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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 7 mars 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 758) (Présidence de M. E. Vandenpeereboom, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction» en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des porteurs de contrainte dans les provinces de Luxembourg et de Liège demandent que leur position soit améliorée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Van Roosebeke, ancien maître cordonnier au 6ème régiment de ligne, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir du commandant de son régiment un certificat de bonne conduite, ou connaître les motifs du refus de lui délivrer cette pièce. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Merbes-le-Chàteau demandent la construction d'un chemin de fer de Peissant à Momignies. »

M. Van Leempoelµ. - J'appuie cette pétition. La ville de Beaumont est privée de chemin de fer et de toute espèce dé voie de communication. Cependant le canton de Merbes-le-Château renferme des usines, des extractions de minerai et des marbrières.

Je recommande vivement cette requête à M. le ministre des travaux publics, et je le prie de l'examiner avec bienveillance. Elle est fondée, sous tous les rapports.

MpVµ. - Il s'agit simplement en ce moment du renvoi à la commission des pétitions. Demandez-vous un prompt rapport ?

M. Van Leempoelµ. - Oui, M. le président.

- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


MpVµ. - J'ai reçu la lettre suivante :

« Monsieur le président,

« J'ai assisté aux longs débats de la Chambre sur la question monétaire ; ma conviction était formée et je comptais voter pour l'amendement de MM. Pirmez, de Boe et Jamar et contre la proposition de M. Dumortier. Une indisposition m'a empêché d'assister à la séance de mardi. Je me fais un devoir de déclarer que c'est la seule cause pour laquelle je n'ai pas pris part eu vote.

« Agréez, M. le président, l'assurance de ma haute considération.

« Frison.

« Bruxelles, 5 mars 1861. »

Interpellations

M. Allard. - Lorsque le conseil communal de la ville de Tournai vous a adressé il y a quinze jours, une pétition demandant l'exécution du chemin de fer de Hal à Enghien et de Tournai vers Lille, j'ai demandé le renvoi de cette pétition et des autres de même espèce à la commission, avec demande d'un prompt rapport.

Hier ce rapport a été fait. Je n'ai pas pris la parole parce que M. le ministre des travaux publics n'était pas à la Chambre.

Je voulais profiter de la discussion du rapport de la commission pour adresser à M. le ministre une interpellation qui se rattachait indirectement, il est vrai, au chemin de fer de Tournai.

Messieurs, la loi du 28 mai 1856 a autorisé le gouvernement à concéder aux sieurs Maertens et Dessigny, trois chemins de fer partant tous trois de Saint-Ghislain et se dirigeant le premier vers Gand par Leuze, Renaix et Audenarde, le second vers Ath et le troisième vers Tournai en passant par Péruwelz.

La concession a été accordée aux demandeurs le 31 décembre 1856. Aux termes du cahier des charges, les travaux devaient être entièrement terminés en 1859, le 3 décembre, en trois ans à partir de l'arrêté royal.

Diverses circonstances, que tout le monde a pu apprécier, ont empêché l'exécution entière de l'un de ces chemins de fer, celui de Saint-Ghislain vers Gand. Cette ligne est seulement en voie d'exécution, elle sera sous peu terminée.

Mais il n'a pas encore été acheté un seul terrain et aucun commencement de travaux n'a par conséquent eu lieu sur les autres lignes, entre autres sur celle de Saint-Ghislain à Tournai.

Il y a quelques jours un journal m'est tombé sous la main, qui rend compte d'une assemblée générale, qui a été tenue le 30 janvier, des actionnaires du chemin de fer Hainaut et Flandres.

Un rapport a été lu par un des administrateurs de la société. « Après cet exposé de la bonne marche de l'entreprise, dit le journal dont il s'agit, une proposition importante a été mise en discussion.

« Indépendamment de la section de Saint-Ghislain à Gand, la compagnie de Hainaut et Flandres est concessionnaire de deux lignes, de Saint-Ghislain à Ath et de Saint-Ghislain à Tournai ; la construction de ces chemins, d'une importance secondaire, aurait nécessité de nouveaux appels de fonds sur les actions, ce qui aurait influencé fâcheusement sur leur cours.

« Il a été décidé à l'unanimité que la construction de ces deux lignes serait ajournée.

« En conséquence il ne sera plus fait d'appel de fonds, et les actions qui ont aujourd'hui 300 fr. versés seront converties en actions définitives, libérées de 500 fr., dans la proportion de trois pour cinq. »

« L'assemblée a ensuite ratifié le traité passé entre la compagnie et l'entrepreneur, le 3 décembre dernier au sujet de la suppression des embranchements et du règlement des comptes. »«

Ainsi, messieurs, voilà la compagnie qui décide qu'elle n'exécutera pas deux lignes de chemin de fer sur les trois dont elle est concessionnaire. Dans quelle position (erratum, page 778) la ville de Péruwelz va-l-elle se trouver ? Il y avait de nombreuses demandes de concessions pour des chemins de fer partant de Saint-Ghislain et se dirigeant vers Leuze en passant par Péruwelz. Lorsque cette ville pouvait espérer qu'une de ces demandes de concessions allait aboutir, on soumit à la Chambre un projet de loi accordant la concession de trois chemins de fer, l'un vers Ath, l'autre vers Renaix, la troisième vers Tournai passant par Péruwelz ; on exécute la ligne du milieu et on laisse Péruwelz sur le côté.

Ainsi tous les projets tendaient à passer par cette ville, et elle n'en aura pas, ce qu'a décidé la compagnie, sans nous, il est vrai.

Or, Péruwelz a une dizaine de mille habitants, une industrie considérable et mérite certainement d'être rattachée au chemin de fer.

Messieurs, je comprends parfaitement que la compagnie a eu beaucoup de peine à exécuter la première ligne ; mais je voudrais au moins qu'elle fît des efforts pour rattacher la ville de Péruwelz à la station de Basècles, alors on pourrait attendre quelques années pour l'exécution entière de son contrat.

Du reste, messieurs, si l'assemblée générale a décidé à l'unanimité qu'elle n'exécuterait pas la ligne de Saint-Ghislain vers Tournai, je ne doute pas que la Chambre, aussi à l'unanimité, décidera que le contrat devra être exécuté.

Les concessionnaires primitifs devaient construire trois lignes ; ils ont usé de la faculté qui leur était accordée par l'article 69 du cahier des charges, de constituer une société anonyme ; ils ont rétrocédé leur concession avec de grands avantages ; sans doute, aujourd'hui ils s'en lavent les mains ; mais les habitants de Tournai, et surtout ceux de Péruwelz, ne seront nullement satisfaits de cette manière d'agir.

Les chemins de fer qui aboutissent à Tournai sont tous en zigzags ; ce n'est pas la faute de Voltaire, mais c'est la faute du bassin du centre ; s'il n'avait pas existé dans le Hainaut un bassin houiller qu'on appelle le bassin du centre, on irait de Tournai à Bruxelles par Ath, Enghien et Hal, de Tournai à Lille, par Baisieux ou Templeuve, de Tournai à Paris par Douai ; de Tournai à Mons par Antoing, Péruwelz et Saint-Ghislain ; de Tournai à Gand par Audenarde ; tous ces trajets se feraient directement, tandis que maintenant il y a une foule de détours.

Eh bien, messieurs, tout cela c'est la faute du bassin du Centre. Cela paraît bien extraordinaire, mais cela est parfaitement exact.

Voici, messieurs, ce qui s'est passé, voici la cause première de tous les malheurs de Tournai.

Un projet de chemin de fer de Bruxelles vers la frontière de France avait été présenté ; les plans avaient été dressés par MM. Simons et de Ridder, la ligne partait de Bruxelles et se dirigeait vers les Ecaussines ; là il y avait bifurcation : une branche se dirigeait vers Charleroi et (page 759) Namur, l'autre traversait les charbonnages du Centre et se dirigeait sur Mons, puis sur la bassin du Couchant ; le conseil provincial du Hainaut se réunit, et tout à coup voilà que certains conseillers de Mons viennent embrasser les conseillers de Tournai, les conseillers de Charleroi en font autant ; et leur disent : Il est impossible qu'une ville aussi importante que Tournai ne soit pas rattachée au chemin de fer.

Pour cela, il faut que le chemin de fer se dirige vers Jurbise ; du moins Tournai pourra espérer d'être relié un jour à cette station par un chemin de fer qui passerait par Leuze et Ath, mais du moment qu'on fait passer ce chemin de fer par les Ecaussines, pas de doute que Tournai restera dans l'isolement.

Tous ces baisers-là étaient des baisers de Lamourette.

Ce n'était pas pour les beaux yeux des Tournaisiens qu'on voulait diriger le chemin de fer sur Mons par Jurbise en traversant les bruyères de Casteau, c'était tout simplement pour que le bassin du Centre en fût privé.

Le bassin du Centre a été en effet privé de chemin de fer et Tournai a eu ses chemins de fer en zigzags.

Mais bientôt l'injustice commise envers le Centre a été réparée. Le chemin de fer de Mons à Manage a été construit, c'est celui qui rapporte le plus de tout le pays, et vous savez ce qu'il en a coûté au pays pour le racheter à la compagnie, une rente annuelle de 650,000 fr. Voilà ce qu'a produit une coalition d'intérêts privés.

Une première réparation avait été donnée à Tournai, c'était la ligne de Saint-Ghislain passant par Péruwelz. Eh bien, aujourd'hui nous sommes menacés de ne plus avoir cette ligne. Et cependant quand nous avons discuté ce projet, on, nous disait que les demandeurs en concession étaient sérieux, les cautionnements assez importants pour donner toutes garanties à la Chambre, et qu'ils étaient à même de tout exécuter. Le projet fut combattu.

L'honorable M. de Naeyer s'y opposait fortement ; l'honorable M. Magherman, au contraire...

MpVµ. - M. Allard, je vous prie de vouloir bien résumer vos observations.

M. Allard. - M. le président, je crois devoir expliquer comment la ville de Tournai a été victime, à une certaine époque, et il faut que maintenant une réparation complète lui soit donnée ; j'ai dit qu'il y avait un chemin de fer décrété de Saint-Ghislain à Tournai passant par Péruwelz et il n'appartient pas à la compagnie de décider que cette ligne ne sera pas construite.

Je demanderai donc à M. le ministre des travaux publics si, oui ou non, le gouvernement se prêtera à une pareille violation du contrat.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - L'honorable M. Allard vient de répondre lui-même à l'interpellation qu'il adresse au gouvernement. Il a dit que la compagnie n'avait pas le droit de décider elle seule si elle ferait ou si elle ne ferait pas l'embranchement de St-Ghislain sur Tournai. Je n'ai qu'à confirmer ces paroles.

