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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 2 mars 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 713) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le général-major Winssinger propose des mesures tendantes à réparer le mal fait par les inondations à l'amont de Bruxelles et à certains quartiers de cette ville. »

MpVµ. - Je propose le renvoi à la commission des pétitions.

M. Van Humbeeck. - Je demande que cette pétition fasse l'objet d'un prompt rapport.

- Adopté.

Composition des bureaux de sections

Les bureaux des sections, pour le mois de mars 1861, ont été constitués ainsi qu'il suit :

Première section

Président : M. de Renesse

Vice-président : M. de Ruddere de Te Lokeren

Secrétaire : M. Orban

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Deuxième section

Président : M. de Bronckart

Vice-président : M. de Moor

Secrétaire : M. Goblet

Rapporteur de pétitions : M. de Portemont


Troisième section

Président : M. Van Leempoel

Vice-président : M. Laubry

Secrétaire : M. J. Jouret

Rapporteur de pétitions : M. Jacquemyns


Quatrième section

Président : M. Van Iseghem

Vice-président : M. Snoy

Secrétaire : M. Mouton

Rapporteur de pétitions : M. Beeckman


Cinquième section

Président : M. Van Overloop

Vice-président : M. Savart

Secrétaire : M. Braconier

Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe


Sixième section

Président : M. le Bailly de Tilleghem

Vice-président : M. M. Jouret

Secrétaire : M. Tack

Rapporteur de pétitions : M. Julliot.

Proposition de loi relative à la monnaie d’or

Discussion générale

M. de Haerne. - Messieurs, j'ai demandé la parole dans une séance précédente pour répondre aux objections qui m'avaient été adressées par quelques honorables membres.

Le discours remarquable qu'a prononcé, dans la séance d'hier, l'honorable M. Orts m'engage à faire d'abord quelques observations sur ce qu'il a dit et à démontrer que je ne puis pas me rallier à ses conclusions, tout en rendant hommage au talent qu'il a déployé.

Je commencerai, messieurs, par faire une observation relativement à quelques votes que l'honorable membre a rappelés hier en s'adressant à mon honorable ami M. Dumortier, votes relatifs à la loi de l'impôt des successions en ligne directe et à la loi d'abolition des octrois.

Je dois dire que ce reproche plu -ou moins indirect ne m'atteint pas, parce que j'ai voté pour la première de ces lois telle qu'elle nous était revenue amendée par le Sénat, et que je me suis abstenu sur la seconde après l'amendement introduit aussi par le Sénat.

J'avais compris que ces deux lois pouvaient avoir tôt ou tard une fâcheuse influence politique, et c'est une des raisons pour lesquelles j'ai voté comme je viens de le dire.

L'honorable membre en s'adressant encore à l'honorable M. Dumortier a parlé d'une espèce de mépris que nous professerions pour les théories, pour la science.

Personne, messieurs, n'est plus ami que moi de la science.

La science économique a fait l'objet de mes études depuis que j'ai eu l'honneur de faire partie du Congrès national, parce que depuis cette époque j'avais compris l’importance de ses applications à nos débats.

Et puis je rattache cette science à tous les intérêts matériels et moraux et même indirectement aux intérêts religieux.

C'est pour vous dire jusqu'à quel point je l'estime.

Mais ce n'est pas à dire que parce qu'on estime la science on tombe toujours d'accord avec d'autres sur les conclusions. Au point de vue que je viens d'indiquer, je ne m'écarte pas beaucoup de l'opinion de l'honorable M. Pirmez, qui a bien voulu nous dire que la théorie n'est pas autre chose que les faits appliqués ou la conclusion qu'on tire des faits.

Il en résulte, comme je l'ai dit dans un discours prononcé ici, le 27 février 1838, que la science est essentiellement progressive, comme la politique, dont l'économie politique fait évidemment partie.

C'est parce que les faits n'ont pas été bien posés que l'on aboutit dans cette discussion à des conclusions erronées, selon moi, et c'est précisément pour rétablir la théorie sur ce que j'appelle les faits réels, que je citerai un certain nombre de faits et de chiffres pour répondre aux objections qui ont été faites et à certains arguments qui ont été avancés particulièrement dans la séance d'hier.

Ainsi, messieurs, hier l'honorable M. Orts nous disait, à propos de la monnaie divisionnaire, que notre monnaie divisionnaire s'exporterait en France, du moment que nous aurions adopté la proposition que j'ai signée avec l'honorable M. Dumortier. Et d'abord, il disait : La monnaie divisionnaire ne s'est pas exportée d'Angleterre. Or, c'est là un fait, messieurs, qui n'est rien moins qu'exact, et je dirai qu'avant que la spéculation ou ce qu'on appelle en Angleterre le drainage d'argent sur le continent, avant que celle spéculation ne fût organisée et lorsque le commerce de l'Orient commençait à prendre le vaste développement qu'il a aujourd’hui, la monnaie divisionnaire échappait à la Banque d'Angleterre, savoir de 1846 à 1852 ; et vous pouvez consulter à cet égard un auteur éminent, M. Stirling, dans son ouvrage publié en 1855 sur les nouvelles découvertes de mines d'or. Vous y verrez que la monnaie divisionnaire s'exportait dans une telle proportion, à cette époque, que l'on proposait sérieusement de la réduire de valeur, malgré la réduction immense, de plus de 7 p. c.,. qu'elle avait déjà subie. Voilà les faits, messieurs ; et, pour le dire en passant, ceci prouve que ce n'est pas l'or qui a chassé l'argent, mais l'argent qui a commencé à émigrer pour satisfaire aux besoins immenses du commerce oriental.

L'honorable M. Orts nous disait hier, en faisant le parallèle entre notre situation et celle de la France, que celle-ci est plus déplorable que la nôtre. Il est possible, messieurs, qu'on se plaigne plus en France ; cela peut tenir à ce que les Français sont plus vifs que nous ; mais ce que je conteste, c'est qu'on y souffre comme chez nous, c'est qu'il y ait des pertes. Il y a de la gêne là comme ici par suite des immenses exportations d'argent de France ; mais comme les deux étalons y sont dans un rapport constant, il est évident qu'on n'y est pas exposé, dans les transactions ni entre particuliers, ni dans le commerce, ni dans le payement des impôts, aux pertes que l'on doit forcément subir ici. Voilà, messieurs, la différence qu'il y a entre la France et la Belgique : si l'on est gêné dans les deux pays, on ne perd pas en France comme en Belgique. Or, ce sont ces pertes surtout qui ont soulevé des réclamations dans notre pays.

On dit encore qu'en France personne n'approuve le système établi aujourd'hui.

Cela est vrai, messieurs, et la commission de 1857, dont le rapport a été publié en 1858, est formelle à cet égard. Mais cette commission fait comprendre que si la hausse sur l'argent continue (ce sont ses expressions), il faudra bien en venir à adopter un système nouveau qui sera, au fond, celui de l'Angleterre ou des Etats-Unis.

Voilà comment s'exprime la commission.

Et si nous consultons les auteurs qui ont écrit en France et particulièrement M. Léon, qu'a cité hier l'honorable M. Orts, nous découvrons les causes de la situation où se trouve la France ; nous y voyons les raisons pour lesquelles la France jusqu'ici n'a pas adopté un nouveau système.

M. Léon s'exprime, à cet égard, de la manière la plus claire, la plus catégorique : C'est parce que, d'après ce qui s'est passé dans les congrès industriels internationaux, on a l'espoir d'aboutir bientôt à un système de monnaie qui puisse être adopté par les principaux peuples du monde, pour l'industrie et le commerce, si ce n'est par toutes les nations.

(page 714) On croit que la France changera son système du moment qu'elle sera d'accord avec l'Angleterre et les Etats-Unis et que le système adopté par ces trois grandes nations deviendra universel.

Voilà pourquoi la France ne se prononce pas.

Nous ne sommes certes pas dans la position de la France, nous n'avons pas dans le monde une influence égale à celle qu'y exerce cette nation, mais nous devons nous régler sur la France, non à raison de la solution générale de la question, dans l'avenir, mais à cause de la communauté monétaire qui existe entre la France et la Belgique.

Comme je l'ai dit dans la séance du 21 février, nous n'avons pas proposé un système définitif, mais un système provisoire en attendant les décisions qui seront prises plus tard par la France.

Pour dire encore un mot de la monnaie divisionnaire dont a parlé l'honorable M. Orts, car il s'est beaucoup occupé de cette matière ; si vous adoptez la proposition de M. Dumortier, a-t-il dit, vous verrez nécessairement s'expatrier voire monnaie divisionnaire ; elle s'en ira surtout en France.

Ces craintes sont exagérées. Je vais vous dire pourquoi. Je m'attache aux faits.

En 1857-1858 notre monnaie divisionnaire s'exportait beaucoup en France, parce qu'alors nous avions beaucoup moins de pièces frustes de poids.

Mais le nombre des bonnes pièces étant devenu beaucoup moindre, ce trafic ne se fait plus.

Si d'honorables membres contestaient ce fait, je pourrais leur citer les noms des négociants qui se livraient à ce commerce ;ils ne le font plus parce qu'ils n'y trouvent plus d'intérêt.

Si vous admettez la monnaie d'or, nous dit-on, elle chassera l'argent, surtout la monnaie divisionnaire.

Ce n'est pas tant l'or qui chasse l'argent, dans les circonstances actuelles, que l'argent qui s'expatrie à cause de l'agio donné par l'Angleterre pour en avoir. L'effet de l'or est très secondaire, sous ce rapport.

Je m'attache encore aux faits pour le démontrer.

Voyons l'usure constatée officiellement sur nos pièces divisionnaires.

Sur la pièce de 1 franc elle est de 7 p. c, sur la pièce de 50 centimes elle est de 10 p. c.

La monnaie divisionnaire d'Angleterre est réduite de 7.87 p. c. à peu près dans sa valeur intrinsèque. Elle ne s'exporte plus ; elle s'exportait avant 1852, parce que le drainage de l'argent n'était pas encore organisé sur le continent.

Nos pièces d'un franc et d'un demi-franc, qui sont les principales espèces divisionnaires, sont donc sauvées aussi longtemps que le shilling ne s'exporte pas d'Angleterre.

Lorsque cette usure a été constatée sur nos monnaies d'argent, elle n'était pas si forte qu'aujourd'hui, elle s'est augmentée depuis ; il faut ajouter l'agio, la commission des spéculateurs qui exportent ; le franc et le demi-franc nous resteront donc aussi longtemps qu'on n'enlèvera pas le shilling anglais.

