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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 21 février 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 604) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« La chambre de commerce des arrondissements d'Ypres et de Dixmude demande qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative à la monnaie d'or.


« Les membres de l'administration communale d'Avennes demandent la construction du chemin de fer grand central franco-belge, partant d'Amiens et aboutissant à Maestricht, qui est projeté par le sieur Delstanche. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Proposition de loi relative à la monnaie d’or

Discussion générale

M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai écouté avec le plus vif intérêt les discours prononcés dans la séance d'hier par deux de nos honorables collègues, députés de Bruxelles et d'Anvers.

Ces messieurs ont déployé infiniment de talent et leurs discours ont été on ne peut plus remarquables.

Ces discours étaient dignes d'éminents professeurs d'économie politique, et certes, s'ils avaient été prononcés dans une chaire d'économie politique, on eût été unanime pour en constater le mérite supérieur. Mais, messieurs, cela ne suffit pas pour le pays.

Je comprends que l'on soutienne théoriquement la thèse défendue par nos deux honorables collègues, mais il ne suffit pas qu'une thèse soit vraie en principe pour qu'il faille la transformer en actes, lorsque le pays réclame une mesure contraire à cette thèse. (Interruption.) Eh, messieurs, n'avons-nous pas, dans cette enceinte même, un très grand nombre de partisans de la liberté commerciale ?

Eh bien, si cette opinion, que la théorie peut parfaitement justifier, pouvait prévaloir, vous auriez à renvoyer immédiatement vos six à sept mille douaniers.

Ce principe de la liberté commerciale est admis en Angleterre, le free-trade y rencontre de nombreux partisans et, cependant, l'Angleterre n'a pas encore renoncé aux revenus considérables que lui rapportent ses douanes.

Il en est de même en France et en Belgique. J'ai donc raison de dire qu'il ne suffit pas qu'une thèse soit théoriquement fondée, pour qu'il faille la traduire en fait.

L'honorable député de Bruxelles a dit hier qu'il comprend la nécessité de la monnaie d'or pour les transactions auxquelles donne lieu notre commerce des charbons et des toiles avec la France. Mais, messieurs, cela ne suffirait-il pas pour justifier la mesure que nous réclamons ?

Nous faisons avec les cinq parties du monde un commerce d'environ 1,700 millions et nos relations avec la France entrent dans ce chiffre pour 250 millions, c'est-à-dire pour la sixième partie environ de tout notre commerce avec le monde entier.

Ce fait ne suffit-il pas pour démontrer la nécessité qu'il y a pour nous de supprimer les entraves qui existent actuellement entre notre pays et la f rance à cause de la question de l'or ?

Depuis dix ans, messieurs, on répète constamment que l'or baisse ; tous les grands économistes, M. Michel Chevalier en tête, ne cessent de le proclamer. Et cependant jusqu'à ce jour la France n'a point cessé de battre de l'or ; sous le règne seul de Napoléon III, on a déjà battu pour quatre milliards de monnaie d'or.

Au surplus, s'il était vrai que la Californie et l'Australie dussent nous envoyer de l'or en quantité telle, que la valeur de ce métal diminuât, si, par conséquent, la France était obligée de changer son système monétaire, croyez-vous donc qu'elle n'accorderait pas aux détenteurs des pièces d'or un délai moral nécessaire pour s'en débarrasser ?

Le gouvernement français n'oserait pas faire perdre aux particuliers ; quand il s'agit de l'intérêt de 36 millions d'habitants porteurs d'or, le gouvernement n'oserait pas leur faire subir la perte ; il ferait plutôt un sacrifice ; et si nous avions quelques millions d'or en circulation, nous aurions toujours le temps de les envoyer en France, nous pourrions faire l'échange aux mêmes conditions que les Français eux-mêmes. Avec la voie ferrée il ne faudrait que quelques heures pour transporter notre or chez nos voisins.

Je n'hésite pas à produire cette assertion. L'honorable député d'Anvers a dit aussi que le pays ne comprend pas la question monétaire : vous croyez donc que ces nombreux pétitionnaires sont bien rétrogrades ? Et vous autres théoriciens, vous croyez avoir la science infuse ?

Toutes les chambres de commerce et autres corps constitués, à l'exception de deux ou trois, ont exprimé la même opinion que nous.

Nos chambres de commerce sont composées d'hommes compétents qui font annuellement pour des millions d'affaires, d'hommes pratiques, en un mot : je ne pense pas que les théoriciens connaissent aussi bien la pratique des affaires que ces milliers de pétitionnaires qui nous ont envoyé des requêtes par milliers, car jamais pétitionnement n'a été plus unanime, et pas une seule pétition n'est arrivée dans le sens du ministre et des théoriciens.

Vous avez un hôtel des monnaies, qu'y faites-vous ?

Si vous battiez de l'argent, sur un million vous perdriez 25 mille francs ; vous ne battez rien du tout, je me trompe, vous battez du nickel, monnaie bâtarde qu'il suffit de nommer pour en faire l'oraison funèbre.

Je n'ignore pas que si vous battiez des pièces de 5 francs, la perte serait considérable. Mais quelle est la monnaie qui est en circulation ?

Ce sont des pièces de cinq francs de France ; le grand nombre n'a pas le poids légal ; sur 100 pièces 88 sont de monnaie française. Vous admettez ces pièces qui n'ont pas leur valeur nominale, pourquoi n'admettez-vous pas l’or ? Il y aurait moins de perte que sur les mauvaises pièces de cinq francs qu'on reçoit à la Banque Nationale aussi bien qu'ailleurs.

Je suis sûr que s'il y avait une crise politique en Europe, la Banque Nationale, qui a émis pour 125 millions de billets de banque, ne pourrait pas en faire l'échange contre de l'argent, tandis qu'elle pourrait le faire contre de l'or, si l'or avait cours légal. On devrait alors donner le cours forcé aux billets, j'en ai la conviction intime. Quand 70 millions d'habitants reçoivent l'or, pourquoi vouloir être seul à le proscrire ?

Pourquoi tolérer des abus comme les spéculations de ceux qui achètent l'or au cours de la cote et l'emploient pour payer les détaillants et môme les ouvriers ?

Je crains que nous ne réussirons peut-être pas, en ce moment, que M. le ministre des finances va soutenir la même opinion qu'il soutient depuis 4 ou 5 ans.

II prouvera encore une fois qu'il est un orateur brillant, d'un mérite éminent. Mais le pays ne se paye pas seulement d'éloquence. Le pays veut des faits ; il veut des actes. Il ne s'agit pas, comme on a voulu le dire, d'une question cléricale ou d'une question libérale ; il s'agit d'une question d'intérêt matériel ; il s'agit de la volonté du pays lésé dans ses droits, et vous serez forcés de vous y soumettre. Vous devrez en venir à l'acceptation de la proposition que j'ai signée avec mon honorable collègue et ami B. Dumortier ; votre section centrale est d'accord pour reconnaître que vous ne pouvez conserver sans modification le système que vous avez actuellement.

Je répète que je crois infiniment plus aux raisons que font valoir les nombreux pétitionnaires qui se sont adressés à nous, et notamment les chambres de commerce et d'autres corps constitués, qu'à toutes ces théories que la pratique condamne.

C'est le vœu du pays, c'est la volonté nationale, et je vous défie de ne pas lui donner, un peu plus tôt, un peu plus tard, satisfaction entière.

(page 605) M. Sabatier. - Messieurs, je commencerai par rendre un hommage bien sincère au talent développé dans la séance d'hier par les honorables MM, Jamar et de Boe.

Evidemment les discours qu'ils ont prononcés ont donné à la Chambre la preuve manifeste d'une étude très approfondie de la question qui nous occupe.

Je me hâte de déclarer qu'en ce qui concerne les principes qui doivent guider tout gouvernement dans l’établissement d'un système monétaire loyal, l'opinion que ces honorables membres ont défendue est également la mienne.

Mais je dois également déclarer avec non moins de hâte que sur l'application et l'interprétation de ces principes je cesse d'être d'accord avec ces messieurs.

Je dois ajouter une autre déclaration avant d'entrer dans le fond du débat ; elle sera conforme quant à l’intention du moins à celle qu'a faite l'honorable M. Royer de Behr, relativement à l'exposé des motifs du projet de loi déposé par l'honorable M Dumortier. C'est que si je me rallie à la demande de revenir au système de 1832, et cela parce que je crois que c'est le moyen le moins fâcheux, le moins mauvais de sortir de l'inextricable embarras où nous sommes, je repousse formellement la manière dont la question a été développée par son honorable auteur.

Je crois que cela sera assez indifférent à l'honorable membre ; mais je tenais à ne pas laisser supposer que la théorie de la monnaie en compte et d'autres principes émis par lui puissent être les miens. Je viens de dire que je me trouvais d'accord avec les honorables MM. Jamar et de Boe en ce qui touche les principes même d'un système monétaire, mais que cet accord cessait quant à leur interprétation.

Les divers orateurs qui ont pris la parole contre le projet de loi me paraissent donner, du reste, l'exemple de cette différence d'appréciation et d'interprétation. Ainsi l'honorable M. Vermeire veut bien à la rigueur de l'or, mais avec une monnaie divisionnaire, frappée à un titre inférieur à celui de notre unité monétaire. Les honorables MM. Jamar et de Boe veulent le système de l'or tarifé. Je commencerai par dire à l'honorable M. Vermeire que ses vœux seront très probablement exaucés.

Si l'on adopte la circulation de l'or français au taux nominal, il est bien évident que la monnaie divisionnaire qui existe en Belgique ne sortira pas. Il doit savoir tout aussi bien que moi que cette monnaie, par suite du frai, subit une perte énorme.

Le rapport de la commission des monnaies constate que cette perte va jusqu'à 10 p. c. ; il faudrait donc que la prime sur l'argent montât à 100 ou 115 par mille pour que certaine partie de notre monnaie divisionnaire pût sortir du pays par le fait de la spéculation. Sous ce rapport donc toute satisfaction serait donnée à l'honorable M. Vermeire.

Quant à la conclusion des discours prononcées par MM. Jamar et de Boe, j'avoue franchement, tout en reconnaissant qu'ils ont obtenu un succès oratoire bien mérité, j'avoue, dis-je, que j'en ai été profondément surpris.

Ces messieurs viennent défendre les principes économiques les plus purs ; ils veulent que l'or soit une marchandise, rien qu'une marchandise, et en même temps, ils proposent de le tarifer. Je ne sais pas quel moyen pratique ils emploieront pour y parvenir ; ils n'ont pas donné de développement à l'idée, aussi n'est-ce que l'idée que je combats.

