauvaise humeur et que la plupart de ceux qui l'ont signée, n'ont pas compris la portée.

M. Muller. - On n'a pas osé imprimer leurs signatures.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qu'ils les désavouent !

M. le président. - Avant de continuer, je dois demander à la Chambre si, par dérogation à son règlement, elle autorise M. de Brouckere à ajourner la présentation de l'amendement qu'il a annoncé.

- Plusieurs voix. - Oui, oui !

M. le président. - Cette autorisation est donc accordée. La discussion continue.

M. Snoy. - En analysant le projet de loi, et en le réduisant à sa plus simple expression, on arrive à ce résultat ;

Le gouvernement prélève, sur les 4,625,000 habitants de la Belgique, un impôt de 14 millions.

De ces 14 millions, il en rend 11,500,000 francs (en chiffres ronds) aux communes à octroi, comprenant 1,200,000 habitants.et 2,500,000 aux communes sans octroi, lesquelles représentent une population de 3,500,000 habitants.

Cette proportion est bien faite pour choquer les esprits naïfs, étroits si l'on veut, et mal initiés à l'art précieux de grouper des chiffres. Car enfin, si l'on admettait, pour un instant, que chaque Belge contribue pour une part égale dans le payement des impôts, il en résulterait, qu'après avoir payé chacun 5 francs, ils recevraient en retour, les uns 9 fr. 58 c. et les autres 72 centimes seulement.

Mais on se récrie... Cette supposition est inadmissible ! dit-on. Soit ! je n'insiste pas. Mais il me sera, du moins, permis de me demander, pourquoi M. le ministre, au lieu d'asseoir ses calculs sur la contribution personnelle, les propriétés bâties et les patentes, n'a pas basé la répartition du fonds commun de 14 millions, sur une approximation de ce que les villes ont payé, d'une part, et de ce que les campagnes ont payé, de l'autre.

Posé dans ces termes, le problème ne me semble pas difficile à résoudre. Les impôts nouveaux, - (écartons pour le moment les fr. 4,200,000 d'impôts anciens, postes, café et sucre) - les impôts nouveaux, dis-je, frappent le vin, les boissons distillées, la bière, etc. Or, il est aisé de connaître la consommation, en ces trois articles, des communes à octroi ; d'autre part, au moyen des documents que le gouvernement possède, on pourrait évaluer assez exactement la consommation des communes sans octroi. Et, de la connaissance de ces consommations, on eût déduit, tout naturellement, la participation respective des villes et des campagnes dans le produit des impôts nouveaux.

J'en conclus, avec toute raison, que si l'on eût voulu se donner la peine de la chercher, une base sûre n'eût pas fait défaut pour la répartition des 9,800,000 fr. qui nous occupent.

Quant aux 4,200,000 fr., produit des impôts anciens, postes, café et sucre, l'exposé des motifs les considère comme acquis de droit aux villes.

Il affirme que ce produit doit rester en dehors de toute discussion, tant il est clair, évident, que ces 4,200,000 fr. appartiennent aux villes, exclusivement aux villes, sans que les campagnes aient rien à y voir. Et cela, parce que ces 4,200,000 fr. sont payés par les villes seules !...

L'exposé des motifs l'affirme, le prouve-t-il ? Cherche-t-il à le démontrer ? Contient-il du moins l'expression d'un regret de ne pouvoir arriver à établir exactement et par des chiffres, ce droit absolu des communes à octroi ? Non ; les 4,200,000 francs sont hors du débat. D'un seul trait de plume on décide qu'ils appartiennent aux villes, et qu'on n'en parle plus.

Que répondre à cela ? Les faits répondent pour moi ; tous les chiffres possibles, tous les raisonnements économiques, n'empêcheront pas les communes sans octroi de boire du café, et beaucoup de café, de se servir de sucre, et d'entrer, pour une bonne part, dans le produit de la poste, car il est évident que, sans la correspondance des villes avec les campagnes, le produit net des postes ne serait pas, à beaucoup près, ce qu'il est aujourd'hui.