Dans le Piémont que se passe-t-il ? Le Piémont est dans la position qui nous serait faite si notre proposition était adoptée. Le Piémont et tout le nord de l'Italie ont une monnaie divisionnaire, et de quoi se compose-t-elle ?

Précisément comme celle que nous avons, en très-grande partie de pièces françaises usées ; et voilà comment le Piémont conserve sa circulation monétaire. Ce n'est pas une situation agréable ; on désire en sortir. Mais le Piémont raisonne comme la Suisse a raisonné, comme nous raisonnons nous-mêmes : attendons, se dit-on, ce que fera la France, vu que la France est le grand marché monétaire du continent.

On a beaucoup parlé de l'escompte. L'honorable M. Orts a renouvelé hier les observations qui avaient été faites précédemment à ce sujet, par plusieurs honorables membres. Je ne répéterai pas les arguments que j'ai fait valoir en sens contraire, parce qu'à mon avis on n'a pas répondu à ces arguments qui tendaient surtout à faire voir que le secret des oscillations qui se présentent dans l'escompte repose sur le mouvement du commerce.

J'ai cité à cet égard des faits péremptoires qu'on n'a pas détruits. Mais je me permettrai de dire qu'à une époque antérieure et lorsque déjà l'affluence de l'or était très grande, savoir en 1852, il y avait en Angleterre et en France, mais surtout en Angleterre, des opinions tout à fait contraires à celles qu'on émet aujourd'hui. Les journaux, les revues, les orateurs soutenaient qu'à raison de la grande affluence de l'or, le taux de l'escompte devait être très bas, et par conséquent le taux de l'intérêt de l'argent aussi.

En effet, en 1852, le taux de l'escompte tomba, à Londres, à 1 l/2 p. c. Est-ce à dire que c'était l'effet de l'invasion de l'or ? En aucune manière. Huit millions de livres sterling d'or et d'argent nouveaux étaient venus sur le marché de Londres, et comme à cause de cette affluence de métal le taux de l'intérêt était baissé, on voulait établir en règle générale que l'escompte devait nécessairement rester bas, surtout à cause de cette grande quantité d'or venant de la Californie et de l'Australie.

Celte opinion, qui était presque générale, fut surtout défendue par un membre du parlement, M. Lalor. Mais elle ne se soutint pas, et déjà en 1853, on vit le taux de l'intérêt s'élever d'une manière considérable ; bientôt il s'éleva à 5 p. c. et il n'est guère, descendu depuis lors.

Maintenant veut-on attribuer à l'or la hausse survenue sur le taux de l'intérêt depuis 1853 et dire qu'il n'était pour rien dans la grande baisse survenue en 1852 ? Je ne dirai pas que l'or n'était pour rien dans ce phénomène économique. Mais comme je l'ai fait remarquer dans mon premier discours, l'or comme l'argent n'y étaient pour quelque chose que d'une manière indirecte, en tant qu'instrument nécessaire du commerce et de l'industrie. Et pourquoi l'escompte s'est-il élevé en 1853 et s'est-il soutenu au taux de 5 p. c. au moins pendant les années suivantes, jusqu'en 1856 ?

Parce qu'alors, grâce au bas taux de l'intérêt préexistant, les affaires avaient pris un immense développement, comme cela arrive presque toujours à la suite d'une période où le taux de l'intérêt a été très bas. Car tout le monde s'empare des capitaux, lorsqu'ils sont à bon compte, et se jette dans la spéculation ; celle-ci devient outrée, exagérée et alors les entreprises prenant de grands développements, les capitaux manquent, et il faut que le taux de l'escompte s'élève.

Voilà le jeu de l'escompte qui repose sur le mouvement du commerce, de l'industrie, des entreprises. Et sous ce rapport, vous ne pouvez faire une distinction entre l'or et l'argent. C'est le capital monétaire, tant en argent qu'en or, qui est le grand instrument de ces opérations, sur lesquelles se règle l'escompte.

Du reste, messieurs, comme je l'ai déjà dit dans mon premier discours, ces oscillations ne se sont pas seulement présentées dans les pays qui ont le seul étalon d'or ou les deux étalons, mais elles se sont présentées aussi dans les pays où existe le seul étalon d'argent, comme à Hambourg, par exemple, en 1857.

Messieurs, par rapport au taux de l'escompte, permettez-moi de vous lire un passage d'une lettre d'un industriel, qui se trouve aujourd'hui dans un journal de la capitale, dans le Journal de Bruxelles :

« Pour démontrer, dit cet industriel, la fausseté de l'argument principal de M. Frère (quant à l'escompte), il me suffira de vous dire d'abord que mes opérations commerciales me donnent l'occasion de connaître le taux des escomptes de la Banque de France, et que j'ai fait escompter à l'agence de cette banque à Valenciennes des traites sur Paris, qui ont été réalisées aux taux ci-après :

« Le 9 août 1860 ces traites ont été escomptées à l'intérêt de 3 1/2 p. c, c'est-à-dire à 1/2 p. c. de moins que le tarif de la Banque Nationale de Bruxelles pour les valeurs identiques sur Bruxelles.

« Il est vrai que la crise politique a amené progressivement l'augmentation de l'intérêt, puisque le 21 novembre 1800, la Banque de France prélevait pour les mêmes traites un intérêt de 4 1/2 p. c, comme il est encore vrai que cet intérêt s'est élevé aujourd'hui à 7 p. c.

« L'or circulant en France tout autant le 9 août 1860 qu'aujourd'hui, il est évident que l'étalon monétaire n'a pas exercé la moindre influence sur le taux de l'intérêt. »

C'est précisément la conclusion à laquelle je suis arrivé dans le discours que j'ai prononcé le 21 du mois précédent.

Messieurs, on a invoqué, dans la séance d'hier, l'autorité de la commission de France pour ce qui regarde l'encaisse de la Banque. J'avoue que cette commission se prononce en faveur de l'encaisse en argent. Cet argument m'avait déjà frappé ; j'y avais répondu dans la presse, et voici comment. « Je crois qu'en temps ordinaire, avais-je dit dans une lettre publiée en réponse à un antagoniste, je crois qu'en temps ordinaire cela est parfaitement juste, mais aujourd'hui à cause de l'agio qui existe sur l'argent, cela n'est plus exact, et ce qui le prouve, c'est que la Banque de France s'est dessaisie de 50 millions d'argent dans la crainte que cet argent ne lui fût soustrait. C'est bien la preuve que l'argent n'est pas avantageux pour la Banque, puisque la Banque de France se défait de son argent et préfère conserver l'or, parce que l'or offre moins d'appât à la spéculation.

On a cité hier aussi l'autorité de M. Léon, et l'honorable M. Orts a dit avec raison que M. Léon, tout en désapprouvant notre loi de 1850 conclut que, vu les circonstances actuelles, il ne faut pas l'abandonner. C'est ainsi que j'ai compris hier l'argument de l'honorable M, Orts, (page 715) et c'est ainsi également que je l'avais compris en lisant l'auteur cité par honorable membre.

L'honorable M. Orts me permettra de citer un autre passage du même écrit. Voici ce que dit l'auteur à la page 109 :

« M. le ministre des finances (de Belgique) répond, à la vérité, que la Belgique ne manquera jamais d'argent, et que, si cette monnaie devient un jour trop rare chez elle, on lui en apportera du dehors.

« Cela est parfaitement juste. Mais à quelle condition rapportera-t-on de l'argent en Belgique ? On lui enlève aujourd'hui sa monnaie d'argent en payant une prime ; on lui rapportera de l'argent, si elle consent à payer une prime plus forte ; l'opération ne lui sera donc pas profitable. »

Voilà l'opinion qu'émet M. Léon relativement à notre capital monétaire. Pour le conserver, nous devons faire des sacrifices ; or, c'est ce que nous avons toujours soutenu.

Après cela, M. Léon prétend que nous pouvons très bien maintenir la loi de 1850. Je le comprends ; M. Léon est Français, et il ne trouve pas mauvais que la Belgique s'impose des sacrifices que la France doit s'imposer aussi pour battre de la monnaie d'argent ; nous Belges, nous n'avons pas à nous enquérir de ce que fait la France ; mais nous devons nous demander si nous pouvons nous imposer ces sacrifices.

Or, je pense que dans un pays comme le nôtre on n'accepterait pas ces sacrifices. La Hollande sait à quel prix elle a une monnaie d'argent.

Messieurs, j'ai déjà dit pourquoi M. Léon pense que la Belgique ne doit pas changer son système ; c'est parce que la France, selon lui, ne doit pas encore changer le sien ; et pourquoi la France doit-elle rester dans l'expectative ? Parce que, dit-il, on a l'espoir de voir un système général de monnaie inauguré dans le monde ; la France s'entendra avec l'Angleterre et avec les Etats-Unis, les autres nations civilisées seront entraînées par ces pays régulateurs, et le monde sera doté d'un système monétaire général et uniforme.

Voilà l'opinion de M. Léon, et c'est pour cela qu'il veut que la France attende.

Pour ma part, je pense que la Belgique doit temporiser aussi, mais en attendant l'adoption d'un système général et définitif que j'admire et que j'appelle de mes vœux, rien n'empêche d'améliorer le système actuel, d'en faire disparaître les inconvénients, d'obvier aux pertes que doit subir le public.

Voilà comment je réponds à ceux qui invoquent l'autorité de M. Léon ; si cet écrivain distingue était Belge, il ne manquerait certainement pas, eu égard à ses opinions sur notre monnaie d'argent, de se prononcer dans mon sens, surtout à cause de la perte que subit le public belge et qui n'existe pas à beaucoup près au même degré en France.

Messieurs, plusieurs honorables membres nous ont parlé à différentes reprises du montant des capitaux monétaires pour combattre notre proposition.

L'honorable M. Pirmez nous a dit que plus le commerce se développe moins il faut d'argent.

C'est ce que j'appelle une théorie. Voyons les faits.

L'honorable membre a cité entre autres l'Angleterre à ce sujet. Il a dit que l'Angleterre a un capital monétaire de 1,200 millions de francs. Je crois que c'est le chiffre qu'il a indiqué,

M. Pirmez. - Approximativement.

M. de Haerne. - D'après tout ce que j'ai lu dans les auteurs anglais et français (je vous renverrai si vous le voulez-à M. Levasseur, page 111), le capital monétaire de l'Angleterre était avant 1848 de 1,500 millions de francs.