Que la tarification soit mensuelle, trimestrielle ou annuelle, toujours est-il qu'entre deux tarifications, l'or ne sera plus une marchandise, il redeviendra monnaie. Je fais cette observation en passant, me réservant d'y revenir si ce système, qui nous est seulement annoncé, est définitivement proposé.

Messieurs, la diversité d'avis émis en vue de remédier au mal, ne doit pas nous étonner ; s'il paraît y avoir schisme dans notre église et dans celle de nos adversaires, nous assistons au dehors à un singulier spectacle.

Nous voyons les princes de la science, les économistes les plus distingués, les hommes qui ont occupé et qui occupent encore une haute position dans les affaires, ne point parvenir à se mettre d'accord. Ne croyez pas, messieurs, que les discussions ne s'élèvent qu'à propos de détails ; il s'agit au contraire des bases essentielles des systèmes monétaires. Ainsi la solution à la question de savoir s'il ne faut qu'un étalon rencontre-t-elle l'unanimité ? Pas le moins du monde, et la manière de présenter les choses donne lieu à des appréciations bien différentes.

Si l'on dit : « L'étalon est une base, une mesure invariable ; jamais vous n'y pourrez toucher ; si vous admettez deux métaux pour faire fonction d'étalon, vous semblerez reconnaître ce fait impossible que le rapport entre la valeur de ces deux métaux sera également invariable. Ce sera décréter l'absolu, et qui décrète l'absolu décrète l'absurde. » Dans ces termes-là, évidemment l'adoption du double étalon est impossible.

Mais, si rappelant le système de l'an XI, on disait, comme à cette époque, qu'à côté du système argent, fixe, invariable, il est utile d'admettre une monnaie en or pour la plus grande facilité du commerce et des transactions ; que cette monnaie, par suite des valeurs relatives des deux métaux, sera frappée au poids de 15 1/2 d'argent pour 1 d'or et qu'à moins de variation un peu sensible, durable, on ne changera pas cette proportion, alors on comprendra qu'en n'attachant pas de sens trop absolu à l'expression « deux étalons » le danger d'admettre à la fois l'or et l'argent comme monnaie ne sera pas aussi grand, aussi absurde qu'on le dit.

La question aujourd'hui serait donc de savoir si l'écart de 1 à 15 1/2 s'est modifié d'une manière assez sensible, assez permanente, pour rejeter définitivement l'or français.

Dans le choix de l'étalon, nous voyons les opinions les plus diverses se faire jour.

L'or, dit-on, est très facile à exploiter. Il ne faut pas beaucoup d'intelligence pour le découvrir ; il brille au soleil ; les plus pressés n'ont qu'à se baisser pour ramasser les pépites qui en contiennent le plus et à laver le sable qui le renferme en paillettes.

La récolte n'a rien de fixe, elle peut être un jour très productive, le lendemain très médiocre. Elle varie donc considérablement, c'est souvent le hasard qui en décide, et en dernière analyse quelle fixité de valeur peut-on espérer d'un métal qui s'exploite dans de pareilles conditions ?

Quant à l'argent, disent les partisans de ce métal, il coûte énormément à extraire, et son exploitation sur une grande échelle nécessite d'assez grands capitaux.

Il ne s'agit pas ici de se baisser pour le ramasser ; il faut lui faire subir une opération chimique extrêmement coûteuse, il y a donc là un élément de fixité qu'on ne doit pas négliger dans le choix que l'on est appelé à faire d'un étalon monétaire.

A cela on réplique qu'il est très possible que du jour au lendemain on découvre un moyen de retire l'argent de son minerai dans des conditions plus avantageuses que celles employées aujourd'hui. Que devient alors la fixité ?

Les mines d'or, à mesure qu'on approfondit le sol, disparaissent ; les mines d'argent, au contraire, à mesure qu'on avance dans le sol, deviennent de plus en plus riches.

Il a déjà été dit que si demain le Mexique, au lieu d'être livré à l'anarchie, au lieu d'être dans une situation telle que pour y chercher les métaux précieux, il ne faille pas seulement avoir de bons bras mais bien aussi d'excellentes armes, des revolvers ; si demain le Mexique était dans une situation politique meilleure ou si, comme on en a fait la supposition, le Mexique tombait aux mains des Etats-Unis, vous auriez autant d'argent que vous voudriez.

Je ne me prononce pas sur ces diverses questions ; je les énonce seulement pour montrer que l'accord est loin de se faire sur le métal qui convient le mieux comme étalon.

Je passe à un autre point :

L'or est une marchandise... Sur ce point, discussions et controverses sans fin. Je crois que le mot « marchandise » a été appliqué dans l'espèce pour donner une preuve de plus de la pauvreté de la langue française. L'or est une marchandise, c'est vrai, mais il n'est pas qu'une marchandise. Une marchandise est une chose qui varie de prix tous les jours, que l'on vend au poids, à la pièce, de toutes les manières possibles enfin, et qui s'échange contre une chose fixe q

Si l'or et l'argent ne peuvent jamais perdre leur qualité de marchandise, ils ont une autre qualité qui leur fait donner le titre de monnaie, qui est l'essence de la monnaie, la fixité.

Voici un autre objet sur lequel on peut discuter indéfiniment.

L'or a-t-il diminué de valeur ou bien est-ce l'argent qui a haussé ?

Sur ce point encore on pourrait, comme je viens de le dire, discuter longuement, et il serait difficile d'arriver à un accord complet. La vérité est peut-être entre les deux extrêmes. Du reste, il faudra y revenir lorsque nous examinerons les conséquences de l'adoption possible de la mesure proposée. Soit dit en passant, l'honorable M. Rodenbach ne semble plus guère compter sur cette adoption ; permettez-moi, messieurs, d'espérer encore que la Chambre la votera.

Sur les conséquences de l'admission de l'or français au taux nominal est-on près de s'entendre ? Pas davantage. Les uns prédisent une moindre (page 606) circulation de billets de banque, des crises plus fréquentes et partant la nécessité d'élever l'escompte ; d'autres ne croient pas que la circulation des billets doive souffrir de la mesure et pensent que les crises tiennent à d'autres causes que la présence de tel ou tel métal dans les caisses de la Banque.

Messieurs, je ne développerai pas davantage, pour le moment, cette thèse des contradictions dans lesquelles entrent ceux qui se sont occupés de la question de l'or. J'ai voulu en quelques mots montrer dans quel dédale de controverses et de discussions nous entrerions, si le vote que le pays attend avec impatience dépendait uniquement de la solution à donnera quelques-uns des points que je viens d'indiquer. Fort heureusement, ce n'est pas précisément sur ce terrain qu'est placée la question ; il importe de ne pas la laisser s'égarer et de la circonscrire dans ses véritables limites.

Par des causes diverses, l'or français s'est emparé depuis quelques années d'une partie de la circulation monétaire de notre pays. L'impossibilité de s'en servir officiellement amène des pertes assez sensibles et des ennuis de tout genre. Des réclamations en vue de faire admettre cet or au pair dans les caisses publiques se sont fait jour par des avalanches de pétitions. Le gouvernement a fait tout ce qu'il a pu pour arrêter l'invasion de cette monnaie. Des écrits plus ou moins officiels, officieux, anonymes ont paru dans le but de faire comprendre aux masses que la monnaie que l'on recevait pour 20 francs ne valait pas 20 francs ; une commission a été réunie pour s'occuper des moyens à mettre en pratique pour conjurer le danger, les prédictions les plus sinistres ont été faites sur la dépréciation du métal or.

Pour mieux faire comprendre la différence en faveur du métal argent, on a eu recours à la cote officielle du napoléon (mesure qui, par parenthèse, a produit l'effet inverse de celui qu'on en attendait) et cependant personne ne s'est ému, l'or n'a pas moins pénétré dans le pays, les payements en argent ont été rendus par cela même plus difficiles, et nous en sommes arrivés à nous demander, non pas si l'or était plus facile à extraire que l'argent, ou si l'étalon de ce dernier métal n'était pas le meilleur, mais si nous agissions sagement, en ne donnant pas satisfaction aux pétitionnaires et si, la force des choses aidant, nous ne devrions pas, bon gré mal gré, admettre définitivement le fait dans le droit.

Quelles sont, messieurs, les causes qui ont amené la circulation de l'or ? La commission des monnaies l'a expliqué par la confusion qui naissait de l'identité d'unité monétaire entre la France et la Belgique. Les affaires qui se font entre les deux pays ont facilité l'entrée de l'or, grâce à cette confusion du franc d'or et du franc d'argent ; puis sont venues les spéculations de l'échange de nos pièces de 5 francs contre la monnaie française, puis enfin ce fait indiqué, je pense, par les honorables MM. Jamar et de Boe, des industriels belges, recevant en payement de leurs produits, principalement des charbons et des toiles, l'or incriminé.

Messieurs, je représente un arrondissement dans lequel on extrait beaucoup de charbons, comme vous savez, et qui se vend en grande partie à la France, vous voudrez donc bien me permettre de vous fournir ici une simple explication.

Voici ce qui se fait à l'égard du commerce de charbon et ce qui se fait du reste aussi pour les toiles ; ce sont les deux articles cités hier comme faisant surtout pencher en notre faveur le commerce de la Belgique avec la France (50 millions de charbon, 20 millions de toiles). Comment se couvrent de la valeur de ces marchandises nos industriels ?

Evidemment en leurs traites sur la France ou en traites que leur remettent leurs acheteurs également sur la France. Que faut-il faire de la partie de ces valeurs qui doit être convertie en monnaie ? Faut-il l'escompter en Belgique contre de l'argent ou l'envoyer à des banquiers français qui envoient de l'or en échange ?

Mais, messieurs, la réponse n'est pas douteuse, il faut employer ce dernier moyen sous peine de voir, au détriment d'un grand nombre, le change baisser sur Pans.

Jusqu'à présent l'opération est rationnelle, mais on va plus loin dans les reproches adressés aux industriels, on leur dit : Vous recevez l'or à sa valeur actuelle, vous effectuez le payement des salaires et des fournitures qui vous sont faites, avec le même or au pair et vous commettez par cela même un acte blâmable.

M. Jamar. - Je n'ai pas dit cela ; j'ai dit que nos négociants recevaient......

M, Sabatierµ. - Je ne prétends pas que M. Jamar ait tenu ce langage, je réponds à des critiques adressées au dehors contre une sorte de trafic qu'exerceraient des fabricants belges.