On donne donc 4,200,000 francs aux villes. Est-ce à dire cependant que M. le ministre des finances les ait là, dans sa caisse ? Le trésor public est-il assez riche pour se permettre de pareilles largesses ?

A la manière dont les choses sont présentées, on serait tenté de le croire ; mais quand on y regarde de près, on s'aperçoit que M. le ministre, dont les ressources ne répondent malheureusement pas à ses bonnes intentions à l'égard des villes, ne donne à celles-ci le produit des impôts anciens, qu'à la condition d'en reprendre immédiatement, au pays, l'équivalent (ou à peu près) sous forme d'impôts nouveaux.

C'est ce qui résulte du décompte suivant que j'ai établi, des recettes que l'on absorbe, sous prétexte de former le fonds communal.

Postes. : 1,500,000

75 p. c. sur le café : 2,000,000

Vin : 810,000

Eaux-de-vie indigènes : 4,620,000

Eaux-de-vie étrangères, 50,000

Bières et vinaigres, 7,257,644

Sucre, 700,000

Ensemble : 16,917,644 fr.

La suppression des octrois charge donc le pays de 13,417,000 fr. d'impôts nouveaux et aliène 3,500,000 fr. d'impôts anciens.

Pourquoi nous demander 3 millions de plus qu'il n'est nécessaire pour supprimer les octrois, si ce n'est afin de combler immédiatement le déficit que cause au trésor public l'abandon du produit de la poste, du sucre et du café ? N'est-il pas évident que, dans ces conditions, cet abandon n'est que simulé ? pourquoi donner d'une main ce qu'on reprend de l'autre ?

Est-ce pour faire miroiter aux yeux du public une situation financière tellement prospère, que l'on puisse vider généreusement sa bourse, comme celle de Fortunatus, sans qu'il en coûte rien ?

Chacun, en vérifiant les chiffres, se dira que, puisque, en résumé, l’on demande près de 14 millions d'impôts nouveaux, mieux valait le dire franchement, dès l'abord, que de feindre l'abandon de 3,500,000 francs pour parfaire les 14 millions demandés.

En réalité, cet abandon n'en est pas un. Ce sont 3,500,000 fr. mis dans le fonds communal sous le nom de : produit des postes, sucres et cafés, et repris immédiatement sous le nom de : produit des bières, vins, eaux-de-vie, etc. ; le nom change, mais les écus restent.

On nous dit ensuite que la suppression des octrois est un bienfait pour les campagnes ; je n'en disconviens pas, mais il y a bienfaits et bienfaits, et celui-ci me semble ... mince.

Les obstacles que rencontre, à l'entrée des villes, le producteur agricole, l'avance qu'il doit faire d'un droit (que lui rembourse bientôt le consommateur), les visites, les formalités à remplir, tout cela constitue incontestablement des gênes, des ennuis, des pertes de temps ; je suis, je l'avoue, moins sensible au surcroît de dépenses que l'octroi impose au campagnard, lorsqu'il boit un verre de bière ou de genièvre, et qu'il assiste aux foires, aux marchés ou aux fêtes.

En admettant que cette consommation soit plus chère, et leur fasse, par conséquent, payer l'octroi, les producteurs ont, par contre, l'avantage de trouver des acheteurs ou de jouir de ces fêtes, qui, en définitive, sont payées par le produit de l'octroi.

Mais il ne faut pas perdre de vue que, si les habitants des campagnes voient aujourd'hui certains de leurs produits frappés par l'octroi, il est bien d'autres produits qui payent aux portes des villes, et dont le dégrèvement n'est d'aucun intérêt pour ces cultivateurs, que l'on veut condamner à payer les dépenses des communes à octroi.