Messieurs, comparons d'abord ce capital monétaire à celui qui, d'après des appréciations vagues, existait en Belgique ; à la même époque nous avions 250 millions. C'est l'opinion émise par la commission monétaire belge de 1859.

Eu égard à la population, c'est la même proportion que pour l'Angleterre.

On croirait donc que nous serions aussi avancés en commerce que la Grande-Bretagne, si la théorie de l'honorable M. Pirmez était vraie, ce qui, certes, n'est pas exact ; car le crédit est beaucoup plus développé en Angleterre qu'en Belgique, ce qui n'empêche pas que son capital monétaire soit proportionnellement égal au nôtre.

Mais ce n'est pas tout. Dans quelle proportion les capitaux monétaires ont-ils augmenté depuis 1848 ?

Encore une fois, d'après les auteurs anglais et français (j'invoque, messieurs, Levasseur, parce que vous pouvez tous vous le procurer), le capital monétaire de la Grande-Bretagne était porté, en 1856, à 2 milliards 500 millions.

C'était le capital intérieur pour les besoins du Royaume-Uni ; mais, ajoutez à cela que l'Angleterre, qui produit elle-même 200 millions de francs d'or par an, dans l'Australie, est la dépositaire de presque tous les métaux précieux produits dans le monde, que tout lui passe par les mains et qu'elle se sert d'une bonne partie de cet immense capital pour son commerce extérieur.

Elle fournit un demi-milliard à l'extrême Orient, des centaines de millions en or à la France et des centaines de millions en or en Amérique.

Le commerce de l'Angleterre n'est pas tout entier en Angleterre ; il est dans le monde entier, et c'est aussi le capital monétaire presque total du monde qu'elle a à sa disposition ; ses écrivains s'en prévalent patriotiquement comme d'un titre de gloire.

Voilà l'Angleterre.

Maintenant que le crédit de l'Angleterre soit immensément développé, je ne le conteste pas. Mais le crédit vient à la suite de la monnaie, et puis le crédit lui-même, pour avoir une base fixe, surtout en temps de crise, doit s'appuyer proportionnellement sur les métaux, sur la monnaie.

Cela est indubitable. En économie politique on ne peut contester que, lorsque le crédit se développe, le capital monétaire doit augmenter non pas pour un chiffre légal de valeurs, mais à peu près dans la même proportion.

L'honorable ministre des finances et l'honorable M. Pirmez ont avancé un fait que je crois pouvoir contester, i

Ils nous ont dit : S'il était vrai que l'argent est soutiré par la spéculation, mais l'argent serait exporté de Hollande et d'Allemagne ; or cela n'arrive pas.

C'est ce que je conteste, à moins qu'on ne veuille nier la statistique. C'est une science cependant, mais on la nie ordinairement lorsqu'elle vient contrarier certaines idées ou certains systèmes auxquels on tient : mais enfin j'invoque la statistique anglaise.

Dans les six premiers mois de 1859, d'après la statistique officielle d'Angleterre citée par les journaux anglais, le Times et l’Economist du 27 août 1859 (vous pouvez vérifier les chiffres à la bibliothèque), il s'est exporté de Hollande 369,668 liv. st. et des villes hanséatiques 786,071 liv. st en argent pour l'Angleterre.

Pendant la même période la France avait exporté pour le Royaume-Uni 4,092,802 liv. en argent.

Ainsi la Hollande exportait pendant ce semestre 369,000 liv. et la France 4 millions de liv., chiffres ronds.

Si je compare la population de la Hollande, en la comptant à environ 3 1/2 millions d'habitants, à celle de la France, en prenant celle-ci à 36 millions d'âmes, savez-vous, messieurs, quelle est la différence que je trouve ?

La différence proportionnelle entre l'exportation des deux pays est d'environ 1/10 en moins pour la Hollande, et l'éloignement seul de ce pays explique cette différence.

Remarquez que je ne dis pas que c'est l'argent national de Hollande qui s'exporte ; c'est en grande partie l'argent qui s'y introduit de Belgique et qui n'y est reçu dans certaines caisses publiques qu'au-dessous de sa valeur. Ainsi en 1859, nous avons, d'après nos statistiques, exporté 26 millions de fr. en argent vers la Hollande, pour couvrir en partie l'excédant de nos importations hollandaises sur nos exportations, excédant qui s'élevait à 34 millions de fr. Une partie a été couverte en effets de commerce.

Ainsi, messieurs, il est impossible de soutenir que la Hollande n'exporte pas d'argent. Aussi les auteurs anglais, lorsqu'ils parlent d'exportations d'argent, disent : Toutes les nations de l'occident de l'Europe exportent de l'argent, et il se fait une nouvelle distribution de métaux dans le monde entier.

L'argent s'en va vers l'extrême Orient et l'or nous arrive surtout d'Amérique et d'Australie.

C'est ainsi que s'expriment entre autres Tooke et Newmarch dans leur Histoire des prix (History of prices), tome VI, pp. 719-21.

L'honorable M. Pirmez m'a reproché une espèce de contradiction. Il dit d'un côté vous parlez de temporiser et de l'autre vous voulez changer de système en adoptant une monnaie divisionnaire billonnée.

L'honorable membre sait très bien que je n'ai pas insisté sur ma proposition concernant la monnaie divisionnaire, parce que j'avais reconnu qu'elle n'avait pas de chances de succès ; mais dans tous les cas j'ai dit qu'il fallait temporiser non pour toutes les mesures, mais pour le système définitif.

Cela n'empêche pas qu'on puisse améliorer le système existant. Je veux seulement déclarer que je ne tiens pas, pour le moment, à l'adoption d'une monnaie d'argent de convention, parce qu'elle n'est pas selon (page 716 moi d'une grande urgence ? On pourra l'adopter plus tard, lorsque le besoin s'en fera sentir.

Plusieurs membres ont soutenu (j'ai déjà touché cette question, mais je dois y revenir encore et citer quelques chiffres), plusieurs membres ont soutenu que ce n'était pas l'argent qui était soutiré par la spéculation ; mais que c'était l'or qui chassait l'argent.

J'ai fait voir dans la séance du 21 février, d'après des auteurs que j'ai cités, que cela n'est pas admissible ; il y a un fait qui me semble décisif.

J'ai eu l'honneur de vous dire tout à l’heure, messieurs, que, de 1846 à 185S2, la monnaie divisionnaire d'Angleterre s'exportait pour l'extrême Orient, à un tel point qu'on parlait sérieusement de diminuer la valeur intrinsèque du shilling. Les auteurs, les journaux de l'époque en font foi. Il est constaté par Stirling et par le Times du 28 octobre 1852, qu'en six ans, savoir de 1846 à 1852, on avait enlevé à la banque d'Angleterre plus de 2,500,000 livres sterling en argent, en y comprenant ce qu'on appelle l'argent chinois.

C'est pour cela que l'opinion publique s'était effrayée et qu'on voulait abaisser la valeur intrinsèque de l'argent ; et voyez ce qui s'est passé à la même époque en France ; c'est le rapprochement de ces deux circonstances qui fera toute la démonstration de la véritable cause de ce déplacement de métaux. Pendant la même période, en France, le mouvement d'importation du métal argent a été en sens contraire de ce qui s'est présenté en Angleterre : il s'est importé en France.de 1848 à 1852, comme on peut le voir dans la Question de l’or par M. Levasseur, p. 97, six cent millions en argent de plus qu'il ne s'en est exporté.

L'importation d'argent augmentait en France pendant que l'exportation d'Angleterre augmentait.

Pourquoi ? Parce que le commerce avec l'extrême Orient commençait à prendre son développement, qui est devenu prodigieux depuis lors, et que l'Angleterre n'avait pas encore eu le temps d'organiser le drainage d'argent sur le continent.

Voilà tout le secret.

Plus tard, à partir de 1852, les chiffres changent, et alors déjà il y a une légère augmentation dans le chiffre de l'exportation française.

L'exportation française commence à l'emporter sur l’importation ; toutefois la différence n'est guère que de 3 millions de francs. Mais en 1853 il s'agit déjà d'une centaine de millions et en 1856 le chiffre est de 284 millions en faveur de l'exportation, parce qu'alors la spéculation exerçait déjà toute son influence.

Un autre fait qu'on a cité au nom de la science, c'est que l'or s'userait plus vite que l'argent.

Je regrette d'avoir à contredire, sur une question de fait, un homme dont j'honore infiniment le caractère et le talent ; mais il m'est impossible d'admettre, avec l'honorable M. Pirmez, que l'or s'use plus vite que l'argent.

Cela peut être vrai lorsqu'on s'attache à certains pays particuliers ; je ne conteste pas les expériences faites ; mais comme il y a aujourd'hui une étroite solidarité entre toutes les parties du monde en matière de numéraire et de métaux précieux, à cause du grand courant qui entraîne les métaux d'une extrémité du globe à l'autre, ce n'est pas ainsi qu'il est permis de raisonner : il faut prendre les faits dans leur généralité, Il faut connaître leur influence sur le monde entier, pour arriver à une conclusion vraie.

Eh bien, c'est à ce point de vue que se placent ordinairement les Anglais.

Je citerai notamment W. Jacob, dont l'autorité a été invoquée sur ce point dans les débats de Hollande et que M. Vrolik cite aussi, mais avec une certaine restriction quant à la Néerlande, dans son ouvrage du Système monétaire des Pays-Bas.

M. Jacob soutient, lui, que l'or s'use dans la proportion de 1/800 par an et l’argent dans la proportion de 1/200.

Maintenant, messieurs, si vous le permettez, je vous donnerai une explication de cette différence. Il me paraît extrêmement naturel qu'on ne soit point d'accord sur ce point dans tous les pays ; mais il faut généraliser. Si vous allez dans les Indes, où, vous le savez, l'argent est très demandé, vous voyez, d'après des auteurs anglais des plus estimés, d'après MM. Tooke et Newmardi, dans leur Histoire des prix, que la grande partie de l'argent y est employée, non pas pour la monnaie, mais pour des usages de luxe.