M. Jamar. - Ce n'est certes pas moi qui ai adressé ce reproche aux négociants belges.

M. Sabatier. - Supposons un instant, messieurs, que nos industriels escomptent en Belgique toutes leurs valeurs sur la France contre de l'argent. A quel taux descendrait le change sur ce pays ? Il ne resterait certes pas à 3/16 comme il l'est aujourd'hui ; et qui supporterait la perte résultant de la baisse du change ? Sont-celes acheteurs ? Non, messieurs ; les personnes qui ont un peu l'habitude du commerce savent que le change fût-il de 1 p. c. perte, on ne pourrait, alors qu'il s'agit d'un pays avec lequel on fait des affaires suivies et importantes, songer à élever d'autant le prix de la marchandise.

La concurrence rendrait, du reste, cette tentative impossible. Si les négociants doivent subir la perte nouvelle du change, il est de toute évidence qu'ils la feront supporter en partie par leurs ouvriers. Dans ces circonstances donc le payement d'une partie des salaires en or serait suffisamment expliqué ; mais il est une autre considération à faire valoir ici, elle tient aux difficultés mêmes de notre système monétaire et elle montre que les pièces d'or, dans l'état actuel du frai, représentent une plus grande valeur que la monnaie d'argent circulant dans le pays. Les principes invoqués par nos honorables adversaires veulent que, lorsqu'une monnaie baisse de valeur par le frai, il en résulte une hausse correspondante de toutes choses et des salaires.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La hausse du prix des choses, oui.

M. Sabatier. - Mais la hausse du prix des choses entraîne nécessairement la hausse du prix des salaires. (Interruption.) C'est un fait économique qui s'est toujours produit et se produira toujours.

Ce fait admis, je me le demande en conscience, messieurs, quel est, pour l'ouvrier, le mode de règlement de salaire le plus favorable ! N'est-ce pas celui qui s'effectue dans la monnaie qui possède la plus grande valeur intrinsèque ? Cette monnaie est aujourd'hui l'or, eu égard à la dépréciation de notre argent circulant et la fabrication récente des pièces de 20, 10 et 5 francs d'or. Le calcul est simple à établir.

C'est précisément là, messieurs, ce qui prouve à quel point notre système monétaire est vicieux et rend impossible son maintien. C'est la moins-value de l'argent officiel comparé à l'or, qu'on ne doit pas recevoir au pair, qui donne raison aux réclamations dont nous sommes assiégés.

A qui la faute maintenant ? Mais avant tout à la loi de 1832 qui reconnaissait d'après ce qu'a dit l'exposé même de la loi de 1850, que « l'adoption tranche et entière de ce système (celui de 1832) ne pouvait que favoriser la circulation et les relations si importantes entre les deux pays » (la Belgique et la France.)

Nous avons donc vécu en parfaite communauté de système monétaire de 1832 à 1850, et nous avons si bien appris pendant ce laps de temps à considérer cette identité de l'unité monétaire comme un bienfait, comme une nécessité, que la loi de 1850 ne parvint pas à changer des habitudes qu'une pratique de 18 ans avait enracinées chez nous. D'autres raisons encore peuvent être données pour expliquer l'invasion de l'or ; mais il est temps de nous arrêter dans le développement de ces raisons.

Le mal existe, il est bon sans doute d'en dire l'origine et la cause, mais il est plus essentiel encore d'indiquer le remède à apportera ce mal.

Messieurs, je comparerai la Belgique à une vaste place forte dont les approches sont au pouvoir de l'ennemi. Cette place renferme un réduit que j'appellerai la Banque Nationale, défendue par les pièces de 5 francs contre l'ennemi qui est l'or. Cet ennemi faisant de plus en plus de progrès dans l'attaque, on propose une capitulation. Il s'agit de savoir s'il faut accepter cette proposition ou s'il est préférable de résister, et cela contre le vœu du plus grand nombre. C'est là précisément ce que nous sommes appelés à décider.

Quant à moi, messieurs, je crois qu'il faut céder, et que nous n'aurons pas lieu de nous repentir de laisser circuler librement des pièces et or de bon poids au lieu de pièces d'argent qui subissent une perte très sensible.

Espérons seulement que cette perte n'est pas aujourd'hui tellement grande que l'échange, si redouté par mes honorables adversaires, puisse encore se faire avec bénéfice.

Si j'ai des doutes à cet égard, c'est que lors des pesées faites par la commission des monnaies les écus de 5 francs perdaient déjà en moyenne 6 francs 75 centimes par mille et que depuis cette époque, c'est-à-dire depuis plus d'un an, des triages ont été opérés avec la certitude de ne pas mériter le carcan dont a parlé l'honorable M. de Boe que l'usure naturelle, le frai a été grandissant et qu'enfin la prime sur l'argent est tombée de 5 à 6 pour mille.

(page 607) Quoi qu'il en soit, voici, messieurs, à l'appui de l'opinion que j'émets, un dilemme que je soumets à votre appréciation.

De deux choses l'une, ou bien l'argent verra s'élever la prime dont il jouit, par suite du courant qui l'entraîne vers l'Orient, et alors, je ne parviens pas à comprendre comment nous défendrons nos écus, et moins encore, comment nous les remplacerons ; ou bien l'argent moins demandé, ou mieux et plus exploité, reviendra vers nous, vers l'Europe, et dans ce cas, nous pourrons battre de beaux et bons écus, et refaire un système argent, que nous pourrons enfin appeler le nôtre.

Les deux termes de ce dilemme sont, on le sait aisément, favorables à l'adoption du retour vers la loi de 1832, puisque la réponse est celle-ci : Ne retenons pas plus longtemps prisonniers des écus qui s'échapperont malgré nous ; ne laissons pas échapper l'occasion, s'il en est temps encore, de réaliser un bénéfice et de nous débarrasser d'une partie de notre mauvaise circulation.

Adoptons donc la monnaie française au taux nominal, messieurs, nous poserons un acte d'autant plus sage que, ainsi que l'a fort bien dit l'honorable M. Royer de Behr, nous compterons avec l'opinion publique. Vous ne pouvez méconnaître qu'elle se soit manifestée librement et énergiquement. Si des pétitions affectent la même formule, sont simplement autographiées et que de cette façon on semble parfois signer complaisamment, n'y attachez pas une importance inutile ; l'intention des signataires n'a pas été surprise, ils s'en rapportent à votre sagesse pour apporter un prompt remède au mal dont on se plaint. Des corps constitués, toutes les chambres de commerce moins deux, celles d'Ostende et de Verviers.,

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - et Liège.

M. Sabatier. - Mettons trois.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et Saint-Nicolas.

- Un membre. - Liège est divisé.

M. Sabatier. - Disons la très grande majorité des chambres de commerce demande l'admission de l'or. J'invoque encore l'opinion publique ; c'est par elle que nous siégeons ici ; nous lui devons une satisfaction.

Non pas, messieurs, que j'aille jusqu'à dire avec l'honorable M. Royer de Behr que lorsque tout le monde a tort, tout le monde a raison, c'est là un paradoxe qu'avec l'honorable M. Jamar, je ne saurais approuver, mais je dirai seulement que tout le monde a probablement plus d'esprit que quelques-uns.

Sans doute, il serait préférable, au point de vue des principes les plus sains de l'économie politique, de ne pas poser un acte par lequel on semble admettre l'échange d'un étalon contre un étalon de moindre valeur.

Certes si notre unité monétaire était pure et si la baisse que l'on dit exister aujourd'hui sur l'or devait, sans discussion, être considérée comme permanente et progressive, nous commettrions une double faute en proposant l'admission de l'or ; mais ne perdez pas de vue, messieurs, que notre monnaie est considérablement dépréciée et que la question de la baisse de l'or est loin d'être résolue.

J'arrive maintenant à la question de savoir si le retour à la loi de 1832 doit amener toutes les choses fâcheuses que l'on a prédites.

Je m'occuperai des deux principales objections qui nous sont opposées soit dans cette enceinte, soit dans quelques journaux ; elles se rapportent à toutes les autres.

D'abord la baisse de l'or et ensuite les conséquences sur les opérations de la Banque Nationale.

Les services que la Banque Nationale est appelée à rendre au commerce nous font un devoir de n'entraver en rien ses opérations. J'ai donc à répondre à cette objection que le fait de l'admission de l'or français venant à faire disparaître l'encaisse argent, elle serait obligée, pour défendre le nouvel encaisse contre un remboursement trop facile des billets, de faire subir à l'escompte des variations fréquentes et en tout cas de la hausse.

D'abord je ne crois pas que, dans la situation actuelle du marché des métaux, l'argent doit être enlevé aussi promptement qu'on le dit.

Si la perte évaluée par l'honorable M. Pirmez, dans son rapport d -la commission des monnaies, peut être appliquée à l'encaisse de la Banque, soit 6,75 par mille, ces chiffres indiquent que l'opération d'échanger l'argent contre de l'or est très douteuse quant au bénéfice à réaliser. Sans doute le triage qui se fait aujourd'hui chez les changeurs se ferait aussi à la Banque et, pour simplifier la question, je suppose que tout l'argent s'en aille.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Jusqu'à la dernière pièce.

M Sabatierµ. - Cela dépendra de la prime sur l'argent.

Messieurs, la conséquence de l'encaisse en or serait-elle une augmentation de l'escompte ? On prétend, à l'appui de cet argument, que tous les pays qui ont admis l'étalon d'or ressentent des variations très brusques de l'intérêt ; mais j'ai fait de vains efforts pour me rendre compte de cette théorie, je n'y suis pas parvenu.

Serait-ce parce que le pesage de l'or est plus prompt, que ce métal est plus facile à transporter ; que dès lors, en cas de crise, la caisse de la Banque serait d'autant plus vite épuisée.

Mais, messieurs, il serait difficile de choisir un argument plus décisif en faveur de l'or. Prenez-y garde, lorsque la population sera bien pénétrée de l'idée que l'argent est préféré par les motifs que je viens de dire, on n'attendra pas qu'une crise soit bien prononcée, on la devancera pour ne pas devoir trop attendre son tour de remboursement des billets, tandis qu'avec l'or on ne sera pas aussi pressé de jeter l'alarme.

L'escompte augmentera-t-il nécessairement parce que l'encaisse de la Banque ne sera composé que d'or ?

Certains prophètes répondent affirmativement et disent qu'en raison de la facilité de conserver ou porter sur soi de l'or il y aura une diminution notable dans la circulation des billets de banque et que l'encaisse venant dès lors à diminuer, il faudra le défendre par des élévations de l'escompte.

Messieurs, je réponds à cela que les Belges étant très peu thésauriseurs, c'est un éloge que je fais, je ne sais pas pourquoi la présence de l'or ferait enfouir plus de monnaie.

Peut-être bien le nombre de petites coupures diminuerait d'importance, mais à côté de ce fait je vois deux raisons en faveur d'une augmentation générale de la circulation des billets de banque.