C'est ainsi que, dans le tarif des droits d'octroi qui nous a été distribué, je trouve une somme de 2,700,000 à 2,800,000 francs produite par les ardoises, bois de construction et d'ébénisterie, cannelle, nouille, chocolat, ciment, eaux minérales, oranges, gibier, glace, macaroni, huile d'olive, matériaux de construction, meubles, parfumeries, pâtés, poissons, riz, cigares, thé, truffes, etc., etc. Je ne vois pas trop en quoi les campagnards sont intéressés à la suppression de ces droits ? Mais tout, dans ce projet, n'est que contradictions !

Vous dites que vous voulez la vie à bon marché pour l'ouvrier, et vous frappez la bière ! La bière ! Savez-vous ce qu'elle est pour le cultivateur ? Savez-vous à quel point elle lui est nécessaire ? Adam Smith dit, quelque part, qu'il regarde la bière comme un objet de luxe « parce qu'un homme, de quelque rang qu'il soit, peut, sans honte, s'abstenir entièrement de cette boisson. » Y aurait-il, dans cette enceinte, de mes honorables collègues disposés à adopter cette bizarre manière de voir de l'économiste anglais ?

Pour ma part, je ne sais pas si un homme peut, « sans honte !! », s'abstenir de bière, mais ce que je sais, c'est que nos ouvriers, nos cultivateurs surtout, ne pourraient s'en abstenir sans souffrance. La bière joue un rôle important, essentiel, dans l'alimentation de nos classes laborieuses, et, dès lors, je ne puis admettre que celui qui la frappe de droits nouveaux ait la prétention de « dégrever l'alimentation de l'ouvrier. »

Ce n'est pas tout ! vous frappez encore la viande ; vous la frappez par l'impôt sur les distilleries et les sucreries, car, de deux choses l’une :

(page 1428) On bien l'on distillera moins, et par conséquent on élèvera moins de bétail.

On bien les résidus des distilleries, et des sucreries, la dréche, la pulpe renchérissant, le bétail renchérira en proportion.

Vous faites plus encore ! vous frappez le pain, oui, le pain ! car s'il y a moins de bétail, il y aura moins de fumier, et partant moins de grain.

En résumé, que dites-vous ? que faites-vous ?

Vous dites : L'octroi est vicieux, dangereux, inique ; soit, on l'avait dit avant vous, et quand vous cherchez à nous prouver qu'il est désirable d'arriver à la suppression de l'octroi, vous n'enfoncez qu'une porte ouverte depuis longtemps.

Après avoir dit cela que faites-vous ?

Vous substituez la douane à l'octroi, vous faites peser une lourde iniquité sur le pays tout entier, vous déplacez le mal au lieu d'y porter remède, et en le déplaçant, vous trouvez moyen de l'aggraver encore.

Puis, vous dites ; L'octroi grève l'alimentation des classes laborieuses.

Autre vérité que nous n'avions pas besoin de trouver dans l'exposé des motifs, pour la regarder comme démontrée.

Et que faites-vous comme conclusion ?

Vite, vous frappez, par surcroît, l'alimentation de l'ouvrier ; non plus, cette fois, celle de l'ouvrier des villes, qui trouve du moins quelque compensation à ce renchérissement artificiel, mais celle de l'ouvrier des champs, que vous condamnez, à jamais, à payer un luxe dont il ne jouit pas.

Votre réforme, je vous le dis, n'est pas une réforme. Supprimer les octrois n'est rien ; trouver à les remplacer, voilà le problème !

Supprimez les octrois, et laissez à ceux qui les ont payés jusqu'ici, le soin d'en payer l'équivalent, par un système équitable ; là est la vérité, là est la justice.

Le jour où vous nous proposerez cela, je vous remercierai, je voterai avec vous !

M. Vermeire (inscrit surµ. - J'ai demandé la parole lorsque l'honorable M. de Brouckere, en commençant son discours, disait que nous pouvions bien critiquer ce projet de loi, mais que nous n'apportions rien pour remplacer les propositions du gouvernement.