La grande quantité d'argent, disent-ils, est employée en bijouterie, peignes, bracelets, broches et autres objets de luxe dont l'usure est immense. Or, savez-vous quelle est, d'après ces auteurs, la masse d'argent qui existe aux Indes, pour une population de 180 millions d'habitants ? Ils ne craignent pas de porter cette masse à 400 millions de livres sterling ; et ils évaluent l'usure à 1 p. c. par an, ce qui fait annuellement une perte de 4 millions de livres sterling, c'est-à-dire cent millions de francs.

Voilà l'usure sur cet immense capital argent qui existe aux Indes. Si l'usure est beaucoup moins forte sur la monnaie, cela n'empêche pas la perte sur le métal en général, ce qui en augmente considérablement la demande.

Si, ensuite, vous rapprochez de ces résultats ceux obtenus en Europe, vous arriverez naturellement à une moyenne différente, et voilà pourquoi les auteurs anglais tels que Jacob, qui se placent à un point de vue général, nous montrent que l'argent s'use plus vite que l'or, et cela dans la proportion de 1/800 pour l'or et de 1/200 pour l'argent. C'est une des raisons de l'exportation, qui s'est faite dans les immenses proportions que vous connaissez.

M. le ministre des finances s'est amusé à tronquer mon écrit De la question monétaire, et les citations que j'avais faites, en me basant sur sa propre statistique. Il a dit que je n'avais pas copié exactement les tableaux officiels. Messieurs, j'ai à m'expliquer sur ce point et je dois supposer que M. le ministre des finances n'aura pas lu ce que j'ai dit à cet égard. J'ai fait comprendre même que la statistique pouvait n'être pas exacte, en citant textuellement les observations consignées au tableau du commerce relativement à l'inexactitude des chiffres. Mais j'ai dit que cette inexactitude se rapporte à toutes les époques, et qu'en comparant l'une période à l'autre, je pouvais conclure de cette comparaison que depuis que les exportations générales d'argent ont lieu vers l'extrême Orient, celles de Belgique l'emportent aussi de beaucoup sur les importations.

J'ai comparé les statistiques des trois années 1848, 1849, 1850 à celles de 1857, 1858, 1859, et j'ai trouvé des résultats complétement opposés ; c'est-à-dire que, dans ces dernières années, c'est l'exportation du numéraire qui l'emporte sur l'importation ; tandis que, avant la loi de 1850, c'est l'importation qui l'emporte sur l'exportation. Voilà le seul résultat que j'ai voulu constater.

Quelle que soit l'inexactitude qui existe dans les chiffres, comme on doit la supposer la même dans les deux périodes, il n'en résulte pas moins, et c'est là le seul point important, que c'est la spéculation qui s'est emparée de nos métaux et que l'or s'est encore plus exporté que l'argent de notre pays à raison de la démonétisation. Voilà ce que j'ai dit, et jusqu'à présent on n'a rien avancé de solide contre la comparaison que j'ai établie entre les deux résultats sur lesquels je me suis basé.

Messieurs, nos adversaires se prévalent souvent à tort de la science. Je dois faire encore une observation, en me basant sur les faits, en réponse à ce qu'a dit l'honorable ministre des finances ; il nous a cité ce qui s'est passé en Angleterre sous Guillaume III. il a invoqué la science de Newton et de Locke ; ces hommes étaient éminents par la science et dans la pratique ; Locke, éclairé par Newton, a réformé le système monétaire de l'Angleterre sous Guillaume III.

L'Angleterre à cette époque avait un seul étalon, l'étalon d'argent. La guinée était variable, comme l'est chez nous la pièce de 20 fr. ; la guinée variait à cette époque d'après les prix du jour dans une proportion de 20 à 30 shillings. Figurez-vous l'agiotage qui devait en résulter. Voilà ce qui a eu lieu, sous le régime d'une tarification flottante de l'or en Angleterre.

Mais qu'arriva-t-il après ? On fut bientôt désabusé, non pas qu'on critiquât le système de l'étalon unique, mais on avait l'expérience des inconvénients de cette cote irrégulière de l'or et un autre grand homme, Walpole, ministre des finances ou chancelier de l'échiquier sous le règne de Georges Ier, changea cet état de choses.

On admit le double étalon malgré ses inconvénients connus déjà à cette époque, pour sortir de ces embarras, de cet agiotage, de cette spéculation dans lesquels on avait été engagé par une espèce de tarification de l'or.

C'est en 1717 que l'or a cessé d'être variable en Angleterre, et qu'il est devenu une véritable monnaie. L'Angleterre a eu alors le double étalon qui, malgré ses inconvénients, fut regardé comme préférable au système précédent, à cause des abus qui étaient résultés de celui-ci. Le régime du double étalon a été maintenu en Angleterre pendant près d'un siècle, c'est-à-dire jusqu'en 1816.

(page 717) Messieurs, l'honorable ministre des finances a cru devoir nous dire, à l'appui de sa thèse, que l'Angleterre soutient, dans les Indes, le système de l'étalon d'argent ; il a cité un discours du chancelier de l'échiquier, expédié tout exprès de l'Angleterre pour combattre ceux qui, dans l'Inde, voulaient établir le cours légal de l'or.

Ce sont les Anglais qui demandaient le cours légal de l'or, ce sont les Anglais surtout qui habitent le port de Calcutta où la population la plus intelligente est anglaise ; mais M. le ministre n'a pas cité un autre fait, qui est très important à ce point de vue, c'est que l'or a été démonétisé dans l'Inde avant la découverte des mines de Californie et d'Australie ; c'est en 1835 que la démonétisation de l'or a eu lieu.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'or a été tarifé jusqu'en 1853.

M. de Haerne. - Il a été démonétisé en 1835, comme le dit M. Levasseur entre autres, page 115, et il a été refusé dans les caisses de l'Etat vers l'époque que vous fixez.

Je dis que le chancelier de l'échiquier avait raison au fond ; je ne désapprouve nullement son système, quant à l'Inde, où la position est complètement opposée à la nôtre.

Voyez quel est le courant monétaire. C'est l'argent qui va en masse vers les Indes et qui nous est ainsi enlevé ; si vous pouviez l'empêcher d'émigrer et changer la direction du courant, si vous pouviez nous ramener l'argent, nous serions d'accord.

Dans l'Inde c'est tout à fait l'inverse de ce qui se passe chez nous. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas accepter les conclusions qu'a tirées l'honorable ministre de l'exemple de l'Inde, quant à l'utilité de l'étalon d'argent.

Ces conclusions reposent sur des faits qui ne sont pas complets, ou qui sont exposés d'une manière inexacte dans leur ensemble et qui ne se rapportent pas à la question, ou plutôt qui prouvent le contraire de ce qu'on a voulu en conclure. Ils viennent à l'appui de notre système, dont le pays sollicité instamment l'adoption.

Messieurs, quand nous demandons, avec les nombreux pétitionnaires qui se sont adressés à vous, le retour au principe de la loi de 1832, c'est parce que nous sommes convaincus des abus du système de 1850, qui n'était qu'un système de circonstance, un système provisoire. On a accusé les pétitionnaires d'ignorance ; je reconnais que les personnes dont il s'agit ne connaissent pas en général la question à fond, que bien peu ont étudié ces matières difficiles et compliquées, mais il est un fait que tous les pétitionnaires sont compétents à constater, c'est qu'ils su issent des pertes considérables sur l'or et qu'ils éprouvent une grande gêne. Ils déclarent avec connaissance de cause, dans leurs pétitions, que l'argent leur échappe tous les jours de plus en plus ; qu'il est impossible, par conséquent, de sortir d'embarras, si l'on n'admet pas la circulation de l'or, puisque c'est l'or qui abonde en Belgique, tandis que l'argent y fait défaut.

M. Savart. - J'ai écouté l'honorable ministre des finances avec la déférence due au rang éminent qu'il occupe dans la hiérarchie sociale et dans la science, avec la bienveillante sympathie que j'éprouve pour un homme qui a rendu au pays des services immenses.

Je lui ai prêté cette attention religieuse qu'on accorde à un homme sérieux traitant des questions graves et palpitantes d'actualité.

Ni les discours si éloquents de M. Frère, ni la dialectique serrée de M. Orts ne m'ont détourné de mon désir d'obtenir une communauté de monnaie avec la France, l'Italie, la Suisse, dans l'espérance de parvenir ainsi plus tard à une communauté de monnaie européenne.

Je ne suis d'accord avec M. le ministre des finances ni en fait, ni en droit.

En fait, sur la certitude de la dépréciation future de l'or ; en droit, sur les devoirs et les obligations des débiteurs et des créanciers.

Dans mon opinion, la loi de 1850 a été l'enfant de la peur. Sans la découverte des gisements aurifères de la Californie, la loi de 1850 n'eût pas été accueillie par la majorité.

La crainte de la dépréciation future de l'or a été le motif déterminant du vote. Sans doute l'honorable M. Frère n'a pas essayé de faire apparaître à nos yeux le fantôme effrayant de la baisse. D'autres s'étaient chargés de ce soin. La majorité a été entraînée par la crainte comme par un courant irrésistible.

Voici comment M. Léon Faucher, économiste distingué, dépeint l'époque :

« Quelle que fût, dit-il, la dépréciation pour le présent, on la voyait dans l'avenir bien autrement forte. Les sombres prédictions de la presse ajoutaient aux alarmes du public. Dans les journaux de toutes les couleurs de tous les pays, on annonçait comme un événement infaillible que sous l'influence combinée des extractions de la Californie et des lavages de la Russie, la valeur de l'or avant peu ne représenterait plus que neuf à dix fois celle de l'argent.

Hollandais, Portugais, Français se sont émus.

Nous avons fait la loi de 1850. A la Californie est venue se joindre l'Australie. Cependant les abondances d'or tant redoutées ne se produisent pas. Depuis 1850 jusqu'en 1861, il n'y a qu'une dépréciation minime, peut-être dans un temps donné toute dépréciation disparaîtra.

Les importations d'or n'ont pas pris, dans le courant de dix années, les immenses proportions auxquelles on pouvait s'attendre. Les premières années il y avait peu de mineurs, les communications étaient difficiles et rares, les instruments de travail insuffisants et grossiers. Cependant l'or arrivait.

Des émigrations immenses ont eu lieu pour la Californie et l'Australie. Le nombre des mineurs a été plus que centuplé, des chemins ont été frayés, les communications avec les placers sont devenues plus fréquentes, plus facides, des instruments de travail ont été abondants et perfectionnés. Par cet ensemble de circonstances, les importations d'or devaient s'élever à cent, à mille pour un.