Il est évident que la compagnie n'a pas ce droit ; non seulement elle n'a pas le droit d'agir ainsi seule, mais elle n'aurait pas même le droit de le faire de concert avec le gouvernement.

La compagnie a un contrat à exécuter, contrat dans lequel est intervenue la législature. Le gouvernement a stipulé avec l'autorisation de la législature. Eh bien, messieurs, la législature aurait à consentir expressément à toute modification que l'on voudrait apporter à ce contrat.

Il ne peut donc être question, dans l’intention de la compagnie ni dans celle du gouvernement, de changer le contrat ; la Chambre devrait en connaître. L'honorable membre peut donc être parfaitement tranquille jusqu'au moment où un projet de loi lui serait soumis à cet égard.

Si aucun projet de loi n'est déposé, c'est que cette compagnie n'entend rien modifier à ses obligations ou que le gouvernement ne veut pas s'y prêter.

Dans tous les cas, je le répète, la compagnie et le gouvernement ne peuvent rien faire sans la Chambre.

M. Allard. - Je suis très satisfait.

M. Magherman. - Messieurs, je me proposais de donner à la Chambre les explications que vient de donner M. le ministre des travaux publics.

J'ajouterai seulement que ce que l'honorable M. Allard a lu dans un journal n'est pas parfaitement exact.

La compagnie ne pouvait pas prendre une décision pareille à celle que le journal lui attribue, s'il lui suppose l'intention de ne pas construire les embranchements.

Cela résulte des explications de M. le ministre.

Il s’est agi seulement d'un ajournement qui s'explique parfaitement par les circonstances difficiles dans lesquelles se trouve la Compagnie et qui sont le résultat des différentes crises qui se sont succédé depuis la concession du chemin de Saint-Ghislain à Gand avec ses embranchements à MM. Maertens et Dessigny.

M. Allard. - Je suis heureux d'apprendre que ce que le journal, le Moniteur des intérêts matériels a annoncé le 17 février n'est pas exact ; mais j'avoue que je ne comprends pas trop ce qu'a dit l'honorable. M. Magherman de la question financière, de la difficulté de réunir des capitaux.

La compagnie existe. C'est une société anonyme qui représente 52,000 actions à 500 fr.

300 fr. ont été versés seulement sur les 200. Reste un appel de fonds de 200 fr. par action, par conséquent 10,400,000 fr.

Commencez par faire verser ce complément des actions et vous pourrez exécuter la ligne de Saint-Ghislain à Tournai, passant par Péruwelz.

Ce n'est pas plus difficile que cela. Les actions sont cotées 325 fr. à la bourse et l'on n'a versé que 300 fr. Il y a par conséquent une prime de 25 fr.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est l'action pleine.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce sont les 500 francs.

M. Allard. - Mais on dit dans le rapport que 500 francs seulement ont été versés et que l'on ne fera plus d'appel de fonds ; c'est clair.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela prouve que l'action vaut 125 francs.

M. Allard. - Peu importe ; on n'a versé que 300 francs par action, voilà un fait certain ; faites verser les 200 fr. restant et vous aurez 10,400,000 francs pour faire exécuter la ligne que je réclame, et qu'on ne peut s'abstenir d'exécuter.


M. Wasseigeµ. - Messieurs, le gouvernement nous a fait espérer déjà, à diverses reprises, qu'il nous présenterait, dans le cours de cette session, un projet de loi complémentaire de la grande loi de travaux publics qui a été votée l'année dernière. Il nous a fait espérer également que, dans ce projet de loi, se trouveraient compris les travaux à exécuter à la Meuse pour la canaliser depuis Chokier jusqu'à Namur et pour canaliser la Sambre depuis Namur jusqu'à Mornimont.

Jusqu'à présent, ce projet de loi n'a pas encore été déposé. Cependant des intérêts très graves réclament l'exécution des travaux à faire à la Meuse et à la Sambre. Je crois que les études et les plans sont complets, et je ne sais ce qui arrête le dépôt que je réclame.

Cependant cette session ne sera pas très longue. Elle avance, notre ordre du jour n'est pas chargé.

J'appelle donc toute l'attention de M. le ministre des travaux publics sur l'urgence qu'il y a à présenter le projet dont je parle, afin qu'il puisse être discuté dans cette session.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, je répondrai catégoriquement à la question qui vient de m'être posée.

J'espère pouvoir, présenter la semaine prochaine ou au plus tard la semaine d'après, le projet de loi réclamé.

Je suis parfaitement en règle, mais tous les jours, pour ainsi dire, on présente à mon département des affaires nouvelles.

J'ai attendu pour quelques-unes de ces affaires que nous fussions arrivés à conclusion, mais comme de ce chef le retard pourrait se prolonger en ce qui concerne le dépôt de la loi, j'ai pris, de concert avec mes collègues, la détermination de ne plus m'arrêter devant aucun projet qui ne serait pas complètement mûr. En conséquence, je le répète, le projet sollicité sera déposé très prochainement, car je tiens beaucoup à ce qu'il puisse être discuté dans le cours de la session.

- L'incident est clos.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre IX)

Discussion des articles

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

- Personne ne demandant la parole, la discussion générale est close et l'assemblée passe à celle des articles.

M. le président. - M. le ministre de la justice se rallie-t-il aux propositions de la commission ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je consens à ce que la discussion s'ouvre sur le texte de la commission qui a examiné le projet. Je ferai les observations que j'aurai à présenter, à mesure que les articles seront soumis aux délibérations de la Chambre.

760

(page 760) MpV. - La discussion s'ouvre donc sur le projet de la commission.

« Titre IX. Crimes et délits contre les propriétés. »

Chapitre premier. Des vols et des extorsions

Article 542

« Art. 542. Quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol. »

La commission ne propose pas d'amendement.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Article 543

« Art. 543. Ne pourront donner lieu qu'à des réparations civiles les vols commis par maris au préjudice de leurs femmes, par des femmes au préjudice de leurs maris, par un veuf ou une veuve, quant aux choses ayant appartenu à l'époux décédé, par des enfants ou autres descendants au préjudice de leurs pères ou mères ou autres ascendants, par des péris et mères ou autres ascendants au préjudice de leurs enfants ou autres descendants, ou par des alliés aux mômes degrés

« Toute autre personne qui aurait sciemment participé à ces vols, ou recelé tout ou partie des objets volés, sera punie conformément aux dispositions du Code. »

M. le président. - La commission propose une autre rédaction du second paragraphe ; elle est ainsi conçue :

« Toute autre personne qui aura participé à ces vols ou recelé tout ou partie des objets volés sera punie comme si la disposition qui précède n'existait pas. »

M. Savart. - Je suis de ceux qui pensent qu'il ne faut changer le texte des lois qu'avec beaucoup de prudence et de circonspection et qu'en cas d'absolue nécessité.

Je remarque que l'on a changé ici le texte de l'article 380 du Code pénal, en ce sens qu'au lieu de dire : « les soustractions commises par les maris au préjudice de leurs femmes et par les femmes au préjudice de leurs maris, etc., » on a dit : « les vols commis, etc. » On a donc substitué ce mot « vol » au mot « soustraction ».

Je me suis demandé quel était le motif pour lequel on avait introduit ce changement de texte et j'ai trouvé dans le rapport de la commission que le changement de rédaction proposé n'a d'autre but que d'indiquer clairement que, quant aux complices et aux receleurs, ils doivent subir la même peine que si l'auteur de la soustraction était punissable.

Je crois que ce changement n'est pas d'absolue nécessité. (Interruption.) Je m'explique : je crois qu'on ne peut pas qualifier de vol, la soustraction qui est commise par un mari au préjudice de sa femme ou par une femme au préjudice de son mari, ou par des enfants au préjudice des pères, ou par des pères au préjudice de leurs enfants. Je crois que le législateur avait parfaitement établi la distinction et la ligne de démarcation qui existe entre les parents et les descendants en qualifiant certains actes de soustraction et en punissant comme voleurs les étrangers qui interviennent dans ces actes.

Les étrangers ne sont plus dans la même position que les parents ; s'ils s'attribuent une partie des objets, ce sont de véritables voleurs ; s'ils ont recelé, ils se sont immiscés dans une affaire dans laquelle ils ne devaient pas s'immiscer ; ils sont victimes de leur imprudence. La ligne de démarcation est clairement établie, il est évident que les uns sont punis comme voleurs et que les autres n'ont commis qu'une simple soustraction ce qui n'est pas un vol.

Je demande pourquoi on a changé ce texte qui existe depuis 51 ans et n'a jamais donné lieu à de bien graves inconvénients au passé et en soulèvera encore bien moins à l'avenir, puisque si la soustraction se joint à un crime, il n'y a plus aggravation de peine d'après la législation nouvelle.

La question d'aggravation ne se reproduira plus. Je suppose un père jouissant du revenu des biens de son enfant, n'accomplissant pas les obligations inhérentes à cette jouissance, laissant son fils manquer d'aliments. Si ce fils pour se nourrir soustrait et vend un meuble acheté par son père, pouvez-vous le traiter de Cartouche ou de Mandrin ? Le père manque à la loi naturelle, à la loi civile. Le fils prend une chose dans laquelle il a une espèce de propriété.

M. Pirmez, rapporteur. - La question que soulève l'honorable M. Savart nous est présentée par lui comme une simple question de rédaction ; il ne voit aucune différence, quant au résultat, entre le maintien du texte de la loi actuelle qu'il propose, et l'adoption de celui du projet de la commission,

Mais l'honorable membre est dans une grande erreur, en pensant que le premier texte n'a donné lieu à aucune difficulté ; il a soulevé au contraire une des controverses les plus sérieuses de toute la législation pénale et cette controverse porte précisément sur le point que M. Savart nous présente comme hors de doute et sur lequel toute sa critique se fonde.

On s'est demandé si les soustractions commises entre les proches parents désignés dans l’article sont considérés par la législation actuelle comme des vols.

Chauveau et Hélie ont soutenu qui ces soustractions ne sont pas des vols, qu'elles échappent à toute incrimination pénale.

La cour de cassation de France au contraire, qui est, on le reconnaîtra, une imposante autorité, a toujours décidé que ces faits constituent des vols, mais des vols que la loi laisse impunis.

Les conséquences de ces deux systèmes méritent attention à un double point de vue.

Un père tue son fils pour le voler, mais sans préméditation. Si la soustraction constitue un vil, la peine de mort est encourue ; si la soustraction n'est pas un délit, le coupable évite la peine capitale.

A l'égard des complices, le texte actuel a donné lieu à des difficultés plus graves encore.