D'abord l'or qui se trouve en Belgique, et nous savons que la quantité en est considérable, ne peut pas s'échanger contre billets puisqu'il y aurait une perte que l'on est peu tenté de subir ; ensuite l'encaisse actuel d'argent est un point de mire pour les trieurs.

Viennent à disparaître ces deux causes et, je le répète, je crois que les billets de banque circuleront davantage.

Messieurs, je crains d'abuser des moments de la Chambre et je me hâte de finir.

- Plusieurs membres : Parlez ! parlez !

M. Sabatier. - Puisque vous me le permettez, j’ajouterai, avant de conclure, quelques mots relatifs à la baisse probable de l'or et aux causes des crises qui affectent certains pays.

En indiquant les observations que je comptais vous soumettre j'ai dit qu'en ce qui concerne la baisse probable de l'or, les deux opinions contraires étaient soutenues qui pour la baisse de l'or, qui pour la hausse de l'argent.

Peut-être serait-il prudent de s'en tenir entre ces deux opinions ; je crois cependant que l'on se rapprocherait davantage de la vérité en attribuant plutôt l'écart actuel des métaux à une hausse de l'argent, et voici pourquoi :

D'un côté l'argent a été demandé pour être exporté vers l'extrême Orient et d'un autre côté de grandes quantités d'or ont été jetées sur notre continent.

En outre, la Hollande, ainsi que le rappelle l'exposé du projet de loi de 1850 démonétisant les pièces d'or, a vendu environ 360 millions d'or en 1850, de sorte que tout semblait concourir à une variation sensible dans la proportion de valeur des métaux précieux, des prédictions peu rassurantes ont été faites à ce sujet.

Cependant cette variation s'est renfermée dans des limites très restreintes, et si l'on considère que le moindre ralentissement dans le courant qui faisait exporter l'argent eût rendu aux métaux leur valeur relative de 1 à 15 1/2, il est bien permis, je pense, d'attribuer une hausse à l'argent.

Voyez aussi, messieurs, combien les idées préconçues pourront faire commettre d'erreurs. Voyant que les prédictions sur la baissé de l'or ne se réalisaient pas, on a dit : Tant que ce métal trouvera en France l'argent comme échange, tant que le réservoir de la France, évalué il y a 10 ans à 3 milliards au moins, ne sera pas épuisé, l'or trouvant un placement certain ne saurait baisser d'une manière très sensible.

Le temps s'est écoulé depuis cela, le réservoir de la France s'est de plus en plus épuisé et voilà que l'or, loin de baisser, se rapproche de plus en plus du pair.

Le raisonnement de nos adversaires manquait-il de logique ? Non, mais il était circonscrit dans un cercle un peu étroit ; une circonstance inattendue, elles sont souvent comme cela, a surgi, a fait coin et a produit une solution de continuité qui a quelque peu dérangé l'idée (page 608) préconçue. Quelle est cette circonstance ? C'est la crise des Etats-Unis qui, rompant violemment les relations du Nord et du Sud, a obligé les acheteurs européens à solder une partie de leurs achats en or, si bien que ce métal obtient, à l'heure qu'il est, une prime de 3 pour mille ; ce qui prouve, soit dit en passant, que les deux métaux peuvent faire prime en même temps.

Disons un mot des crises.

L'honorable M. Jamar a rappelé que les pays à étalon d'or subissaient des crises intenses, tandis que ceux à étalon d'argent en étaient beaucoup plus exempts. Il s'agit des Etats-Unis, de l'Angleterre et de la France pour les crises.

Messieurs, vous savez que le plus sûr moyen de ne rien faire de mal est de ne rien faire du tout ; eh bien, le plus sûr moyen pour des nations d'éviter des crises industrielles, commerciales, financières et monétaires, est de ne faire ni industrie, ni commerce ; les finances et les monnaies seront dès lors du luxe.

C'est justement dans les pays qui donnent le plus de développement à leurs entreprises de toute nature qu'immanquablement les crises sont les plus fréquentes.

Il est de fait que les sauvages qui s'émeuvent et se laissent séduire par de la verroterie sont à l'abri des crises financières, et se plaindre des écarts, des soubresauts dans l'escompte conduirait souvent à se plaindre que la mariée soit trop belle. Les crises sont la conséquence d'une activité très grande au dedans et au dehors.

La France, que l'on cite comme ayant passé par des écarts d'intérêt sensibles, est un exemple à citer en même temps que l'Angleterre et les Etats-Unis.

Dans ces pays le mouvement du commerce général atteste une progression plus rapide qu'en Belgique.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout, vous êtes dans une erreur complète.

M. Sabatier. - Ne soyons donc pas trop fiers de notre escompte que l'on dit à l'abri des inconvénients cités ; il n'en résulte pas du tout la preuve d'un développement d'affaires plus considérable qu'ailleurs.

Messieurs, je pourrais donner à cette thèse de nombreux développements encore, mais je m'arrête, je remercie la Chambre de l’attention bienveillante qu'elle a bien voulu prêter à mes paroles, et je me résume en demandant encore le retour à la loi de 1832, sauf les modifications qui concordent avec l'idée de n'admettre au cours légal que les monnaies françaises. Revenons-en franchement au système qui fut considéré en 1832 comme éminemment favorable au développement de nos relations avec nos voisins du Midi.

Cette résolution ne préjugera rien quant au choix définitif de l'étalon ; c'est pour ainsi dire une mesure transitoire et dans ce temps de trouble monétaire, c'est, à mon sens, la chose la moins mauvaise à faire. Notre divorce de 1850 ne nous a pas réussi, abandonnons-le, vous satisferez le pays et vous aurez rendu hommage aux vœux légitimes de l'opinion publique.

MpVµ. - La parole est à M. de Haerne.

M. de Haerne. - Je préférerais entendre un orateur contre la proposition.

- Un membre. - Hier on a entendu deux orateurs contre.

M. de Haerne. - Messieurs, je voudrais entendre, avant de parler, un orateur d'une opinion contraire à la mienne. Il est vrai qu'hier on m'a engagé à parler et que je n'ai pas répondu à cet appel. Je dirai que, si je n'ai pas répondu à l'espèce de provocation qui m'avait été adressée, c'est que j'avais égaré quelques chiffres dont j'avais besoin et que j'ai dû les rechercher.

Puisqu'il n'y a pas d'orateur qui désire répondre immédiatement à l'honorable membre qui vient de parler d'une manière si remarquable et si convaincante, selon moi, je me permettrai de développer mon opinion sur la grave question qui s'agite en ce moment dans cette enceinte et dans le pays tout entier.

Messieurs, il y a, selon moi, un fait capital qui domine la question, un fait dont nos honorables adversaires n'ont pas suffisamment tenu compte ; il y a un fait fondamental contre lequel viennent se briser toutes les théories, c'est que l'argent s'exporte en telle quantité vers l'extrême Orient, qu'il n'y a pas moyen d'espérer d'en conserver suffisamment pour maintenir ce métal comme étalon monétaire. Dans un écrit que j'ai publié sur la question qui nous occupe, je suis entré dans des détails de chiffres pour faire la démonstration de ce fait ; mais ou a paru croire que depuis l'époque à laquelle se terminaient mes observations, depuis l'année 1859, le mouvement d'exportation s'était ralenti.

Il n'en est rien, messieurs, ce mouvement continue, et s'il y a eu quelques oscillations, quelques intermittences, elles n'ont été que momentanées et l'émigration de l'argent vient de reprendre dans les proportions qu'elle avait eues précédemment. La preuve en est dans les chiffres officiels que contient le dernier numéro de l’Economist, le numéro du 16 courant ; en six semaines il s'est exporté vers l'Inde et la Chine 1,521,901 livres sterl. en argent, ce qui ferait par mois un million de liv. sterl. ou 25 millions de francs.

Eh bien, messieurs, si vous calculez d'après cette proportion la masse d'argent qui s'exporte annuellement, vous arrivez à une somme de 12 millions de liv. sterling par an. L’Economist déclare que le mouvement tel qu'il existe depuis 7 à 8 ans doit continuer pour des raisons que j'aurai l'honneur d'indiquer tout à l'heure. Or, messieurs, d'après M. Levasseur et d'autres auteurs, qui portent la production de l'argent au chiffre le plus élevé, toutes les mines d'argent du monde ne produisent annuellement que 241 millions de francs, soit 9 millions de livres sterling, c'est-à-dire une somme inférieure à celle que réclame le commerce oriental. Voilà les chiffres qu'il faut mettre en regard.

L'exportation s'élève, comme je viens de le dire, à 12 millions de liv. sterl., soit 300 millions de francs par an, et la production totale n'est que de 241 millions ! Ces chiffres, comme je l'ai dit, subissent des variations, mais la moyenne annuelle depuis 7 ou 8 ans a été au moins de 200 millions de francs.

Ainsi, messieurs, la presque totalité de la production de l'argent est absorbée par l'extrême Orient. La France, seule, si elle démonétisait l’or, absorberait pendant 10 ans la production de tout l'argent du monde, comme l'a démontré un économiste suisse, M. Fischer.

Après cela venez nous parler de conserver l'étalon d'argent 1 Mais, messieurs, c'est une chimère. Il est évident qu'il faudrait pour cela découvrir une nouvelle alchimie.

Les alchimistes du moyen âge voulaient créer de l'or ; inventez donc une alchimie pour produire de l'argent.

Je le répète, messieurs, toutes le -théories viennent se briser contre ce fait fatal.

On pourrait dire, je le sais, que ce mouvement ne se soutiendra pas, mais telle n'est pas l'appréciation des auteurs sérieux d'Angleterre, de France et d'autres pays. Car les causes de ce mouvement sont des causes qui doivent rester permanentes si elles ne se développent pas. Ces causes sont dans le commerce qui progresse entre l'extrême Orient et l'Europe, dans des proportions colossales depuis une dizaine d'années et je dois le dire, sous ce rapport, les découvertes d'or sont venues bien à propos, et sans ces découvertes on se serait trouvé dans l'impossibilité de satisfaire aux besoins de ce commerce immense.

A ce grand mouvement du commerce, qui s'est manifesté en Europe, en Amérique et en Asie, vient se joindre une cause nouvelle indiquée par le journal anglais, c'est la crise américaine ; les demandes d'argent pour l'extrême Orient deviennent de plus en plus fortes, parce que la crise sociale des Etats-Unis fait craindre pour la culture des cotons en Amérique, et que dès lors l'Angleterre devra recourir aux Indes pour se procurer cette matière première de sa principale industrie.

On pousse d'une manière extraordinaire au développement de la production du coton aux Indes où déjà il a été fait des demandes fantastiques.