Je ne puis, quant à moi, messieurs, accepter ce reproche : dans mon discours d'hier j'ai indiqué quelques moyens qui pouvaient plus équitablement remplacer les nouveaux impôts proposés. J'ai dit que pour être juste et équitable, on aurait dû avoir recours à l'impôt direct plutôt qu'à l'impôt indirect, parce que, de cette manière, on n'aurait point aggravé la situation des classes ouvrières auxquelles on va étendre l'impôt de l'octroi.

En effet, messieurs, on ne supprime pas les octrois ; au contraire on les généralise et j'ai le droit de dire que le projet de loi a usurpé un nom qui ne lui appartient point. Encore une fois aussi longtemps qu'on n'aura pas remplacé les impôts indirects par des impôts directs, on n'aura pas supprimé les octrois.

M. le président. - La parole est à M. Thibaut, inscrit contre.

M. Thibaut. - Ne conviendrait-il pas, M. le président, d'accorder maintenant la parole à un orateur inscrit en faveur du projet de loi ?

M. le président. - Il n'y en a pas.

M. Thibaut. - Dans ce cas, j'exprimerai mon étonnement de ce qu'un projet de loi qui semblait si bien accueilli trouve si peu de défenseurs dans cette enceinte, car, vous l'avez remarqué, ceux mêmes des orateurs qui étaient inscrits en faveur du projet l'ont plus ou moins critiqué.

Messieurs, la section centrale a émis, en terminant son travail, un vœu assez ambitieux ; c'est que la réforme dont nous nous occupons, par les moyens que le gouvernement a choisis, devienne la loi-monument de la présente session.

La suppression des octrois est désirable sans doute. Je ne crois pas qu'une seule voix s'élève pour soutenir que ce système de taxes communales, tel qu'il fonctionne, est bon, juste et équitable.

Mais la section centrale ne se borne pas à nous proposer de condamner avec elle ce système, ce que pour ma part, je lui accorderais sans peine ; elle nous engage en outre à en approuver un autre qui, à mon sens, est encore plus mauvais sous plus d'un rapport. Elle nous invite à approuver un système qui a la plus grande analogie avec celui qui fut, dans cette enceinte, qualifié de détestable par un homme éminent, justement estimé de tous les partis et qui par ses talents, la haute position qu'il a occupée et les fonctions qu'il remplit, fait autorité dans une semblable question.

Je ne me propose pas, messieurs, de rechercher et d'indiquer tous les vices du projet de loi. Les orateurs de l'opposition qui ont parlé avant moi, en ont déjà signalé un grand nombre, avec une force et une clarté qui feront impression dans le pays. Je me bornerai à examiner le projet de loi, au point de vue constitutionnel de la distinction des impôts, de la division et de l’indépendance des pouvoirs.

L'honorable rapporteur de la section centrale veut bien qu'on déclare le projet de loi mauvais, mais il ne permet pas qu'on lui adresse le reproche d'inconstitutionnalité.

Je ne puis, à mon grand regret, donner cette satisfaction à l'honorable rapporteur.

La section centrale était composée, vous le savez, messieurs, de sept membres favorables au projet ministériel. La minorité n'avait pas réussi à obtenir un seul rapporteur. On a même invoqué contre elle le bénéfice de l'âge dans une section, où les voix étaient également partagées.

M. Allard. - C'est une question de règlement.

M. B. Dumortier. - C'est la première fois que cela se passe depuis 1830.

M. Thibaut. - Je me borne à constater le fait.

Qu'en est-il résulté ? C'est que dans la section centrale, à en juger par le rapport, les objections ont été affaiblies ou présentées d'une manière inexacte.

C'est ainsi que l'honorable rapporteur a supposé qul nous regardions la suppression des octrois comme excédant les limites constitutionnelles imposées au pouvoir des Chambres. II a combattu cette idée et il l'a réfutée victorieusement.