L'honorable M. Savart se figure que le dernier alinéa de l'article 380 punit le complice exactement comme si la soustraction était commise entre étrangers, en sorte que, d'après la loi, cette soustraction qui n'est pas un vol à l'égard de l'auteur principal, est toujours vol à l'égard du complice qui n'a pas avec la victime de liens étroits de parenté.

Eh bien, ce dernier alinéa donne lieu aussi à une très grande difficulté et voici comment. Cet alinéa ne dit pas, comme le suppose l'honorable M. Savart, que tous les complices sont punis comme s'il y avait vol ; il s'applique seulement aux individus qui auraient recelé ou appliqué à leur profit tout ou partie des objets volés. Or, il y a d'autres complices que ceux qui recèlent ou appliquent à leur profit les choses soustraites. Il y a complicité, par exemple, lorsqu'on fournit des instructions, des instruments ou une assistance quelconque pour commettre le fait délictueux.

Or, comment ces complices doivent-ils être traités ?

Ils demeurent impunis dans le système qui ne reconnaît pas au fait le caractère d'une infraction. Ils sont frappés des peines ordinaires de la complicité de vol, si la soustraction est considérée comme criminelle.

Voilà des points très importants de controverse. N'était-il pas du devoir de la commission de les trancher ; et ne serait-ce pas un vice capital d'une loi nouvelle que de laisser subsister de pareilles incertitudes ?

Il fallait trouver un système logique pour résoudre ces difficultés. Votre commission a cru le rencontrer dans le projet du gouvernement, elle vous propose de l’adopter.

Mais quelque influence que l'on attache aux liens de parenté qui unissent l'auteur de la soustraction au propriétaire de la chose dérobée, il faut reconnaître qu'elle ne fait pas sortir cette soustraction des termes de la définition.

Le fils qui prend une chose à son père, ou le père qui enlève ce qui est à son fils dans la vue de se l'approprier, commettent des soustractions frauduleuses.

Que la parenté doive influer sur la peine, sur la criminalité du fait, c'est ce que nous admettons volontiers ; il y a là plus qu'une circonstance atténuante, aussi l'action publique sera écartée par une exception péremptoire, mais l'essence du fait ne change pas, et le vol subsiste.

Mais voyez dans quelle contradiction tombe notre honorable collègue.

Il veut que celui qui a recelé ou appliqué à son profit l'objet soustrait soit puni comme complice de l'auteur principal, mais il ne veut pas que celui-ci ait commis un vol. Les tribunaux devront donc condamner pour complicité d'un vol qui n'existe pas.

Ce serait là un véritable non-sens juridique.

Si vous comparez le système si logique que présente la commission et le système si contradictoire de l'honorable M. Savart, je crois que vous n'hésiterez pas à donner la préférence au premier.

M. de Brouckereµ. - Je demande à dire deux mots pour expliquer pour expliquer par quels motifs je trouve le nouveau texte préférable à l’ancien.

Le nouveau texte a absolument la même portée que l'ancien ; mais il a l'avantage d'être plus clair. Le mot « soustraction » employé par le Code pénal de 1810, était évidemment, dans les intentions des rédacteurs du Code, synonyme du mol « vol », et en voici la preuve. Le second paragraphe (page 761) de l'article 380 du Code dit : « A l'égard de tous autres individus qui auraient recelé ou appliqué à leur profit tout ou partie des objets », la loi ne dit pas « soustraits », mais « volés, ils seront punis comme coupables de vol. »

Il en résulte donc à toute évidence que, dans l'intention des rédacteurs du Code de 1810, le mot « soustraction » est équivalent du mot « vol ». Dès lors, il vaut mieux employer le terme véritable qui est « vol ».

M. Van Overloop. - D'après les explications qui ont été données par l'honorable rapporteur, le second paragraphe de l'article 380 atteindrait tous les complices du fait prévu dans le paragraphe premier. Je ne sais si la manière dont la commission a exprimé sa pensée est parfaitement claire. Le mot « participé » indique-t-il bien clairement tous les modes de complicité ? Je désire que l'honorable rapporteur de la commission réponde à cette question.

M. Pirmez. - D'après le livre premier du Code pénal, il y a deux manières de coopérer à l'infraction d'autrui.

On peut être coauteur et l'on peut être complice. Ces deux degrés de coopération sont compris dans le terme générique de « participation ».

M. Guilleryµ. - Il me semble que les observations présentées par l'honorable M. Savart, sont dignes de l'attention de la Chambre.

Le mot « soustraction » employé par l'article 380 du Code pénal actuel l'a été évidemment avec intention.

On n'a pas voulu appeler vol un fait que l'on ne considérait pas comme criminel. Il y aurait contradiction à dire : il y a vol, et à dire : nous ne punissons pas.

Si vous considérez la soustraction comme frauduleuse, comme accusant un caractère criminel, il doit y avoir châtiment.

Mais le législateur, en déclarant le fait innocenté, en déclarant qu'il ne pouvait donner lieu qu'à des réparations civiles, n'a pas voulu, n'a pas pu employer le mot « vol ».

L'honorable M. de Brouckere argumente du second paragraphe de l'article 380, pour en tirer la conséquence que le mot « soustraction » a été employé sans intention par le législateur et que celui-ci aurait employé le mot « vol » s'il s'était présenté sous sa plume.

Je comprends cependant parfaitement la différence entre le premier et le second paragraphe.

Dans celui-ci le législateur parle d'un fait criminel : « A l'égard de tous autres individus qui auraient recelé ou appliqué à leur profit tout ou partie des objets volés, ils seront punis comme coupables de vol. » Ici il y a vol, puisqu'il y a des voleurs ; il y a des personnes que vous condamnez comme coupables de vol.

Bien qu'elles ne soient réellement que complices, qu'elles n'aient participé au fait que par recel ou parce qu'elles ont fait tourner à leur profit les objets volés, elles sont considérées comme voleurs et punies comme telles.

Dans le premier paragraphe, on emploie le mot « soustraction » auquel on n'a pas ajouté avec intention, l'épithète de « frauduleuse », pour montrer qu'il n'y a pas lieu à punition, que le fait ne peut donner lieu qu'à une réparation civile.

Je ne crois donc pas qu'il y a contradiction à maintenir le texte actuel.

L'honorable rapporteur de la commission a donné un argument qui, je l'avoue, est très spécieux et qui paraît décisif au premier abord. Comment, dit-il, voulez-vous condamner un homme comme complice d'un délit qui n'existe pas ? Mais l’argument me pareil plutôt touchera la forme qu'au fond.

M. Pirmez. - Vous ne critiquez que la forme.

M. Guilleryµ. - Pardon.

Voici quelle est, suivant moi, la portée de l'observation de l'honorable M. Savart, c'est que. lorsqu'on déclare un fait innocent il ne faut pas donner à ce fait une dénomination qui ne s'applique qu'à un crime ou un délit. Ce qui a révolté la conscience de l'honorable membre, si je l'ai bien compris, c'est de voir appliquer une expression flétrissante à un fait qui, suivant lui, n'est pas flétrissant. Un fils qui dépense l'argent de son père, argent qui ne lui appartient pas, il est vrai, ce fils n'est pas cependant un voleur.

Certes il ne peut pas être justifié, mais le législateur n'a pas voulu entrer dans un débat entre le père et le fils, il n'a pas voulu que le père fût plaignant et que le fils fût puni.

Cela a paru contraire aux lois de la nature, et le législateur n'a pas voulu qu'une action semblable pût être introduite en justice.

Il y a donc ici, messieurs, autre chose qu'une question de forme ; il s'agit de savoir si l'on qualifiera de crime un fait que la loi n'a pas voulu caractériser, Que l'on dise : Toute personne qui aura participé... sera punie comme complice conformément aux dispositions du présent Code ; punie comme complice ou punie comme auteur. »

Pour ma part je ne verrais pas là une contradiction. On conserverait le mot « soustraction » dans le premier paragraphe et on dirait que toute personne qui aura participé à cette soustraction sera considérée comme complice et punie comme telle.

M. Nothombµ. - Je partage l'avis des honorables MM. Savart et Guillery. Je crois qu'il faut maintenir la rédaction du Code de 1810, et voici pour moi une raison décisive. Il n'y a vol que lorsque le fait a été qualifié tel par un jugement. Or, il arrive précisément que ces faits ne sont pas déférés à la justice ; il ne faut pas qu'ils aboutissent à l'audience ; il importe qu'il n'y ait pas jugement, car on veut éviter le scandale et la flétrissure qui résulterait de poursuites de ce genre. Il n'y a donc pas vol, puisque aucune décision judiciaire ne l'a reconnu ; il y a simplement soustraction, c'est-à-dire enlèvement d'une chose, ce qui, dans le langage juridique, est tout différent.

M. Pirmez, rapporteur. - L'honorable membre qui se rassied me paraît confondre deux choses bien distinctes : la qualification légale du fait générique indépendamment de toute espèce particulière et la qualification d'un fait pris isolément.

Dans la loi vous qualifiez in abstracto les actes que vous voulez punir ; mais cette qualification n'atteint un fait spécial matériel que lorsqu'elle lui est appliquée par un jugement.

Ainsi, quand la loi donne à un fait la qualification de vol, jamais cette qualification ne pourra être appliquée à une soustraction qui aura été commise qu'après une décision de justice.

Messieurs, je ne veux pas discuter la portée du texte de la loi actuelle ; ce texte a donné lieu, je l'ai dit, à de grandes controverses ; des autorités imposantes pourraient être invoquées de part et d'autre ; j'aurais, pour ma part, à me prévaloir de l'autorité de la cour de cassation de France, mais en définitive nous ne traiterions qu'une question de droit positif qui ne doit pas nous occuper.

Mais lorsque nous examinons les choses au point de vue législatif, je ne conçois véritablement pas l'opinion de l'honorable membre qui ne veut pas que le fait soit qualifié de vol, mais qui veut cependant que l'on punisse pour participation à un vol.

Voilà un individu traduit devant le tribunal correctionnel pour avoir aidé un fils à dépouiller son père. De quel chef le condamnerez-vous ? Evidemment, vous le condamnerez pour avoir pris part à un vol, mais en même temps vous voulez absolument qu'il n'y ait pas de vol !

Comment concevoir que l'on coopère à un fait qui n'a pas existé ?

C'est là, messieurs, une flagrante contradiction.

Qu'on ne l'oublie pas d'ailleurs, les faits qui nous occupent sont des faits très blâmables ; la loi ne les punit point, parce que la répression présenterait des inconvénients, mais ce n'est pas une raison pour méconnaître leur véritable caractère et prendre tant de soin de leur épargner jusqu'à une qualification qui les flétrisse.

Il faut conserver aux choses le nom qu'elles doivent avoir. Si les soustractions qui nous occupent sont frauduleuses, elles constituent des vols.