II n'en a pas été ainsi.

Les importations ne croissent pas, elles diminuent.

Vos craintes de dépréciation doivent donc diminuer, se dissiper.

Je m'attends à une objection.

On alléguera sans doute que des causes accidentelles ont empêché le courant de l'or en Europe ; on parlera de guerres, de crises commerciales. A cela une double réponse, il y aura toujours des causes accidentelles.

L'heure de la dernière guerre n'est pas sonnée ! Dieu sait ce qui arrivera à la décomposition de l'empire de Turquie ! Les combats qui ont été livrés jusqu'ici ne sont peut-être que les préludes d'autres combats plus sanglants, plus nombreux. Des crises commerciales se produiront toujours, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre. Tous ces événements exigeront de l'or et encore de l'or.

On peut extraire encore beaucoup de milliards d'or avant qu'ils suffisent aux besoins de deux cents millions d'Européens. Mais outre les causes accidentelles que peuvent amener la diminution des importations d'or, il y a des causes permanentes ; il est arrivé ce qui arrive toujours.

C'est-à-dire que dans le commencement d'exploitation on trouve l'or plus facilement, Très souvent sans un très grand travail, très souvent dans les terrains d'alluvion. Mais presque tous les terrains malléables ont été retournés, remués, il s'agit d'arracher l'or au rocher, il faut l'extraire du quartz. Alors s'établit un travail coûteux et qui souvent n'est plus rémunérateur. Voilà une des causes permanentes de la diminution des importations.

Seconde cause : Dieu semble avoir, dans sa sagesse, caché l'or dans le flanc des montagnes des pays déserts pour y appeler les populations.

Lorsque l'or est découvert, les populations arrivent en foule. Mais le pic est le précurseur de la charrue. Les populations quittent à un moment donné le travail ingrat de la recherche de l'or, labourent, sèment, récoltent et trouvent ainsi la véritable richesse.

Alors il leur faut de l'or pour leurs besoins. Cet or vient en Europe pour être monnayé et retourne vers le lieu de production, remonte vers sa source.

La Californie et l'Australie en sont déjà arrivés à cette période ; je lis dans le Moniteur du 18 février 1861, que les importations d'or de la Californie, des Indes orientales, de la Russie, de l'Australie qui s'étaient élevées en 1859, à 1,078,508,700 francs ne sont plus en 1860 que de 573,057,975 fr.

1860 a fourni à l'Europe presque moitié moins que 1859. Les causes de diminution sont (c'est le Moniteur qui parle) pour la Californie, que l'immigration s'est sensiblement affaiblie, de plus bon nombre d'émigrants enrichis ont renoncé au travail meurtrier des diggings pour se vouer au travail agricole.

En Australie se produira le même fait qu'en Californie.

D'un côté si les importations d'or diminuent, les importations augmentent. Indépendamment d'autres causes, il y a cette cause, je le répète, qu'on envoie l'or à Londres pour qu'il puisse être monnayé et qu'il retourne en Australie, en Californie pour les besoins de ces pays.

De cet exposé de faits je conclus qu'on peut avoir été très logique en votant la démonétisation des pièces d'or en 1850, sous l'empire d'une crainte qui n'était pas dénuée de prudence, et qu'on est encore (page 718) très logique en 1861, en votant le cours légal de l'or, lorsqu'on ne craint plus.

La Chambre peut donc se déjuger, la situation est complètement changée. La mesure de précaution doit disparaître avec la crainte. Je passe à la question de droit.

On a prétendu que si nous votions le cours de l'or français à sa valeur nominale, il y aurait violation de la loi due aux contrats, spoliation injuste des créanciers, nous serions mis au ban des nations civilisées, ce serait le déshonneur du parlement belge. Notre vote nous servirait de carcan, nous serions attaches au pilori, condamnés dans le présent, flétris dans l'histoire. Aux éclats de cette indignation je me suis ému.

J'ai fait l'examen de la loi. Après cet examen mon âme s'est rassérénée et je serai parfaitement tranquille parce que, sans être injuste, je puis appliquer aux créanciers la loi à laquelle ils se sont soumis. D'après les économistes et leurs adeptes, si Jean prête à Paul cent francs, qui font cinq cents grammes d'argent à neuf dixièmes de fin, Paul doit restituera Jean cinq cents grammes d'argent à neuf dixièmes de fin, c'est justice.

Mais les contractants peuvent déroger à cette règle, convenir d'autres conditions.

Jean et Paul peuvent stipuler qu'arrivant le jour où Paul devra rembourser les cent francs, Paul sera libre de les rembourser en or, ou autre métal, ayant cours ce jour-là, quelle que soit la valeur intrinsèque des monnaies. Jean prêteur prend une position aléatoire. Si les dés tournent de manière à lui faire perdre quelque chose, il n'a pas à se plaindre.

Voilà la position dans laquelle se placent les créanciers et les contractants en Belgique.

Ces principes généraux de l'économie politique cessent d'avoir leur application dans un pays où existe une loi spéciale, une loi positive qui y déroge.

Bonne ou mauvaise, il faut que cette loi soit obéie.

L'article 1895 du Code civil domine tous les prêts. Tous les créanciers de l'Etat et autres qui ont prêté des espèces numériques, ont consenti à ce que le débiteur leur rende la somme dans les espèces ayant cours au moment du payement.

Si ces espèces n'ont pas la valeur intrinsèque des espèces prêtées, peu importe, pourvu qu'elles aient cours pour cette valeur !

Belges ou étrangers, personne n'est censé ignorer la loi.

On a voulu s'exposer, on s'est exposé.

On ne peut donc crier à la spoliation, à l'injustice, volenti non fit injuria.

Les principes généraux qui régissent les contrôles de vente, de location, laissent aussi, dans le silence des parties, l'option au débiteur de payer avec l'un ou l'autre métal, même en billet. Pour qu'il en soit autrement, il est nécessaire d'écrire une convention expresse. C'est ce qui se déroule tous les jours sous nos yeux.

M. Dolez. - Même en assignats.

M. Savart. - Là n'est pas la question, il faut obéir à la loi.

M. Dolez. - Oui, il faut obéir à la loi. Mais est-ce à dire pour cela que cette loi soit morale ?

M. B. Dumortier. - Il fallait vous préoccuper de cela lorsque vous avez fait la monnaie de nickel.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut bien comprendre que le billon n'est pas une monnaie et qu'on n'est pas obligé de le recevoir en payement.

M. Savart. - Sans doute. Lorsque le chancelier de l'échiquier d'Angleterre prononçait les paroles dont on nous a donné lecture, les créanciers dont il parlait, et qui auraient été spoliés si on avait dans le payement substitué un métal à un autre, n'avaient pas d'avance consenti à cette substitution éventuelle, n'avaient pas d'avance consenti à courir le risque.

Ils ne se trouvaient pas sous l'empire du Code civil et de ses articles 1156, 1159, 1160, 1161, 1895, et les paroles des hommes d'Etat anglais ne peuvent recevoir d'application au cas actuel.

A mon avis, le législateur belge, sans blesser sa conscience et les règles de l'équité, peut en revenir à la loi de l'an XI.

On a fait valoir chaleureusement les inconvénients qu'il y aurait dans ce retour.

Il a été répondu longuement par les orateurs qui m'ont précédé, ce qui me permet d'abréger mon discours. Je n'aime point les redites. Je me borne sur ce sujet-là une seule observation. La France a vécu, a prospéré, s'est enrichie pendant 58 ans sous l'empire de la loi de l'an XI.

Il n'y a donc pas lieu de sonner l'alarme. Nous serons dans la situation où la France se trouve et s'est trouvée, cette situation matérielle ne m'effraye pas.

Quant aux ouvriers auxquels on porte un vif intérêt avec raison, si cent vingt-cinq mille ouvriers belges quittent leurs foyers, leurs femmes, leurs enfants pour aller travailler en France, c'est certainement qu'ils y trouvent certains avantages matériels.

Sous ce rapport matériel ne faisons donc pas trop de comparaisons.

Sans doute, messieurs, vous n'opérerez pas un changement monétaire sans qu'il y ait quelques froissements, quelques intérêts compromis.

Pour moi personnellement, je ne m'exposerai pas à soutenir que le cours forcé de la monnaie d'or française à sa valeur nominale ne soulèvera pas d'inconvénients.

Impossible de me dissimuler qu'il y aura au moins momentanément hausse de l'escompte.

Les établissements financiers saisiront très certainement l'occasion de trouver dans cette hausse un bénéfice.

Mais devant la grandeur du but vers lequel je marche je ne m'arrête pas à des obstacles de détail.

Pour moi, la communauté monétaire avec la France, la Suisse et l'Italie n'est qu'un pas de fait vers une civilisation supérieure. J'ai la conviction profonde qu'une communauté de monnaie européenne s'établira. Les chemins de fer multipliant les relations de peuples à peuples, amenant une fusion commerciale, rendant cette communauté monétaire, ou une monnaie internationale inévitable. En nous unissant à une grande agglomération d'hommes ayant même monnaie, nous augmentions la force d'attraction qui amènera l'Espagne, la Grèce et d'autres pays dans la même agglomération.

Cette idée d'une monnaie européenne ne me paraît pas excentrique.

Déjà elle a été agitée et adoptée dans un congrès récent des principaux économistes de l'Europe.

La Belgique était représentée dans ce congrès par notre habile chimiste M. Stas ; M. Stas était l'envoyé de notre gouvernement.

D'accord à reconnaître sur le principe qu'il fallait une monnaie européenne, les membres du congrès se sont divisés sur les moyens d'application.

Chacun voulait pour l'usage la monnaie de son pays. Le congrès n'a pu aboutir.

Les savants sont ordinairement opiniâtres dans leurs idées. Ce qu'on n'a pas obtenu à l'aide d'un congrès, ne pourrait-on l'obtenir en assemblant une conférence de diplomates ?

Les diplomates sont plus habitués à des concessions mutuelles. N'est-il pas digne de la Belgique de s'unir à la France, à l'Italie, à la Suisse pour provoquer cette conférence et hâter la marche des populations dans la voie du progrès ?

Voilà, messieurs, mes idées que je soumets à votre appréciation.

M. Vermeire. - Messieurs, j'avais demandé la parole, dans la séance d'avant-hier, lorsque j'avais entendu l'honorable M. Royer de Behr faire le procès à la Banque Nationale et établir que cet établissement financier aurait pu, à certains moments, se trouver dans l'embarras pour rembourser ses billets.