Ces causes, messieurs, sont permanentes ; la culture du coton s'accroîtra dans l'Inde par la seule incertitude que présente la situation de l'Union américaine, et il est évident que par cette raison l'exportation de l'argent s'accroîtra et que la hausse de l'argent se maintiendra, si elle n'augmente.

On dit, messieurs, que c'est l’or qui a baissé. Comme l’a dit très bien tout à l'heure l'honorable M. Sabatier, je ne veux pas soutenir qu'il n'y a pas eu une baisse relative sur l'or par rapport à l'argent, et même, si l'on veut, une légère baisse réelle, mais il n'y a pas de comparaison entre cette baisse et la hausse de l'argent.

Dans la séance d'hier on a invoqué des autorités françaises contre nous. Je crois que l'honorable M. Jamar a cité entre autres une autorité pour faire voir que les denrées avaient renchéri par suite de la baisse de l'or. Permettez-moi, messieurs, de vous donner à cet égard quelques citations d'un autorité très imposante dans la question.

C'est l'autorité de la commission qui a été nommée en France, en 1857, pour s'occuper exclusivement de la question monétaire.

La commission était composée d'hommes éminents et d'une capacité incontestable dans ces matières. C'étaient MM. Schneider, de Parieu, le comte d'Argout, Elic de Beaumont, Vuillefroy, Boinvilliers, Alfred (page 609) Leroux, Michel Chevalier, Greterin, Pelouze, Ernest André, secrétaire de Bosredon.

Dans le cours des séances, des changements eurent lieu dans le personnel de la commission.

A la suite de la retraite de M. le comte d'Argoult, on nomma membres de la commission MM.de Germiny et de Vuitry, et M. Alfred Magne, comme secrétaire adjoint de la commission qui comptait ainsi 13 membres.

Messieurs, permettez-moi de vous citer quelques passages du rapport que la commission a adressé au gouvernement français, sous la date du 22 février 1858. Voici ce que dit notamment la commission :

« Parmi les causes qui ont contribué à appeler si énergiquement au dehors de notre circulation le numéraire argent, il en est une qui domine toutes les autres.

« La commission n'hésite pas à penser que l'exportation de l'argent a été absorbée par le marché général, où se font sentir depuis quelques années des besoins extraordinaires ; et elle signale à Votre Excellence, comme le principal de ces besoins, celui auquel donnent lieu les échanges de l'Europe avec la Chine, l'Inde et les contrées limitrophes de l'Asie...

« Relativement à l'or, la commission est arrivée à cette conviction, qu'au moins sur notre marché intérieur l'or n'a pas sensiblement baissé.

« La découverte de gisements d'une richesse extraordinaire a coïncidé avec une expansion de travail, un élan de l'industrie non moins prodigieux ; toutes les nations et la France en particulier se sont livrées à des entreprises multipliées. Les masses d'or versées dans la circulation ont secondé puissamment l'essor de notre industrie. Elles ont été aussi absorbées en partie par le renchérissement général des denrées à la suite de plusieurs disettes. »

Ce n'est donc pas, d'après la commission, l'affluence de l'or qui a produit ce renchérissement, mais c'est la disette ; et l'or a produit l'effet salutaire de faciliter les achats de denrées.

« Si donc il y a eu, poursuit la commission, d'un côté, une production croissante de l'or, il y a eu de l'autre côté une progression corrélative des affaires, et plusieurs membres de la commission paraissaient même incliner à croire qu'il y avait eu plutôt insuffisance qu'excès de numéraire ; sans vouloir trancher une question qui exigerait l'examen de notre situation financière dans toute son étendue, la commission se borne à exprimer l'opinion que, jusqu'à présent, et sur notre marché l'or n'a pas éprouvé de dépréciation sensible.

« Elle croit, au contraire, que c'est l'argent qui a haussé de valeur. »

Voilà l'autorité que je tenais à produire devant la Chambre, pour répondre à des citations qui ont été faites précédemment dans la discussion et qui ont été empruntées à des autorités françaises beaucoup moins importantes et qui n'avaient ni la compétence, ni la mission, comme la commission dont il s'agit, pour porter un jugement dans cette matière.

Messieurs, on paraît croire que cette opinion, particulièrement adoptée en France, n'est point partagée par les écrivains notables d'autres pays. C'est une erreur. Je vous dirai qu'en Suisse, presque toutes les autorités cantonales, les Speiser, les 0... T..., les Fischer, les Keller, sont aussi d'opinion que c'est l'argent qui a considérablement haussé, leurs écrits et les documents officiels en font foi.

Les Anglais expriment la même opinion.

Permettez-moi de vous citer une autorité des plus imposantes. C'est celle de MM. Tooke et Newmarch, dans leur savant ouvrage intitulé : « History of prices » (Histoire des prix).

D'abord, ces économistes distingués, pour expliquer la marche progressive du mouvement que les métaux précieux ont produit dans le monde, remontent jusqu'au commencement du siècle ; ils établissent que de 1800 jusqu'en 1848, par suite de la découverte de mines d'or dans l'Oural et en Sibérie, la masse d'or, existante dans la circulation, a augmenté de 58 p. c.

Voici les paroles de ces auteurs que j'emprunte à leur « Histoire des prix » où ils développent toutes les questions concernant les découvertes d'or dans leur plus grande étendue :

« L'extension donnée au commerce, à la population et aux entreprises en Europe et en Amérique a absorbé cette nouvelle masse d'or. »

Donc pas de baisse dans la valeur de l'or, malgré le grand accroissement de la production, qui a augmenté la nmsse existante de 58 pour cent.

Et chose remarquable, c'est que pendant la même période de 1800 à 1848, l'exploitation annuelle de l'argent a été en diminuant, dans la proportion de 1,23 à 1,10 pour cent, comme l'attestent les autres cités.

Mais à la suite de 1848, l'extraction annuelle de l'argent a augmenté aussi.

Voilà les faits. Quant à l'or, depuis 1848 jusqu'en 1856, la masse de ce métal a augmenté d'un tiers, qui a été également absorbé par le mouvement des affaires, d'après Tooke et Newmarch.

Ces auteurs estiment (leur ouvrage étant imprimé en six volumes, ces volumes ont différentes dates, mais la date, du volume que je cite est 1857 et ils remontent à 1856) que l'accroissement de l'or était en 1856 de 174 millions de livres sterling, depuis la découverte des mines de Californie et d'Australie.

Leurs paroles sont remarquables et se rapportent tout à fait à la question que nous traitons ici, dans ce moment.

J'avoue que l'opinion de ces savants économistes est un peu gênante pour mes adversaires et c'est peut-être la raison des distractions que je remarque.

« Il est manifeste, disent-ils, que le changement réel et vital qui s'est opéré par suite de cet accroissement a été une augmentation du bien-être réel dans le monde par un accroissement de la production et des entreprises et que les éléments de la circulation des prix ont plutôt baissé qu'augmenté de valeur (c'est dans l' « Histoire des prix » que ces messieurs s'énoncent ainsi) et n'ont pas été les résultats définitifs (ultimate results) mais des agents inférieurs et intermédiaires. »

Voilà l'opinion de Tooke et Newmarch. Quant à l'influence de l'or de Californie et d'Australie sur le commerce du monde, on doit dire que le commerce s'est développé au moins dans la même proportion ; il ne s'agit donc pas de parler de baisse d'or parce que le commerce en a eu besoin.

C'est ce qui est reconnu en France également, comme je viens d'avoir l'honneur de vous le faire voir, et récemment on y a constaté que pour le développement des affaires il faut 160 millions de francs par an ajoutés au capital monétaire existant et l'on remarque une tendance croissante dans la demande du numéraire, c'est ce que déclarent les directeurs de la Banque de France.

Messieurs, on a parlé beaucoup sur la question de l'escompte et sur celle du change.

Permettez-moi d'énoncer aussi brièvement que possible mon opinion à cet égard.

On a attribué l'augmentation de l'escompte à l'or.

Je suis persuadé que cela n'est pas fondé d'une manière générale et directe. Si l'or y a contribué, c'est comme l'argent et d'une manière indirecte.

Cet accroissement dans l'escompte dont on a parlé surtout depuis quelque temps, depuis qu'à Londres l'escompte est à 8 p. c, provient évidemment de la crise américaine, crise politique et sociale tout à la fois, crise qui a resserré les fonds et paralysé les banques, qui a forcé les banques des Etats-Unis à faire un appel à l'Angleterre, laquelle d'ailleurs avait à payer des sommes considérables à ce pays, par suite de la balance du commerce qui est en faveur des Etats-Unis.

L'Angleterre, à cause de l'insuffisance de la récolte, a été dans la nécessité d'envoyer des millions d'or en Amérique, et voilà pourquoi la Banque d'Angleterre pour conserver son encaisse métallique a dû recourir à la hausse de l'escompte.

Cela s'est fait sentir en France, parce que ce pays reçoit l'or par l'intermédiaire de la Grande-Bretagne.

Mais n'avons-nous pas vu le même phénomène en 1857 ? Nous avions alors, sous le rapport de l'invasion de l'or, les mêmes conditions qu'aujourd'hui.

Cette crise n'a cependant pas continué puisqu'il y a eu une baisse considérable dans l'escompte, pendant que l'or continuait d'affluer.

Il ne faut donc pas parler ici de l'invasion de l'or, car l'accroissement de la production de l'or ayant été constante, s'il fallait lui attribuer l'augmentation de l'escompte, cette augmentation aurait dû être permanente aussi.

Non, messieurs ; cela tient aux crises politiques, sociales ou financières de l'Amérique, au commerce, à l'ensemble des affaires.

D'ailleurs, il est une chose à remarquer, c'est que ce haut taux de l'escompte est celui de l'escompte officiel qui tient surtout, comme je le disais tout à l'heure, à la nécessité où se trouvent les banques de France et d'Angleterre de conserver leur réserve métallique pour faire face aux demandes qui seraient faites par les détenteurs de billets ; mais à côté (page 610) de l'escompte officiel, il y a l'escompte privé qui n'est pas tout à fait à la même hauteur, preuve que ce n'est pas l'or qui influe sur l'escompte plutôt que l'argent.

A côté de la cote dont il a été question, il se fait souvent des opérations d'escompte à un taux inférieur en dehors de la banque.

En 1856, pendant l'été, l'escompte a été à Londres de 3 1/2 p. c, et à New-York de 5 p. c. ; et ce n'était certes pas aux exportations d'or qu'était dû ce résultat. En Suisse, sous le régime de la loi actuelle du 31 janvier 1860, qui admet le cours légal de l'or de France, l'escompte a été de 4 1/2 p. c, et même à 3 1/2 et à 3 p. c. dans les relations privées, pendant qu'il était à Londres à 6 p. c. Encore une fois ces écarts n'étaient dus qu'au mouvement des affaires commerciales et industrielles combinées avec la situation politique.