M. Savart. - Messieurs, malgré tout ce qu'on a dit, il reste établi, selon moi, que le législateur ne s'est pas servi du mot « vol » pour ne pas stigmatiser le fils qui a pris quelque chose à son père, la femme qui a pris quelque chose à son mari. On dit : Mais il y aurait donc des complices et il n'y aurait pas d'auteur principal !

Eh bien, messieurs, cela s'est vu tout récemment encore dans un procès qui a fait beaucoup de bruit : une femme était accusée d'avoir empoisonné son mari, son amant était accusé comme complice ; le jury a acquitté la femme parce qu'il a pensé qu'elle avait agi sous l'influence d'une contrainte majeure et l'amant a été condamné comme complice.

M. Pirmez. - Le fait existait.

M. Savart. - Il y avait un complice et il n'y avait pas d'auteur principal.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'argument de l'honorable M. Savart ne me paraît pas bien choisi.

Tout le monde sait parfaitement qu'il peut y avoir des complices poursuivis été condamnés sans que l'auteur principal soit connu ou mis en cause ; mais il faut nécessairement que le fait qui donne lieu à la poursuite soit qualifié de crime ou de délit, et jamais personne n'a admis qu'on pût être condamné comme complice d'un fait qui n'est pas considéré comme tombant sons l'application de la loi pénale.

Ainsi dans le cas cité par M. Savart, il y avait un crime puni de mort et alors même que l'auteur principal échappait à la peine, le fait n'en restait pas moins qualifié crime.

(page 762) En ce qui concerne les dispositions au Code actuel, ainsi que l'a fait observer l'honorable M. de Brouckere, il est évident que l'article 380 du Code pénal, lorsqu'il s'est servi du mot « soustraction », l'a employé comme l'équivalent du mot « vol », et la preuve manifeste en est dans le second paragraphe du même article.

L'honorable M. Guillery a dit : « Je comprends que dans le second paragraphe on se soit servi du mot vol parce que là il y a effectivement des objets volés. »

L'honorable membre a perdu de vue que c'est absolument le même fait que celui qui est prévu par le premier paragraphe de l'article, le fait perpétré par le fils, par la femme ou par le mari, sans le concours des individus qui sont punis par le second paragraphe de l'article 380, du chef de faits posés postérieurement au vol. Si le Code actuel ne considérait pas comme un vol la soustraction commise par le fils d'objets appartenant à son père, elle ne pourrait pas parler d'objets volés, quand elle parle du receleur de ces mêmes objets. Le receleur n'est intervenu qu'après la perpétration du vol.

La législation actuelle répute donc vol le fait du fils, par exemple, qui a soustrait des objets à son père.

Je crois donc qu'il faut maintenir la rédaction actuelle, sous peine de tomber dans une contradiction manifeste. Il ne peut pas y avoir de complice où il n'y a pas de fait qualifié délit.

M. Guilleryµ. - Messieurs, je crois que les mots « objets volés » ne sont employés dans le second paragraphe que parce qu'on punit des individus coupables de vol.

Je ne veux pas, du resta, m'engager dans une discussion sur l'interprétation de la législation actuelle, le point est accessoire ; je me borne à dire : Voilà comment je comprends la législation actuelle, je demande uniquement que ce sens soit attaché à la loi nouvelle que nous faisons.

Messieurs, j'ai demandé la parole, surtout pour répondre à l'observation qui a été présentée par l'honorable M. Pirmez, en réponse à l'honorable M. Nothomb.

Il n'y a pas, dit l’honorable rapporteur, de condamnation qui frappe les soustractions commises par le fils, la femme ou le mari ; par conséquent, quelle que soit la dénomination donnée par la loi à ces faits, vous ne pouvez pas dire que le fils, la femme ou le mari sont déclarés voleurs.

C'est une erreur, me paraît-il.

Si le fils, la femme ou le mari ont des complices, et si ceux-ci sont condamnés comme complices du fait principal, comme complices du fils, de la femme, du mari, évidemment il y a déclaration de vol à charge de l'auteur principal.

D'après le système du gouvernement, il y a un voleur principal.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Qui n'est pas puni.

M. Guilleryµ. - C'est vrai ; il est exempt de peine, d'après vous. Nous voulons plus ; nous demandons que non seulement il ne soit pas punissable, mais qu'il ne soit pas auteur principal, qu'il ne soit pas voleur ; nous ne voulons pas qu'il y ait un jugement d'où il résulte que le fils est un voleur, parce que nous ne pensons pas qu'il le soit.

Nous ne voulons pas déclarer qu'un fils peut commettre des soustractions à charge de son père.

Ce n'est pas un vol parce qu'il y a entre les parties intéressées une certaine communauté, une certaine facilité, une certaine solidarité qui n'est pas compatible avec les caractères d'une soustraction frauduleuse.

M. de Brouckereµ. - Messieurs, on dit que si on emploie le mot « vol » dans le premier paragraphe de l'article 540, on imprime une sorte de flétrissure sur les personnes énumérées dans cet article. Mais je ne vois pas grand mal à ce qu'on déverse un blâme, et un blâme très sévère sur les personnes qui ont commis un fait évidemment blâmable. C'est déjà bien assez que ces personnes échappent à toute espèce de peine, grâce à la position exceptionnelle dans laquelle elle se trouvent.

L'honorable M. Guillery trouve qu'il y a contradiction à employer dans le premier paragraphe de l'article 543, le mot « vol » et à ne pas appliquer de peine.

Mais l'honorable membre sait fort bien qu'il y a des faits parfaitement qualifiés de crime et qui ne sont pas punissables. Ainsi le meurtre commis par une personne en état de démence reste toujours un crime, un meurtre ; mais ici le meurtre n'est pas punissable.

- Un membre. - Il n'y a là ni crime ni délit.

M. de Brouckereµ. - Mais c'est toujours un meurtre.

La personne morte est tout aussi bien morte que si elle avait été tuée par un autre.

M. Guilleryµ. - C'est un homicide.

M. de Brouckereµ. - Le meurtre commis par une personne en état de démence n'est pas punissable. Le vol commis par une personne en état de démence n'est pas punissable. C'est toujours un vol, vous ne sauriez faire en sorte que ce qui a été volé ne soit pas volé.

M Guilleryµ. - C'est une soustraction.

M. de Brouckereµ. - C'est une soustraction frauduleuse, c'est-à-dire un vol. Je demanderai par exemple si le meurtre commis par un enfant, lorsqu'il a agi sans discernement, est punissable ?

C'est toujours un meurtre, mais la peine n'est pas applicable.

M. Guilleryµ. - C'est un homicide.

M. de Brouckereµ. - Un homicide volontaire, c'est-à-dire un meurtre. Le meurtre commis la nuit sur celui qui escalade une clôture est toujours un meurtre, mais c'est un meurtre que vous ne punissez pas par suite des circonstances dans lesquelles il a été commis.

M. Pirmez. - L'adultère.

M. de Brouckereµ. - L'adultère c'est l'excuse.

Vous voyez donc bien que la qualification même de vol n'entraîne pas la nécessité de l'application d'une peine.

Le fait reste véritablement un vol, mais ce vol n'est pas punissable grâce à la position spéciale dans laquelle se trouvent les personnes qui l'ont commis et c'est dans ce sens que les rédacteurs du Code de 1810 l'ont entendu.

M. Nothombµ. - Je sais gré à l'honorable M. Guillery d'avoir présente les observations que j'avais moi-même l'intention de soumettre à la Chambre.

Je persiste à croire que la rédaction du Code de 1810 est la bonne, et les observations de mes honorables contradicteurs m'ont confirmé dans cette opinion.

Ce que nous devons avant tout éviter, c'est qu'un jugement ne vienne qualifier de voleur la personne qui se trouve dans des liens de parenté que l'article en question prévoit.

Si vous mettez dans l'article le mot « vol », vous supposez nécessairement, qu'il y a un jugement qui a donné cette qualification au fait, car il n'y a de vol que lorsqu'un jugement régulier l'a ainsi déclaré.

Jusque-là il n'y a pas vol.

Si vous alliez au-delà, si vous présupposiez ce jugement, vous iriez à l’encontre du but que vous poursuivez, celui d'empêcher les scandales, les hontes de famille, d'éviter qu'un fils puisse être qualifié, de voleur parce qu'il aurait détourné un objet à son père ou réciproquement-En insérant le mot vol dans la loi, vous aurez, bien malgré vous, créé cette fâcheuse situation.

Ce qu'il faut éviter, je le répète, c'est la nécessité d'un jugement. Or, qui dit vol, dit jugement.

L'honorable M. de Brouckere disait tout à l'heure que le fait est par lui-même tellement répréhensible qu'il ne comprenait pas qu'on voulût en écarter l'épithète de vol.

J'estime que, quelque répréhensible que soit ce fait, il y a cependant de par la conscience universelle une énorme différence entre le fait de soustraction commis par des tiers et celui que commettent entre eux des parents aussi rapprochés ; cette différence, toutes les législations l'ont proclamé.

L'honorable M. de Brouckere vous dit encore : Mais quelle différence voit-on à qualifier l'individu de voleur ou de soustracteur ? Peu importe.

Messieurs, pour moi c'est toute la question. C'est précisément contre cette confusion que je m'élève.

Aussi longtemps qu'il n'y aura pas de jugement déclarant que le fait est un vol, personne ne pourra parler de voleur et quant au mot nouveau de soustracteur, je n'en prévois guère l'application.

En définitive, si vous voulez parler de vol dans la loi, faites qu'il y ait un jugement qui déclare préalablement que le fait est tel ; sinon ne déclarez pas à priori par votre texte qu'un fait est un vol quand vous n'osez pas le punir comme tel.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). -Il paraît que nous ne nous entendons pas avec l'honorable M. Nothomb.

Il dit : Ce qu'il faut éviter c'est la nécessité d'un jugement.

Je n'admets pas qu'il y ait là nécessité d'un jugement. Ainsi par exemple lorsque le fils, la femme ou le mari auront voté des objets appartenant l'enfant au père, le mari à la femme ou la femme au mari, sans l'intervention d'autres personnes, il est évident qu'il n'y aura ni poursuites ni jugement.

M. Nothombµ. - Vous l'appelez voleur.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). -C'est la définition de 1a loi.

(page 763) Vous confondez la définition que la loi donne avec l'application que le juge en fait. Voilà la confusion dans laquelle vous tombez. Il y a délit lorsque le fait réunit les caractères définis par loi ; mai s'il n'y a de culpabilité que lorsque le juge la déclare.