Je l'avais encore demandé hier, quand l’honorable M. Orts attribuait le degré de l'élévation du taux de l'escompte au métal dont la monnaie est composée, na ce sens qu'avec l'or, on aurait un taux plus élevé qu'avec l'argent.

Répondant en quelques mots à l'honorable M. Royer de Behr, j'établirai que, dans mon appréciation, il se trompe, lorsqu'il appréhende l'embarras dans lequel la Banque pourrait se trouver un jour pour rembourser ses billets ; et, d'abord, l'honorable membre me paraît ne pas tenir un compte suffisant des principes qui règlent l'émission dans ses rapports avec l'encaisse métallique et les autres éléments de garantie.

Ainsi, il est généralement admis que lorsque le montant de l'émission, joint au montant des comptes courants, est garanti par un encaisse s'élevant aux quart de ces sommes, et que le portefeuille et les autres valeurs promptement réalisables couvrent suffisamment le passif de la Banque, les craintes auxquelles l'honorable membre fait allusion sont dénuées de fondement.

« L'expérience a prouvé, dit Gustave de Puynode, dans son étude sur les Banques, qu'il suffit aux banques de conserver dans leurs caves le quart de la valeur représentée par leurs billets, pour être à l'abri de tout embarras sérieux, pourvu qu'elles ne prennent pas du papier à trop (page 719) longue échéance,. » Et Joseph Garnier ajoute que « jamais banque n'a péri quand elle a pu montrer au grand jour ses opérations et prouver que ses escomptes et ses avances étaient faits sur des valeurs de bon aloi. »

La loi qui institue la Banque Nationale porte à l'article 12. « La Banque a le privilège d'émettre des billets au porteur. Le montant des billets sera représenté par des valeurs facilement réalisables.

« Les proportions entre l'encaisse et les billets en circulation seront fixées par les statuts. »

L'article 13 des statuts fixe l'encaisse au tiers au moins du capital réuni des billets en circulation et des sommes déposées. De cette manière, non seulement la circulation est garantie par l'encaisse, mais on y a ajouté encore les sommes déposées.

Ces proportions n'ont jamais été atteintes, ainsi que le prouve l'annexe F du dernier bilan de la Banque Nationale, résumant les situations, publiées mensuellement, en exécution de la loi du 3 mai 1850

En effet, la moyenne mensuelle de l'encaisse a été, pendant 1860 de 71,840,910 fr. 96 ; celle de la circulation de 111,887,47 fr. 50 et celle des comptes courants de 71,270,640 fr. 37. Ensemble : 183,157,987 fr. 87. Différence : 111,317,046 fr. 91.

Ou dans la proportion de 2,6 pour 1.

C'est-à-dire que, pour rester dans les proportions indiquées par les hommes compétents et par les limites extrêmes prescrites par l'article 13 des statuts de la Banque, l'écart entre l'encaisse et la circulation pourrait encore être augmenté de 1,4 ou de près de 56 p. c.

Si maintenant, nous réunissons le portefeuille à l'encaisse, nous trouvons le chiffre de :

Portefeuille : 129,745,275 fr. 08

Encaisse : 71,840,940 fr. 96

Moyenne mensuelle : 201,586,216 fr. 04

Circulation : 111,887,347 fr. 50

Différence en plus : 80,698,868 fr. 54.

Or, de quoi se compose le portefeuille ? Presque exclusivement de valeurs belges à une échéance moyenne d'environ soixante jours. Quant aux valeurs étrangères, elles ne sont achetées qu'au commerce belge ; elle facilite ainsi la réalisation d'effets que l'industrie belge est obligée d'accepter en payement, ou de traites qu'elle a à faire sur des clients étrangers.

Le taux de l'escompte, d'après moi, se règle d'après l'offre et la demande plus ou moins forte de capitaux métalliques ; non sur un métal plutôt que sur l'autre. Le taux augmente, surtout, lorsqu'un pays, à cause de la cherté des denrées indispensables à son alimentation, est obligé de dépenser, improductivement, des valeurs réelles.

Dans ce cas, les capitaux, destinés à l'alimentation, émigrent dans une proportion bien autrement importante que dans des années abondantes alors que, pour une somme déterminée, l'on peut se procurer bien plus d'objets de première nécessité, que dans des années de disette.

Ainsi, messieurs, en 1847-1857, années où la récolte était insuffisante, nous voyons l'escompte, en Angleterre, s'élever à 8 p. c. pour la première année et à 10 p. c. pour la seconde année.

L'escompte est encore influencée par d'autres causes, tels qu'événements politiques, de guerre ou de révolutions intestines qui occasionnent les perturbations dans les relations ordinaires et sont des causes constantes de consommations improductives, dont personne ne profite, mais qui, au contraire, constituent les pays comme les individus dans un état permanent de pertes continuelles.

C'est ainsi que l’Amérique, à la suite des événements politiques que nous y constatons, subit actuellement une crise par suite de laquelle la valeur du numéraire a augmenté de 50 p. c. : cette crise se reproduit en France et en Angleterre avec une telle intensité que, nonobstant l'élévation du taux de l'escompte qui est monté à 7 et jusqu'à 8 1/2 p. c. en ces derniers jours, le numéraire émigré encore de ces pays, et les portefeuilles des Banques s'emplissent de plus en plus, C'est ce que constate M. Léon Walras, rendant compte d'une lettre de M. Levertujon, ancien rédacteur du journal la Presse, reproduite par le Moniteur belge du 28 janvier dernier, page 480, et dans laquelle on agite sérieusement, la question du cours forcé des billets de banque.

La constitution des établissements financiers exerce, aussi, une grande influence sur le taux de l'escompte.

Aussi, la fusion des opérations financières dont les unes s'immobilisent, dont les autres, en moindre quantité, restent disponibles pour la circulation, sont des causes permanentes de changements brusques et subits dans le taux de l'escompte. Sous ce rapport, la Banque Nationale a rendu de grands services au commerce et à l'industrie belges, puisque, comme le constate encore son dernier rapport, le taux de son escompte est resté, presque constamment, en dessous de celui des Banques de France et d'Angleterre ; mais ce service rendu par la Banque apparaît dans tout son éclat, lorsqu'on compare la situation de la Belgique avec celle d'autres pays. De 1830 à 1850 inclusivement, le taux de l'escompte était, presque toujours, plus élevé en Belgique qu'à l'étranger.

On n'a qu'à s'en convaincre en jetant les yeux sur le tableau comparatif des escomptes, joint au rapport de M. Pirmez, session extraordinaire de 1859, documents parlementaires, n°18, page 108. De 1851 à 1860, c'est le contraire qui se présente ; et, en 1857, année de crise alimentaire, l'escompte moyen à Bruxelles a flotté entre 3 1/2 et 5 1/2 p. c. tandis qu'aux Banques de France et d'Angleterre, il s'était élevé à 10 p. c. ; à la banque d'Amsterdam à 7 1/2 p, c., de même qu'aux banques de Berlin et de Hambourg, l'escompte avait également atteint le chiffre de 7 1/2 et de 10 p. c.

Je pourrais, messieurs, appuyer ce raisonnement sur d'autres motifs encore, mais je me bornerai à dire qu'aussi longtemps que la Banque Nationale reste dans la voie de sagesse et de prudence dont elle n'est point sortie jusqu'ici, le crédit public comme le crédit privé, dans notre pays, sont encore susceptibles de bien des développements ; les capitaux ne renchériront pas avec cette promptitude qui déroute les hommes d'affaires les plus perspicaces.

Messieurs, un mot maintenant, sur la question monétaire. Tout le monde convient que la gêne est générale et qu'il importe d'y porter remède, mais ce remède, personne ne l'indique. La section centrale, par l'organe de son rapporteur, constate que « les questions monétaires qui paraissent simples, au premier abord, offrent, cependant, de grandes difficultés, quand il s'agit de les résoudre ; que, semblables à des étoiles, qu'un premier regard rapide, jeté sur la voûte céleste, n'avait pu découvrir, mais qui apparaissent, de plus en plus nombreuses, à mesure que l'œil reste plus longtemps fixé sur le même point de l'horizon, ces difficultés deviennent inextricables. »

Lorsque, dans la première séance dans laquelle ce débat a été ouvert, j'ai présenté quelques courtes observations, mon intention était bien de rentrer dans ce débat. Examinant quelles étaient les qualités dont la monnaie devait être revêtue pour remplir utilement son rôle dans les transactions commerciales, nous avons constaté qu'elle devait avoir une valeur intrinsèque, égale à celle du métal dont elle était composée et que, sous le régime actuel, cinq grammes d'argent à 9/10 de fin représentaient le franc unité monétaire, que la même proportion devait être gardée pour les multiples comme pour les fractions. Enfin, nous avons reconnu que celui qui avait vendu un objet avait droit à cinq grammes d'argent à l'alliage indiqué, c'est-à-dire à quatre grammes cinq décigrammes d'argent fin.

Il résulterait donc de cette prescription de la loi que toutes les pièces qui ne revêtiraient point les qualités de la loi, pourraient être refusées. Et, cependant, lorsqu'on demande si les pièces françaises ont cours légal en Belgique, la réponse est affirmative, et si l'on ajoute : Peut-on refuser les pièces usées qui n'auraient point leur poids ? On nous répond encore impitoyablement : Non. « Parce que, dit l'honorable M. Pirmez à la page 22 de son rapport du 20 août 1859, à M. le ministre des finances, notre législation ne considère dans la monnaie que la valeur nominale des espèces, non le poids du métal.

Mais, s'il en est ainsi, puisque la valeur nominale des pièces de monnaie qui circulent, a, comparativement à la valeur intrinsèque, (page 720) perdu dans une plus forte proportion que l'écart qui existe entre la valeur de l'or et celle de l'argent, je ne vois plus aucun motif pour refuser mon assentiment à la proposition de M, B. Dumortier, laquelle établit un système se rapprochant davantage de la justice et de l'équité dans l'état actuel de la question.

M. Pirmez. - Je demande la parole.

- Plusieurs voix. - La clôture !

MpVµ. - La clôture n'est pas régulièrement demandée ; la parole est à M. de Smedt.