Messieurs, j'ai cité tout à l'heure une grande autorité dans ces matières, celle de Tookec et Newmarch. Permettez-moi d'ajouter encore un mot que je leur emprunte au sujet de l'escompte. Ils traitent aussi la question de l'escompte dans ses rapports avec les récentes découvertes de mines aurifères ; et voici comment ils s'expriment à cet égard :

« Il n'est pas nécessaire, disent-ils, de faire ressortir l'absurdité d'une doctrine qui rattache le taux de l'intérêt au seul montant des agents de la circulation. » Ils traitent cela d'absurdité. !

« En 1852, disent-ils encore, l'escompte tomba lorsque déjà l'influence de la découverte des mines aurifères se faisait sentir, l'escompte tomba à 1 1/2 p. c. à Londres, non pas à cause des huit millions sterling d'or qui furent jetés sur le marché, mais parce que ces huit millions avaient été ajoutés au capital qui cherchait des placements et qui n'en avait pas encore trouvé. Mais qu'arriva-t-il aussitôt que ces huit millions eurent trouvé leur placement ?

« Il se produisit dans le commerce et dans l'industrie une surexcitation telle, que l'or devint insuffisant et alors le taux de l'escompte se releva.

Depuis l'été de 1853, l'escompte à Londres fut de 5 p. c.

Et voilà comment on explique ces oscillations, ces variations brusques dans le taux de l'escompte ; ce n'est pas l'or plutôt que l'argent qui en est la cause, ce sont les affaires commerciales et industrielles qui, par leurs rapports avec le capital monétaire, provoquent ces oscillations.

Quant au change, l'honorable M. Sabatier a traité cette question d'une manière si complète dans le remarquable discours qu'il vient de prononcer, que je pourrai m'abstenir de la traiter à mon tour. Cependant, je vous demanderai de pouvoir citer quelques faits, car j'ai souvent remarqué que les faits ont beaucoup plus d'autorité sur vos esprits que les théories les plus séduisantes, qu'il est facile d'exposer, puisque nous les savons par cœur, mais auxquelles on en trouve toujours à opposer en sens contraire ; et puisqu'on a parlé du change belge vis-à-vis de la Hollande, je m'appuierai d'abord sur des documents hollandais pour confirmer ce que nous a dit l'honorable M. Sabatier.

Vous connaissez tous, messieurs, l'ouvrage du savant ancien ministre des Pays-Bas, M. Vrolik, sur le système monétaire de ce pays.

Voici comment il s'exprime sur le change :

« Le change, dit-il, d'ici à Londres (c'était à la fin de 1849, lorsqu'on avait encore de fait le double étalon en Hollande) suivait naturellement la marche des grandes exportations de l'Angleterre comparées à ses importations.

« Lorsque l'Angleterre, à cause d'une mauvaise récolte, devait acheter plus de grains à l'étranger qu'elle ne pouvait payer en produits de son industrie, elle se voyait contrainte à exporter une partie de son numéraire, et l'on voyait baisser le change d'ici à Londres et circuler l'or chez nous.

« Quand, au contraire, c'était l'Angleterre qui avait exporté, en objets manufacturés, pour plus de valeur qu'elle n'en avait reçu du continent, le change était haut.

« Alors les pièces de 10 et de 5 florins faisaient agio chez nous et on les voyait disparaître de la circulation.

« Le prix de l'or, dit l'auteur, se réglait d'après le taux du change d'ici à Londres. »

Ce n'est donc pas le change qui se règle d'après la valeur de l'or, mais c'est le prix de l'or qui se règle d'après le change.

MM. Tooke et Newmarch parlent aussi du change et citent à ce sujet un fait très remarquable, puisqu'il est pris dans la comparaison de l'Angleterre avec deux pays ayant des étalons différents.

Ils comparent le change de Londres à Paris avec celui de Londres à Hambourg ; il s'agit donc de la France qui a le double étalon et de l'Allemagne qui a l'étalon d'argent. Voici comment s'expriment ces auteurs :

Le change de l'Angleterre sur Paris a baissé de francs 25-27 à 24-85 du 26 juillet 1830 au 21 décembre de la même année, et en même temps une baisse égale, savoir : de fl. 15-7 5/4 à 13 1/4 a eu lieu dans le change de Londres sur Hambourg à la même époque, aux mêmes dates.

Cette baisse a nécessairement été produite, disent-ils, par la surabondance d'effets de commerce sur Londres, et nullement, comme pourraient le soutenir nos adversaires, quant à Paris, à cause du double étalon, vu que le même effet s'était produit pour Hambourg qui a l'étalon d'argent. Cependant à cette époque l'influence de l'or se faisait déjà sentir.

Pour ce qui regarde la Hollande, j'ajouterai encore un mot, puisqu'un orateur dans une séance précédente s'est attaché particulièrement à montrer la différence qui existe en Belgique, quant au change, entre la France et la Hollande, et qu'il a dit qu'à raison de l'étalon d'argent, il y aurait avantage sur Amsterdam.

En admettant le fait, il faut voir s'il a toujours existé dans les mêmes circonstances et quelle en est la cause.

Voici ce que je lis dans le rapport de la commission monétaire de Hollande de 1856, page 60 et 61.

« Dans les dernières années avant 1856, le cours du change sur la Néerlande avait été notablement élevé (aanmerkelijk hooge wisselkoers) et même pendant un temps plus long que précédemment. (Langeren tijd achtereen dan het vroeger plagt te geschieden). Ce cours élevé est cité par la commission comme une des causes de l'importation de la monnaie belge en Néerlande mais non comme un effet de cette importation.

Ainsi le change s'est élevé à une époque où l'effet de l'or se faisait sentir, et c'est, dit la commission, une des causes par suite desquelles l'argent s'était infiltré de Belgique en Hollande.

Pourquoi ? Parce que la balance commerciale était en faveur de la Hollande, comme elle l'est encore.

Je citerai un fait, que j'ai avancé dans une lettre du 19 décembre 1860, insérée au Moniteur du 20 septembre, c'est que nous avons exporté en 1859, d'après nos statistiques officielles, 26 millions de francs en Hollande, parce que la balance du commerce qui est le fond de tout cela était en notre défaveur pour une somme de 34 millions. Le numéraire influe sur la balance du commerce ainsi que sur le change, lorsqu'il est traité comme objet de spéculation, ainsi qu'il l'est souvent aujourd'hui et dans de fortes proportions ; mais cela se rapporte beaucoup plus à l'argent qu'à l'or.

Messieurs, dans la question qui nous occupe, il est un point de vue essentiel, auquel on s'attache souvent et qu'on a fait valoir à plusieurs reprises dans la discussion actuelle, c'est l'intérêt des créanciers. On prétend que par suite de la situation qui nous est faite par l'invasion de l'or, les droits des créanciers seront lésés, si nous admettons l'or français à sa valeur nominale. Je tiens à répondre d'une manière catégorique à cette question ; c'est une question de justice et de morale, j'y attache beaucoup de prix ; je prie la Chambre de m'écouter encore pendant quelques instants, avec la bienveillance qu'elle a bien voulu m'accorder jusqu'à présent.

Voici comment s'exprime la commission française nommée en 1857 pour examiner les questions de monnaies, dans son rapport du 22 février 1858 :

« La commission tient à établir le droit qui appartient à tous les débiteurs et à l'Etat en particulier de se libérer en or tout aussi valablement et tout aussi légitimement qu'en argent. L'Etat ne viole point la loi, en faisant ses payements en or, car si la loi consacre l'argent comme étalon, elle établit concurremment une monnaie d'or, détermine l'équivalence entre les deux monnaies, les admet au même titre dans la circulation, les assimile enfin sans réserve. L'Etat ne viole pas plus l'équité que la loi ; car si l'on peut dire, d'un côté, qu'il est injuste de payer les créanciers avec le métal dont la valeur baisse, il ne l'est pas moins de forcer les débiteurs à se libérer avec celui dont la valeur hausse. L'objection peut donc être retournée contre ses auteurs. »

J'ajouterai qu'on est généralement créancier et débiteur, comme on est producteur et consommateur tout à la fois, sous différents rapports. Alors donc qu'on doit recevoir l'or, on peut aussi le donner en payement. Ainsi, il y a compensation.

Il y a quelque chose de plus formel, de plus décisif en matière de morale, en matière de droit. Je vous demande la permission de vous citer les paroles d'un économiste éminent qui est en même temps un jurisconsulte non moins célèbre, de M. de Parieu : Voici commentée savant écrivain s'énonce dans un profond article qu'il a publié en 1860, dans la Revue contemporaine de Paris.

(page 611) « Il s’agit d'un texte simple, élémentaire, qu'on trouve dans tout le droit moderne. L'article 1190 du Code Napoléon, dont le sens et les termes mêmes sont reproduits dans plusieurs Codes, tels que celui des Deux-Siciles et de la Sardaigne, et dans le droit commun allemand, porte que « le choix appartient au débiteur (d'une obligation alternative) s'il n'a pas été expressément accordé au créancier. » D'après le Code autrichien, dans les contrats unilatéraux, la présomption est toute favorable à l'obligé. Le Code bavarois consacre une disposition analogue. Ce système se trouvait déjà chez les jurisconsultes qui ont été les pères du droit rationnel, dans les lois 25 et 34, paragraphes 6, D., de contrahenda emptione. Il n'est que la conséquence d'une idée plus générale énoncée à l'article 1162 du Code Napoléon, à savoir que « dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation. »

« La préférence toute théorique donnée (par la loi de germinal an XI) au franc, n'est pas de nature à altérer le droit d’option, qui résulte pour les débiteurs des dispositions formelles de cette loi et jamais, à notre connaissance, aucun créancier n’a même été tenté de contester ce droit. »

Ce droit qui repose sur le double étalon a été contesté, en ce qu'au point de vue théorique on a prétendu que la France n'a admis que le seul étalon d'argent.

Celte théorie a été très bien réfutée, aux étals généraux de Hollande en 1845, dans une discussion approfondie sur la matière qui nous occupe aujourd'hui ; les mêmes idées qu'on avance ici, y ont été énoncées en sens divers ; mais il a été établi que le double étalon résulte de ce que les deux monnaies doivent y être reçues pour tous les payements quelconques sans restriction.

Il n'y a donc pas à argumenter de la contradiction que l'on veut trouver entre la loi de germinal an XI et l'exposé des motifs de la même loi, pour prétendre qu'il n'y a qu'un seul étalon en France.