Mais qu'il me permette de le lui dire, il n'a pas, que je sache, d'adversaire sur ce terrain. Il a ainsi remporté un triomphe excessivement facile.

L'honorable rapporteur a donc prouvé, sans nécessité aucune, que l'article premier du projet de loi est constitutionnel, tandis qu'il fallait établir que les articles 2 et 14 du projet de loi sont conformes aux principes de la Constitution.

Cette question, il ne l'a pas abordée.

Voici, messieurs, en quels termes je pense qu'elle doit être posée : « Le pouvoir législatif peut-il établir des impôts généraux, pour en attribuer le produit d'une manière permanente et arbitraire aux communes ? peut-il surtout le répartir entre elles, fût-ce temporairement, d'après des bases différentes, selon qu'il s'agit de communes à octroi ou de communes sans octroi ? »

Cette question est très grave, messieurs, et mérite de fixer votre attention.

Les principes constitutionnels en matière d'impôts, sont fixés aux articles 110, 111 et 112 de la Constitution. Il y a trois sortes d'impôts :

Les impôts généraux qui s'étendent à tout le pays, qui frappent la généralité des citoyens ;

Les impôts provinciaux qui s'arrêtent aux limites de la province ;

Les impôts communaux circonscrits dans les limites de la commune.

L'Etat, les provinces, les communes ont des obligations spéciales à remplir à l'égard des citoyens, et c'est le fondement de leur droit respectif à établir des impôts.

« Le but du législateur, dit M. Charles de Brouckere dans un mémoire sur les impôts communaux qui nous a été distribué, le but du législateur en divisant les obligations entre les communes, a été de fortifier l'intervention des citoyens dans le règlement des charges qu'ils supportent (c'est-à-dire des impôts) et d'alléger, par un concours et un intérêt direct, le fardeau général. »

Cette division des obligations et des charges est vieille dans notre Belgique. La Constitution ne l'a pas inventée ; elle l'a maintenue et réglée en ces termes :

« Art. 108. Les institutions provinciales et communales sont réglées par des lois.

« Ces lois consacrent l'application des principes suivants :

« 2° L'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal.

« Art. 110. Aucun impôt au profit de l'Etat ne peut être établi que par une loi.

« Aucune charge, aucune imposition provinciale ne peut être établie que du consentement du conseil provincial.

« Aucune charge, aucune imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil communal. »

De ces trois premiers paragraphes de l'article 110 il résulte que les impôts généraux ne peuvent être établis qu'au profit de l'Etat.

Au profit des provinces il ne peut y avoir que des charges ou des impositions provinciales et au profit des communes, des charges ou impositions communales.

« Les obligations communales, écrivait encore l'honorable M. Ch. de Brouckere dans le mémoire que j'ai cité, doivent se résoudre en recettes ou en impôts également communaux. »

Ainsi à l'Etat les impôts généraux votés par les Chambres ;

Aux provinces les impôts provinciaux votés par les conseils provinciaux ;

Aux communes les impôts communaux votés par les conseils communaux.

C'est une division bien nette, bien claire, qui s'accorde avec la division du territoire, avec laquelle est en harmonie la loi électorale, qui est fondée sur nos traditions historiques, qui satisfait la raison et qui sauvegarde la liberté communale.

(page 1429) Elle est tellement absolue, qu'il ne serait pas permis aux trois branches du pouvoir législatif réunies, d'imposer une commune, fût-elle riche, au profit d'une autre commune, fût-elle pauvre.

Loin que le pouvoir législatif puisse établir un impôt général au profit de quelques communes, il ne peut même établir une imposition communale dans une commune et à son profit exclusif, si ce n'est du consentement du conseil communal.

La liberté provinciale ou communale en cette matière est posée par la Constitution comme une limite aux empiétements du pouvoir central.