M. de Naeyer. - Application impossible.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il est évident qu'aussi souvent qu'il n'y aura pas d'autres individus en cause, soit complices, soit receleurs, soit des individus qui auront fait tourner à leur profit les objets volés, il n'y aura pas de poursuites devant le tribunal et par conséquent pas de jugement.

Les craintes de l'honorable M. Nothomb sont donc mal fondées. Cela est tout au long dans l'exposé des motifs.

M. de Naeyer. - Et s'il y a un complice ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). -Il faut bien qu'il soit poursuivi, et c'est ce complice qui sera seul en cause ; il sera nécessairement condamné comme voleur.

M. Thibaut. - Messieurs, je crois que M. le ministre de la justice n'a pas apprécié exactement les observations faites par l'honorable M. Nothomb. Jamais, dit M. le ministre, il n'y aura de jugement prononcé contre un fils qui aura commis un vol au préjudice de son père, si ce n'est lorsque le coupable aura eu des complices. C'est là une erreur. En effet, l’article 543 déclare que des faits semblables pourront donner lieu à des demandes en réparations civiles.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ne pourront donner lieu qu'à des réparations civiles.

M. Thibaut. - Eh bien, qu'arrivera-t-il lorsque des réparations civiles seront réclamées ? C'est que le juge motivant son jugement, s'exprimera en ces termes : « Attendu qu'il est prouvé qu'un tel a voté son père, etc., etc. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). -Il le motivera comme il voudra.

M. Thibaut. - Ou bien : « Attendu qu'une telle a voté son mari, etc. »

Vous voyez donc que la qualification de voleur peut résulter d'un jugement rendu par un tribunal civil sur des faits qui ne sont pas poursuivis correctionnellement.

Ainsi, dans, ce cas, on pourra appliquer aux personnes dont il est question l'épithète de voleur et elles ne pourront se plaindre du chef de calomnie.

Vous voyez donc bien, messieurs, qu'il y a clans le système de la commission ouverture à de nombreux inconvénients.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il faut un jugement criminel pour pouvoir être qualifié de voleur.

M. Guilleryµ. Je dirai en réponse à l'honorable M. de Brouckere que le législateur n'emploie jamais le mot caractéristique d'un délit ou d'un crime lorsque la peine ne vient pas le sanctionner, mais ce qui est bien plus important que la peine, lorsqu'il ne trouve pas dans le fait le caractère de criminalité.

Ainsi l'article 527 dit : Qu'il n'y a ni crime ni délit lorsque...

C'est l'homicide.

La loi peut bien parler d'homicide, parce que l'homicide n'est pas un crime ni un délit par lui-même ; mais la loi n'avait pas employé le mot « meurtre » en disant qu'il ne serait pas puni.

M. Pirmez. - Si ! si !

M. Guilleryµ. - Pardon.

Lorsqu'il n'y a pas de peine ni de criminalité, il y a homicide parce que l'homicide n'est par lui-même que le fait de tuer un homme. Ce n'est pas un crime en dehors des circonstances constitutives de la criminalité.

Le mot « vol », pour rester fidèle à cet ordre d'idées, ne peut être employé lorsque non seulement (je reconnais qu'ici il y a autre chose qu'un dissentiment de mots entre nous), il ne doit pas y avoir de peine, sur quoi nous sommes d'accord, mais lorsqu'il n'y a pas même de caractère de criminalité.

M. Pirmez. - Quel est ce caractère constitutif de la criminalité ?

M. Guilleryµ. - C'est que la soustraction soit frauduleuse.

Il reste donc à savoir si vous trouvez une soustraction frauduleuse dans le cas qui nous occupe, en d'autres termes si le fils qui soustrait à son père commet un délit de la même nature que celui qui soustrait à un étranger.

Pour moi, je ne le crois pas.

Ainsi, deux motifs, suivant moi, doivent empêcher la Chambre d'adopter la rédaction proposée. Le premier, c'est que le législateur n'emploie jamais le mot caractéristique de crime ou de délit lorsque le fait n'est point punissable ; le second, c'est que, dans le cas qui nous occupe, non seulement il échappe à la peine, mais en réalité il ne constitue pas un véritable délit.

M. Pirmez, rapporteur. - L'honorable membre commet deux erreurs manifestes.

La première, c'est de supposer que la législation n'emploie jamais pour désigner un fait la dénomination d'une peine quand aucune peine n'est attachée à ce fait.

Mais l'article même que vient de lire M. Guillery parle de blessures non punissables, or le mot « blessure » est bien qualificatif d'une infraction.

M. de Naeyer. - La blessure n'est pas criminelle en elle-même.

M. Pirmez. - Comment, elle n'est pas criminelle ?

M. Coomans. - Du tout.

M. Pirmez. - Elle ne réunit pas toujours les caractères de la criminalité, mais il y a évidemment délit quand on blesse quelqu'un avec connaissance et volonté.

Mais ces deux circonstances sont constitutives non de l'infraction mais de la culpabilité ; elles sont exigées dans tous les cas pour qu'une peine soit appliquée, et ne sont pas plus des éléments de l'infraction que j'indique que de toute autre.

Un fils cache son père qui a commis un assassinat. N'y a-t-il pas là recèlement de criminels ? La loi a-t-elle une autre qualification pour le fait commis dans cette circonstance ?

On pourrait multiplier les exemples.

La seconde erreur de l'honorable membre réside dans l'idée qu'il se forme de la portée du mot « frauduleusement ».

J'avoue que je ne sais pas ce qu'il entend par cette expression. Jamais on n'a donné à ce mot une autre portée que celle d'agir avec l'intention de faire un bénéfice.

Notre définition du vol n'est que la traduction de la définition du droit romain qui exigeait que la soustraction ait été faite : « lucri faciendi gratia. »

Voilà ce qui constitue l'essence de l'intention frauduleuse, c'est l'intention de faire un lucre illégitime.

Or, cette intention n'existe-t-elle pas lorsqu'un fils prend la bourse de son père ? Le fils n'agit-il pas dans la même intention que l'individu qui vote la bourse d'un étranger ? (Interruption.)

Permettez ; nous reconnaissons avec vous qu'il y a dans les liens de parenté une circonstance qui enlève au fait de son caractère d'immoralité et c'est pour cela que nous ne le punissons pas. Mais cela n'empêche pas que l'intention de faire un bénéfice illicite n'existe.

Si donc vous prenez le mot « frauduleusement » dans le sens où il a toujours été employé, vous arrivez nécessairement à reconnaître qu’il y a là soustraction frauduleuse.

Mais vous qui nous reprochez de qualifier de vol ce fait non punissable, vous tombez dans ce même résultat, forcément et malgré vous.

Vous voulez qu'on condamne le complice pour avoir facilité et aidé à commettre un vol.

Mais le jugement rendu contre le complice constatera le fait principal de vol.

Il est impossible qu'il en soit autrement. Ce jugement n'aura pas force de chose jugée contre l'auteur de la soustraction sans doute ; mais il en est de même dans notre manière de voir, et la position sera identiquement la même.

Dans les deux systèmes la soustraction sera constatée, et comment voulez-vous que l'on dise que son auteur n'a pas commis de vol quand ceux qui auront facilité cette soustraction seront condamnés pour avoir participé à un vol ?

M. le président. - MM. Savart et Guillery viennent de faire parvenir au bureau l'amendement suivant :

« Remplacer, au premier alinéa de l'article 543, le mot « vol » par le mot « soustraction » ; et dire, au second paragraphe : « Toute autre personne qui aura participé à ces soustractions ou recelé tout ou partie des objets soustraits, sera punie comme complice de vol, conformément aux dispositions du présent code. »

- Cet amendement est appuyé. Il fait partie de la discussion.

M. de Naeyer. - Je ne conçois pas pourquoi on insiste pour faire décréter par notre code qu'il y a toute une catégorie de vols qui ne sont jamais punissables. Voilà, je l'avoue, ce qui surpasse mon intelligence. Quelle utilité y a-t-il donc à introduire dans notre code la qualification de vol pour des faits qui, quelle que soit la culpabilité des agents, ne sont cependant pas punissables. Il me semble, puisque vous admettez que des faits de cette espèce ne sont pas de nature à mériter l'application d'une peine, qu'il serait infiniment préférable de ne point (page 764) se servir du mot « vol » qui implique nécessairement l'idée d'un délit. Je conçois que, dans certaines circonstances données, à raison de l'absence de culpabilité, il n'y ait pas lieu d'appliquer une peine ; mais quand vous déclarez formellement qu'il y a toute une catégorie de faits, quelque immoraux qu'ils soient et bien qu'ils aient été posés sciemment, avec méchanceté même, qui ne tombent sous l'application d'aucune peine, pourquoi donner à ces faits la qualification de vol ?

Je laisse de côté le cas d'un jugement condamnant à une réparation civile, pour les faits dont il est ici question. Je parle d'un jugement en matière pénale qui aura été porté contre un complice ou receleur ; ce jugement devra nécessairement qualifier de vol le fait à l'égard de celui qui aura été poursuivi et condamné, et comment ce jugement pourrait-il avoir pour conséquence de flétrir du nom de voleur celui qui n'est pas intervenu dans les poursuites, qui n'a pas été à même de se défendre et qui n'a aucun moyen de se pourvoir contre la flétrissure qui lui est infligée ? Et cependant voilà les conséquences du système que nous combattons.

(erratum, page 778) Je ne comprends pas comment en présence de telles conséquences, on puisse préférer le mot « vol », qui a nécessairement une signification flétrissante au mor « soustraction », qui a l’avantage de ne pas flétrir sans jugement possible.

Vous dites qu'il y aurait contradiction à ce qu'on punirait le complice, alors qu'il n'y aurait pas de fait principal qualifié délit.

Mais non, messieurs, vous ne dites pas qu'il est complice, mais qu'il est puni comme s'il était complice ; ce qui n'est pas du tout la même chose.

Là n'est donc pas la contradiction ; mais elle réside en ceci : c'est que vous déclarez qu'il y a toute une catégorie de faits qui constituent de véritables délits et qui cependant ne sont jamais punissables, qui ne sont jamais poursuivis, et pour lesquels on sera flétri sans avoir subi un jugement et sans avoir pu se défendre.

Je crois qu'il n'y a de délit que quand il s'agit d'un fait à raison duquel l'application d'une peine est au moins possible, et sous tout ce rapport, l'observation de l'honorable M. Nothomb est parfaitement fondée. Pour les faits que vous flétrissez du nom de délits, il faut qu'il y ait au moins possibilité de condamnation dans certaines circonstances.

M. Van Humbeeckµ. - Je crois, comme plusieurs des honorables préopinants, que le mot « soustraction » est préférable au mot « vol ».