C'est de la théorie pure. Il y a deux étalons, tous les auteurs pratiques sont d'accord là-dessus et les orateurs hollandais dont je viens de parler n'ont pas émis le moindre doute à cet égard ; ils ont dit qu'il y a deux étalons du moment que les deux monnaies doivent être reçues sans limite. Un étalon est constitué comme seul du moment qu’il y a une limite opposée à l'autre, comme en Angleterre, comme aux Etats-Unis ; mais seulement alors. Ainsi en Angleterre on ne doit recevoir l'argent que jusqu'à concurrence de deux livres sterling. Voilà ce qui a été démontré aux états généraux de Hollande dans la mémorable discussion qui eut lieu, en 1845. La Néerlande se trouvait alors sous le régime du double étalon.

Quant au double étalon, puisque j'ai prononcé ce mot, je me suis énoncé plus d'une fois à cet égard. J'ai dit, dans mon travail sur la question monétaire, et je reconnais encore que le double étalon a des inconvénients ; mais je suis tout aussi persuadé qu'on exagère beaucoup ces inconvénients, en ce sens que l'on ne tient pas compte de la pratique.

En pratique, les inconvénients se corrigent surtout parce que, dans les pays à deux étalons, on ne fabrique guère de la monnaie que dans l'étalon le plus favorable, par conséquent un seul étalon domine de fait, bien qu'il y en ait deux consacrés par la loi.

Ainsi l'étalon d'or domine aujourd'hui en France, il y existe de fait. C'était l'opposé avant 1850.

Quant à l'Angleterre, elle a été sous le régime du double étalon pendant près d'un siècle, de 1717 à 1816. Et pourquoi a-t-elle abandonné ce régime et comment en est-elle sortie ?

Après bien des hésitations ; après que l'étalon d'or avait dominé de fait, c'est le fait qui a constitué le droit, comme cela arrive presque toujours en Angleterre ; parce que, comme j'ai eu l'honneur de vous le démontrer tout à l'heure, l'or avait beaucoup augmenté, il avait augmenté de 1800 à 1848, à raison de sa supériorité, dans une proportion de,58 p. c. Et l'Angleterre, qui, en matière de commerce et d'industrie, découvre des horizons beaucoup plus larges que les autres nations du monde, avait déjà vu ce qu'il y avait à faire dès 1816.

Nous pouvons la suivre. Mais si nous la suivons sur le terrain de l'étalon d'or, il convient aussi de la suivre sur le terrain de la prudence. Elle nous a donné l'exemple de la prudence en cette matière comme dans beaucoup d'autres. L'Angleterre procède presque toujours de cette manière en ce qui regarde les lois à porter, en ce qui regarde les mesures à prendre. Elle avance toujours lentement, prudemment. C'est ce que nous devons faire aussi, surtout dans une matière aussi délicate que celle dont il s'agit.

Messieurs, écoutez encore quelques paroles de M. Van Hall, le célèbre ministre des finances, quant au double étalon. Voici comment il s'est énoncé dans cette séance mémorable dont je vous parlais tout à l'heure, dans la séance des états généraux du 28 avril 1845.

« Dans l'exécution d'un contrat, dit ce célèbre financier (il faut bien l'appeler de ce nom), la baisse ou la hausse du métal se fait sentir de la même manière, sous le régime du double étalon comme sous celui de l'étalon unique ; car la valeur de l'un des métaux s'exprime toujours dans celle de l'autre, comme l'a très bien fait comprendre le profond Huskisson (de scherpzinnige Huskisson), en disant que « lorsqu'il est question du prix de l'or et de l'argent, cela ne peut s'entendre que de l'un par rapport à l'autre. »

Du reste, messieurs, nous ne prétendons pas trancher la grave question du double étalon d'une manière définitive, en ce moment, et nous avons proposé en section centrale le retour à la loi de 1832, comme mesure provisoire, et à cause des difficultés dans lesquelles on se trouverait lancé si l'on voulait aborder un système radical avant que la France, qui est le grand marché monétaire du continent, se soit prononcée. Car il ne s'agit pas ici de susceptibilité nationale ; le fait est là : c’est la France qui est le grand réservoir monétaire de l'Europe ; il faut donc subir ce fait comme on l'a subie en Suisse. On ne peut s'y soustraire, et il serait téméraire, selon moi, de vouloir devancer la France, quant à l'adoption d'un système définitif C'est ce qui a été proclamé par presque tous les cantons helvétiques, qui certes ne manquent pas de patriotisme.

J'avais, quant à moi, pensé qu'il serait peut-être avantageux d'adopter complètement le système suisse en cette matière, et par conséquent de nous écarter tant soit peu du système français en ce qui concerne la monnaie divisionnaire.

J'ai même fait cette proposition en section centrale, dans le projet de loi, inséré au rapport. Je l'ai fait avec conviction, je suis persuadé que tôt ou tard la France devra adopter ce système. Mais, je dois l'avouer, je n'ai pas rencontré d'appui sous ce rapport dans la section centrale et j'ai tenu ma proposition en réserve. Je ne crois pas non plus que la majorité de la Chambre reconnaisse que le moment est arrivé d'entrer dans cette voie.

Dans le rapport de la commission monétaire française de 1857, que j'ai déjà eu l'honneur de vous citer, on énonce aussi le système d'une monnaie divisionnaire à un titre inférieur, comme une mesure qui devra être adoptée, si, dit-on, la hausse de l'argent continue. Je n'avais pas encore lu ce rapport lorsque j'ai émis ma proposition. Il n'a pas été imprimé ; il nous a été communiqué par écrit en section centrale.

Mais par ce rapport j'ai vu que la commission monétaire de France adopte ce système au fond et en principe. Voyant d'un côté que la France ne tardera pas à entrer dans cette voie, et, de l'autre côté, que mon opinion sur ce point n'avait pas eu d'appui en section centrale, j'ai cru ne pas devoir insister sur cette partie de ma proposition et je me borne à demander le retour à la loi de 1832, pour l'admission de l'or français à sa valeur nominale et pour la fabrication d'or belge, d'après la susdite loi, sauf à ajouter des pièces de 5 et de 10 fr. en or. On pourra émettre plus tard un billon d'argent, dont le besoin, je pense, ne tardera pas à se faire sentir. Si cependant la proposition était renouvelée, je m'y rallierais.

Messieurs puisque j'ai traité un point qui se rapporte particulièrement à la Suisse, je crois devoir répondre un mot à ce que l'honorable M. de Boe, au talent duquel je dois rendre hommage, a avancé hier, au sujet de la loi suisse du 31 janvier 1860, qui a décrété le cours légal de l'or français.

L'honorable membre, tout en citant, d'une manière extrêmement flatteuse pour moi, un passage d'un écrit que j'ai publié récemment, a émis l'opinion que la loi dont il s'agit, a été adoptée en Suisse par suite de la grande invasion de l'or, qui était reçu par les banques et dans les caisses publiques à sa valeur nominale. L'inondation de l'or était telle, a dit l'honorable député d'Anvers, que la Suisse ne pouvait point s'y soustraire, et elle en a légalisé le cours, tout en reconnaissant ce qu'on appelle les inconvénients de l'affluence de ce métal. Je dois le dire, messieurs, cela n'est pas exact. Puisque la confédération helvétique, après avoir repoussé l'or français en 1850, l'a rétabli par la loi en 1860, elle doit avoir eu sans doute de graves motifs pour agir ainsi, et c'est pourquoi j'appelle l'attention sérieuse de la Chambre sur l'exemple de la Suisse, que la Belgique, selon nous, doit imiter dans cette matière.

Voici, messieurs, quels ont été les véritables motifs de la Suisse : (page 612) la loi a eu pour but de faire comprendre à la nation que l'or serait le seul étalon qui fonctionnerait comme grosse monnaie.

Remarquez que la Suisse n'a jamais battu de monnaie d'or, et à cause des théories qui existaient relativement à la baisse de l'or, le public craignait beaucoup que la loi de 1850 ne fût exécutée dans toute sa rigueur quant au seul étalon d'argent qui existait alors.

Et comment l'or avait-il débordé les banques et les caisses publiques ? C'est par suite d’une exception formulée dans la loi de 1850. Il avait été dit dans cette loi que l'or pouvait être accepté par exception dans certaines caisses et par suite des besoins qui se feraient sentir.

Mais l'exception était devenue la règle. Voilà comment l'or était reçu partout en Suisse à sa valeur nominale.

Mais comme cela n'était pas légal et que, d'un autre côté, l'on parlait constamment de la baisse énorme de l'or, le public était dans une grande inquiétude et craignait que l'or ne continuât point à être reçu dans les caisses publiques. La grande majorité des cantons voulait l'or et l'on a cru devoir sanctionner ce vœu par la loi. L'or avait rencontré quelque résistance et l'on voulait y mettre fin. De plus, les inquiétudes dont je viens de parler avaient produit un autre inconvénient, c'est que l'argent se cachait totalement, et la loi était devenue nécessaire pour faire rentrer ce métal dans la circulation.

Dans la pensée que l'argent serait devenu le seul étalon monétaire en réalité, comme il l'était en vertu de la loi, on le cachait, pour pouvoir l'utiliser plus tard.

Le second motif de la loi c'était de régler ce qui concerne les monnaies divisionnaires.

Ces monnaies avaient disparu et je dois dire en passant qu'en Suisse la monnaie de nickel a été parfaitement reçue, on en est très content, comme on est très content de l'or français, d'après le journal de Berne, le Bund, du mois dernier. Elle a été fabriquée avec un faible alliage de cuivre et un peu d'argent, et à part la petite usure qui se produit, naturellement sur cette monnaie, on la trouve très bonne.

Je n'entre pas dans la question de savoir si notre monnaie de nickel est fabriquée dans les mêmes conditions, mais d'après tout ce que j'entends je suis porté à croire qu'on n'a pas réussi chez nous comme en Suisse.

En 1859, on avait abaissé en Suisse le titre des pièces de 20 centimes, en y mêlant un peu de cuivre, mais ces pièces sont devenues rougeâtres et on a dû les supprimer.

Le nickel au contraire est très recherché.

Messieurs, quant au double étalon dont on a beaucoup parlé, j'en reconnais, je le répète, les inconvénients, mais sans vouloir les exagérer, Je ferai connaître un fait qui prouve que, sous le régime de l'étalon unique, on n'est pas à l'abri des inconvénients que l'on croit devoir rencontrer dans le système du double étalon et que l'on y rencontre, en effet, quelquefois à un certain degré.