Le quatrième paragraphe de l’article 110 n'accorde au pouvoir législatif d'autre droit que celui de déterminer les exceptions dont l'expérience aura démontré la nécessité, relativement aux impositions provinciales et communales.

Ainsi, la loi peut interdire, dans un intérêt public, aux communes, de puiser à certaines sources de revenus, et je conviens, avec l'auteur du projet et la section centrale, qu'en vertu de ce paragraphe, le pouvoir législatif peut supprimer les octrois. Ainsi encore le pouvoir législatif a pu imposer aux communes des centimes additionnels pour pourvoir à l'entretien et à l'amélioration de la voirie vicinale.

Mais évidemment, on ne peut conclure de là que le législateur a aussi le droit d'établir des impôts généraux au profit de quelques communes. Car ce ne serait plus une exception relativement aux impositions communales ; ce serait une exception au principe que les impôts généraux ne peuvent être établis qu'au profit de l'Etat. Ce serait confondre des choses que la Constitution a voulu séparer et distinguer soigneusement.

On ne peut établir des impôts généraux au profit des communes comme telles, pour une seconde raison que je tire de l'article 111 de la Constitution.

Les impôts de cette espèce, qui ne rentreraient, je viens de le démontrer, dans aucune des trois catégories d'impôts prévues et réglées par l'article 110, devraient-ils être votés annuellement ?

Si vous dites oui, je demande quel est l'article de la Constitution qui l'exige ?... Il n'y en a pas.

Si vous dites non, je demande où se trouve cette exception au droit de la Chambre de voter annuellement les impôts qui pèsent sur la généralité des citoyens.

Et si vous ne pouvez répondre ni oui ni non, je conclus que les impôts de cette espèce sont inconstitutionnels.

Votre combinaison est telle, au surplus, que les impôts destinés à former le fonds communal seront nécessairement soumis à un vote annuel, car ils se confondent avec les impôts établis au profit de l'Etat qui eux, doivent être votés annuellement.

Voilà donc, dans la même loi, des dispositions en corrélation intime, qui ne peuvent se disjoindre et dont les unes n'ont de force que pour un an tandis que d'autres sont permanentes.

Voilà une série d'impôts consolidés, quoique soumis à un vote annuel.

Ne voyez-vous pas qu'il y a là une contradiction ? Vous disposez de certains impôts spécialement désignés pour un temps indéfini, car votre combinaison deviendrait non plus seulement une injustice, mais une véritable fourberie si sa durée pendant un temps très long, que j'ai entendu évaluer en section, par un partisan du projet, à 50 années, n'y entrait pas comme élément essentiel.

Vous changez ainsi le caractère constitutionnel de ces impôts ; vous les consolidez comme je l'ai déjà dit, d'annuels qu'ils doivent être, vous les rendez perpétuels comme le fonds communal.

Ainsi, ou ces impôts seront soustraits au vote annuel des Chambres, ce qui serait contraire à l'essence du gouvernement représentatif ; ou, s'ils lui sont soumis, les Chambres n'auront pas une liberté complète pour les rejeter ou les renouveler, on enfin, si cette liberté reste entière, votre loi est un leurre, quand, après une inégale répartition entre les communes, elle promet à celles qui n'ont pas d'octroi, le profil exclusif de l'augmentation des impôts, jusqu'à ce qu'elles se trouvent sur un pied d'égalité avec les communes à octroi. Enfin, messieurs, le projet de loi viole l'article 112 de la Constitution. « Il ne peut être établi de privilège en matière d'impôts. » Tel est le texte de cet article.

Cela ne veut pas dire seulement que d'anciens privilèges ne peuvent être rétablis. Mais par ce texte constitutionnel, je comprends qu'il est interdit à la législature, de frapper d'un impôt tout le pays au profit d'une partie seulement. Je comprends qu'il est interdit de prendre à tous pour donner à quelques-uns ; en un mot je comprends que la loi ne peut diviser les Belges en spoliateurs d'un côté en spoliés de l'autre, en vainqueurs qui rançonnent et en vaincus qui payent leur défaite, ou plutôt qui expient le vice de nos lois électorales. Voilà, messieurs, les raisons pour lesquelles je trouve le projet de loi inconstitutionnel.