M. de Smedt. - Messieurs, j'ai suivi avec le plus vif intérêt les débats importants qui se sont ouverts dans la presse, d'abord dans les brochures et les meetings, ensuite et finalement dans le sein de cette Chambre sur une question qui touche au plus haut degré au bien-être matériel de toutes les classes de la nation, par conséquent aussi au bien-être général du pays entier.

Si des études spéciales en matière d'économie politique ne m'avaient pas attiré vers l'examen de cette importante question, j'y aurais été poussé par le devoir, car l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter y est tout particulièrement intéressé, en tact que limitrophe de la France et comme centre important de transactions commerciales avec ce pays.

Les considérations savantes qu'ont développées avec autant de talent que de clarté les honorables orateurs qui m'ont précédé me dispenseront d'entrer dans tous les détails de la question qui nous occupe.

Je commencerai par signaler quelques principes généralement acceptés, j'en déduirai les conséquences qui me semblent logiques et je finirai par poser quelques questions au sujet de l'amendement déposé par MM. Pirmez, de Boe et Jamar et auquel semble s'être rallié le gouvernement.

Le premier principe, messieurs, qui a été bien peu contesté, c'est que la monnaie métallique est une véritable marchandise dont la valeur ou la puissance d'acquisition est toujours égale à la quantité de métal fin qu'elle renferme, plus les frais de fabrication.

Cette proposition, messieurs, n'est pas seulement théorique, elle est essentiellement d'accord avec la pratique, et je défie tous les anti-économistes du monde de me signaler un fait qui la démente.

Un honorable orateur, dans la séance d'avant-hier, l'a nié ou du moins l'a révoqué en doute et je m'en suis singulièrement étonné.

La monnaie vaut ce qu'elle est, elle vaut ce qu'elle coûte.

En effet, supposons un instant qu'un kilogr. d'argent-lingot à 9 p. c. de fin, à un moment donné, vaille plus d'un kilogr. d'argent monnayé au même titre, c'est-à-dire, vaille plus de 200 fr. (Il va sans dire que je fais abstraction des frais de monnayage, insignifiants d'ailleurs.)

Mais, messieurs, immédiatement il y aura quelqu'un qui trouvera bénéfice à fondre la monnaie pour la convertir en lingot.

Supposons maintenant le cas contraire, un kilogr. d'argent monnayé (ou 200 fr.) valant plus qu'un kilogr. d'argent non monnayé, mais, la spéculation s'emparera immédiatement de cet état de chose et ou donnera au lingot d'argent la forme de pièces de 5 fr. La même chose a lieu pour le lingot et la monnaie d'or. Les pièces de monnaie usées par le frai ne peuvent ici être prises en considération.

Vous le voyez, messieurs, la monnaie n'est pas seulement une mesure de valeur, elle est en même temps un équivalent exact.

Mais s'il est vrai, comme je crois l'avoir démontré que la monnaie, ne se différencie du métal lingot dont elle est faite que par sa forme et sa destination plus spéciale comme instrument ou véhicule des échanges, il s'ensuit que la valeur de la monnaie ou sa puissance d'acquisition doit suivre les fluctuations du métal dont elle est faite.

Par conséquent, messieurs, si dans un pays quelconque la monnaie principale, celle qui circule, celle avec laquelle on paye tout ou à peu près tout, est d'or, il s'ensuit que le prix nominal de toute chose a dû hausser dans la proportion de la différence survenue dans le rapport de l'or métal avec toutes les autres marchandises. Donc aussi le prix de toute chose a dû s'élever en Belgique aussi bien qu'en France. Je dis aussi bien en Belgique qu'en France, parce qu'ici, aussi bien que dans ce dernier pays, il n'y a que l'or qui circule. C'est donc ici comme là-bas, le franc d'or, c'est-à-dire 32 grammes d'or à 9/10 de fin, qui vaut un peu moins que le franc d'argent ou 5 grammes d'argent à 9/10 de fin, c'est le franc d'or qui règle le marché ou le prix de tout ce qui se vend et s'achète en Belgique.

Ainsi, messieurs, quand en France comme en Belgique on stipule le prix d'une chose, il est sous-entendu qu'il s'agit de francs d'or, car l'expérience doit avoir appris aux vendeurs de toute catégorie que sur cent payements quatre-vingt-dix sont faits en or. Le négociant ou le commerçant qui ferait autrement serait très mal avisé et il ne tarderait pas à voir diminuer ses profils légitimes.

On a prétendu que la concurrence s'opposait à l'élévation des prix, qu'il était impossible au négociant belge de vendre ses marchandises plus cher qu'à l'époque où il recevait son payement en argent ; cela serait vrai, messieurs, si la Belgique était le seul pays où l'or ait chassé l'argent ; mais la même cause a dû produire les mêmes effets partout. Dans tous les pays où la mesure des valeurs est en or, et ils sont nombreux, le prix nominal de toute chose a dû s'élever dans la proportion de la baisse de la valeur du métal lui-même.

Je crois avoir démontré que si le prix nominal de toute chose a dû s'élever en France par suite de la substitution de l'étalon d'or à l'étalon d'argent, le même fait doit avoir produit les mêmes effets en Belgique, puisque ici comme en France il n'y a qu'avec l'or que l'on commerce, l'or seul circule. Donc le mal que l'on veut éviter est accompli ; à l'heure qu'il est, les créanciers sont déjà spoliés, s'il est vrai qu'ils puissent l'être, par le changement survenu dans la mesure des valeurs.

Mais, dira M. le ministre des finances, votre raisonnement pèche par sa base, puisqu'il repose sur une hypothèse que je nie : c'est-à-dire que l'or est plus abondant en Belgique que l'argent. Or, j'ai établi et prouvé le contraire.

Eh bien, je veux bien faire cette large concession à M. le ministre des finances, et je dirai : Il y a beaucoup d'argent en Belgique.

Quant à la thèse que je soutiens, c'est-à-dire l'élévation insignifiante, mais réelle, survenue dans le prix nominal de toute chose, il importe peu de savoir si l'assertion de M. le ministre est vraie ou non. Car cet argent, s'il en existe beaucoup, ne circule pas, au moins dans la plus grande partie de la Belgique ; ce n'est pas avec cet argent-là que l'on achète et que l'on paye, c'est l'or qui circule presque exclusivement, c'est donc l'or qui règle le prix de toute chose ; le franc d'argent, on ne le voit que bien rarement. S'il se décide à sortir des caves de la Banque ou des caisses de nos financiers, il est tellement défiguré et amoindri par le frai qu'il n'est, la plupart du temps, qu'un vieil hypocrite ; c'est, en réalité, sous une autre forme et avec une autre couleur, un franc d'or. C'est un franc d'or déguisé.

Mais si c'est l'or qui règle les prix en Belgique, et il est difficile de le nier puisque lui seul circule, à quoi bon ce travail des Danaïdes auquel veut se livrer le gouvernement en forçant tous les contribuables, sans profit pour personne et avec perte pour eux, à lui payer en argent, puisque lorsqu'il sort des mains du gouvernement pour être distribué à tous ses créanciers quels qu'ils soient, ils sont de fait aussi gros Jean que devant ? Peuvent-ils acheter davantage avec des pièces de 5 francs en argent qu'avec des pièces d'or ? Non. A quoi bon alors ?

Ils pourraient, il est vrai, gagner 2 fr. sur 1,000 en allant à la bourse vendre l'argent qu'ils ont reçu de l'Etat contre l'or français. Mais, je le demande, cela se fait-il, cela en vaudrait-il la peine, cela serait-il avantageux pour les fonctionnaires et autres créanciers de l'Etat qui n'habitent pas une localité où il y a une bourse ou des maisons de change ?

J'accepte, messieurs, pour ma part, toutes les théories que l'honorable ministre des finances a si longuement développées avec un courage et un talent auxquels il m'est impossible de ne pas rendre hommage ; toutes ces théories sont vraies et justes, je n'en excepte aucune ; mais j'avoue en même temps qu'il m'est impossible d'espérer de les voir entrer dans les idées et les habitudes de nos populations, dans l'état actuel surtout de notre circulation monétaire. J'ajoute même que je suis tout prêt à voter le remède qui pourrait modifier cet état de choses. Ou a indiqué, messieurs, un remède, la tarification périodique de l'or en ce qui concerne du moins les payements à faire à l'Etat ou par l'Etat.

Je demanderai à la Chambre et aux honorables auteurs de l'amendement proposé la permission de leur poser un petit dilemme.

Ou bien la baisse de l'or par rapport à l'argent, a occasionné en France et en Belgique la hausse nominale des prix de tout ce qui s'achète et se vend, et dans ce cas, n'allez-vous pas faire perdre au détenteur de la pièce d'or, par votre tarification, deux fois au lieu d'une ? Ou bien la baisse de l'or n'a exercé aucune influence sur les prix, ce qui est absurde, et dans ce cas, en quoi le créancier est-il lésé dans ses intérêts, puisque, dans cette hypothèse, il n'achètera pas plus avec quatre pièces de 5 francs en argent qu'avec une pièce d'or de 20 francs. Il ne payera rien plus cher qu'auparavant, qu'il reçoive de l'or ou de l'argent.

J'ai dit, messieurs, que j'avais des doutes sur la question de savoir si vous n'alliez pas, par la tarification, faire perdre deux fois au lieu d'une au détenteur de la pièce d'or.

(page 721) Je m'explique, si au début de l'invasion en Belgique de la pièce d'or française, elle a pu circuler quelque temps chez nous à une valeur nominale supérieure à sa valeur intrinsèque, et acheter réellement pour 20 fr. de marchandise de l'ancienne monnaie, c'est-à-dire de francs d'argent, alors qu'en France elle n'achetait en réalité que pour 19 fr. 80 ou 90 cent., il est pour moi incontestable que nous n'avons pu être dupe que quelque temps et qu'aujourd'hui, alors qu'il n'y a plus que cette monnaie-là qui circule, elle doit avoir produit les mêmes effets qu'en France, c'est-à-dire que le prix de toute chose a haussé dans la même proportion qu'en France.

Donc celui qui a aujourd'hui 20 fr. a moins de 20 fr., en ce sens que cette somme a une moindre puissance d'acquisition qu'autrefois. Donc en la tarifant vous ajoutez à la perte que la nature et les circonstances lui ont fatalement fait subir une nouvelle perte de 5 ou de 10 cent., selon le taux de la tarification qui cette fois est créée arbitrairement, je dirais presque injustement. Et dans quel intérêt ? Dans l'intérêt de vos créanciers qui, la plupart du temps, seront dans l'impuissance de bénéficier de la prime qui existe sur l'argent, la chose serait toute autre si l'or n'avait pas vaincu la résistance que le gouvernement belge et la Banque Nationale ont essayé d'opposer longtemps à son invasion presque complète dans notre circulation monétaire.