Je crois utile par conséquent d'opérer la substitution proposée par l'amendement. Ainsi on restera d'accord, dans l'article 543, avec le texte de l'article 542 que nous venons de voter et qui porte « quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol. »

D'après cet article 542 l'idée de vol implique l'idée de culpabilité, elle y est corrélative ; or, nous ne pouvons pas, dans un texte de loi, admettre une culpabilité sans prononcer la possibilité d'une répression. Cette observation suffit pour m'engager à voter l'amendement de l'honorable M. Savart.

Mais je crois devoir faire une observation sur la rédaction du deuxième paragraphe de cet amendement. D'après le texte, si je l'ai bien entendu, toute personne qui aura participé aux soustractions ou recelé tout ou partie des objets soustraits sera punie comme complice. Je crois que ce mot « complice » doit être remplacé par le mot « coupable », comme dans le second paragraphe de l'article 380 du Code de 1810. En effet, ceux qui se sont associés aux soustractions commises par un fils au détriment de son père, ou à toute autre soustraction commise par les personnes spécifiées au premier paragraphe de l’article 543 peuvent s'y être associées soit comme complices soit comme coauteurs ; l'amendement ne me semble pas prévoir, ce dernier cas.

Je crois donc qu'il faudrait dire au deuxième paragraphe : « seront punis comme coupables de vol, » ainsi que le disait le deuxième paragraphe de l'article 380 du Code pénal de 1810.

M. Pirmez, rapporteur. - L'honorable membre oublie que les complices sont toujours punis d'une peine moindre que les auteurs principaux ; sa proposition aurait ainsi pour conséquence une aggravation de peine qu'il ne veut sans doute pas.

M. Van Humbeeckµ. - Je craignais que l'amendement ne punît pas les coauteurs ; mais je remarque qu'en conservant les mots « qui ont participé », il s'est rendu applicable aux co-auteurs et aux complices. Je retire donc mon observation.

M. Coomans. - Le mot « complice » n'est pas convenable. Je n'admets pas qu'il y ait vol dans le sens que la loi donne ordinairement à ce mot. Soyons justes, messieurs. Il y a ici plus qu'une discussion de mots, plus qu'un débat verbal, il s'agit de savoir s'il y a criminalité oui ou non. Pour s'entendre il faut définir exactement les mots. Il n'est pas vrai que le père, le fils, le mari et la femme qui se prennent les uns aux autres des objets qui ne leur appartiennent pas, soient des voleurs.

Non ; ils commettent un délit de l'ordre moral, ils ne commettent pas un délit de l'ordre légal, ce n'est pas un vrai délit ; c'est avec grande raison que les législations les plus parfaites ont toujours innocenté de semblables faits. Je n'ai pas besoin de dire longuement pourquoi.

Il y a entre le fils et le père, le mari et la femme, une sorte de copropriété, de communauté de bien, une communauté pour ainsi dire parfaite, au point de vue moral et même au point de vue légal. (Interruption.) La propriété des membres proximes d'une famille est tellement mêlée qu'il serait souvent très difficile de prouver que le fils vote son père ou que le père vote son fils, que le mari vote sa femme ou que la femme vote son mari (Interruption.)

Il y a là acte répréhensible, mais il n'y a pas vol ; s'il n'y a pas vol, vous ne pouvez pas qualifier tel le fait que nous avons en vue.

Je trouve que le mot « complice » serait déplacé ; je n'admets pas qu'il y ait un auteur principal, donc il n'y a pas de complice dans le sens strict du mot, et je pense que le Code pénal de 1810 n'a pas commis cette confusion.

Dans le premier paragraphe, il parle de « soustraction » et dans le deuxième paragraphe il parle d' « objets volés ».

Dans le premier paragraphe il n'y a pas de voleurs, mais des auteurs de soustractions, plus ou moins blâmables ; dans le second, il y a des voleurs, de vrais voleurs, qui savent parfaitement qu'ils s'approprient le bien d'autrui, rem alienam. Le fils qui a soustrait quelque chose à son père, le père à son fils n'est pas un voleur, mais celui qui l'a aidé est un voleur ; c'est pour cela que dans le second paragraphe de l'article de 1810, on se sert du mot « volé », mot qu'on s'abstient d'employer dans la premier. Je voudrais qu'un amendement fût rédigé de façon qu'il en résultât que nous ne considérons pas comme un délit le fait dont il s'agit.

M. Orts.— D'après la marche de la discussion, il s'élève devant la Chambre une question plus grave qu'une simple question de mots ; une véritable question de principe est en jeu. Cette question touche à la morale la plus élevée, à l'intérêt, à l'esprit de la famille, je la résume en deux mots. Il s'agit de qualifier les soustractions entre époux, ascendants et descendants, c'est-à-dire les soustractions entre les membres les plus intimement liés d'une famille dont l'habitation est souvent commune, dont les intérêts sont souvent communs, qui vivent dans un véritable état de quasi-communauté.

Voilà le terrain de la discussion. Ces faits peuvent être envisagés à un double point de vue.

Mais pour conclure, il faut nécessairement poser un principe duquel découleront des conséquences très graves, qui iront plus loin peut-être que la discussion actuelle.

On doit désirer au nom de l'esprit de famille, pour empêcher des investigations maladroites, indiscrètes, compromettantes de la justice dans l'intérieur des familles, pour éviter les haines, pour maintenir la concorde, assurer l'inviolabilité du foyer domestique, on doit désirer que jamais la justice n'ouvrira les yeux sur les soustractions commises entre époux, ascendants et descendants.

A ce point de vue très élevé, l'on s'est placé particulièrement quand fut rédigé le Code pénal de 1810. Cet intérêt préoccupait le législateur de cette époque, et c'est pourquoi il n'a pas frappé les auteurs de ces soustractions.

Pareil intérêt mérite d'attirer l'attention du législateur, mais cette impunité admise au point de vue de la tranquillité du ménage, de l'inviolabilité du foyer domestique, peut engendrer de grands inconvénients, elle peut présenter de sérieux dangers.

Des législateurs prudents dans d'autres pays comme en France, ont cru qu'il ne fallait pas laisser ces faits à l'abri de toute répression, qu'il fallait les considérer comme des faits aussi répréhensibles que s'ils avaient été commis entre personnes n'ayant aucun rapport de parenté ou de communauté, mais qu'il fallait s'arrêter après la qualification morale, qu'il serait dangereux d'aller au-delà de la flétrissure du fait, qu'il fallait exempter l'auteur de la peine ; telle a été la pensée du Code pénal ; telle est la pensée de ses réformateurs encore aujourd'hui.

Veut-on l'impunité complète ? On peut la justifier par d'excellentes raisons morales, mais il faut qu'alors le législateur ait le courage et la logique de déclarer qu'il n'y a pas délit.

D'autre part, il peut être moins absolu, et tout en déclarant que ces soustractions sont des faits que la justice doit flétrir, il peut cependant (page 765) admettre une raison pour exempter l'auteur de la peine, sans exempter ses co-délinquants. Nous trouvons de nombreux exemples de peines frappant un délinquant, pour un fait commis à deux et qui s'arrêtent à l'un des auteurs.

Je vais en donner un exemple. L'adultère de la femme peut être poursuivi et prouvé par tous les moyens de preuve, mais le complice ne peut être condamné que sur des preuves spéciales et déterminées, l'aveu ou le flagrant délit. Il arrive ainsi que le fait de l'adultère soit déclaré constant à l'égard de la femme, qu'elle soit condamnée pour l'avoir commis avec tel individu déterminé, mais que la preuve spéciale manquant, son complice soit acquitté.

Pourtant, il est bien impossible que la femme ait commis le délit seule. On flétrit le fait, on punit l'un des deux délinquants, on exempte l'autre pour des raisons d'ordre public. Si, maintenant, on veut faire un sacrifice de principes à l'esprit de la famille, à la paix intérieure, si l'on veut à tout prix éviter les scandales de poursuites périlleuses, il faut que l'impunité soit complète, il ne faut pas punir les coauteurs, le complices du délit, car on ne peut les punir, sans que de la constatation du fait mis à sa charge résulte la flétrissure morale de ceux que la loi ne peut pas frapper.

Ainsi nous avons à choisir. Voulez-vous l'impunité absolue ? Il faut alors non seulement ne pas frapper d'une peine les auteurs, mais il faut défendre la poursuite des complices. Ne voulez-vous pas l'impunité absolue ? Ayez le courage de dire qu'il y a là un acte immoral que vous flétrissez, mais que, dans un intérêt public, vous ne voulez pas aller plus loin que la flétrissure.

Vous restez ainsi dans les termes de la loi de 1810 ; et en votant le texte proposé, nous améliorons la rédaction.

(page 769) M. Coomans. - Il me semble que la logique ne m'oblige pas à aller aussi loin que l'honorable M. Orts veut me pousser.

J'ai dit que le fils, le père, la femme ne sont pas des voleurs ; mais je n'ai pas dit, loin de là, que les personnes qui les auraient aidés à commettre la soustraction dont nous parlons, ne sont pas des voleurs. J'ai dit précisément le contraire. Ces personnes savent parfaitement qu'elles dérobent ou cachent le bien d'autrui. Le fils, le père, la femme peuvent, avec plus ou moins de raison, avoir, à cet égard, d'autres idées.

Il faut, en bonne morale, que tous les voleurs soient punis. Dès lors, il faut que ceux que vous appelez complices (et que je n'appelle pas ainsi, parce que je n'admets pas un auteur principal), les personnes qui auront aidé à commettre le prélèvement d'héritage anticipé que nous avons en vue, soient punis. Il le faut en bonne morale, en bonne justice.

Au point de vue de l'ordre public, il faut encore qu'il en soit ainsi. Car, si ceux que nous appelons les complices de ces espèces de vols de famille n'étaient pas punis, nous verrions tous les jours des familles s'appauvrir, mises au pillage. Nous verrions des femmes de chambre, etc., user de leur autorité sur des enfants pour faire prendre par ceux-ci des objets dont elles voudraient profiler.

Il faut donc que la recherche de ces faits soit permise. En conséquence nous qualifions de vol le fait posé par les personnes dont nous parlons, mais par ces personnes-là seulement.

Après cela, quand il y aura un jugement qui condamnera comme voleurs les prétendus complices, selon moi, l'auteur principal du fait ne sera pas flétri. (Interruption.) Messieurs, soyons francs ; il n'y a pas là de vol. Il y a souvent copropriété, communauté de biens entre la femme et le mari, le fils et le père, etc. (Interruption.) Oui, il y a souvent communauté de biens réelle entre le père et le fils. Le fils commet un délit moral quand il prend l'argent de son père ; il lui désobéit ; il commet un péché. (Interruption.) Mais au point de vue social, il ne commet pas de crime, pas de délit, et vous n'avez pas le droit de punir le péché. Si vous vous attribuiez ce droit, vous iriez loin.