On objecte les subsides que l'Etat distribue si largement soit à des communes soit à des établissements publics, et qui sont puisés dans le trésor, lequel est alimenté par des impôts généraux.

Mais où sont les points de similitude ?

Je défie qu'on en indique un seul, si ce n'est que l'emploi en subsides des fonds votés par la législature peut être mauvais, comme est mauvaise la répartition, proposée du fonds communal. Et à ce point de vue, il y a encore une grande différence. La distribution des subsides est annuelle, et si des erreurs sont commises, elles n'ont pas de conséquences formidables.

Aussi, je consentirai peut-être à donner aux villes à octroi, des subsides momentanés pour les aider à supprimer ces taxes communales.

Je reconnais tout au moins que l'intervention du trésor public par des subsides ne blesserait pas la Constitution. La liberté communale serait en même temps respectée, tandis que par le projet de loi elle est gravement atteinte ; second grief que je me suis proposé d'examiner.

L'auteur du projet de loi cite, à la page 2 de l'exposé des motifs, un passage du rapport déposé dans la séance de la Chambre du 22 janvier 1856, par l'honorable M. Vandenpeereboom, et il l'invoque à l'appui du projet de loi.

J'ignore pourquoi l'honorable ministre n'a pas reproduit en même temps le paragraphe qui, dans ce rapport, suit immédiatement l'extrait qu'il en a donné ; le voici :

« La réforme des impôts communaux ne peut se réaliser que par les communes, ou du moins avec leur concours. Leur imposer par la loi tout un système nouveau d'imposition, serait attenter à leur liberté la plus précieuse et la plus vitale, et leur enlever un droit qu'elles possèdent depuis des siècles. »

A coup sûr., la section centrale de 1856 condamnait d'avance, dans ces quelques lignes, le système de M. le ministre des finances. Mais puisqu'on invoquait l'autorité de cette section centrale, il eût été convenable d'en faire connaître toute la pensée.

La section centrale de 1856 et l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom qui en était le rapporteur déclaraient donc, qu'imposer par la loi aux communes tout un système nouveau d'imposition, c'est attenter à leur liberté.

Je crois que la section centrale et l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom entendaient parler d'un nouveau système d'imposition communale, remplaçant les octrois et établie au profit des communes qui y auraient été assujetties.

Le projet de loi fait pis que cela. Il crée un nouveau système de contribution pour remplacer les octrois et au profit des communes où ils sont établis, mais qui pèseront sur toutes les communes du pays sans intervention des conseils communaux.

Supposez la loi votée et exécutée : Le budget des villes à octroi sera formé pour la plus forte part 1° de sommes payées à titre d'impôt par elles quoique leurs conseils ne les aient pas votées et 2° de sommes payées à titre d'impôt par d’autres communes, sans l'assentiment de leurs conseils.

Non seulement les communes en général, auxquelles d'après le projet on restitue une partie de ce que leurs habitants auront payé, n'auront plus la liberté de s'imposer elles-mêmes, à leur profit, comme elles l'entendront, mais les communes rurales n'auront pas même la liberté de ne pas s'imposer au profit des villes.

L'honorable ministre des finances a dit quelques mots d'un ton très léger, sur ce point, dans la séance de mardi.

L'honorable ministre ne comprend pas l'objection, et il en parle, en effet, comme s'il ne la comprenait pas.

Il nous a raconté une petite anecdote. L'un de ses amis qui habite la campagne a conçu l'idée de donner à sa commune une somme suffisante pour que, placée en fonds publics, elle représentât les dépenses auxquelles elle est tenue, pour l'école, pour le presbytère, pour l'église. Consulté sur ce projet, M. Frère-Orban le trouva bon, tandis qu'un membre de la droite, consulté à son tour, se récria incontinent et lui dit : Malheureux ! vous allez confisquer la liberté communale.