Ensuite que d'autres difficultés pratiques !!

Je veux bien accepter l'infaillibilité du remède, mais à une condition cependant ; c'est qu'il soit universellement pratiqué. Or, pouvez-vous croire qu'il le sera ?...,.. Et s'il ne l'est pas, si l'or continue d'être reçu au pair par les particuliers, en quoi, je vous le demande, aurez-vous modifié la situation actuelle ? En rien.

L'or circulera presque exclusivement, l'argent continuera à ne servir que pour une certaine catégorie de payements : achat de propriétés foncières, payement des contributions, etc. Le remède n'aura pas produit son effet, parce que celui qu'il devait guérir se sera refusé à le prendre.

Le pays refusera de l'accepter, j'en juge par la tempête qu'a soulevée déjà l’idée seule d'une pareille mesure.

Puis ce remède est basé sur l'hypothèse du maintien du statu quo en France. Or, ne devez-vous pas croire que ce gouvernement, pour mettre un terme à l'exportation de son numéraire argent et surtout aux plaintes générales que soulève de ce pays la disparition de la monnaie divisionnaire, ne devez-vous pas croire, dis-je, qu'il mettra le droit en harmonie avec le fait et qu'il se décidera enfin à abaisser le titre de sa monnaie d'argent ? Dès lors le réservoir où nous puisons aujourd'hui 87 p. c. de notre circulation monétaire d'argent venant à disparaître, que ferons-nous ? Nous battrons de l'argent nous-mêmes. Mais nous sera-t-il plus possible qu'aujourd'hui de le garder dans la circulation alors qu'il sera exact de poids et de titre ? Qui pourrait le prétendre ?

On fait au projet de loi de M. Dumortier une objection qui pour quelques membres de cette Chambre serait à elle seule capable de les décider à refuser leur vote favorable à ce projet. M. Orts a dit que le remède sérail pire que le mal lui-même, puisqu'il aurait pour conséquence de faire disparaître notre monnaie divisionnaire. Mais je crois, messieurs, que ces craintes sont exagérées, car la monnaie divisionnaire qui circule est dans un état tel, que c'est déjà de la véritable monnaie de billon, ce n'est plus qu'une monnaie égale à celle qui serait faite si nous nous décidions à battre de la monnaie divisionnaire à 8/10 de fin par exemple.

Ici encore, messieurs, nous ne ferions donc que mettre dans la loi ce qui est dans la pratique, ce qui existe aujourd'hui.

Enfin, une dernière objection au projet de tarification de la monnaie d'or française, c'est celle-ci :

Peut-on espérer que la France revienne à son ancien système, c'est-à-dire à l'étalon d'argent ? Cette opinion n'est pas, je crois, admissible ; parce que la France est dans l'impossibilité matérielle, dans les circonstances actuelles, de battre de la monnaie d'argent.

Or, s'il n'y a pas possibilité pour la France de revenir à son ancien système monétaire, ne serait-il pas dans l'intérêt de la Belgique d'entrer, dès aujourd'hui, dans la voie où la France devra fatalement aboutir ?

Que faut-il donc faire ?

Eh bien, il faut, je crois, se résigner humblement à subir ce que l'on est impuissant à écarter.

Les embarras de la circulation monétaire en Belgique sont les conséquences fatales d'une cause que nous n'avons pas fait naître et sur laquelle, il faut bien le dire, nous n'avons aucune action. Nous sommes impuissants à faire disparaître la cause qui produit le mal.

A la suite de la baisse de l'or, quelques particuliers en France ont fait tournera leur profit la disposition impossible, d'après moi, de la loi de l'an XI, qui établit un rapport fixe de valeur entre l'argent et l'or.

L'étalon d'or a donc, en fait, en France remplacé l'étalon d'argent.

Le gouvernement laisse faire, il laisse faire aujourd'hui encore et si demain il se décide à faire quelque chose ce sera, je crois, pour sanctionner ce qui s'est fait.

Je voterai donc la proposition de loi de M. Dumortier, parce que je l'envisage comme la seule solution juste et pratique dans l'état actuel de notre circulation monétaire et qu'elle mène sans secousse à l'étalon d'or, auquel il nous est de toute impossibilité de ne pas arriver dans un avenir plus ou moins éloigné, alors même que nous voudrions par un moyen ferme différer ce résultat final, infaillible d'après moi, aussi bien pour la France que pour la Belgique.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

MpVµ. - Je ne puis mettre la clôture aux voix avant que dix membres ne se soient levés pour la demander. La parole est à M. Jacquemyns.

M. Jacquemyns. - J'en aurai pour un temps assez long, je demanderai le renvoi de la discussion à mardi.

- Plusieurs voix. - Non ! non ! Il n'est que 3 heures et quart. Finissons-en !

M. Coomans. - J'étais inscrit également pour présenter quelques observations sur le discours de l'honorable M. Frère, puisqu'il est évident que la Chambre désire clore...

- Plusieurs voix. - Non ! non !

M. Coomans. - Je renonce à la parole, si les autres orateurs inscrits y renoncent. Sinon je maintiens mon tour de parole.

- Plusieurs membres. - A mardi !

MpVµ. - On demande la remise à mardi. (Non ! non !) Puisqu'il y a opposition, je vais mettre cette proposition aux voix.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

MpVµ. - Il va être procédé au vote par appel nominal sur la proposition de remettre la suite de la discussion à mardi.

M. Coomans. - La demande de clôture doit avoir la priorité sur une demande de remise de la discussion.

MpVµ. - La clôture n'a pas été demandée régulièrement par dix membres.

M. Jacquemyns. - Messieurs, la question que nous discutons est une de plus graves dont nous puissions nous occuper. Elle agite tout le pays et je ne pense pas qu'il soit permis à la Chambre d'écourter cette discussion.

M. de Brouckereµ. - Dix membres ont-ils demandé la clôture ?

- Plusieurs membres. - Non ! non !

- Des membres se lèvent pour demander la clôture.

MpVµ. - On a proposé de remettre la discussion à mardi. L'appel nominal a été demandé sur cette proposition, et il allait y être procédé, quand on a réclamé la clôture. On soulève la question de savoir si le vote sur la demande de remise à mardi peut être interrompu par la demande de clôture, ce que je ne puis admettre.

M. Orts. - Je ne vois pas pourquoi nous perdons notre temps à discuter sur cette question. Ceux qui désirent la clôture n'ont qu'à voter contre la proposition de remettre la discussion à mardi.

MpVµ. - Je mets aux voix par appel nominal la proposition de remettre la suite de la discussion à mardi.

- Plusieurs membres. - Non ! non ! la clôture !

M. Devaux. - La marche est bien simple. L'ajournement passe avant toute autre question. Si l'ajournement à mardi est adopté, ceux qui veulent la clôture de la discussion la proposeront mardi. Si l'ajournement est repoussé, nous nous occuperons de la demande de clôture, sauf à permettre aux orateurs de parler pour et contre.

M. B. Dumortier. - Il n'est indifférent que l'on clôture ou que l'on ne clôture pas. Je préfère même que l'on ne clôture pas, parce que je désire vivement répondre quelques mots à l'honorable M. Orts. Mais je ne puis laisser passer ce que vient de dire l'honorable membre, que la demande d'ajournement doit avoir la priorité sur la demande de clôture. Il s'agit, pour s'en assurer, de lire l'article 24 de notre règlement. Il est ainsi conçu : « Si dix membres demandent la clôture d'une discussion, le président la met aux voix. »

M. Pirmez. - Je suis surpris que cette demande de clôture, sur laquelle on insiste, soit précisément appuyée par les membres qui (page 722) soutiennent le projet de loi. On vient d'entendre trois orateurs dans leur sens.

N'est-il pas juste de permettre qu'on leur réponde ?

Cela n'est-il pas surtout nécessaire, lorsqu'il s'agit d'une question avec laquelle on irrite le pays et dans laquelle on n'épargne ni les attaques ni les accusations à ceux qui la résolvent dans un sens contraire au courant de l'opinion.

M. Allard. - On avait proposé d'ajourner la discussion à mardi, et l'on avait demandé le vote par appel nominal sur cette proposition. Au moment où M. le président allait donner lecture du nom sorti de l'urne, et par lequel l'appel nominal devait commencer, on a demandé la clôture, mais cette demande ne peut être faite qu'après que le votes sur la proposition de remise à mardi sera terminé.

M. Pierre. - Voici la signification qu'on pourrait donner au vote.

On pourrait voter sur la demande de clôture, puisque le règlement l'exige. Mais il serait entendu que si la clôture est rejetée, la discussion sera continuée à mardi.

M. E. Vandenpeereboom. - Il y a décision de la Chambre, et M. le président a proclamé cette décision. Il a dit qu'on allait procéder au vote sur la proposition d'ajournement. Il n'y a pas lieu de changer cette résolution.

- Plusieurs membres. Il n'y a pas eu de résolution.

M. E. Vandenpeereboom. - Il y a eu résolution proclamée par le président et je demande que cette résolution soit exécutée.

MpVµ. - Le président a annoncé, en effet, qu'il serait procédé au vote par appel nominal sur la demande de remise de la discussion à mardi. Cette décision est maintenue et nous allons passer au vote.

- L'appel nominal donne le résultat suivant :

106 membres prennent part au vote.

90 votent pour l'ajournement à mardi.

16 votent contre.

En conséquence, l'ajournement à mardi est prononcé.

Ont voté pour l'ajournement : MM. Dechentinnes, de Florisone, de Gottal, de Haerne, de Lexhy, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, B. Dumortier, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Janssens, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, J. Lebeau, Loos, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Neyt, Nothomb, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, V. Pirson, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Saeyman, Savart, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom., Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vau Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Allard, Ansiau, Braconier, Coomans, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechamps et Vervoort.

Ont voté contre l'ajournement : MM. de Decker, de Man d'Attenrode, de Montpellier, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, H. Dumortier, d'Ursel, Magherman, Notelteirs, Snoy, Vanden Branden de Reeth, Vilain XIIII et Beeckman.

- La séance est levée à trois heures trois quarts.