Il y a une foule d'actions mauvaises que vous ne punissez pas. Ainsi, puisqu'on a parlé d'adultère, mais l'adultère du mari hors du domicile conjugal est un gros péché. J'espère qu'il ne faut pas être catholique pour le reconnaître. Vous ne le punissez pas, parce que le législateur civil évite autant que possible, et avec raison, d'intervenir dans les affaires de famille, et qu'il n'a pas même droit de punir le péché ; le législateur ne le punit que lorsqu'il porte atteinte à l'ordre public, lequel est déjà assez large pour comprendre une foule de dispositions pénales.

Il n'y a pas crime, il n'y a pas délit de la part du père qui prend l'argent de son fils, et réciproquement. Il y a un gros péché, il y a une action qui n'est pas honnête, mais il n'y a pas de crime. Cela est si vrai que vous ne demandez pas qu'on le punisse ; et vous ne le pouvez pas.

Remarquez-le bien, et je finis par cette observation ; si vous ne punissez pas le fils qui a pris quelque chose à son père, ce n'est pas à cause de sa qualité de fils. Ce n'est pas cette qualité de fils qui vous arrête ; car si ce même fils, qui a pris de l'argent à son père, le frappe, vous le punissez et vous faites bien. Mais cela vous prouve que ce n'est pas la qualité de fils qui vous empêche de punir. Vous vous abstenez de punir le père ou le fils qui se sont pris quelque chose l'un à l'autre, parce que vous reconnaissez au fond de votre cœur qu'il n'y a pas là de délit, et que s'il pouvait y avoir un délit ou un quasi-délit, il vous serait souvent excessivement difficile de le reconnaître, de l'apprécier.

Messieurs, dans combien de familles la communauté de biens entre époux ne survit-elle pas au décès de l'un d'eux ? Dans combien de familles les enfants ne respectent-ils pas leur père, au point de vue de ne pas demander leur légitime après la mort de leur mère ? Il y a tel enfant à qui son père doit de grosses sommes.

Eh bien, parce que cet enfant aura pris quelque chose dans la caisse paternelle, vous direz qu'il a commis un vol ? Vous diriez cela à cet enfant à qui il est dû peut-être mille fois, dix mille fois plus qu'il n'a pris ! Ce ne sont pas là des vols, et je proteste contre toute tendance à qualifier ainsi le fait dont nous nous occupons.

Je ne vois, d'ailleurs, aucune contradiction entre les deux faits que nous posons. D'une part, nous innocentons le fils, le père, la femme ; d'autre part, nous frappons avec raison les personnes qui les ont aidés à commettre un fait plus ou moins blâmable au point de vue moral, mais non punissable au point de vue civil et social. Ces personnes sont des voleurs et des voleurs d'autant plus punissables qu'ils sont lâches, qu'au fait de vol vient se joindre une criminalité supplémentaire, la lâcheté et l'hypocrisie. Ils n'ont pas eu de courage de voler directement ; ils ont fait voler ; et si j'y pouvais quelque chose, je ferais punir plus sévèrement ces complices dont vous parlez, que les véritables voleurs, parce qu'il y a une atteinte de plus portée à la morale ; parce que, outre qu'ils se sont approprié le bien d'autrui, ils ont relâché les liens de la famille, diminué le respect que se doivent entre eux les membres d'une même famille.

Je demande pardon à la Chambre de me mêler dans des questions juridiques ; en général je ne les ai guère approfondies, quoique je sois docteur en droit comme tant d'autres, mais je le suis depuis si longtemps (depuis 27, ans), que je pourrais bien avoir oublié un peu l’ « utrumque jus ». Toutefois il m'a paru que je pouvais prendre part à un débat où des questions purement morales et de l'ordre le plus élevé, se trouvaient engagées.

- Un membre. - Nous pouvons tous en parler.

M. Coomans. - C'est pourquoi j'ai pris la parole. Pour ma part j'engage la Chambre, si elle n'est pas assez éclairée, à ajourner ce débat à demain.

(page 765) M. Wasseigeµ. - Messieurs, je n'ai qu'une seule observation à faire. Il me paraît résultera l'évidence de la distinction qui vient d'être établie par l'honorable M. Orts, que nous ne pouvons pas continuer à laisser la qualification de vol dans l'article que nous discutons actuellement. L'honorable M. Orts a dit tout à l'heure : Deux systèmes sont en présence : vous pouvez innocenter complètement les personnes qui commettent les faits mentionnés dans l'article, ou bien vous pouvez flétrir ces faits en leur laissant la qualification de vol.

Ainsi dans l'opinion de l'honorable M. Orts. une peine morale quelconque pourrait être infligée aux faits dont il s'agit. Je dis, moi, qu'aucune peine, aucune flétrissure ne peut être infligée que par un jugement. Or, dans le système de l'honorable M. Orts la personne qui a commis les faits prévus dans l'article 543 pourrait être punie d'une flétrissure sans avoir été accusée et appelée à se défendre. Cela ne se serait jamais vu sous aucune législation.

Il me paraît, messieurs, que nous ne pouvons pas admettre un pareil système et que c'est une raison péremptoire pour adopter l'amendement présenté par notre honorable collègue.

M. Dolez. - Messieurs, la discussion qui nous occupe en ce moment n'est pas nouvelle, elle s'est élevée sous le Code pénal de 1810 à peu près dans les mêmes termes dans lesquels elle se produit aujourd'hui. Ceux qui défendaient la thèse des honorables MM. Guillery, Savart et Coomans se sont appuyés principalement sur la doctrine que l'honorable M. Coomans vient de développer.

Eux aussi ont pensé qu'il n'y avait pas vol, parce qu'il n'y a point soustraction de la chose d'autrui. Acceptant cette quasi-copropriété entre les membres les plus proximes d'une famille, ils en ont conclu qu'on ne pouvait pas donner le nom de vol aux faits de soustraction pratiqués par l'un au détriment de l'autre. Mais à côté de cette opinion défendue avec leur talent ordinaire par MM Chauveau et Hélie, vient se placer l'autorité du droit romain et l'autorité de la cour de cassation de France.

La loi romaine qualifiait de vol le fait dont nous nous occupons en ce moment, tout en ajoutant cependant qu'elle n'accordait pas d'action pour en poursuivre le châtiment. Elle caractérise ainsi la véritable nature du fait : c'est un vol, mais un vol qu'on ne poursuivra point.

La cour de cassation de France, dans une question qui à elle seule me fait croire à la nécessité d'adopter la qualification de vol dans la rédaction de notre article, la cour de cassation de France maintient cette qualification de vol au fait dont il s'agit dans une circonstance où il constitue une aggravation du crime de meurtre. Ainsi un meurtre avait été commis par un mari sur sa femme et ce meurtre avait été accompagné de cette soustraction à laquelle je ne donne pas de nom en ce moment. Si c'est un vol, la peine devait être plus élevée ; si ce n'est pas un vol, la peine devait être moindre, elle devait être celle du meurtre simple.

La cour de cassation de France a décidé qu'il n'en pouvait être ainsi, et cassant l'arrêt contraire de la cour de Poitiers, elle a proclamé le principe que le fait constituait un vol, mais un vol qui n'est point puni à cause de la qualité de l'auteur ; que dès lors quand à ce vol vient s'ajouter un crime qui, lui, est puni malgré la qualité de l'auteur, alors il fallait considérer le vol comme circonstance aggravante et appliquer la peine la plus sévère.

Messieurs, au point de vue de cette dernière question, je vous demanderai si un père commettait un acte de violence sur son fils pour arrivera une soustraction, si vous ne croyez pas qu'il mériterait une peine plus sévère que celle qu'il encourrait si l'acte de violence avait été isolé ? C'est ainsi que l'auteur d'un meurtre ou de simples coups et blessures est puni plus sévèrement quand ces faits sont accompagnés de vol.

Il y a donc une très grande importance, suivant moi, à se servir d'une expression qui rendra impossibles des conflits de jurisprudence de la nature de celui qui avait surgi entre la cour de Poitiers et la cour de cassation de France. Suivant moi, la saine appréciation des choses doit vous porter à considérer le fait qui nous occupe comme un vol, mais comme un vol contre lequel l'action du ministère public ne s'exerce pas. Si vous envisagez la question à ce point de vue vous reconnaîtrez, messieurs, que les expressions dont la commission s'est servie ont été employées convenablement par elle. Si au contraire vous admettiez les idées de l'honorable M. Coomans, sur l'espèce de copropriété dont il a parlé, alors je reconnaîtrais volontiers que le mot « vol » devrait disparaître. Mais quand la loi romaine, qui a été écrite et qui s'exécutait à une époque et pour des mœurs ou la solidarité de la famille était beaucoup plus puissante qu'elle ne l'est de nos jours, quand la loi romaine se servait de la qualification de vol, nous n'avons aucune raison pour reculer devant cette qualification.

Je vous demande donc, messieurs, de maintenir l'expression de vol dans l'article qui vous est soumis.

M. Pirmez, rapporteur. - Permettez-moi, messieurs, de vous signaler une conséquence très importante, au point de vue civil, de la décision que vous êtes appelés à prendre.

D'après l'article 2279 du Code civil possession vaut titre quand il s'agit de choses mobilières, et il n'est d'exception à cette règle que pour les objets perdus ou volés. La revendication ne sera-t-elle pas prescrite dans le cas dont nous nous occupons, si vous n'admettez pas qu'il y a vol ? (Interruption.)

Remarquez que s'il n'y a point de complices étrangers, il n'y aura, d'après nos contradicteurs, vol vis-à-vis de personne.

Il n'y aurait donc pas de revendication, et la propriété des valeurs soustraites restera acquise à celui qui les possédera.

M. Guilleryµ. - Messieurs, cet article du code civil doit être interprété tel qu'il a été fait, c'est-à-dire d'après la législation qui était en vigueur lorsqu'il a été promulgué.

Chaque fois qu'il s'agira d'appliquer l'article 2279 du code civil, on ne recherchera pas quelles modifications ont pu être introduites dans le code pénal. On mettra l'article du code civil en rapport avec la législation pénale de l'époque, et on saura parfaitement ce que le législateur voulu dire.

Quand l'art. 2280 parle d'objets perdus ou volés, il est bien certain qu'il veut parler aussi d'objets soustraits, (Interruption.) Les motifs sont les mêmes.

(L'orateur lit les deux articles 2279 et 2280.)

Je ne vois pas, messieurs, que l'application de cet article puisse donner lieu à aucune difficulté. La question se présentera exactement comme elle se présente maintenant, c'est-à-dire, avec le mot « soustraction » dans le Code de 1810.