L'honorable M. Frère-Orban n'a pas, si je suis bien informé, raconté exactement les faits.

Cet ami avait avoué au membre de la droite, qu'il était sur le point d'obtenir la concession, à vil prix, des biens considérables de sa commune et qui constituent sa principale ressource ; que c'était pour prévenir les murmures que cette usurpation ne manquerait pas de soulever, qu'il se proposait de poser un acte qui aurait les apparences d'une grande générosité. Quant au membre de la droite, messieurs, il n'a pas seulement dit à l'ami de M. le ministre des finances : Malheureux ! vous allez confisquer la liberté communale ! il a ajouté : Et vous seriez un malhonnête homme.

Dans ces termes, messieurs, j'accepte l'analogie entre l'anecdote et le projet de loi.

Mais laissons l'anecdote et revenons au projet de loi.

Les questions d'impôts communaux, celles dont les communes belges se sont toujours montrées les plus jalouses, seront presque totalement enlevées aux conseils communaux, et en même temps soustraites au contrôle des électeurs communaux.

M. le ministre des finances disait dans la séance de mardi que l'obligation de voter l'impôt est une des charges de la liberté communale. Il aurait dû ajouter que c'est aussi le signe de la liberté ; comme le signe de la servitude, c'est l'impôt établi sans la participation de ceux qui le payent et pour d'autres. Et c'est de ce signe que le projet de loi marquera le plus grand nombre des communes belges.

(page 1430) Mais, dira-t-on, les communes se sont empressées de faire parvenir à M. le ministre des finances des adresses de félicitations.

Cela est vrai d'un certain nombre de villes.et en général les campagnes ont protesté.

Mais que prouvent les adresses des villes, sinon que les questions d'honneur et de dignité n'ont plus aujourd'hui la même importance que les questions d'argent ? (Interruption.)

Entre l’honneur et l'argent personne ne doit hésiter, et je remarque avec douleur que beaucoup de villes ont donné la préférence à l'argent.

- Plusieurs membres. - Lesquelles ?

M. de Moor. - Dinant a aussi envoyé une adresse de félicitations.

M. Thibaut. - Oui, Dînant aussi, mais je ne l'en félicite pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas une raison pour l'outrager.

M. Thibaut. - La vérité n'est pas un outrage. Le secret de toutes ce -félicitations, de ces éloges, de ces flatteries que l'on invoque, il est dans l'article 14 de la loi.

Croyez-moi, messieurs, ce spectacle de communes qui se réjouissent d'être mises à la pension, de conseils communaux qui se félicitent d'être mis en tutelle, d'habitants de villes qui applaudissent à un projet de loi parce qu'il crée en leur faveur une nouvelle dîme sur les campagnes, ce spectacle n'est pas de nature à nous rendre fiers de notre civilisation et de nos progrès.

Il nous prévient, d'ailleurs, de ce qui arrivera inévitablement quand l'appétit des villes se fera sentir.

Habituées à faire payer en partie leurs dépenses de luxe par les communes rurales, au moyen des octrois, fortifiées dans ces errements par le projet de loi, elles ne consentiront ni à cesser leurs prodigalités, ni à s'imposer elles-mêmes. Maîtresses des élections dans les principaux districts, elles pèseront par leurs députés sur le gouvernement afin de faire augmenter leur dotation, au fur et à mesure de leurs besoins. Si le gouvernement cède, s'il propose quelque nouvel article 14 approprié aux circonstances, les campagnes seront pressurées de plus en plus et le trésor public livré au pillage. Si le gouvernement résiste, peut-on prévoir les suites d'une lutte de cette nature ? J'ai dit.

M. le président. - La parole est à M. Henri Dumortier, inscrit sur.

- Plusieurs membres. - A demain.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.