Ainsi, messieurs, en Hollande d'après la commission monétaire de 1856 que j'ai déjà citée, on a vu se produire pour nos pièces d'argent ainsi que pour le thaler et ses sous-multiples, frappés, notez-le bien, à un titre inférieur, les mêmes inconvénients que l'on attribue au double étalon. Les provinces limitrophes de la Belgique et de l'Allemagne étaient inondées de monnaies étrangères, dit le rapport au Roi, on avait cherché à éviter cet inconvénient, et à cet effet, on avait coté très bas la pièce de 5 francs et le thaler.

La pièce de 5 francs n'était reçue dans les caisses publiques des frontières que pour 2 fl. 33 cent., tandis qu'au titre monétaire elle vaut 2 fl. 38 j il y avait donc 5 cents de différence.

C'était une différence énorme qui a permis à la Hollande de battre monnaie, de convertir les pièces de cinq francs en florins sans qu'elle eût à supporter les frais de fabrication, c'est ce qu'atteste la commission.

Mais dans le public, la pièce de 5 francs était reçue à un taux plus élevé, elle était reçue à 2 fl. 35, 2 fl. 36 et même à 2 fl. 40 d'après les localités.

Il se faisait à cet égard une énorme spéculation, contre laquelle s'élèvent les membres de la commission.

Les receveurs sont même accusés de s'être livrés à ce trafic. Ces plaintes n'étaient que trop fondées ; mais elles prouvent que l'unique étalon d'argent n'avait pas pu exclure l'argent étranger de la Hollande, pas plus qu'il ne peut exclure l'or de chez nous.

La commission de 1856 signale dans son rapport au Roi des changeurs, des spéculateurs belges qui s'étaient abattus sur les Pays-Bas pour y faire des échanges, et qui portaient les pièces à la banque d'Amsterdam ; aussi, les statistiques anglaises nous ont-elles signalé une exportation d'argent de Hollande assez notable, mais comme un commencement de drainage d'argent dans ce pays.

Le titre de l'argent chez nous est inférieur à celui de l'argent en Hollande ; relativement à l'or, il est chez nous comme 1 est à 15 50 ; et en Hollande, il est comme 1 est à 15 60.

L'argent belge avait donc envahi les provinces limitrophes et était l'objet d'une grande spéculation dans ce pays.

On y faisait la même opération sur nos pièces de deux centimes ; elles étaient recueillies en masse, et je lis dans le rapport déjà cité qu'elles étaient exportées de chez nous, surtout de Liége vers Maestricht. On en faisait des rouleaux de 50 pièces, qu'on donnait pour des demi-florins qu'on recevait et qu'on était même obligé de recevoir par la concurrence pour des centaines de florins, même pour 500 florins, sous cette somme qu'on appelait des pièces de 5 francs en cuivre, (koperen vyf franken stukken et vulgairement knappers). Quelquefois même on mettait dans les rouleaux des pièces de cuivre d'un diamètre plus petit que celui dos pièces de deux centimes et pour tromper les doigts, on remplissait, sous le papier, les cavités au moyen d'un certain enduit.

Vous voyez qu'on ne peut pas se préserver des inconvénients signalés quant au double étalon, par cela seul qu'on renonce à cet étalon et qu'on établit un étalon unique. Cet exemple est frappant.

La Hollande a pris des mesures énergiques contre l'invasion des pièces belges de deux centimes ; preuve que la monnaie n'est pas considérée dans les Pays-Bas, comme une marchandise ordinaire, puisque ce pays est, après tout, un des pays les plus libéraux en fait de douanes et que cependant les pièces belges de deux centimes y sont prohibées.

La dernière défense est du 16 avril 1860, signée Van Hall, ministre des finances.

Toutefois, les mesures prises ont eu pour effet d'arrêter en grande partie l'invasion des pièces belges de deux centimes qui exerçaient un véritable ravage dans le système monétaire de la Hollande

Mais qu'est-il arrivé ? D'après le même rapport de la commission de 1856, on a substitué des pièces de 20 centimes aux pièces de 2 centimes, et on a fait valoir les pièces de 20 centimes pour des pièces de 10 cents.

La différence du titre monétaire et de valeur exerce tout autant d'influence dans le système d'un seul étalon que dans celui qui en reconnaît plusieurs. Par conséquent il est impossible que vous soyez jamais maîtres de la situation, et c'est pour cela qu'en ce qui me concerne, je dois approuver le système qui semble devoir prévaloir en Europe et qui tend à introduire une monnaie universelle.

Je crois que c'est le système le plus rationnel, à moins qu'on ne veuille revenir aux monnaies provinciales et cantonales de l'Allemagne et de la Suisse d'autrefois. C'est là encore une raison de ne pas se hâter à établir un système définitif, surtout avant que la France ait pris une décision.

Messieurs, on a dit, dans une séance précédente, que nos pièces de 20 francs ne donnent plus lieu à une perte aussi considérable, puisque ce n'est plus que de 4 centimes par pièce ; cela est vrai ; mais on ne peut pas en conclure que l'argent nous est revenu.

Voici ce qui explique ce fait : c'est que dans ces derniers temps on a exporté beaucoup plus d'or, par suite des grands besoins qui se manifestaient en Amérique.

A mesure qu'on a exporté de l'or, l'or a dû nécessairement hausser, surtout en Belgique où il n'est que marchandise. Il est dès lors facile de comprendre que par suite de cette grande exportation d'or, la perte a été moins forte sur ce métal qui a dû hausser de prix. C'est la diminution de la quantité d'or qui a produit cet effet, et non l'augmentation de la quantité d'argent existante en Belgique.

Messieurs, dans la section centrale, j'ai proposé, d'accord avec mon honorable ami M. Dumortier et l'honorable M. Savart, le système qui tend à remettre en vigueur la loi de 1832, en ce qui concerne la fabrication d'une monnaie d'or nationale et l'admission de l'or français au cours légal.

Il est évident que nous ne pouvons pas nous tenir au seul étalon d'argent, eu égard aux immenses exportations qu'on fait de ce métal ! L'argent devient un mythe.

Il est vrai que la Hollande possède encore une masse d'argent. Mais je vous ai fait voir ce qui s'est passé, sous ce rapport, dans ce pays.

L'Allemagne se soutient avec ce système, mais comment ? Avec une monnaie divisionnaire réduite de valeur et à l'aide de monnaie en papier, dont les coupures vont jusqu'à 3 fr. 75, et qui est dépréciée dans quelques endroits à cause de son abondance.

Sans doute on ne voudrait pas prôner ce système en Belgique ! Et il nous serait impossible de l'adopter, comme il nous serait également impossible d'admettre le système hollandais, qui d'ailleurs n'exclurait de Belgique ni l'argent ni l'or de France.

(page 613) Messieurs, faut-il taxer l'or ? Voilà la véritable question qui nous divise. La plupart de nos adversaires semblent vouloir revenir à la tarification de l'or.

J'ai déjà plusieurs invoqué l'autorité de la commission monétaire de France ; et, permettez-moi de vous dire que de tous les systèmes, c'est la tarification de for que la commission, composée de spécialités éminentes, a repoussé avec le plus de vigueur à douze membres contre un se sont prononcés contre ce système.

Ainsi il ne peut pas être question d'avoir reçois à un pareil système.

Faut-il admettre l'étalon d'or et démonétiser l'argent par la loi ? Je reconnais que rigoureusement cela serait logique. Mais, comme nous aussi, l'Angleterre a vécu pendant près d'un siècle et a atteint sa grande prospérité sous le régime du double étalon.

La France annonce l'intention de consacrer définitivement l'étalon d'or, qui existe déjà chez elle de fait et qui existait en Angleterre avant 1816, de la même manière.

A mon avis, il convient d'accepter la loi de 1832 ou plutôt de la restaurer, puisque la loi de 1850 n'a été votée que comme loi de circonstance et que les circonstances sont changées.

Ainsi, l'étalon unique n'est pas une panacée monétaire, comme on ne cesse de nous le dire.

Messieurs, on a cité hier, contre nous, une grande autorité, celle de Robert Peel, c'est à tort, d'après moi.

Je tiens, avant de terminer, à citer aussi quelques paroles de Robert Peel.

Savez-vous ce qu'il disait à propos de l'importance de l'or dans la séance du 20 mai 1844 au parlement anglais ?

« Nous avons l'or comme étalon et nous conserverons l'or. » Et il consacra les trois quarts de son discours à démontrer l'utilité de ce régime monétaire.

Telles étaient les paroles de Robert Peel en opposition avec celles de quelques théoriciens qui voulaient qu'on abandonnât l'étalon d'or, à cause de l'accroissement que la production de ce métal avait pris depuis l'an 1800.

Ne nous laissons donc pas entraîner par des théories plus ou moins séduisantes, plus ou moins brillantes et spécieuses, et disons avec les auteurs que je vous ai déjà cités à plusieurs reprises, Tooke et Newmarch, que « la théorie abstraite qui fait dépendre constamment les prix des choses de la quantité de monnaie est pour plus d'une raison (on several grounds) un exemple frappant des conséquences trompeuses auxquelles on arrive, quand on traite les questions d'économie politique comme des problèmes de géométrie. »

Si cette manière de traiter les questions économiques n'exerçait pas une influence fâcheuse sur le bien-être matériel de nos populations, je ne m'arrêterais pas à réfuter ces théories. Mais y a-t-il quelqu'un d'entre vous, messieurs, qui, à propos de la question de l'or qui agite si profondément et si universellement le pays, osera dire : Périssent les colonies plutôt qu'un principe ?... Quant moi, jamais !

M. de Brouckereµ. - Messieurs, je demande la parole pour présenter à la Chambre une seule observation.

Un économiste distingué a publié, ce matin, dans un des journaux les plus répandus et les plus influents de la capitale, un article sur la question qui nous occupe.

Dans cet article, je lis qu'il résulte du rapport de la commission monétaire que les pièces de 5 fr. belges perdent, en ce moment, sur leur poids de 1 à 5 p. c, et que les pièces de 5 fr. françaises, lesquelles pièces sont en circulation pour 6/7, perdent de 4 à 8 p. c.

Or, c'est là une erreur grave.

Le rapport, que l'on cite, constate que les pièces belges perdent, de 1 à 5 pour mille et non pour cent, et les pièces françaises de 4 à 8 pour mille, et non pour cent.

Vous comprenez, messieurs, que si une semblable erreur trouvait créance, si elle venait à se propager, elle serait de nature à émouvoir considérablement l'opinion publique et à l'agiter. C'est pourquoi, je crois convenable de la réfuter dans cette enceinte.


MpVµ. - Messieurs, notre honorable collègue M. de Liedekerke me prie de demander pour lui un congé de quelques jours à la Chambre.

- Accordé.

La séance est levée à 5 heures.