La question est de savoir si on l'interprète comme l'interprète la Cour de cassation, ou comme l'ont interprétée d'autres cours ou certains jurisconsultes.

Remarquez, du reste, qu'il y a toujours réparation civile, et que le premier effet de la réparation civile, ce fera la restitution de l'objet volé.

M. Van Overloop. - Messieurs, je demande le renvoi de l'amendement à la section centrale. La question est très grave. L'honorable M. Dolez vient, par exemple, d'invoquer, à l'appui du système qu'il défend, la constitution de la famille romaine. L'honorable membre a produit une certaine impression sur la Chambre. Mais je ne pense pas qu'il y ait une comparaison possible entre l'organisation de la famille ancienne et celle de la famille moderne. Il n'y avait pas de copropriété dans la famille romaine, les femmes, les enfants n'étaient rien. Quand (page 766) il s'agit de rapports de famille, le droit romain ne peut plus être invoqué à notre époque.

M. Dolez. - Messieurs, je crois que c'est avec raison que j'ai prétendu tout à l'heure que l'organisation de la famille romaine se prêtait bien plus que nos idées d'aujourd'hui sur les familles, au système défendu par MM. Coomans, Nothomb et Guillery, et que j'ai rappelé que malgré cela les lois romaines appelaient vol les soustractions qui se commettent de parents à parents, d'époux à époux ; tout en n'appliquant aucune peine à ses faits les Institutes disaient :

« Qui in parentum vel dominorum potestate sunt, si rem eis subripiunt, fartum quidem illis fuciunt, et rem in furtivam causam cadit ; sed furti actio non nascitur, quia nec ex alià ullla causa potest inter eos actio nasci. »

Il est impossible de mieux marquer la vérité de notre système. Le code disait à son tour :

« Maritus propter matrimonii putorem, non furti sed rerum amatarum actionem habet. »

Il y a vol, la chose enlevée est une chose votée, mais à cause des liens existant entre l'auteur et la victime la poursuite du vol n'existe pas.

L'honorable M. Orts disait tout à l'heure avec raison, que s'il n'y a pas vol, s'il n'y a pas chose votée, vous ne pouvez pas juger les complices.

La question que nous examinons en ce moment aboutit donc, non pas seulement à substituer au mot « vol » le mot « soustraction », mais à proclamer qu'il y aura impunité, non seulement pour le fils qui aura voté son père, mais pour tous ceux qui l'auront aidé à commettre cette action.

Je ne pense pas que vous puissiez aller jusque-là, et si vous ne voulez pas aller jusque-là, vous devez adopter le système qui vous est proposé par le gouvernement d'accord avec la commission.

M. de Naeyer. - Messieurs, je crois qu'on a tort d'accorder, dans cette discussion, une importance décisive au droit romain.

Dans le droit romain, il y a deux sortes de délits, des délits privés et des délits publics.

Aujourd'hui nous ne connaissons plus que les délits publics, c'est-à-dire que nous n'appliquons la qualification de délit qu'aux faits contre lesquels la loi commine une peine dans l'intérêt de la vindicte publique, et cela est vrai lors même que la poursuite ne peut avoir lieu que sur la dénonciation ou avec l'autorisation de la partie lésée ; il en était tout autrement dans le droit romain.

Ainsi, le vol était considéré dans le droit romain comme un délit privé, la partie lésée seule pouvait intenter une action de ce chef, et la condamnation ne pouvait être prononcée qu'au profil de la partie lésée et non dans l'intérêt de la vindicte publique.

Le vol avait donc dans la législation romaine un tout autre caractère juridique, de là une foule de dispositions qui ne s'harmonisent plus du tout, ni avec nos idées, ni avec nos institutions.

Aussi la commission a cru devoir corriger la définition du vol empruntée au droit romain.

Je reste convaincu que d'après les principes de législation pénale, généralement admis aujourd'hui, il est impossible d'appliquer la qualification de vols à toute une catégorie de soustractions qui jamais dans aucun cas quelconque et quelle que soit la culpabilité toute spéciale de l'agent, ne peuvent être punis d'une peine, c'est faire mentir la définition même du délit, car le délit est une infraction à une loi pénale, c'est-à-dire à une loi comminant une peine, tandis qu'il s'agit ici de faits contraires à une loi qui ne prononce aucune peine.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'ai une seule observation à faire, en réponse à ce que vient de dire l'honorable M. de Naeyer, c'est que dans notre législation il y a une foule de faits qui peuvent être considérés comme des délits privés, ceux qui ne seront poursuivis que sur la plainte des parties lésées. Tels sont, par exemple, les délits de chasse, d'adultère, de presse, de calomnie ; ces délits ne sont poursuivis qu'autant qu'il y ait plainte de la partie lésée.

L'objection de l'honorable membre n'est donc pas fondée.

M. Dolez. - Messieurs, la question n'est pas de savoir si le vol est un délit public ou un délit privé ; la question est de savoir si les faits dont nous nous occupons méritent le nom de vol. Que ce soit ou que ce ne soit pas un délit public ou un délit privé, est-ce un vol ? Voilà la question posée. Eh bien, la loi romaine et la cour de cassation de France qualifient de vol l'action que prévoit l'article que vous discutez.

Et tout à l'heure l'honorable M. Coomans, à son insu, nous donnait un argument péremptoire en faveur du maintien de cette qualification ; il rappelait que l'adultère commis par le mari hors du domicile conjugal n'est pas puni.

Cela est vrai. Mais ce n'en est pas moins un adultère, et vous ne lui en donnez pas moins le nom. Or nous faisons ici absolument, la même chose. Nous disons : Voici une action qui mérite le nom de vol, mais à raison de la position particulière des personnes qui ont commis l'action et de celle qui en a été la victime, nous ne les punissons pas.

La question ramenée à ces termes ne présente pas de difficulté.

M. Devaux. - Messieurs, je ne comprends pas ces extrêmes ménagements pour les auteurs d'actes qui peuvent être fort coupables.

Si on avait proposé de maintenir tout simplement la disposition du Code pénal, je n'aurais peut-être pas pris la parole, quoique le Code pénal me semble ici fort indulgent ; mais l'amendement va plus loin encore ; il ne veut pas même qu'on appelle votls des objets dont les receleurs sont punis. On a tant de ménagements pour les auteurs de ce qu'on a appelé des vols de famille qu'il semble qu'il y aurait irrévérence à leur donner le nom qu'ils méritent. Il n'est permis à la loi que de les appeler soustracteurs.

Je ne puis pousser jusque-là les ménagements pour ce qui est si peu respectable. Le Code pénal a été fort loin, en exemptant de toute pénalité, sans faire aucune distinction, tous les faits dont il s'agit dans cette disposition.

Je n'irai certainement pas au-delà. Comment ! un vieux ouvrier aura un fils mauvais sujet qui aura quitté la maison paternelle ou en aura été expulsé, qui reviendra la nuit avec des complices, volera avec effraction le pécule que le vieillard avait amassé, le dissipera le lendemain ; et il ne suffira pas que ce criminel dénaturé soit exempt de peines ? La loi devra craindre de donner à son action une qualification qui lui soit désagréable ; elle n'osera pas l'appeler vol.

M. de Naeyer. - Vous n'osez pas le punir.

M. Devaux. - Si l'on ne punit pas, ce n'est pas par égard pour le fils, c'est par égard pour l'union des familles.

Je ne comprends pas de pareils scrupules dans le langage de la loi en face de pareils actes et je ne puis adopter des amendements qui les sanctionneraient.

M. Wasseigeµ. - Je demande le renvoi à la commission de l'article et des amendements.

M. Dolez - Messieurs, je comprends parfaitement qu'on demande le renvoi à la commission d'une question qui n'a pas été examinée, mais, quand il s'agit d'une question examinée par la commission et longuement traitée dans son rapport, pourquoi le renvoi ?

La question, messieurs, n'est pas neuve ; elle est parfaitement connue.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Elle a été examinée par deux commissions.

M. Dolez. - Tout le monde l'a étudiée et tout le monde peut avoir une opinion faite à cet égard.

M. Wasseigeµ. - Je ne conteste pas que la commission ait examiné la question, mais il s'est produit des arguments très péremptoires dans la séance d'aujourd'hui.

Il s'est produit également un amendement, et la commission pourrait peut-être se trouver éclairée par la discussion qui vient d'avoir lieu. Il me paraît qu'il serait du reste conforme aux règles suivies précédemment de renvoyer l'article et l'amendement à la commission.

La commission peut avoir étudié la question, mais elle ne peut avoir la prétention d'avoir raison contre des arguments qu'elle n'a ni prévus, ni entendus.

Je crois donc qu'un nouvel examen par la commission serait utile, et je persiste dans ma proposition.

M. H. Dumortier. - Messieurs, s'il s'agissait d'une question neuve qui n'eût pas fait depuis plusieurs années l'objet des études des jurisconsultes éminents qui siègent dans la commission spéciale j'appuierais la proposition de renvoi à la commission ; mais comme vous l'a dit l'honorable M. Dolez, cette question est de celles qui se discutent depuis le moment où l'on se trouve sur les bancs de l'université. (Interruption.)

Comment donc ! Il n'y a pas un auteur de quelque renom où. cette question ne soit traitée et longuement développée.

Elle a été également l'objet de débats devant les tribunaux.

Je dis qu'en matière de code pénal, matière hérissée de questions très controversées, si l'on renvoyait toujours aux commissions pour un nouvel examen les questions un peu contestées, questions qui, je le répète, sont loin d'être neuves, qui ont été examinées par la jurisprudence (page 767) et par la doctrine, je dis que le session ne suffirait pas pour achever ce qui reste à faire au code pénal.

Je m'oppose donc au renvoi à la commission. Il me semble que la Chambre est parfaitement éclairée et que nous pouvons nous prononcer immédiatement.

M. le président. - Je mets aux voix la proposition de renvoi à la commission.

- La Chambre décide par assis et levé qu'il n'y a pas lieu de renvoyer à la commission.

M. le président. - Voici l’article avec le seul amendement qui soit parvenu au bureau.

« Art. 543. Ne pourront donner lieu qu'à des réparations civiles les soustractions commises, etc. »

Et puis au second alinéa :

« Toute autre personne qui aura sciemment participé à ces soustractions, ou recelé tout ou partie des objets soustraits, sera punie comme complice du vol conformément aux dispositions du présent Code. »

Je vais mettre cet amendement aux voix.

- L'amendement n'est pas adopté.

L'article 543, modifié par la commission d'accord avec le gouvernement, est ensuite mis aux voix et adopté.

- La séance est levée à 4 heures 1/2.